Droit de préemption
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer et sécuriser l'exercice du droit de préemption.
Cette proposition de loi est présentée dans l'espace réservé au groupe de l'Union centriste, qui est limité à quatre heures.
Discussion générale
M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de l'économie. - Le Sénat avait jugé qu'une réforme d'ampleur du droit de préemption n'avait pas sa place dans le texte de simplification du droit de M. Warsmann, et que le risque existait que les dispositions proposées ne soient dangereuses. Nous nous étions engagés à proposer un nouveau texte. Ce que nous faisons aujourd'hui, dans un esprit pragmatique qui semble faire consensus.
Un tel levier est indispensable dans une situation de crise du marché immobilier. Le droit de préemption est utile aux communes pour se constituer une sorte d'observatoire foncier. Il s'applique de manière souple à des biens dont le propriétaire souhaitait se séparer.
L'article premier améliore sensiblement la connaissance du bien considéré. La collectivité pourra retrouver son droit dans les trois ans, au lieu de cinq actuellement. Il est aussi très important pour les collectivités que le bien puisse être utilisé pour d'autres destinations.
Le propriétaire voit aussi ses droits renforcés. Le délai de paiement est raccourci de six à quatre mois, afin de supprimer une zone de flou juridique. Le propriétaire aura accès à des actions en dommages et intérêts en cas de révocation.
La commission de l'économie s'est montrée très attentive et très ouverte sur un sujet aussi important pour les élus locaux. Je ne doute pas que nous retrouverons en séance publique le même consensus. (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs socialistes)
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. - L'urbanisme est trop souvent vécu comme une contrainte. Cette proposition de loi n'est certes pas le Grand soir mais elle pourrait être un instrument très utile aux collectivités, pour se constituer des réserves foncières. Il leur est parfois difficile d'exercer ce droit.
La proposition de loi Warsmann engageait une réforme d'ensemble ; les sénateurs, dans leur sagesse, ont préféré un texte spécifique. Une concertation approfondie a eu lieu ; les travaux menés parallèlement par le Gouvernement et le Parlement aboutiront à un texte équilibré.
Il s'agit d'améliorer l'outil pour les collectivités, tout en préservant les droits des propriétaires, tant l'acquéreur que le vendeur.
Faciliter la tâche des acteurs de projets que sont les collectivités est évidemment un souci majeur du Gouvernement.
Nous avons besoin d'un DPU fiable. La volonté énoncée par le président de la République est simple et claire : prendre un cap vertueux vers la clarification et la simplification. Il faut donner de l'air aux collectivités territoriales.
M. Charles Revet. - Il y en a bien besoin !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. - Je remercie les quatre sénateurs qui ont participé à la rédaction de l'ordonnance. Nous avons réformé de façon consensuelle la fiscalité de l'urbanisme dans le cadre de la loi de finances pour 2010. On est sorti de la jungle fiscale en passant de douze taxes à cinq ! Les partenaires de la démarche ont avancé 70 mesures pour développer les projets d'urbanisme, tout en réduisant les contentieux et la durée de leur traitement.
Un véritable changement de culture est en marche, pour favoriser l'audace et valoriser l'initiative. L'urbanisme est une responsabilité majeure pour nous tous ; il détermine le cadre de vie à très long terme. Avec ce texte, nous faisons un pas de plus vers un urbanisme de projet. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Thierry Repentin. - Le sujet méritait un texte ad hoc. Celui-ci témoigne fort bien de l'adhésion des élus à l'exigence d'une politique foncière. Nous n'aborderons avec ce texte qu'un aspect de la question.
Le respect de la propriété est une des plus anciennes manières de garantir la paix. Depuis l'Ancien testament, il est dit « Tu ne voleras point ». Le droit de propriété figure à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 24 août 1789, laquelle l'équilibre par son article 4, qui met en avant l'intérêt général. Ce qui fait société, c'est notre façon de vivre ensemble et de partager les espaces.
L'usage des sols relève de l'intérêt national. Au sortir de la guerre, il fallait nourrir les Français ; on a donc voté une grande loi de remembrement rural. Aujourd'hui, c'est le droit à un toit qui apparaît essentiel. Nous proposons d'affirmer le principe selon lequel la destination prioritaire des sols est de servir l'intérêt général.
Le DPU est un outil puissant dont l'usage doit être précisé. Dans les grandes agglomérations et les zones tendues, ce sont les anciennes réserves foncières qui servent le plus à la construction de logements. Tant mieux ! Mais le DPU actuel ne peut s'appliquer aux propriétés dégradées, si bien que l'on ne peut les rendre à l'habitat. Élu de montagne, j'en vois un aspect tout particulier avec les copropriétés acquises grâce à des procédures défiscalisées et qui ne sont plus entretenues.
L'échelle urbaine doit être celle de l'aménagement. La création d'une sorte de ZAC gérée par les collectivités locales, les zones d'opérations futures, pourrait être fort utile.
