Débat préalable au Conseil européen

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat préalable au Conseil européen des 23 et 24 octobre 2011.

M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes.  - Au nom de l'esprit républicain, je félicite les sénateurs nouvellement élus et le président Jean-Pierre Bel.

Les Conseils européens définissent la politique européenne et prennent des décisions souvent courageuses, aujourd'hui indispensables. L'Europe et le monde sont à un tournant de leur histoire. La « crise » actuelle nous conduit vers un monde nouveau. C'est une source d'angoisse, mais aussi une opportunité, source d'espérance. Grâce à un nouvel équilibre, nous renforcerons l'Union.

Les chefs d'Etats et de gouvernements ont pris des décisions importantes le 21 juillet, puisque le fonds européen de stabilité évolue vers un fonds monétaire européen. En outre, le « paquet de gouvernance économique » a été ratifié récemment : il concilie vigilance et correction des déséquilibres macro-économiques.

Mais il faut encore conforter le pilotage européen, comme la France et l'Allemagne l'ont reconnu. Il reste à étoffer les moyens du comité économique et financier : sans fédéralisme économique, l'Europe sera désintégrée par les spéculateurs.

Bien sûr, nous avons besoin d'une politique de croissance. A cette fin, nous devons développer notre marché intérieur -déjà le plus vaste au monde-, redéfinir la politique industrielle et obtenir une concurrence loyale.

La communication d'octobre 2010 allait déjà dans ce sens, en mettant l'accent sur certains secteurs industriels.

Nous voulons imposer à l'ensemble du monde un principe de réciprocité -le terme est peut-être impropre- pour éviter que d'autres pays ne pratiquent le dumping social et environnemental.

Loin de tout protectionnisme, il y a là un modèle incitatif pour l'ensemble du monde. Comment accepter que des entreprises chinoises construisent des autoroutes en Pologne, alors qu'elles sont aidées par l'Etat et pratiquent un dumping social ?

J'en viens au G20 qui sera préparé par le Conseil européen. Sans préparation adéquate, nous risquons un « G20 de la dette de la zone euro », désignée comme responsable de tous les maux.

Il faudra réformer le système monétaire international, renforcer la régulation financière en prolongeant les accords de Bâle 3, et réfléchir à la dimension sociale de la mondialisation : on ne peut pas parler que d'économie et de finance.

La France souhaite qu'une grande attention soit portée aux infrastructures.

Il est question depuis vingt ans de taxer les transactions financières. Si les Etats-Unis la refusent, il faudra la pratiquer en Europe. Un taux de 0,005 % risque-t-il sérieusement de faire fuir les opérateurs de Francfort à Hong Kong ou de Paris à Londres ? Il y a là aussi un impératif moral : exonérer les transactions financières de toute contribution au développement, alors qu'elles n'apportent rien à l'économie réelle et à l'humain serait contraire à notre conception de l'Europe.

Sur le plan écologique, les « 3 20 » à l'horizon 2020 au plan européen ne suffiront pas, car l'Europe, c'est 10 % seulement des émissions de gaz à effet de serre.

Durban doit prendre la suite de Kyoto. Il faut prolonger les accords de Cancun et faire évoluer la lutte contre les gaz à effet de serre vers un dispositif universel et obligatoire. L'enjeu ? L'avenir de la planète.

L'Europe n'a pas d'autre choix que de promouvoir ses valeurs de solidarité et de démocratie. (Applaudissements à droite)

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.  - Je suis très satisfait : le premier débat du nouveau Sénat est consacré à l'Europe, il se déroule dans l'hémicycle à une heure normale. (Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances, s'en félicite aussi)

L'obligation de centrer le Conseil sur la situation financière montre que l'Europe ne maîtrise pas son destin : elle réagit plus qu'elle n'agit.

Avant même que les décisions du 21 juillet ne soient ratifiées, de nouvelles nécessités apparaissent !

Qui peut parler au nom de l'Union européenne ? La Commission contrôlée par le Parlement européen ? La BCE, seule instance spécifique à l'euro zone ?

Depuis qu'une proposition a été faite le 16 août, il ne s'est rien passé.

Face à la crise financière, les priorités successivement affichées sont incohérentes. Alors que la situation grecque se détériore, rien n'est décidé ! Il en résulte un pessimisme accru des citoyens. En fait, la seule décision prise est le renforcement de l'austérité : faut-il mettre à l'amende ceux qui sont surendettés ? Mieux vaudrait rendre à l'Europe des perspectives de croissance.

Monsieur le ministre, vous êtes cardiologue et non psychanalyste, mais Freud raconte dans Malaise dans la civilisation l'histoire d'un paysan avare qui chaque jour nourrit un peu moins son âne, lequel finit par mourir, et le paysan ne comprend pas. Nous agissons de même avec des mesures d'austérité qui s'enchaînant ralentissent la croissance, réduisent les rentrées fiscales et aggravent le déficit !

Pourtant, le pacte de stabilité, conclu en 1998, a été renommé « pacte de stabilité et de croissance », à la demande du gouvernement français. Ce nouveau volet a été oublié. Il ne faut pas sacrifier une génération. Quand l'Europe tergiverse sur l'aide aux plus démunis, elle adresse un signal politique désastreux. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs au centre et à droite)

L'Europe a besoin de plus de solidarité. Sa politique régionale a besoin de moyens suffisants, notamment pour la nouvelle catégorie des « régions intermédiaires » dont la création a été approuvée au Sénat par le vote unanime d'une proposition de résolution. Pour éviter d'être tous perdants, nous devons empêcher que les Etats ne soient attaqués les uns après les autres. Karl Popper disait que les citoyens avaient besoin non de certitudes mais d'espoir. Puisse le Conseil européen leur redonner des raisons d'espérer ! (Applaudissements à gauche)

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.  - Le prochain Conseil abordera les relations économiques avec les pays tiers. Que peut-on attendre de la réunion multilatérale à Genève, après la fin des illusions soulevées par le cycle de Doha ?

