Adaptation du Règlement au Traité de Lisbonne
M. le président. - L'ordre du jour appelle la proposition de résolution tendant à adapter le chapitre XI bis du Règlement du Sénat aux stipulations du traité de Lisbonne.
Discussion générale
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. - Le Conseil constitutionnel avait jugé nécessaire de modifier notre Constitution après la ratification du traité de Lisbonne. L'effet en fut l'adoption des articles 88-6 et 88-7 ; ces articles confirment au Parlement des pouvoirs nouveaux qui nous imposent de modifier notre Règlement.
Lorsque l'Union européenne déborde les pouvoirs que lui confère le traité, le Parlement pourrait réagir avant ou après qu'elle aura statué. Ce sont les « carton jaune » et « carton rouge ». Nous n'aurons que huit semaines pour statuer. Il faudra donc être très attentif au respect de ces délais, sachant qu'en outre les groupes parlementaires pourront demander un débat en séance publique. Le respect de ce délai pourrait poser un petit problème en juillet et en septembre, si nous cessions d'avoir alors des sessions extraordinaires...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Ne rêvons pas !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Cela nous amène à modifier les articles 73 octies -carton jaune et carton rouge- 73 nonies -recours contre un acte législatif européen ouvert à 60 sénateurs- et 73 decies, pour le cas où la procédure de l'unanimité laisserait place à celle de la majorité, qualifiée ou non.
Cette proposition de résolution a reçu l'approbation unanime des présidents des commissions permanentes, du président de la commission des affaires européennes et du président du Sénat ; la commission des lois vous propose de l'adopter. (Applaudissements à droite)
M. Denis Badré, au nom de la commission des affaires européennes. - M. Bizet, président de la commission des affaires européennes, ne peut être présent aujourd'hui : je m'exprime en son nom.
Les parlements nationaux auront huit semaines pour intervenir en cas de manquement au principe de subsidiarité du fait de l'Union européenne. Les avis motivés ne sont contraignants que si un tiers des parlements nationaux les ont adoptés ; ce seuil sera difficile à atteindre, puisque 40 chambres auront leur mot à dire. En effet, il y a treize parlements bicaméraux et quatorze monocaméraux. Pour atteindre le « seuil critique », il sera donc nécessaire de trouver des alliés nombreux.
La possibilité de saisir la Cour de justice est très importante. On oublie trop souvent le rôle essentiel que joue la Cour de Luxembourg.
Enfin, le traité permet aux parlements de s'opposer à l'utilisation de la clause passerelle ; si l'Assemblée veut s'opposer à son utilisation, elle a besoin de l'accord du Sénat.
L'article 73 octies précise les conditions dans lesquelles le Sénat peut adopter un avis motivé sur la subsidiarité ou décider de former un recours devant la Cour de justice.
L'article 73 nonies inscrit dans notre Règlement la faculté donnée par la Constitution à 60 sénateurs de former un recours contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. En pratique, c'est un droit dont disposera en particulier l'opposition.
Enfin, l'article 73 decies précise la procédure par laquelle le Sénat peut s'opposer, par le vote d'une motion, à l'utilisation d'une clause passerelle. Comme le sujet s'apparente à une révision des traités, les solutions retenues sont des solutions de bon sens.
Il est normal que les parlements nationaux s'expriment sur des sujets comme la bonne pratique de la subsidiarité. Ils votent 85 % des rapports du Parlement européen.
Une excellente concertation entre parlements nationaux devra être mise en place, dont la Cosac n'est qu'une timide préfiguration.
Je voterai bien entendu cette proposition de résolution.
M. Jean-Pierre Michel. - Le traité de Lisbonne consacre, pour la première fois, un article aux parlements nationaux. Enfin ! Cela pourra avoir des conséquences importantes s'ils veulent exercer ce pouvoir. Le groupe socialiste se félicite que les parlements nationaux soient mieux intégrés au fonctionnement de l'Union européenne.
Le Sénat a besoin de procédures concrètes, précises, pour se faire entendre à Bruxelles, en particulier pour veiller au respect du principe de subsidiarité, lequel doit maintenir la proximité entre les citoyens et les lieux où sont prises les décisions qui les concernent.
Les parlements ont six mois pour s'opposer à une clause passerelle : cette mesure va dans le bon sens.
Cette résolution est à la hauteur des enjeux et permettra au Parlement de jouer pleinement son rôle : il n'était que temps ! Les procédures retenues parviennent à un équilibre satisfaisant entre la commission des affaires européennes et les commissions permanentes, qui sont tout de même des commissions supérieures. Ces procédures sont souples, mais nous devrons toutefois veiller à ce que les délais -brefs- soient respectés.
Le Sénat a choisi une démarche moins contraignante et plus souple que l'Assemblée nationale. L'Union européenne doit être construite avec notre soutien conscient.
La France est certes un des grands pays de l'Union européenne, mais elle n'est qu'un État parmi vingt-sept. Il nous faudra constituer des réseaux et développer les bonnes pratiques qui s'imposent.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. - Le groupe socialiste votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Trois ans après la ratification du traité de Lisbonne, le Sénat se met à jour. L'urgence n'était donc pas considérable.
