Conseil européen du 24 juin 2011 (Débat préalable)
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen du 24 juin 2011.
Orateurs inscrits
M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. - Nous savons l'importance que le Sénat accorde à l'élaboration de notre stratégie européenne : je salue le travail de M. Bizet et les derniers rapports sénatoriaux Blanc-Boulaud sur l'adhésion de la Croatie et Humbert-Sutour sur la Grèce.
L'Union européenne fait face depuis 2007 à de nombreuses turbulences, crise de fonctionnement des institutions, crise financière, crise de la dette souveraine, attaques spéculatives contre la zone euro. Faut-il pour autant désespérer de la cause européenne ? Jean Monnet disait que l'Europe se ferait dans les crises et la somme des solutions qui y seraient apportées.
La période restera comme une période test de l'édifice européen. Nous nous sommes employés à consolider l'essentiel, à nouer des compromis, à écarter les dangers, à faire en sorte que l'Europe reparte de l'avant. Le Conseil du 24 juin en sera une nouvelle illustration.
La gouvernance économique européenne ? Le Conseil mettra en oeuvre de nouvelles procédures de coordination. Lors de la crise de l'euro, le président de la République s'est efforcé de réagir de sorte que l'euro -un de nos principaux atouts- ne soit pas détricoté et d'en tirer les leçons structurelles : on ne peut faire tenir une monnaie commune sans racines économiques communes. Le Conseil sera l'occasion de rappeler les engagements pris dans le cadre du « pacte pour l'euro plus », qui vise à accélérer la convergence : assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, fiscalité énergétique, taxe sur les transactions financières, lutte contre les pratiques fiscales dommageables -je ne citerai que l'exemple de Google qui dégage des bénéfices considérables en Europe sans y payer d'impôts.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Très bonne question et heureuse prise de conscience !
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Le Conseil européen sera également l'occasion de signer le traité intergouvernemental sur le mécanisme européen de stabilité, qui prévoit 500 milliards de capacités de prêt ; c'est une réponse aux spéculateurs. Quand l'euro était attaqué en Grèce, c'est notre monnaie commune qui l'était : il fallait une réponse solidaire.
Le Conseil abordera aussi le paquet législatif sur la gouvernance économique et il va clore le premier exercice du semestre européen.
Un mot de la Grèce. Tout sera fait pour défendre la zone euro. L'identité de vue franco-allemande, qui n'était pas évidente, a été dégagée le 17 juin.
Les dirigeants et gouvernements de nos deux pays ont su mettre sur pied un accord, dont les modalités seront fixées par les ministres des finances le 3 juillet. Les créanciers privés participeront, sur une base volontaire, à l'effort de financement de la dette grecque. Mais restructurer ne signifie pas un défaut de paiement, dont l'addition serait payée par l'ensemble de la zone euro. Cette situation est exclue. Le déblocage de la cinquième tranche de l'aide, après le vote du parlement grec, permet à la Grèce de se refinancer à un taux de 5 % -contre 25 % sans cette aide. La sortie de la Grèce de la zone euro aboutirait à l'explosion de sa dette.
Le gouvernement grec a annoncé de nouvelles mesures courageuses, qui doivent être tenues. La crise de la Grèce est la crise de sa dette.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Absolument.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Il faut éviter que la France, à son tour, soit prise dans la tourmente. Cela suppose le sens de l'intérêt général, du courage politique. Je suis sûr que nos compatriotes comprennent que notre action vise à protéger et non à punir.
J'en arrive au deuxième point qui a été inscrit à l'initiative de la France : la réforme de la gouvernance de Schengen. Il n'est pas question de remettre en cause la libre circulation des personnes, mais ne soyons pas myopes devant les difficultés. Schengen doit être renforcé. C'est l'objet des propositions franco-italiennes du 26 avril. Il faut que le pilote soit identifié. La défense européenne commune doit être plus efficace. J'étais récemment à Varsovie, au siège de Frontex ; il faut renforcer ses capacités avant de créer un corps de gardes frontières européens.
