Débat sur la politique forestière
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique forestière et le développement de la filière bois.
Mme Renée Nicoux, au nom du groupe socialiste. - Un tiers du territoire national -96 % en Guyane !- est couvert par la forêt. Celle-ci doit être favorisée, à l'aube du changement climatique car elle est au carrefour de plusieurs enjeux, écologiques, sociaux, économiques. Pourtant, notre pays est loin d'être leader européen pour le bois. Nous importons de grandes quantités de bois, alors que l'Allemagne, dont la forêt est bien moins étendue que la nôtre, en est exportatrice. La filière bois est pour notre pays une ressource dormante. C'est que les débats sur la forêt sont toujours pavés de bonnes intentions que rien ne suit, sinon un amoindrissement des outils d'intervention.
Des plans se mettent en place, certes, mais point de stratégie globale, alors que les restrictions budgétaires font sentir leurs effets.
Nous devons nous interroger sur l'avenir de notre filière bois : nous importons 3 millions de m3 de sciage de résineux. En Guyane, la filière bois est à peine développée et doit faire face à une concurrence de plus en plus forte de produits provenant du Brésil et même de France métropolitaine.
Il est vrai que notre forêt est constituée aux deux tiers de feuillus alors que la filière bois veut des résineux. Certaines régions de montagne en particulier ne sont pas exploitables dans de bonnes conditions économiques.
Le morcellement de la propriété forestière ne facilite pas l'exploitation de la forêt. Il convient d'aider les sylviculteurs. Or, la RGPP sévit. Le Centre national professionnel de la propriété privée forestière manque de moyens. On pourrait accroître l'usage des feuillus dans l'industrie.
L'instabilité de l'approvisionnement national va de pair avec la frilosité des industriels, qui trouvent plus simple d'importer.
Depuis la suppression du Fonds forestier national -qui avait replanté 2 millions d'hectares- il manque un véritable outil national pour la forêt. Le rapport Puech d'avril 2009 proposait la création d'un fonds de reboisement, mais rien n'a suivi.
Sans politique active de plantation, la France sera vite limitée dans ses marges de manoeuvre. Il faut 40 ans pour développer la ressource en bois. Or, depuis quinze ans, la plantation a été divisée par cinq. Une gestion rationnelle de la ressource disponible s'impose.
La France doit se doter d'une vraie politique industrielle du bois. En mars dernier, des acteurs de la filière avaient d'ailleurs appelé de leurs voeux la mise en place d'« un groupe de travail interprofessionnel et ministériel dont la mission serait de réfléchir aux moyens de moderniser notre ressource forestière et de professionnaliser notre sylviculture ». Monsieur le ministre, cette demande est-elle à l'ordre du jour ?
Il faut créer une interprofession du bois. Une telle restructuration en amont du bois devrait être complétée en aval. Le débat est souvent vif entre défenseurs de la forêt de production et ceux qui en ont une approche multifonctionnelle. Je ne crois pas ces approches contradictoires.
La forêt guyanaise est fort peu exploitée : il conviendrait de lui ouvrir des débouchés.
L'objectif des trois fois vingt a été complété par le Grenelle. C'est une bonne chose pourvu que l'on n'aboutisse pas à un épuisement de la ressource. Il serait bon que les installations de biomasse utilisent davantage de déchets d'exploitation.
Valoriser l'exploitation de la forêt est aussi un moyen de développer des espaces ruraux fragiles.
L'ONF remplit de nombreuses missions d'intérêt général. C'est un acteur stratégique incontournable, qui pratique une politique volontariste de gestion de la filière bois. Or il subit de nombreuses attaques des administrations centrales, comme nous avons pu le constater avec la diffusion d'une note de la Direction générale du Trésor... Veut-on renvoyer la gestion des forêts rentables à l'exploitation privée, pour ne laisser à l'Office que les moins rentables ? Ce n'est pas aux collectivités d'assumer tous les coûts de l'aménagement du territoire.
Avez-vous oublié le rapport Gaymard de l'an dernier ? Il n'était pas sans mérites, même s'il était muet sur l'outre-mer.
Ses propositions semblent cependant bien loin... Le rapport Bourdin sur l'ONF est riche d'enseignements. La chute du cours du bois rend délicate la gestion de l'Office.
La Cour des comptes estime cependant que les difficultés actuelles de l'ONF sont dues aux choix managériaux du Gouvernement.
M. Jean-Louis Carrère. - Il y avait une urgence !
Mme Renée Nicoux, au nom du groupe socialiste. - L'ONF n'est pas rémunéré à la hauteur des missions d'intérêt général qu'il assume.
L'avenir de l'Office est indissociable de celui de notre politique forestière.
Certes, structurer la filière bois tout en donnant des perspectives durables et raisonnées à notre politique forestière sera très complexe, mais de nombreuses solutions existent et je pense très sincèrement que la situation difficile que nous traversons actuellement est en grande partie due à un manque de volonté politique.
J'espère que ce débat donnera lieu à une vraie réflexion et à des propositions concrètes. Le président de la République avait déclaré à Urmatt « La France n'a pas de pétrole. La France n'a pas de gaz. Mais la France a des territoires ruraux, une géographie, des ressources naturelles qui représentent un potentiel formidable ». Nous partageons tous ce même constat, maintenant il faut passer aux actes ! (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Leroy, au nom de la commission de l'économie. - Je commencerai par deux éloges, l'un à la forêt française, l'autre à l'action du Gouvernement. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)
On n'aide bien que les gens bien portants. Ne disons pas que la forêt est condamnée au déclin ! Elle se porte bien et c'est une des plus grandes forêts européennes. Multifonctionnelle, elle produit du bois, rend des services sociaux, environnementaux et économiques ; elle a toujours 450 000 salariés, comme il y a vingt ans. Son entretien ne coûte pas cher en crédits publics : 360 millions en 2011. Privés du FFN, les professionnels demandent un effort financier, modeste mais ferme, des pouvoirs publics, pour faire face aux défis.
Or, le Gouvernement a relancé une politique forestière forte. De mémoire d'homme -et les forestiers ont la mémoire longue !-, on n'avait pas entendu de président de la République s'exprimer sur la forêt comme ce fut le cas à Urmatt ou à Égletons ; de mémoire d'homme, on n'avait encore jamais rien vu de comparable au Grenelle de l'environnement. Celui-ci a dégagé un consensus avec l'idée que le bois représenterait une grande partie de l'énergie renouvelable d'ici 2020. Le Grenelle a facilité l'acceptation sociale de cet objectif. Le travail est bon et doit être mené avec conviction.
M. Jean-Louis Carrère. - Incroyable !
M. Philippe Leroy, au nom de la commission de l'économie. - Chaque fois que la filière bois redémarre, notre déficit du commerce extérieur augmente : c'est le deuxième poste négatif de notre balance commerciale.
Est-ce parce que les forestiers ne sont pas malins ? Peut-on se contenter du « y'a qu'à » ? Si tout était simple, le problème serait résolu depuis longtemps. Nous avons une vraie faiblesse du côté du design pour la fabrication de meubles en bois.
Les deux tiers du déficit viennent du manque de bois résineux, parce que la France est essentiellement un pays de feuillus.
L'industrie ne consomme pas de façon massive du bois de feuillus. Cela avait été compris il y a 50 ans, quand on a créé le FFN qui devait reboiser en résineux.
Vous vous êtes bien battu, monsieur le ministre, pour la forêt dans le cadre de la LMA. L'élaboration des plans pluriannuels rencontre des difficultés. La cohabitation des représentants des chambres d'agriculteurs et des forestiers semble n'être pas excellente. L'article 64 prévoit un décret, dont la parution a pris du retard.
Le droit de préférence, inscrit dans cette loi, semble rencontrer des difficultés d'application.
Le rapporteur de la LMA et le groupe d'études sénatorial sur la forêt sont très attachés à la mise en place des assurances. Le décret n'est pas encore paru. L'adoption de cet article de la LMA était un beau combat, que le ministre a bien mené.
Une fois les ressources mobilisables identifiées par les PPRDF, il faudra des investissements supplémentaires pour aller les chercher en forêt. Les récoltes sont essentiellement à prévoir dans la forêt privée. Les sommes en cause seraient évaluées entre 50 et 100 millions par an pour lancer le reboisement. Nous attendons ces crédits du fonds « chaleur », créé par le Grenelle, mais ce fonds consacre des moyens à d'autres dossiers. Utiliser pour la forêt les quotas « carbone » ? Je crains qu'à court terme, on n'en reste au stade des incantations.
Comme Mme Nicoux, je déplore la suppression du FFN. La France doit consacrer un gros effort au reboisement, faute duquel nous nous mettrions en déséquilibre. Il faut replanter plus de 100 millions de plans chaque année ; on le faisait et on est redescendu à 28.
La situation est dramatique. Le déficit structurel de la France en résineux ne pourra que s'aggraver d'ici 2030.
M. Jacques Berthou. - Et tout va bien !
M. Philippe Leroy, au nom de la commission de l'économie. - Les professionnels du bois s'organisent. Les critiques qui leur sont parfois faites sont injustes.
Je vous mets en garde contre les conflits d'usage qui pourraient se présenter entre bois industrie et bois énergie.
L'ONF mérite un examen particulier, au moment où l'État cesse de financer son action et le met en déséquilibre structurel. Le partage des responsabilités entre l'État et les communes forestières doit être revu : tout ne doit pas peser sur ces dernières.
Je conclurai sur notre souci de reconstituer en France une grande pensée forestière. Nous n'avons pas d'école susceptible de former des ingénieurs forestiers, des experts capables de porter à l'étranger les valeurs de notre forêt ; nous ne tenons plus notre place dans les démarches technologiques. Ce qui est fait est bien fait, avec des gens compétents -mais en nombre insuffisant. Je rejoins Mme Nicoux sur l'idée d'équipes pluridisciplinaires capables de nous aider à penser l'utilisation du bois de feuillus dans la construction.
Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre. Vos états de service en matière forestière ne sont pas si mauvais ! (Applaudissements sur certains bancs UMP)
Mme Anne-Marie Escoffier. - J'abandonne les rats taupiers, évoqués ce matin, pour la forêt en cet après-midi. Un article du Monde évoquait naguère les plaisirs enfantins de monter aux arbres et le Baron perché d'Italo Calvino, un sujet qui n'est pas si éloigné de ce débat. La forêt française est la troisième d'Europe mais la moins productrice et nous devons importer de grandes quantités de bois : ces importations sont le deuxième poste de notre déficit commercial.
Plusieurs objectifs ambitieux ont été fixés pour la filière bois. L'ONF, outil d'une volonté, tient une place privilégiée dans ce plan stratégique. Sa détérioration financière, constatée par la Cour des comptes, a nécessité des mesures urgentes. Les propositions Bourdin et Gaymard ont eu pour but d'améliorer les choses. Lesquelles peut-on mettre en oeuvre ? Je n'ignore pas les craintes manifestées par les syndicats à propos de la diminution des effectifs, du management par objectifs, de la priorité maintenant donnée au tout résineux.
Il faut aussi que les propriétaires privés puissent réinvestir dans la forêt. Cela suppose une politique fiscale adéquate. On pourrait transformer les exonérations fiscales en crédits d'impôts, faire supporter aux chasseurs le coût des dégâts qu'ils causent...
L'utilisation du bois dans la construction devrait être décuplée. Mais priorité a longtemps été donnée aux feuillus... Comment alors accroître la part du bois dans la construction ? Je ne doute pas de votre volonté, monsieur le ministre, et je mesure la difficulté de la tâche. Mais je crains que les espoirs suscités par le président de la République ne soient illusoires.
