Conseillers territoriaux (Procédure accélérée)

M. le président.   - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.

Discussion générale

M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales.  - Le Conseil constitutionnel a invalidé, pour vice de procédure, la loi sur les conseillers territoriaux, considérant qu'un tel projet de loi devait être soumis d'abord au Sénat, selon l'article 39 de la Constitution.

M. Christian Cointat.  - Très bien !

M. Philippe Richert, ministre.  - On était là dans un cas limite. La jurisprudence était douteuse, le Conseil a tranché. Le Gouvernement en prend acte et vous présente un texte absolument identique à celui qui avait été adopté conforme par les deux assemblées. Nous n'avons donc pas perdu le sens de l'essentiel ! La réforme des collectivités, voulue par le président de la République, est en marche.

Je vous invite à renouveler le vote positif que vous avez déjà émis deux fois. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Hyest, en remplacement de M. Jean-Patrick Courtois rapporteur de la commission des lois.  - Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution du projet de loi mais jugé que l'écart, supérieur à 20 % dans certains départements, était disproportionné. Nous avons donc modifié le tableau le 7 juin dernier et fait en sorte que l'écart ne soit supérieur à 20 % dans aucun département, sinon certains de ceux ayant le nombre minimum de conseillers.

Le deuxième alinéa de l'article 39 dispose que les projets de loi ayant pour objet les institutions territoriales doivent être déposés en première lecture sur le bureau du Sénat. Nous pourrons réfléchir à ce propos sur la « règle d'or », ce qui nous amènera sans doute à modifier la Constitution... La jurisprudence sur l'article 39 était extrêmement lacunaire. Le Conseil semblait avoir retenu une interprétation très restrictive. A cela s'ajoutait qu'un texte électoral ne relevait pas de l'organisation des collectivités. Les choses sont désormais claires. La commission des lois s'en réjouit, d'autant que la primauté du Sénat est ainsi reconnue.

Saisi pour la troisième fois du texte sur le tableau des conseillers territoriaux, je ne voudrais pas m'éterniser à son propos, au risque de lasser. (Protestations aimables) La commission vous propose d'adopter le texte sans modification. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous comprendrez notre satisfaction que le Conseil constitutionnel nous ait donné raison au moins sur ce point ! Votre argument à l'époque était trop subtil... Chacun avait compris que vous teniez à ce que l'Assemblée nationale adopte le texte avant le Sénat, pour peser sur celui-ci.

Ce texte, inacceptable, est mal accepté par les élus, de quelque bord politique qu'ils soient. L'entreprise était de supprimer les départements et la plupart des communes. Mais vous n'aviez pas l'accord des citoyens ni celui des élus, ni la majorité pour modifier la Constitution... Alors vous avez organisé la discussion en plusieurs temps et nous n'en avons pas encore fini.

Vous revenez sur les lois de décentralisation de 1982 faisant des régions des collectivités à part entière, avec assemblée élue au suffrage universel direct. Vos conseillers territoriaux sont élus dans des conditions qui les éloignent à la fois des cantons et des citoyens, la suppression de la compétence générale vous permettant de moins répondre aux besoins sociaux ! A quoi s'ajoute la réforme de la fiscalité locale.

Dès la loi de 2010, nous avons critiqué le fait qu'un bouleversement comme celui que vous entrepreniez ne fasse l'objet ni de révision constitutionnelle ni de consultation populaire.

Le Conseil constitutionnel a omis de se pencher sur l'application du principe d'égale représentation des populations -principe qu'il a pourtant lui-même posé.

Vous distinguez volontiers population et territoire, mais qu'est-ce qu'un territoire sans population ? Le Conseil ne s'est pas préoccupé du recul de la parité et du pluralisme. Sans doute devrait-il faire lui-même l'objet d'une réforme constitutionnelle...

Vous déclarez vouloir limiter le nombre et le coût des élus -quand bien même ceux-ci ne coûtent pas bien cher et que la création du conseiller territorial aura un coût car il faudra bien lui donner les moyens de son fonctionnement. Nous ne connaissons pas encore le découpage des cantons...

Un tel texte ne mérite rien d'autre que les oubliettes, après les prochaines échéances électorales. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Il y a quelques semaines, je vous confiais ma fascination et ma consternation ; aujourd'hui, c'est la lassitude et l'indignation. Nous voici de nouveau convoqués pour débattre de cette réforme dont on n'a pas fini de découvrir les vices cachés. Le Gouvernement a commis une erreur monumentale. Le 7 juin, je demandais comment il se faisait que le Sénat soit amené à se prononcer après l'Assemblée nationale, laquelle s'était déterminée le 10 mai -quel symbole que cette date anniversaire ! Le Conseil a jugé que la fixation des effectifs des assemblées délibérantes faisait partie de l'organisation des collectivités territoriales.

Fin 2010, ce texte a été adopté -de justesse- sur une injonction de l'exécutif, marquant son mépris pour les élus locaux. Et voilà comment nous y revoici ! Une gestation aussi chaotique risque fort d'entamer la crédibilité du futur conseiller territorial, cette créature hybride que vous voulez créer à tout prix, avec un amateurisme qui a mené à cette double censure du Conseil constitutionnel.

Sur le fond du texte, cette réforme entraîne une confusion nuisible des fonctions et portera atteinte à la libre administration des collectivités locales. Le Conseil constitutionnel a opéré un zoom sur le tableau des répartitions, en se contentant d'une frappe chirurgicale.

Alors que votre RGPP est censée tailler dans le gras de l'État, vous allez créer une nouvelle dépense avec ce conseiller territorial. Après quoi, vous répéterez sans doute vos incriminations en gabegie des élus locaux !

La Haute-Garonne seule désignera 90 conseillers territoriaux -soit autant que de conseillers régionaux actuels !- alors que l'Ariège n'en aura plus que 15. Le Gouvernement se prépare à une nouvelle partie de plaisir avec le découpage des nouveaux cantons.

Les ordinateurs du ministère de l'intérieur doivent commencer à chauffer ! Et je pense que certains ont des informations que nous n'avons pas...

Enfin, l'élection du conseiller territorial se fera au détriment de la parité.

Ces arguments maintes fois évoqués sont toujours d'actualité. Les récentes cantonales -remportées par la gauche- ont prouvé l'attachement de la population à ses élus locaux. Cette réforme dangereuse prive conseils généraux et conseils régionaux de compétences qui viennent à peine de leur être dévolues ; elle planifie à l'horizon 2015 la disparition de la clause de compétence générale, nouvelle atteinte à la libre administration des collectivités.

Et le feuilleton continue. La nouvelle carte de l'intercommunalité, réalisée à marche forcée, est tout aussi contestée. Une réforme des collectivités doit se faire sur la base du volontariat, non sous les injonctions des préfets ou de la place Beauvau, prompts à nier la réalité départementale et celle des syndicats communaux.

Les travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales ont été balayés ; je crains que cette délégation ne serve que d'alibi. Pourquoi s'acharner à imposer une réforme aussi contestée ? En votant contre le tableau, le Sénat disqualifiera cet élu nocif qu'est le conseiller territorial. Il est encore temps de faire preuve de lucidité !

M. Jacques Mézard.  - Le Gouvernement a considéré qu'en sus d'une session extraordinaire destinée à éponger un trop plein législatif qui pouvait attendre, il convenait d'infliger au Parlement une nouvelle lecture de ce texte. Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage... Il vous reste encore 97 tentatives pour arriver à un bon texte... Mais il n'est de pire sourd que celui qui ne veut entendre.

Le bégaiement législatif a de beaux jours devant lui, disais-je de façon prémonitoire le 19 janvier 2010. Le Gouvernement avait écarté toute discussion sur le mode de scrutin et le nombre de conseillers territoriaux, renvoyés au projet de loi n°61. De tableau, ici, il n'y eut donc point. Mais il apparut miraculeusement devant l'Assemblée nationale, à la suite des gesticulations législatives que vous opérâtes. (On apprécie)

Le terrain législatif était glissant : vous vous y êtes étalé. Il y a un mois, nous vous avons encore averti ; il fallait que le Conseil constitutionnel précisât son interprétation. Ce texte contournait, avec préméditation, la primauté du Sénat. « C'est un grand tort d'avoir raison », disait Edgar Faure.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - « D'avoir raison trop tôt » !

M. Jacques Mézard.  - Pourquoi la procédure accélérée ? La réforme ne s'appliquera qu'en 2014. Outre le projet de loi n°61, que vous avez allègrement désossé, on attend un texte organique -déposé le 21 octobre 2009 ; pour ces textes, c'est la stagnation plutôt que l'urgence...

L'introduction du tableau à l'Assemblée nationale, par un amendement du Gouvernement, montre bien l'absence de cohérence de tout le dispositif. Ce texte ne fait que colmater la loi du 16 décembre 2010. Il fallait procéder au plus vite au redécoupage cantonal, dont les critères restent flous. La répartition, même validée par le Conseil constitutionnel, entraîne une distorsion de la représentation, ce qui pose la question de l'égalité de suffrage. Les écarts sont très disproportionnés.

Le Sénat doit être saisi en premier des textes portant sur les collectivités territoriales : nous le disons depuis le début avec opiniâtreté. Avec la même opiniâtreté, nous voterons majoritairement contre ce texte, dont l'accouchement difficile est le gage d'un avenir encore plus difficile. (Applaudissements à gauche)

M. Éric Doligé.  - La création du conseiller territorial a été voulue par la majorité et le président de la République. En 2004, je souhaitais déjà un rapprochement entre conseillers généraux et conseillers régionaux. Ne me dites pas que la population distingue vraiment les rôles de l'un et de l'autre ! La création du conseiller territorial s'imposait, dont l'existence a été validée par le Conseil constitutionnel.

L'argument de la surcharge de travail ne tient pas, venant de gens qui cumulent leur mandat parlementaire avec la direction d'un exécutif local ou d'un EPCI, ou encore d'autres fonctions non moins prenantes. On ne peut pas non plus faire valoir un effacement du département. Si le tableau n'a pas été validé, ce n'est pas pour des raisons de fond. Monsieur le ministre, vous avez eu l'intelligence de faire en sorte que les rapprochements démographiques se fassent sur le plan départemental mais aussi régional. Dans les six régions où la répartition des sièges avait suscité la censure du Conseil constitutionnel, les effectifs des départements ont été adaptés pour respecter la règle des 20 %.

Je salue le travail du président et du rapporteur de la commission. Le conseiller territorial est le trait d'union entre l'échelon local et l'assemblée régionale ; en mettant fin aux guerres picrocholines, nous achèverons le chantier de la clarification, que nous n'avons pas su faire aboutir depuis trente ans. La complémentarité des deux assemblées sera renforcée, d'où plus de réactivité et de cohérence. Nous faisons le pari de l'intelligence des territoires. Je n'ose croire que nos collègues ne seront pas unanimes à partager notre ambition pour les élus locaux !

Le groupe UMP votera ce texte avec conviction et espérance pour l'avenir de nos territoires. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Claude Peyronnet.  - Cette réforme est poursuivie par la malchance ! Elle finira par être abrogée... quand nous serons au pouvoir, l'an prochain.

M. Philippe Richert, ministre.  - Vous tracez clairement la voie...

M. Jean-Claude Peyronnet.  - Nous sommes contre cette invention imposée aux Français, qui ne figurait dans aucun programme électoral ! Mais il fallait récupérer par la loi le terrain perdu dans les urnes ! Voilà le seul objectif du président de la République -qui n'hésite pas, pour ce faire, à bouleverser le paysage institutionnel, en préparant de facto l'évaporation de l'échelon départemental, comme disait M. Balladur.

On établit la confusion entre des niveaux qui exercent des compétences différentes : le millefeuille n'existe pas en France plus qu'ailleurs ! Il est faux de dire qu'on fera des économies. Cumulant deux fonctions, le conseiller territorial ne pourra exercer d'autre métier : il faudra rapidement un véritable statut de l'élu. Nous sommes contre cet élu hybride, contre la mise à mal de la parité.

Cette réforme doit être remise dans son contexte, celui des ressources des collectivités territoriales. La réforme de la taxe professionnelle a remplacé des produits fiscaux par des dotations d'État : revient la tutelle, qui avait disparu depuis 1982. Raison de plus pour voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Richert, ministre.  - La gauche se réjouit de la censure du Conseil constitutionnel. Naguère, elle le critiquait avec véhémence, mettant en cause son indépendance. MM. Bartolone et Lebreton l'ont qualifié de « juridiction politique » après le rejet des QPC qu'ils avaient introduites.

M. Éric Doligé.  - Scandaleux !

M. Philippe Richert, ministre.  - Le Conseil constitutionnel a invalidé le texte car nous n'avions pas la même interprétation de l'article 39 de la Constitution. Le nombre de conseillers territoriaux concernait-il « principalement » l'organisation des collectivités territoriales ? Le Conseil constitutionnel a tranché. Sur tous les autres aspects, il a donné raison au Gouvernement et à la majorité.

Nous respectons ses décisions, quelles qu'elles soient, favorables ou non.

M. Mirassou s'est inquiété des poids respectifs futurs de l'Ariège et de la Haute-Garonne. Aujourd'hui, l'Ariège compte 5 conseillers régionaux sur 91, soit 5,5 % ; demain ce sera 5,9 %. On ne peut donc pas dire que son poids relatif diminue ! Idem si on compare l'évolution de ce dernier par rapport à celui de la Haute-Garonne !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Je parlais des conseillers généraux !

M. Philippe Richert, ministre.  - Il convient de voter ce texte. Il est plus que jamais nécessaire de passer à l'étape suivante. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Comptez sur nous !

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région (procédure accélérée).

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'ai voté naguère avec ferveur les lois de décentralisation de Pierre Mauroy et Gaston Defferre. Ensuite, nous avons voté la loi de 1992, puis celle de 1999, facteurs de grands progrès.

M. Philippe Richert, ministre.  - Et celle de 1995 ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Elle fut moins marquante. Quel enthousiasme, quel changement, quel mouvement ! Et nous voici à examiner une nouvelle fois un texte dont bien des sénateurs ne voulaient pas, ou pour lequel ils ont manifesté un enthousiasme quelque peu frelaté...

Je ne reviendrai pas sur les épisodes... 335 voix contre 5 pour dire que l'on ne parlera pas des compétences. Extraordinaire ! Je ne parlerai pas plus des deux voix de majorité, dont celle du président, pour voter ce texte. Je ne parlerai pas de la CMP qui a failli échouer -avant que le groupe centriste ne se range sous la bannière de l'UMP, une fois « au moins égal à 12,5 % » transformé en « égal au moins à 12,5 % » ! L'affaire était mal partie, embourbée, personne n'en voulait sauf l'Élysée... Tout ça pour en arriver là ! Quand c'est mal parti, ça se voit et ça continue jusqu'au bout...

Les finances des collectivités territoriales... Avec la réforme de la taxe professionnelle, les élus locaux voient leurs ressources fondre. Les dotations de l'État aussi. Et il y a beaucoup à faire en matière de péréquation.

L'absence de prévisibilité, subséquente à la suppression de la taxe professionnelle, laisse les élus locaux dans le brouillard. Nous pourrions faire l'histoire des dotations de compensation...

M. Philippe Richert, ministre.  - L'APA ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La vignette automobile ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les élus sont dans une incertitude totale pour 2012. Je pense à certaines communes proches d'une centrale nucléaire. Deux décrets sont à venir : où en sont-ils ? S'agissant des finances, les élus locaux sont inquiets !

M. Éric Doligé.  - Il ne faut pas attiser leurs inquiétudes !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je dis la vérité ! (Exclamations amusées à droite) Vous avez dit la vôtre, je dis la mienne.

Pour les compétences, on ne distingue ni le dessein ni le dessin ? On n'y voit goutte. On est dans l'imprévisible et dans l'invisible.

Vos prédécesseurs, monsieur le ministre, s'insurgeaient lorsque nous parlions de recentralisation. Or nous voyons bien ce qui se passe avec la carte de l'intercommunalité. Le ministère de l'intérieur donne des instructions...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ce sont des suggestions.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Appuyées. Supprimer des syndicats ? Parfois, on ne peut faire sans ! Quand il y a une nécessité concrète, il faut les maintenir ! Pensez aux syndicats de rivière !

Toute commune devra appartenir à une communauté de communes, avec un seuil de 5 000 habitants. Soit. Mais au-delà...

M. Pierre Martin.  - Hors sujet !

M. Jean-Pierre Sueur.  - L'intercommunalité a été un succès : la liberté communale a été bénéfique ; n'allons pas au-delà de ce que prévoit la loi. Ce n'est pas au préfet de fixer le périmètre de l'intercommunalité !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ce n'est pas le cas !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Puisqu'il faut conclure, je tente...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - De revenir au sujet ? (Sourires)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je vais donc féliciter le rapporteur, qui, en termes choisis, écrit que le Conseil constitutionnel « a clarifié sa jurisprudence sur la priorité du Sénat ». Moi, je dis que le Gouvernement s'est planté ! Je plaide sans espoir mais « les chants désespérés... »

M. André Dulait.  - « ...sont les chants les plus beaux ».

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous vous êtes obstinés à faire voter une réforme qui ne passe pas dans les coeurs ; au fond de vous-mêmes, vous savez que ce n'est pas là la nécessaire troisième étape de la décentralisation. Réfléchissez encore ! L'avenir dira qui avait raison dans cette affaire. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Richert, ministre.  - C'est sûr.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il s'agit ici du tableau. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'article 39 n'était pas fixée ; certains, et pas seulement dans l'opposition, avaient souligné le problème de la priorité du Sénat. Convenez qu'il est parfois difficile de voter une exception d'irrecevabilité... A un Premier ministre qui se plaignait d'une décision du Conseil constitutionnel -M. Balladur, pour ne pas le nommer-, je rappelais qu'il y a une autorité supérieure au Conseil constitutionnel : le constituant. Et l'on est allé à Versailles sur le droit d'asile.

Le conseiller territorial, la libre administration des collectivités territoriales, tout cela a été validé. Relisez le considérant du Conseil constitutionnel sur la clause de compétence générale : elle n'a jamais existé en droit ! Seul l'État a une compétence générale. Le droit d'initiative, c'est autre chose.

Le tableau a été validé, il est présenté en premier au Sénat. Tout est bien. Il faut rejeter la motion.

M. Philippe Richert, ministre.  - Je partage les analyses du président Hyest et vous demande de rejeter cette motion.

M. Sueur trouve anormal que l'on fasse un texte sur les modalités d'élection des assemblées territoriales sans préciser leurs compétences. Mais la loi du 2 mars 1982 ne parlait pas davantage des compétences et renvoyait à des textes ultérieurs. Merci de m'avoir permis de le rappeler !

Oui, il y a un besoin de péréquation. Mais vous défendez les communes riveraines d'une centrale nucléaire, et qui sont donc, par définition, riches ! Comprenez que j'appelle au rejet de la motion.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il n'est pas vrai, monsieur le ministre, que les communes riveraines d'une centrale nucléaire soient toutes riches. Certaines ont profité de ces ressources pour construire de nombreux équipements.

M. Charles Pasqua.  - Qu'est-ce que ça peut vous faire ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je vous y invite ! Ces communes ne savent absolument pas quelles seront leurs ressources pour 2012. Les décrets annoncés n'ont toujours pas été publiés.

La motion n°1 n'est pas adoptée.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°5, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.

Mme Éliane Assassi.  - Le Parlement a autre chose à faire que de revenir encore sur ce texte, à la suite d'erreurs manifestes -ou de coups tordus volontaires.

Ce n'est pourtant pas faute de vous avoir alertés ! M. Voguet vous avait démontré l'inconstitutionnalité de ce projet de loi. Vous avez été 187 sénateurs à dire constitutionnel un texte que le Conseil a déclaré inconstitutionnel quelques jours ensuite.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est souvent un texte voté que le Conseil dit anticonstitutionnel...

Mme Éliane Assassi.  - Vous voyez ce que je veux dire : que le Gouvernement n'est pas un bon conseiller.

Le texte nous est présenté comme simple mais à chaque fois qu'il nous est soumis, nous voyons mieux les problèmes qu'il soulève. Nous étions les seuls à évoquer le lien entre la question du périmètre des intercommunalités et celle du découpage cantonal : maintenant, tout le monde le reconnaît... La diminution drastique du nombre d'EPCI crée de nouveaux territoires élargis qui pourront accueillir un ou plusieurs cantons. Votre charcutage électoral sera facilité !

Il faut donc découpler dans le temps les deux procédures. D'où cette motion de procédure.

Quid du fameux projet de loi n°61 ? On n'en entend plus parler, puis vous l'annoncez pour l'automne afin d'apporter les nécessaires correctifs au texte du 16 décembre dernier. Nous souhaitons que le tableau de répartition soit introduit dans ce futur projet n°61. Nouvelle motivation de cette motion.

Enfin, le Parlement ne dispose pas des éléments nécessaires à une décision éclairés. Quelles seront les écarts à la moyenne ? Quelle sera la référence ? Régionale ou pas ? Le nombre d'élus qu'on nous demande d'adopter sera-t-il suffisant ? Votre définition théorique pourra-t-elle être appliquée ? Sera-t-il possible de tordre assez les territoires dans le sens voulu ? Va-t-on vers des écarts très importants entre les nombres d'habitants par canton ? Nous ignorons où passeront les ciseaux du découpage ou les couteaux du charcutage : nous savons seulement qu'il s'agira de favoriser le parti majoritaire dans la majorité.

En adoptant ce projet de loi en l'état, le Parlement signerait un chèque en blanc au Gouvernement, puisqu'aucune étude d'impact n'a été réalisée. C'est notre dernière raison de défendre cette motion. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La commission commence à connaître ce texte, que nous étudions pour la troisième fois. Et il faut un tableau pour faire un découpage !

Il y aurait des choses à dire sur votre souci des collectivités. Vous avez eu des mots extraordinaires sur les intercommunalités !

La commission est défavorable à cette motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Perseverare diabolicum !

M. Philippe Richert, ministre.  - Il n'est question dans ce texte que du tableau. Mme Assassi craint que, peut-être, un jour, l'équilibre entre cantons ne soit pas respecté. Qu'en est-il aujourd'hui ? Un rapport de 1 à 46 entre deux cantons du Var ! Nous irons forcément dans le sens d'une plus grande équité, sous le regard du juge administratif, en l'occurrence le Conseil d'État.

Je demande le rejet de cette motion.

La motion n°5 n'est pas adoptée.

Discussion des articles

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 1er de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales est abrogé.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Une fois encore, nous marquons notre opposition à cet être hybride, incertain, imprécis qui, par son existence même, prétend institutionnaliser le cumul des mandats.

Nous avons tellement souligné les aspects néfastes du conseiller territorial que, si vous le permettez, je m'en tiendrai là pour la défense de cet amendement. (Sourires)

M. Charles Pasqua.  - Bravo pour la brièveté !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La commission des lois a toujours soutenu la création des conseillers territoriaux.

M. Philippe Richert, ministre.  - Même avis défavorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - J'avais déposé le même amendement en commission des lois. Les réponses du ministre ne suffisaient pas : nos inquiétudes sont largement partagées par les élus locaux. Nous répétons que cette réforme n'est pas dans l'intérêt des collectivités locales.

M. Christian Cointat.  - On en reparlera dans quelques années !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous ne nous en priverons pas ! C'est de tout autre chose que nos collectivités ont besoin.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

Article premier

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous vous reprocheriez notre inconséquence si nous ne présentions pas un tel amendement ! (Sourires)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Vous me surprenez de minute en minute ! (Nouveaux sourires)

La commission, par cohérence également, est défavorable.

M. Philippe Richert, ministre.  - Je confirme l'opposition du Gouvernement.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est un amendement subséquent ! (Rires)

L'amendement n°4 est devenu sans objet.

L'article 2 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Claude Léonard.  - J'ai, lors de la précédente lecture, dit mon désaccord avec ce texte, si défavorable à mon département de la Meuse. L'amplitude du nombre de conseillers territoriaux va de 1 à 4,65. Mon département comptera 15 conseillers territoriaux ; certains départements voisins, moins peuplés, en compteront 19, voire 23 ! On est loin de la règle des 20 %. La France serait-elle subrepticement devenue un État fédéral ?

Le département de la Meuse a beaucoup donné à la Nation ; il donnera encore avec le site de stockage des déchets nucléaires. Je veux bien être saigné, mais pas qu'on me coupe les quatre membres dans ce but ! La Meuse a trop donné pour être traitée de la sorte. Je m'abstiendrai.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Ce soir, le Sénat ne rend pas service à la démocratie de proximité. On ne voit que trop, derrière le texte, vos arrière-pensées !

Le Gouvernement et le président de la République veulent amorcer la normalisation des collectivités territoriales qui ont le grand tort de s'être dotées de majorités qui vous déplaisent.

Le premier acte a été la suppression de la taxe professionnelle, réforme à ce jour encalminée.

L'inquiétude est partagée, bien au-delà de la gauche. Vous voulez passer en force : soit, mais vous le ferez sans notre caution !

Comme le cheval qui regagne l'écurie, vous serez soulagés après avoir voté ce texte, mais le problème ne sera pas réglé pour autant. C'était pourtant une formidable occasion d'engager la troisième étape de la décentralisation ! Vous avez préféré travailler dans le dos des élus locaux pour casser la démocratie locale qui fonctionne depuis deux siècles : nous saurons vous le rappeler... et le leur rappeler ! (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - On voit bien que vous êtes pressés ! Vous vous acharnez à faire voter ce texte. On le comprend. Mais contre quoi vous acharnez-vous ? Contre la proximité, en supprimant les conseillers généraux, proches des concitoyens, au profit des conseillers régionaux ? Contre le pluralisme et la parité, en supprimant la proportionnelle ? Contre l'autonomie des collectivités locales, reprises en main par le préfet ? Contre les citoyens, puisque vous réduisez la capacité des collectivités à faire fonctionner les services publics ?

L'opposition n'a pas ménagé sa peine. Mais elle n'est pas la seule. Il y eut aussi la commission Belot, les associations d'élus, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

Bien entendu, nous voterons contre ce texte et nous continuerons à nous opposer aux prochaines étapes de votre réforme, avant qu'elle ne soit abrogée par une nouvelle majorité politique. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - Quelle extraordinaire perte de temps ! L'ordre du jour parlementaire est trop souvent surchargé par des textes médiatiques et inutiles.

La création du conseiller territorial nous avait été présentée comme une mesure phare contre le millefeuille administratif. Sans doute fallait-il rationaliser et simplifier notre architecture institutionnelle. Mais pas en créant cet élu déconnecté du terrain qui, à force d'être partout, ne sera nulle part.

On peut avoir juridiquement raison et politiquement tort. En l'occurrence, vous avez eu aussi juridiquement tort ! Votre obstination vous aura valu de passer aujourd'hui cette ultime épreuve de rattrapage à l'examen. Il est bon que le Conseil constitutionnel nous ait entendus. Mais ce texte accouché au forceps, fruit d'une concertation de façade, ne vous apportera qu'une victoire à la Pyrrhus de laquelle le Sénat sortira meurtri. Je ne peux que le déplorer, d'autant que j'avais souhaité en outre que les textes organisant les collectivités locales ne puissent être soumis à la règle du dernier mot de l'Assemblée nationale.

Aujourd'hui comme demain, la majorité du RDSE s'opposera au conseiller territorial en votant contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

A la demande des groupes socialiste et de l'Union centriste, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 325
Majorité absolue des suffrages exprimés 163
Pour l'adoption 170
Contre 155

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs UMP)

Prochaine séance demain, mardi 5 juillet 2011, à 10 heures.

La séance est levée à 19 h 15.

René-André Fabre,

Directeur

Direction des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 13 janvier 2011

Séance publique

A 10 heures

1. Questions orales

A 14 heures 30 et le soir

2. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011 (n°653, 2010-2011).

Rapport de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°671, 2010-2011).