Alternance (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels.
Discussion générale
Mme Nadine Morano, ministre auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle. - Je veux d'abord rendre hommage à l'engagement historique du Sénat en faveur de l'apprentissage. En mai 2010, les Rencontres nationales ont été l'occasion d'accueillir de nombreux jeunes apprentis ; je pense aussi aux cérémonies qui ont lieu le 23 février dernier. Je salue enfin le remarquable travail de la commission des affaires sociales, de Mme la présidente Dini et de Mme le rapporteur Desmarescaux, malgré des délais d'examen extrêmement courts.
M. Guy Fischer. - Dans des conditions épouvantables !
Mme Nadine Morano, ministre. - Ce texte fournira le cadre législatif nécessaire au développement de l'alternance ; il témoigne que l'emploi des jeunes est la priorité de cette majorité. En 2007, le président de la République a entendu réhabiliter la valeur travail ; cet objectif a toujours guidé l'action du Gouvernement. L'alternance est une voie royale vers l'emploi : 80 % des jeunes apprentis trouvent un emploi dans l'année suivant l'obtention de leur diplôme.
Je veux au préalable rétablir une vérité. Il est faux que la majorité veuille autoriser l'entrée en apprentissage dès 14 ans !
M. Guy Fischer. - Allons !
Mme Nadine Morano, ministre. - C'est démagogique !
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - Et irresponsable.
Mme Nadine Morano, ministre. - Les conditions fixées par la circulaire de mai 1997 sont cumulatives et strictes ; la gauche ne les a jamais remises en cause : achèvement du premier cycle de l'enseignement secondaire et âge minimal de 15 ans. Ces dispositions ont un effet absurde pour les jeunes nés entre septembre et décembre. À présent un jeune ayant achevé sa classe de troisième pourra s'inscrire immédiatement en apprentissage même s'il n'a 15 ans qu'en fin d'année. Préférerait-on les contraindre à redoubler, à perdre un an ?
La proposition de loi revalorise le statut d'apprenti. Les apprentis auront droit à une carte « étudiant des métiers », délivrée par les CFA, ouvrant droit aux mêmes réductions que les étudiants de l'enseignement supérieur.
Un service dématérialisé de l'alternance est créé. Ouvrir l'apprentissage aux entreprises intérimaires et aux activités saisonnières, c'est faire preuve de pragmatisme. Un cadre légal est donné aux stages de découverte de l'entreprise pendant les vacances scolaires.
La commission des affaires sociales a apporté au texte des ajouts bienvenus. Le système du « 1 + 2 » adaptera l'apprentissage au baccalauréat professionnel en trois ans. Désormais, les apprentis pourront suivre une année de préparation générale, au terme de laquelle ils pourront opter soit pour un CAP, soit un baccalauréat professionnel.
Deux mesures concrètes sont prises pour les entreprises de moins de 250 salariés : la compensation « zéro charge » pendant un an pour l'embauche d'un jeune apprenti en contrat de professionnalisation et une prime de 2 000 euros pour l'embauche en contrat de professionnalisation des plus de 45 ans. L'augmentation du quota d'alternants dans les entreprises de plus de 250 salariés a été actée dans le dernier collectif.
J'ai organisé le 27 avril une grande rencontre avec les branches professionnelles ; des engagements ambitieux ont été pris à cette occasion. Je rencontrerai demain des représentants des entreprises du CAC 40. J'ai aussi favorisé la création de clubs de l'apprentissage autour d'anciens apprentis devenus des références dans leur métier, comme Guy Savoy.
Une grande campagne de promotion a été lancée sur les radios. En trois semaines, on a enregistré 200 000 connexions sur le site gouvernemental dédié : preuve de l'efficacité de cette campagne. Le 1er juin, j'ai signé le premier contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2011-2015 avec la région Languedoc-Roussillon, pour développer l'apprentissage. Je compte faire de même prochainement avec la Bourgogne, l'Alsace et la Lorraine, preuve que le sujet dépasse les clivages politiques. Au total, l'État consacre 1,7 milliard à ces COM, 350 millions de plus que pour la première génération.