L'échec de ce cycle est un sujet majeur d'inquiétude pour les pays peu développés. Dans ces conditions, les Etats privilégient les accords bilatéraux, ce qui risque de saper l'approche multilatérale du commerce. Nous devons donc nous efforcer de conclure le cycle de Doha. A cette fin, l'Europe est allée à la limite de ses possibilités, notamment dans le domaine agricole. M. Bizet avait approuvé la réduction des thèmes de négociations pour en faciliter la conclusion.

M. Jean Bizet.  - Je le maintiens.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.  - Cela peut paraître relever du bon sens mais dans le cadre du donnant-donnant, toute concession dans un domaine a pour contrepartie une autre concession ailleurs. Restreindre le jeu conduit donc à le bloquer. Au plan bilatéral, des sommets auront lieu ces prochains mois entre l'Union européenne et la Chine, puis l'Ukraine, la Russie et les Etats-Unis. Le principe de réciprocité doit prévaloir.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances.  - Très bien !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.  - Le déficit de l'Union européenne avoisine 170 milliards d'euros annuels avec la Chine. Que d'emplois perdus ! Quelque 85 % des marchés publics européens sont ouverts aux industriels des pays tiers, alors que les Etats-Unis restreignent l'accès aux marchés fédéraux. De nombreux états fédérés des Etats-Unis ferment leurs marchés publics. Le Japon n'est pas plus vertueux. La Chine n'est même pas partie à l'accord sur les marchés publics ! M. le ministre a évoqué la construction d'autoroutes en Pologne par des entreprises chinoises subventionnées par les fonds structurels européens. Il y a là du masochisme. Il faut mettre fin à ce désarmement commercial unilatéral. (Mmes Frédérique Espagnac, Marie-Noëlle Lienemann et M. Marc Daunis applaudissent) Ne soyons pas les dindons de la farce des accords commerciaux ! (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances.  - Ce débat surprend car nous ignorons encore l'ordre du jour du Conseil européen. Espérons que le délai sera mis à profit pour résoudre la crise de la zone euro, entrée dans une phase aiguë. Pensons à ce que l'indécision politique en mai 2010 nous a coûté !

La crise de la zone euro menace l'Espagne et l'Italie, avec un danger pour notre système bancaire. A propose du FESF, le président de la République parle d'« effet de levier ». Que recouvre cette expression ? Les Allemands sont réticents. Va-t-on vers une solution européenne pour recapitaliser les banques ? L'accord du 21 juillet serait-il obsolète ? En 2008, l'aide fut accordée aux banques sans contrepartie, ce qui n'est plus envisageable, car les peuples grondent.

La recapitalisation à reculons aggrave la crise de confiance. A Deauville, Français et Allemands ont donné l'impression de négliger leurs partenaires, ce qui a laissé des traces, comme nous le voyons aujourd'hui en Slovaquie. Evitons de récidiver.

Il est illusoire de sortir de la crise sans révision de l'union monétaire. J'ignore ce qu'est le fédéralisme économique mais je sais que toute économie est soutenue par une trajectoire budgétaire. La question des ressources propres du budget communautaire se repose. Y affectera-t-on le produit de la taxation des transactions financières ? Il avait été prévu au départ de l'affecter à l'aide au développement...

Cette taxation est envisagée depuis vingt ans, avez-vous dit monsieur le ministre. Vous oubliez la loi votée à l'Assemblée nationale en 2001... Il reste à décider du taux et de l'assiette, dont il ne faudra pas exclure les dérivés sur devises.

Qui se satisferait d'une taxe inapplicable aux dérivés ?

Les gouvernements européens sont les seuls à ne pas se soucier des effets délétères pour la croissance des cures simultanées d'austérité. La principale crainte des marchés, aujourd'hui, c'est une nouvelle récession.

Jamais on n'aborde les questions monétaires au niveau européen. Le groupe de travail Assemblée nationale/Sénat sur la crise financière a relevé que Conseil avait la faculté de formuler les orientations générales de la politique de change. Pourquoi ne les utilise--t-il pas ? Et que signifie une modification des traités ?

Je veux croire que les Européens sauront se mettre d'accord. Que pèserait une Europe rappelée à l'ordre par les Etats-Unis ou le FMI ? L'Europe doit s'affirmer au plan mondial. Cette exigence, c'est la nôtre. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Le prochain Conseil européen portera sur la compétitivité économique de l'Union européenne et sa politique de croissance. Il devra aussi se pencher sur les questions urgentes. L'Europe a élaboré un modèle, mais l'axe du monde se déplace vers le Pacifique. Faisons en sorte de ne pas être soumis au condominium sino-américain ! Nous avons besoin d'une vision véritablement stratégique.

L'Europe souffre d'un déficit d'investissement et de la surévaluation du taux de change de l'euro. Depuis 2008, la parité moyenne de l'euro par rapport au dollar a été de 1,45 : si cette parité nous protège d'une augmentation subite des matières premières, elle pèse sur notre compétitivité. En la matière, le Conseil et la BCE ont une compétence partagée, mais le Conseil n'utilise pas ses prérogatives. Or sans politique de change, c'est près du quart des réserves de devises mondiales qui sont laissées au bon vouloir de nos partenaires commerciaux.

L'Allemagne et les Pays-Bas ont une balance commerciale positive, grâce à une spécialisation dans la production de machines-outils, au recrutement massif d'ingénieurs issus de l'Europe de l'est et à une modération salariale difficilement supportée par les populations. Notre balance commerciale est déficitaire de 75 milliards d'euros et nos PME souffrent du manque d'innovation, d'une fiscalité sociale anti-économique et des 35 heures... Siemens dépose chaque année l'équivalent de 60 % des brevets français... C'est en renouant avec la croissance que nous limiterons notre dépendance à l'égard des marchés.

Les centristes plaident pour une politique industrielle à l'échelle de l'Union, pour un effort commun de formation et de recherche, pour une intégration européenne plus poussée : bref, pour le fédéralisme européen.

