Gestion de la dette sociale (Loi organique - CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la CMP sur le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour le Sénat de la CMP. - Nous sommes parvenus à un accord avec l'Assemblée nationale, sur un texte reprenant toutes les dispositions adoptées par le Sénat, avec quelques ajouts.
Avec la crise, la gestion de la dette sociale a pris une dimension majeure, puisque le régime général connaît des déficits annuels de 20 milliards. Notre objectif doit être de les réduire de façon structurelle.
La Caisse des dépôts et consignations ayant fixé les limites de son concours, il a fallu recourir à des financements sortant un peu de l'ordinaire. Nous n'avons pas l'assurance que cela pourra se répéter. Après avoir cédé à la pression amicale du Gouvernement, avec la commission des finances nous avons plaidé que la Cades reprenne une vingtaine de milliards, avec une augmentation de la CRDS de 0,15 point.
Le Gouvernement ne nous a pas suivis et nous a invités à engager une réflexion, avant de présenter des mesures dans le cadre du PLFSS 2011. M. Baroin a présidé la commission de la dette sociale, où siégeaient sept députés et sept sénateurs, dans des conditions sereines, mais il nous a fallu attendre le 30 juin pour qu'il nous dévoile ses intentions. Notre collègue M. Warsmann avait une position radicale : ne pas transférer les charges à la Cades sans les recettes correspondantes.
L'unanimité au sein de la commission de la dette sociale a montré au Gouvernement que la prorogation de la Cades ne devait pas aller au-delà de quatre ans. Ce choix permet certes d'atténuer le coût de gestion de la dette sans doubler la CRDS, comme cela aurait été nécessaire.
Insatisfaits mais pragmatiques, nous avons donné notre accord, à deux conditions. D'abord, introduire dans la loi organique une clause de garantie assurant à la Cades la pérennité nécessaire de ses ressources. Il faudra donc que la loi de financement précise les moyens de parer à toute insuffisance de financement. D'autre part, nous souhaitons une clause de retour à meilleure fortune permettant de réduire voire d'annuler la prolongation de la Cades si la situation s'améliore.
L'Assemblée nationale a complété l'article premier, adoptant dans un souci de compromis un amendement de Mme Montchamp précisant l'assiette des recettes, ce qui indique en creux qu'on va vers une hausse de la CRDS. Évitons en tout cas de mettre en place des tuyauteries dans tous les sens, au risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul : je doute que M. Lardeux l'accepte pour la branche famille.
Nous verrons en loi de financement comment sortir de ce jeu de bonneteau.
M. Guy Fischer. - Il n'y a pas grand-chose à attendre du Gouvernement.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Il serait bon de mesurer l'impact des mesures prises sur les compagnies d'assurances, qui risquent fort de peser plus lourd sur les ménages que ne l'aurait fait la petite augmentation de la CRDS que nous souhaitions et à laquelle nous ne couperons pas.
M. Guy Fischer. - Après 2012 !
M. Alain Vasselle, rapporteur. - En attendant, nous souhaitons que soient adoptées les conclusions de la CMP.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. - Ce texte est un élément clé de notre gestion des dépenses sociales.
Le financement de la dette sociale est mis en oeuvre par la loi de financement, le projet de loi sur les retraites et enfin ce projet de loi organique, qui a donné lieu à des débats intenses tant ici qu'à l'Assemblée nationale. Les enjeux y sont clairs : le Gouvernement refuse absolument d'augmenter quelque prélèvement obligatoire que ce soit.
M. Guy Fischer. - C'est faux !
M. François Baroin, ministre. - Nous voulons travailler sur les dépenses, plutôt que sur les recettes.
M. Guy Fischer. - Mensonge !
M. François Baroin, ministre. - C'est un choix politique. Nous sommes parvenus à un accord même si le Président Warsmann, issu comme moi de la région Champagne-Ardenne, a montré toute sa détermination.
Le Gouvernement a fait ce choix qui justifie l'allongement de durée de vie de la Cades, qui ne pèsera pas sur les générations futures. A cause de la crise l'État a perdu 54 milliards de recettes, et il a laissé jouer les amortisseurs sociaux, sans augmenter les impôts...
