Aménagement numérique du territoire
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire.
Discussion générale
M. Philippe Leroy, auteur de la proposition de loi. - Je suis co-auteur, avec M. Maurey, de cette proposition de loi tendant à compléter le programme national « très haut débit », présenté il y a un an par le Premier ministre pour donner à tous les Français les moyens modernes de communication qu'ils exigent.
Le constat est partagé : les télécommunications de demain reposeront sur la fibre optique. Tous les foyers français exigeront la fibre, comme l'électricité et l'eau ! Ne pas généraliser la fibre optique serait un abandon de nos territoires. Cette perspective va de pair avec la généralisation des téléphones mobiles de quatrième génération.
Les collectivités sont au coeur de l'aménagement du territoire. Dans les années 90, on a confié le développement des télécommunications au privé : un gouvernement socialiste avait donné à France Télécom la propriété des réseaux cuivre, que l'opérateur historique devait mettre à la disposition des opérateurs privés via le dégroupage. La régulation fut confiée à l'ART, aujourd'hui dénommée Arcep.
Dans les années 2000, on dopa le réseau cuivre pour monter en débit et obtenir le triple play.
Mais, constatant la carence du privé, le Sénat a voté l'article 14-25-1, qui permettait aux collectivités locales d'intervenir comme opérateur d'opérateur, contre l'avis du Gouvernement. Le partenariat public-privé associant collectivités locales et investisseurs privés a bien marché.
Dans cette première étape, la France a mieux réussi que nombre de ses voisins : nous avons évité une fracture numérique majeure.
Mais certains territoires ne disposent pas des six mégabits, alors que la fibre optique se développe dans les zones denses.
En 2008, lors de la LME, le Sénat avait déjà voté des amendements -contre l'avis du Gouvernement- pour une meilleure implantation de la fibre. En 2009, la proposition de loi de notre collègue Pintat a instauré les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN), facultatifs. Les Hauts-de-Seine disposent de trop de réseaux à très haut débit. (Mouvements à gauche) C'est un mauvais exemple quand, a contrario, d'autres ne disposent pas encore des six mégabits.
La loi Pintat a également instauré un Fonds d'aménagement numérique du territoire (Fant). Pour gagner cette bataille, il faudra compléter l'initiative privée par des crédits publics. Péréquation et mutualisation sont indispensables pour desservir même les zones faiblement peuplées.
Il faudra bien parler du chiffre d'affaires et des profits procurés par l'exploitation des réseaux de télécommunication : à côté, les 25 milliards nécessaires pour moderniser les réseaux sont peu de chose !
Pour éviter la fracture numérique, il faut un partenariat public-privé (PPP) autour de la fibre optique -pas des PPPP : « profits privés, pertes publiques » mais un partenariat équilibré.
Veillons à ne pas trahir les intentions de l'État et des collectivités ! Évitons les coups de freins de ceux qui veulent réserver les investissements aux zones privilégiées, pour préserver leurs rentes ! Les initiatives privées annoncées sont loin de correspondre aux attentes du ministre de l'industrie, car les intentions réelles d'investissement sont insuffisantes. Je n'accuse personne mais laisser les choses en l'état nous conduirait vers la fracture numérique et l'abandon des zones rurales ou pavillonnaires faiblement peuplées.
Je constate moi-même, dans mon département, que les agglomérations de Metz et de Thionville ont fait l'objet de déclarations d'investissement, mais les communes ne seront pas toutes desservies !
Cette proposition de loi est d'une simplicité biblique : je ne comprends pas l'hostilité de France Télécom. Nous constatons simplement que les investisseurs privés ne peuvent pas tout faire. Je sais d'ailleurs que nous adopterons cette proposition de loi à l'unanimité. (Sourires)
Nous répondons ainsi à l'intérêt des Français et des collectivités locales. Si nous ne rattrapons pas le retard, les collectivités devront financer les aménagements !
La proposition de loi rend obligatoires les SDTAN. Ce n'est pas compliqué : on s'assoit autour de la table, avec le préfet et tous les acteurs, pour faire un diagnostic partagé de territoire, mais on s'explique ! On fait de la pédagogie.
On révise le schéma tous les deux ans. Si les collectivités veulent passer des conventions avec le privé, pas de problème. Mais l'Arcep vérifie que la convention est bien appliquée ! Tout comme pour un marché public : celui qui ne respecte pas ses engagements est puni.
