Débat sur l'avenir de la politique agricole commune
M. le président. - Nous allons maintenant débattre de l'avenir de la PAC.
M. Jean Bizet, co-président du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. - La voie de la réforme de la PAC est ouverte, depuis la communication de la Commission européenne du 18 novembre. Nous avons aussi un point de repère avec la position commune franco-allemande.
On ne peut qu'être soulagé par la tournure que prennent les événements. Le commissaire européen chargé de l'agriculture est un ami de la PAC, cela se sait, cela se sent, tout comme l'influence en ce sens de M. Le Maire.
Le principe de sécurité alimentaire a été maintenu et a été rappelée l'importance de l'agriculture, qui sert l'ensemble des citoyens.
Ces motifs de satisfaction ne doivent pas cacher quelques motifs d'inquiétude.
Première réserve : La Commission est silencieuse sur le budget. Or la question finira par se poser, sachant que plusieurs États membres choisiraient la politique de cohésion contre la PAC, s'il y avait alternative.
Deuxième réserve : les absences. Le concept de régulation semble abandonné. L'intervention n'est conservée qu'à titre de filet de sécurité et l'alimentation n'apparaît que dans le titre, alors qu'il aurait été bon de la mettre vraiment en avant.
M. Jacques Blanc. - Très bien !
M. Jean Bizet, co-président du groupe de travail. - Troisième réserve : les contradictions internes. Comment croire la Commission quand elle parle de simplification alors qu'elle complique les choses avec un système d'aides en strates ou, pour reprendre une expression italienne, en lasagnes ? (Sourires) Les agriculteurs appellent pourtant de leurs voeux une véritable simplification.
Les aides directes devraient être modulées de manière à ce que les agriculteurs soient mis en situation de pouvoir négocier à égalité avec les industriels de l'alimentaire.
M. Roland du Luart. - Très bien !
M. Jean Bizet, co-président du groupe de travail. - Je regrette aussi le verdissement de la PAC. L'intégration d'objectifs environnementaux n'est pas critiquable en tant que telle mais faut-il vraiment en faire le fil rouge de la réforme, au point que le mot apparaît 35 fois ? Le problème n'est pas de verdir mais de déterminer que verdir et comment. L'environnement a sa place dans la PAC, qui ne doit pas être la première. Puisse le sens commun être aussi le sens communautaire ! (Applaudissements à droite)
M. Jean-Paul Emorine, co-président du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. - La réforme de la PAC est un feuilleton permanent, qui nous tient régulièrement en haleine, parce que, seule politique communautaire intégrée, la PAC est essentielle au maintien de l'agriculture dans des territoires qui seraient, autrement, abandonnés (M. Jacques Blanc le confirme) : elle structure l'agriculture européenne.
La commission de l'économie et la commission des affaires européennes du Sénat ont décidé d'intervenir conjointement, très en amont, afin de mettre en avant des propositions et des priorités pour conserver une PAC forte.
Le groupe de travail commun sur l'avenir de la PAC, constitué en mai dernier, a rendu un premier rapport au mois de novembre, avant même la communication de la commission. Voici quatre points clefs de nos propositions, qui s'inscrivent toutes dans le souci de conserver une PAC forte après 2013.
Premier point clef : la régulation.
La PAC n'a cessé d'être réorientée vers le marché. Avec la volatilité des prix, les agriculteurs voient leurs revenus varier considérablement d'une année sur l'autre. Pour le groupe de travail, la nouvelle PAC ne pourra faire bien sûr abstraction des marchés mais devra conserver un objectif de régulation avec des instruments adaptés et réactifs.
Deuxième point : les aides directes.
Le nouveau régime des aides directes devra être adapté pour être rendu plus acceptable par tous. La Commission ne propose pas de passer brutalement à une aide à l'hectare. Nous proposons une évolution vers une convergence des aides à l'hectare.
Au sein des États ensuite, les modalités de calcul des aides directes devront évoluer.
Troisième point : les marges de manoeuvres nationales.
Le groupe de travail souhaite que la PAC reste principalement communautaire mais il faudra respecter un objectif d'aide à la survie de certains agriculteurs ainsi qu'un objectif d'assurance contre les risques et aléas climatiques.
Quatrième et dernier point : le verdissement de la PAC.
Le groupe de travail refuse d'opposer agriculture et environnement, mais il est nécessaire de clarifier les objectifs des deux piliers et de disposer d'enveloppes clairement identifiées pour chacun. La PAC doit rester une politique économique, avant d'être une politique environnementale. La séparation entre deux piliers présente des avantages incontestables de simplicité et de cohérence.
Le groupe de travail va continuer sa tâche, ne serait-ce que pour convaincre nos partenaires. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Bernadette Bourzai, co-présidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. - Je vous ferai part également des observations de Mme Herviaux, co-présidente du groupe de travail, qui n'a pu être des nôtres aujourd'hui.
Pour l'essentiel, les conclusions du groupe de travail sont consensuelles ; cependant, le groupe socialiste a présenté une contribution, annexée au rapport, qui exprime ses divergences.
L'alimentation est un enjeu majeur pour notre avenir : la sécurité alimentaire à long terme doit être assurée, sachant que la demande pourrait augmenter de 70 % dans le monde, d'ici 2050, du fait de la croissance démographique.
Pour que l'agriculteur européen continue de produire, il doit disposer d'un revenu décent et durable. Les répartitions actuelles des aides compensatrices au revenu sont obsolètes, dans un contexte de grande volatilité des marchés. Il est donc indispensable de réhabiliter la régulation, qui permet de lutter contre la spéculation et d'amortir les fluctuations de revenus des agriculteurs. Le danger est évident : de larges pans de l'agriculture pourraient disparaître. Les instruments de régulation doivent donc pouvoir être mobilisés plus vite, d'autant que la concurrence internationale ne se fait pas à armes égales. L'Union européenne ne doit pas se désarmer dans les négociations à l'OMC. Au libre-échange, les socialistes proposent de substituer la notion de juste échange entre grandes zones de production.
