Débat sur l'avenir de la politique agricole commune (Suite)
M. le président. - Nous reprenons le débat sur l'avenir de la PAC.
M. Raymond Vall. - « Angoissante », « incompréhensible », « nocive », les critiques opposées à la PAC sont nombreuses, alors pourtant qu'elle reste d'actualité dans un monde dont le nombre d'habitants passera de 6,5 à 9 milliards.
La PAC a permis d'amortir les effets des soubresauts du marché mondial. Il faut certes modifier la PAC mais la France s'est trop longtemps crispée sur les avantages qu'elle en tirait, sans prendre en compte les modifications de l'Union européenne.
Certains se satisferaient volontiers d'une PAC sans argent... Restent les inégalités criantes entre régions, acteurs, secteurs. La PAC a des effets pervers sur l'environnement ainsi que sur le prix du foncier. Il faut donc la réformer.
Nous avons poussé un soupir de soulagement avec les propositions du commissaire qui a succédé à la très libérale Mme Fischer Böll. Il est bon qu'aient été reconnus les apports des agriculteurs à l'aménagement du territoire.
Mais le texte de la Commission reste très insuffisant pour la régulation des marchés, lesquels subissent une volatilité des cours désastreuse. Une PAC forte requiert des crédits importants...
S'ouvre une période de négociations âpres ; nous savons que vous vous battrez beaucoup, monsieur le ministre. Le succès annuel du salon de l'agriculture montre bien l'importance que les Français reconnaissent à leur agriculture.
La PAC ne doit pas être affaiblie ni démantelée. À l'heure actuelle le marché décide des prix. Ce n'est plus acceptable, car ce sont les agriculteurs qui payent les pots cassés. Le droit de la concurrence ne s'applique pas de manière égale pour tous. La PAC a 50 ans : elle doit perdurer. Ce n'est pas un modèle, mais un exemple pour qui pense que l'avenir de l'Europe ne peut être que collectif. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Gérard César. - Depuis novembre 2010, les discussions sur la future PAC se sont engagées. Ce débat arrive donc au bon moment et je salue le groupe de travail.
La PAC est la plus ancienne et la plus intégrée des politiques de l'Union européenne. Celle-ci va devoir modifier pour la période 2010-2020 sa vision stratégique en matière d'agriculture, notamment en matière sanitaire.
Depuis sa création, la PAC a connu de nombreuses évolutions. Elle doit relever de nouveaux défis, face à l'ouverture des marchés nationaux. Le protectionnisme est inenvisageable. Il faut donc se tourner vers d'autres solutions : gestion des marchés, modernisation des structures, organisation des filières comme l'avait recommandé la LMA et je remercie le ministre d'avoir publié comme promis les textes relatifs à la filière fruits et légumes.
Les pouvoirs publics doivent accompagner les évolutions, réguler les marchés et les rendre plus transparents. En cinquante ans, notre pays a vu le nombre des exploitations se réduire considérablement. Une nouvelle adaptation est nécessaire : le sujet ne doit pas être tabou.
Les attentes du public en matière d'environnement sont fortes. La PAC doit s'engager dans cette voie.
Le refus obsessionnel des OGM rejaillit sur l'ensemble de notre agriculture. Ce blocage nous pénalise : comment refuser les biotechnologies et réduire les intrants en même temps ?
En passant de quinze à vingt-sept membres, l'Union européenne a vu le nombre de ses agriculteurs s'accroître de 64 % ; c'est dire que la concurrence européenne va s'aggraver.
Après 2013, le budget de la PAC sera vivement discuté et les aides risquent de se réduire. Si nous voulons une véritable PAC, son budget devra être maintenu à son niveau actuel.
Nous devons définir une vision politique cohérente. La future PAC nécessite un vrai débat et une volonté politique forte pour que nos agriculteurs puissent vivre de leur travail. (Applaudissements à droite)
M. Yannick Botrel. - La place de l'agriculture est essentielle et stratégique. S'agit-il d'assurer un volume de production ou de prendre en compte toutes ses dimensions ? C'est ce second aspect que privilégiaient les socialistes.