En conclusion, n'ayez pas peur. Voyez avant tout l'intérêt des Français.
Nous défendons le modèle de partenariat public-privé voulu par la France ; nous ne faisons qu'accompagner le Gouvernement, pour que les promesses du président de la République soient tenues. Même la gauche nous soutient ! (Exclamations à gauche)
Je le dis avec gentillesse à France Télécom : tenons-nous par la main pour avancer ensemble. Vive la fibre optique à l'abonné pour tous. (Applaudissement à droite, au centre et sur divers bancs socialistes)
M. Hervé Maurey, rapporteur de la commission de l'économie. - Le 6 juillet dernier, notre commission de l'économie adoptait à l'unanimité le rapport sur l'aménagement numérique du territoire, intitulé Des paroles aux actes, qui faisait suite à mon rapport au Premier ministre sur le financement du très haut débit. Un territoire, quelle que soit sa situation géographique, doit bénéficier du haut débit : sans lui, le déclin est assuré. Je l'ai vu hier à Barneville-sur-Seine, dans l'Eure, qui a enfin accédé au haut débit tant attendu grâce au multiplexeur.
L'obligation de couverture n'est pas satisfaisante -en réalité, le taux de couverture en haut débit n'est pas de 100 %, n'en déplaise à M. Besson, car son chiffre prend en compte le satellite.
Quelques 6 millions de foyers ont accès au très haut débit, certes, mais 4,7 millions par câble. Au rythme actuel, il faudra cent ans pour couvrir le territoire!
Je regrette que l'État ait totalement renoncé à être un acteur de ce déploiement. (Applaudissements à gauche) Les opérateurs peuvent investir où ils veulent, quand ils veulent, sans être liés par leurs déclarations, alors même que celles-ci empêchent de fait les collectivités d'intervenir dans les zones ainsi préemptées, même non rentables ! Pourquoi le Gouvernement a-t-il introduit, en avril 2011, cette disposition, qui ne figurait pas initialement dans le programme national?
Au lieu d'alimenter le Fant, institué par la loi Pintat, le Gouvernement a préféré créer le Fonds de solidarité numérique (FSN). Pourquoi ? Avec 2 milliards d'euros, dont 900 millions seulement pour les zones non rentables, comment donner confiance aux acteurs locaux ? Le FSN sera temporaire, dit-on, le Fant devant prendre le relais. Pourquoi ne pas abonder le Fant dès maintenant ? A de nouvelles taxes, j'aurais préféré une dotation de l'État -mais l'article 40 nous interdit de l'inscrire ici.
La diminution de la TVA dans la restauration coûte 3 milliards d'euros chaque année ; 60 à 70 milliards seront consacrés aux routes -à comparer aux 25 milliards nécessaires pour développer la fibre.
Le rapport, adopté à l'unanimité par la commission, fait 33 propositions, largement reprises dans cette proposition de loi. Il ne s'agit pas d'une rupture avec le modèle retenu par le Gouvernement -nous aurions pu opter pour le modèle australien, le dispositif finlandais ou confier le réseau à des sociétés de BTP, habituées à un retour sur investissement assez lent-, mais nous ne voulions pas retarder encore les choses en modifiant le montage choisi.
Je vous sais attachés à la coopération entre opérateurs et collectivités. Il s'agit ici de rééquilibrer ces relations. L'autorité de la concurrence, saisie par notre commission, a rendu un avis fort intéressant, qui rejoint notre position.
Elle constate que le Gouvernement a fait « un choix d'opportunité », que l'opérateur historique n'avait pas intérêt au développement du réseau fibre -qui menacerait la rente sur le réseau cuivre-, que rien ne s'opposait aux aides publiques dans le cadre d'un service d'intérêt économique général. Cet avis conforte notre appréciation.
Des amendements de tous les groupes ont été retenus. Ainsi, l'article premier A, introduit à l'initiative du groupe socialiste, rappelle l'importance de l'aménagement numérique du territoire.
L'article premier étend le champ des schémas directeurs. L'article 2 rend les SDTAN obligatoires. L'article 3 érige les schémas en base d'une contractualisation, sous l'autorité de l'État, entre les collectivités territoriales et les opérateurs, afin que ces derniers soient tenus par leurs engagements.
L'article 3 bis, à l'initiative du groupe socialiste, impose que tous les nouveaux immeubles soient raccordables. L'article 3 ter impose aux opérateurs intégrés d'affirmer leur éventuelle volonté d'utiliser les réseaux en tant qu'opérateurs de service. L'article 4 recense et optimise les points hauts d'émission.
