Débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 octobre 2010
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 octobre 2010.
Orateurs inscrits
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Je remercie le Sénat d'avoir organisé ce débat à une heure normale, ce mardi.
Le prochain Conseil européen aura une importance particulière car il préparera le prochain G 20, ainsi que le sommet de Cancun et les prochains sommets européens. Il devrait aussi transformer le statut de Saint-Barthélemy de « région ultrapériphérique » en « pays et territoire d'outre-mer » (PTOM).
La zone euro a traversé la plus grave crise financière de son histoire. Un plan de sauvetage spécifique de 110 milliards a été mis en place pour la Grèce ; après quoi 500 milliards ont été mis sur la table, financés pour moitié par la France et l'Allemagne. La bataille de la stabilisation de l'euro a été gagnée ; elle a renforcé le couple franco-allemand et révélé en creux le besoin d'une gouvernance économique européenne.
Cette semaine vont être prises des décisions historiques tirant la leçon de cette crise. La déclaration commune Sarkozy-Merkel du 21 juillet à Deauville a insisté sur la surveillance bancaire et celle de l'économie, avec des sanctions appropriées. Le 7 septembre, les ministres des finances ont mis en place un semestre de surveillance qui commencera à prendre effet en avril 2011. Les sanctions ont été précisées à Deauville la semaine dernière. Je présenterai cette déclaration demain devant le Bundestag.
Les travaux du groupe Van Rompuy sont soutenus par la France car il faut mettre en oeuvre des sanctions efficaces au cas où un État s'écarterait des règles communes. De telles sanctions sont déjà prévues par le traité de Maastricht mais n'ont jamais été appliquées lors des 22 cas de dérive constatés. Cela ne crédibilise pas notre zone monétaire.
Les règles retenues se distinguent de celles, très rigides, de la Commission qui voulait sanctionner sans la moindre distinction, en faisant une entorse à l'article 126 du traité qui charge le Conseil, et non la Commission, de demander l'application des sanctions. La Commission aurait été juge et partie et il n'aurait pas été admissible qu'une majorité représentant 14 % de la population européenne impose une amende pouvant aller jusqu'à 0,2 % du PIB, soit 4 milliards dans le cas de la France !
Les propositions Van Rompuy rétablissent la logique politique. C'est au Conseil d'imposer des sanctions à la majorité qualifiée et de manière progressive. Dans un premier temps, le Conseil décide d'ouvrir une procédure ; c'est seulement dans un deuxième temps, si l'État en cause n'a pas engagé de correction sous six mois, que les sanctions sont mises en oeuvre. C'est une décision politique.
Est pérennisé dans le traité le mécanisme européen de stabilisation, embryon d'un futur fonds monétaire européen qui avait été créé pour trois ans.
Il sera désormais possible de sanctionner politiquement les États concernés par la suspension des droits de vote. Sans doute est-ce là la meilleure dissuasion possible. Cette discipline est nécessaire.
Je ne laisse pas sans réponse les propos déplacés de la commissaire Reding, qui paraîtront dans Die Welt, et qui semble poursuivre notre pays de sa vindicte. Quand on est vice-présidente de la Commission, on ne traite pas d'irresponsable le Président de la République français ni la Chancelière d'Allemagne. Ce n'est pas ce genre de propos insultants, comme ceux qu'elle a employés cet été, qui nous rassurera sur la capacité de cette commissaire à mener à bien sa mission.
La révision du traité de Lisbonne, que Mme Reding juge « irresponsable », est prévue par le traité lui-même ! Aucun commissaire n'a pouvoir de l'interdire. La France et l'Allemagne, qui contribuent pour 50 % au soutien de l'euro, sont fondées à demander un renforcement de la discipline : où est la compétence de Mme Reding en la matière ? Nicolas Sarkozy a travaillé à une nouvelle rédaction du traité après le référendum de 2005 -il l'a fait en pleine campagne présidentielle. Et depuis son élection, il a fixé un objectif sans précédent de réduction du déficit.
M. Guy Fischer. - On en reparlera !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - A coup sûr ! La réforme des retraites y contribue. Cet effort de volonté a ainsi une dimension européenne. L'âge moyen de départ est fixé à 65 ans dans la plupart des pays européens, dont certains bientôt à 67 ans.
Mme Annie David. - Avec combien d'années de cotisations ? Quelle décote ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Le G 20 de Séoul, les 11 et 12 novembre, sera dominé par les questions monétaires. Plusieurs pays, dont le Brésil, ont agité la menace d'une guerre des changes. Nous avons obtenu que le FMI renforce son contrôle sur les taux de change compétitifs et la volatilité des changes.
Toronto avait mandaté le FMI pour trouver un accord sur les pays émergents. Le transfert vers eux sera renforcé, passant de 5 à 6 %. Le conseil du FMI sera élargi aux pays émergents, avec perte de deux sièges pour l'Union européenne. Le capital du FMI sera doublé.
Cet accord conforte la présidence française du G 20 : réforme du système monétaire mondial et de la gouvernance mondiale.
Un mot sur Cancun. L'Europe n'a pas à rougir de son bilan carbone. L'Union européenne se présentera à Cancun unifiée. Sur le fond, l'évolution des négociations est décevante à ce stade. L'Union européenne attend des décisions allant dans le sens de Copenhague. Enfin, l'Union européenne maintient sur la table ses propositions : aller au-delà de 20 % de réduction du CO2, si nos grands partenaires le font aussi. La France approuve l'analyse qu'a faite la Commission de la taxe carbone aux frontières de l'Europe comme une possibilité de lutter contre les fuites de carbone.
Enfin, ce Conseil va se pencher sur les futurs sommets avec nos grands partenaires -USA, Russie, Ukraine.
Le sommet tripartite du 19 octobre à Deauville a marqué l'entrée dans une ère nouvelle avec la Russie, qui est désormais notre amie, notre partenaire. Le président Medvedev a annoncé sa participation au prochain sommet de l'Otan, ainsi qu'à la réflexion sur le bouclier anti-missile. Cette avancée est considérable. Enfin, sur la dissuasion nucléaire, les malentendus entre la France et l'Allemagne ont été dissipés.
Vous voyez en tout cas que l'ordre du jour du prochain Conseil européen est très fourni ! (Applaudissements à droite)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Dans un contexte marqué par la « hargne, la rogne et la grogne », la construction européenne se poursuit. Chacun comprend que l'avenir ne sera pas construit sur un monceau de dettes.
Avec la mutualisation des dettes publiques depuis la crise grecque, nul ne peut être indifférent à ce qui se passe chez nos partenaires.
Qu'on le veuille ou non, nous avons franchi une étape dans la construction européenne. L'ère de l'isolement budgétaire est révolue. Bien sûr, en théorie, elle l'était depuis l'adoption du pacte de stabilité et de croissance en 1997, mais il faut repartir aujourd'hui sur de meilleures bases.
Ensuite, la crise financière a déstabilisé les budgets des États membres.
Comme l'ont souligné dans leur rapport commun nos collègues Pierre Bernard-Reymond et Richard Yung, le nouveau dispositif devra reposer sur une approche beaucoup plus globale. Non seulement, il devra accorder autant d'importance à la dette qu'au déficit, mais il ne devra pas se limiter aux finances publiques : il devra comprendre également une surveillance macro-économique. Pour cette raison, l'aspect préventif sera déterminant, conformément à la déclaration franco-allemande : les sanctions s'appliqueront dès le début d'une mauvaise trajectoire pour un État. La démarche consistant à appliquer des sanctions financières à un État qui est déjà en grave difficulté n'est pas très convaincante. Quand quelqu'un se présente devant une commission de surendettement, on ne commence pas par lui infliger une amende !
Enfin, la suspension des droits nécessite une révision des traités ; cela prendra du temps et il faudra un accord unanime. A supposer que cette sanction soit introduite dans les traités, ce sera de toute manière l'arme atomique : elle sera là pour dissuader, car il faudrait des circonstances extrêmes pour mettre ainsi un pays au ban de l'Europe. Certains souhaitent des sanctions automatiques. Heureusement, il n'en est rien dans le domaine pénal ! L'essentiel est de déplacer la contrainte vers le stade préventif du pacte et de disposer, à ce stade, d'une large gamme de sanctions.
Le pessimisme est une plante qu'on cultive volontiers dans notre pays. Est-ce que cela nous rend plus lucides ? Ce n'est pas rien qu'il y ait eu un accord franco-allemand sur un sujet aussi essentiel que la gouvernance économique. Ce n'est pas rien que cet accord prévoie « un mécanisme permanent et robuste pour un traitement ordonné des crises dans le futur ». Cela veut dire qu'un mécanisme provisoire, mis au point durant la crise grecque, est remplacé par un mécanisme permanent.
C'est une grande raison d'espérer en cette époque difficile. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Robert del Picchia, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Je vous prie d'excuser M. de Rohan, qui effectue un déplacement au siège de l'ONU.
L'ordre du jour du Conseil européen est particulièrement chargé. Comme M. Bizet, je me félicite du rôle moteur joué par le couple franco-allemand. Encore une fois, lorsque l'Europe avance, c'est à la suite d'un accord entre la France et l'Allemagne. Le Président de la République et Mme Merkel ont proposé de réviser le traité de Lisbonne d'ici 2013. Comment agir aussi vite ? On pourrait saisir l'occasion qu'offrira l'adhésion de la Croatie.
L'intégration économique progresse ; l'évolution est plus lente pour les affaires étrangères et la défense. Le Conseil européen devrait préparer les sommets de Séoul et de Cancun.
Je regrette que les relations avec les États-Unis, la Russie et la Chine aient été éclipsées par la polémique sur les Roms, dont j'espère qu'elle s'apaisera. Avec désormais 6 % seulement de la population nationale, l'Union européenne ne pourra faire entendre sa voix que dans l'unité.
Nous avons été nombreux à regretter l'absence de l'Union européenne lors de la reprise des négociations israélo-palestiniennes, alors qu'elle est le principal donateur de la région et le premier partenaire commercial d'Israël.
Le sommet de l'Union pour la Méditerranée pourra-t-il se réunir en novembre et pourra-t-il prendre des initiatives ? Avec le traité de Lisbonne, l'Union européenne dispose certes de nouveaux instruments, en particulier le poste de Haut-représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le service européen pour l'action extérieure, mais le résultat des négociations est-il conforme aux préoccupations françaises, notamment en ce qui concerne la place de la langue française ?