La nouvelle PAC va devoir répondre aux attentes sociétales. Avec la réforme de 2003, la loi du marché a été privilégiée.
Les limites de cette vision libérale sont rapidement apparues. Nous devons donc définir de nouvelles règles pour imposer les inflexions attendues par les agriculteurs et les consommateurs.
Trois scenarii sont envisagés mais c'est le scénario médian qui est préféré par le commissaire européen. Il s'agirait de redistribuer les aides entre les agriculteurs.
On ne peut continuer à verser 80 % des aides européennes à 20 % des agriculteurs. Nous devons préserver les petites et moyennes exploitations, plafonner certaines aides, mieux les répartir entre les filières. Sans garantie de revenus, les nouvelles installations seraient compromises.
Les aides devront être modulées en fonction des handicaps, des filières, du nombre de salariés. En outre, la qualité doit être privilégiée, ainsi que les marchés de proximité. Les circuits courts devront être encouragés, ce qui aurait aussi pour effet de réduire le bilan carbone et de créer des emplois.
Quels moyens apporter à la régulation et à la gestion des marchés ? Les prix mondiaux fluctuent considérablement. Lors de l'examen de la LMA, nous avons tenté de peser sur les prix.
En 2015, les quotas laitiers auront disparu. Il faudra des moyens rénovés de régulation, grâce à la contractualisation et aux interprofessions, d'après vous, monsieur le ministre. Mais cela ne suffira pas, notamment dans le secteur laitier.
La PAC ne peut se borner à être un simple filet de sécurité. La Commission semble ne pas avoir tiré les conséquences de la crise de 2009, selon l'ancien président de la FNSEA lui-même. En Europe même pèse la suspicion de dumping social. Que dira la France à ce propos dans les enceintes internationales ?
Quid de la sécurité alimentaire ? Certaines multinationales et certains pays émergents achètent des terres dans des pays en voie de développement. L'agriculture doit être une des priorités de l'Union européenne. Son budget devra être au moins équivalent à l'actuel, demande M. Lematayer. Les enjeux de la nouvelle PAC sont considérables pour le tissu économique des territoires ruraux. Vos propositions ne vont pas assez loin. Nous seront donc très vigilants. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Antoine Lefèvre. - Le 29 novembre, les ministres européens de l'agriculture ont donné le coup d'envoi de la réflexion sur la nouvelle PAC. L'enjeu est de taille : il s'agit de garantir l'autosuffisance de l'Europe. La France est le premier bénéficiaire des aides et le deuxième contributeur, après l'Allemagne. La PAC a contribué à la préservation des équilibres territoriaux mais les tensions n'ont jamais été aussi fortes au sein des filières. Nous assistons à une paupérisation de certains agriculteurs, qui, c'est un comble pour qui travaille à nourrir le monde, doivent s'inscrire aux Resto du coeur. En outre, la PAC est devenue trop complexe. Enfin, la volatilité des prix fragilise les filières dont les productions servent à la spéculation. Il faut donc une régulation innovante. Un premier pas vient d'être fait sur le marché du lait grâce à votre pugnacité, monsieur le ministre, et nous nous souvenons encore du fameux appel de Paris l'an dernier.
Nous avons besoin d'une PAC ambitieuse et forte.
Le Parlement européen sera partie prenante de la réforme. Les nouvelles normes environnementales sont difficilement respectables dans les zones fragiles. Nous ne sommes pas opposés au verdissement de la PAC mais des aménagements doivent être prévus.
Les filières devront s'organiser afin d'équilibrer les rapports de force avec l'industrie agro-alimentaire. Les évolutions devront se faire sur plusieurs années pour éviter toute mutation brutale, dans un département comme l'Aisne aux productions très diversifiées.
Le deuxième pilier est indispensable : une spécialisation des régions n'est en effet pas souhaitable.
L'évolution de la PAC et de l'Europe ne peut se faire que de façon collective. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Daniel Soulage. - L'année 2010 s'est mieux terminée qu'elle n'avait commencé : les revenus des agriculteurs ont commencé à augmenter et la PAC de demain a été esquissée par le commissaire européen.
