Situation en Afghanistan (Questions cribles thématiques)
M. le président. - L'ordre du jour appelle des questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
Je vous salue, monsieur le ministre, et vous dit notre plaisir de vous accueillir au banc du Gouvernement : nous vous souhaitons plein succès dans vos nouvelles fonctions. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jacques Gautier. - Comme les 49 pays membres de la force internationale d'assistance et de sécurité en Afghanistan, la France intervient dans le cadre de la résolution 1386 du Conseil de sécurité, avec le mandat de stabiliser le pays et de créer les conditions d'une paix durable. Les efforts de la communauté internationale commencent à porter leurs fruits. Mais les médias ne parlent que d'attentats, de dommages collatéraux, de victimes. Or la reconstruction est en marche, vallée par vallée ; on construit des routes, des tribunaux, des écoles, des terrains de sport, des infrastructures hydrauliques, des silos de stockage. Monsieur le ministre, quand parviendra-t-on à faire connaître ce volet positif de notre action, sans lequel il n'y a pas d'avenir pour l'Afghanistan ?
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. - Votre observation est légitime. Un formidable travail est accompli sur le terrain. Le chef d'état-major de nos armées organise la présence des journalistes qui le souhaitent dans les secteurs dont nous avons la charge. En moyenne, il y a deux à trois journalistes français présents ; 64 médias français sont venus l'an passé, 200 journalistes au total. À eux ensuite de faire leurs choix.
Cette séance de questions cribles est l'occasion de rappeler ce formidable travail de reconstruction. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jacques Gautier. - Je fais le rêve que les journalistes parlent de ce qui fonctionne.
Mme Nathalie Goulet. - Pas seulement en Afghanistan !
M. Jean-Louis Carrère. - Je souhaite que les journalistes fassent leur métier, tout simplement.
M. Alain Gournac. - Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. - Nous entrons aujourd'hui dans le domaine réservé et peut-être exclusif du président de la République.
Réintégration dans le commandement intégré de l'Otan, surdité au Maghreb, suivisme en Afghanistan : nous avons beaucoup à critiquer dans cette stratégie dans laquelle la France n'est pas associée aux décisions. Notre position est claire : il faut aller vers un retrait progressif, négocié et planifié. Tout le monde sait que la solution ne peut être que politique. Nous devons sortir d'une logique infernale qui a obligé d'autres puissances à se retirer piteusement d'Afghanistan en laissant les Afghans sous le joug de l'obscurantisme. Il faut négocier, planifier avec nos alliés et les autorités afghanes. Nous souhaitons une grande négociation internationale : le président de la République annoncera-t-il que le retrait débutera cette année ?
M. Gérard Longuet, ministre. - Les troupes françaises ont vocation à transférer leurs responsabilités aux autorités afghanes, secteur après secteur ; c'est l'afghanisation. Nous faisons partie du Joint afghan-Nato Inteqal board (Janib), qui évaluera la situation de la région de Surobi cette année. La décision définitive appartient au président Karzaï ; il serait imprudent de donner un calendrier précis dès aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Louis Carrère. - Il faut imiter les Américains quand ils agissent de façon juste. Nous souhaitons un débat parlementaire sanctionné par un vote sur l'opportunité du maintien, comme il y a eu aux États-Unis, car l'opinion souhaite que nous quittions le bourbier afghan et qu'une action politique se substitue à l'action militaire.
Mme Michelle Demessine. - Le 24 février, le 54e soldat français est mort en Afghanistan. La douleur des familles, immense, est accentuée par l'incompréhension de notre rôle dans ce pays : 72 % des Français n'approuvent pas notre intervention militaire -55% des sympathisants UMP. Près de neuf Français sur dix y voient un risque d'enlisement, quand la guerre a fait l'an passé encore 10 000 morts, dont 711 soldats de l'Otan. C'est la plus longue guerre de notre histoire, plus longue encore que celle qu'y ont menée les Soviétiques. Votre seul leitmotiv c'est de rester le temps qu'il faudra, tandis que Robert Gates admet que son ambition est de laisser l'Afghanistan au moins dans l'état où les Soviétiques l'ont laissé...
Cette guerre ne doit pas être menée dans le silence. Monsieur le ministre, quand allez-vous organiser un débat parlementaire sanctionné par un vote ? (Applaudissements à gauche)
M. Gérard Longuet, ministre. - La reconstruction de l'État afghan progresse, la liberté d'expression y est effective avec 700 journaux et 30 chaînes de télévision, les femmes représentent 28 % des parlementaires, 35 % des filles sont scolarisées, 85 % de la population accède aux soins de première nécessité, la production électrique a triplé. Les familles de nos 54 soldats tués peuvent être fières que leurs enfants aient oeuvré à la paix. L'Afghanistan sort du Moyen-âge pour entrer dans le XXIe siècle. C'est un processus de longue haleine, mais nos efforts portent leurs fruits. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Michelle Demessine. - On parle d'améliorations depuis des années, mais sur le terrain, la réalité est bien différente !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Notre vision du monde arabo-musulman a longtemps été prise entre le spectre de la dictature et celui du terrorisme. C'est peut-être ce tropisme erroné qui a conduit à un engagement en Afghanistan sans perspective de retrait à court terme, à l'intervention en Irak avec les déboires que l'on sait, à la diabolisation de l'Iran.
Pourtant, ces derniers mois ont vu le surgissement d'une véritable opinion publique arabe. De la Tunisie à la Libye, on retrouve une même jeunesse éduquée et mobilisée, une démocratie naissante. Si le terrorisme n'a plus l'initiative on ne saurait dire pour autant qu'il s'essouffle ; ses réseaux restent actifs.
Cela pose plusieurs questions relatives à l'Afghanistan. Peut-on espérer voir l'émergence d'une véritable opinion publique afghane ? Comment la France peut-elle accompagner ce mouvement ? L'émergence d'une telle opinion publique sera-t-elle signe de notre succès et de notre retrait du théâtre afghan ?
M. Gérard Longuet, ministre. - La reconstruction d'un État est liée à l'évolution de la société. J'ai pu mesurer la diversité de la société afghane, son hermétisme aussi aux valeurs et aux mécanismes d'une grande démocratie moderne.
Le préalable à la démocratie, c'est l'échange : il passe par la liberté de la presse, l'amélioration des transports, des télécommunications. La circulation de l'information, des services, des biens et des personnes peut faire bouger la société afghane : c'est l'objectif ambitieux de notre présence. (Applaudissements à droite)
M. Yves Pozzo di Borgo. - Dans les législatives afghanes, la participation a atteint 40 %, 68 des 249 parlementaires sont des femmes. C'est un progrès.
M. Jean-Louis Carrère. - Il y en a plus qu'à l'UMP !
M. Jean-Pierre Chevènement. - M. Karzaï va annoncer, le 21 mars, quand et où l'armée afghane prendra le relais de la force internationale ; selon M. Juppé, la sécurité a été rétablie par les troupes françaises dans le district de Surobi. La Grande-Bretagne a annoncé son retrait au plus tard pour 2014, le président Sarkozy a préféré dire que nous n'étions pas liés par ces délais. Est-ce raisonnable ? C'est le président Karzaï qui décidera en dernier ressort. Alors que l'afghanisation va commencer dans trois semaines, vous paraissez accepter un retrait pour fin 2011 ; vos propos sur la reconstruction de ce pays me rappellent ceux du gouvernement français à propos de la situation algérienne de 1961...
N'est-il pas temps dès maintenant de réduire nos effectifs ? Comment mieux associer la France à la transition démocratique en Afghanistan, à l'éventuelle réconciliation des factions pachtounes ?
M. Gérard Longuet, ministre. - Le projet politique contribue à transmettre à l'État afghan la responsabilité de gérer ce grand pays qu'est l'Afghanistan, qui n'est pas encore moderne. Le monde musulman paraissait hermétique aux idées de liberté et de démocratie, des évolutions sont en cours qui mettent à mal bien des idées communément admises. Pour l'Afghanistan, nous essayons de faire évoluer la société en créant les structures d'un État. Nous allons saisir le Janib de la situation à Surobi pour obtenir une décision du président Karzaï ; nous passerons alors la main. Dans la Kapisa, le calendrier ne sera pas le même.
Je n'imagine pas qu'il n'y ait pas un débat public sur l'évolution de notre engagement. Nous sommes loin des pages d'histoire que vous avez évoquées. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Pierre Chevènement. - Nous pourrions redéployer nos moyens vers le civil, conformément à une grande et belle tradition française. L'Inde et la Chine investissent ; nous devons rester présents en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
M. André Dulait. - Le Livre blanc a profondément modifié le fonctionnement du ministère de la défense ; les restructurations ont replacé l'homme au centre du dispositif. C'est essentiel au moment où nous sommes engagés en Afghanistan dans un conflit qui n'est pas qualifié de guerre, au moment où la société redécouvre la notion de sacrifice suprême. Un certain nombre de nos concitoyens ont évoqué la possibilité d'une commémoration. Je veux aussi évoquer la place dans la société des futurs ex-soldats. Qu'en pensez-vous ?
M. Gérard Longuet, ministre. - Depuis vingt ans, 200 000 soldats ont été engagés dans des Opex de natures très différentes. Le ministère a envoyé un questionnaire à 5 000 militaires de tous grades : comment souhaitent-ils que la reconnaissance de la nation leur soit accordée ? Sans attendre, nous avons accordé le bénéfice de la campagne double aux militaires engagés en Afghanistan.
Les familles bénéficient d'un soutien matériel solide. Nous avons simplifié les procédures. Pour les blessés, nous facilitons les reconversions, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'armée : c'est le devoir, l'honneur, la tradition de nos armées. (Applaudissements à droite)
M. André Dulait. - je vous remercie. La nation doit reconnaissance à ces soldats. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean-Pierre Bel. - L'enjeu, en Afghanistan, c'est la guerre ou la paix, la stabilité régionale, la place de la France et de l'Europe dans les relations internationales : c'est dire qu'il faut aborder le sujet avec gravité et sens des responsabilités.
L'objectif est de lutter contre les terroristes là où ils se trouvent. Cependant, le Pakistan et bien devenu un angle mort de notre action : les talibans recrutent localement mais peuvent compter sur des forces venues de ce pays. Les Américains mènent des opérations en territoire pakistanais. La France participe-t-elle à leur côté aux opérations dans les zones tribales pakistanaises, sanctuaires d'Al Qaida ? Sommes-nous associés aux décisions qui conduisent à des frappes dans les zones frontalières ? Avons-nous des échanges diplomatiques avec le Pakistan sur ces questions ? Comment agissons-nous pour obtenir de ce pays une clarification de sa position ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Gérard Longuet, ministre. - Le déplacement à Kaboul d'il y a dix-huit mois, que nous devons au président du Sénat, m'a beaucoup appris. Je suis catégorique : l'armée française n'intervient au Pakistan ni directement ni indirectement. Nous ne sortons pas du mandat de la résolution 1386. Cependant, sur le plan diplomatique, nous recherchons des solutions aux conflits qui traversent le Pakistan et qui menacent tout le sous-continent. N'oublions pas que les dynasties mogholes qui ont occupé l'Inde sont venues d'Afghanistan...
M. Jean-Pierre Bel. - Une victoire militaire en Afghanistan est impossible, tout le monde en convient. Nous demandons un débat parlementaire sanctionné par un vote sur une stratégie qui ne peut aboutir. Nous demandons un calendrier de retrait progressif, planifié, concerté avec nos partenaires et les autorités afghanes.
M. Didier Boulaud. - Vous n'avez guère été convaincant en réponse à M. Gautier...
Le général français à la tête de nos troupes est convoqué tous les mois par le Pentagone à s'entretenir avec les journalistes américains. Tous les trimestres, le parlement canadien dispose d'un important rapport public sur l'engagement des forces. La critique de la presse est facile ; je rends plutôt hommage à nos deux journalistes otages en Afghanistan depuis 430 jours.
Aujourd'hui, la « Grande muette » est muette parce qu'elle en a instruction : nous vous demandons de libérer sa parole. Je vous demande de libérer les moyens d'information de l'armée.
Cinq hélicoptères Caracal ont été financés par le plan de relance, mais il semble que l'un d'eux soit destiné à l'exportation. Est-ce le moment, quand l'armée a le plus grand besoin de ces appareils en Afghanistan ?
M. Gérard Longuet, ministre. - Merci d'évoquer les deux journalistes de France3 ; l'armée française avait tout fait pour qu'ils puissent exercer leur métier, ils ont courageusement choisi d'aller au-delà et ils en sont aujourd'hui victimes : je rends hommage à tous les journalistes qui viennent sur le terrain pour comprendre et expliquer. Toutes les semaines, la direction de la communication du ministère tient un point de presse. L'armée fait son travail d'information.
Sur l'hélicoptère Caracal, s'il y a eu des perspectives d'exportation, il n'y en a plus. La priorité est aux Opex. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. le président. - Nous avons tous une pensée pour nos troupes et pour tous les otages retenus dans le monde.
Le débat est clos.
La séance est suspendue à midi vingt.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
La séance reprend à 14 heures 30.