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Table des matières
Questions prioritaires de constitutionnalité
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Conseillers territoriaux (Procédure accélérée)
SÉANCE
du lundi 4 juillet 2011
2e séance de la session extraordinaire 2010-2011
présidence de M. Bernard Frimat,vice-président
Secrétaires : M. Alain Dufaut, M. Philippe Nachbar.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 1er juillet 2011, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, il a reçu de la Cour de cassation une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité et du Conseil d'État une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Le texte de ces décisions est disponible au bureau de la distribution.
Jurys populaires (CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
Discussion générale
M. Jean-Jacques Hyest, en remplacement de M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la CMP. - Le 29 juin, la CMP a adopté un texte proche de celui que nous avions retenu.
Saisi en première lecture, le Sénat, tout en souscrivant à l'objectif du texte, en avait modifié plusieurs dispositions : en simplifiant le système de sélection des citoyens assesseurs ; en modifiant le périmètre de compétence du tribunal correctionnel en formation citoyenne ; en réduisant le délai de présentation en comparution immédiate afin de limiter toute prolongation excessive de la détention provisoire. S'agissant du volet relatif à la cour d'assises, il a préservé la prééminence des jurys par rapport aux magistrats, retenu l'obligation de motivation de tous les arrêts en en précisant les modalités, étendu l'exigence d'évaluation dans les cas de libération conditionnelle.
Conscient de l'exigence d'enrayer la délinquance des mineurs, le Sénat a retenu sur ce point plusieurs modifications que l'Assemblée nationale a, pour l'essentiel, acceptées -renforcement de la confidentialité du dossier de personnalité, présidence du tribunal correctionnel des mineurs par le juge des enfants...
Les députés ont renforcé les critères requis pour exercer les fonctions de citoyen assesseur. Ils ont porté de huit à dix jours la durée pendant laquelle ils seront appelés à siéger. Ils ont interdit que cette fonction soit accessible à toute personne ayant été condamnée pour crime ou délit figurant au casier judiciaire. Ils ont assoupli les conditions de rédaction de la motivation en cour d'assises, en prévoyant la possibilité d'un différé de trois jours.
Les discussions ont été très animées sur la cour d'assises simplifiée, que le Gouvernement a fait supprimer en séance publique comme il a heureusement fait supprimer le droit, pour les parties civiles, d'interjeter appel en cas d'acquittement.
M. Robert Badinter. - Cela aurait été censuré.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Sans doute. L'Assemblée nationale a ouvert la possibilité d'une césure de la procédure pour les mineurs délinquants. Les députés ont en outre introduit une disposition de la proposition de loi Baroin-Lang qui prévoit, dans certaines conditions, la publicité des audiences de la cour d'assises des mineurs lorsque l'accusé est devenu majeur le jour de l'ouverture des débats ; inspiré de l'affaire dite du « gang des barbares », cette disposition avait été adoptée par l'Assemblée nationale mais jamais inscrite à notre ordre du jour.
En matière de justice des mineurs, l'Assemblée nationale a précisé les dispositions relatives au dossier de personnalité ou à la convocation par OPJ.
Dès lors que le risque d'un désaccord majeur sur la cour d'assises était levé, il ne restait plus que trois points de divergence. La CMP a accepté que la compétence du tribunal correctionnel citoyen soit étendue, comme le souhaitait le Sénat, aux délits environnementaux ; elle a accepté le différé de trois jours pour rédiger la motivation et retenu la rédaction du Sénat pour le reste ; sur la publicité des audiences en cour d'assises pour mineurs lorsque celle-ci juge un mineur devenu majeur, elle a accepté un amendement de compromis de M. Lecerf. Il n'y a pas lieu que la partie civile devienne maîtresse du procès. Ce n'est pas la vengeance qui doit inspirer la procédure pénale !
M. Lecerf a insisté sur l'intérêt qu'avait une évaluation pluridisciplinaire pour éviter les récidives. L'ouverture d'un deuxième centre d'évaluation, en Seine-et-Marne, devrait répondre à nos préoccupations ; deux autres projets sont en cours. Sans doute M. le garde des sceaux nous en dira-t-il davantage...
Les directeurs des Services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) pourront accéder au bulletin n°1 du casier judiciaire.
Telles sont les conclusions de la CMP que je vous demande d'adopter. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - Nous voici donc au terme de la navette sur ce texte qui marque une nouvelle étape de la volonté du Gouvernement de définir une justice pénale plus proche, plus ouverte et plus réactive. La participation des citoyens sera accrue. Le fonctionnement des assises sera amélioré -sera-ce assez pour interrompre la tendance à la correctionnalisation ?
Je remercie vivement la commission des lois du Sénat pour son travail approfondi, dont l'Assemblée nationale a retenu -pour l'essentiel- les conclusions.
Participant à l'acte de juger, les citoyens seront confrontés à la difficulté de rendre la justice. Ils percevront mieux ce qu'est la tâche des magistrats. Je crois aux vertus pédagogiques de ce texte. La CMP a rétabli les délits environnementaux dans le champ des compétences du nouveau tribunal correctionnel citoyen.
Le délai proposé en matière de comparution immédiate n'était guère... immédiat. Vous l'avez ramené à huit jours.
On évalue à 70 % les crimes qui ne sont pas jugés comme tels. Nous devons mettre un terme à ce phénomène de correctionnalisation. La Cour d'assises simplifiée n'a pas été retenue par le Sénat ; l'Assemblée nationale s'est rangée à l'avis de celui-ci s'agissant du nombre de jurés en première instance et en appel.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - La cour simplifiée ressemblait tellement à la cour correctionnelle...
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Le texte assouplit les conditions du placement sous surveillance électronique mobile en cas de libération conditionnelle et de suivi socio-judiciaire. Il améliore le suivi des condamnés par les Spip, dont les directeurs auront accès au bulletin n°1 du casier judiciaire.
Les décisions de libération conditionnelle sont mieux encadrées. Un centre d'évaluation, remarquable, existe à Fresnes. Nous en créons un nouveau à Réau, en Seine-et-Marne ; un troisième sera créé dans une l'ancienne prison de Lille.
Le projet de code de justice des mineurs est quasiment achevé à ce jour mais la fin toute proche de la législature en rend l'adoption impossible à court terme ; la situation préoccupante de la délinquance des mineurs justifiait cependant de prendre dès à présent quelques-unes de ses dispositions. Nous avons veillé à ce que la réforme respecte les principes constitutionnels de la justice des mineurs, tels qu'ils ont été formulés par le Conseil constitutionnel.
Je me félicite que la CMP se soit accordée sur la possibilité de césure, ainsi que sur la levée du huis clos pour les mineurs devenus majeurs. Ce n'est pas à la partie civile de le demander. Ce n'est pas à elle de diriger la procédure pénale : c'est l'État qui la mène !
En quatre ans, nous avons rénové la justice ; le texte issu de la CMP va encore plus loin en associant davantage encore les citoyens à la justice. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mézard. - Session extraordinaire, procédure accélérée. Un citoyen raisonnable pourrait penser que le fonctionnement catastrophique de notre justice imposait le vote d'un texte fondateur qui redonne confiance aux professionnels comme aux justiciables. Une fois encore, le bon sens et la raison ne sont pas au rendez-vous. Ne reste qu'un texte d'affichage à visée électorale...
Grâce au Sénat, nous avons échappé à quelques dispositions détestables. Mais qui peut être dupe du discours fallacieux sur le prétendu rapprochement des citoyens avec la justice ? Balivernes que tout cela ! Les citoyens ne demandent pas à rendre la justice mais qu'on la leur rende.