On ne peut tenir sur la durée sans capacité de réagir en cas de crise. Il ne s'agit pas de détricoter Schengen mais de renforcer sa dimension communautaire et de lui donner du muscle. L'exemple de Lampedusa est terriblement fragilisant ! Cela suppose un régime européen d'asile, une politique de visa équilibrée.
J'en viens à nos liens avec les pays de voisinage. La réforme est essentielle pour ne pas manquer le train de l'histoire. Le Conseil européen abordera le printemps arabe, le Yémen, la Syrie. Il faut investir dans la démocratie. Il s'agit d'acter les actions démocratiques -je salue notamment les avancées au Maroc-, de soutenir la croissance et d'organiser la mobilité des populations. Cela implique des moyens, d'où l'augmentation de 1,2 milliard des crédits européens pour ces pays, entre autres. La France plaide pour que le ratio 2/3-1/3 continue à bénéficier aux populations du sud. Comme l'avait écrit Braudel, l'Europe a été prospère quand le commerce se faisait entre rive nord et rive sud de la Méditerranée. Il faut enfin améliorer l'appareillage entre l'Union pour la Méditerranée et l'Union européenne.
J'en viens aux Balkans. N'oublions jamais les enjeux historiques, à commencer par la préservation de la paix sur le continent européen. L'Europe est facteur de stabilité. En Croatie, en Serbie, l'horizon européen est facteur de paix. C'est aussi cela, l'Europe. Ne l'oublions jamais. Le président Pompidou était très attaché à cette dimension pacificatrice.
La France a soutenu la clôture des négociations avec la Croatie. Le but n'est pas de faire des élargissements sabre au clair : ils doivent se faire sur des bases saines.
La France a plaidé pour une nouvelle approche. Naguère, une fois la négociation achevée, l'effort se relâchait avant l'entrée effective dans l'Union européenne. La Croatie a accepté un principe de suivi pendant la phase intermédiaire, entre clôture des négociations et adhésion, pour que le sentier européen soit tenu. Je suis convaincu que la Croatie peut être l'une des histoires à succès de l'Union européenne : c'est un message d'espoir.
L'Europe traverse des crises mais elle peut réagir pour une plus forte coopération. La France est un pays proactif, qui met des initiatives sur la table commune.
Pour le président Pompidou, l'avenir et l'influence de la France passaient par l'Europe -si la France est au premier plan des initiatives européennes, dans le sens de la convergence et de la coopération, vers un avenir commun. C'est ce que nous ferons dans les jours à venir. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - La reprise économique est fragile. Le Conseil européen doit apporter des réponses crédibles. Je vous renvoie au rapport Sutour-Humbert sur la Grèce. Il ne faut pas stigmatiser le peuple grec. (M. Jacques Blanc approuve)
Les faiblesses du pays sont connues et anciennes ; l'entrée dans la zone euro a eu un effet anesthésiant. Avec un endettement bien supérieur aux chiffres officiels, la situation était intenable.
Il fallait des réformes structurelles, douloureuses. Beaucoup a déjà été fait. Ces décisions n'ont pas suffi à desserrer l'étau ; la population est en plein désarroi, notamment les jeunes dont beaucoup sont prêts à quitter leur pays. Il faut que les réformes n'apparaissent pas comme une punition : ne désespérons pas Athènes !
La confiance ne peut renaître sans une profonde réforme de la gouvernance publique, une lutte contre la fraude fiscale et un large plan de privatisations. En temps de paix, un gouvernement ne peut bousculer autant de positions acquises que s'il a le dos au mur.
Mais ni la Grèce ni l'Union européenne n'ont le choix. Un défaut de paiement serait catastrophique et aurait des effets sur toute la zone euro.
L'Union européenne doit se doter des moyens nécessaires. L'attitude de la France est bien perçue : nous apparaissons comme un trait d'union entre pays du nord et du sud.
L'Europe connaît un début de reprise alors que tous les pays membres font des efforts d'assainissement. La réduction des déficits doit s'accompagner des réformes structurelles, d'une réduction de la dépense, du soutien à la recherche et à l'innovation. C'est le sens de la stratégie Europe 2020 et du pacte Euro plus.