Un appel à projets doté de 500 millions d'euros a été lancé dans le cadre du Grand emprunt : les quatre premiers projets ont été retenus le 23 mai pour 19 millions d'euros.
Les jeunes Français ont souvent du mal à trouver un emploi ; nous ne pouvons pas baisser les bras. L'avenir se construit ici même ! Nous devons être fiers de donner des perspectives à notre jeunesse. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - L'emploi des jeunes est la priorité du Gouvernement : un pays qui n'offre pas d'avenir à ses jeunes est un pays sans avenir ! Je remercie Mme la rapporteur et Mme la présidente Dini pour leur travail de grande qualité.
Il faut rapprocher les jeunes des entreprises. Plus de huit jeunes sur dix en alternance trouvent un emploi dans l'année qui suit leur diplôme. L'objectif fixé par le président de la République est de parvenir à 800 000 jeunes alternants en en 2015, dont 600 000 apprentis, contre 420 000 actuellement.
L'Assemblée nationale a adapté l'apprentissage au baccalauréat pro en trois ans ; le dispositif sera opérationnel à la rentrée 2011.
Je veux ramener à de plus justes proportions la question de l'âge d'entrée en apprentissage. Fallait-il obliger un jeune ayant achevé sa troisième à attendre un an pour s'inscrire en alternance au prétexte qu'il serait né après la rentrée scolaire ? Pragmatisme, non débat idéologique...
Le texte encadre davantage les stages ; l'Assemblée nationale a repris l'accord interprofessionnel du 7 juin. Nous encourageons les entreprises à offrir des stages et à donner la meilleure image d'elles-mêmes.
Nous souhaitons en outre favoriser les groupements d'employeurs, atout pour les entreprises et avantage pour les salariés qui peuvent ainsi enrichir leur expérience. Mme le rapporteur a eu le souci de tenir compte des négociations sociales en cours.
Ce texte donne enfin une base locale au contrat de sécurisation professionnelle, fusion de la convention de reclassement personnalisé (CRP) et du contrat de transition professionnelle (CTP), qui renforcera les garanties offertes aux licenciés économiques ; un pilotage territorial en assurera l'efficacité.
L'objectif de ce texte ambitieux et pragmatique est de faire accéder les jeunes à un emploi durable et à l'autonomie. Pour faire reculer le chômage en cette période de sortie de crise, nous comptons sur la mobilisation de tous. Le chômage va baisser cette année ; nous serons en dessous des 9 %, notamment grâce à ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Le taux de chômage des jeunes de 16-25 ans atteint 23,3% : peut-on s'y résigner ? Cette proposition de loi doit aplanir les difficultés que rencontrent les jeunes pour trouver un emploi et certaines entreprises pour embaucher. Les articles 6 et 13 du texte originel ont été intégrés à d'autres projets de loi, tandis que l'Assemblée nationale a ajouté 28 articles nouveaux ; les accords interprofessionnels conclus par les partenaires sociaux ont enrichi le texte.
Il s'agit d'abord de développer l'alternance, conformément aux engagements pris par le président de la République lors de son discours de Bobigny le 1er mars. Beaucoup rencontrent des difficultés pour trouver une place en CFA. Le texte apporte des solutions concrètes en ouvrant de nouvelles possibilités de formation et, grâce à M. Carle, de nouvelles passerelles entre formations. L'apprentissage est une voie d'excellence : 86 % des apprentis ont un emploi trois ans après la fin de leur formation.
Il n'est pas question d'ouvrir l'apprentissage à 14 ans. En revanche, nous voulons améliorer le statut de l'apprenti, grâce à une carte « étudiant des métiers » qui conférera les mêmes privilèges que la carte d'étudiant de l'enseignement supérieur
Nous ouvrons l'alternance au travail temporaire et saisonnier : ces secteurs le demandaient instamment ; et, sur l'initiative de la présidente Dini, la possibilité de conclure un contrat de professionnalisation pour les particuliers employeurs.
Les branches devront négocier pour valoriser l'engagement des maîtres d'apprentissage.
En Alsace-Lorraine, le taux de rupture des contrats n'est que de 8 % : il faut s'inspirer de cet exemple ; les missions du médiateur de l'apprentissage sont temporairement élargies.
