Action extérieure de l'État (Conclusions de la CMP - Suite)
Mme Françoise Laborde. - La France doit composer entre une diplomatie de puissance difficile à mener et une diplomatie d'influence. Notre démocratie culturelle traverse une crise, entre montée en puissance des grands pays émergents et fortes contraintes budgétaires.
Afin de renforcer l'influence de la France, vous proposez de créer trois opérateurs sous forme d'Épic, en cohérence avec la création au sein du ministère des affaires étrangères d'une direction de la mondialisation. A l'heure où d'autres pays accroissent les moyens de leur diplomatie d'influence, dont la Chine, où Mme Clinton fait de la diplomatie de l'intelligence une des priorités de la politique étrangères des États-Unis, la France doit rester fidèle à sa vocation universelle. Or elle réduit drastiquement ses moyens d'influences. En 1883, notre pays mettait en place le magnifique réseau des Alliances françaises ; nous avons encore le réseau culturel le plus dense et la plus étendu, mais les moyens de nos ambassades et de nos instituts rétrécissent et les postes diminuent. L'usage de notre langue régresse et, avec elle, la culture française, comme en Europe centrale et balkanique, au Maghreb, en Afrique, ce en même temps que nous abandonnons notre politique arabe et africaine.
La création d'Épic tend à réduire les dotations de l'État ; une correction a été apportée par le Parlement, mais quelle en sera l'effet ? Le statut d'EPA aurait été préférable.
La France n'accueille pas assez d'étudiants venus des grands pays émergents, dont la culture sera donc anglo-saxonne. Nous sommes largement devancés par le Royaume-Uni et l'Allemagne. Le British Council et le Goethe Institut ne sont pas pris dans les tenailles de la RGPP ! Si les crédits du ministère augmentent, c'est à cause de la hausse des contributions de la France aux institutions internationales ; les moyens affectés à notre action diplomatique au sens strict ne représentent que 90 millions.
Mieux vaux ne pas engager de réforme précipitée si les moyens ne suivent pas...
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - A ce compte, on ne réformera pas souvent.
Mme Françoise Laborde. - Nous nous réjouissons qu'ait été retenu l'intitulé « Institut français », mais nous inquiétons de l'article 13 dont la rédaction manque de clarté. Il eût été bon de saisir l'occasion pour affirmer notre soutien inébranlable envers les journalistes, dont ceux retenus actuellement en Afghanistan.
Comme la majorité du RDSE, je m'abstiendrai. (Applaudissements à gauche)
M. André Trillard. - (Applaudissements à droite) Je salue l'immense travail mené en la matière par les présidents Legendre et de Rohan, avant même l'arrivée de ce texte sur notre bureau ; la tâche de nos rapporteurs a été considérable.
Ce texte pragmatique reprend l'esprit de la réforme esquissée par le Président de la République dans le Livre blanc. Il replace l'ambassadeur au centre de notre diplomatie culturelle. C'est dans ce cadre que nous saluons la création d'une agence unique, qui fédérera et gérera tous les réseaux culturels. L'institut français répond à un véritable besoin. C'est un premier pas vers une soft power à la française.
Aucun pays ne peut renoncer à la diplomatie d'influence ; je me félicite de la rédaction des articles 5 et 6. La création de Campus France et de France expertise internationale est judicieuse. L'association Égide et la section internationale du Cnous seront, à terme, intégrées à Campus France ; la cotutelle doit cependant être un avantage et non un handicap.
Nous avons insisté pour exclure de l'article 14 ceux qui vont dans des zones dangereuses pour des raisons professionnelles légitimes -journalistes, humanitaires, chercheurs...
La démagogie sur ce point n'a pas lieu d'être car jamais la France n'a abandonné ses journalistes pris en otage.
Ce texte est un bon début ; il faudra être plus offensif pour que notre pays demeure un modèle culturel. Nous devrons faire preuve de créativité et d'inventivité ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Nous attendions cette réforme depuis longtemps. Le défi est majeur, face au British Council et au Goethe Institut, mais aussi face à de nouveaux venus comme les instituts chinois Confucius.
Ce texte crée trois Épic, dont il établit précisément les champs d'action et les missions ; les rôles sont désormais clarifiés. Je me réjouis de la nouvelle rédaction de l'article 5, sur Campus France. La double tutelle avec le ministère de l'enseignement supérieur est importante. Nous ne pouvons plus dissocier la politique menée sur le territoire français et notre action internationale.