Sur Schengen, nous avons besoin d'une approche réaliste : libre circulation et renforcement des contrôles aux frontières. Veillons à ne pas donner des armes aux extrémistes.
Je souhaite que le Conseil européen soit un vrai succès. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Blanc, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Notre commission a fait un rapport sur l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Dans quel état est ce pays aujourd'hui ? Au carrefour de la Méditerranée, de l'Europe centrale et des Balkans, cette ancienne partie de la Yougoslavie a connu une histoire douloureuse, n'acquérant son indépendance qu'au début des années 90.
Devenue régime parlementaire, la Croatie a aujourd'hui comme priorité de redresser l'économie, lutter contre la corruption et intégrer l'Union européenne. Membre de l'Otan, elle est présente en Afghanistan ; elle est membre de l'Union pour la Méditerranée depuis sa fondation.
Le processus d'adhésion est rigoureux ; la proposition française, plus stricte, vise en réalité à faciliter l'adhésion. Les Croates l'ont compris. Les difficultés rencontrées lors des négociations ont été dépassées. Sur les chantiers navals, par exemple, la Croatie a pris les décisions qui s'imposaient. Idem sur la justice et l'État de droit.
La clause de suivi renforcé devrait permettre de débloquer les choses, en réponse à l'attente du peuple croate, pour une adhésion en 2013.
L'Europe est facteur de paix, ne l'oublions pas. Au nom de la commission, nous souhaitons que la France continue de soutenir l'adhésion de la Croatie.
Un mot sur la Méditerranée. Ce n'est pas le moment d'abandonner ce grand projet que le président de la République a proposé à la France et à l'Europe. Au contraire, il faut renforcer les moyens consacrés à la politique de voisinage, selon la règle du 2/3-1/3. Il faut un plan Marshall pour la Méditerranée, pour que les jeunes de ces pays retrouvent foi dans l'avenir !
L'énergie de la France, du président de la République, en la matière, force l'admiration.
Nous comptons sur vous pour faire avancer l'Europe ! (Applaudissements à droite)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Il y a un an, j'ai eu le plaisir de me rendre à Zagreb et d'observer combien la Croatie avait été exemplaire dans la crise. Je souscris aux remarques des précédents orateurs. Nous avons entamé une coopération parlementaire et reçu la commission des finances de Croatie : nos collègues sont au diapason des problématiques européennes.
Le Conseil européen du 24 juin est une étape essentielle. Le projet de loi de finances rectificative nous renvoie aux problématiques européennes : il prévoit une tranche supplémentaire d'aide à la Grèce ; dans le cadre du Fonds européen de stabilité financière (FEFS), la garantie française est portée de 115 à 145 millions ; enfin, le futur mécanisme européen de stabilité nous intéresse : la part de la France serait de 18 milliards, qui pèseront sur notre endettement.
La solidarité européenne repose sur le crédit des États centraux de la zone euro ! La capacité d'action du FEFS est limitée à la capacité d'emprunt des pays membres notés AAA !
Oui, nous sommes en grand péril, monsieur le ministre, si nous ne savons pas unir nos forces et éviter un défaut de la Grèce. Pas tant par crainte des pertes des banques françaises mais de l'amplification du phénomène, via les redoutables credit default swap.
Il faut trouver un compromis. On peut comprendre l'approche de Mme Merkel, comprendre que le peuple allemand renâcle, compte tenu des efforts de rigueur qu'il a fournis après la réunification. Le secteur privé doit prendre sa part mais volontairement, dans le cadre de ce roll over volontaire. L'imagination des négociateurs est presque sans limite et l'Europe s'est toujours forgée dans les difficultés, dans l'adversité.
Nous n'avons pas tout compris du chaînage entre les programmes de stabilité et la mise en oeuvre du volet préventif et répressif. Les sanctions seront-elles automatiques ou pas ?