M. Guy Fischer. - C'est faux !
M. François Baroin, ministre. - ...pour ne pas freiner la reprise économique.
Le Gouvernement a accepté les demandes du Sénat. Il a pris l'engagement d'affecter la réduction des niches fiscales au désendettement. L'équilibre trouvé en CMP lui convient. (Applaudissements à droite)
M. Guy Fischer. - Ce projet de loi organique s'intègre dans un processus qui se développe avec d'autres projets de loi, celui sur les retraites, la loi de finances et la loi de financement.
Il ne vous aura fallu que huit ans pour mener au déficit notre système de protection sociale, qui était à l'équilibre quand la gauche était aux responsabilités.
M. François Baroin, ministre. - Avec une croissance de 3,5 %.
M. Guy Fischer. - Il est vrai que la crise est passée par là -amortie par notre protection sociale. Pourquoi alors vous acharner à détricoter notre système social ?
Indépendamment de cette crise, vous êtes responsable des 34 milliards de dette structurelle, à cause de votre politique dont le Medef est le seul à se satisfaire, même si pour lui, les cadeaux ne sont jamais assez nombreux.
Certes, les exonérations que vous accordez annuellement sont compensées par l'État -très partiellement, pour les deux tiers seulement, et surtout, de façon très différenciée et financées par l'emprunt. Et voici que vous transférez 62 milliards à la Cades. Vous transférez la dette sociale due à votre politique engagée à l'échéance 2018. Le vrai est que vous avez renoncé à assurer la pérennité de notre système de protection sociale.
Je ferai mien ce qu'a dénoncé avec raison le député UMP Yves Bur, ainsi d'ailleurs qu'Alain Vasselle : c'est votre majorité même qui a voulu un verrou sur la durée de vie de la Cades. Vous le faites sauter en disant que c'est la der des der, jusqu'à la prochaine fois. La classe politique, dit Yves Bur, doit montrer son refus de la fuite en avant. Or on ne saurait mieux dire avec ce que Mme Debré appelle un « bricolage ».
Bref, on assiste là à un jeu de bonneteau où les milliards circulent dans l'incertitude de tous.
La branche famille est à peine excédentaire que vous voulez la déstabiliser. Le ministre reconnaît lui-même une « dynamique décroissante » des financements.
Les taxes que vous entendez créer sur les contrats responsables seront répercutées sur les ménages. Quel sens y aurait-il à augmenter la CRDS si les plus riches en sont exonérés grâce au bouclier fiscal ? Or fiscaliser notre protection sociale n'est ni souhaitable ni juste.
Il eût été préférable de repousser l'examen de ce texte au-delà de la loi de financement. M. Gournac était satisfait que, dans la réforme des retraites, le Gouvernement prenne en compte l'intérêt des familles ; le restera-t-il en voyant ce texte qui, dit M. Bur, dépouille la sécurité sociale d'une recette dynamique pour une recette incertaine ? Quand vous aurez complètement siphonné le FRR, et que la branche vieillesse ne sera pas en équilibre, comment ferez-vous ? Vous comptez sur les excédents de l'Unedic mais il faudrait que le taux de chômage soit ramené à 4,5 %. Qui le croira possible à court terme ?
C'est au prix d'un chantage, sous la forme d'un engagement de responsabilité, que M. Fillon a obtenu le vote de ce projet de loi à l'Assemblée nationale. Votre majorité a refusé de se poser la question du financement de la protection sociale, se contentant de coller des rustines jusqu'aux élections présidentielles.
Est-il acceptable de mettre en place un aspirateur à mauvaise gestion quand les dettes ne sont pas encore effectives ?
Vous ne voulez pas augmenter les impôts ? Sur les riches, sans doute ; mais la CRDS, dont l'assiette est si large et le rendement si bon, comme nous l'a rappelé M. Vasselle ?
Ce texte est combattu par les six présidents des caisses. Nous y sommes aussi résolument hostiles.
M. Jacky Le Menn. - Nous sortons de cette CMP aussi insatisfaits que nous y étions entrés. Pourrait-il en être autrement ? Non, puisque l'élyséenne surdité de nos collègues majoritaires ne pouvait y trouver son sonotone.
Les analyses de M. Vasselle sont souvent pertinentes, ce qui ne rend que plus paradoxal son ralliement en rase campagne aux exigences du Gouvernement.