J'avais retiré mon amendement à l'article 2 contre l'engagement du ministre de choisir un représentant de l'AFE parmi les personnalités siégeant au conseil d'administration des nouveaux opérateurs ; je lui en suis reconnaissante.
L'Assemblée nationale avait supprimé l'article 4 bis ; la CMP l'a rétabli ; très bien.
La création d'Épic autorisera les partenariats nécessaires. Le choix de la dénomination « Institut français » devrait permettre aux acteurs sur le terrain de sous-titrer leur établissement avec le nom d'une personnalité francophone reconnue localement. La création de Campus France renforcera l'attractivité de notre système universitaire. Renforcer la visibilité de la marque « France » est important face au recul apparent de notre influence.
J'apprécie tout particulièrement le pragmatisme de ce texte ; les rapports annuels devant l'AFE permettront de faire un bilan régulier et d'apporter si nécessaire des correctifs. Des points devront être approfondis, comme le statut des conjoints d'expatriés, pour lesquels vous avez déjà beaucoup fait, monsieur le ministre, ce dont je vous remercie.
C'est une très grande joie d'avoir à voter un pareil texte ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Richard Yung. - Il y a quelques jours, vous avez qualifié la réforme d'ambitieuse. Elle l'est, mais en grande partie grâce au Parlement, dont on se réjouit qu'il serve à quelque chose.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Pour autant, vous ne voterez pas ce texte !
M. Richard Yung. - Ne préjugez pas la fin de ma péroraison ! (Sourires)
On retrouve mieux l'esprit du Livre blanc dans ce texte que dans le projet de loi initial. Une seconde lecture aurait été une bonne chose. Pourquoi nous imposer encore et toujours la procédure accélérée ?
Je me réjouis de la présence d'un membre élu de l'AFE parmi les personnalités qualifiées présentes au conseil d'administration des Épic ; ce sera utile. L'Assemblée nationale, qui ne connaît pas encore les Français de l'étranger, avait supprimé le rapport annuel ; il est rétabli, très bien.
Le dispositif initial mêlait la carpe et le lapin ; la séparation entre Institut français, Campus France et France expertise internationale est une excellente chose. Pour ce dernier établissement, nous ne contestons pas le statut d'Épic. L'absorption dans Campus France de la partie internationale du Cnous est une très bonne chose. Sera ainsi créée une filière intégrée pour les étudiants étrangers qui, jusqu'à présent, s'arrêtait à Roissy... Ce nouveau guichet unique leur facilitera les choses.
L'ambassadeur joue déjà un rôle important vis-à-vis de l'AFD, sans avoir bien sûr à s'engager dans des activités proprement bancaires. Ma proposition aurait été plutôt de fusionner l'AFD avec France coopération internationale pour créer une grande agence sur le modèle allemand.
L'article 13 ne mérite pas toute cette indignité ; c'est ce qui se fait pour les secours en mer et en montagne. On sent qu'il y a de l'émotion dans cette affaire...
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Et de la démagogie !
M. Richard Yung. - Pourquoi ne pas mentionner explicitement journalistes et humanitaires ?
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Tout le monde veut être leur défenseur !
M. Richard Yung. - La réduction des moyens de votre ministère est, hélas, un fait, en particulier pour l'action culturelle. Les augmentations que l'on constate sont plutôt liées à des effets boîte à lettres du ministère -le transit des contributions internationales. Le nombre de postes ne cesse de régresser.
Nous qui visitons régulièrement ambassades et services culturels, nous voyons bien leurs difficultés. On voit tel responsable de centre culturel à qui il manque deux centaines d'euros pour faire une exposition... Que comptent face à cela nos belles proclamations ? La pauvreté sur le terrain perdure.
Nous n'échapperons pas à un débat de fond sur l'universalité de notre réseau. Je vous renvoie aux propos de MM. Juppé et Védrine, qui ne sont pas de dangereux extrémistes...