Nous attendons beaucoup de ce Conseil européen. Le mécanisme européen de stabilité est essentiel pour les marchés. Il faut que l'objectif en soit clairement défini : quelle place accorder aux clauses d'action collectives dans le dispositif des emprunts qui seront souscrits ?
Nous sommes convaincus du caractère historique de la situation que nous traversons, et de notre responsabilité -qui est de tenir le cap des finances publiques. Notre crédibilité dépend des efforts douloureux que nous serons capables de faire. (Applaudissements à droite)
M. Aymeri de Montesquiou. - La devise de la présidence hongroise, « Une Europe forte avec une dimension humaine », est plus que jamais d'actualité face aux difficultés que traverse l'Union. L'intégration monétaire et financière a été plus rapide que celle des politiques économiques. Des conséquences en ont été tirées avec le pacte Euro plus. La présidence hongroise participe aux négociations avec le Parlement européen et la Commission. Est-on parvenu à un texte de compromis ?
Une monnaie ne peut exister en apesanteur sans convergence économique et sociale : soit l'Union européenne sortira renforcée de la crise, soit elle se délitera. Le Conseil de demain évaluera les engagements pris par les pays et formulera avis et recommandations. Avec sa dette abyssale et ses déficits himalayens, notre pays est comme un élève qui a mal préparé ses devoirs : la punition nous guette...
La France est stigmatisée par ses hypothèses économiques trop optimistes. Quand le Gouvernement se fondera-t-il sur des estimations réalistes ? Quelle est la position du Gouvernement sur la TVA sociale ? Combien de niches supprimerez-vous ?
En mars, vous avez affirmé, monsieur le ministre, que l'Europe était de retour. Quel sera le message de la France au Conseil ? Quand allez-vous instaurez le mécanisme européen de stabilité ? Le président Van Rompuy est un homme de dialogue, il avance pas à pas. Le tous pour un et un pour tous est toujours d'actualité.
L'immigration sauvage a réveillé le repli sur soi, mettant en péril la libre circulation dans l'espace européen. Nous avons paré au plus pressé mais quelle est la position de la France sur le long terme ?
« Une politique migratoire réussie commence au-delà de nos frontières ». Le printemps arabe a rendu urgente la mise en pratique du constat du président Van Rompuy. Il faut conclure un partenariat avec les pays du printemps arabe. Quelle politique européenne mener pour que le printemps arabe soit, grâce à l'Europe, suivi d'un été ?
L'espace Schengen doit être mieux organisé. Les États ayant une frontière externe ont une responsabilité plus forte. Quelles clauses de sauvegarde faut-il adopter ?
Vous avez parlé d'une rupture totale avec la situation antérieure. Vous vous dîtes confiant dans le Conseil de demain. Tous les chefs d'États de l'Union doivent donner à leurs concitoyens l'espoir d'avoir un avenir commun. Ils ont le devoir de redonner à l'Europe le souffle qui animait ses pères fondateurs. L'Europe peut être et doit être forte. Forte, elle sera belle et restera humaine. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Blanc. - Très bien !
Mme Annie David. - Vous venez d'exposer les grandes lignes que défendra le président de la République : gouvernance de la politique économique, politique d'asile et de migration, évolution de la politique de voisinage.
Sur le premier point, votre gouvernement persiste à soutenir les mêmes mauvaises solutions qu'en avril. Alors qu'il faudrait sauver la zone euro, vous tentez de défendre les intérêts nationaux. Vous prétendez détenir seul les bonnes solutions, mais au détriment de nos concitoyens. Pourtant, les remèdes préconisés par l'Union européenne et le FMI asphyxient la Grèce. L'explosion sociale menace et vous demandez encore plus de sacrifices ! Les banques, les grands groupes sont épargnés mais pas la salariés, pas les retraités !
Vous êtes parvenus à une participation des banques, dîtes-vous. Mais rien d'officiel encore... Les bailleurs de fonds privés voudront récupérer leurs fonds, d'une façon ou d'une autre.
Le gouvernement grec tente d'imposer de nouvelles mesures d'austérité et brade le patrimoine du pays. Il faudra que les vrais responsables soient un jour condamnés.