L'article 5 institue un groupe de travail pour redéfinir la mesure du taux de couverture réel : nous l'avons élargi à l'amélioration de la couverture mobile.
L'article 6 rend obligatoire la couverture des zones grises de téléphonie mobile par itinérance ou mutualisation. Nous avons ajouté un rapport sur ce sujet. L'article 7, satisfait, a été supprimé.
L'article 8 prévoit le haut débit pour tous à 2 mégabits par seconde d'ici 2014 et 8 mégabits par seconde d'ici 2016. Il est temps de donner une réalité à ce droit à valeur constitutionnelle. Nous renvoyons à un rapport de l'Arcep. L'article 9 vise l'éligibilité au Fant des projets de montée en débit.
L'article 10 concerne les projets intégrés, qui seront réalisés dans le cadre de services d'intérêt économique général (Sieg). L'article 11 organise le financement de projets publics dans les zones, cas de carence des opérateurs, dans un délai de trois ans et non de cinq comme prévu par le Gouvernement.
L'article 12 introduit des sanctions si les opérateurs ne respectent pas leurs obligations. Je sais qu'elles choquent certains sénateurs mais sanctionner le non-respect d'un engagement pris dans un cadre contractuel est on ne peut plus classique ! La sanction serait confiée à l'Arcep, qui a déjà cette compétence pour la téléphonie mobile et qui n'a pas fait preuve d'une particulière sévérité en la matière.
L'article 13 fixe au 31 décembre 2025 la date butoir pour le basculement généralisé vers le très haut débit. L'article 13 bis demande un rapport de l'Arcep sur la séparation des activités réseaux et services chez les opérateurs intégrés.
L'article 14 reconnaît le statut d'opérateurs aux collectivités locales intervenant dans le cadre de réseaux d'intérêt public.
L'article 15 concernait l'abondement du Fant par de nouvelles taxes. La commission l'a supprimé, mais il faudra néanmoins l'examiner : le Fant ne doit pas être, selon la formule de Michel Teston, un fonds sans fonds. Idem pour l'article 16.
L'article 16 bis affecte au Fant le produit des sanctions payées par les opérateurs : solution logique mais pas suffisante. L'article 17 module les aides du Fant en fonction du degré de ruralité des zones. L'article 18 demande un rapport sur les coûts du raccordement.
L'article 19 prévoyait un rapport sur le coût de la boucle locale cuivre -la commission l'a supprimé mais elle organisera une table ronde sur le sujet. L'article 20 concerne le déploiement prioritaire du très haut débit dans les zones rurales.
L'article 21 créait un GIP pour l'harmonisation des référentiels techniques -de peur de se voir opposer l'article 40, nous l'avons transformé en comité de pilotage. L'article 22 prévoit que le comité national du très haut débit remet un rapport sur l'avancement du programme national.
L'article 23 concerne l'articulation entre les documents d'urbanisme et les schémas directeurs d'aménagement numérique. L'article 24 introduit des représentants du Parlement dans la composition du comité de gestion du Fant. Enfin, l'article 25, qui visait à éviter la censure de l'article 40, pourra être supprimé après les votes intervenus en commission.
Ce texte est soutenu par les associations d'élus, il l'a été par la quasi-unanimité de la commission. Je souhaite retrouver cette unanimité : ce texte, qui n'a d'autres objectifs que de résorber la fracture numérique, doit nous rassembler. L'accès aux réseaux de communication électronique est, je le rappelle, un droit à valeur constitutionnelle.
Pour terminer, selon un sondage réalisé cet été, les élus ruraux placent la couverture de leur territoire en très haut débit en priorité n°1, avant les routes et les écoles. L'association des maires ruraux fait sa première priorité de la couverture du territoire en très haut débit. Nous ne pouvons rester sourds à ces appels, au moment d'apporter des solutions concrètes ! (Applaudissements)
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. - Le Gouvernement est à 100 % en phase avec l'objectif général de la proposition de loi, ainsi qu'avec certaines suggestions techniques du Sénat. Cependant, il ne peut l'accepter car son résultat serait inverse au but poursuivi.
Le déploiement d'un réseau numérique à très haut débit conditionne la compétitivité économique et l'attractivité du territoire. MM. Maurey et Leroy ont déposé, le 17 novembre, une proposition de loi qui s'inscrit dans l'objectif partagé par tous d'un développement équilibré des réseaux sur le territoire.