A l'Assemblée générale de l'ONU, l'Union européenne a subi un échec puisque des représentants de l'Union européenne n'ont pu s'exprimer. Comment les États-membres entendent-ils renforcer la position de l'Union européenne au sein de l'ONU ?
En conclusion, la réduction de nos dépenses de défense est en décalage avec le reste du monde. Cela ne risque-t-il pas de porter atteinte à notre capacité d'action ? Il est impératif que l'Europe s'affirme pour l'équilibre du monde multipolaire qui nous entoure. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Yves Pozzo di Borgo. - « Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité ; ils ne voient la nécessité que dans la crise ! ». Ayons à l'esprit cette phrase des Mémoires de Jean Monnet !
Depuis plusieurs années déjà, nous savions que le seuil de 3 % de déficit public fixé par le pacte de stabilité et de croissance est trop rigide pour s'adapter à la diversité des situations économiques des pays membres.
On savait que la surveillance prévue par le pacte se focalisait sur les seuls comptes publics, tout particulièrement sur le niveau des déficits, et n'accordait pas assez d'attention aux autres risques majeurs liés notamment aux écarts de compétitivité des États membres, à l'endettement privé ou aux bulles de prix d'actifs.
Nous savions aussi que l'application du pacte était défaillante, mais il a fallu la crise grecque pour imposer l'idée de gouvernance économique européenne. Aujourd'hui, pour assainir les finances publiques des États membres et protéger la cohésion communautaire, il faut repenser les règles, les pratiques et les mentalités.
Je souligne avec satisfaction le fait que les propositions franco-allemandes préparent le prochain Conseil européen. Je salue notamment les propositions relatives aux sanctions.
Les pistes suggérées par M. Fauchon dans son rapport de 2009 en faveur des coopérations spécialisées pourraient inspirer certaines évolutions. Pour devenir une puissance mondiale, l'Union européenne a besoin de la convergence économique franco-allemande. En matière budgétaire, la France est en retard, ce dont le Président de la République est conscient, d'où, par exemple, la réforme des retraites.
La croissance de demain repose sur le savoir, et donc sur la recherche et l'innovation. En ce domaine, la France s'affaiblit, au détriment de ses parts de marché. L'Allemagne dépense presque deux fois plus pour la recherche et l'innovation que la France. Sommes-nous prêts à mobiliser les budgets nécessaires à la recherche spatiale européenne ? Galileo doit devenir un des quatre systèmes mondiaux. L'exploration spatiale a besoin de 5 milliards d'euros. Ne sacrifions pas l'avenir ! L'Union européenne dépense en la matière cinq fois moins que les États-Unis ! L'exploration spatiale est indispensable à la lutte contre le changement climatique : c'est en étudiant l'atmosphère de Vénus que nous avons compris l'effet de serre. Et c'est la compréhension de ce qui s'est passé sur Mars qui nous fera comprendre ce qui risque de se passer pour la Terre. Je souhaite donc que la France porte le projet spatial européen et soit force d'impulsion dans ce domaine.
Le constat de Jean Monnet était d'une grande lucidité, mais il n'est pas une fatalité. N'attendons pas la prochaine crise pour agir et pour préparer l'avenir ! (Applaudissements au centre et à droite)
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
M. Richard Yung. - La gouvernance économique est le principal sujet du prochain Conseil européen. Avec la crise financière, nos concitoyens ont compris la nécessité d'une politique économique coordonnée. J'espère que le rapport de M. Bernard Raymond nourrira la réflexion du Gouvernement.
Certaines propositions émanaient de la Commission, avant même le rapport Van Rompuy. Vient ensuite ce rapport, suivi par les déclarations franco-allemandes. Faut-il faire disparaître les propositions de la Commission ? Il semble qu'elles aient déjà disparu de nos écrans radar...
Le rapport Van Rompuy tend à élargir les critères du pacte de stabilité. Je ne participe pas au nouveau culte du veau d'or, à cette célébration de la pensée unique fondée sur la seule ligne des 3 %. Il faut certes réduire les déficits actuels mais sans sacrifier l'emploi, la recherche et l'innovation.
Il y a de mauvais déficits mais il y en a de bons, comme lorsqu'on investit dans la recherche. Actuellement, nous allons à l'échec : comme les hamsters de la légende, nous suivons le joueur de flute du 3 % et nous allons nous jeter dans la mer de la déflation ! Elle existe au Japon, elle menace aux États-Unis, et nous dansons sur un volcan !
Le pacte de stabilité devrait prendre en compte différents critères, à commencer par l'emploi et la recherche. La politique économique est un ensemble !
Comme l'a bien dit M. Bizet, on met trop l'accent sur les sanctions, pas assez sur la prévention. Il sera très difficile d'obtenir l'accord des autres États, toujours timorés dès qu'il s'agit d'en sanctionner un autre... Le groupe Van Rompuy propose de frapper au portefeuille, alors que la PAC est intouchable. Va-t-on réduire les fonds structurels, s'agissant de pays en difficulté ? Cela semble déclaratif.
Deauville s'inspire des sentiments ambivalents. Le moteur franco-allemand est indispensable...
Mme Nicole Bricq. - Il a des ratés !
M. Richard Yung. - ...mais on y est allé un peu fort sur la forme : les autres pays trouvent la pilule amère. Ils se résignent sans doute à la réussite d'un accord franco-allemand mais voudraient un peu de précaution.
Avec les sanctions politiques, nous sommes dans le rêve ! Il faut d'abord modifier les traités, ce qui suscitera l'opposition de certains pays, avec un référendum obligatoire en Irlande. Croyez-vous à l'accueil enthousiaste des Tchèques ? Il ne faudrait pas rater l'adhésion de la Croatie pour l'avoir mélangée avec un autre sujet... Et la suspension des droits serait une telle claque politique qu'elle ne peut être que dissuasive, comme l'arme nucléaire !
Mais mon temps s'est écoulé : je m'arrête. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur certains bancs au centre)
M. Jean-Pierre Chevènement. - Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention, sans trouver les réponses claires que j'attendais.
En économie, je ne vois aucun signe d'embellie : d'un côté, la rigueur se poursuit ; de l'autre, la glissade du dollar fait remonter l'euro, ce qui menace l'Europe d'une récession. Nous courons derrière le joueur de flute de Hameln vers le précipice.
Le débat actuel ne porte pas que sur les retraites. Pays très politique, la France comprend intuitivement l'impasse : sans croissance, il n'y a aucun sens à retarder l'âge de la retraite pour des gens déjà au chômage.
A l'échelle européenne, la monnaie unique creuse les différences entre les économies industrielles à haute intensité technologique comme l'Allemagne et celles qui, comme la nôtre, sont plus sensibles à la concurrence par les prix.
Le Président de la République formule parfois des analyses pertinentes, comme à Davos, mais quid des actes ? Rien, dans l'ordre du jour du Conseil européen, n'annonce un plan de soutien. A l'échelle mondiale, cette politique est à contre-courant de ce que font les États-Unis et la Chine. Durcir le pacte de stabilité serait une pénitence trop dure pour la France !
Aussi inacceptable, et même ubuesque, serait l'application de sanctions aux pays en difficulté !
La Commission propose un véritable coup de force institutionnel en avançant l'idée d'un vote du Conseil « à la majorité inversée » pour l'application de ces sanctions : il suffirait de 35 % des voix au Conseil et de 45 % des États pour imposer ces sanctions financières. Le traité est le traité ! Je n'ai pas voté celui de Lisbonne mais il est impossible de ne pas l'appliquer.
La Commission a formulé d'autres propositions attentatoires à la démocratie, à commencer par le « fédéralisme budgétaire », qui dessaisit les parlements nationaux !
Monsieur le ministre, que s'est-il passé exactement à Deauville ? Que signifient des sanctions « plus automatiques » ? L'automaticité ne supporte pas de degrés. Pourquoi mentionner le « rétablissement de l'équilibre des institutions » ? Était-il menacé ? Par qui ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Vous venez de le dire !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Faut-il comprendre que les banques devraient renoncer à certaines créances dans certains cas ? La Commission a formulé une proposition « irresponsable », en proposant la suspension des droits de vote d'un État-membre. L'emploi du même qualificatif ne m'assimile pas à Mme Reding ! Tout cela est dangereux. M. Trichet est dans son rôle de pape de l'orthodoxie libérale. Le passeport européen permettra-t-il de contrôler l'origine des hedge funds ?
Sur le plan monétaire, je ne crois pas Mme Lagarde, quand elle dit que la guerre des changes n'aura pas lieu, comme Giraudoux disait La guerre de Troie n'aura pas lieu...
Mme Nicole Bricq. - Mme Lagarde n'est pas Hélène ! (Rires)
M. Jean-Pierre Chevènement. - En Corée du Sud, les Américains ont demandé aux pays ayant des excédents commerciaux persistants, comme la Chine, l'Allemagne ou l'Arabie Saoudite, de soutenir la demande mondiale. L'Allemagne a formulé une objection fondée s'agissant de la manipulation de la monnaie par le biais de la création de liquidités. Donner aux pays émergents 6 % des droits de vote au FMI ? Une bonne idée, encore meilleure dans le cadre d'un accord global. La revalorisation du Yuan atteint 2,7 % depuis juin. La guerre des monnaies peut provoquer un retour du protectionnisme. Je vous demande de ne pas accepter l'automaticité des sanctions, de préserver le rôle du politique en Europe, de convaincre l'Allemagne qu'elle doit défendre les intérêts de l'Europe ! Défendez l'Europe face aux États-Unis et à la Chine et surtout, défendez les intérêts de la France : qui, sinon, le fera ? « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », disait Guillaume d'Orange. Mais il faut parfois changer une politique ayant échoué ! Soit vous changez les règles du jeu, en accord avec nos partenaires mais dans le sens de la relance et pas de la déflation, soit vous changez de jeu, en jouant, rudement s'il le faut, le seul jeu de la France ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Bravo ! Nous sommes d'accord sur de nombreux points.
Mme Annie David. - Monsieur le ministre, vous avez présenté les positions que le Président de la République défendra au Conseil européen. Dommage que nous ne soyons pas plus nombreux, malgré l'heure choisie. (Assentiment) Il est vrai que nos propositions n'infléchiront pas vos décisions ; du moins aurons-nous pu les formuler.
Le Conseil européen doit examiner le rapport sur la gouvernance économique, commandé à la suite de la crise financière. Il devra aussi préparer le G 20 et le sommet de Cancun.
Mais l'opinion publique et les médias se concentrent sur ce qu'il est convenu d'appeler « gouvernance économique » dans le jargon en vigueur, en partant de la proposition franco-allemande, en faveur de son action politique. La perspective d'une révision du traité montre qu'il fonctionne mal. Si elle est conforme à l'intérêt de l'Europe, c'est dans le cadre libéral ! Pour notre part, nous voulons une Europe solidaire, une Europe des peuples.
On nous présente la coordination des politiques économiques comme la seule voie possible. Certes, la France a refusé l'automaticité des sanctions mais en acceptant des sanctions politiques, selon une majorité qualifiée inversée. Vous faites un pas vers un nouveau renforcement de la Commission. La France et l'Allemagne poursuivent sur la voie dangereuse de la réduction des déficits publics. Pourtant, la douloureuse expérience grecque et les difficultés espagnoles et portugaises auraient dû vous conduire à ne pas vous obstiner dans la recherche à tout prix du précieux « AAA » délivré par les agences de notation. Les plus démunis, le logement et la recherche sont systématiquement sacrifiés par l'ultralibéralisme dont le Royaume-Uni vient de fournir une éclatante illustration : les budgets sociaux subissent des coupes claires, 500 000 postes de fonctionnaires seront supprimés ; le départ à la retraite sera plus difficile, mais sans repousser l'âge limite. (M. le secrétaire d'État mentionne de fortes décotes) Tout cela risque d'asphyxier l'économie, avec une grave récession et un chômage massif. L'économiste Michel Aglietta, qui n'est pas un gauchiste, critique à juste titre l'obstination des dirigeants européens à tout miser sur la réduction des déficits.
La position obtenue en matière de « gouvernance » économique a rencontré l'opposition du Parlement européen.
Nous ne pouvons accepter l'accord du G 20 sur la réforme du FMI : elle s'accompagne d'un dangereux élargissement des compétences du Fonds envers les pays en difficultés. Le Président de la République serait bien inspiré d'inciter l'Union à poser la question d'un nouvel ordre international. Il pourrait s'appuyer par exemple sur les positions de la Chine et du Brésil...
M. Jacques Blanc. - Je me réjouis que notre débat ait lieu, pour une fois, à une heure décente et dans des conditions correctes.
Je remercie le ministre d'avoir évoqué comme il l'a fait l'affaire des Roms ; le problème n'est pas avec le Luxembourg mais avec une Commission qui ne doit pas tomber dans l'extrémisme verbal.
Apparaît peut-être ce nouvel équilibre que beaucoup réclamaient. Quel aurait été l'état du franc dans la situation que nous connaissons ? Ce n'est une insulte pour personne de voir France et Allemagne se retrouver. Peut-être M. Van Rompuy, peut-être le Président de la République, en tirant Mme Merkel, ont-ils contribué à ce que l'Union européenne résolve la crise grecque. Une solidarité réelle s'est affirmée. La question est maintenant de savoir comment le Fonds européen de stabilité financière va se pérenniser. C'est important : la prévention des crises est en jeu. Comment faire, monsieur le ministre ? Par ailleurs, la souveraineté des États ne serait peut-être pas mise à mal si se mettait en oeuvre une analyse européenne commune de leurs propositions budgétaires au printemps.
Les sanctions... J'ai compris que le pouvoir était aux politiques, pas aux technocrates. Je m'en félicite. Il y a une cohérence entre l'action de la France au niveau européen et son action au niveau mondial. Nous avons obtenu des avancées à Séoul, il faudra aller plus loin sur la voie d'un nouvel ordre monétaire.
Que l'Europe parle d'une même voix à Cancun, c'est ce qui a manqué à Copenhague.
Quid de l'Union euro-méditerranéenne ? Je suis très attaché à cette démarche et à cette ambition, qui ne doivent pas être abandonnées. Je souhaite que la France reste très mobilisée. Si le processus de paix reprenait entre Israël et la Palestine, on pourrait avancer sur ce point aussi.
Quels que soient les besoins de la recherche, n'abandonnons pas la PAC, qui a sauver notre agriculture et l'agriculture européenne, pour le plus grand profit de tous. L'aménagement équilibré du territoire est une dimension essentielle du développement durable.
Merci de ce que vous faites ! (Applaudissements à droite)
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - J'ai écouté chacun d'entre vous avec beaucoup d'intérêt.
M. Chevènement m'inquiète en jugeant « irréalistes » les sanctions politiques. Elles existent déjà dans le traité, c'est l'article 7. Quand il s'agit de se porter caution, la discipline doit être partagée. Ou alors, il faut refuser l'idée même de monnaie unique ; mais si on l'accepte, rompre la discipline doit avoir des conséquences. Si les sanctions financières sont inappropriées et les sanctions politique inopérantes, que reste-t-il ?