Les producteurs ont besoin du maintien des aides. Pour les fruits et légumes elles permettent de lutter contre le dumping social.
Pour le tabac, les aides de la PAC sont également nécessaires. L'appareil industriel a été démantelé ces dernières années. Les producteurs ont dû s'adapter mais ils ne pourront continuer à se restructurer sans aide. La compétitivité doit être améliorée. Même chose pour les tomates industrielles : certaines entreprises de la filière passent sous le contrôle de capitaux chinois. Les investissements dans ces secteurs doivent être soutenus, sans quoi ces filières disparaitront. Pour le pruneau, le couplage des aides doit être impérativement maintenu.
Depuis de nombreuses années, j'appelle de mes voeux le développement de l'assurance récolte. Mais elle ne fonctionnera pas sans une réassurance publique.
M. Yvon Collin. - Très bien !
M. Daniel Soulage. - Vous connaissez bien ces dossiers et vous y travaillez, monsieur le ministre. Je vous en suis reconnaissant, tout comme de votre visite en Lot-et-Garonne. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Louis Carrère. - C'est la période des voeux !
Mme Renée Nicoux. - La PAC va prendre un nouveau virage. La réforme de 2013 sera décisive pour l'avenir de l'Europe. Les Européens vont-ils unir leurs forces pour affronter la mondialisation et les crises qui se succèdent ?
L'Union européenne a un rôle crucial à jouer pour sortir de la crise actuelle.
Au Sénat, notre groupe de travail a publié un rapport en novembre. Il a rencontré ses homologues européens. De nombreuses divergences sont apparues : un accord sur la régulation sera difficile à trouver.
La PAC a fait l'objet de nombreuses critiques. Son image doit être améliorée, afin qu'elle puisse d'abord offrir un avenir aux agriculteurs dont les revenus ont chuté en 2008 et 2009. On nous dit que ces revenus ont augmenté de 66 % en 2010 : quelle supercherie ! La moyenne est relevée par les revenus des céréaliers, eux-mêmes tirés vers le haut par l'envolée des prix ! Pour les éleveurs de bovins, le prix de la viande est identique à celui des années 1990 ! Certains sont contraints de demander le RSA ou de mettre la clé sous la porte...
La prochaine PAC devra donner la possibilité aux agriculteurs de vivre de leur métier, avec des aides mieux réparties entre les agriculteurs et entre les filières.
L'iniquité est un des aspects les plus critiqués de la PAC actuelle : 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs. L'abandon des références historiques semble acquis, tant mieux ! Les aides doivent être liées à la production réelle et tenir compte des handicaps naturels comme des efforts faits en matière environnementale.
Une Europe forte ne peut être dépendante de ses importations alimentaires. L'entretien des terres et des paysages, le maintien de la biodiversité devront être pris en compte, notamment dans les zones de montagne. La future PAC devra s'attacher à préserver ces biens publics en favorisant le maintien des petites exploitations. La PAC a en outre un rôle à jouer pour préserver la cohésion sociale et territoriale de l'Europe.
La question environnementale sera au coeur de la future PAC ; mais elle devra être traitée de façon équitable sur tout le territoire européen. L'intégration d'une composante écologique dans les paiements directs est une idée intéressante. Il convient de maintenir l'éco conditionnalité, dans un cadre contractuel et territorialisé, ce qui ne semble pas être la volonté de la Commission. La compétitivité doit être évaluée à l'aune de critères sociaux et environnementaux.
La traçabilité et l'étiquetage des produits devront être améliorés.
Au total, les orientations de la Commission vont dans le bon sens ; mais nous sommes sceptiques sur l'avenir qui leur sera réservé à l'heure de l'austérité budgétaire : les États membres sauront-ils s'entendre ? (Applaudissements à gauche)
M. Jean-François Mayet. - Je salue la politique que vous conduisez, monsieur le ministre, notamment le plan de soutien que vous avez lancé l'an dernier. L'année 2011 sera essentielle pour l'avenir de la PAC. Son budget doit être maintenu au moins à son niveau actuel.