La transmission de propriété à titre non onéreux peut-elle s'affranchir de l'intérêt général ? Il faut soumettre à DPU toutes les ventes déguisées et les aliénations à titre gratuit, sauf à l'intérieur des familles.
Ce serait un moyen d'intervenir dans des échanges de propriétés qui ne profitent actuellement qu'à des marchands de sommeil, notamment en Île-de-France. (Mme Nicole Bricq approuve)
Droit de préemption et droit de propriété ne s'opposent pas. Celui qui préempte paie au prix du marché, sinon encore mieux. La valeur absolue d'un terrain ou d'un logement n'existe pas ; il n'y a que des valeurs relatives. Il faut passer du prix potentiel au prix abordable, quelle que soit la définition du futur usage du bien. La mission d'estimation devrait être confiée à deux notaires de la région, plutôt qu'à France Domaines, qui est juge et partie.
Je crains que le juge d'expropriation soit tenté par une bienveillance excessive pour l'accédant, au détriment de la collectivité.
Mon groupe est vivement hostile à l'enrichissement sans cause des propriétaires de l'immobilier -plus de 140 % !- qui a pour effet de fermer le marché à de plus modestes. Si plus personne ne peut accéder à la propriété, le marché finira par trouver sa rupture.
Nous nous prononcerons sur ce texte en fonction du sort fait à nos amendements. (Applaudissements à gauche)
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Il n'est pas bien de conclure sur ce chantage ! (Sourires)
M. Jacques Mézard. - Le droit de préemption est à la fois indispensable et légitime car les collectivités investissent et leur investissement revalorise les propriétés des particuliers. Il respecte le droit de propriété tout en atténuant certains abus.
Cette proposition de loi est un progrès et notre groupe la votera unanimement. Il eût toutefois été préférable d'avoir un texte plus global. La question de l'usage du droit de préemption n'est pas résolue dans le cadre du fait intercommunal, à l'heure du bouclage de la carte de l'intercommunalité. Une double saisine de la commune et de l'intercommunalité apparaît désormais indispensable. Les risques de superposition des droits de préemption ont été accrus par l'évolution récente de l'intercommunalité.
Il convient donc de compléter par la loi l'évolution jurisprudentielle du Conseil d'État, marquée par les arrêts du 7 mars 2008 et du 20 novembre 2009.
Le cadre normatif actuel ne donne pas les moyens d'appréhender complètement la situation.
Le droit de préemption est tout à fait différent du droit d'expropriation, puisque la mise en vente est volontaire. L'usage, courant, du droit de préemption pour stabiliser le marché, est justifié. Nos collectivités ont besoin d'un tel instrument, pour réaliser des réserves foncières.
Une telle proposition de loi ne saurait constituer qu'une étape, avant que nous soit présentée une réforme d'ensemble adéquate à un urbanisme moderne et à la cohérence territoriale. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Merci de votre vote.
Mme Évelyne Didier. - La demande formulée il y a trois ans par le Conseil d'État était claire et nous pourrions être d'accord avec l'objectif, sous réserve du sens donné à la notion d'équilibre.
Lorsque nous a été présentée la proposition de loi Warsmann, nous avons légitimement et unanimement souhaité un texte spécifique sur ce sujet.
Les collectivités voient leurs ressources régulièrement réduites par l'action du Gouvernement et l'on ne peut dire qu'elles exerceront à la légère leur droit de préemption. Cette proposition de loi contient des dispositions utiles qui ont été améliorées en commission. Il est bon que le bien préempté puisse être utilisé à une autre destination que prévu, avec les précisions souhaitées par le Conseil d'État. La compétence pour la préemption doit rester exclusivement communale. Nous regrettons toutefois que l'amendement sur l'estimation du bien n'ait pas été retenu et que la lutte contre la spéculation foncière n'ait pas été retenue comme but de la préemption.
La réalisation de projets urbains prend du temps, si bien que les projets peuvent être profondément modifiés en cours de route, surtout si la majorité municipale change. Nous sommes donc hostiles à l'article 7 car la collectivité doit pouvoir renoncer à la préemption en cours de procédure.
Le propriétaire a des droits mais n'allons pas détruire à petites touches le ciment de notre société, fondée sur l'intérêt collectif et la solidarité. Sans maîtrise foncière, pas de projet d'aménagement possible ! Un tissu urbain est un tissu vivant. Les collectivités doivent avoir les moyens de leur politique. (Applaudissements à gauche)
M. Laurent Béteille. - Je salue le travail remarquable du rapporteur. Chacun avait compris que la proposition de loi Warsmann ne relevait pas de la seule simplification du droit. A la différence de M. Repentin, je pense que les Révolutionnaires de 1789 ont voulu faire de la propriété un droit absolu auquel il était presque impossible de porter atteinte. C'est depuis lors que, grâce à la jurisprudence, au départ sur les troubles de voisinage, de progrès en progrès dans l'intérêt social, les collectivités ont pu battre en brèche l'absolutisme de ce droit de propriété.