Nous tenions à ce que l'article 126 du traité soit bien au coeur de la décision. La proposition Van Rompuy est sage et graduée -une alerte, un délai de six mois, la sanction- comme paraît utile la pérennisation de la garantie financière proposée par nous et les Allemands. C'est une formidable avancée ! Rappelez-vous : les Allemands ne voulaient pas entendre parler de la moindre garantie accordée à qui que ce soit : « La dette est tienne, ne compte pas sur ma carte de crédit ! ». Ils sont aujourd'hui prêts à faire un grand geste européen -contraire au traité... C'est la meilleure réponse à ceux qui prétendent au retour du nationalisme en Allemagne. Ce sera l'embryon d'un futur fonds monétaire européen.
La France a elle aussi pris conscience qu'il fallait de la discipline. Un pays qui n'a pas présenté un budget en équilibre depuis trente ans ! Nous croyez-vous masochistes quand nous réduisons la dépense publique et demandons aux Français de travailler plus à dix-huit mois des élections ? Non, nous faisons notre devoir. La France ne doit pas décrocher de l'Allemagne, qui a maintenant 3,5 % de croissance. Le joueur de flûte et les rats ? Qui tient la flûte ? La mondialisation, les pays émergents qui ont plus faim que d'autres et travaillent plus que nous ? Les équilibres anciens sont rompus, nous voulions un monde multipolaire, nous l'avons ! Il faut faire des efforts. Qui les décidera ? La Commission ? Non, nous disons que ce doit être le Conseil. Les choses n'avancent pas assez vite ? Je suis désolé : sur les 500 millions d'Européens, il y a quelques non-Français, et même des Luxembourgeois !
Pourquoi l'Allemagne a-t-elle 3,5 % de croissance ? Parce que les réformes du fonds ont été faites il y a dix ans, par un gouvernement socialiste d'ailleurs. Ce sont ces réformes qui manquent à la France, nous les faisons. Non, le Gouvernement français n'est pas agenouillé devant le veau d'or néolibéral ; rappelez-vous le discours de Davos évoqué par M. Chevènement ! Nous ne coupons pas par plaisir dans les finances publiques ! Une dette qui enfle, ce n'est pas sain !
J'ai beaucoup apprécié les propos de M. Pozzo di Borgo sur la politique spatiale, qui est entièrement franco-allemande.
Je ne dirai pas que les propositions de la Commission vont subir un classement vertical, bien que je le pense très fort. Que deviendraient, avec elles, les parlements nationaux et les politiques économiques ? On n'est pas dans la situation du flash sur l'autoroute qui vous sanctionne alors même que vous ne pouvez éviter d'accélérer.
Nous avons un vrai consensus sur la nécessité de mettre en place une caution qui fonctionne.
Mme Annie David. - Nous n'avons pas de consensus sur les retraites !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Madame David, pour les retraites, certains pays acceptent un départ plus précoce, mais avec d'énormes décotes. Je vous passe le document. (M. le secrétaire d'État joint le geste à la parole)
Nous allons tout faire pour maintenir la réunion euro-méditerranéenne le 21 novembre. La difficulté vient du refus israélien de cesser les constructions, qui met la négociation dans l'impasse.
La PAC ? Bien sûr ! Elle est absolument prioritaire. M. Le Maire y travaille, mais certains pays membres, comme la République tchèque, refusent de continuer à financer l'agriculture. MM. Chirac et Jospin ont arraché un compromis jusqu'en 2013. Mais au-delà ? La bataille sera extrêmement rude.
Nous nous sommes déjà battus pour que le mot « agriculture » figure dans la « stratégie 2020 ». En retenant 12,5 milliards de PAC, nous restons contributeurs de 6 milliards. Pourquoi la France paie-t-elle autant ? Parce qu'elle est riche ! Vous comprendrez mon exaspération à propos des Roms mais ce n'est pas à eux que va l'argent qu'on nous demande de verser !
Comment fait-on avec les propositions Van Rompuy ? Ce n'est à pas moi de le dire. Il y a la procédure simplifiée prévue à l'article 48 du traité, qui rend les choses faisables sans grandes difficultés.
Je me réjouis que notre ambassadeur à Washington, Pierre Vimont, ait été nommé secrétaire général du Service européen d'action extérieure, dans une équipe de quatre autres autour de Mme Ashton ; il y sera primus inter pares. Ce service sera un plus pour la politique étrangère de l'Union ; il y a des domaines où nous avançons, par exemple sur l'Iran. Sommes-nous satisfaits de la place de la France dans le dispositif ? Nous n'avons, pas plus que le Royaume-Uni, obtenu de poste d'ambassadeur... Nous verrons pour la suite...
L'Union européenne a souhaité être représentée de façon digne à l'assemblée générale de l'ONU. Pour le moment, nos représentants sont considérés comme observateurs et ne peuvent participer au débat. L'affaire a été peu médiatisée mais, le 14 septembre, une résolution visant à corriger cette anomalie a été ajournée à l'initiative des pays ACP, avec le vote de la Chine et de la Russie. Des pays proches comme le Canada ou l'Australie se sont abstenus. Voilà ce qu'il en est, quand nous nous croyons le centre du monde. L'Union européenne n'est pas admise à l'assemblée générale de l'ONU, alors même qu'elle a la personnalité morale et qu'elle distribue 60 % de l'aide mondiale au développement ! C'est un exemple significatif du respect qu'il nous reste à construire et à gagner.