Tout le monde connaît les maux dont souffre notre justice, et d'abord le manque criant de personnel et de moyens.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Une nouvelle présidente à Aurillac, tout de même !
M. Jacques Mézard. - On continue de plus à accumuler les réformes purement sécuritaires sans se donner les moyens de les appliquer et au risque de l'insécurité juridique. Enfin, la question fondamentale du statut du parquet n'est toujours pas tranchée. Attendez-vous que cela vous soit imposé par le Conseil constitutionnel ou la Cour de Strasbourg, comme pour la garde à vue ou la psychiatrie, pour nous faire voter à la va vite un texte mal préparé ?
Les magistrats ont été sévèrement critiqués par de hauts personnages de l'État. Ce n'est pas ainsi que leur autorité sera renforcée. Sont-ils si peu compétents qu'il faille les faire assister par des citoyens assesseurs ? TF 1 et tel quotidien du matin sont-ils les inspirateurs de votre politique pénale ? L'impact médiatique seul compte ; est-ce pour cela que les infractions économiques et financières sont exclues du champ de compétence du « tribunal correctionnel citoyen » ?
Depuis trois ans, le Gouvernement répète que la justice est trop lente. Avec la création des citoyens assesseurs, que personne ne demandait, vous reconnaissez vous-même qu'elle sera rendue plus lente encore. Qu'auriez-vous dit devant une telle réforme venant d'une autre majorité ?
Je remercie M. Lecerf, M. Hyest et vous-même, monsieur le ministre, grâce à qui nous avons évité que l'Assemblée nationale n'aggrave encore les choses. Certains donneurs de leçons parmi les députés, niçois par exemple, ne sont pas bien placés pour le faire...
La politique du Gouvernement donne le tournis. On supprime les avoués, que l'on devait retrouver en masse dans les cours, selon Mme Dati. Verba volant... On crée la justice de proximité et l'on ferme, dans la foulée, des tribunaux d'instance. Puis on supprime les juridictions de proximité, puis on transforme les juges de proximité en supplétifs des tribunaux correctionnels, puis on les remplace par des citoyens assesseurs. Pendant ce temps, on en rajoute dans les textes sécuritaires. Ce n'est plus une politique, c'est un labyrinthe dans lequel s'abritent les démons démagogiques.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire connaître une bonne fois votre objectif : aggraver les peines ? Vous m'avez répondu par la négative. Ce qui contredit le propos présidentiel. J'invoque l'étude d'impact ; vous me répondez, avec l'humour que l'on vous connaît, que je n'aurais pas dû la lire... (sourires) mais il y est écrit qu'il faut « éviter l'érosion des peines »...
Le problème des infractions connexes n'est pas résolu. Le Conseil constitutionnel rappelait déjà, à propos de la loi du 23 juillet 1975, que le principe d'égalité interdisait que, pour les mêmes infractions, des citoyens placés dans des conditions semblables fussent jugés par des juridictions composées différemment. Cela va contre votre expérimentation dans deux cours d'appel.
Comment ne pas dire, enfin, un mot de la disparition de la spécialisation de la justice des mineurs, unanimement critiquée par les professionnels ? Vous mettez à l'écart les juges pour enfants, sans souci de la censure de la Loppsi 2 par le Conseil constitutionnel. Et je ne parle pas de la saisine directe par le procureur.
Ce projet de loi est un texte de défiance à l'égard des magistrats. Cette justice plus lente et plus coûteuse est-elle celle qui doit être rendue au nom du peuple français ? Nous ne le croyons pas. Dans sa très grande majorité, le groupe du RDSE votera contre. (Applaudissements à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - L'immense majorité des professionnels de la justice, dans leur diversité, ont vivement critiqué votre texte. Mais vous persistez et vous nous imposez votre réforme dans un temps record.
M. Lecerf a tenté de limiter la portée régressive de certaines dispositions. L'Assemblée nationale a voulu les aggraver encore. Heureusement, elle n'a pu aller jusqu'au bout. Ses excès correspondent à l'instrumentalisation constante de la souffrance des victimes dans la politique de la peur conduite depuis 2002.
Le texte issu de la CMP intègre certaines des aggravations de l'Assemblée nationale. Rapprocher les citoyens de la justice, dites-vous ? Vous réduisez leur nombre dans les jurys de cour d'assises. Les magistrats seraient trop laxistes ; il faut leur adjoindre des citoyens, censés être plus sévères.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - J'ai dit le contraire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mais ils ne seront pas aptes à juger les délits financiers et les faits de corruption... Comment ces citoyens assesseurs pourront-ils exercer leurs missions, quelques jours par an, à peine formés à la complexité du droit ? Il faut en attendre ralentissement et coût supplémentaire, tandis que les moyens continuent cruellement de manquer. Nous sommes favorables à l'association des citoyens à la justice, mais selon des procédures inspirées de l'échevinage, qui ont fait leurs preuves.
Vos assesseurs alibis dans le ressort de deux cours d'appel ne seront peut-être là que le temps d'une expérimentation -après laquelle on appellera compulsivement à de nouvelles lois sécuritaires ! Et votre respect des jurys populaires a des limites, puisque vous réduisez le nombre de jurés en assises. Vous acceptez que la motivation des arrêts des cours d'assises ne soit écrite que trois jours après, ce qui laisse perplexe.
Sur la justice des mineurs, vous inversez les valeurs de 1945 : le primat de l'éducatif s'efface au profit du répressif. Le dossier unique de personnalité va être transformé en outil de repérage. Vous imaginez une sorte de prédisposition à la délinquance et vous vous en prenez une fois encore au juge pour enfants, tout en donnant au procureur des pouvoirs accrus, malgré la censure du Conseil constitutionnel. Sanctionner, toujours sanctionner, comme fait M. Chatel, au lieu de stopper la suppression de postes... Et un certain député des Alpes-Maritimes, connu pour ses positions ultrasécuritaires, fait diffuser une interview mensongère sur TF1 -la mère de famille éplorée qu'on y voit est en réalité son attachée de presse. Le contrat de responsabilité parentale est-il si inefficace qu'il faille une telle mise en scène pour convaincre ?
Vous -vous n'êtes pas le principal visé, monsieur le garde des sceaux- procédez par affirmations péremptoires et douteuses. Le ministre de l'intérieur prétend que deux tiers des enfants d'immigrés seraient en échec scolaire -ils ne sont en réalité que 16 %. C'est une contrevérité. Va-t-il pour autant prier qu'on l'en excuse ? Non, le mensonge est devenu une méthode du Gouvernement. Le Président de la République a revêtu ses habits de campagne.
Vos textes sécuritaires successifs échouent à empêcher une aggravation de la délinquance violente -vous dites vous-même qu'elle augmente. Et pendant ce temps, vous laissez les jeunes les plus fragiles sur le bord de la route ou vous les enfermez -ce qui ne produira que leur propre enfermement dans la délinquance. Écoutez les professionnels ! Donnez des moyens aux Spip ! Il y manque 1 000 postes ! Ce texte n'est pas acceptable. (Applaudissements à gauche)
M. Robert Badinter. - Je profite de notre atmosphère confidentielle pour formuler quelques observations...
La création de cette extraordinaire juridiction mixte est détestable ; ce qui me console, c'est qu'elle ne verra jamais le jour. Pour cette raison simple que personne n'en veut. Il est absurde de créer dans le champ correctionnel deux ordres de juridiction. « Tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne » : on se croirait revenu au temps de la Convention. A quand un « citoyen président » et un « citoyen procureur » ? Pourquoi un tribunal « en formation citoyenne » ? Les magistrats ne sont pas des citoyens ? Il vous fallait une spécificité qui n'existera jamais. Ce qui existera, en revanche, ce sont les conflits de compétences que vous allez créer. Les citoyens assesseurs seront astreints à une formation initiale -donnée par qui ? Par les magistrats, qui sont déjà écrasés de besogne... Et l'accès problématique au dossier de l'enquête préliminaire... Et l'allongement des procédures -les audiences sont déjà si lourdes, si longues, si pénibles pour tous. Et le questionnement par les assesseurs...