N'oubliez pas qu'ici-même Chateaubriand, pair de France, demandait d'accorder plus d'attention à la forêt en déclarant : « Les forêts précèdent les peuples et les déserts les suivent ». (« Très bien ! » et applaudissements)
Mme Évelyne Didier. - Beaucoup ont jugé irréalisables, voire nocifs, les objectifs assignés par le président de la République à la forêt française. Depuis la suppression du FFN, le reboisement est insuffisant et la forêt ne se renouvelle que par elle-même. On méconnaît les objectifs bio-géo-chimiques. On oublie que l'exploitation de la forêt montagnarde n'est pas forcément rentable économiquement.
De plus, la rentabilité de la forêt ne se mesure pas en mètres cubes ; elle a beaucoup d'effets environnementaux -un rôle de filtre pour l'eau, de protecteur de la biodiversité-, et sociaux -la promenade dans la forêt est devenue possible à chacun depuis la fin des privilèges durant la Révolution. Le temps de la forêt n'est pas celui du marché ; les chênes de la forêt de Tronçais, remontant à Colbert, sont de véritables cathédrales végétales. Nous devons aider les propriétaires, qu'ils soient publics ou privés, à construire une stratégie collective. Seuls les pouvoirs publics peuvent coordonner ces efforts. Le développement du bois énergie doit être conjugué au circuit court, sans quoi l'impact est fort sur les émissions de CO2.
Une note délirante de Bercy envisageait un changement du régime forestier. Attention à la marchandisation de la nature ! La compensation écologique est un mirage. Monsieur le ministre, cette idée saugrenue est-elle définitivement enterrée ? Il convient de répondre au malaise social à l'ONF et aux questions des forestiers. L'intérêt national doit primer sur la RGPP : on plante pour dans 50 ans au minimum !
Comment rééquilibrer la gestion des forêts publiques et privées ? Comment redonner du sens au métier de forestier ? Finissons-en avec ce court-termisme ! Tournons le dos à l'illusionnisme ; on ne construit pas une politique forestière sans moyens. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Boyer. - Débat capital, car la filière bois participe de l'aménagement et du développement de nos territoires. Sénateur de Haute-Loire, je sais toute la richesse de la forêt. Ce débat est l'occasion de sensibiliser l'opinion à l'importance de la filière bois. La forêt progresse depuis 1820 pour couvrir aujourd'hui 27 % du territoire métropolitain. La forêt, en aval, concourt à l'existence de nombreux métiers -meuble, papeterie ; les chasseurs et tous ceux qui aiment s'y ressourcer en sont amoureux La forêt est une chance, une force ; à nous de l'organiser et de la soutenir par une politique ambitieuse, notamment en matière de transport et surtout de fret ferroviaire. Que de gares désaffectées dans nos massifs forestiers !
La forêt est un grand espace de biodiversité ; on y a recensé plus de 128 variétés d'arbres. La LMA a généré des inquiétudes chez les petits propriétaires ; le temps est maintenant à l'apaisement.
La forêt progresse tandis que la récolte diminue, au point de ne toucher que 60 % de l'accroissement naturel.
Notre forêt est sous exploitée. Les pôles d'excellence rurale l'ont montré.
La loi de modernisation de l'agriculture a souligné la volonté du Gouvernement d'améliorer l'exploitation et la protection de la forêt ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Louis Carrère. - Sénateur du département des Landes, je parlerai du massif des Landes de Gascogne qui a subi en 2010 une deuxième tempête majeure. La tempête Martin de 1999 a détruit 18 % des arbres ; puis la tempête Klaus a ravagé 30 % de ce qui restait. Au total, la moitié de ce massif a été touchée ; et le prix du bois s'est érodé. Et l'on continue de dire que tout va bien ! Le système d'aide n'a pas profité aux vraies victimes : les producteurs.
Se dresse devant nous un vrai défi pour les générations futures : redonner confiance aux producteurs en créant une assurance forestière. Ainsi nous rendrons à la forêt ses services environnementaux : je propose une dotation carbone ainsi qu'une aide à la remise en culture. On prélèverait sur les ressources telles que le béton, le pétrole ou certains produits alimentaires. On sortirait ainsi du temps politico-médiatique !