M. Jean-Michel Baylet.  - Bravo !

Mme Catherine Morin-Desailly.  - L'initiative franco-allemande d'août dernier renoue avec l'esprit communautaire ; c'est un jalon indispensable vers une coordination plus poussée des politiques économiques.

M. Jean-Michel Baylet.  - Encore très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Le groupe de l'Union centriste et républicaine souhaite que la France plaide pour l'institution d'un Trésor européen, abondé par les États et apte à financer les investissements d'avenir. C'est en affrontant courageusement la crise, en l'attaquant à ses racines tout en restant fidèles à nos valeurs que nous renouerons avec la croissance ! (Applaudissements au centre)

M. Michel Billout.  - Le Conseil européen a été repoussé, le temps d'y voir plus clair sur la situation de la Grèce et la recapitalisation des banques. La crise financière, qui a des conséquences économiques et sociales désastreuses, sonne l'heure de vérité de la construction européenne. L'Union européenne est le seul espace économique qui ne se défende pas contre la spéculation des marchés sur les dettes publiques !

Lors de leur dernière réunion, M. Sarkozy et Mme Merkel n'ont rien décidé, peut-être pour ne pas mettre leurs partenaires devant le fait accompli. On parle de recapitaliser les banques, mais on ne dit pas comment ni avec quels moyens. Où est l'Europe dans tout cela ? L'Union persiste à prendre, dans le désordre, des mesures qui aggravent la situation. L'accord de juillet est déjà dépassé. Sourds aux souffrances populaires, l'Union européenne, la BCE et le FMI étranglent la Grèce, asphyxient sa croissance en reportant le paiement de la dernière tranche d'aide ; et ils réclament de nouvelles mesures d'austérité. Pour de nombreux économistes, le pays est déjà en récession... Et la contagion guette. Pourtant, la succession des plans d'austérité ne change rien à la défiance des marchés et des agences de notation, comme l'illustre la dégradation récente de la note de l'Italie. Le démantèlement de Dexia montre combien la situation devient critique pour la France, dont la notation AAA ne semble plus assurée.

Il faut prendre des mesures radicales, faire preuve de courage politique, empêcher les marchés de détruire les économies européennes. Il est urgent de modifier les traités et le statut de la BCE, afin que les Etats puissent recourir à ses crédits très bon marché : c'est le seul moyen de financer les investissements indispensables, les services publics, la recherche. Nous préconisons la création d'un fonds européen de développement, financé par une BCE autorisée à prêter à très bas taux.

Il faut également instituer une taxe vraiment efficace sur les transactions financières au niveau européen. Ce qui n'empêche pas d'agir au niveau national : interdire de façon permanente les ventes à découvert, taxer les transactions financières, réglementer la création de produits dérivés, rétablir le passeport national pour les fonds spéculatifs, empêcher les agences de notation de s'autosaisir, en finir avec la cotation en continu des entreprises. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Michel Baylet.  - M. Sarkozy et Mme Merkel se sont mis d'accord sur la recapitalisation des banques, en évitant soigneusement toute décision concrète. Mais le temps des grandes déclarations et des effets d'annonce est dépassé ! Il faut du volontarisme politique pour surmonter la crise. Or, la France et l'Allemagne divergent sur le rôle du FESF...

Les banques ont reçu beaucoup d'argent public en 2008 et réalisé depuis d'énormes profits. Il y a quelques semaines, on jurait que tout allait bien, on se réjouissait qu'elles aient passé haut la main les fameux stress tests. Mais la chute de Dexia a bouleversé le tableau. Nous réclamons depuis longtemps la séparation des activités de dépôt et spéculatives, ainsi que la taxation des transactions financières. Quant à la recapitalisation des banques, n'est-elle pas une manière d'organiser une faillite ordonnée de la Grèce ?

La coordination des politiques économiques n'est toujours pas à l'ordre du jour. Elle est pourtant indispensable, comme l'ont rappelé hier les deux nouveaux prix Nobel américains, pourtant chantres du libéralisme.

Cette crise n'est pas seulement financière : c'est une crise de la volonté politique ; son issue ne peut être que politique. La création du FESF est une avancée, mais l'accord du 21 juillet est déjà dépassé : nous ne cessons de courir après la crise. Une gouvernance économique et budgétaire commune faisant pendant à notre monnaie commune, c'est la seule façon de sortir de l'ornière. Il faut aussi impérativement mutualiser les dettes souveraines, recourir aux euro-obligations. Dommage que la France et l'Allemagne aient écarté cette perspective juste après l'avoir évoquée.

Le texte renforçant la gouvernance va dans le bon sens, mais ne concerne que le déficit, inspiré qu'il est de l'étroite vision allemande. Le nouveau pacte, déséquilibré, mettra la croissance et l'emploi en berne. Et la stratégie « Europe 2020 » ressemble plus à un catalogue de bonnes intentions qu'à une vraie vision d'avenir. Prenons garde enfin que la sortie de crise ne se fasse pas au détriment des plus fragiles !

Dans son discours sur l'état de l'Union, M. Barroso a tracé des pistes, mais la stratégie d'ensemble arrive bien tard. Il reste à espérer que les chefs d'Etat et de gouvernement prendront enfin des initiatives audacieuses. Nous plaidons pour un véritable gouvernement économique, une harmonisation fiscale, un budget européen à la hauteur des enjeux. Encore une fois, il s'agit de volonté politique. Suivons l'exemple des pères fondateurs : c'est dans les crises que les responsables politiques doivent inventer de nouveaux modèles et faire preuve de responsabilité, de volonté et de courage ! Chacun doit assumer sa part de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs socialistes et ceux du RDSE)

M. Jean-François Humbert.  - Depuis un an, pour le compte de la commission des affaires économiques, je me rends dans les pays en crise de la zone euro pour dresser un état des lieux. Partout, j'ai observé le scepticisme envers la monnaie unique et le décalage entre temps politique et temps des marchés. Les parlementaires ne doivent pas sous-estimer le temps d'adaptation des populations à la nouvelle donne économique et sociale. Je comprends le désarroi des Allemands, des Finlandais et des Slovaques face au laxisme budgétaire des gouvernements grecs successifs ; je comprends aussi les crispations et les peurs des peuples qui voient leur modèle social bouleversé de fond en comble.