Les procédures prévues augmenteront la durée de ces audiences. On multipliera les questions, on allongera le temps de délibération : tout cela alourdira la procédure. Conséquence : il faudra inévitablement allonger la détention provisoire des prévenus ! Vous compliquez la tâche des magistrats : et pour quelle valeur ajoutée ? Combien de Français seront concernés ? Ils ne demandent pas à rendre la justice ! Vous découragez la magistrature sans améliorer la justice. Les magistrats vous demanderont d'abandonner cette innovation, qui traduit en réalité une défiance secrète -ou affirmée- à leur encontre.
L'atteinte portée à la justice des mineurs ? On est loin de la refonte complète de l'ordonnance de 1945 et du nouveau code pénal de la justice des mineurs que vous annonciez à son de trompe : où donc est passée cette grandiose entreprise ? Vous ne nous en soumettez qu'un volet, qui procède d'une méconnaissance absolue de la nature de la justice des mineurs. Je me penche en ce moment sur le respect par tous les États de l'Union européenne des principes formulés par les conventions internationales. Me voici contraint de vous le rappeler ici, à vous-même : les mineurs ne sont pas des majeurs en réduction mais des êtres en devenir ; ce ne sont pas les infantes que Velasquez peut habiller en reines. Il faut une justice qui prenne en compte cette spécificité. L'éducatif doit toujours primer sur le répressif.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - C'est le cas.
M. Robert Badinter. - Il faut aussi que les juridictions pour mineurs soient spécialisées, avec des magistrats spécialisés. On ne peut réformer sans avoir l'oeil fixé sur ces deux principes. Ce n'est pas votre cas. (M. le ministre le conteste)
Ce texte est fondé sur une obsession dérisoire : les jeunes d'aujourd'hui ne seraient plus ceux de 1945. J'en suis le témoin, j'avais 17 ans à ce moment. Rarement une génération est venue à l'âge d'homme plus dure et dangereuse que celle-là ! Beaucoup de ces adolescents n'ont pas connu leur père, ont grandi sans système de valeur, ont vu se succéder les gouvernements de collaboration, l'argent roi du marché noir, les trafics dans les cours de lycée... Si, en 1945, les hommes et femmes issus de la Résistance du général du Gaulle ont voulu se consacrer de toute urgence à cette mission, c'est qu'ils avaient conscience que, dans cette jeunesse, se jouait l'avenir du pays ! Cette génération n'a pas connu que des succès, notamment avec la décolonisation, mais a reconstruit la France et lui a redonné un esprit nouveau ; on lui doit cette oeuvre immense : la construction européenne !
Les auteurs de l'ordonnance de 1945 ont voulu soigner les bacilles sociaux dont pouvait être victime la jeunesse par un texte spécifique, qui donne la priorité à l'éducatif.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Il faudrait la relire de temps en temps !
M. Robert Badinter. - Aujourd'hui, une autre jeunesse, plus dangereuse ? La dangerosité ne se mesure pas à la taille des biceps ! Vous avez, dans ce texte, une double erreur conceptuelle : la première, c'est de croire que la menace de sanctions toujours plus dures aura un effet dissuasif.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Ce sont les mêmes ! On ne change pas l'échelle des sanctions !
M. Robert Badinter. - La seconde erreur, plus grave, c'est de remplacer les magistrats spécialisés par des citoyens assesseurs. Vous plaquez des éléments de spécialisation sur une juridiction par nature pour adultes !
La césure ? La réponse, c'est la comparution devant le juge ! Cette rigidification ne servira à rien. Vous avez entendu les protestations des magistrats, le tollé au sein des institutions internationales de défense des droits de l'homme.
Je pose la question : pourquoi ? Pourquoi ce texte ? Les jeunes de 16 à 18 ans, toujours plus dangereux ? C'est un thème cher au président de la République. Les jeunes qui ont 18 ans aujourd'hui en avaient 9 quand celui-ci était le puissant ministre de l'intérieur que l'on sait... On a parlé d'une « génération Mitterrand », voici une génération tout entière qui n'aura connu que M. Sarkozy. C'est celle-là qui fait preuve d'une violence accrue. C'est triste à dire... Et encore plus triste de constater que vous persévérez dans l'erreur. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Magras. - « La justice est rendue au nom du peuple français ; désormais, elle sera rendue aussi par le peuple français » a annoncé le président de la République. Le groupe UMP se réjouit de cette justice plus proche du citoyen, plus rapide, qui nourrira l'esprit civique de chacun. C'est une marque de démocratisation face à l'incompréhension croissante des citoyens devant leur justice. Nul doute que ceux-ci seront de bons juges, comme ils le sont déjà en matière criminelle.
Les modalités de désignation des citoyens assesseurs nous conviennent. Il faudra des moyens et des postes supplémentaires : le Gouvernement s'y est engagé, nous lui faisons confiance.
L'introduction de jurés accroîtra la confiance dans la justice.
M. Lecerf est revenu sur la spécialisation autour de délinquants « marqués » sociologiquement, en étendant le champ des délits et infractions concernés. Nous nous réjouissons que la CMP l'ait suivi.
Le débat sur la cour d'assises a été animé. Le dispositif retenu est équilibré.
Le jury de jugement sera rénové, en évitant tout risque constitutionnel. Le rapport oral du président, la motivation de tous les arrêts sont bienvenus.
La justice des mineurs doit être rapide et adaptée : nous ne pouvons que souscrire au volontarisme du Gouvernement en la matière. La délinquance des mineurs s'aggrave : il faut s'y adapter, dans le respect des principes de l'ordonnance de 1945.
La création d'un tribunal correctionnel pour mineurs réduira sans nul doute la récidive.
Je salue M. Lecerf et le président Hyest pour leur travail. Le groupe UMP votera ce texte ambitieux. (Applaudissements à droite)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Merci à M. Magras pour ce soutien.
Je suis surpris par la peur du peuple qui semble animer l'opposition.
M. Jean-Pierre Sueur. - Quelle démagogie !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Un journal du soir disait : pas de citoyens « ordinaires » dans les tribunaux... Pourquoi avoir peur d'eux ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous n'avez pas les moyens de financer la réforme ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - M'avez-vous jamais entendu critiquer les magistrats professionnels ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Heureusement !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Arrêtons cet amalgame.
Pour les mineurs, il faudrait des citoyens assesseurs, mais pas les mêmes ? Je m'étonne que personne n'ait dit un mot de la cour d'assises pour mineurs -présidée par le président de la cour d'assises normale. Pourquoi ne l'avez-vous pas réformée quand vous pouviez le faire ? L'anti-sarkozysme n'est pas une politique ! (Exclamations à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Mais c'est une réalité ! (Sourires)
La discussion générale est close.
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Article 5
M. le président. - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 6
Remplacer la référence :
486-4
par la référence :
486-5
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Amendement de coordination.
L'amendement n°1, accepté par la commission, est adopté.