Dans mon département, les soutiens sont à la limite pour assurer la viabilité des exploitations, dont certaines sont en grande difficulté. La volatilité des cours est une source majeure d'inquiétude, de même que les distorsions de concurrence entre producteurs européens.
Les aides spécifiques destinées à compenser les handicaps naturels doivent être maintenues, notamment pour aider à de nouvelles installations.
Les réformes successives de la PAC n'ont jamais tenu compte des zones intermédiaires : il faudra s'en préoccuper. Enfin, les éleveurs de mon département dépendent en grande partie du marché italien, qui se contracte.
Il faut mieux réguler les marchés, permettre aux producteurs de se regrouper et de contractualiser volumes et prix ; améliorer la connaissance des marchés, garantir aux consommateurs des produits sains, organiser un dispositif de paiements directs plus simple et plus lisible, harmoniser les normes dans toute l'Europe, sortir du système des DPU et abandonner les références 2000, 2001 et 2002, aujourd'hui complètement décalées par rapport à la réalité.
Les aides aux zones handicapées doivent être maintenues. La politique du développement rural doit permettre l'installation des jeunes agriculteurs.
Je sais que vous êtes mobilisé, monsieur le ministre. Au nom de l'ensemble des agriculteurs, je sais pouvoir compter sur vous. (Applaudissements à droite)
M. Roland Ries. - De même qu'il ne faut pas laisser aux collègues médecins les interventions sur la santé, il ne faut pas que seuls les élus des territoires ruraux s'expriment. C'est pourquoi l'élu urbain que je suis a souhaité intervenir. (Sourires)
Les objectifs initiaux de la PAC se sont perdus dans les sables, parce que les dogmes du marché et de la libre concurrence se sont imposés. Pourtant, ils restent d'actualité : la PAC doit toujours assurer un revenu décent aux agriculteurs, stabiliser les marchés, assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
La discussion sur la nouvelle PAC est lancée. La Commission relève que les marchés agricoles sont caractérisés par une excessive volatilité des prix ; elle souligne la spécificité des productions agricoles, rappelle le rôle premier de l'agriculture -produire de la nourriture- et sa fonction d'équilibre des territoires. Étant donné l'augmentation à venir de la population mondiale, l'Union européenne doit maintenir ses capacités agricoles. L'activité agricole demeure le moteur de l'économie rurale. Enfin, la Commission souligne les liens forts entre l'agriculture et l'environnement. Les enjeux sont donc multiples.
Le groupe socialiste se réjouit de ces premières orientations : l'indépendance et la sécurité alimentaires, un revenu décent pour les agriculteurs, la cohésion sociale et territoriale, la valorisation de la diversité des terroirs, la protection de l'environnement, la solidarité européenne. Il se félicite d'une répartition plus équilibrée des aides entre États et entre filières ; c'est affaire d'équité. Le verdissement des aides et leur plafonnement vont dans le bon sens.
Pourtant, nous regrettons que la question budgétaire n'ait pas été abordée ; elle est pourtant cruciale. Les propositions restent aussi limitées en matière de régulation des marchés. Seul un filet de sécurité en cas de crise est prévu.
Il faudra aussi revaloriser la place de l'agriculture dans le commerce mondial, ce qui suppose des échanges plus justes et des normes sociales, environnementales et sanitaires mieux partagées. Un principe de réciprocité dans les échanges alimentaires doit être instauré ; à défaut, la préférence communautaire devra être renforcée. Et à l'intérieur de l'Union européenne, une harmonisation en matière fiscale et de droit du travail devra être recherchée.
Tels sont les messages que je tenais à exprimer au nom de mon groupe. (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Blanc. - Je remercie la commission et M. le ministre d'avoir organisé ce débat. Quel beau début d'année ! La réforme de la PAC conditionne la sécurité alimentaire de l'Union européenne et la vie des agriculteurs, notamment en zone de montagne. Nous avons la chance d'avoir eu des ministres de l'agriculture qui ont porté une volonté politique forte.