M. Didier Guillaume. - Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. - La RGPP a hypothéqué l'action des centres départementaux de la propriété forestière et l'ONF. La propriété privée, souvent très morcelée, nécessite un accompagnement public, d'autant que la forêt est aujourd'hui attaquée par les scolytes.
Je propose également, sur l'exemple des autres pays européens, de promouvoir les structures collectives d'approvisionnement et de traitement des sciages couplées à des projets de cogénération. En outre, il faut faciliter l'accès à la matière première en mettant en place des coopératives.
Enfin, il faut une incitation fiscale pour le regroupement des entreprises de travaux forestiers, de taille trop réduite. Sans quoi, celles-ci, dix ans après la tempête, ne pourront pas faire face à la concurrence.
Rendons à la forêt de l'espoir ! Relisez l'éditorial « Inciter à défricher » dans la revue Forêts de Gascogne, qui n'est pas connue pour son gauchisme ! Une politique forte en faveur du bois est indispensable pour aider ce secteur à surmonter ces moments difficiles ! (Applaudissements à gauche)
M. Gérard César. - Je me réjouis de ce débat consacré au bois, trop souvent évoqué au détour de débats sur l'agriculture. Rapporteur de la LMA, je m'étais attaché à travailler le volet forestier. M. Leroy a voulu ce débat...
M. Jean-Louis Carrère. - Non, ce sont les socialistes !
M. Gérard César. - M. Leroy a relevé le défi !
M. Jean-Louis Carrère. - Soit ! Mais rendons à César ce qui lui appartient.
M. Gérard César. - C'est pourquoi je suis là ! (Sourires)
Je ne m'explique pas le retard de publication des décrets. Le président de la République a annoncé la remise à plat des dispositifs fiscaux en faveur de la forêt d'ici la fin de l'année.
Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer que cet engagement sera tenu ?
Pour finir, parlons des Landes, durement touchées par les tempêtes Martin et Klaus et les attaques de scolytes et de chenilles processionnaires. La sécheresse va encore aggraver ces difficultés phytosanitaires. Les propriétaires demandent que le traitement de la forêt -en réalité de 30 000 hectares seulement- soit entièrement pris en charge par l'État, étant donné que ses services n'ont pas pris la mesure du danger. Pour autant, les propriétaires n'attendent pas tout de l'État, ils ont mis en place une caisse de prévoyance. Merci de vos réponses si importantes pour le devenir des Landes et de la forêt française. (Applaudissements à droite)
M. Gérard Bailly. - Sénateur du Jura, département connu pour ses forêts et ses jouets en bois, je sais combien la forêt est parfois mal exploitée. Il faut apprendre à bien la cultiver. Après de nombreuses années de turbulences, la forêt a besoin de stabilité. Plus cela ira, plus le bois sera nécessaire.
Pour pouvoir mener une politique ambitieuse du bois, il faut améliorer les dessertes, notamment en zones montagneuses. Cela suppose des moyens. Autre difficulté, la sanctuarisation des zones Natura 2000. La forêt multifonctionnelle, pourquoi pas ? Mais à condition de ne pas réduire son exploitation. Autre handicap, le morcellement des parcelles. Il faut favoriser les regroupements, ce qui améliorera l'expertise. Pour le bois énergie, il faut aller vers une contractualisation pour un approvisionnement de la matière première par les scieries locales. Il est absurde d'acheter à l'extérieur : on multiplie les transports par camion quand l'offre existe sur place.
Les communes forestières réclament que l'ONF ne soit pas démantelé et qu'une solution acceptable par toutes les parties soit trouvée pour le financement des pensions.
Certaines communes qui avaient souscrit à des prêts en travaux au Fonds forestier national souhaiteraient sortir du dispositif. On nous parle d'une circulaire, rédigée mais non signée...