M. le président. - Le Sénat va se prononcer sur l'ensemble du texte assorti de l'amendement n°1.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public par les groupes UMP et socialiste. Pour l'information du Sénat, je signale que mandat a été donné par les non-inscrits et l'Union centriste à l'UMP.
M. Jean-Pierre Sueur. - Les non-inscrits et le groupe centriste ont donné mandat : il faut en conclure qu'aucun représentant de ces groupes n'est présent... cela mérite réflexion. Manifestement, certains groupes ont fait preuve d'une ferveur toute particulière pour venir soutenir, monsieur le garde des sceaux !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Pour défendre le MRP, toujours !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous avez été bien succinct, et quelque peu politicien, monsieur le ministre.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Vous, vous ne l'êtes jamais !
M. Jean-Pierre Sueur. - Le sujet, ce n'est pas l'anti-sarkosysme. Vous remettez en cause, sur le fond, la justice des mineurs : c'est très grave. (M. le ministre proteste) Vous mettez en cause le fruit de la pensée de la Résistance, celle du général de Gaulle.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Et de François de Menthon !
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela ne peut se passer dans le silence et l'indifférence.
Quelle démagogie que de dire que nous serions opposés à la présence de citoyens dans les juridictions. Mais vous savez qu'il n'y aura pas les moyens de les rémunérer, de les former !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - C'est faux !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous savez que tout cela n'est qu'opération de communication, pour tenter de faire croire que l'on mettrait fin au prétendu laxisme des magistrats !
J'attends toujours votre réponse, monsieur le ministre, à une lettre de sept pages que je vous ai adressée. Le tribunal correctionnel de mon département ne peut plus payer les frais de justice !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - L'un des deux ! J'ai visité l'autre.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cette opération de communication ne convaincra que ceux qui voudront bien vous croire.
A la demande des groupes UMP et socialiste, les conclusions de la CMP, modifiée par l'amendement n°1, sont mises aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 172 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
Enchères publiques (CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
Discussion générale
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la CMP. - Nous arrivons à la dernière étape du long cheminement d'un texte indispensable et très attendu. Merci à MM. Marini et Gaillard de cette proposition de loi, déposée en... 2008. La France va enfin se mettre en conformité avec la directive Services, avec dix-huit mois de retard, juste avant d'être condamnée.
Le texte apporte aux opérateurs de ventes aux enchères des conditions plus compétitives, face à une forte concurrence internationale. La proposition de loi va au bout de la logique engagée en juillet 2000.
L'Assemblée nationale a largement validé les orientations du Sénat, notamment sur la présence de professionnels en exercice au conseil des ventes.
Restait en discussion le problème des opérateurs autorisés à organiser des ventes volontaires aux enchères publiques. Un huissier de justice de la Sarthe s'est vanté de faire des ventes volontaires son activité principale, alors même qu'existe un commissaire-priseur au chef-lieu !
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - Il aurait mieux fait de se taire !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Le Sénat a souhaité assurer une égalité de traitement entre les différentes professions. Pour les huissiers de justice, ces activités doivent rester accessoires. Le Sénat a voulu fixer un plafond de chiffre d'affaires ; l'Assemblée nationale l'a rejeté. La CMP a trouvé un accord grâce au ministre. L'accessoire devra se limiter au tiers du produit de l'office. Ce pourrait même n'être qu'autour de 20 % !
Les instances disciplinaires ou le juge devraient également se référer au volume des ventes réalisées dans un tribunal de grande instance donné, afin d'éviter les distorsions de concurrence. Il s'agit simplement d'appliquer la loi ! Le Parlement ne manquera pas d'y veiller.
Nous sommes parvenus à un équilibre satisfaisant. Ce texte est une réforme cruciale pour l'avenir des ventes aux enchères en France : le Parlement aura bien travaillé !
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - Je me réjouis que la CMP soit parvenue à un accord sur cette proposition de loi, qui parachève la transposition de la directive Services.
Il s'agit aussi de redonner à la France sa place dans le marché des ventes aux enchères. Le Sénat a enrichi significativement la proposition de loi initiale, en préservant les caractéristiques essentielles de ces ventes : l'intervention d'un tiers et l'adjudication. La création du Conseil des ventes volontaires est une avancée.
Les mesures de simplification sont propres à renforcer la compétitivité du secteur, comme la modernisation du statut des opérateurs. L'Assemblée nationale vous a très largement suivis.
La CMP s'est accordée sur le caractère « accessoire » de la part des enchères publiques effectuées par les huissiers et notaires. Le statut d'officier public est maintenu ; pour les ventes en gros, le rôle des différents opérateurs est équilibré. Ce texte va dans le bon sens. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mézard. - Trois ans après son dépôt, cette proposition de loi parvient au terme d'un processus législatif que j'avais qualifié de sinueux en avril. L'Assemblée nationale et le Sénat sont tombés d'accord sur un texte que nous voterons unanimement, en regrettant que la méthode de transposition de la directive Services tranche par tranche ne nous ait pas permis de tenir les délais. Mais la surcharge de notre ordre du jour nous contraint de travailler dans l'urgence... ce qui revient à dire que plus rien n'est urgent !
Notre système de ventes publiques est en crise : les ventes d'objets d'art ou de chevaux ont chuté. Les grandes maisons anglo-saxonnes dominent le marché de l'art. Après la fin du monopole des commissaires-priseurs, il fallait redonner de l'attractivité et du dynamisme au secteur.
Ce texte vise en fait surtout les petites sociétés de vente volontaire, présentes dans les zones rurales. Les effets de la concentration pourraient être désastreux pour elles. C'est pourquoi nous continuons à considérer que l'article 4 ne doit pas conduire à favoriser de façon disproportionnée les opérateurs dont ce n'est pas l'activité principale. La vente de gré à gré doit demeurer une fonction spécialisée requérant une formation précise. Nous aurions préféré une rédaction plus stricte.
Nous approuvons les articles 19 et 22 sur la nouvelle réglementation du secteur : celui-ci brasse plus de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, avec les tentations que cela induit.
L'ensemble du groupe RDSE votera ce texte.
M. Jean-Claude Peyronnet. - La discussion en CMP a porté seulement sur le point de savoir si le caractère « accessoire » allait s'exprimer par un pourcentage ou pas. Les choses avaient assez duré, il était sage d'en finir, monsieur le président. Nous étions favorables à un pourcentage et nous étions ralliés, en séance, à un amendement Des Esgaulx.
Tous ceux qui ont travaillé un peu sur cette matière aride en ont vu la complexité. Des privilèges existent encore, à un mois du 4 août. Mettons que ce ne sont pas des privilèges mais des avantages corporatifs... Avec internet et la mondialisation, les professions en question devraient évoluer plus que ne le préconise ce texte, qui apporte des évolutions intéressantes mais trop marginales pour qu'on puisse en attendre un coup de fouet au marché de l'art français.
Comme lors de la précédente lecture, nous nous abstiendrons.
M. Christophe-André Frassa. - Il s'agissait de transposer les dispositions de la directive Services concernant les ventes volontaires tout en approfondissant la libéralisation du secteur. Il s'agissait aussi de revenir sur la loi de 2000 sur les commissaires-priseurs. La transposition de la directive donne à la France l'occasion de renforcer ses positions face aux grandes sociétés internationales de vente aux enchères publiques.
Le Conseil des ventes volontaires recevra le statut d'établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale. Il sera donc de droit privé. Nous avons jugé opportun de lui donner possibilité de proposer des modifications réglementaires et législatives. La CMP a précisé les critères d'appartenance à ce conseil, où la présence des professionnels en activité devrait rester marginale.