En novembre 2009, nous avons eu un débat avec M. Barnier. Un certain nombre de décisions ont été prises ensuite au niveau européen. Grâce à vous, monsieur le ministre, 22 pays membres se sont retrouvés sur la nécessité de mettre en place des outils de régulation.
On peut donc vous faire confiance pour garder le cap de la PAC et la faire évoluer.
On ne défend pas que les agriculteurs avec la PAC ! C'est la seule politique communautaire. Elle coûte cher ? Il n'y a pas de politique communautaire dans la recherche ; les comparaisons sont impossibles. Il y a eu des tentations de renationalisation, on n'y a pas cédé, heureusement.
L'agriculture a d'abord une finalité alimentaire : qualité et santé des produits. Une autre est de préserver les ressources naturelles et la qualité de l'environnement. Ce matin même j'ai plaidé pour le classement des Causses des Cévennes par l'Unesco, au nom de l'agro pastoralisme.
Oui, l'agriculteur est un acteur de la protection de l'environnement. Mais il ne doit pas être transformé en un jardinier ! Le lien avec l'environnement, c'est l'ICHN, c'est l'aide à la modernisation des bâtiments d'élevage et à l'installation, c'est le soutien aux initiatives innovantes des territoires.
Voilà une politique agricole vraie, ce que les pseudos-intellectuelles fatigués de certains pays nordiques ne comprendront jamais. (Sourires)
Je suis le plus heureux des hommes quand je vois que vous êtes le ministre à la fois de l'agriculture et de l'aménagement du territoire. Il faut une volonté et une détermination. Le Sénat est exemplaire, le ministre aussi. L'Europe doit l'être également, pour mettre l'homme au coeur des territoires, en particulier de montagne ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Gérard César. - Et de la Lozère ! (Sourires)
M. Jean-Paul Fournier. - Selon la FAO, la demande alimentaire mondiale augmentera de 70 % d'ici 2050. La PAC doit s'inscrire dans cette perspective.
Elle n'a jamais été très favorable à la petite agriculture méditerranéenne, à la viticulture en particulier. Les orientations de la Commission sont encourageantes ; à l'heure du verdissement de la PAC, poursuivre la marginalisation de cette agriculture millénaire et performante, qui ne s'est jamais imposée à la nature, serait un contresens ! Et il serait fou que la Commission ne considère pas les fruits et légumes et le vin comme des productions à protéger et plus encore, à promouvoir.
Pour ces deux secteurs, aucune modification substantielle n'est envisagée. Attention à ne pas écarter de la discussion notre agriculture méridionale, qui porte depuis toujours le nouveau modèle agricole prôné par la Commission.
La régulation des marchés, le renforcement de l'organisation des producteurs et le développement rural sont des enjeux majeurs. Alors que le budget « investissements » est consommé jusqu'en 2013, nos agriculteurs sont inquiets et nos viticulteurs encore plus... Avec l'abandon des OCM spécifiques, la réforme de la PAC aura un impact direct sur la viticulture française. Est-on capable aujourd'hui de le mesurer ? A-t-on des certitudes sur le maintien du budget européen pour la viticulture ?
La perte d'ambition régulatrice de la Commission se résumera-t-elle à une campagne d'arrachage volontaire jusqu'à la fin 2011 puis, en 2016 ou 2018, à la fin des droits de plantations -qui ont participé à la régulation de la production en France depuis 1936 ? Ce n'est guère cohérent ...
La LMA a permis des avancées sur le plan des relations commerciales ; les agriculteurs du midi saluent votre pragmatisme. Ils attendent aussi beaucoup de vous à Bruxelles. Parce que supprimer toute régulation en amont, c'est condamner la viticulture à des crises de surproduction et des chutes de prix ; c'est remettre en cause les efforts de qualité de ces dernières décennies. L'aide au stockage devra être étudiée de près. En l'état, la nouvelle PAC scellera-t-elle définitivement le sort du secteur ?
Viticulteurs et arboriculteurs du midi ont besoin d'horizon, de clarté et de considération. Vous portez leurs espoirs. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. - Permettez-moi tout d'abord de vous adresser mes meilleurs voeux. Il est bon de commencer l'année par un tel débat sur la PAC.