La filière bois est un atout considérable pour notre pays. A nous de lui accorder davantage de considération ! (Applaudissements à droite)
M. Yves Daudigny. - Ce soir, je veux vous parler de confiance. Le traumatisme causé par les tempêtes de 1999 et 2009 témoigne de l'attachement des Français à leur forêt. Dans mon département de l'Aisne, 70 % des propriétaires sont privés. Les antennes de l'ONF y jouent un rôle remarqué. Pourtant, depuis plus d'un an, un conflit oppose l'ONF et les populations à propos de la gestion du massif de Saint-Gobain. Des coupes à blanc en lisière pour renflouer les caisses se multiplient. La RGPP n'explique-t-elle pas ce changement brusque d'attitude de l'Office dont la réputation fut si longtemps sans tache ? Gestion économique et missions d'intérêt général doivent s'équilibrer.
Cette incompréhension m'inquiète. Il faut restaurer la confiance, soulignait le rapport Gaymard, pour développer la filière du bois. Dans l'Aisne, d'après une récente étude, la filière bois pourrait créer 2 400 emplois. Sans une politique coconstruite, sans la confiance, nous n'arriverons pas à suivre ce chemin ! (Applaudissements à gauche)
M. Yann Gaillard. - Longtemps président de la Fédération nationale des communes forestières, j'ai commis à ce titre une sorte de petit coup d'État en paraphant la convention de l'ONF pour la période 2006-2011. Un souvenir agréable, mais troublé. Quelques semaines après, nous découvrions des frais supplémentaires liés entre autres à la retraite des fonctionnaires et à la mise à bail des maisons forestières...
Je me suis laissé aller à dire que l'État reprenait d'une main ce qu'il a donné de l'autre.
Il est question que la fédération des communes forestières signe le prochain contrat. Un récent rapport confidentiel -mais bien vite diffusé- les a rendues amères, qui faisait appel au sens de la responsabilité des élus, alors que le partenariat entre l'ONF et les communes forestières, y compris sur des sujets difficiles, s'est approfondi, dans une période économiquement peu favorable. Les conditions sont peut-être réunies pour réfléchir à une contribution plus équitable des communes forestières, et plus incitative à une gestion durable et dynamique. Le rendez-vous de la préparation du nouveau contrat sera manqué si l'ONF est maintenu dans une situation financière structurellement déficitaire et si les relations sociales conflictuelles perdurent. Ce serait un grand malheur pour la forêt française mais je compte sur vous, monsieur le ministre, pour l'éviter ! (Applaudissements à droite)
M. Philippe Nachbar. - Le développement de la filière bois est une « ardente nécessité »... Il n'en a pas toujours été ainsi. Ma région, la Lorraine, cinquième productrice, avait pris les devants ; elle accueille le premier pôle d'enseignement et de recherche en ce domaine.
Rien ne sera possible sans les 12 000 communes forestières : elles représentent 40 % de la production. Elles coopérèrent déjà étroitement avec l'ONF. Il serait impensable d'augmenter leur contribution et de réformer le régime forestier, comme le préconisait une récente note de la direction du Trésor.
Monsieur le ministre, pouvez-vous prendre l'engagement devant le Sénat et les communes forestières de conserver le régime forestier, de maintenir les missions de service public de l'ONF et la subvention que l'État accorde à l'Office ? (Applaudissements à droite)
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. - Avec quelques heures de retard, me voici à nouveau au Sénat, où je répondais ce matin à une question sur les rats taupiers, pour débattre de cet enjeu majeur que représente la forêt.
La forêt est un atout pour la France : elle est indispensable pour la captation de carbone, l'aménagement de notre territoire, notre économie et nos emplois. Sait-on que la forêt emploie davantage que l'automobile et qu'elle contribue davantage que l'aéronautique à notre excédent commercial ?
Cet atout, nous l'avons délaissé durant des années. La filière était déficitaire de 7 milliards en 2010. Autrement dit, il y a quelque chose qui cloche dans le royaume de la forêt...
Plus de résineux, plus de designers cela est possible. L'Allemagne, avec une surface moins vaste, emploie 175 000 personnes de plus que nous dans la forêt. Nous avons des progrès à faire.
Pour revaloriser la forêt, il faut améliorer l'aval, l'industrie. Nous avons créé le Fonds bois en 2010 et des aides complémentaires : subventions et prêts Oseo. A nous de mieux utiliser ces outils. Autre nécessité, le développement de la construction et de l'énergie bois. Traditionnellement en France, on construit en pierre, non en bois...
Je me suis battu à Matignon pour que le tarif de rachat de l'électricité produite à partir du bois ne lèse pas les petits producteurs. Le fait est que nous avons un conflit d'usage pour le bois. Nous avons pour principe de suivre la hiérarchie des usages et de privilégier les plus hauts rendements.
Une profession rassemblée pourra gagner. Je tiens à ce que l'interprofession soit unie ; les querelles de chapelle sont le drame de la forêt. Nous avons pu le faire pour la viticulture ; nous devons pouvoir le faire pour le bois. Les acteurs doivent passer d'une logique de confrontation à une logique de complémentarité. Le décret concernant les forêts de 25 hectares est à la signature et sera publié incessamment. Créer un statut de gestionnaire forestier ? Les experts forestiers s'inquiètent. Nous avons proposé d'interdire aux gestionnaires la vente de bois provenant des parcelles qu'ils exploitent. Le décret est en préparation.
Le droit de préférence pose problème. Il faudra donc réécrire l'article ; ce sera fait au plus tôt.
La révision du contrat d'objectif de l'ONF doit aboutir en juillet. Il est exclu de remettre en question le régime forestier et la mission du service public de l'Office. Des notes émanant de tel ou tel bureau peuvent circuler dans la presse, mais en République, c'est le Gouvernement qui décide.
L'État prendra ses responsabilités, pour réduire le déficit de l'Office, en liaison avec les forestiers et les communes concernées.
Le bois doit être transporté. Un décret a été pris pour la cartographie des itinéraires sur lesquels pourront circuler les camions de 40 tonnes...
Mme Évelyne Didier. - L'état des chemins...
M. Jean-Louis Carrère. - Les routes ne dépendent pas du Grenelle de l'environnement !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Les décrets sur les risques liés aux tempêtes doivent paraître prochainement.
Nous avons une divergence d'appréciation sur la chenille processionnelle : les défoliations de peuplement ont cessé, il n'est donc pas nécessaire de prévoir un traitement, d'autant que celui-ci coûte très cher et est très nocif. Contre les scolytes, il n'existe qu'une seule stratégie, en trois temps. Ce plan d'action scolytes a été lancé à la suite de votre appel, le 15 mars ; il coûtera 7 millions à l'État et permet le traitement systématique des piles de bois en bordure de route depuis cette date.
M. Jean-Louis Carrère. - C'est très bien !
M. Gérard César. - Et ça marche !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Pour le charançon, nous avons répondu très vite aux demandes des professionnels.
Il faut enfin relancer l'investissement en forêt. Le niveau des plantes est au plus bas depuis 30 ans ; on risque ainsi de manquer de résineux, mais aussi de hêtres : j'ai dans l'Eure une des plus belles hêtraies d'Europe, celle de Mons.
La recherche forestière est essentielle à notre sylviculture. La seule action possible est l'incitation fiscale. Le président de la République l'a reconnu à Égletons. Je travaille donc à une fiscalité forestière incitative, qui prenne en compte les spécificités de la forêt. C'est une priorité absolue. Sans cela, nos efforts n'auraient servi à rien.
Nous devons aussi faire preuve d'imagination pour les financements, par exemple en inventant une méthode de rémunération des sylviculteurs pour le stockage du carbone : on aide bien les éleveurs pour ce motif !
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Le paquet Énergie-climat nous offre une voie possible : une juste part du revenu des enchères des droits à carbone doit aller à la forêt.
Vous le constatez : nous ne manquons ni d'imagination, ni de détermination pour défendre la filière sylvicole française, qui mérite nos efforts et justifie le débat de cet après-midi. (Applaudissements au centre et à droite)
La séance est suspendue à 20 h 45.
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présidence de M. Roger Romani,vice-président
La séance reprend à 22 h 45.