Face à la pression européenne, on m'a dit à Athènes que les Grecs avaient le choix entre l'Europe et la démocratie. Puissent-ils ne jamais être confrontés à cette alternative ! Il appartient certes à la Grèce de rattraper le retard qu'elle a pris en matière administrative, mais peut-elle le faire en dix-huit mois ? Faut-il céder à l'urgence des marchés, sans laisser le temps aux gouvernements d'expliquer leur politique ?

Ces temps-ci, le message européen est parasité par les déclarations des uns et des autres, au risque de renforcer la pression sur les pays en difficulté. Jacques Delors dit souvent qu'il manque une jambe à l'Union économique et financière ; il lui manque aussi une voix unique, pour réfuter les fausses prophéties et les tentations populistes. La crise est avant tout une crise de l'endettement public. Si la Grèce sortait de l'euro, c'est tout le système bancaire européen qui en serait affecté, AAA ou pas.

C'est pourquoi le deuxième plan d'aide à la Grèce doit être mis en application ; et tout effort au-delà des 21 % de décote doit être précédé de la consolidation des banques. Le renforcement du rôle du FESF est également prioritaire, car ses pouvoirs et ses moyens restent insuffisants. Sans augmenter la garantie des Etats, il faut jouer sur l'effet de levier, sans attendre d'hypothétiques euro-obligations.

La troïka exige d'Athènes l'accélération des privatisations, mais quel investisseur parierait aujourd'hui sur des actifs grecs ? A la lumière de la réunification allemande, un économiste préconise le cantonnement des actifs grecs puis le rachat de ceux-ci par une structure européenne dédiée ; le produit de la vente, estimé à 125 milliards d'euros, pourrait permettre à la Grèce de racheter une partie de sa dette. Les investissements réalisés sur ces actifs par la structure européenne permettraient de relancer l'activité et d'initier un cercle vertueux. Cela me semble judicieux. On peut aller plus loin que la mobilisation des fonds structurels.

La Grèce devra poursuivre ses efforts budgétaires, mais il faut aussi soutenir la croissance, si nous ne voulons pas que le malade meure guéri. (Applaudissements à droite)

M. Jean Louis Masson.  - Sans être anti-européen, je reste prudent devant les exhortations à renforcer l'intégration européenne à chaque crise. Je ferai preuve de la même prudence face aux discours sur la mondialisation. Ceux qui refusent de considérer l'Europe et la mondialisation comme des idéaux intangibles sont considérés comme des populistes ; mais « populiste » est de la même famille que « populaire »... Nous verrons bien si les défenseurs acharnés de l'Europe et de la mondialisation sont les seuls présents au deuxième tour de la présidentielle...

On nous serine que lorsque tout va bien, c'est grâce à l'euro ; mais quand ça va mal, ce n'est jamais sa faute. Il faut y réfléchir ! Les Etats membres ne sont-ils pas responsables de leurs difficultés ? Et la Grèce, qui a trafiqué ses comptes ? Mettons chacun face à ses responsabilités. A cet égard, l'approche allemande est plus pertinente que la nôtre. Au cours des cinq dernières années, on a fermé le robinet d'arrivée d'eau et augmenté le débit en sortie ! Et pendant ce temps, le président de la République continue de s'agiter... Que les Grecs assument leurs responsabilités...

M. Jean-Jacques Mirassou.  - C'est déjà fait !

M. Jean Louis Masson.  - ...et nous aussi.

M. Richard Yung.  - Ce débat aurait dû avoir lieu la semaine prochaine : nous n'avons encore aucune idée de l'ordre du jour du prochain Conseil européen ! (M. Roland Courteau approuve)

L'accord du 21 juillet est pour partie déjà caduc, alors que son application est incertaine : que se passera-t-il si la Slovaquie ne le ratifie pas ? A-t-on un plan B ?

M. le ministre a parlé de « fédéralisme économique », une expression ordinairement bannie. Qu'est-ce à dire ? Les chefs d'Etat se réunissent deux fois par an, mais quels pouvoirs auront-ils ? Une délégation de souveraineté dans les domaines économique et financier est indispensable pour qu'ils puissent prendre des décisions. Peut-on attendre des mois quand la maison brûle ?

Vous acceptez aujourd'hui de taxer les transactions financières. On nous a traités naguère de doux rêveurs lorsque nous la demandions. Mais quel sera le dispositif ? Quelle assiette ? Quel taux ?

Je me réjouis du rapprochement franco-allemand sur la recapitalisation des banques ; la France jusque là traînait les pieds. Est-ce l'effet Dexia ? Les banques doivent d'abord redresser leurs bilans. Je plaide pour la séparation des activités de dépôt et d'affaires. Les Britanniques viennent d'y venir. Il faut aussi veiller au respect des ratios de solvabilité de Bâle III. Les banques doivent renforcer leur capital en distribuant moins de dividendes et ne se tourner vers l'Etat qu'en dernier recours.

Je suis assez pessimiste en matière économique car nous sommes au bord de la récession. C'est vrai aussi en Allemagne. Ainsi, le moteur économique européen est grippé : les Allemands vivent largement de leurs exportations à destination de l'Union européenne, mais les Grecs n'achèteront plus de produits allemands s'ils sont ruinés ! Nul besoin d'être polytechnicien pour le comprendre. Sans délaisser l'action sur les déficits, il faut soutenir l'activité économique. Au regard de l'inflation, la « croissance » est aujourd'hui négative !