Les gouvernements français et italien veulent rétablir les contrôles aux frontières. C'est une réaction malsaine qui fait la part belle aux mouvements populistes. Nous nous opposons à la révision de l'espace Schengen. Il faudrait aider les pays à la source en augmentant notre aide.
Vous voulez vous abriter derrière une Europe forteresse mais votre politique ne permettra pas à la France d'être à la hauteur des bouleversements actuels. Pour instaurer véritablement de nouvelles relations entre pays européens et méditerranéens, il faut qu'elles soient fondées sur des rapports économiques justes et équilibrés et une nouvelle politique de circulation entre les deux rives. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Denis Badré. - Ce Conseil est stratégique : il doit montrer où il veut aller, se tourner vers l'essentiel.
Je me réjouis que l'Union européenne continue à s'agrandir. L'Europe est avant tout « pardon et promesse », selon une belle définition.
L'universalité s'impose : la crise financière n'est pas européenne mais mondiale. Il n'y a pas non plus de crise de l'euro. En revanche, il faut renforcer la gouvernance économique. Notre soutien à la Grèce doit être sans faille. Si tel n'est pas le cas, les marchés financiers nous entraîneront tous vers l'abîme.
La mutualisation des secours doit se faire en parallèle avec la mutualisation des disciplines. Les budgets nationaux restent votés par les parlements nationaux mais les contraintes européennes doivent être librement acceptées. Les solidarités les plus durables doivent s'imposer.
La résolution européenne que vient d'adopter la commission des finances nous intéresse particulièrement. Il nous reste néanmoins des choix à faire pour qu'elle porte tous ses fruits.
J'en viens à l'espace Schengen. Gardons-nous des mesures trop sécuritaires. En Tunisie, une révolution de la faim s'est transformée en révolution démocratique. Ce pays est en immense difficulté. Nous devons accompagner la transition économique tunisienne et ne pas nous pencher par trop sur Lampedusa. Les fonds de la famille Ben Ali devront permettre de lancer des investissements porteurs d'avenir pour les jeunes tunisiens. Encore un peu d'imagination et nous pourrions mettre en oeuvre cette mesure !
Dès 1990, le Conseil de l'Europe avait donné un statut spécial aux pays de l'Europe centrale. Il faut en faire de même pour les pays du printemps arabe. L'Europe pourrait proposer à ses jeunes un vrai projet mobilisateur. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Roland Ries. - Cette discussion doit concourir à l'élaboration de la position française au Conseil de demain. Nous ne partageons pas la position défensive du Gouvernement.
Réjouissons-nous de l'arrivée de la Croatie en Europe ! Cet État fait partie intégrante de l'Union. J'espère que la Serbie suivra.
En matière de politique migratoire, je regrette que la Commission accepte l'idée d'une révision des clauses Schengen, demandée par la France et l'Italie. Certains États de l'Union européenne sont frileux face au printemps arabe. La bonne application des règles Schengen doit être contrôlée par l'Union et non par les États, comme c'est le cas aujourd'hui. Rétablir un contrôle aux frontières intérieures va à l'encontre des règles européennes. Les citoyens doivent pouvoir voyager sans passeport en Europe. Revenir sur ce droit nuirait à l'avenir de l'Union.
En tant que maire de Strasbourg, j'estime que l'Europe des Vingt-sept doit sortir de la logique défensive. Non, l'Europe n'est pas une forteresse assiégée. Elle doit accompagner ses voisins dans le processus de la démocratisation.
L'Union européenne a besoin d'un vrai débat en matière d'immigration et ne doit pas s'enliser dans des considérations nationales.
En matière économique, je m'interroge sur les mesures prises en faveur de la Grèce. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment éviter d'autres crises ? Le temps du chacun chez soi est révolu. Les mesures proposées sont très insuffisantes : elles conduisent à l'austérité dans les pays concernés.