Pour reprendre le propos du Général de Gaulle, je ne suis pas là pour sauter comme un cabri et dire « L'Europe, l'Europe » ; ce qui compte, ce sont les actes. (Applaudissements)
Débat interactif et spontané
M. Michel Magras. - M. le ministre a évoqué l'évolution du statut de Saint-Barthélemy, de région ultrapériphérique en pays et territoire d'outre-mer. Les régions ultrapériphériques sont en effet soumises au droit européen même dans les domaines où le droit national n'a plus court. Pouvons-nous attendre une décision du Conseil sur la modification du statut ? Le Gouvernement s'est-il assuré de tous les soutiens nécessaires ? Quelles seront les grandes étapes du processus ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Nous n'avons aucune inquiétude sur la décision du Conseil de transformer le statut de Saint-Barthélemy de RUP en PTOM. Avec la décision, la procédure sera achevée. La période de transition durera un an, pendant laquelle Mme Penchard examinera ce que la collectivité gardera du droit européen...
M. Aymeri de Montesquiou. - Le retour dans l'Otan fut à la fois source d'inquiétude et d'espoir. Il faut incontestablement redynamiser le dialogue transatlantique, alors que l'Amérique ne voit en l'Europe ni un acteur stratégique ni un partenaire crédible. Cela se comprend, vu l'absence de politique de sécurité commune et la faiblesse de notre effort de défense.
L'Europe doit fixer ses objectifs stratégiques, des dépenses militaires à la hauteur de ses ambitions et une industrie d'armement coordonnée. Quelles sont les perspectives à venir, notamment pour l'Agence européenne de défense qu'on attend depuis tant d'années ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Une des raisons de notre retour dans l'Otan est que l'argument de notre absence dans l'Alliance ne soit plus opposé à l'existence d'une défense européenne. Preuve est désormais faite que si l'Europe de la défense n'avance pas, ce n'est pas à cause de la France mais parce que manque la volonté politique de certains. L'écart se creuse avec les États-Unis, France et Royaume-Uni assument 40 % des dépenses européennes d'armement et de défense. Nombre de pays européens sont devenus des militants antinucléaires et veulent entrer dans une logique post-nucléaire, post-dissuasion ! C'est évidemment problématique du point de vue américain, où l'on se demande ce que nous pouvons apporter vraiment en cas de crise. Le problème est réel. L'Union européenne ne peut s'installer dans le rôle de banquier au Proche-Orient ou d'ONG humanitaires, disant le droit et distribuant des aides ; nous ne serions alors que des voyeurs de crise. Si tel est l'avenir stratégique de l'Europe, le jugement des historiens sera sévère !
Mme Nicole Bricq. - Le Président de la République a mis en priorité à son futur mandat de président du G 20 la gouvernance mondiale. Les ministres de l'économie et des finances ont pris conscience à Séoul des risques de dévaluation compétitive et entendent prévenir une guerre des monnaies. Il y a une responsabilité proprement européenne, où l'austérité générale est déclarée. L'Europe compte sur ses exportations vers les pays émergents pour assurer sa reprise, sur le modèle allemand. Or, les politiques restrictives mises en oeuvre ouvrent bien une guerre des monnaies. Nous courons un risque grave de déflation. Cela ne va-t-il pas compliquer l'action du Président de la République, futur président du G 20 ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Ce que vous dites va dans le même sens que ce que disent les Américains.
Mme Nicole Bricq. - Le risque, c'est la déflation à la japonaise.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Il est paradoxal que la gauche européenne rejoigne les autorités américaines, lesquelles laissent filer leur monnaie pour doper leurs exportations. L'Europe est à la fois une zone de vieillissement démographique et de déperdition de compétitivité. Comment rétablir celle-ci ? Les Américains le font en laissant filer leur monnaie, les Européens doivent le faire avec une politique industrielle et la remise en ordre de leurs finances publiques. Je ne crois pas que la politique franco-allemande soit déflationniste.
M. Denis Badré. - Le Parlement et le Conseil ne sont pas parvenus à un vote conforme sur le budget européen. La difficulté des temps risque d'exacerber les tensions. Quelle est la position du Gouvernement ? Comment comptez-vous favoriser un consensus rapide ? L'action extérieure de l'Union européenne va-t-elle souffrir d'une crise -qui serait très malvenue par les temps qui courent- au cas où la conciliation échouerait ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Les articles 314 et 315 sont clairs : en cas de rejet du budget, la Commission devrait en présenter un nouveau. Dans cette attente, l'Union fonctionnerait selon la logique des douzièmes provisoires.
Est-ce que ce serait une catastrophe insurmontable ? Non. Le Parlement comme la Commission ne peuvent à la fois exiger de la rigueur des États et des peuples et refuser de faire des efforts.
M. Richard Yung. - Les Anglais... Comment leur présenterez-vous l'accord de Deauville ? Ils doivent être partagés : la notion de « gouvernance économique » doit les révulser, mais ils se disent vertueux... Il faut bien trouver un modus vivendi avec la livre sterling et la place de Londres.