M. Alain Vasselle, rapporteur. - Je suis un paysan !
M. Jacky Le Menn. - La crise -qu'on ne peut tout de même pas imputer aux couches populaires- n'explique pas tout !
Malgré l'amendement de suppression de l'article premier, repoussé par la majorité en CMP ; malgré le rappel d'autres propositions de financement ; malgré les choix controversés du Gouvernement de priver la banche famille d'une partie de la CSG qui lui était destinée ; malgré le rejet massif du siphonage du FRR, rien n'y a pu faire, la messe était dite ! Le prince qui nous gouverne est pressé. Les générations futures subiront les coûts et les coups !
On nous répète que la seule voix possible est celle qui chuchote à l'oreille du roi -lequel a toujours raison, jusqu'au jour où il se retrouvera seul et nu.
Nous réaffirmons que reculer de quatre ans la durée de vie de la Cades est une mauvaise décision, à laquelle nous nous opposons.
M. Daniel Marsin. - Il est plus que temps de nous prononcer définitivement sur la dette sociale, qui s'aggrave chaque année.
La Cades a été créée en 1996 pour renflouer les 20 milliards -alors !- de la dette sociale. Comme nombre de structures provisoires, la Cades a été prolongée à plusieurs reprises. Et voici que nous en modifions encore le statut pour que l'on puisse lui transférer 130 milliards. Est-il raisonnable de transférer le poids énorme de notre dette sociale sur les générations futures ? Preuve du malaise : ni M. Warsmann, ni M. Bur n'ont participé à la CMP.
Ce prolongement de quatre ans est indéfendable : cela revient à reporter la durée de vie de la Cades, jusqu'à 2025. Quel avenir laissons-nous à des enfants qui ont aujourd'hui 8 ou 9 ans ? On fait des emprunts à long terme pour payer des déficits de fonctionnement. Cela s'appelle de la cavalerie, dit M. Warsmann.
Nous regrettons que la majorité du Sénat, normalement active à la recherche des solutions financières équitables, se soit ralliée à ces dispositions. La majorité du RDSE votera contre ce texte ; pour ma part, en raison de la crise et parce que je connais vos convictions, monsieur le ministre, je m'abstiendrai.
Vote sur l'ensemble
M. Jean-Pierre Godefroy. - M. Woerth nous a répété pendant trois semaines que sa loi sur les retraites était faite pour préserver l'avenir. Vous nous proposez aujourd'hui le contraire ! La gestion de la caisse est chaotique.
Sur les 134 milliards de déficit, la crise n'est responsable tout au plus que de 34. Comme l'a dit M. Warsmann, c'est de « la cavalerie ».
Vos réponses sur le déficit structurel sont indigentes. On diminue les remboursements sur les médicaments à vignette bleue et on établit un forfait de 18 euros non remboursés sur les actes hospitaliers jusqu'à 120 euros.
L'année prochaine, 300 millions de charges vont ainsi être transférés sur les assurés. Mme Bachelot a proclamé imprudemment vouloir faire de 2011 l'année des patients. Ce sera plutôt celle des sacrifices pour les assurés sociaux !
L'autre sacrifiée, c'est la branche famille : vous déshabillez Pierre pour habiller Paul et reportez à plusieurs années le retour à l'équilibre !
Nous voterons contre ce texte avec détermination.
Vous vous accrochez à la promesse du Président de la République de ne pas augmenter les impôts, mais il avait aussi promis de ne pas toucher à la retraite à 60 ans : cherchez la logique ! (Applaudissements à gauche)
M. Marc Laménie. - La réduction des déficits publics est une question urgente et vitale.
Pour l'essentiel, la prorogation de la Cades doit reprendre plus de dettes qu'elle ne peut le faire en l'état de droit. D'où ce projet de loi organique, qui allonge de quatre ans la durée de vie de cette caisse.
La loi organique aux lois de financement de la sécurité sociale n'est pas mise en cause, puisque la mesure proposée est encadrée, ce qui évite de reporter sur les générations futures les dettes imputables aux années 2009-2011.
Dans le contexte actuel, il n'est pas envisagé d'augmenter la CRDS. En revanche, un transfert en provenance du FRR abondera la Cades.
Enfin, l'intervention au Parlement est améliorée, puisque la situation patrimoniale des organismes de sécurité sociale sera soumise au Parlement.
Le texte issu de la CMP est quasiment identique au nôtre : notre groupe le votera. (Applaudissement sur les bancs UMP)
M. Jean Desessard. - Je m'associe aux excellents propos de M. Godefroy.
Les sénateurs Verts voteront contre le projet de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l'adoption | 181 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté.