Réserves militaires et civiles (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure.
Discussion générale
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants. - À mon tour, je salue les parlementaires maliens, avec d'autant plus de plaisir que je suis maire d'une ville de l'agglomération d'Angers, elle-même jumelée avec Bamako.
Nous sommes réunis pour la deuxième lecture de la proposition de loi Boutant-Garriaud-Maylam. Je salue leur travail remarquable ainsi que celui accompli par la commission sous la présidence de M. de Rohan, à qui je rends un hommage tout particulier en ce dernier jour de sa présence au Sénat, après y avoir servi la France pendant vingt-huit ans. Vous avez, monsieur de Rohan, l'intérêt général chevillé au corps. Tout le pays vous présente sa profonde et sincère reconnaissance. (Applaudissements)
Cette proposition de loi nous aide à remédier à une contradiction de la situation actuelle : nous avons des réserves importantes et ne pouvons les mobiliser au mieux -sauf en cas de menace militaire. Désormais, le Premier ministre pourra convoquer les réservistes rapidement en cas de crise majeure, dans un délai plus bref et pour une période plus longue qu'actuellement. Les réservistes auront l'obligation de répondre à la convocation et leurs employeurs de les libérer.
Plusieurs amendements ont été adoptés par l'Assemblée nationale, principalement pour apporter des précisions rédactionnelles.
Cette proposition de loi s'inscrit dans une réflexion générale sur la gouvernance de la réserve dans une démarche de résilience. Nous voulons réorganiser la réserve militaire, dont l'importance -les réservistes du ministère de la défense sont 32 000- n'est plus à démontrer ; nous entendons renforcer le dialogue avec les employeurs ; nous voulons enfin aménager, à terme, la réserve citoyenne -un audit est en cours- en tant que vecteur essentiel des relations avec notre outil de défense.
Cette proposition de loi permettra de progresser dans la valorisation de notre réservoir de bonnes volontés et de compétences. Je vous invite à la voter. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Josselin de Rohan, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Nous avons adopté cette proposition de loi le 30 mars. Hier, l'Assemblée nationale l'a adoptée en l'améliorant par six amendements qui n'en modifient pas le fond.
Nos collègues Boutant et Garriaud-Maylam sont partis de la bonne question ; sans leur remarquable travail, cette proposition de loi n'aurait jamais vu le jour. Les crises sont des moments de mises à l'épreuve de nos institutions. C'est dans ces circonstances que les forces d'appoint que constituent les réserves prennent tout leur sens. Des catastrophes comme Katrina aux États-Unis ou Fukushima au Japon ont montré que les États modernes ne sont pas à l'abri ; il faut alors mobiliser des personnels aguerris.
Nous ne sommes pas sûrs que si nous étions confrontés demain à des drames comparables nous pourrions compter sur des réservistes opérationnels. D'où cette proposition de loi. Il faut oublier le schéma ancien du peuple en armes : avec la professionnalisation des armées, il faut aussi professionnaliser les réserves, les entraîner, les intégrer.
Ce texte n'est qu'une première étape. Les questions des besoins, de l'emploi et du format des réserves doivent être reposées. Il faut sortir du flou actuel.
Je salue nos soldats, en particulier ceux qui sont au feu, mais aussi nos réservistes, dans une société qui valorise de plus en plus la sphère privée. Churchill avait raison en disant qu'un réserviste est deux fois citoyen.
Je fais confiance aux auteurs de cette proposition de loi pour continuer à veiller sur sa bonne application, au moment où j'entre, sinon dans la réserve de la République, du moins dans la « deuxième section » du Parlement. (Applaudissements)
M. Jean-Marie Bockel. - Je m'associe à l'hommage rendu au président de Rohan.
Les députés ont conservé l'économie du texte, issu d'un remarquable travail de Mme Garriaud-Maylam et de M. Boutant, fondé sur le constat d'une impréparation de l'État en cas de crise majeure. Le fait est que nous sommes confrontés à des évolutions nouvelles qui rendent l'environnement géopolitique imprévisible, entre apparition de nouveaux acteurs, numérisation de l'information, mondialisation, risque terroriste. Les catastrophes naturelles ou technologiques ont elles aussi pris une dimension nouvelle avec la densification de la population : tempêtes, drame de Fukushima, menaces de pandémies.
La professionnalisation des armées a désorganisé tout notre système des réserves. Il y avait, sur le papier, trois millions de réservistes en 1993... Il a fallu attendre la loi du 22 octobre 1999, puis celle du 18 avril 2006 pour tirer les conséquences du nouveau format des armées sur la réserve. Paradoxe : pour adapter l'outil de défense aux nouveaux enjeux, nous avons amputé la réserve militaire des moyens humains qui pouvaient s'avérer utiles en cas de crise majeure.
Cette proposition de loi répond dans un premier temps à la nécessité d'une mobilisation plus rapide des réserves. Elle est consensuelle au Parlement et aussi chez les acteurs de terrain. Nous avons tous bien noté que ce n'était qu'une première étape.
Je rebondis sur l'engagement des réservistes. Notre société exigeante fait peu de place au fatalisme et recherche partout des responsabilités. Nos forces armées ne pourraient à elles seules réagir à une crise majeure depuis la réduction de leur format et leur professionnalisation. Il faut donc des réservistes. Enlevez ceux-ci, que ce soit sur le territoire national ou en opération extérieure, les armées de fonctionnent plus ! Les militaires de haut rang le savent et le disent.
Je suis très content, monsieur le ministre, que vous ayez repris ce chantier dans lequel je m'étais, en mon temps, beaucoup investi. Le sujet avait été laissé en jachère. Il n'est pourtant pas marginal, ni destiné à faire plaisir au lobby des réservistes. Bravo, monsieur le ministre ! Vous me trouverez à vos côtés.
Ce texte est important pour impliquer les employeurs -à qui les réservistes sont souvent tentés de dissimuler leur statut. Il y a de plus en plus de jeunes prêts à servir comme simples soldats. Valorisons le label « partenaire de la défense nationale », qui ne concerne aujourd'hui que 313 entreprises -ce n'est pas encore assez. Je comprends que l'article sur le mécénat ait été retiré, mais il faudra y revenir. J'attire votre attention, monsieur le ministre, sur l'idée que j'avais lancée d'un chèque volontariat pour rémunérer immédiatement les réservistes après leur période d'engagement.
Nous sommes tous sensibles à l'engagement citoyen -n'oublions pas la réserve citoyenne. Ce texte ouvre la voie. Je salue nos soldats, mes camarades de la réserve qui sont sur le terrain. Il faut le savoir : le défilé du 14 juillet ne serait pas possible sans l'engagement des réservistes. (Applaudissements)
M. Michel Boutant. - Cette proposition de loi est le fruit d'une mission commencée en février 2010 à la suite du Livre blanc. D'aucuns pensent que la qualité des propositions de loi ne saurait rivaliser avec celle des projets de lois. J'espère apporter un démenti. Je remercie chaleureusement le président de Rohan pour la rigueur et le sens de l'État dont il a fait preuve à la tête de la commission des affaires étrangères.
Cette proposition de loi est le fruit d'un dialogue construit entre le législatif et l'exécutif, dont je me félicite.
Nous sommes tous disposés à une nouvelle étape dans la constitution d'une réserve plus compacte, plus réactive et mieux formée. Les réservistes ont besoin de savoir où ils vont. Trop de lourdeurs administratives les découragent. Comment les encourager ? Comment valoriser leur engagement ? En les gérant bien...
La qualité et la performance des réserves tiendront aussi à la qualité des relations avec les employeurs. Or l'ambiguïté règne ; il est dommage que les volontaires taisent leur appartenance à la réserve. Cette quasi-clandestinité jette un doute sur l'efficacité du dispositif. Il faudra, à terme, harmoniser les contraintes des réserves militaires et civiles. Ce que l'on perdrait en effectif serait gagné en fiabilité. Il faudrait aller vers un contrat tripartite à temps partiel, qui serait plus compréhensible aux yeux des employeurs.
Il faut, d'autre part, renforcer la réserve civile. Celle-ci ne suffirait pas pour accompagner la montée en puissance d'un plan « pandémie ». Au contraire de l'Allemagne, nous ne disposons pas d'une réserve de protection civile.
Nous voterons ce texte mais souhaitons une politique des réserves plus ambitieuse. (Applaudissements)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - À mon tour, je remercie le président de Rohan pour son immense travail, sa rigueur, sa finesse d'analyse et son humanité. Et pour le soutien qu'il ne nous a pas ménagé dans le travail qui a conduit à cette proposition de loi.
Je remercie également nos nombreux interlocuteurs ainsi que tous ces réservistes qui s'engagent au quotidien avec un désintéressement qui les honore.
Faute d'avoir réellement intégré les réserves dans sa réflexion stratégique, la France est très en retard. Le Livre blanc en a fait le constat mais en insistant plutôt sur la situation militaire. Or en cas de crise majeure, il faut pouvoir compter sur d'autres ressources que l'armée professionnelle, d'autant que celle-ci est devenue moins nombreuse en se professionnalisant. L'enjeu n'est pas seulement de traiter les conséquences de la crise mais aussi de faire en sorte que l'État continue de fonctionner. La réserve compte des professionnels de santé retraités ou des étudiants en médecine qui devront pouvoir être mobilisés rapidement en cas de pandémie.