On a parlé de sanctions mais pas de mesures positives, sur la fiscalité par exemple. On aurait pu évoquer un « tunnel de rapprochement » sur les taux ou l'assiette de l'impôt sur les sociétés, par exemple. Quid de la convergence en matière fiscale ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Nous y sommes tellement engagés que nous avons demandé à Didier Migaud de nous faire des propositions.
Le prochain sommet franco-britannique du 2 novembre est en cours de préparation. Je ne crois pas que les Britanniques soient amers. Ils sont en situation inconfortable. Mais ils s'y sont mis eux-mêmes, en ayant à la fois un pied dedans et un pied dehors. J'entends, dans les propose de mes amis conservateurs britanniques, des échos à ceux de M. Chevènement.
En même temps, ils savent avoir un pied dedans, ce qu'ils reconnaissent ouvertement. N'étant volontairement pas membres du dispositif de garantie, les Anglais sont dans la pire des positions : ils n'ont pas droit au chapitre et subissent les décisions des autres. C'est très compliqué pour eux, dont l'économie et les finances sont très imbriquées dans celles du continent.
M. Pierre Fauchon. - Ma première réflexion est pessimiste : on se gargarise de mots en parlant de gouvernance économique ! On en est très loin. On prend des mesures pour régler des problèmes financiers. La gouvernance économique inclurait la fiscalité, l'approvisionnement énergétique, la défense, les relations avec la Chine.
Face à une mondialisation galopante, les Européens ne sont pas à la hauteur. Pauvre Europe ! L'Europe des nations, chère à M. Chevènement, qui s'est suicidée à deux reprises au cours des conflits mondiaux, aurait pu devenir une union dynamique : elle est aujourd'hui enlisée.
J'admire ce qui s'est passé à Deauville, puisque les difficultés entre la France et l'Allemagne semblent aplanies. C'est une très bonne nouvelle.
Mon autre réflexion a une connotation optimiste, avec la perspective d'un accord sur la perte des droits de vote. C'est envisageable pendant une période de transition entre États nations et future structure européenne. Cet accord particulier me paraît une excellente démarche car le seul moyen de faire sortir l'Europe des Vingt sept de sa difficulté d'être est de mettre en place des coopérations renforcées, les seules à être réellement opérationnelles.
Merci de contribuer à cette pointe d'espoir. Espérons que cette flamme pourra grandir.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je partage cette flamme !
M. Jean-René Lecerf. - Les diverses appréciations du Gouvernement français et de la Commission à propos des Roms se sont concentrées sur la transposition de la directive de 2004 sur la libre circulation. Avec M. Yung, nous avons entendu la Commission européenne, qui juge insuffisante notre transposition. Le gouvernement français estime que les garanties non transposées existaient déjà en droit français, en partie de façon jurisprudentielle, mais s'est engagé à les transposer dans notre droit positif.
Cet engagement a incité la Commission à suspendre la procédure engagée. Dans quel texte le gouvernement français entend-il le faire, et dans quel délai ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - En effet, la France a proposé d'inscrire dans la loi les principes généraux du choix, dégagés par la jurisprudence et appliqués par les tribunaux.
C'est ce que nous avons dit à la Commission, à Mme Reding, qui avait semblé recevoir nos arguments, jusqu'à l'affaire de la circulaire du ministère de l'intérieur. Sur le fond, les articles 27 et 28 apporteront certaines garanties aux citoyens européens, par exemple en tenant compte des degrés d'intégration sociale et culturelle.
Le Gouvernement proposera d'intégrer l'article 27, sauf le paragraphe 3, dans le texte sur l'immigration examiné en janvier au Sénat. Le paragraphe 3 de cet article sera transposé par décret d'application.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Monsieur le ministre, vous avez insisté sur la pérennisation du mécanisme de stabilisation financière, mais chaque pays prêteur devra emprunter à son propre taux ! La solidarité a ses limites. Avez-vous envisagé d'émettre des bons du trésor européens, garantis par la France et l'Allemagne, ce qui serait une vraie garantie de solidarité européenne ? Ce à quoi je ne suis pas hostile, contrairement à ce que croit M. Fauchon -et d'autres !- qui confond nation et nationalisme. Vous ne m'avez pas dit si l'on demanderait aux banques de renoncer à leurs créances si un pays faisait défaut ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je ne peux répondre à ces excellentes questions. Ceux qui sont à l'origine du désastre financier en achetant des dettes souveraines douteuses savaient qu'en cas de malheur, la France et l'Allemagne interviendraient. Rappelez-vous ce qui s'est passé au printemps : cela n'a pas été facile en Allemagne, où l'état d'esprit contrastait avec l'unanimité française. En définitive, le Bundestag et le Bundesrat ont donné leur accord. Les spéculateurs privés doivent-ils être protégés contre la perte de leurs mises ? C'est une excellente question. Celle qui concerne l'émission d'obligations communes franco-allemandes outrepasse ma compétence ministérielle : voyez Mme Lagarde.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je remercie M. le ministre pour son engagement et ses réponses. Je me réjouis des avancées européennes en matière de gouvernance économique, de l'accord franco-allemand qui porte sur la notion essentielle d'interdépendance et qui rend la main aux politiques.
La séance est suspendue à 20 heures 50.
présidence de M. Roger Romani,vice-président
La séance reprend à 22 heures 50.