L'intégration politique de l'Union doit être renforcée. « Si c'était à refaire, je commencerai par la culture », disait Jean Monnet. Plutôt que de procéder par petits pas, je suis favorable à une harmonisation générale de la fiscalité sur les sociétés, pour mettre fin à la concurrence fiscale au sein de l'Union. « L'avoir de l'Europe, c'est à court terme la faillite ou le fédéralisme », écrit Nicolas Demorand dans Libération.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Quelle illusion !
M. Roland Ries. - Sans aller aussi loin, je suis convaincu que la solution à la crise européenne actuelle est dans la relance de la construction politique d'une Europe démocratique et solidaire. (Applaudissements nourris sur les bancs socialistes)
M. Jean-François Humbert. - Le Conseil répondra à trois défis majeurs : la crise grecque, la crise des flux migratoires et la rénovation de la politique européenne en Méditerranée. Il faudra des orientations claires et précises pour que les États règlent ces trois défis qui nous obligent à plus de solidarité, sous peine de voir cinquante ans de construction commune voler en éclat.
La crise a permis la mise en place d'une stratégie économique commune. Durant ces derniers mois, l'Union européenne a renforcé la coordination économique et budgétaire. Les économies interdépendantes de l'Union européenne seront mieux armées pour affronter les évolutions à venir.
J'en viens à la situation grecque. Avec M. Sutour, nous nous sommes rendus en Grèce il y a quinze jours. Un an après le premier plan d'aide, la Grèce est toujours confrontée à des déficits gigantesques.
La défiance des marchés à l'égard d'Athènes détonne par rapport aux efforts déjà réalisés. Les mesures restent insuffisantes, malgré leur coût social. L'évasion fiscale devra être combattue.
Pourtant, la Grèce devrait renouer avec la croissance. Une nouvelle aide européenne est donc indispensable. L'Union européenne a avancé en matière de gouvernance économique mais elle doit encore progresser pour mettre un terme aux crises de dettes souveraines. La crise grecque est donc un test majeur. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Laurent Wauquiez, ministre. - M. Bizet a bien rappelé la situation sur Schengen. Nous devons prouver que Schengen peut répondre en cas de crise. Lampedusa, c'est 41 000 personnes, soit une augmentation de 20 % de l'immigration illégale sur notre territoire en un mois et demi. M. Ries a rappelé les principes ; c'est bien joli mais que faire si un pays ne défend pas ses frontières externes ?
N'oublions pas non plus l'existence de trafics, de drogues ou d'armes. Faut-il détourner les yeux ? La raison veut que l'on puisse réagir en cas de crise.
Je remercie M. Blanc d'avoir défendu la dimension méditerranéenne de l'Europe. La France n'acceptera jamais un repli, et la règle des 2/3-1/3 est essentielle.
Je remercie le rapporteur général pour ses remarques sur la crise de la dette. L'Eurogroupe a annoncé que les clauses d'action collectives permettaient, en cas de défaut d'un pays débiteur, d'avoir des mécanismes pour prendre le relais. La prévisibilité est essentielle : personne ne sera pris par surprise.
M. de Montesquiou m'a interrogé sur la croissance : les économistes estiment que notre croissance sera de 2 à 2,2 %. Les estimations de la Commission sont donc pessimistes car elles n'intègrent pas notre croissance du premier trimestre.
Monsieur Badré, j'aime beaucoup votre définition de l'Europe, « pardon et promesse ».
M. Denis Badré. - Vous pouvez vous en servir.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - J'y compte bien ! (Sourires) La crise n'est pas une crise de l'euro mais de la dette de certains États. On ne peut pas accumuler durablement des déficits et des dettes : il s'agit d'un principe de bonne gestion.
Si M. Ries m'avait écouté, il m'aurait entendu évoquer la dimension historique de l'intégration de la Croatie, que la France a appuyée.
Notre approche n'est pas défensive, monsieur Ries. Le principe d'une taxation sur les mouvements de capitaux, c'est la France qui le promeut. La gouvernance économique était taboue, les Allemands n'en voulaient pas. Et, grâce au président de la République, nous l'avons. Galileo a été relancé, grâce aussi à la France.