Pour favoriser les stages, qui offrent un excellent complément de formation, ce texte renforce les droits des stagiaires. Sur l'initiative de Mme Debré, les jeunes de 16 ans pourront constituer des associations et les administrer avec l'accord de leur représentant légal.
Le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) résulte de la fusion du CTP et de la CRP. Il faudra orienter les bénéficiaires vers les secteurs économiques demandeurs. Le CSP sera ouvert aux salariés à partir d'un an d'ancienneté et donnera lieu au versement d'une allocation égale à 80 % du salaire ; les salariés les plus précaires feront l'objet d'un accompagnement particulier.
La proposition de loi simplifie également les règles relatives aux groupements d'employeurs. La commission a encadré leurs relations avec les collectivités territoriales, et s'est préoccupée des conséquences pour l'emploi des handicapés : j'attends de la part du Gouvernement l'engagement qu'on ne s'exonèrera pas du seuil de 6 %. Pour laisser du temps à la négociation sociale en cours sur ce thème, nous avons reporté l'entrée en vigueur de ces dispositions jusqu'au 1er novembre.
Cette proposition de loi s'attaque à certains obstacles à l'emploi, grâce à une flexibilité accrue mais aussi à une meilleure sécurisation des parcours.
Je regrette que la procédure accélérée nous ait interdit de travailler dans de bonnes conditions...
M. Guy Fischer. - C'est le moins que l'on puisse dire !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - À la suite à la réunion de commission de ce matin, je devrai donner sur certains amendements extérieurs des avis qui ne correspondent pas à la volonté de la majorité de la commission. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Guy Fischer. - La majorité n'était pas là...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Ce texte ne pèche pas par ses intentions. Nous sommes d'accord sur le constat. Mais cette proposition de loi n'est pas à même d'apporter des solutions à la précarité et au sous-emploi des jeunes. (M. Ronan Kerdraon approuve)
L'exonération de charges pendant un an dans les entreprises de moins de 250 salariés, l'abaissement du seuil de 4 à 3 % dans les plus grandes, le système de bonus-malus n'ont pas suffi au patronat. D'où l'idée d'une exonération supplémentaire pour les entreprises s'engageant à augmenter de 10 % le nombre d'apprentis d'ici l'an prochain. J'ajoute que l'instauration d'un plafond pour la part de la taxe professionnelle affectée aux formations professionnelles conduit à réduire le financement de celles-ci.
La proposition de loi ouvre l'apprentissage aux entreprises de travail saisonnier ou intérimaire : l'opportunité pour celles-ci est évidente, mais quelle formation de tels stages offreront-ils aux apprentis ? Le contrat de sécurisation professionnelle ne tient pas compte des critiques de la Cour des comptes sur les anciens dispositifs : on est loin d'une sécurité sociale professionnelle !
Quant aux dispositions sur les groupements d'employeurs, il s'agit d'une dérégulation totale : même les plus grandes entreprises et les collectivités pourront y adhérer. La situation des salariés n'en sera que plus précaire, car l'obligation d'embauche en CDI est supprimée ; et ils ne percevront pas la prime de précarité. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Claude Carle. - Depuis trente ans, la France dépense beaucoup d'argent public pour l'emploi des jeunes : encore faudrait-il le faire à bon escient. La formation en alternance est une voie d'avenir, mais seuls 7 % des 16-25 ans en bénéficient : c'est trois fois moins qu'en Allemagne ! Parmi les nations de l'OCDE, la France est l'une de celles où le chômage des jeunes est le plus élevé. Chaque année, 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans diplôme ni qualification. Voilà pourquoi le président de la République a annoncé un plan national le 1er mars.
Les employeurs publics ne sont pas assez présents sur ce terrain : 8 000 nouveaux contrats d'apprentissage seulement ont été conclus en 2009 dans le secteur public et principalement dans les collectivités locales. L'État est à la traîne alors qu'il devrait être exemplaire ; il doit se mobiliser.
La réforme du baccalauréat professionnel en 2009 a fait baisser le nombre d'apprentis. Dans les familles, l'orientation des enfants en CFA est encore vécue comme un échec ; l'éducation nationale rechigne à s'ouvrir sur l'entreprise ; les conseils généraux ont davantage investi dans les lycées professionnels. Les employeurs hésitent à signer un contrat de trois ans.