Les sanctions applicables sont graduées en fonction de la gravité des faits reprochés. La prescription a été ramenée de trois à deux ans.
La CMP n'a pas reconnu le caractère complémentaire d'activité de diffusion et de transport que pourraient accepter les sociétés de ventes volontaires.
Nous nous satisfaisons qu'un texte équilibré ait été retenu. Consciente que la Commission européenne est très attentive aux délais de transposition, l'UMP se réjouit de voter ce texte qui engage une réforme nécessaire. (Applaudissements sur les bancs UMP)
La discussion générale est close.
Vote sur le texte élaboré par la CMP
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - L'amendement Houillon, adopté en CMP, est moins satisfaisant que ce que proposait le président Hyest. L'objectif affiché était la préservation de la compétitivité de notre marché de l'art. Mais ce texte est issu du lobbying intense de Christie's et Sotheby's !
Les premiers touchés seront les acteurs répartis sur notre territoire. Le caractère représentatif de ces ventes sera renforcé et les petits acteurs n'auront qu'à mettre la clé sous la porte.
Persistant dans notre inquiétude, nous voterons contre.
M. Yann Gaillard. - J'avais été irrité que, du fait de la réforme constitutionnelle, ce soit le texte de la commission qui vienne en discussion, et pas celui de notre proposition de loi. Mais enfin, ce texte est satisfaisant. Notre marché de l'art doit être défendu, et ce n'était certainement pas en mettant les oeuvres d'art dans l'assiette de l'ISF qu'on l'aurait fait !
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
La séance est suspendue à 16 h 55.
*
* *
La séance reprend à 17 heures.
Conseillers territoriaux (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.
Discussion générale
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. - Le Conseil constitutionnel a invalidé, pour vice de procédure, la loi sur les conseillers territoriaux, considérant qu'un tel projet de loi devait être soumis d'abord au Sénat, selon l'article 39 de la Constitution.
M. Christian Cointat. - Très bien !
M. Philippe Richert, ministre. - On était là dans un cas limite. La jurisprudence était douteuse, le Conseil a tranché. Le Gouvernement en prend acte et vous présente un texte absolument identique à celui qui avait été adopté conforme par les deux assemblées. Nous n'avons donc pas perdu le sens de l'essentiel ! La réforme des collectivités, voulue par le président de la République, est en marche.
Je vous invite à renouveler le vote positif que vous avez déjà émis deux fois. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Jacques Hyest, en remplacement de M. Jean-Patrick Courtois rapporteur de la commission des lois. - Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution du projet de loi mais jugé que l'écart, supérieur à 20 % dans certains départements, était disproportionné. Nous avons donc modifié le tableau le 7 juin dernier et fait en sorte que l'écart ne soit supérieur à 20 % dans aucun département, sinon certains de ceux ayant le nombre minimum de conseillers.
Le deuxième alinéa de l'article 39 dispose que les projets de loi ayant pour objet les institutions territoriales doivent être déposés en première lecture sur le bureau du Sénat. Nous pourrons réfléchir à ce propos sur la « règle d'or », ce qui nous amènera sans doute à modifier la Constitution... La jurisprudence sur l'article 39 était extrêmement lacunaire. Le Conseil semblait avoir retenu une interprétation très restrictive. A cela s'ajoutait qu'un texte électoral ne relevait pas de l'organisation des collectivités. Les choses sont désormais claires. La commission des lois s'en réjouit, d'autant que la primauté du Sénat est ainsi reconnue.
Saisi pour la troisième fois du texte sur le tableau des conseillers territoriaux, je ne voudrais pas m'éterniser à son propos, au risque de lasser. (Protestations aimables) La commission vous propose d'adopter le texte sans modification. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Vous comprendrez notre satisfaction que le Conseil constitutionnel nous ait donné raison au moins sur ce point ! Votre argument à l'époque était trop subtil... Chacun avait compris que vous teniez à ce que l'Assemblée nationale adopte le texte avant le Sénat, pour peser sur celui-ci.
Ce texte, inacceptable, est mal accepté par les élus, de quelque bord politique qu'ils soient. L'entreprise était de supprimer les départements et la plupart des communes. Mais vous n'aviez pas l'accord des citoyens ni celui des élus, ni la majorité pour modifier la Constitution... Alors vous avez organisé la discussion en plusieurs temps et nous n'en avons pas encore fini.
Vous revenez sur les lois de décentralisation de 1982 faisant des régions des collectivités à part entière, avec assemblée élue au suffrage universel direct. Vos conseillers territoriaux sont élus dans des conditions qui les éloignent à la fois des cantons et des citoyens, la suppression de la compétence générale vous permettant de moins répondre aux besoins sociaux ! A quoi s'ajoute la réforme de la fiscalité locale.
Dès la loi de 2010, nous avons critiqué le fait qu'un bouleversement comme celui que vous entrepreniez ne fasse l'objet ni de révision constitutionnelle ni de consultation populaire.
Le Conseil constitutionnel a omis de se pencher sur l'application du principe d'égale représentation des populations -principe qu'il a pourtant lui-même posé.
Vous distinguez volontiers population et territoire, mais qu'est-ce qu'un territoire sans population ? Le Conseil ne s'est pas préoccupé du recul de la parité et du pluralisme. Sans doute devrait-il faire lui-même l'objet d'une réforme constitutionnelle...
Vous déclarez vouloir limiter le nombre et le coût des élus -quand bien même ceux-ci ne coûtent pas bien cher et que la création du conseiller territorial aura un coût car il faudra bien lui donner les moyens de son fonctionnement. Nous ne connaissons pas encore le découpage des cantons...
Un tel texte ne mérite rien d'autre que les oubliettes, après les prochaines échéances électorales. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Mirassou. - Il y a quelques semaines, je vous confiais ma fascination et ma consternation ; aujourd'hui, c'est la lassitude et l'indignation. Nous voici de nouveau convoqués pour débattre de cette réforme dont on n'a pas fini de découvrir les vices cachés. Le Gouvernement a commis une erreur monumentale. Le 7 juin, je demandais comment il se faisait que le Sénat soit amené à se prononcer après l'Assemblée nationale, laquelle s'était déterminée le 10 mai -quel symbole que cette date anniversaire ! Le Conseil a jugé que la fixation des effectifs des assemblées délibérantes faisait partie de l'organisation des collectivités territoriales.
Fin 2010, ce texte a été adopté -de justesse- sur une injonction de l'exécutif, marquant son mépris pour les élus locaux. Et voilà comment nous y revoici ! Une gestation aussi chaotique risque fort d'entamer la crédibilité du futur conseiller territorial, cette créature hybride que vous voulez créer à tout prix, avec un amateurisme qui a mené à cette double censure du Conseil constitutionnel.
Sur le fond du texte, cette réforme entraîne une confusion nuisible des fonctions et portera atteinte à la libre administration des collectivités locales. Le Conseil constitutionnel a opéré un zoom sur le tableau des répartitions, en se contentant d'une frappe chirurgicale.
Alors que votre RGPP est censée tailler dans le gras de l'État, vous allez créer une nouvelle dépense avec ce conseiller territorial. Après quoi, vous répéterez sans doute vos incriminations en gabegie des élus locaux !
La Haute-Garonne seule désignera 90 conseillers territoriaux -soit autant que de conseillers régionaux actuels !- alors que l'Ariège n'en aura plus que 15. Le Gouvernement se prépare à une nouvelle partie de plaisir avec le découpage des nouveaux cantons.
Les ordinateurs du ministère de l'intérieur doivent commencer à chauffer ! Et je pense que certains ont des informations que nous n'avons pas...