Grâce à l'action volontaire du Gouvernement, la France est très bien placée dans le domaine numérique. Le secteur a créé 700 000 emplois en quinze ans et en créera encore 450 000 d'ici 2015. Peu de pays ont autant de géants mondiaux dans le domaine, où STMicroelectronics, Alcatel-Lucent, Orange, Vivendi occupent des places de premier plan.
La France a engagé un effort sans précédent, dans quatre directions prioritaires, pour doter la France du réseau le plus étendu et le plus compétitif d'Europe.
Vient en premier la volonté de soutenir le développement des usages du numérique, notamment grâce à la dématérialisation des trois quarts des procédures administratives. Le commerce électronique a triplé son chiffre d'affaires en cinq ans, pour avoisiner 38 milliards d'euros en 2011, contre 31 en 2010. L'appétence de la population française est donc avérée.
La deuxième priorité est la TNT.
M. Yves Rome. - Cela n'a rien à voir !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Le rapport est évident ! Écoutez vos concitoyens, ils vous le diront !
M. Yves Rome. - Ils nous écoutent plus que vous !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - La réception de dix-neuf chaînes gratuites en qualité numérique est un succès majeur pour l'aménagement numérique du territoire. A quoi s'ajoutent les solutions satellites.
M. Bruno Retailleau. - Et le dividende numérique !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - En effet. Désormais, 99,9 % des Français bénéficient en outre de la téléphonie mobile, dont le taux de pénétration dépasse 100 %. Bien sûr, on trouve ponctuellement des zones à la couverture insuffisante, même à Paris. D'où le programme « zones blanches », lancé en 2003, qui couvre 3 000 communes en zone rurale grâce à un investissement de 600 millions d'euros. Vous le savez, monsieur Maurey, les opérateurs doivent couvrir 98 % de la population en 3G depuis la fin 2011. Nous avons appliqué les critères les plus exigeants d'Europe pour l'aménagement équilibré du territoire. Aucun pays au monde n'est allé si loin dans les obligations.
M. Yves Rome. - Allez en Australie !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - 99,6 % de la population et 95 % de celle de chaque département devront être couverts dans un délai de quinze ans. La zone prioritaire de couverture concerne 60 % de la population.
La 4G sera le premier réseau déployé simultanément en ville comme à la campagne. Et s'il y a un quatrième opérateur, c'est bien grâce à la volonté du Gouvernement. Note pays est leader en la matière...
M. Didier Guillaume. - Grâce à l'argent des collectivités !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Grâce à l'argent de tous les Français. (Exclamations à gauche) C'est là qu'est la différence entre nous : nous ne voulons pas le gaspiller ! (Mêmes mouvements)
L'article 5 de la proposition de loi ne me semble pas utile. Un groupe de travail rassemble déjà parlementaires, représentants des collectivités locales, de l'Arcep, de l'administration et des opérateurs. Il a été réuni le 8 février par M. Besson pour faire un bilan du programme « zones blanches » et vérifier que les chiffres des opérateurs correspondent bien à la couverture réelle. Grâce à l'action du Gouvernement, la France a une des meilleures couvertures en téléphonie mobile d'Europe. (Exclamations à gauche)
Je comprends l'objectif de l'article 6, mais les licences vendues sont assorties d'obligations. Si on en ajoute de nouvelles, l'État devra dédommager les opérateurs... Ce qui est incompatible avec l'état de nos finances publiques.
Les réseaux d'accès à internet sont la quatrième priorité. Dans le cadre du plan national « très haut débit » lancé par le Gouvernement, les opérateurs privés se sont engagés à couvrir 55 % de la population en fibre optique dans les dix ans. C'est bon pour les finances publiques et pour la concurrence -meilleur moyen pour faire baisser les prix et défendre le pouvoir d'achat. (Exclamations à gauche)
Nous attendons pour fin février la réponse des opérateurs sur leurs programmes de déploiement. Si leurs engagements n'étaient pas respectés, la zone réservée à l'investissement privé serait réduite au profit des collectivités locales. Cette menace n'est pas prise à la légère par les opérateurs, qui ont besoin de rester propriétaires de leur réseau, celui-ci étant au coeur de leur modèle économique.
En outre, le Gouvernement a doté de 900 millions un guichet chargé d'aider les collectivités territoriales là où l'initiative privée fait défaut.
