Bilan du dispositif d'exonération des heures supplémentaires
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le bilan du dispositif d'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires.
Mme Roselle Cros, au nom du groupe UC. - La loi Tepa du 21 août 2007 constitue la transposition législative des engagements du président de la République, au premier rang desquels le fameux « travailler plus pour gagner plus ». Près de quatre années après son adoption, l'exonération des heures supplémentaires a-t-elle tenu ses promesses dans un contexte radicalement modifié par la crise ?
Le bilan est mitigé : gain en pouvoir d'achat certes, mais création de fortes disparités entre les branches et les territoires.
Quel est le dispositif ? L'article 81 quater du code général des impôts ouvre droit à exonération pour les heures effectuées au-delà de 35 heures, y compris pour les fonctionnaires. Cette niche fiscale avait vocation à appliquer le principe « travailler plus pour gagner plus ».
Pour quatre heures de travail supplémentaires, un salarié peut gagner 150 euros de plus. Le coût pour les finances publiques n'était pas nul : 4,81 milliards en 2008 et 5,98 milliards en régime de croisière.
Les résultats ont été inférieurs aux projections, malgré des débuts encourageants. La commission des finances avait fort opportunément introduit, à l'article premier de la loi Tepa, l'obligation d'un rapport d'étape au Parlement.
Celui-ci, rendu en janvier 2009, faisait apparaître des disparités entre secteur public et secteur privé ainsi qu'entre les branches. Ainsi, au sein de la fonction publique, les personnels de l'éducation nationale ont davantage profité du dispositif que les infirmières -lesquelles ont préféré récupérer leurs heures supplémentaires.
En dépit de cela, les effets du dispositif, en termes macro-économiques, n'ont pas été négligeables en 2008 : 0,15 % de la croissance du PIB lui sont imputables. La crise n'a pas fondamentalement rebattu les cartes. Mais, à y regarder de plus près, il apparaît que les heures supplémentaires ont joué un rôle de variable d'ajustement. La dernière enquête statistique montre que, durant le dernier trimestre, les heures supplémentaires ont augmenté de 2,4 %, progressant surtout dans le secteur industriel, en particulier la métallurgie et l'automobile, mais également dans les entreprises de plus de dix salariés. Le nombre d'heures supplémentaires est, en revanche, en recul sur certains territoires comme l'Île-de-France et la Martinique. Ces données, au total, témoignent de la rétraction du marché du travail en phase de sortie de crise. Le dispositif ne profite pas assez aux secteurs et aux régions les plus dynamiques, tandis que son coût économique est important : 4,5 milliards pour 150 euros par foyer fiscal. Si l'on y ajoute les dispositifs Aubry et Fillon, notre commission des finances l'évalue à quelque 12 à 15 milliards pour atteindre difficilement les 39 heures.
Faut-il pérenniser ce système dont les résultats restent mitigés ? Les niches fiscales, complexes, constituent-elles un outil suffisamment puissant pour transformer les heures supplémentaires en emplois supplémentaires ? Là est toute la question... Comment donner un nouveau souffle à la loi Tepa et au triptyque travail, pouvoir d'achat et emploi ?
Pour nous, dans une économie de croissance, le pouvoir d'achat doit résulter du travail, non de revenus de transfert. La question est d'autant plus brûlante que la zone euro connaît, depuis quelques mois, un renchérissement du coût de la vie. Cela n'ira pas en s'améliorant avec la sécheresse. Il est temps de poser la question d'une répartition plus juste, au sein des entreprises, de la valeur ajoutée entre salaires et dividendes. Le président de la République avait diligenté un rapport de l'Insee en 2009. Un certain nombre de questions valent d'être posées. Ne faut-il pas préférer aux primes un coup de pouce sur les salaires ?