Enfin, l'élection du conseiller territorial se fera au détriment de la parité.
Ces arguments maintes fois évoqués sont toujours d'actualité. Les récentes cantonales -remportées par la gauche- ont prouvé l'attachement de la population à ses élus locaux. Cette réforme dangereuse prive conseils généraux et conseils régionaux de compétences qui viennent à peine de leur être dévolues ; elle planifie à l'horizon 2015 la disparition de la clause de compétence générale, nouvelle atteinte à la libre administration des collectivités.
Et le feuilleton continue. La nouvelle carte de l'intercommunalité, réalisée à marche forcée, est tout aussi contestée. Une réforme des collectivités doit se faire sur la base du volontariat, non sous les injonctions des préfets ou de la place Beauvau, prompts à nier la réalité départementale et celle des syndicats communaux.
Les travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales ont été balayés ; je crains que cette délégation ne serve que d'alibi. Pourquoi s'acharner à imposer une réforme aussi contestée ? En votant contre le tableau, le Sénat disqualifiera cet élu nocif qu'est le conseiller territorial. Il est encore temps de faire preuve de lucidité !
M. Jacques Mézard. - Le Gouvernement a considéré qu'en sus d'une session extraordinaire destinée à éponger un trop plein législatif qui pouvait attendre, il convenait d'infliger au Parlement une nouvelle lecture de ce texte. Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage... Il vous reste encore 97 tentatives pour arriver à un bon texte... Mais il n'est de pire sourd que celui qui ne veut entendre.
Le bégaiement législatif a de beaux jours devant lui, disais-je de façon prémonitoire le 19 janvier 2010. Le Gouvernement avait écarté toute discussion sur le mode de scrutin et le nombre de conseillers territoriaux, renvoyés au projet de loi n°61. De tableau, ici, il n'y eut donc point. Mais il apparut miraculeusement devant l'Assemblée nationale, à la suite des gesticulations législatives que vous opérâtes. (On apprécie)
Le terrain législatif était glissant : vous vous y êtes étalé. Il y a un mois, nous vous avons encore averti ; il fallait que le Conseil constitutionnel précisât son interprétation. Ce texte contournait, avec préméditation, la primauté du Sénat. « C'est un grand tort d'avoir raison », disait Edgar Faure.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - « D'avoir raison trop tôt » !
M. Jacques Mézard. - Pourquoi la procédure accélérée ? La réforme ne s'appliquera qu'en 2014. Outre le projet de loi n°61, que vous avez allègrement désossé, on attend un texte organique -déposé le 21 octobre 2009 ; pour ces textes, c'est la stagnation plutôt que l'urgence...
L'introduction du tableau à l'Assemblée nationale, par un amendement du Gouvernement, montre bien l'absence de cohérence de tout le dispositif. Ce texte ne fait que colmater la loi du 16 décembre 2010. Il fallait procéder au plus vite au redécoupage cantonal, dont les critères restent flous. La répartition, même validée par le Conseil constitutionnel, entraîne une distorsion de la représentation, ce qui pose la question de l'égalité de suffrage. Les écarts sont très disproportionnés.
Le Sénat doit être saisi en premier des textes portant sur les collectivités territoriales : nous le disons depuis le début avec opiniâtreté. Avec la même opiniâtreté, nous voterons majoritairement contre ce texte, dont l'accouchement difficile est le gage d'un avenir encore plus difficile. (Applaudissements à gauche)
M. Éric Doligé. - La création du conseiller territorial a été voulue par la majorité et le président de la République. En 2004, je souhaitais déjà un rapprochement entre conseillers généraux et conseillers régionaux. Ne me dites pas que la population distingue vraiment les rôles de l'un et de l'autre ! La création du conseiller territorial s'imposait, dont l'existence a été validée par le Conseil constitutionnel.
L'argument de la surcharge de travail ne tient pas, venant de gens qui cumulent leur mandat parlementaire avec la direction d'un exécutif local ou d'un EPCI, ou encore d'autres fonctions non moins prenantes. On ne peut pas non plus faire valoir un effacement du département. Si le tableau n'a pas été validé, ce n'est pas pour des raisons de fond. Monsieur le ministre, vous avez eu l'intelligence de faire en sorte que les rapprochements démographiques se fassent sur le plan départemental mais aussi régional. Dans les six régions où la répartition des sièges avait suscité la censure du Conseil constitutionnel, les effectifs des départements ont été adaptés pour respecter la règle des 20 %.
Je salue le travail du président et du rapporteur de la commission. Le conseiller territorial est le trait d'union entre l'échelon local et l'assemblée régionale ; en mettant fin aux guerres picrocholines, nous achèverons le chantier de la clarification, que nous n'avons pas su faire aboutir depuis trente ans. La complémentarité des deux assemblées sera renforcée, d'où plus de réactivité et de cohérence. Nous faisons le pari de l'intelligence des territoires. Je n'ose croire que nos collègues ne seront pas unanimes à partager notre ambition pour les élus locaux !
Le groupe UMP votera ce texte avec conviction et espérance pour l'avenir de nos territoires. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Claude Peyronnet. - Cette réforme est poursuivie par la malchance ! Elle finira par être abrogée... quand nous serons au pouvoir, l'an prochain.
M. Philippe Richert, ministre. - Vous tracez clairement la voie...
M. Jean-Claude Peyronnet. - Nous sommes contre cette invention imposée aux Français, qui ne figurait dans aucun programme électoral ! Mais il fallait récupérer par la loi le terrain perdu dans les urnes ! Voilà le seul objectif du président de la République -qui n'hésite pas, pour ce faire, à bouleverser le paysage institutionnel, en préparant de facto l'évaporation de l'échelon départemental, comme disait M. Balladur.
On établit la confusion entre des niveaux qui exercent des compétences différentes : le millefeuille n'existe pas en France plus qu'ailleurs ! Il est faux de dire qu'on fera des économies. Cumulant deux fonctions, le conseiller territorial ne pourra exercer d'autre métier : il faudra rapidement un véritable statut de l'élu. Nous sommes contre cet élu hybride, contre la mise à mal de la parité.
Cette réforme doit être remise dans son contexte, celui des ressources des collectivités territoriales. La réforme de la taxe professionnelle a remplacé des produits fiscaux par des dotations d'État : revient la tutelle, qui avait disparu depuis 1982. Raison de plus pour voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Richert, ministre. - La gauche se réjouit de la censure du Conseil constitutionnel. Naguère, elle le critiquait avec véhémence, mettant en cause son indépendance. MM. Bartolone et Lebreton l'ont qualifié de « juridiction politique » après le rejet des QPC qu'ils avaient introduites.
M. Éric Doligé. - Scandaleux !
M. Philippe Richert, ministre. - Le Conseil constitutionnel a invalidé le texte car nous n'avions pas la même interprétation de l'article 39 de la Constitution. Le nombre de conseillers territoriaux concernait-il « principalement » l'organisation des collectivités territoriales ? Le Conseil constitutionnel a tranché. Sur tous les autres aspects, il a donné raison au Gouvernement et à la majorité.
Nous respectons ses décisions, quelles qu'elles soient, favorables ou non.
M. Mirassou s'est inquiété des poids respectifs futurs de l'Ariège et de la Haute-Garonne. Aujourd'hui, l'Ariège compte 5 conseillers régionaux sur 91, soit 5,5 % ; demain ce sera 5,9 %. On ne peut donc pas dire que son poids relatif diminue ! Idem si on compare l'évolution de ce dernier par rapport à celui de la Haute-Garonne !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Je parlais des conseillers généraux !