La loi de 2009 ouvrait le dispositif d'incitation aux métiers en alternance (Dima) aux élèves de seconde, mais une circulaire du ministère de l'éducation nationale l'a réservé à la classe de troisième. Il est inacceptable que des fonctionnaires aillent contre la volonté du législateur.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Très bien !
M. Jean-Claude Carle. - Un apprenti en marche vaut mieux qu'un pédagogue assis ! (Exclamations à gauche)
M. Guy Fischer. - Quel mépris ! Vous jetez l'opprobre sur les enseignants !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Il a dit « un » pédagogue.
M. Jean-Claude Carle. - Le dispositif « 1+2 » permettra aux jeunes de faire mûrir leurs choix et aux employeurs de tester leurs motivations.
Pour les décrocheurs, la commission a prévu un dispositif innovant de prépa-apprentissage.
Mme le rapporteur a fait un travail remarquable malgré des délais très courts : souhaitons que les décrets d'application soient publiés avec la même célérité !
Il était nécessaire d'ouvrir l'alternance au travail intérimaire et saisonnier, et le contrat de professionnalisation aux particuliers employeurs.
Les écoles de production offrent un excellent cursus : le taux d'emploi à la sortie avoisine 100 %, et les emplois s'inscrivent dans la durée. Or ces écoles ne bénéficient pas d'une reconnaissance juridique suffisante, ce qui pénalise les élèves.
Le décret d'application relatif à l'utilisation par les apprentis de machines dangereuses est en souffrance depuis plus de deux ans ! On ne cesse d'invoquer le principe de précaution ; mais comment les jeunes pourront-ils se former à leur métier sans utiliser les machines qui leur sont indispensables ?
Le dispositif de formation moderne et sécurisé que nous proposons aujourd'hui sera très efficace contre le chômage ; restera à optimiser les sommes dédiés à l'apprentissage. L'UMP votera ce texte avec conviction et enthousiasme. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Françoise Férat. - Dans un monde où l'insertion des jeunes est de plus en plus difficile et où l'instabilité professionnelle s'accroît, cette proposition de loi, qui comporte nombre de dispositions consensuelles, est bienvenue. Elle prend en compte l'accord national interprofessionnel du 7 juin et conforte ainsi la démocratie sociale.
Mon enthousiasme est toutefois tempéré par un nouveau démembrement législatif : le dispositif est éclaté dans trois textes ! La partie sur le bonus-malus a été votée dans le collectif, et la fameuse « prime de 1 000 euros » dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative.
Je regrette d'autre part les conditions précipitées d'examen de ce texte. Le travail de la présidente Dini et de Mme Desmarescaux n'en sont que plus remarquables.
Développer l'alternance pour atteindre les 800 000 jeunes en 2015, nous ne pouvons que l'approuver, tout comme la revalorisation du maître d'apprentissage. Nous saluons l'initiative de la commission relative aux misions du médiateur de l'apprentissage, comme celle de Mme Dini sur les particuliers employeurs. La bataille de l'emploi sera gagnée en libérant des énergies, réelles mais inexploitées.
L'Union centriste s'était mobilisée pour que les stages en entreprise soient encadrés par la loi. L'accord du 7 juin est allé dans ce sens ; le texte en reprend les dispositions.
Une simplification s'imposait ; il est bon que le CTP et la CRP soient unifiés dans le CSP, pour rendre effectifs l'accompagnement et la reconversion professionnelle.
Les groupements d'employeurs ont été créés en 1985 par la gauche, dans la même logique malthusienne que les 35 heures, celle qui voit dans l'emploi un gâteau à partager. Nous ne sommes pas hostiles à leur extension, pourvu qu'ils soient étroitement bornés -je pense notamment à leur utilisation par les collectivités territoriales.
Nous voterons ce texte particulièrement important. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Gisèle Printz. - La formation en alternance est très utile à l'insertion professionnelle des jeunes. Mais le nombre de jeunes y ayant recours est moitié moindre qu'en Allemagne. Cette proposition de loi contient quelques bonnes mesures, comme la fusion du CTP et de la CRP, ainsi que tout ce qui limite la précarité des jeunes. Il reste cependant beaucoup à faire, comme la rémunération dès le premier mois.