L'Europe a trop tardé face à la crise grecque. Et la situation ne fait qu'empirer. Imaginons ce que vit le peuple grec ! Les banques doivent prendre leur part du fardeau : on parlait d'une décote de 20 % ; aujourd'hui le curseur serait plutôt à 50 %. Le FESF doit être réaménagé. Il est urgent d'agir ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Leonetti, ministre.  - Ce débat riche et approfondi présage bien de l'action de la France.

L'euro n'est pas en cause, ni l'Europe, mais la dette souveraine de certains pays de la zone euro. Depuis ma jeunesse, on parle de pays « émergents »... mais ils ont émergé, et nous n'avons pas su face à eux maintenir notre compétitivité. Beaucoup de démocraties ont répondu par la dette, ont soutenu par elle la croissance et aujourd'hui la situation n'est plus soutenable.

Le temps du débat politique n'est pas celui des spéculateurs. Dans un système politique morcelé comme en Europe, la réponse démocratique, logiquement, est lente.

De toute évidence, le couple franco-allemand peut répondre à la situation. Il est historiquement et économiquement légitime pour agir.

Nous sommes à la croisée des chemins : l'histoire ne se rembobine pas ; il n'y a pas moyen de reculer. La question est de savoir dans quelle direction avancer, avec quel objectif.

Mme Morin-Desailly a évoqué le déficit de la balance commerciale. Il résulte de notre compétitivité mais n'a rien d'une fatalité. (Mme Nicole Bricq approuve) En vingt ans, la Chine a déséquilibré la balance commerciale européenne de 2 500 milliards ! L'Union européenne a été trop naïve. On peut battre sa coulpe pour les fautes passées, mais il faut surtout agir, sans tomber dans l'excès de rigueur qui crée la récession ni aller à la banqueroute.

Comment effacer l'impression de retard permanent du politique ? La Slovaquie se prononce aujourd'hui. Je suis optimiste, car quelques semaines ont suffi pour qu'il soit admis d'envisager un gouvernement économique européen et la taxation des transactions financières. On peut même parler de fédéralisme économique sans être déporté au goulag ! Malgré le populisme et l'euroscepticisme, chacun a compris que nous avions le choix entre la création d'un gouvernement économique européen et la dissolution par les marchés. Qui est plus indépendant à ce jour, la France avec son AAA ou la Grèce menacée d'être réduite à la misère ? Les Grecs doivent prendre des mesures sans consulter le peuple, car l'alternative est simple : une sortie de l'euro lui imposerait une dévaluation de 40 %. La misère donc. Il serait moins coûteux d'aider la Grèce que d'affronter un effet de domino, qui pourrait affecter jusqu'à l'Allemagne. (Marques d'approbation)

L'effet de levier, je ne sais pas ce que c'est. On nous reproche d'aller trop lentement, mais pourrait-on demander au Bundestag de modifier une réforme qu'il vient d'adopter ?

Nous voulons une intégration accrue et une solidarité protégeant les citoyens et les clients des banques. Le gouvernement américain a jugé que les dirigeants avaient fauté et que la banque ne devait pas être aidée. On a vu le résultat ! Si vous avez aimé l'abandon de Lehmann Brothers, vous adorerez celui de la Grèce ! Nous devons pratiquer à la foi rigueur et solidarité.

Il faut non plus d'Europe, mais mieux d'Europe. Allons plus vite et plus loin. L'Union s'est élargie parce que la démocratie a vaincu le totalitarisme communiste et celui des fascistes. Nous devons assumer ces choix, en les corrigeant pour faire de la zone euro le pendant de la zone dollar et du yuan. Sans donner de leçons urbi et orbi, l'Europe doit défendre ses valeurs, elle n'a pas à renier le modèle qu'elle a construit, celui d?un capitalisme d'entrepreneurs et non de spéculateurs. Défendre la Grèce est un impératif du coeur et de la raison !

Monsieur Baylet, si nous surmontons la crise actuelle et faisons converger nos économies, les euro-obligations seront légitimes. Neutraliser une dette non stabilisée serait mettre la charrue avant les boeufs.

Monsieur Masson, vous n'êtes pas anti-européen ; moi non plus. Mais le choix n'est pas entre populismes !

Monsieur Yung, vous avez parlé de fédéralisme économique. Nous en parlerons ensemble, et nous serons en bonne compagnie avec MM. Chirac et Sarkozy, qui n'ont pas hésité à employer aussi le mot. Vous ne me ferez pas dire un taux ni une assiette pour la taxation des transactions financières ; je dirai seulement que nous ne sommes pas restreints. Si la France prenait cette décision seule, nous aurions sans doute un fort sentiment de solitude. Le fédéralisme économique commence avec des rencontres régulières des chefs d'État pour faire un pilotage du fonds de solidarité financière.

L'Europe franchit une étape décisive. On peut craindre le chaos, on peut également espérer une Europe fixant ses frontières, s'approfondissant et affirmant ses valeurs. Le prochain Conseil aura l'ardente obligation de décider. Historiquement, l'Europe avance d'une étape à chaque crise. Celle en cours nous permettra peut-être d'en franchir une nouvelle ! (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Nous allons maintenant procéder au débat interactif avec questions et réponses en deux minutes.

M. Yannick Vaugrenard.  - La crédibilité de la France est compromise par le décalage entre les discours et les décisions. La taxation des hauts revenus est très inférieure à ce que font Britanniques et Allemands. Comment parler de croissance forte en taxant les mutuelles, au détriment de la consommation intérieure ?

Un changement de politique s'impose pour recouvrer notre crédibilité au sein de l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Leonetti, ministre.  - Vous m'amenez sur le marché intérieur... (Sourires)

Il est difficile de comparer les régimes des différents pays de l'Union pour ce qui concerne les retraites, la TVA, la fiscalité sur le patrimoine. Beaucoup de mutuelles ont des marges importantes et elles pourraient absorber le relèvement de la fiscalité les frappant.

Qu'est-ce qu'un riche ? Un candidat qui ne l'était pas et a fini par l'être parlait de 4 000 euros par mois. Vous voyez que la prudence s'impose... N'oubliez pas que la France consacre à la solidarité quatre points de PIB de plus que les autres États membres, Suède incluse.

C'est en menant conjointement une réduction des déficits et des investissements d'avenir que nous préservons notre note AAA.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Les mutuelles...

M. Jean Leonetti, ministre.  - Gardons à l'esprit l'exigence d'équilibre entre rigueur, croissance et solidarité.

M. Jean Bizet.  - M. Barroso n'a toujours pas répondu à la question que nous lui avions adressée en mai, alors qu'il disposait de trois mois pour le faire. Ce n'est pas convenable. Où en est-on sur le PEAD ? Avez-vous levé la minorité de blocage ?

Quid de la réglementation européenne du secteur bancaire ? Je me félicite de la protection accrue dont bénéficient les épargnants. Où en est-on de la séparation entre les activités de trading et les autres activités ?

Je remercie M. Raoul d'avoir repris à son compte notre rapport sur la préférence communautaire, devenue un principe incantatoire avec l'OMC. Je me réjouis que nous mettions cela en musique, c'est plus pertinent que les discours sur la « démondialisation » qui traduisent au mieux une méconnaissance du sujet et, au pire, un populisme méprisable.

Cela fait dix ans que le cycle de Doha a été engagé. C'est très loin et nous avons fait trop de concessions dans le domaine agricole. (Applaudissements à droite)

M. Jean Leonetti, ministre.  - La campagne hivernale de 2011 est assurée par le PEAD. En l'absence de surplus agricoles, la Cour de justice de l'Union européenne nous interdit d'acheter des aliments pour nourrir les plus pauvres. On ne peut donner des milliards aux banques et refuser toute aide aux plus démunis. (M. Jean Bizet approuve) A la demande du président de la République, je m'évertue à trouver une solution. Les plus démunis ne seront pas abandonnés. Après le changement de gouvernement danois, j'ai bon espoir.

Lorsque la banque Lehmann Brothers est tombée, Northern Roch l'a suivie dans sa chute, alors qu'il s'agissait d'une simple banque de dépôts...

La réciprocité doit assurer un commerce loyal. Cet objectif suppose aussi une taxe carbone à la frontière.

La démondialisation, je ne sais pas faire... mais cela permettra de départager des candidats socialistes ! (Rires)

M. Eric Bocquet.  - La décision de la Cour de justice européenne a été aggravée par les décisions prises par six pays européens.

Ainsi, nos concitoyens subiraient une double peine, s'ajoutant à la crise provoquée par la « concurrence libre et non faussée ».

M. Jean Leonetti, ministre.  - Le PEAD représente 400 millions de tonnes, alors que le surplus PAC se limite à 113 millions. La France récupère à peu près ce qu'elle donne. La solution simple, et même simpliste, serait de renationaliser l'aide aux plus démunis. En Allemagne, cette mission est confiée aux Länder.

Je pense que nos partenaires pourraient accepter une ligne modeste au titre de la PAC, renforcée par une mesure de solidarité. Nous espérons infléchir nos amis Tchèques et Danois.

M. Marcel Deneux.  - Il ya trois mois et demi, j'ai présenté une motion votée à l'unanimité pour stabiliser les cours agricoles... Mais je veux parler du climat. La conférence de Durban doit prolonger celles de Copenhague et de Cancun. En 2008, les émissions de gaz à effets de serre ont diminué de 6,4 % en France par rapport à 1990.

L'Europe doit se mobiliser pour proroger l'accord de Kyoto. Les Brics le souhaitent, mais certains pays d'Europe centrale semblent réticents. Est-il envisageable d'aller au-delà de Kyoto ? L'Union européenne peut-elle imposer sa politique unilatérale de lutte contre le réchauffement climatique ?

M. Jean Leonetti, ministre.  - Vous avez raison : Kyoto arrive à sa fin, alors que seules certaines émissions de gaz à effet de serre sont concernées.

Tout report des surplus menacerait la deuxième période. C'est pourquoi la France veut qu'une période de transition préserve les acquis de Kyoto et permette d'aller plus loin. Mais ni les Etats-Unis, ni le Canada, ni la Russie ne sont dans cet esprit.

M. Alain Chatillon.  - Nous devons soutenir les 2.900.000 PME françaises, en moyenne quatre fois plus petites que leurs équivalents allemands. Sur le plan salarial, il n'y a pas de distorsion, mais les cotisations sociales pénalisent nos entreprises.

Quant au soutien à la réglementation communautaire, je déplore que les hauts fonctionnaires français intervenant à Bruxelles n'aient guère de contacts avec les syndicats professionnels, contrairement à leurs homologues allemands ou italiens. Lorsque j'étais président d'un syndicat de branche, j'avais le plus grand mal à établir un contact avec nos représentants.

Enfin, il faut soutenir l'exportation des PME -mais plutôt que d'exportations, il faut parler d'internationalisation. Les ambassades doivent accueillir des jeunes qui se chargent de ce dossier.

M. Jean Leonetti, ministre.  - Effectivement, les PME assurent deux tiers des emplois et 60 % du chiffre d'affaires de l'Union européenne. Il faut donc être attentif à leur environnement économique. Le Small Business Act a été adopté sous présidence française.

Nous devons mettre en place des protections et des incitations, en commençant par diminuer les contraintes administratives inutiles et en favorisant l'accès aux marchés publics. Il reste beaucoup à faire pour inciter nos PME à exporter.

Les directives européennes sont élaborées très en amont, ce qui justifie d'associer plus tôt les représentants professionnels à la réflexion.

M. Roland Courteau.  - Jusqu'en 2011, le programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) venait en aide à des millions de citoyens. Le programme représente 35 % de l'aide distribuée par les quatre associations françaises concernées, la Croix rouge, la banque alimentaire, le Secours populaire et les Restaurants du coeur. Ces associations demandent qu'un dispositif renouvelé pérennise la sécurité alimentaire des citoyens européens.