M. Claude Bérit-Débat. - A quel coût !
M. Yves Rome. - Socialisation des pertes, privatisation des profits !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Le dispositif a été approuvé par la Commission européenne. La France est ainsi le premier pays européen à avoir mis en place un programme public de soutien au très haut débit. Même la majorité sénatoriale doit l'approuver. (Rires à gauche) La grande différence avec le Fant est que la montée en débit pourra être accompagnée. Cinq départements vont bénéficier d'une aide de 54 millions ; l'Auvergne sera ainsi la première région à offrir le très haut débit à ses habitants. D'ici un an, douze départements ou régions seront soutenus. Voilà des réponses concrètes.
Enfin, le très haut débit par satellite permettra de desservir certaines zones sans ruiner les Français : 40 millions seront investis. Aujourd'hui, 100 % des Français accèdent au haut débit, par ADSL ou par satellite.
M. Jean-Luc Fichet. - Mais non !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - J'en viens à la proposition de loi, dont j'approuve plusieurs dispositions comme l'obligation d'élaborer des SDTAN. Les difficultés qu'elle pose sont cependant réelles : d'abord, l'ensemble du cadre est en place pour déployer le très haut débit. Le processus a été long car le chantier est sans précédent : il a fallu un siècle pour qu'un opérateur public en situation de monopole déploie le téléphone ; en quinze ans, plusieurs opérateurs nationaux et des dizaines d'opérateurs locaux feront de même pour le très haut débit. La proposition de loi remettrait ce cadre en cause. Pouvons-nous nous permettre de reprendre un processus de plusieurs années ? Les investissements seront gelés, comme ce fut le cas entre 2008 et 2010. Ce n'est l'intérêt de personne, ni votre objectif, monsieur Leroy, je le sais.
Le dispositif proposé aurait un effet vraiment indésirable et retarderait le déploiement, alors que les premiers chiffres sont encourageants : 20 % des foyers bénéficient du très haut débit par le câble ; le raccordement à la fibre optique augmente de 40 % par an. Nous devons poursuivre l'effort. L'objectif nous est commun mais les dispositifs techniques proposés sont dangereux pour l'aménagement du territoire. Certains, à gauche, seraient bien heureux de freiner l'investissement privé.
M. Christian Bourquin. - Ne nous provoquez pas !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Systématiser l'initiative publique seule, au lieu de la faire intervenir lorsque les opérateurs privés font défaut ? Les contribuables devront payer. N'oubliez pas que l'argent des collectivités locales, c'est l'argent des contribuables, des Français qui travaillent dur ! (Exclamations à gauche)
M. Christian Bourquin. - Ne vous en prenez pas aux collectivités ! Vous leur avez tout pris ! Et pour quel résultat !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Les opérateurs privés ont déployé 95 % des lignes à très haut débit existantes. Renationaliser n'est pas l'intention des auteurs de la proposition de loi, mais faut-il rappeler le brillant succès du plan câble ou du minitel ?
M. Christian Bourquin. - Arrêtez ! La modernité, ce n'est pas avec vous !
Mme Laurence Rossignol. - On n'est pas en Amérique latine !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Grâce à la concurrence, la France devance l'Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni en termes de pénétration du haut débit. Soyez fiers de nos opérateurs et de notre pays !
M. Christian Bourquin. - C'est de vous que nous ne sommes pas fiers !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Renoncer à la concurrence serait renoncer à la baisse des prix, au développement des réseaux et à l'innovation. (Exclamations à gauche)
En cette période pré-électorale, j'entends M. Hollande prôner l'encadrement des loyers.
M. Yves Rome. - Vous dérapez ! Vous faites comme le président de la République !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Si mes propos ne vous gênaient pas, vous ne m'interrompriez pas ! L'encadrement des loyers donc... (Exclamations à gauche)
M. Yves Rome. - Nous ne sommes pas ici en campagne électorale !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Décidément, le sujet vous gêne...
M. Jean-Jacques Mirassou. - Revenez au sujet !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - La concurrence, c'est bien le sujet ! (Protestations à gauche) L'encadrement des loyers est un mirage, c'est prendre les Français pour des gogos ! Qui a mis fin à l'encadrement des loyers ? Je vous le donne en mille : M. Jospin (exclamations à gauche), en 1997, car il avait compris que c'était contreproductif ! Regarder le passé peut éclairer l'avenir !