D'autres dispositions sont nocives, comme l'emploi saisonnier par deux employeurs, ou encore l'ouverture à l'intérim, qui posent de nombreuses questions. Comment la formation sera-t-elle validée ? Quid des problèmes d'hébergement et de transport ? Comment règlera-t-on la rupture anticipée du contrat ? À l'issue de son contrat, l'apprenti restera-t-il en CDI dans l'entreprise ou retournera-t-il en intérim ?
Une carte d'« étudiant des métiers » ? Soit, pourvu que ce soit une harmonisation par le haut et que le jeune ne perde pas le bénéfice de certains droits du code du travail. Enfin, nous ne pouvons accepter cette disposition archaïque qu'est l'entrée en apprentissage dès 14 ans !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Il n'en est pas question !
Mme Gisèle Printz. - J'ai été apprentie dès 15 ans, ce fut dur.
M. Guy Fischer. - Vous êtes la seule ici !
Mme Gisèle Printz. - Et sans doute la dernière ?
Comment ne pas s'interroger, sur le décalage entre les promesses du président de la République et les moyens financiers annoncés pour cette réforme ? Actuellement, 600 000 jeunes sont en alternance. L'objectif annoncé par Nicolas Sarkozy est d'atteindre le chiffre de 800 000 jeunes en alternance. Or, cela coûte 1 milliard d'euros. Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 et ce texte permettent de mobiliser à peine 70 millions d'euros. Qui va payer la différence ? Nous regrettons l'absence de concertation approfondie avec les régions. L'État se donne le beau rôle à peu de frais.
D'autres mesures auraient pu être proposées dans ce texte : ainsi, les jeunes filles ne représentent qu'un tiers des apprentis...
Le taux de chômage des 15-24 ans est de 23,2 %, avec des pointes très supérieures dans certains quartiers. Les jeunes sont 24 % à vivre sous le seuil de pauvreté, contre 11 % des Français.
Cette proposition de loi est d'une efficacité douteuse. Ce texte d'affichage manque d'ambition. (Applaudissements à gauche)
Mme Patricia Schillinger. - Comment ne pas évoquer les conditions de travail qui nous sont imposées pour ce texte fourre-tout, présenté dans la hâte, sans méthode, dans la désinvolture vis-à-vis des partenaires sociaux, contrairement aux protocoles Larcher-Accoyer sur leur consultation ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Cela fait deux ans qu'ils négocient !
Mme Patricia Schillinger. - Début mai, M. Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, exigeait des partenaires sociaux un accord avant le 3 juin ! Et la proposition de loi vous permet de contourner le Conseil d'État. Nous étions censés déposer nos amendements en commission le jour même du dépôt du texte sur le bureau du Sénat. Un peu de respect pour les parlementaires !
Le « grand texte » sur l'emploi des jeunes a disparu, avec les crédits afférents. Et ce n'est pas cette proposition de loi qui y suppléera. Dans l'hôtellerie-restauration et dans les régions touristiques, on constate un usage massif de jeunes en formation. Comment fera-t-on concrètement pour s'assurer que ce travail est bien en alternance ? Comment fera-t-on si le jeune travaille dans deux entreprises? Les ruptures de contrat sont très fréquentes dans ce domaine, bien plus que dans l'industrie où existent depuis longtemps des contrats de qualité.
Le Gouvernement veut faire du chiffre, réduire les statistiques du chômage, et fournir aux employeurs une main-d'oeuvre précaire, docile et sous-payée. Comment admettre qu'un jeune de 14 ans puisse signer un contrat de travail ? Vous transformez de fait les groupements d'employeurs en des sortes d'entreprises de travail temporaire, et renforcez la flexibilité dans le seul intérêt des entreprises.
Une fois de plus, vous détricotez le code du travail, au détriment des salariés. (Applaudissements à gauche)
M. Xavier Bertrand, ministre. - Je souligne les apports du rapporteur à ce texte.
La gauche parle très peu des emplois possibles : proposer pour quelques mois des emplois publics avec l'argent qu'on n'a pas, c'est aisé !