Pour conclure, ce dispositif, utile à court terme, est donc économiquement insuffisant et budgétairement coûteux. Certains de mes collègues, tel le président Arthuis, proposent une hausse des salaires par l'instauration d'une TVA sociale. Pour autant, la baisse du coût du travail ne doit pas peser sur le pouvoir d'achat car la consommation est le moteur de la croissance en France. Les équations à résoudre ne sont pas simples. Puisse ce débat nous aider à éclairer cette question qui, à n'en pas douter, reviendra dans nos discussions dans les prochains mois.
M. Roland Courteau. - Le dispositif des heures supplémentaires de la loi Tepa, traduction législative du slogan présidentiel « travailler plus pour gagner plus », présente une spécificité : le recours aux heures supplémentaires résulte du choix de l'employeur, non de l'employé.
Dès 2007, même les économistes libéraux lançaient l'alerte : un coût élevé pour les finances publiques, une perte pour les ressources de la protection sociale et peu d'efficacité sur le marché du travail. Pour une entreprise, trois heures supplémentaires par an reviennent à économiser quatre embauches sur la période, sans bénéfice réel pour les salariés, en particulier les plus modestes. En définitive, ce dispositif ne prouve-t-il pas que les salaires sont trop bas ? L'effet d'aubaine pour les entreprises est patent, l'effet d'annonce, manifeste. Voilà bien un dispositif au service de la communication gouvernementale !
Dès le premier trimestre 2009, le nombre d'heures supplémentaires a diminué. Chose étrange, il est difficile de trouver des chiffres pour les périodes suivantes... Le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport, souligne le risque d'optimisation fiscale induit par ce dispositif.
En outre, en période de sortie de crise, ce mécanisme freine l'emploi et contribue au blocage des salaires.
Rappelons que le dispositif s'applique aux seules personnes dont la rémunération est inférieure au plafond de la sécurité sociale. Or ces salariés, souvent, ne paient pas l'impôt sur le revenu. Le gain est donc illusoire, voire négatif.
Enfin, ce dispositif, qui vient s'ajouter à ceux que votre majorité a créés depuis 2004, ouvre une nouvelle brèche dans la durée légale du travail, à 35 heures, qui a donné lieu à des accords négociés par les partenaires sociaux. Le Gouvernement cherche à les contourner pour accroître la flexibilité.
Notre compétitivité passe par la recherche et l'innovation, non par l'abaissement du coût du travail. Sans parler des risques qu'entraîne l'accumulation d'heures supplémentaires pour la santé des salariés.
Quid, enfin, du coût pour les finances publiques ? Ce dispositif a incontestablement contribué à creuser le déficit ; son coût fiscal et social s'élevait à 4,4 milliards en 2009 et 4,1 milliards en 2010 pour un gain de 3 milliards seulement.
Le Conseil des prélèvements obligatoires préconise donc la suppression de ce dispositif totalement inefficace et j'ajouterai contraire à l'intérêt général !
M. Aymeri de Montesquiou. - Le rapport du Conseil des prélèvement obligatoires m'a plongé dans le monde des Shadocks : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Les trois scénarios de suppression sont aussi complexes que leur style est abscons.
Rappelons le contexte : en 2007, le monde était euphorique, la croissance était là.
La loi Tepa, sans modifier la durée du temps de travail, a permis de corriger les effets dévastateurs des 35 heures, dont le coût s'élève à 125 milliards depuis 1998. Depuis, la crise a bouleversé la situation. Ce dispositif, qui favorise sans doute le pouvoir d'achat, nuit à l'emploi. Il constitue une niche fiscale de plus en un temps où l'État a besoin de mobiliser toutes les ressources pour combler le déficit. Le Conseil des prélèvements obligatoires envisage trois scénarios, du plus radical -suppression du dispositif- à un simple aménagement. Je lui préfère celui qui irait à la suppression des 35 heures. Hélas, le temps est sans doute mal choisi, les entreprises ne veulent pas d'une modification supplémentaire. Encore une fois, les Shadocks ont raison : tout avantage a ses inconvénients et vice-versa. Pour moi, l'échappatoire serait l'instauration d'une TVA sociale et anti-délocalisations, qui aurait le double effet de pousser les salaires à la hausse et de renchérir les produits importés, au bénéfice de notre production nationale. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et ce n'est sans doute pas un hasard si Einstein déclarait que la chose la plus difficile à comprendre au monde est l'impôt sur le revenu...