Renoncer à la concurrence dans le numérique serait renoncer à la baisse des prix et à l'innovation car la baisse de l'investissement privé ne réduira pas le besoin d'argent public ! (Exclamations à gauche) Je reviens à l'Auvergne, où j'ai quelques attaches amicales et familiales...
M. Christian Bourquin. - On s'en moque !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Le déploiement des opérateurs privé fait économiser 20 % de l'investissement public. Qui le dit ? Le conseil régional... Les collectivités locales de Seine-et-Marne font le même constat.
Pas un sénateur ne voudrait prendre le risque de voir État et collectivités territoriales confrontés au mur d'investissement de la fibre optique -24 milliards d'euros ! Vous savez bien que c'est incompatible avec l'état de nos finances publiques ! Les Français ne sont pas décidés à croire n'importe quoi !
M. Christian Bourquin. - Il n'y en a plus beaucoup qui vous croient !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Le Gouvernement partage l'objectif de la proposition de loi, ainsi que certaines dispositions, mais son volontarisme excessif risque de bloquer le déploiement du très haut débit. C'est pourquoi il vous demande d'accompagner sa démarche, qui est le choix du progrès (Applaudissements à droite)
Rappel au Règlement
Mme Laurence Rossignol. - Monsieur le secrétaire d'État, vous devriez suivre de plus près le déroulement de nos débats. Vos provocations envers la gauche sont mal venues, quand celle-ci ne s'est pas encore exprimée ! Nous sommes ici pour débattre d'une proposition de loi qui a été très sérieusement étudiée en commission par l'ensemble des sénateurs. Ne nous accusez pas de méconnaître le sujet, ce mépris n'est pas acceptable. Nous récusons d'autre part votre volonté de faire entrer dans notre débat la campagne présidentielle, comme vos allusions aux propositions du candidat socialiste. (Applaudissements à gauche)
Discussion générale (Suite)
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Vous donnez des leçons au Gouvernement, que je représente aujourd'hui, après m'avoir interrompu sans cesse. Sur ce sujet consensuel, j'ai dit ce qui était efficace dans le texte et ce qui ne l'était pas. Mais les vociférations tirent le débat public vers le bas.
M. Christian Bourquin. - Provocateur !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Un exemple de plus ! (Applaudissements à droite) J'ai simplement essayé d'expliquer en quoi s'affrontent deux visions de la société...
Mme Michèle André. - Allons bon !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - ...celle qui fait intervenir la puissance publique avec l'argent des Français et celle qui tient à un régime de concurrence.
J'ai répondu aux interpellations des sénateurs : c'est le signe d'un débat démocratique. (Applaudissements à droite)
M. Christian Bourquin. - Applaudissements clairsemés...
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. - Je vous ai connu plus constructif, monsieur le ministre. Sur un sujet tel que l'aménagement du territoire, vous devriez adopter un autre ton : souvenez-vous de ce qui est arrivé le 25 septembre pour n'avoir pas écouté les collectivités locales ! Vous ne pouvez avoir raison contre tout le monde.
M. Christian Bourquin. - Vous verrez, le 6 mai !
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. - Le travail transversal mené par la commission -qui était unanime- mérite davantage de considération. (Applaudissements à gauche)
Il n'est pas question ici des loyers ou de l'élection présidentielle. Revenez à l'aménagement du territoire et vous nous trouverez constructifs à vos côtés. (Applaudissements à gauche)
Mme Mireille Schurch. - Cette proposition de loi pose clairement les enjeux pour nos territoires. Quelle valeur contraignante donner aux documents programmatiques ? Qui doit financer l'effort ? Comment coordonner initiative privée et initiative publique ? Quels doivent être les droits de nos concitoyens ? Le débat est donc utile et nécessaire.
Sur ces sujets, La France a pris un retard qui inquiète nos collectivités locales ; elle a raté le virage du numérique par manque d'ambition. L'accès au numérique pour tous est un enjeu du XXIe siècle, comme autrefois l'accès à l'eau ou à l'électricité. Car le numérique touche tous les aspects de la vie quotidienne ; et l'économie numérique peut être un facteur de croissance et de réindustrialisation comme de réduction des fractures sociale et territoriale.