M. Philippe Richert, ministre. - Il convient de voter ce texte. Il est plus que jamais nécessaire de passer à l'étape suivante. (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Comptez sur nous !
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région (procédure accélérée).
M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai voté naguère avec ferveur les lois de décentralisation de Pierre Mauroy et Gaston Defferre. Ensuite, nous avons voté la loi de 1992, puis celle de 1999, facteurs de grands progrès.
M. Philippe Richert, ministre. - Et celle de 1995 ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Elle fut moins marquante. Quel enthousiasme, quel changement, quel mouvement ! Et nous voici à examiner une nouvelle fois un texte dont bien des sénateurs ne voulaient pas, ou pour lequel ils ont manifesté un enthousiasme quelque peu frelaté...
Je ne reviendrai pas sur les épisodes... 335 voix contre 5 pour dire que l'on ne parlera pas des compétences. Extraordinaire ! Je ne parlerai pas plus des deux voix de majorité, dont celle du président, pour voter ce texte. Je ne parlerai pas de la CMP qui a failli échouer -avant que le groupe centriste ne se range sous la bannière de l'UMP, une fois « au moins égal à 12,5 % » transformé en « égal au moins à 12,5 % » ! L'affaire était mal partie, embourbée, personne n'en voulait sauf l'Élysée... Tout ça pour en arriver là ! Quand c'est mal parti, ça se voit et ça continue jusqu'au bout...
Les finances des collectivités territoriales... Avec la réforme de la taxe professionnelle, les élus locaux voient leurs ressources fondre. Les dotations de l'État aussi. Et il y a beaucoup à faire en matière de péréquation.
L'absence de prévisibilité, subséquente à la suppression de la taxe professionnelle, laisse les élus locaux dans le brouillard. Nous pourrions faire l'histoire des dotations de compensation...
M. Philippe Richert, ministre. - L'APA ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - La vignette automobile ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Les élus sont dans une incertitude totale pour 2012. Je pense à certaines communes proches d'une centrale nucléaire. Deux décrets sont à venir : où en sont-ils ? S'agissant des finances, les élus locaux sont inquiets !
M. Éric Doligé. - Il ne faut pas attiser leurs inquiétudes !
M. Jean-Pierre Sueur. - Je dis la vérité ! (Exclamations amusées à droite) Vous avez dit la vôtre, je dis la mienne.
Pour les compétences, on ne distingue ni le dessein ni le dessin ? On n'y voit goutte. On est dans l'imprévisible et dans l'invisible.
Vos prédécesseurs, monsieur le ministre, s'insurgeaient lorsque nous parlions de recentralisation. Or nous voyons bien ce qui se passe avec la carte de l'intercommunalité. Le ministère de l'intérieur donne des instructions...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Ce sont des suggestions.
M. Jean-Pierre Sueur. - Appuyées. Supprimer des syndicats ? Parfois, on ne peut faire sans ! Quand il y a une nécessité concrète, il faut les maintenir ! Pensez aux syndicats de rivière !
Toute commune devra appartenir à une communauté de communes, avec un seuil de 5 000 habitants. Soit. Mais au-delà...
M. Pierre Martin. - Hors sujet !
M. Jean-Pierre Sueur. - L'intercommunalité a été un succès : la liberté communale a été bénéfique ; n'allons pas au-delà de ce que prévoit la loi. Ce n'est pas au préfet de fixer le périmètre de l'intercommunalité !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Ce n'est pas le cas !
M. Jean-Pierre Sueur. - Puisqu'il faut conclure, je tente...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - De revenir au sujet ? (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur. - Je vais donc féliciter le rapporteur, qui, en termes choisis, écrit que le Conseil constitutionnel « a clarifié sa jurisprudence sur la priorité du Sénat ». Moi, je dis que le Gouvernement s'est planté ! Je plaide sans espoir mais « les chants désespérés... »
M. André Dulait. - « ...sont les chants les plus beaux ».
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous vous êtes obstinés à faire voter une réforme qui ne passe pas dans les coeurs ; au fond de vous-mêmes, vous savez que ce n'est pas là la nécessaire troisième étape de la décentralisation. Réfléchissez encore ! L'avenir dira qui avait raison dans cette affaire. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Richert, ministre. - C'est sûr.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Il s'agit ici du tableau. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'article 39 n'était pas fixée ; certains, et pas seulement dans l'opposition, avaient souligné le problème de la priorité du Sénat. Convenez qu'il est parfois difficile de voter une exception d'irrecevabilité... A un Premier ministre qui se plaignait d'une décision du Conseil constitutionnel -M. Balladur, pour ne pas le nommer-, je rappelais qu'il y a une autorité supérieure au Conseil constitutionnel : le constituant. Et l'on est allé à Versailles sur le droit d'asile.
Le conseiller territorial, la libre administration des collectivités territoriales, tout cela a été validé. Relisez le considérant du Conseil constitutionnel sur la clause de compétence générale : elle n'a jamais existé en droit ! Seul l'État a une compétence générale. Le droit d'initiative, c'est autre chose.
Le tableau a été validé, il est présenté en premier au Sénat. Tout est bien. Il faut rejeter la motion.
M. Philippe Richert, ministre. - Je partage les analyses du président Hyest et vous demande de rejeter cette motion.
M. Sueur trouve anormal que l'on fasse un texte sur les modalités d'élection des assemblées territoriales sans préciser leurs compétences. Mais la loi du 2 mars 1982 ne parlait pas davantage des compétences et renvoyait à des textes ultérieurs. Merci de m'avoir permis de le rappeler !
Oui, il y a un besoin de péréquation. Mais vous défendez les communes riveraines d'une centrale nucléaire, et qui sont donc, par définition, riches ! Comprenez que j'appelle au rejet de la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il n'est pas vrai, monsieur le ministre, que les communes riveraines d'une centrale nucléaire soient toutes riches. Certaines ont profité de ces ressources pour construire de nombreux équipements.
M. Charles Pasqua. - Qu'est-ce que ça peut vous faire ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Je vous y invite ! Ces communes ne savent absolument pas quelles seront leurs ressources pour 2012. Les décrets annoncés n'ont toujours pas été publiés.
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°5, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.
Mme Éliane Assassi. - Le Parlement a autre chose à faire que de revenir encore sur ce texte, à la suite d'erreurs manifestes -ou de coups tordus volontaires.
Ce n'est pourtant pas faute de vous avoir alertés ! M. Voguet vous avait démontré l'inconstitutionnalité de ce projet de loi. Vous avez été 187 sénateurs à dire constitutionnel un texte que le Conseil a déclaré inconstitutionnel quelques jours ensuite.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - C'est souvent un texte voté que le Conseil dit anticonstitutionnel...
Mme Éliane Assassi. - Vous voyez ce que je veux dire : que le Gouvernement n'est pas un bon conseiller.
Le texte nous est présenté comme simple mais à chaque fois qu'il nous est soumis, nous voyons mieux les problèmes qu'il soulève. Nous étions les seuls à évoquer le lien entre la question du périmètre des intercommunalités et celle du découpage cantonal : maintenant, tout le monde le reconnaît... La diminution drastique du nombre d'EPCI crée de nouveaux territoires élargis qui pourront accueillir un ou plusieurs cantons. Votre charcutage électoral sera facilité !
Il faut donc découpler dans le temps les deux procédures. D'où cette motion de procédure.
Quid du fameux projet de loi n°61 ? On n'en entend plus parler, puis vous l'annoncez pour l'automne afin d'apporter les nécessaires correctifs au texte du 16 décembre dernier. Nous souhaitons que le tableau de répartition soit introduit dans ce futur projet n°61. Nouvelle motivation de cette motion.