M. Jean Leonetti, ministre.  - Je suis en mission avec le ministre de l'agriculture pour faire aboutir ce dossier. Après l'interdiction d'approvisionner les PEAD autrement que pour les surplus agricoles, il faut trouver une faille juridique pour la campagne 2012. La Commission a proposé un dispositif à double détente, associant la PAC et la cohésion sociale. Je ne doute pas de notre succès dans la recherche d'une solution avec nos partenaires.

M. Roland Courteau.  - Le Gouvernement prendrait-il le relais ?

M. Jean Leonetti, ministre.  - Je suis trop européen pour envisager cette extrémité, mais en cas de nécessité, comment imaginer que le Gouvernement et le président de la République refuseraient ?

M. Alain Richard.  - J'aborderai la taxation des transactions financières. Vous avez évoqué le taux de 0,0005 % ; nous pensons plutôt à 0,005 %. L'enjeu est la dissuasion des mouvements spéculatifs.

Où en sont les discussions des Etats membres ? Où en est la réflexion du Gouvernement sur l'utilisation du produit de la taxe ? Sur les euro-obligations, le refus de Mme Merkel et de M. Sarkozy est fondé sur des considérations de politique interne...

Enfin, avant de parler de fédéralisme, il faudrait fédérer et associer les 27 pays de l'Union européenne aux discussions !

M. Jean Leonetti, ministre.  - La Commission propose un taux de 0,1 % sur les produits obligatoires et 0,01 % sur les produits dérivés. Un bon impôt a une assiette large et un taux bas. Les États-Unis ont déjà refusé le principe, tout comme le Royaume-Uni. Le champ de la taxe semble donc se réduire à la zone euro.

Si la taxe avait été mondiale, elle aurait pu financer des enjeux mondiaux ; étendue à toute l'Union européenne, elle alimenterait le budget communautaire ; réduite à la zone euro, son utilisation sera plus limitée. Selon les hypothèses, le produit pourrait aller de 25 à 100 milliards. Pour convaincre le maximum d'Etats, il faut commencer par un taux faible, qui pourra augmenter ensuite.

M. Christophe Béchu.  - M. le ministre a raison, la première étape est d'instituer la taxe !

J'en viens à mon sujet : la PAC. La Commission européenne dévoilera demain son projet pour l'après 2013. Notre pays engrange 9 milliards d'excédent commercial agricole. L'alimentation de la planète devient un sujet brûlant ; la souveraineté alimentaire est une préoccupation croissante. L'agriculture n'est pas une nostalgie mais un avenir ; avec l'agroalimentaire, elle occupe deux millions de Français.

Quel est l'état d'esprit du Gouvernement face à la réforme de la PAC ?

M. Jean Leonetti, ministre.  - Son état d'esprit est déterminé. Ce n'est pas une politique française mais européenne, une des rares politiques communautarisées.

L'indépendance alimentaire de l'Europe, la stabilité des prix et le maintien d'une veille sanitaire efficace exigent de préserver l'agriculture européenne. La Pologne nous suit sur ce point. La PAC a été évaluée et jugée pertinente à quatre reprises, ce qui n'est pas le cas de toutes les politiques communautaires. Pensons à la politique de cohésion territoriale : beaucoup de régions en sont sorties ; il peut y avoir là des ressources à récupérer.

La France n'acceptera pas une perspective financière qui n'assure pas la stabilité de la PAC.

Mme Maryvonne Blondin.  - Je comptais, moi aussi, vous interroger sur le PEAD. Pourquoi ne pas confirmer l'ancrage de ce programme dans la PAC, en élargissant à de nouvelles ressources ?

On parle de transférer ce programme au budget de la cohésion sociale en 2014. L'Etat français prendra-t-il le relais d'ici-là ?

Les commissaires parlementaires aux affaires européennes des 47 pays membres du Conseil de l'Europe souhaitent travailler de manière plus articulée. Comment pourraient-ils y parvenir ?

M. Jean Leonetti, ministre.  - Lorsque j'étais député, je répugnais à ce qu'un ministre se mêle du travail des parlementaires. Je reste fidèle à ce point de vue.

Nous ne pouvons pas intégrer la PEAD dans la PAC, qui a un autre objet. A partir de 2014, le PEAD doit entrer dans la politique de cohésion ; en 2012 et 2013, nous veillerons à assurer la liaison et nous nous efforcerons de surmonter la minorité de blocage. En cas d'échec, le président de la République et le Gouvernement assureront, je n'en doute pas, la pérennité des moyens.

M. Joël Bourdin.  - Les banques doivent augmenter leurs capitaux propres. On parlait jusqu'ici d'un ratio de 8 %, mais les créances des banques se sont dégradées, y compris sur des titres souverains d'où la nécessité de recapitaliser, d'autant plus que les titres souverains vont encore se dégrader.

Les banques subissent un problème de liquidités, car elles rechignent à se prêter entre elles. La solution à la crise de Dexia apportera un peu d'air.

Mais la BCE ne peut longtemps servir de station d'épuration, offrant de la bonne monnaie contre de la mauvaise dette ! Il faut rétablir la confiance.

M. Jean Leonetti, ministre.  - En effet, le système bancaire est fondé sur la confiance. Les ratios bancaires doivent être améliorés. Mais les fonds propres des banques françaises ont déjà augmenté de 50 milliards au premier semestre. Elles détiennent 10 milliards d'euros de dette grecque : elles sont donc solides.

Dexia est un cas très particulier : elle emprunte à très court terme à taux très bas et prête à très long terme à haut taux. D'où le grippage induit par la conjoncture.

Le cantonnement de la dette « pourrie » sauvera collectivités en France et épargnants en Belgique. Le prêt accordé en 2008 à Dexia par l'Etat nous a rapporté 500 millions d'euros : nous ne jetons pas l'argent par les fenêtres ! Notre but est de restaurer la confiance, car les banques prêtent moins aux autres banques, mais surtout aux entreprises et aux collectivités, d'où le risque de récession. La recapitalisation des banques est indispensable.