Le plan national adopté en 2010 est trop peu ambitieux : il repousse l'objectif de couverture totale à 2025, tout en laissant les zones rentables aux mains des opérateurs privés : il privatise les bénéfices et socialise les pertes, selon le principe libéral bien connu... Il est anormal de faire peser le risque d'investissement sur les collectivités locales alors que les opérateurs privés, grâce à la mutualisation des infrastructures et à l'intervention publique dans les zones non rentables, bénéficient d'un retour garanti sur investissement. L'Autorité de la concurrence et l'Arcep ont estimé que le cadre retenu favorisait trop nettement l'intervention privée. Loin de servir l'intérêt général, le Gouvernement garantit la profitabilité des opérateurs privés, soumis à une simple déclaration d'intention non contraignante. Nous approuvons le mécanisme de sanctions prévu à l'article 12 de la proposition de loi.
Nous dénonçons aussi l'absence de péréquation : les collectivités locales en zones peu denses devront financer leur propre réseau, malgré le manque de moyens. Si le Gouvernement juge suffisant de couvrir 57 % de la population à l'horizon 2020, il restera nécessaire d'investir 23 milliards d'euros d'argent public !
Nous sommes tous d'accord sur l'objectif, pas sur son financement. Les auteurs de la proposition de loi ont abordé ce sujet aux articles 15 et 16. Nous contestons la mise à contribution des usagers : ce sont les milliards de profits des télécoms qui devraient être mis à contribution ! La privatisation de France Télécom en 1997 fut une redoutable erreur, contraire à l'intérêt général. L'opérateur historique gagne 800 millions par an grâce au dégroupage : il n'a pas intérêt à déployer la fibre optique.
Nous voulons que les opérateurs privés financent le développement du très haut débit, sans répercussion sur les usagers ; leurs bénéfices le permettent. Il faut un opérateur unique pour un aménagement progressif et péréqué de l'ensemble du territoire : le monopole public sur les infrastructures de réseau est indispensable pour équiper le territoire ; il évitera le gâchis dû à la concurrence, notamment en zone rentable -on l'a vu dans les Hauts-de-Seine.
Quant au droit au numérique opposable, il risque d'avoir la même destinée que le Dalo. Nous proposerons une autre solution que l'article 8.
Nous approuvons l'obligation de contractualisation inscrite dans la proposition de loi, mais son auteur lui-même reconnaît qu'elle se limite à perfectionner le modèle existant. Nous, nous voulons changer le logiciel ! Nous nous abstiendrons, tout en rendant hommage à l'excellent travail de la commission. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Michel Baylet. - Mettre en valeur le rôle de l'électricité et son rôle social : tel était le but assigné au peintre Dufy par la Compagnie parisienne d'électricité pour sa fresque « La fée électricité ».
La révolution numérique est similaire à celle de l'électricité : le très haut débit est un enjeu prioritaire pour nos départements : elle permet le télétravail, les démarches administratives à distance, et même la télémédecine. L'aménagement numérique du territoire conditionne l'attractivité de nos départements. La France occupe la 22e place sur 26 pays de l'Union européenne, car le manque de moyens et d'ambition a créé une nouvelle fracture numérique.
La solution retenue ab initio atteint ses limites : dès lors que l'on accorde la priorité aux opérateurs privés, ceux-ci se concentrent sur les zones les plus rentables. Reléguées au deuxième plan, les collectivités territoriales doivent assurer l'installation du très haut débit dans les zones les moins denses, les plus coûteuses.
Attachés à la défense des territoires ruraux, les radicaux de gauche regrettent que l'on n'ait pas recouru à un opérateur unique, qui aurait pu être public. (Approbations sur les bancs CRC) Au lieu de clouer les collectivités locales au pilori...
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Pas du tout !
M. Jean-Michel Baylet. - ...vous feriez mieux de les respecter car elles sont obligées de pallier la carence de l'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Avec l'argent des Français !
M. Jean-Michel Baylet. - Elles gèrent mieux que l'État : leurs budgets sont équilibrés.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - En augmentant les impôts et la dépense publique.
M. Jean-Michel Baylet. - Le Fant va dans le bon sens. Bravo à la commission de l'économie : les radicaux de gauche soutiendront cette proposition de loi.
M. Bruno Retailleau. - (Applaudissements sur les bancs UMP) « Vers l'Orient compliqué je volais avec des idées simples » écrit le général de Gaulle. Le numérique appelle le même mode d'approche.
Nous sommes élus locaux ; en zone rurale, nous souffrons de voir que les grandes villes n'auront rien à débourser quand nous devrons payer. Le numérique change le monde, c'est un vecteur de démocratisation ; on l'a vu avec les révolutions arabes : les tyrannies ne pourront plus s'abriter derrière le sombre manteau de l'ignorance pour accomplir leurs basses oeuvres. Le numérique est aussi un vecteur de compétitivité économique. Mais l'espérance numérique ne va pas sans une crainte, celle de la fracture numérique, au moment où nous déployons la fibre et la 4G.