Enfin, le Parlement ne dispose pas des éléments nécessaires à une décision éclairés. Quelles seront les écarts à la moyenne ? Quelle sera la référence ? Régionale ou pas ? Le nombre d'élus qu'on nous demande d'adopter sera-t-il suffisant ? Votre définition théorique pourra-t-elle être appliquée ? Sera-t-il possible de tordre assez les territoires dans le sens voulu ? Va-t-on vers des écarts très importants entre les nombres d'habitants par canton ? Nous ignorons où passeront les ciseaux du découpage ou les couteaux du charcutage : nous savons seulement qu'il s'agira de favoriser le parti majoritaire dans la majorité.
En adoptant ce projet de loi en l'état, le Parlement signerait un chèque en blanc au Gouvernement, puisqu'aucune étude d'impact n'a été réalisée. C'est notre dernière raison de défendre cette motion. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - La commission commence à connaître ce texte, que nous étudions pour la troisième fois. Et il faut un tableau pour faire un découpage !
Il y aurait des choses à dire sur votre souci des collectivités. Vous avez eu des mots extraordinaires sur les intercommunalités !
La commission est défavorable à cette motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Perseverare diabolicum !
M. Philippe Richert, ministre. - Il n'est question dans ce texte que du tableau. Mme Assassi craint que, peut-être, un jour, l'équilibre entre cantons ne soit pas respecté. Qu'en est-il aujourd'hui ? Un rapport de 1 à 46 entre deux cantons du Var ! Nous irons forcément dans le sens d'une plus grande équité, sous le regard du juge administratif, en l'occurrence le Conseil d'État.
Je demande le rejet de cette motion.
La motion n°5 n'est pas adoptée.
Discussion des articles
Article additionnel
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 1er de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales est abrogé.
M. Jean-Pierre Sueur. - Une fois encore, nous marquons notre opposition à cet être hybride, incertain, imprécis qui, par son existence même, prétend institutionnaliser le cumul des mandats.
Nous avons tellement souligné les aspects néfastes du conseiller territorial que, si vous le permettez, je m'en tiendrai là pour la défense de cet amendement. (Sourires)
M. Charles Pasqua. - Bravo pour la brièveté !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - La commission des lois a toujours soutenu la création des conseillers territoriaux.
M. Philippe Richert, ministre. - Même avis défavorable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - J'avais déposé le même amendement en commission des lois. Les réponses du ministre ne suffisaient pas : nos inquiétudes sont largement partagées par les élus locaux. Nous répétons que cette réforme n'est pas dans l'intérêt des collectivités locales.
M. Christian Cointat. - On en reparlera dans quelques années !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous ne nous en priverons pas ! C'est de tout autre chose que nos collectivités ont besoin.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
Article premier
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous vous reprocheriez notre inconséquence si nous ne présentions pas un tel amendement ! (Sourires)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Vous me surprenez de minute en minute ! (Nouveaux sourires)
La commission, par cohérence également, est défavorable.
M. Philippe Richert, ministre. - Je confirme l'opposition du Gouvernement.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
Article 2
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est un amendement subséquent ! (Rires)
L'amendement n°4 est devenu sans objet.
L'article 2 est adopté.
Interventions sur l'ensemble
M. Claude Léonard. - J'ai, lors de la précédente lecture, dit mon désaccord avec ce texte, si défavorable à mon département de la Meuse. L'amplitude du nombre de conseillers territoriaux va de 1 à 4,65. Mon département comptera 15 conseillers territoriaux ; certains départements voisins, moins peuplés, en compteront 19, voire 23 ! On est loin de la règle des 20 %. La France serait-elle subrepticement devenue un État fédéral ?
Le département de la Meuse a beaucoup donné à la Nation ; il donnera encore avec le site de stockage des déchets nucléaires. Je veux bien être saigné, mais pas qu'on me coupe les quatre membres dans ce but ! La Meuse a trop donné pour être traitée de la sorte. Je m'abstiendrai.
M. Jean-Jacques Mirassou. - Ce soir, le Sénat ne rend pas service à la démocratie de proximité. On ne voit que trop, derrière le texte, vos arrière-pensées !
Le Gouvernement et le président de la République veulent amorcer la normalisation des collectivités territoriales qui ont le grand tort de s'être dotées de majorités qui vous déplaisent.
Le premier acte a été la suppression de la taxe professionnelle, réforme à ce jour encalminée.
L'inquiétude est partagée, bien au-delà de la gauche. Vous voulez passer en force : soit, mais vous le ferez sans notre caution !
Comme le cheval qui regagne l'écurie, vous serez soulagés après avoir voté ce texte, mais le problème ne sera pas réglé pour autant. C'était pourtant une formidable occasion d'engager la troisième étape de la décentralisation ! Vous avez préféré travailler dans le dos des élus locaux pour casser la démocratie locale qui fonctionne depuis deux siècles : nous saurons vous le rappeler... et le leur rappeler ! (Applaudissements à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - On voit bien que vous êtes pressés ! Vous vous acharnez à faire voter ce texte. On le comprend. Mais contre quoi vous acharnez-vous ? Contre la proximité, en supprimant les conseillers généraux, proches des concitoyens, au profit des conseillers régionaux ? Contre le pluralisme et la parité, en supprimant la proportionnelle ? Contre l'autonomie des collectivités locales, reprises en main par le préfet ? Contre les citoyens, puisque vous réduisez la capacité des collectivités à faire fonctionner les services publics ?
L'opposition n'a pas ménagé sa peine. Mais elle n'est pas la seule. Il y eut aussi la commission Belot, les associations d'élus, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.
Bien entendu, nous voterons contre ce texte et nous continuerons à nous opposer aux prochaines étapes de votre réforme, avant qu'elle ne soit abrogée par une nouvelle majorité politique. (Applaudissements à gauche)
M. Yvon Collin. - Quelle extraordinaire perte de temps ! L'ordre du jour parlementaire est trop souvent surchargé par des textes médiatiques et inutiles.
La création du conseiller territorial nous avait été présentée comme une mesure phare contre le millefeuille administratif. Sans doute fallait-il rationaliser et simplifier notre architecture institutionnelle. Mais pas en créant cet élu déconnecté du terrain qui, à force d'être partout, ne sera nulle part.
On peut avoir juridiquement raison et politiquement tort. En l'occurrence, vous avez eu aussi juridiquement tort ! Votre obstination vous aura valu de passer aujourd'hui cette ultime épreuve de rattrapage à l'examen. Il est bon que le Conseil constitutionnel nous ait entendus. Mais ce texte accouché au forceps, fruit d'une concertation de façade, ne vous apportera qu'une victoire à la Pyrrhus de laquelle le Sénat sortira meurtri. Je ne peux que le déplorer, d'autant que j'avais souhaité en outre que les textes organisant les collectivités locales ne puissent être soumis à la règle du dernier mot de l'Assemblée nationale.
Aujourd'hui comme demain, la majorité du RDSE s'opposera au conseiller territorial en votant contre ce texte. (Applaudissements à gauche)
A la demande des groupes socialiste et de l'Union centriste, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 170 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les bancs UMP)
Prochaine séance demain, mardi 5 juillet 2011, à 10 heures.
La séance est levée à 19 h 15.
René-André Fabre,
Directeur
Direction des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du jeudi 13 janvier 2011
Séance publique
A 10 heures
1. Questions orales
A 14 heures 30 et le soir
2. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011 (n°653, 2010-2011).
Rapport de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°671, 2010-2011).