M. Bernard Vera. - Quatre ans après la loi Tepa, bouclier fiscal et défiscalisation des heures supplémentaires font l'objet de vives critiques : les promesses n'ont pas été au rendez-vous.
Dès 2007, le groupe CRC avait émis de sérieux doutes sur son efficacité et souligné son coût pour les finances publiques. Hélas, la réalité nous a donné raison : la Cour des comptes estime qu'il coûte un milliard en fiscalité et 3 milliards pour les comptes sociaux.
Avec 4 milliards d'euros, l'État pouvait créer 100 000 emplois, souligne l'économiste Guillaume Duval. En 2008, les 727 millions d'heures supplémentaires représentaient 466 000 emplois à temps plein ; en 2009, les 676 millions d'heures supplémentaires représentaient 434 000 emplois à temps plein. Il est aberrant que les heures supplémentaires coûtent moins cher aux entreprises que les heures normales. Pas étonnant, dans ces conditions, que ce dispositif détruise de l'emploi ! C'est de l'optimisation fiscale.
M. Roland Courteau. - Eh oui !
M. Bernard Vera. - Sans compter que, dans nombre d'entreprises, il a justifié une modération des salaires et n'a fait que conduire à une déclaration des heures supplémentaires, autrefois tues, affirme la Dares. La hausse est donc illusoire.
Avec la crise, le slogan « travailler plus pour gagner plus » a perdu tout son sens : pour les salariés, l'important était de conserver leur emploi. La défiscalisation supplémentaire est une mesure néfaste pour les finances publiques et catastrophique pour l'emploi. Le groupe CRC défend sa suppression. Puisse le Sénat nous rejoindre !
M. Michel Bécot. - Je me réjouis de ce débat : il faut évaluer les politiques publiques. L'heure est venue du bilan de la loi Tepa. La valeur travail reste un principe cardinal pour notre groupe. La défiscalisation des heures supplémentaires a permis d'augmenter le temps de travail et le pouvoir d'achat. Un gain de 150 euros par emploi est loin d'être négligeable pour un ouvrier qui fait deux heures supplémentaires par semaine !
Le bilan est positif pour les salariés du privé comme pour les fonctionnaires.
Le président de la République a donc tenu ses promesses.
Alors que le coût du travail avait augmenté beaucoup plus dans notre pays qu'en Allemagne, il fallait assouplir le dispositif des 35 heures. Le coût économique de la mesure est compensé par le gain de pouvoir d'achat des salariés, qui relance la consommation, et par la baisse du coût du travail. Si l'entreprise fait appel aux heures supplémentaires, c'est pour répondre à un surcroît de travail, pour satisfaire son client : car le fidélisant, elle crée une demande, donc de l'emploi. Le rapport au Parlement de 2009 fait également apparaître l'effet positif de ce dispositif sur le PIB : 0,15 %.
M. Roland Courteau. - C'est trop peu !
M. Michel Bécot. - Le groupe UMP restera attentif au respect de la valeur travail que le président de la République a su réhabiliter au cours de ces dernières années.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. - La loi votée il y a quatre ans avait pour but de revaloriser le travail et de réconcilier la France avec le succès. Vous mettiez ainsi fin à des années d'ambiguïté, tant intellectuelle, morale qu'économique. Un marché du travail de plus en plus rigide avait déprécié la valeur travail : il fallait avoir le courage, comme le candidat Nicolas Sarkozy, de lever les tabous de la société française sur le travail et sur l'emploi.
Dès l'été 2007, le président de la République proposait donc un projet de loi visant tout d'abord à revaloriser le travail, mis à mal par l'adoption des 35 heures : travailler moins n'a jamais fait progresser la richesse de la Nation ! C'est Dominique Strauss-Kahn qui a inventé les 35 heures sur un coin de table, même si Mme Aubry les a portées.
M. Roland Courteau. - Et alors ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Cette décision shadockienne était dénoncée par tous les économistes. Aujourd'hui, chacun peut adapter son temps de travail à ses besoins. Ce dispositif a permis d'atténuer les effets de la crise : pourquoi des salariés qui peuvent gagner 500 à 600 euros supplémentaires devraient-ils y renoncer ? Allez donc le leur expliquer !
L'impact de la mesure est évalué à 0,15 % de PIB. Même si la crise a amoindri ses effets, il n'en reste pas moins favorable à la dynamisation de notre économie. Depuis 2010, la situation s'est améliorée comme en témoigne la forte croissance constatée au premier trimestre 2011. Autres bonnes nouvelles : les créations d'emplois s'accélérent, la production industrielle atteint son plus haut point depuis trente ans, la consommation des ménages reste bien orientée et l'investissement repart. Nous devrions tous nous en réjouir, d'autant que l'OCDE vient d'annoncer que la croissance atteindra 2,2 % en 2011.
M. Roland Courteau. - On en reparlera !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Travaillons ensemble à relever notre économie, au lieu de dire « on en reparlera » ! Cessons de cultiver les divisions entre Gaulois et unissons nos efforts, malgré les échéances électorales ! Le cycle économique est plus favorable à l'évaluation du dispositif, en progression de 4,6 % sur un an, tandis que plus de 50 800 emplois nets sont créés au premier trimestre : preuve que le dispositif ne nuit pas à l'emploi, ce qui est l'inverse, messieurs, de ce que vous avez prétendu tout à l'heure ! En matière de pouvoir d'achat, ce sont 9,4 millions de Français qui ont bénéficié du dispositif en 2008, pour une amélioration de leur revenu de 450 euros en moyenne. Un cadeau aux entreprises ? Les chiffres de la Dares montrent que 80 % des sommes consacrées au dispositif ont bénéficié aux salariés. Les dépenses de consommation ont de même augmenté, préparant une sortie de crise vers le haut.
M. Roland Courteau. - Bref, tout va très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Le coût pour les finances publiques, enfin, est inférieur aux prévisions : 4,8 milliards contre 6 estimés.
Il est temps de cesser de raisonner comme des Shadocks ! La richesse n'est pas un gâteau à partager. Quand M. Courteau dit que les heures supplémentaires ont freiné l'embauche, c'est la preuve qu'il ne comprend rien au fonctionnement d'une entreprise.
M. Roland Courteau. - Vous n'allez pas nous donner des leçons ! !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - C'est ne rien comprendre à ce qu'est un carnet de commandes !
M. Roland Courteau. - C'est vous qui ne voulez rien comprendre !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Vous êtes totalement à côté de la plaque ! Croyez-vous que les chefs d'entreprise sont obligés de choisir entre les heures supplémentaires ou les embauches ?
M. Roland Courteau. - C'est la triste réalité.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Comme si le rôle d'un patron était de tuer l'emploi ! Dans quel pays vivez-vous ? Si votre analyse ne va pas plus loin, la campagne présidentielle promet !
M. Roland Courteau. - Informez-vous !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - C'est ce que je fais ! Vous avez une vision caricaturale, shadockienne de l'économie !
Enfin, M. Vera a prétendu que les heures supplémentaires avaient permis d'arrêter de masquer des heures non déclarées. Arrêtez de penser que les chefs d'entreprise, et notamment de petites entreprises, ne songent qu'à violer la loi ! Nous sommes dans une économie ouverte : notre intérêt est d'aider les entreprises, non de multiplier les obstacles.
En libérant les énergies, cette loi a permis aux Français de gagner plus et de résister à une crise particulièrement grave.
M. Roland Courteau. - La crise a bon dos !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - À l'heure où la France redémarre, chacun voit bien que la réduction des charges sur les heures supplémentaires, la possibilité de travailler plus, de gagner plus et de créer des emplois sont compatibles !