Celle-ci n'est pas un sujet technique, sectoriel ; c'est d'abord un sujet politique et stratégique, qui engage l'avenir de 12 millions de paysans européens, et aussi la sécurité alimentaire et sanitaire de tous les Européens -ce qui vient de se passer en Allemagne nous le rappelle.
La PAC est confrontée à un défi nouveau avec la volatilité croissante des prix agricoles mondiaux. Celui de la tonne de blé a doublé depuis juillet dernier, de même pour l'orge ou le maïs. Que dirait-on si le prix du pétrole ou du gaz doublait ainsi en six mois ? On parlerait de crise internationale majeure.
Cette volatilité est l'effet de phénomènes climatiques, entre la sécheresse russe et les inondations australiennes. Mais cette réalité physique est aggravée par une inacceptable spéculation financière. Nous ne la laisserons pas faire ! Le sujet sera porté par la France au G20. La valeur des encours financiers sur les marchés agricoles est quinze fois supérieure aux encours physiques.
Une des réponses à cette spéculation, c'est évidemment le renforcement de la PAC. Je vous remercie d'avoir relevé la volonté de la France de mettre cette question au coeur du débat européen -tandis que d'autres voulaient la faire disparaître sous le tapis... L'agriculture est un sujet stratégique pour l'Europe.
La PAC, aujourd'hui, c'est la régulation et l'intervention, c'est 40 milliards d'aides directes, dont 8 pour la France, aides indispensables au maintien de l'activité dans les zones difficiles, comme celles de montagne. Le jour où on supprimera ou réduira l'ICHN, des territoires entiers deviendront des déserts économiques. Nous n'accepterons jamais qu'on en arrive là. (Applaudissements au centre et à droite)
Grâce à la position commune franco-allemande adoptée en septembre, grâce à l'appel de Paris, grâce aux eurodéputés toutes tendances confondues, grâce aux parlementaires nationaux, grâce au rapport Émorine-Bizet, nous avons gagné la première bataille de la PAC, en faisant comprendre son importance aux 500 millions d'Européens. Mais nous n'avons pas encore gagné la guerre et nous devons rester mobilisés, d'abord pour continuer à remettre en ordre nos propres affaires agricoles. Les donneurs de leçons incapables d'appliquer chez eux leurs propres maximes sont inaudibles. C'est pourquoi nous avons fait le ménage dans certaines aides, illégales. Nous avons modernisé notre agriculture grâce à la LMA, nous en avons amélioré la compétitivité -la France est redevenue en 2010 le premier producteur mondial de vin ! (Applaudissements au centre et à droite)
Compétitivité n'est pas un mot tabou en agriculture, mais un atout. Elle consiste à faire baisser les coûts de production pour améliorer les revenus. Il faut aussi regarder ce qu'il en est du côté des transformateurs, des industriels, des distributeurs. La compétitivité, ce n'est pas un alignement sur un modèle intensif qui n'est pas le nôtre. Le nôtre, c'est la diversité et la qualité des produits, la présence sur l'ensemble du territoire, la valorisation des productions.
Oui, la qualité se paie, et doit se payer -dans toutes les filières. Quand le lait sert à produire des fromages de haute qualité, il est normal qu'il soit vendu 420 euros la tonne. Mais il est des secteurs où la qualité ne paie pas : pour la viande bovine par exemple, il est scandaleux que le prix de référence soit celui de la vache de réforme. Quand on élève des Salers ou des Blondes d'Aquitaine, quand on fait de la viande de qualité, ce n'est pas acceptable.
M. Yvon Collin. - Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Il nous faut aussi faire des propositions nouvelles. C'est ce que nous avons fait pour le lait. Plus de quotas laitiers ? Soit, mais de nouvelles régulations. Les propositions de la France ont été reprises. Nos avons été le premier grand pays à dire qu'il fallait abandonner les références historiques...
Maintenant que la PAC est revenue au centre du débat et que les idées farfelues de certains ont été remisées, qu'est-ce qui est devant nous ?