Il y a convergence entre nous sur l'analyse de départ et sur les exigences, ainsi que sur un certain nombre de dispositions, comme pour rendre les Sdan obligatoires : ceux-ci doivent être le lieu de la contractualisation avec les opérateurs. Il y a encore beaucoup à faire pour réduire les zones blanches. Il faudra aussi revoir la tarification des entreprises, beaucoup trop élevée.
Nous avons cependant des divergences. Pour cette fois, je me retrouve dans les propos du ministre. (Exclamations à gauche) Je le dis en toute liberté car c'est ma conviction.
Par un souci de cohérence extrême qui va avec notre propension à créer partout des jardins à la française -lesquels finissent souvent en labyrinthes-, vous voulez lier les Sdan avec les documents d'urbanisme. La jurisprudence du Conseil d'État en la matière est claire. Attention à ne pas en rajouter dans les normes qui nous asphyxient. Il y a là un arc électrique dangereux.
Mon désaccord de fond porte sur la logique même qui revient à enfermer opérateurs et collectivités locales dans une confrontation. Cette logique sera contreproductive. La sanction que vous voulez infliger aux opérateurs repose sur une présomption de culpabilité, qui ne changera rien. Là où il y a un réseau privé, vous encouragez les collectivités locales à faire un réseau public. C'est l'article 10. (Marques de dénégation sur le banc de la commission)
M. Yves Rome. - Mais non !
M. Bruno Retailleau. - L'article 13 bis propose la séparation fonctionnelle. M. Teston devrait s'insurger, lui qui s'y est toujours opposé, en particulier quand on a donné à l'Arcep cette arme nucléaire. Vous proposez le démembrement et l'expropriation de l'opérateur historique, comme si le réseau de cuivre était la propriété de l'État ! Vous vous inscrivez bien dans une logique de confrontation.
M. Yves Rome. - Pas du tout !
M. Bruno Retailleau. - Le cadre conceptuel commence à être stabilisé : ne changeons pas les règles du jeu à tout bout de champ. La bougeotte législative n'est pas une bonne chose.
Cette proposition de loi exprime la nostalgie du monopole public. N'ayant pu l'obtenir par le haut, vous voulez réussir par le bas.
M. Yves Rome. - Caricature !
M. Bruno Retailleau. - La France a opté pour un modèle mixte, qui favorise la mutualisation. Le choix de la complémentarité est le seul à même de relever le défi du mur d'investissement.
L'article 10 est le noeud de la proposition de loi. Il est contreproductif, sur les plans juridique et économique. L'autorité de la concurrence rappelle que les collectivités peuvent établir des Sieg. Très bien. Mais il faut être prudent, précise-t-elle : c'est un nid à contentieux ! Un Sieg doit avoir une dimension universelle, donc toucher tous les foyers sur un territoire donné. Quand j'entends « mutualisation », mon oreille se dresse : veut-on faire payer les riches pour les pauvres ?
En Auvergne, entre complémentarité et mutualisation, le surcoût est de 20 %. Le département des Hauts-de-Seine a dû débourser 59 millions ! Si la mutualisation était la panacée, il n'aurait pas dû débourser un euro.
Le coût de la prise unitaire diminue quand on fait la moyenne entre zone dense et moins dense, mais ce qui compte, c'est le coût net pour la collectivité. A l'aune de ce critère, la supériorité du modèle complémentaire est indéniable.
Ce n'est pas le moment de casser un dispositif qui fonctionne bien. Les opérateurs ne sont pas des anges mais ils investissent bien plus que d'autres secteurs. Assez d'autodénigrement : nos tarifs sont les plus bas au monde pour le triple play !
Je proposerai des amendements pour améliorer les choses, avec M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. - Personne n'en veut...
M. Bruno Retailleau. - Cette proposition de loi s'inscrit dans une logique de rupture, pas d'inflexion. Pour orienter les investissements des collectivités, il faut une meilleure information sur les réseaux existants. C'est un vrai sujet ! Parmi d'autres...
C'est le Sénat qui a obtenu les plus grandes avancées en matière de couverture du territoire. Nous n'avons pas à rougir de notre travail. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est une évolution, pas une révolution ! (Applaudissements à droite)