Notre débat d'aujourd'hui a quelque chose de dérisoire. Il était dit que le traité de Lisbonne devait renforcer les pouvoirs des parlements; nous avons vu ce qu'il en est : nous n'avons même pas pu débattre de l'aide à l'Irlande. La mise sous tutelle des États par l'Union européenne et la BCE se renforce encore avec la crise : en fait, ce sont les qui marchés gouvernent l'Europe. Le « déficit démocratique » est toujours là, sans que les parlements nationaux n'aient obtenu de l'État de vrais pouvoirs d'intervention. Ce ne sont pas des mesurettes qui changeront la situation. Qui sont, d'autre part, les juges surpuissants du Luxembourg ? Qui les nomme ?
Huit semaines pour formuler un avis, c'est court ! Les parlements pourront saisir la Cour de Luxembourg ; les citoyens pouvaient déjà le faire. Pourquoi les groupes ne peuvent-ils pas le faire ?
Les clauses passerelles remettent en cause la souveraineté des États.
La proposition de résolution n'est que la mise en musique réglementaire de la Constitution; elle ne pose pas de problème en elle-même ; nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Pierre Fauchon. - Je n'ai pas l'intention -ni la capacité !- de me livrer à une critique de cette proposition de résolution ; je me bornerai à quelques réflexions.
Première réflexion : le système institutionnel européen est excessivement complexe, surtout après le fâcheux échec du referendum. Finalement, ce processus a mis au monde un monstre : le traité de Lisbonne. Un monstre au sens propre de la tératologie !
La seconde réflexion porte sur le fond. Autant il est justifié de mettre en place des dispositifs de protection du principe de subsidiarité, autant il est contestable de permettre au parlement d'un seul État membre de s'opposer à l'adoption d'une clause passerelle dans certains domaines : comment ne pas voir dans cette possibilité de blocage un risque de paralysie, qui est la négation de la démarche communautaire ? Plus qu'à stimuler la construction de l'Union européenne, le système institutionnel européen semble parfois destiné à la paralyser.
Troisième réflexion : le principe de subsidiarité devrait fonctionner dans les deux sens : certaines politiques, pour être à la hauteur des enjeux, devraient être définies à un niveau supérieur : délinquance transnationale, sécurité, défense, recherche, énergie, grands moyens de transports, environnement... Le président de la SNCF, lors d'une audition, a insisté sur ce point.
Sans doute faisons-nous des efforts pour « harmoniser » ces politiques et « dresser des bilans », mais pendant ce temps, la mondialisation avance à grands pas...
Dès lors que l'on est confronté à des problèmes appelant des réponses communes et que l'on ne peut convaincre tout le monde, il appartient aux États responsables de s'unir à quelques-uns pour définir et mettre en oeuvre des politiques communes. Ce que nous appelons des coopérations renforcées sont probablement le seul moyen pour les Européens de ne pas se laisser déborder par le tsunami de la mondialisation.
Comment parvenir à améliorer les liens entre des parlements nationaux ? Le Cosac ne suffira pas... L'Europe a besoin d'une seconde chambre issue des parlements nationaux, comme dans toute structure fédérale.
Nous votons cette motion avec confiance mais non sans inquiétude sur l'avenir de l'Europe. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Christophe-André Frassa. - Il aura fallu trois années pour que les États membres se mettent d'accord sur le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007.
Une des innovations les plus marquantes du traité de Lisbonne est sans aucun doute la reconnaissance du rôle et de la place des parlements nationaux dans la construction européenne.
Les parlements nationaux exercent une fonction de contrôle majeure, en cours de mise en oeuvre avec la dernière révision constitutionnelle. Avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ce contrôle s'exercera désormais directement sur l'action des institutions européennes, non pas sur le fond des actes ou projet d'actes mais sur le respect du principe de subsidiarité.
Le moment était donc venu pour le Sénat de modifier son Règlement pour préciser les modalités de son intervention en la matière.
Pour le contrôle européen, nos deux assemblées se trouvent mises à égalité. Du fait de son enracinement dans les collectivités territoriales de la République, du fait de sa connaissance et de sa pratique des réalités locales, le Sénat a un rôle majeur à jouer pour rapprocher la construction européenne des citoyens. Les sénateurs sont des relais d'opinion irremplaçables en contact permanent avec les responsables locaux et territoriaux.
Notre salut viendra d'un renforcement de l'Union et non de son effacement.
Ce n'est pas l'idée européenne ou même l'idéal européen qui sont en cause, mais plutôt le fonctionnement de l'Union, dont les institutions apparaissent souvent lointaines, difficilement compréhensibles, pour ne pas dire peu démocratiques.
M. Roland Courteau. - C'est vrai !
M. Christophe-André Frassa. - Les parlementaires français en général, et les sénateurs en particulier, doivent réduire cette fracture.
Tant la révision constitutionnelle que le traité de Lisbonne leur donnent des instruments. Le Sénat doit donc jouer un rôle important en matière européenne ; il pourra être un trait d'union particulièrement utile. Ce n'est pas en pliant à la routine administrative, ni en se comportant en chambre d'enregistrement, que le Sénat confortera sa place dans notre démocratie.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Christophe-André Frassa. - La modification de notre Règlement, à laquelle le groupe UMP apporte tout son soutien, nous donne cette opportunité. Sachons la saisir. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
L'article unique de la proposition de résolution est adopté.
(Applaudissements au centre et à droite)