M. Ronan Dantec.  - A long terme, la crise climatique sera encore plus menaçante que la crise financière actuelle. Ne soyons pas trop optimistes sur les résultats européens dans la lutte contre l'effet de serre !

A Durban, il faudra restaurer la confiance entre le Nord et le Sud. Les pays africains seront très attentifs au financement du Fonds vert. Pourquoi ne pas l'abonder grâce à la taxation des transactions financières ? Sinon, comment l'Europe y contribuera-t-elle ? (Applaudissements à gauche)

M. Jean Leonetti, ministre.  - Dans le meilleur des mondes, le bon exemple est suivi au lieu d'être pénalisé. Dans le meilleur des mondes, l'Europe, qui fait de grands efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, ne se heurterait pas à la concurrence déloyale des Etats-Unis et de la Chine. On aurait même une taxe mondiale pour régler un problème mondial. N'y a-t-il pas une taxe sur les billets d'avion, qui sans nuire au trafic a permis de soigner des malades du sida qui n'auraient pu l'être avec l'aide d'aucun pays, pas même de l'Europe ?

Le vrai danger serait de renvoyer à plus tard la conclusion d'un nouveau pacte, après l'échéance de Kyoto. Il faut à la fois tenir nos engagements antérieurs, et établir les bases d'un système plus contraignant.

Enfin, l'Europe devra prendre ses responsabilités et imposer une taxe carbone aux frontières. Les règles de vertu imposées à nos industries doivent s'appliquer aux produits venus d'ailleurs.

Mme Bernadette Bourzai.  - Je me réjouis des engagements pris par le ministre sur le PEAD : les associations sont inquiètes. Il ne s'agit que d'un euro par Européen !

Sur l'agriculture, M. Béchu a parfaitement décrit les enjeux !

Quid des négociations avec le Mercosur ? Dans le Massif central, l'élevage bovin est essentiel, en termes de qualité alimentaire et d'aménagement du territoire.

M. Jean Leonetti, ministre.  - Certains accords de libre échange posent problème. L'accord avec le Japon est refusé, parce qu'il déséquilibrerait les marchés européens ; la négociation est bloquée avec le Mercosur car nous refusons un accord inéquitable.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Lorsqu'ils voient les Européens tergiverser sur le PEAD, les citoyens s'éloignent de l'Europe. A quand une relance du tandem franco-allemand, un primat du politique sur l'économique ou une initiative de croissance avec de grands projets ?

Le Conseil et la BCE échouent à ajuster le taux de change. Quand l'euro s'apprécie de dix centimes, face au dollar, comme ne cesse de le rappeler M. Gallois, il en coûte 10 milliards à EADS !

M. Jean Leonetti, ministre.  - Encore une fois, une solution sera trouvée sur le PEAD. Le président de la République l'a assuré.

Quant à la relance politique, elle a eu lieu le 21 juillet. L'Europe est une construction complexe, mais le couple franco-allemand a toujours su sortir des crises. Les marchés financiers se plieront à la décision politique : c'est la loi de la démocratie. Il est normal de prendre le temps de consulter les Parlements, malgré le ralentissement imposé à la décision.

Les grands projets existent. Iter, GMS, Galiléo, les énergies renouvelables : c'est là que la croissance se fera demain. Mais ces domaines sont aussi soumis à la concurrence internationale. L'Europe protège ; elle projette également !

Mme Fabienne Keller.  - Je plaide moi aussi pour la taxe sur les transactions financières, pour répondre à la dictature des marchés. L'Union et les Etats membres en tireront des ressources, ainsi que la lutte contre le réchauffement.

L'enjeu est aussi moral : responsables de la crise, les financiers doivent la payer !

Une ligne rapide pérenne Paris-Bruxelles-Strasbourg permettrait de mieux relier -enfin- les deux capitales européennes, comme ce fut le cas pendant la présidence française. Il faudrait un peu de bonne volonté de la SNCF.

M. Jean Leonetti, ministre.  - Vous avez raison : la crise nous donne enfin l'occasion de créer cette taxe sur les transactions financières.

Strasbourg est un symbole, car c'est là, entre Forêt noire et Vosges, que se sont succédé les plus graves tensions et qu'a eu lieu la réconciliation. Mais l'Europe, c'est aussi Bruxelles et Luxembourg.

Je plaide pour deux sessions. Les solutions pour mieux desservir Strasbourg comme vous le suggérez ou à partir de Bâle ou de Francfort sont à l'étude pour que votre ville soit à une heure des autres capitales européennes.

M. Jean-Yves Leconte.  - La crise financière menace l'euro et la construction européenne. Les euro-obligations, conformes à l'esprit de solidarité, permettraient de surmonter la crise.

Mais le partage des dettes passe par le fédéralisme social, économique et social : donc par le fédéralisme politique.

Evitons toute fuite en avant : le fédéralisme suppose d'approfondir les procédures démocratiques à l'échelle européenne. Il en va de la confiance des citoyens.

M. Jean Leonetti, ministre.  - Sans harmonisation économique, fiscale et financière, il est impossible de mutualiser les dettes grecques et allemandes. Comment faire accepter aux Allemands une hausse de leurs taux d'intérêt sans imposer de discipline collective ?

Comment faire accepter aux Français que le taux d'impôt sur les sociétés ne soit que de 12 % en Irlande contre 34 % en France ? Les euro-obligations ne peuvent précéder l'harmonisation : solidarité et discipline vont de pair.

Prochaine séance demain, mercredi 12 octobre 2011, à 14 h 30.

La séance est levée à 18 h 45.

Jean-Luc Dealberto,

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 12 octobre 2011

Séance publique

A 14 HEURES 30

1. Débat sur la réforme portuaire.

2. Débat sur la couverture numérique du territoire.