Je ne crois pas à l'opposition entre le fédéralisme et la coopération des États membres. Cette approche est dépassée depuis le traité de Lisbonne. Soyons plus pragmatiques et moins dogmatiques ! L'Europe a besoin de répondre aux défis de demain.
Je remercie M. Humbert d'avoir rappelé l'importance de l'Union pour la Méditerranée.
Nous devons définir quelques projets ciblés. Je conclurai en citant Marc Bloch : « Il y a bien besoin de toute l'Europe pour écrire l'histoire de la France ». (Applaudissements à droite)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Le président Arthuis a demandé la priorité sur les articles 18 bis et 22 du projet de loi de finances rectificative. Or, je viens d'apprendre que M. Bertrand ne pourra pas être parmi nous à la reprise. Il est donc préférable de reprendre l'ordre normal d'examen du texte. La commission des finances retire donc sa demande de priorité.
M. le président. - Retour à la case départ, donc.
Débat interactif et spontané
Mme Nicole Bricq. - Le Conseil de demain parviendra-t-il à sortir l'Europe de la zone de turbulence actuelle ? Nous n'en savons rien.
Nous sommes confrontés a un Lehman Brothers rampant et les marchés sont nerveux. La cacophonie doit cesser, notamment sur le risque de défaut.
Le Parlement européen et la Commission continuent à négocier, les instances européennes sont paralysées.
Le président Barroso veut verser 1 milliard à la Grèce. La France est-elle d'accord ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Je vous rejoins sur la nécessité d'une seule expression au niveau européen.
Sur la proposition de M. Barroso, il faut que l'aide européenne serve à quelque chose, et soit donc utilisée au mieux.
M. Pierre Bernard-Reymond. - La création d'un ministère européen de l'économie est à l'étude et de nombreuses entreprises l'appellent de leurs voeux. Qu'en pensez-vous ? Faut-il aller plus vite dans la gouvernance d'une Europe plus intégrée ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Il s'agit d'une grande question. Le moment n'est pas venu, surtout en pleine crise, de créer une nouvelle grande structure. Quelles seraient ses responsabilités et devant qui ?
La gouvernance économique doit être améliorée et, pour l'instant, nos principaux efforts doivent porter sur cette question.
M. Michel Billout. - Le nouveau plan grec prévoit une potion amère pour les Grecs qui ne sont pas responsables de la situation. En revanche, les banques ne participent qu'à titre volontaire.
Il serait nécessaire de les obliger à accepter un rééchelonnement et un allégement de la dette grecque.
Au niveau européen, pour éviter que les banques ne se retournent vers les États, ne faudrait-il pas obtenir une modification du rôle de la BCE de sorte qu'elle rachète les titres de la dette publique des États ? Le président de la République et le président Obama avaient en outre promis une réforme des agences de notation. N'est-il pas temps de passer aux actes ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Merci de cette question et de son caractère posé. Non, le peuple grec n'est pas responsable. Faut-il aller chercher un bouc émissaire extérieur ? Pas plus. La Grèce est victime de deux choses : ne pas avoir suffisamment fait pour l'emploi et avoir accumulé dettes et déficits. Elle n'a pas été victime de la spéculation des banquiers.
Oui, les créanciers privés doivent participer. Mais s'il faut, pour ce faire, créer le chaos sur les marchés, nous n'aurons rien gagné sinon étendre la crise à l'Irlande, au Portugal et à toute la zone euro.
Les agents de notation ? C'est dans le paquet Barnier ; et une deuxième série de mesures vont être prises. Sur tous ces sujets, c'est le président de la République et le gouvernement français qui poussent systématiquement à l'action.
Une leçon gaulliste enfin : quand vous dépendez de l'extérieur pour vous financer, vous n'avez plus votre destin en main. (Applaudissements à droite)
M. Didier Boulaud. - Je me félicite de l'avis positif de la Commission sur l'adhésion de la Croatie. Mais n'oublions pas les autres États des Balkans occidentaux qui ont eux aussi vocation à adhérer à l'Union européenne. N'est--il pas temps de reconnaître à la Serbie le statut de candidat ? Le transfèrement de Mladic à La Haye est un signal positif mais Belgrade ne reconnaît toujours pas le Kosovo. L'octroi du statut de candidat ne ferait-il pas avancer les choses ?
Alors que l'Union européenne s'apprête à adopter un nouveau plan de sauvetage de la Grèce, ne pourrait-on demander à ce pays un réel effort pour régler enfin le contentieux avec la Macédoine ?
Enfin, comment sortir de la crise actuelle en Bosnie-Herzégovine, état fragile en proie à des forces centrifuges, et des blocages en Albanie ?
La France ne doit pas délaisser les Balkans et continue d'y asseoir son influence, notamment en matière économique.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Merci pour votre expertise et votre soutien. Nous avons travaillé ensemble pour l'adhésion de la Croatie. L'arrestation de Mladic est un grand pas en avant pour la Serbie mais la reconnaissance du Kosovo, si elle n'est pas une condition, est indispensable. Le Conseil se prononcera d'ici l'automne sur l'ouverture du processus.
Je reconnais avec vous que la question de la Macédoine difficile ; États et Commission doivent unir leurs efforts.
Je partage votre inquiétude sur la situation en Bosnie-Herzégovine ; nous pouvons nous réjouir que Mme Ashton ait pu mettre un terme au projet de référendum sur la république serbe de Bosnie-Herzégovine, qui aurait eu des effets redoutables.
M. Roland Ries. - Je veux apporter quelques précisions à mon propos de tout à l'heure. Les clauses de sauvegarde existent dans le traité ; je souhaite seulement qu'elles soient mises en oeuvre de façon cohérente et pas sous la seule responsabilité des États. L'harmonisation fiscale n'ira à son terme que si la construction politique avance. Je ne suis pas dogmatique, je n'oppose pas fédéralisme et confédéralisme ; je dis que pour faire face aux crises à venir, il faut une plus grande intégration politique.
Enfin, M. Cameron a dit souhaiter reposer au prochain Conseil la question du siège du Parlement européen à Strasbourg. Il faudra manifester à ce moment là une unanimité qui a déjà prévalu ici même lors de l'examen de la proposition de résolution que j'avais présentée.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Les clauses de sauvegarde de Schengen sont trop restrictives, qui ne prévoient que l'atteinte à l'ordre public ; rien en cas de non-respect par un État membre de ses obligations de surveillance de ses frontières.
Sans doute est-ce mon tempérament auvergnat mais je ne crois pas au grand soir : je prône plutôt les petits pas ; le semestre européen en est un parmi d'autres. Ne boudons pas notre plaisir, un saut qualitatif est en train de se produire.
Les élus alsaciens, français, tous les Européens humanistes défendent le siège du Parlement européen à Strasbourg. Il n'y a que les eurosceptiques pour le contester ; nous ne les laisserons pas l'emporter. Nous avons été très clairs avec nos amis anglais. (M. Roland Ries applaudit)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Merci au ministre pour sa participation à ce débat.
Conforter, renforcer la gouvernance de l'espace Schengen, c'est assurer la survie d'un espace de libre circulation pour les hommes et les femmes en situation régulière. Ce qui suppose des règles qui prennent par exemple en compte l'hypothèse d'une crise brutale provoquant un afflux massif de migrants. L'Assemblée nationale et le Sénat ont mis en place une commission de suivi ; cet acquis communautaire fondamental doit être préservé.
En défendant la Grèce, nous défendons notre monnaie à tous. Mais il lui faudra des réformes structurelles, à commencer par des privatisations ; en dégager 50 milliards d'euros adresserait un message clair aux marchés comme à ses partenaires de l'Union.
Avec le traité de Lisbonne, l'Europe est sortie de la dichotomie fédérative-confédérative. Il s'agit d'être réactif et souple dans l'action.
Enfin, je salue l'action de la France au sein du couple franco-allemand. Je conclurai en citant M. Barnier : « Malheur à celui qui ne bouge pas quand autour de lui, tout est en mouvement ; malheur à celui qui préfère rester solitaire quand il convient d'être solidaire » !