Le lien entre agriculture et territoires doit être préservé, si nous ne voulons pas voir la désertification de nos territoires progresser. La Commission propose de maintenir des mécanismes comme l'indemnité compensatoire de handicap naturel. La fonction territoriale des agriculteurs devrait aussi être rémunérée.
Le verdissement n'a pas rencontré l'hostilité de principe du groupe de travail, dans la mesure où il ne devient pas l'objectif premier de la PAC.
L'état d'esprit a changé en Europe à propos de la PAC, avec la crise laitière et l'insécurité alimentaire. On n'en est plus à la ligne ultralibérale de la précédente Commission. Une majorité d'États membres sont maintenant plus réceptifs à l'idée de régulation, notamment grâce à votre action, monsieur le ministre.
La compétitivité a été mise au coeur de la réforme. Une vision trop réductrice de la notion de compétitivité pourrait avoir des effets néfastes : il y aura toujours des pays qui produiront moins cher. Une PAC doit aussi favoriser des producteurs de qualité, laquelle se paie.
Émerge le thème de la répartition de la valeur ajoutée. Je me souviens des négociations difficiles entre l'entreprise Bigard et les éleveurs bovins du bassin allaitant... Les marges de négociation de l'agriculteur sont souvent limitées et il se voit imposer des prix qui ne couvrent pas ou à peine ses coûts de production, d'où le scepticisme des syndicats et des éleveurs face aux conclusions du rapport Chalmin.
Les prix agricoles se sont effondrés de moitié en quarante ans, sans que baissent les prix demandés aux consommateurs. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités dans les négociations interprofessionnelles. (Applaudissements)
M. Michel Billout. - Ce débat est l'occasion de faire entendre la voix des parlementaires nationaux. Le texte d'orientation présenté par la Commission européenne comporte incontestablement des aspects positifs, mais il ne faudrait pas faire preuve d'angélisme : les négociations de l'OMC sur l'agriculture doivent aboutir fin mars... C'est dans ce cadre que seront réglés nombre de problèmes agricoles pendants. Brésil et États-Unis voudraient que l'Union européenne supprime ses subventions agricoles ; la boîte orange devrait être réduite et la boîte bleue plafonnée.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que la notion de régulation est désormais admise et que la PAC est sécurisée. Votre optimisme ne me paraît pas entièrement justifié, dans un contexte de grande volatilité des prix agricoles. Les investisseurs privés, y compris les fonds de pension, spéculent de plus en plus sur les terres arables -selon l'ONU elle-même. Sans un encadrement des prix et une interdiction de toute spéculation sur les terres agricoles, l'Union européenne ne pourra imposer des prix rémunérateurs.
Les plus gros bénéficiaires des aides sont le prince de Monaco et la reine d'Angleterre ! C'est dire que ces aides ne peuvent résoudre le problème des revenus agricoles -dont l'harmonisation devrait se faire par le haut.
Le Parlement européen estime que la réduction des aides directes dans le cadre du premier pilier aurait des effets dévastateurs. La Commission souhaite encore simplifier les instruments existants dont, effectivement, certains risquent d'être condamnés par le processus de Doha.
Nous regrettons que la Commission n'aborde pas la question de la répartition de la valeur ajoutée sur les productions alimentaires.
Les importations de protéines végétales mettent les éleveurs sous la dépendance des producteurs de soja, dont les pratiques sont écologiquement et socialement inadmissibles.
Il faut sortir l'agriculture du cadre de l'OMC, mettre en place des prix rémunérateurs et non spéculatifs, grâce à des circuits raccourcis. Plus de 40 millions d'Européens pauvres n'accèdent pas à une alimentation satisfaisante.
Le système actuel est délétère pour notre agriculture et ravageur pour celle des pays sud américains. (Applaudissements à gauche)
M. Marcel Deneux. - La PAC appartient à l'histoire de la construction européenne, avec la Ceca. Si elle est remise en cause, du fait de ses errements, elle a cependant remporté de nombreux succès. La part de l'alimentation dans les budgets des ménages est passée de 40 à 15 %. Le productivisme a donc eu du bon, d'autant que, quoi qu'on dise de la « malbouffe », l'espérance de vie s'est considérablement allongée, et continue à le faire. Globalement l'Europe demeure le deuxième exportateur mondial.
Unité de marché, solidarité financière et préférence communautaire, tels étaient les trois principes de la PAC. Il faut s'interroger aujourd'hui sur notre dépendance... L'agriculture française a des perspectives très ouvertes, pour peu qu'elle soit forte. La contractualisation est apparue comme une notion adaptée pour répondre aux exigences formulées par l'économiste Galbraith. La contractualisation, c'est la coopération, laquelle est une arme de guerre économique redoutable. Lors du dernier remaniement ministériel, il y a eu un cafouillage (M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, s'étonne) sur l'attribution du secteur de la coopération, qui a eu des effets désastreux. Allons vers des unions plutôt que des fusions ! Et parlons-en à la DGCCRF...
Il est plus rentable d'investir des capitaux sur les marchés à terme des produits alimentaires que dans la bourse. Je suis donc réservé sur les vertus de ces marchés pour améliorer le revenu des agriculteurs : à transmettre au G20...
Monsieur le ministre de l'aménagement du territoire et du développement rural, je souhaite que vous soyez davantage encore le ministre des agriculteurs ! (Applaudissements)