La gestion des crises à l'étranger est particulièrement délicate car il faut à la fois protéger nos ressortissants et aider l'État étranger à y faire face. Le centre de crise du ministère des affaires étrangères a fait d'importants progrès, mais beaucoup reste à faire. Ce dispositif pourrait inspirer l'évolution des réserves sur le territoire français et s'articuler avec une réserve de sécurité nationale réformée.
Nous avons aujourd'hui trop de réservistes -au regard du temps qu'ils consacrent à la réserve- et une trop faible capacité à mobiliser en urgence des réservistes entraînés. La cause en est le manque de reconnaissance de l'engagement ; la quasi-clandestinité reste la règle.
Dommage que le dispositif « mécénat » ne soit pas appliqué aux entreprises employeurs de réservistes. Il importe aussi d'informer nos citoyens de cette possibilité de concrétiser leur soif de civisme et d'engagement, car pour l'instant l'existence des réserves demeure confidentielle.
Il est enfin urgent de favoriser l'essor d'une réserve opérationnelle.
Ce texte illustre l'ampleur de sa concertation organisée en amont, à propos d'un sujet où il est urgent de légiférer.
Si je suis réélue en septembre, je mettrai tout en oeuvre pour que la France dispose d'une réserve réactive, reconnue et efficace ! (Applaudissements à droite)
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. - Ce débat montre l'implication de la représentation nationale dans un domaine majeur.
Le pessimisme n'est pas de mise : la France dispose d'une des meilleures organisations pour les temps de crise au monde. L'urgentiste que j'ai longtemps été peut vous assurer que nous pouvons en être fiers. D'ailleurs, nombre de pays en crise font appel à la France !
Néanmoins, je salue cette proposition de loi, issue de l'opposition et de la majorité. Je me félicite de ce consensus exemplaire.
Merci, Monsieur Bockel, pour votre engagement, qui s'était déjà manifesté au Gouvernement.
Bien sûr, je rends hommage au considérable travail fourni depuis des années par M. de Rohan.
La France a 32 000 réservistes, qui effectuent en moyenne 22 jours par an. Comme vous, je regrette que certains dissimulent leur appartenance à la réserve, mais nombre de chefs d'entreprise citoyens ont conscience de leurs responsabilités. Bien sûr, la situation est plus simple dans les grandes structures : une absence peut déstabiliser une petite entreprise...
À ces 32 000 réservistes, il faut ajouter les 75 000 militaires ayant quitté l'armée depuis moins de cinq ans.
J'en viens à la réserve citoyenne, formée par 2 600 personnes, assurant le lien entre l'armée professionnelle et le peuple. Dans mon département, j'incite les militaires à organiser les prises d'armes hors des casernes, pour montrer que l'armée, c'est le peuple !
M. Bockel a raison de déplorer le délai excessif constaté dans le paiement des jours de réserve.
Nous pouvons tous saluer les réservistes et l'armée, tout en espérant améliorer encore la réponse à de très grandes catastrophes.
Je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements à droite)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article premier est adopté, ainsi que les articles 5, 5 bis, 6 et 7.
La proposition de loi est adoptée.
M. le président. - À l'unanimité ! (Applaudissements)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Je me réjouis d'achever ma vie parlementaire avec le vote de ce texte.
Mark Twain disait qu'il pouvait vivre un an avec un seul compliment. (Sourires) Ceux que je viens d'entendre me tiendront à coeur pendant ma retraite ! Et je les préfère encore à un éloge funèbre... (Nouveaux sourires)
J'ai siégé vingt-huit ans à la Haute assemblée, où j'ai vécu des moments très forts et poignants ; j'y ai rencontré des personnalités éminentes sur tous les bancs, et j'ai noué avec nombre d'entre elles des relations qui allaient au-delà des simples relations de travail. Ces expériences m'ont beaucoup enrichi.
Injustement décrié, souvent caricaturé, le Sénat est une assemblée où l'on travaille beaucoup, dans une relative sérénité, une instance où l'on écoute sans nécessairement invectiver : le dialogue n'y est pas un vain mot, mais se pratique au quotidien.
Le Sénat est aussi le véritable défenseur des collectivités territoriales. Le travail accompli dans ce domaine est considérable !
Mais la grande vertu du Sénat, c'est d'être le conservateur des valeurs républicaines. Nos successeurs, tout en s'adaptant aux réalités du temps, sauront perpétuer la tradition de tolérance et d'écoute qui fait la force de notre institution.
Je tiens à vous redire combien j'ai été honoré d'être sénateur de la République. (Applaudissements)
M. le président. - En seize ans, nous avons eu parfois de vifs échanges, mais toujours dans le respect de nos différences. Nous vous voyons partir avec beaucoup d'émotion et de sympathie ; sachez que nous ne vous oublierons pas ! (Applaudissements)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Merci.
La séance est suspendue à 11 h 50.
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présidence de M. Guy Fischer,vice-président
La séance reprend à 14 h 40.