Sur le CSP, les critiques sont si vives que je me demande si ce n'est pas une pique adressée aux partenaires sociaux.
Nous sommes en train de réformer la taxe d'apprentissage.
M. Jean-Claude Carle. - Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Et 300 millions iront aux contrats de professionnalisation. Mme Férat a à coeur d'enrichir ce texte sur les stages : je l'en félicite.
L'État doit faire des progrès, monsieur Carle ? La piste, c'est le gagnant-gagnant, combiné avec la logique du concours. Mais nous ne voulons pas transférer une charge supplémentaire sur les collectivités.
Je ne peux pas laisser Mme Schillinger dire que les partenaires sociaux n'ont pas été consultés. C'est faux. Je rappelle à Mme Printz que l'État a mis 350 millions sur la table. Quand la région mettra un euro, l'État mettra un euro. Les régions n'ont pas toujours fait un tel effort...
Les jeunes vous seront reconnaissants de ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Kerdraon et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels (n° 660, 2010-2011).
M. Ronan Kerdraon. - La précipitation avec laquelle il est demandé aux sénateurs d'examiner ce texte n'est pas conforme aux exigences de sérieux et d'expertise qui doivent régler le travail du législateur. La gauche était seule en commission ce matin, avec Mme Dini et le rapporteur.
Le vote final de l'Assemblée nationale a eu lieu mardi 21 juin dans l'après-midi, alors que le délai limite pour le dépôt des amendements en commission avait été fixé par la Conférence des présidents à 17 heures ce même jour. Il n'était donc pas possible de déposer des amendements en commission sur une proposition de loi qui n'avait pas encore été transmise au Sénat, à moins de le faire hors délai, ce qui a d'ailleurs été accepté.
À 300 jours de la présidentielle, les grandes manouvres ont commencé. Le président de la République tient de beaux discours sur l'apprentissage des jeunes, censé être l'antidote au chômage. Le thème est consensuel : nul ici n'ira dire que l'apprentissage ne serait pas un outil essentiel pour l'insertion professionnelle des jeunes, dont le taux de chômage est plus de deux fois supérieur à celui des adultes. Pendant ce temps, les missions locales sont sacrifiées...
M. Guy Fischer. - Étranglées ! Asphyxiées !
M. Ronan Kerdraon. - On nous dit vouloir améliorer l'insertion des jeunes par l'alternance. Belles intentions. Mais le texte est amputé de ses mesures phares relatives à l'obligation d'embaucher en alternance et au partage de la valeur ajoutée.
Nous reconnaissons la qualité du travail, le sérieux et la conviction de notre rapporteur, seule avec nous en commission.
En 2005 déjà, la loi Borloo avait créé une carte d'« étudiant des métiers » qui n'a toujours pas été mise en oeuvre. Faut-il vraiment une loi pour créer un site internet dédié à l'alternance ?
Nous restons hostiles à l'apprentissage dès 14 ans, et répétons que l'apprenti a un contrat de travail. On pourrait assouplir le dispositif du groupement d'employeurs. Mais vous le faites dans des conditions qui conviennent seulement à certains éléments du Medef, au détriment des salariés. Votre projet suppose un milliard, quand ce texte ne peut mobiliser que 70 millions. Où trouverez-vous les sommes nécessaires ? Dans les régions sans doute... De fait, les régions socialistes consacrent à la formation en alternance le tiers de leur budget. Elles ont rénové les CFA et développé des partenariats fructueux. En annonçant qu'il veut porter le nombre d'alternants de 660 000 à un million, le Gouvernement déshabille Pierre pour habiller Paul.
Comment croire aux intentions du Gouvernement, quand il pratique une politique de vases communicants ? C'est un transfert de charges de plus, au détriment des régions. Les charges de fonctionnement des CFA vont en augmentation constante, alors que le marasme économique a fait chuter le produit de la taxe d'apprentissage. Il faut une vraie réforme du financement des CFA.
Favoriser l'emploi d'apprentis pour des tâches saisonnières ouvre la porte à des pratiques de sous-emploi et de précarisation. Votre précipitation à légiférer témoigne de votre logique d'affichage dans une perspective comptable et électoraliste : comment diminuer les chiffres du chômage sans créer d'emplois.
M. Guy Fischer. - Voilà la vérité !
M. Ronan Kerdraon. - Majax, le magicien, ne fait pas mieux !
Force est de constater que le grand texte annoncé sur l'emploi et plus particulièrement celui des jeunes n'est pas au rendez-vous, bien au contraire. Pour toutes ces raisons, nous demandons le renvoi en commission. (Applaudissements à gauche)
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Je vous remercie de vous soucier de mon bien-être et de mes conditions de travail ! Mon rapport est le fruit d'une vraie réflexion. Les principes du dialogue social sont loin d'avoir été bafoués. Grâce au protocole Larcher, toutes les organisations représentatives ont été consultées. Elles ont conclu deux ANI que la proposition de loi reprend. Il est vrai que nous avons été bousculés, voire bafoués, mais ce sont les aléas du travail parlementaire ; nous avons néanmoins pu élaborer un texte de qualité. Contre l'avis du rapporteur, la commission est favorable à cette motion.
Mme Nadine Morano, ministre. - Vous feignez d'oublier que nous examinons une proposition de loi, pas un projet de loi.
M. Guy Fischer. - Le député était en mission commandée.
Mme Nadine Morano, ministre. - Vous reconnaissez l'importance de l'apprentissage.
Mme Gisèle Printz. - Évidemment !
Mme Nadine Morano, ministre. - Nous sommes en sortie de crise.
M. Guy Fischer. - On en est loin !
Mme Nadine Morano, ministre. - Il était urgent d'agir. Les mesures sont éclatées en plusieurs textes ? Ce qui compte, c'est le résultat !
J'en appelle au respect du travail parlementaire, au respect du dialogue social, et, surtout, au respect des jeunes. Le renvoi en commission est inutile : il y a urgence à agir.
À la demande du groupe UMP, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 152 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion des articles
Articles additionnels
M. le président. - Amendement n°52, présenté par Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC-SPG.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 6222-27 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 6222-27. - Sous réserve de dispositions contractuelles ou conventionnelles plus favorables, l'apprenti perçoit un salaire déterminé en pourcentage du salaire minimum interprofessionnel de croissance qui augmente chaque semestre de formation de l'apprenti. Le premier salaire ne peut être inférieur à 50 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance. »
Mme Isabelle Pasquet. - Que fait le Gouvernement pour inciter les jeunes à devenir apprentis ? Leur imposer un maigre salaire alors qu'ils ont souvent deux logements...
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - L'intention est louable...
M. Guy Fischer. - Quand même !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - ...mais les conventions de branches ou les entrepreneurs peuvent être plus généreux. D'ailleurs, les apprentis sont encore des mineurs en formation, et il ne faut pas décourager les employeurs. Ne mettons pas dans la loi des conditions trop restrictives.
Contre mon avis, la commission a émis un avis favorable.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Défavorable.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°52 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 152 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Amendement n°53, présenté par Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC-SPG.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - La première phrase du premier alinéa de l'article L. 6243-2 du code du travail est ainsi rédigée :
« L'assiette des cotisations sociales dues sur le salaire versé aux apprentis est égale à la rémunération fixée à l'article L. 6222-27. »
II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme Isabelle Pasquet. - Le contrat d'apprentissage est un contrat de travail qui ne doit pas servir à diminuer les droits des employés. Nous proposons de supprimer la minoration de retrait imposée aux apprentis, qui est totalement injustifiée.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Cette mesure découragerait les employeurs. Mais la commission s'y est déclarée favorable...
M. Xavier Bertrand, ministre. - Défavorable.
L'amendement n°53 n'est pas adopté.
Article premier
M. le président. - Amendement n°4, présenté par Mme Printz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La délivrance de la carte d'étudiant des métiers ne porte en aucun cas atteinte au statut salarié de l'apprenti.
M. Ronan Kerdraon. - Je salue les nouveaux arrivants qui doublent le nombre des sénateurs de la majorité présents...
La carte d'étudiant des métiers vise à donner aux apprentis les mêmes droits qu'aux étudiants : elle participe à la revalorisation symbolique et pratique de l'apprentissage. Mais ne lâchons pas la proie pour l'ombre. L'apprenti a signé un contrat de travail. Il ne faut pas ouvrir une brèche dans son statut, qui est celui d'un salarié.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Cette précision est inutile, mais la commission y est favorable.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Défavorable.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté, de même que l'article premier bis A.
L'article premier bis demeure supprimé.
Article 2
M. le président. - Amendement n°54, présenté par Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 1, première phrase
Après le mot :
service
insérer le mot :
public
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Le développement de l'apprentissage et les aides déployées dans ce secteur doivent être d'initiative publique.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Encore une précision inutile. À nouveau, la commission y est favorable contre l'avis du rapporteur.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Défavorable : l'amendement est satisfait.
L'amendement n°54 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté, de même que l'article 2 bis.
L'article 2 ter demeure supprimé.
Article 3
M. le président. - Amendement n°5, présenté par Mme Printz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
Mme Patricia Schillinger. - La possibilité pour un apprenti ou une personne en contrat de professionnalisation de conclure un contrat avec deux employeurs pour des activités saisonnières comporte des risques de dérive : il s'agit de gérer la gestion de la pénurie de main-d'oeuvre dans certains métiers en tension, telle l'hôtellerie-restauration dans les régions touristiques.
Plusieurs questions pratiques n'ont pas reçu de début de réponse. Comment s'harmoniseront les périodes en CFA et en entreprise ? Comment seront financés les organismes de formation sur ces types de formation ? Quelles seront les conditions de validation des heures de formation ? Où seront situés les centres de formation et les entreprises ? Comment seront résolus les problèmes de transport, de places d'hébergement et de coût, qui font souvent obstacle au suivi des formations en alternance ? Que se passera-t-il en cas de rupture avec un des deux employeurs seulement ?
Il n'est pas possible d'autoriser ce système avec légèreté sans prévoir avec les partenaires les conditions de sa mise en oeuvre.
M. le président. - Amendement identique n°55, présenté par Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe CRC-SPG.
M. Guy Fischer. - On veut administrer aux apprentis une surdose de précarité... La possibilité de conclure un contrat d'apprentissage saisonnier avec deux employeurs est une aberration. La notion de « travail saisonnier » ne recouvre aucun métier spécifique. Un tel travail est-il qualifiant ? Cet article ne favorise que les entreprises friandes de main-d'oeuvre à bas coût, embauchée pour de courtes durées.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - L'ouverture de l'apprentissage aux activités saisonnières est une avancée majeure. Malgré moi, la commission a donné à cet amendement un avis favorable.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Le travail saisonnier existe-t-il ? Oui. Correspond-il à certains besoins ? Oui. Pourquoi ne pas regrouper des employeurs recrutant des apprentis pour du travail saisonnier en montagne l'hiver, à la mer en été ? Cette idée ce n'est pas moi qui l'ai eue, ce sont des employeurs désireux d'embaucher qui me l'ont soufflée. On créera ainsi quelques milliers d'emplois pour les jeunes.
M. Guy Fischer. - M. le ministre emprunte donc ses idées à d'autres... (Sourires) J'ai été maître d'internat dans un centre d'apprentissage. Ce que nous craignons, c'est que cette disposition favorise la pression sur les salaires versés aux apprentis.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - Je suis très favorable à cet amendement. À la montagne, on peut faire deux métiers différents l'été et l'hiver, mais jusqu'à présent on ne pouvait faire l'apprentissage que d'un métier.
Les amendements identiques n°s5 et 55 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par Mme Printz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéa 9
Remplacer les mots :
d'une rupture à ses torts
par les mots :
de cette rupture
Mme Patricia Schillinger. - Cet alinéa est ambigu. Il pourrait permettre à l'employeur de s'exonérer des conséquences financières d'une rupture de contrat. En outre, c'est préjuger ce que décideront les prud'hommes.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. - La rédaction ne laisse pas place au doute. Que la rupture soit à l'initiative de l'employeur n'implique pas que celui-ci soit fautif : il reviendra aux prud'hommes de se prononcer. Mais la commission est favorable à l'amendement.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Défavorable.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
L'amendement n°97 est retiré.
La séance est suspendue à 12 h 55.
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La séance reprend à 15 h 5.