La nouvelle PAC, c'est, d'abord, de nouvelles régulations. Celles-ci ne vont pas contre le marché, elles l'améliorent. Régulation n'est pas qu'un mot, ce sont désormais des décisions -voir le paquet « lait » et les nouvelles règles de concurrence qui permettent désormais aux producteurs de se regrouper à plus de 400 pour négocier en position de force face aux industriels.
La régulation est aussi une affaire d'équité et de justice pour les producteurs.
Deuxième élément de la nouvelle PAC : le maintien de deux piliers, avec refus d'une aide uniforme à l'hectare, qui n'aurait pas de sens dans une Union européenne où les réalités sont encore trop diverses.
Troisième élément : une meilleure légitimité pour les aides directes. Celles-ci doivent être équitables pour être légitimes. Cela suppose un rééquilibrage entre les États membres, ainsi qu'un verdissement de la PAC. N'en ayons pas peur, la défense d'une agriculture respectueuse de l'environnement est l'originalité de l'Europe.
Le verdissement serait stupide s'il consistait à stigmatiser tous les agriculteurs, s'il compliquait à outrance les procédures, s'il cédait devant les négociations internationales. (Applaudissements à droite) Le verdissement est intelligent s'il tient compte du bien-être animal, s'il valorise les efforts des agriculteurs, s'il va vers une simplification des règles, (approbations à droite) s'il est budgétairement possible. Bref, s'il encourage les agriculteurs, pas s'il les brime. (Vifs applaudissements à droite)
Il était question de réduire de 30 à 40 % le budget de la PAC. Cette idée inacceptable a été abandonnée mais j'ai besoin de votre soutien pour obtenir une stabilisation du budget.
M. Jacques Blanc. - Vous l'aurez !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous devons rassembler nos partenaires autour de la position commune franco-allemande. L'accord avec la Pologne ne sera pas facile à obtenir...
Je m'appuierai également sur les travaux du Parlement européen. Il faut poursuivre le travail diplomatique, pas tous les mois ou toutes les semaines, mais tous les jours !
Cela dit, rien ne sert de se battre sur la PAC si nous ne battons pas dans les négociations internationales ! Il faut les aborder sans le moindre complexe. Nous refusons que l'agriculture soit la monnaie d'échange d'un marché de dupes avec le Mercosur. Le déséquilibre commercial du Mercosur et de l'Union européenne est de 22 milliards par an sur les seuls produits agricoles, soit la moitié du budget de la PAC ! Ne cédons pas. (Applaudissements à droite)
M. Yvon Collin. - C'est fondamental.
M. Jacques Blanc. - Il a raison !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Il ne sert à rien de nous battre en Europe si c'est pour ouvrir grand nos frontières à des pays qui n'appliquent pas nos règles sanitaires, environnementales et de bien-être animal. L'application de ces règles fait que nos productions animales coûtent trois fois plus cher que celles du Brésil.
Nous devons nous défendre contre la volatilité des prix agricoles. Les ministres de l'agriculture du G20 vont se réunir bientôt. Nous proposerons des mesures concrètes, comme la transparence sur les stocks de matières premières agricoles. La spéculation se nourrit de l'absence d'informations.
L'enjeu est lourd et stratégique pour les pays comme la Chine ou l'Inde, mais nous pouvons progresser.
On ne peut admettre une situation dans laquelle la Russie peut interrompre sans crier gare ses exportations de blé. Il faut un peu de coordination.
Enfin, il faut moraliser les marchés sur lesquels s'échangent des produits agricoles.
L'écart entre la réalité physique des échanges agricoles et leur réalité financière doit absolument être réduit.
Je vous remercie pour ce débat. Il importe que chacun puisse se saisir de la question. Derrière la PAC, il y a un modèle politique, celui qui refuse l'uniformisation des produits, qui respecte les exploitations de taille raisonnable, qui prend en compte l'environnement, les exigences sanitaires et le bien-être animal. Ce modèle n'est pas partagé en Amérique ? Ce n'est pas pour autant que nous devrions l'abandonner. Le défendre est notre honneur ! (Applaudissements au centre et à droite)