Le droit de préemption est indispensable à la gestion de nos communes, tant pour réguler le marché foncier que pour l'observer et pour limiter certains abus dans l'utilisation des sols. Le temps est venu de l'améliorer. J'approuve tout à fait la manière dont la commission le fait.
Raccourcir les délais est dans l'intérêt tant des propriétaires vendeurs que des acquéreurs. Ce sont surtout ces derniers qui se sentent souvent en situation délicate.
J'ai déposé quelques amendements, concernant l'affichage pour que le droit de préemption s'exerce dans la plus grande transparence, et pour donner possibilité aux communes d'exercer leur droit de préemption sur des donations déguisées, souvent de faible valeur. Je pourrais vous citer des dizaines de cas, avec des notaires peu regardants que l'on va chercher dans des départements proches et des transactions en liquide. Nous ne pouvons nous abstenir de contrer un tel détournement de la loi.
Mme Nicole Bricq et M. Jacques Mézard. - Très bien !
M. Laurent Béteille. - Je remercie de nouveau la commission et son rapporteur pour cet excellent travail. (Applaudissements sur divers bancs)
M. Jean Boyer. - Très sincèrement, je remercie M. Maurey d'avoir eu le bon sens de déposer cette proposition de loi. Nous connaissons tous l'importance du droit de préemption pour une commune. Nous savons aussi à quel point les procédures contentieuses sont nombreuses, longues, coûteuses, parfois décourageantes.
Ces mesures vont dans le sens de la clarté et devraient diminuer les recours. M. Apparu avait d'ailleurs évoqué le sujet dans le cadre du groupe de travail « Vers un urbanisme de projet ». Il faut favoriser la mise en place des politiques foncières et d'aménagement, deux mots clés pour les communes.
M. Maurey avait relevé à juste titre, lors de l'examen de la proposition de loi Warsmann, qu'il fallait un texte ad hoc. Sans bouleverser le droit actuel, sa proposition de loi l'améliore sensiblement, en apportant des garanties aux propriétaires tout en assurant aux collectivités et aux opérateurs fonciers l'exercice effectif de leur droit de préemption.
Il est bon de faire en sorte que la déclaration d'intention d'aliéner fasse état d'éventuels travaux à mener. Assurer une meilleure publicité des décisions de préemption est bienvenu. L'article 2 encadre plus strictement la renonciation du droit de préemption. L'encadrement du délai de paiement va aussi dans le bon sens, celui de la sécurité.
Les projets d'aménagement peuvent évoluer : il est de bon sens de donner un peu de souplesse aux acteurs publics en la matière. Être gestionnaire, c'est aussi être visionnaire ! Il est opportun également que les biens préemptés puissent être destinés à un autre usage. Il est cohérent de permettre au propriétaire de demander la rétrocession du bien dans certains cas.
Toutes ces mesures vont dans le bon sens, et améliorent la sécurité juridique de cette précieuse prérogative des collectivités. Je salue pour conclure le travail de la commission et du rapporteur : gérer, c'est prévoir. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Articles additionnels avant l'article premier
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par M. Daunis et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 110 du code de l'urbanisme est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« La destination prioritaire des sols est de servir l'intérêt général. Les documents d'urbanisme ont pour vocation de préserver la durabilité de ce patrimoine commun. Ils servent de référence à l'évaluation de la valeur des biens. »
M. Marc Massion. - Les opérations d'aménagement, notamment de construction de logements ou de transport en commun, sont entravées du fait des estimations des propriétaires privés qui spéculent sur la valeur future de leurs biens. La spéculation est à ce point banale que les juges de l'expropriation se soucient avant tout du dédommagement des propriétaires. France Domaines surévalue de nombreuses propriétés.
Le territoire est un patrimoine commun. Dès lors que l'intérêt général est poursuivi et l'utilité publique dument reconnue, la priorité doit être donnée à une estimation du bien qui s'appuie, non sur le prix souvent fantasmé par le propriétaire, mais sur la destination du sol -au meilleur des intérêts de la collectivité. Il faut une évaluation réaliste en rapport avec les capacités contributives de la collectivité. Sans nier le droit de propriété, il faut freiner les ardeurs des spéculateurs.
M. Hervé Maurey, rapporteur. - Cet amendement n'est pas conforme à l'interprétation que fait la commission du droit de propriété. Et il y a déjà un lien entre la valeur d'un bien et les documents d'urbanisme. Défavorable.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. - L'article L. 110 a été réécrit dans le cadre du Grenelle II, dans le sens de la « durabilité ». Le juge devrait définir la valeur d'un bien en fonction de la richesse de la commune ? C'est un peu particulier au regard du droit de propriété... Défavorable.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.