Nous nous abstiendrons -de façon positive ! (Sourires)
M. Didier Boulaud. - Ce projet de loi tombe à propos, au moment où la tempête secoue votre ministère. Vous avez été privé de M. Joyandet, après que Mme Yade est allée faire du sport ailleurs et que M. Bockel a fait les frais du retour en force de certaine politique africaine -sans parler du départ médiatisé de notre ambassadeur à Dakar, ou de la situation de tel de ses collègues qui attend depuis six mois qu'on veuille bien faire appel à ses compétences... Serait-il si dangereux de travailler avec vous ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Bien sûr ! (Sourires)
M. Didier Boulaud. - MM. Juppé et Védrine évoquent un affaiblissement sans précédent. Certes, ce ministère a toujours manqué de moyens, y compris sous des gouvernements de gauche. Mais la RGPP va vous faire perdre trois postes sur quatre départs à la retraite. Le coût politique de ces économies à la marge, de cette politique aveugle et injuste sera considérable. On touche désormais à l'os. Ce n'est pas ainsi que nos concitoyens retrouveront le moral : ils sont près des trois quarts à percevoir la France comme en déclin. Comment faire vivre la politique extérieure si on dégrade continûment l'outil diplomatique ?
Qui fait vraiment la politique extérieure de la France ? Le secrétaire général de l'Élysée ? Le domaine réservé est un des plaies démocratiques de la Ve République.
Ne dites pas que les crédits augmentent quand ils baissent d'au moins 10 % par an depuis 2008 et doivent encore diminuer dans les trois années à venir. Les réductions d'effectif vont continuer. Nous sommes à la limite de la rupture. Des établissements, des consulats, des ambassades même devront fermer.
Les parlementaires se rendent dans les postes et entendent d'autres propos que les vôtres. Le malaise est profond et n'est pas nouveau ; mais c'est vous qui portez l'estocade, tandis que nos concurrents accentuent leurs efforts.
L'APD ? La France se déshonore. Au lieu des 0,51 % du PIB promis pour 2010 par M. Sarkozy, on sera à peine à 0,36 %. Les masques tombent et le roi est nu. Vous le reconnaissez vous-même dans le Bulletin quotidien du 18 juin, en disant même votre honte...
Sans moyens, la politique extérieure de la France étouffe à petit feu. Dois-je vous rappeler la formule de M. Chevènement ? Avec la démission de M. Joyandet, vous allez devoir chapeauter l'audiovisuel extérieur ; n'y aura-t-il pas là un nouveau conflit d'intérêt ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - M. Joyandet n'était pas en charge de l'audiovisuel extérieur de la France ; je ne vois donc pas dans quel conflit d'intérêt je pourrais me trouver.
M. Didier Boulaud. - Dont acte.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Alfred Jarry dirait « pourquoi remettre à demain ce qu'on peut faire après-demain ? » Mme Laborde devrait s'en souvenir avant de soutenir qu'on ne peut réformer tant qu'on n'a pas les moyens.
Il est vrai que les moyens du Quai d'Orsay ont été singulièrement réduits ces dernières années ; je le déplore profondément. La critique de MM. Juppé et Védrine auraient plus de portée si leur passage au Gouvernement avait été l'occasion d'un accroissement des moyens.
On n'attend pas d'avoir des moyens pour réformer ; on le fait parce que cela s'impose. Je donne toute de même acte au ministre qu'il a obtenu les crédits minimum pour que fonctionnent les trois agences créées par ce texte.
L'Épic est un progrès par rapport à ce qui existe, qui est marqué par une très grande hétérogénéité de statuts pour les personnels, avec de nombreux CDD. L'Épic leur donnera des CDI. A vouloir fonctionnariser la culture, on rigidifierait le système. Il faut pouvoir bouger ; la rigidité des statuts nuit à la mobilité. Il faut certes un minimum de formation, des périodes d'immersion mais pas d'encroûtement dans un poste.
Que vaut l'argument de la « marchandisation » de la culture à cause des Épic quand chacun sait qu'il faut bien faire appel au mécénat. Tous les responsables locaux sont confrontés à ce problème ; tous cherchent des ressources extérieures à leur budget.
Je regrette que l'on vote à l'unanimité chaque article et que l'on refuse de voter le texte d'ensemble pour de simples raisons politiques : impossible de votre un texte de la majorité !
M. Didier Boulaud. - Depuis quand votez-vous les textes de la gauche ?
Mme Nathalie Goulet. - Qui aime la France travaille à son rayonnement. Je salue le travail des personnels sur place, en premier lieu des ambassadeurs.
Les contraintes inhérentes à ma situation de sénateur renouvelable nuisant à mon assiduité, je lis les comptes rendus des commissions.
A propos du recrutement du personnel local, un nouveau conseiller de presse vient d'être nommé aux Émirats arabes unis. Il ne parle ni l'arabe, ni même l'anglais ! Le voici donc secrétaire de l'ambassade...
Le précédent attaché culturel provenait du Musée des arts premiers ; il ne connaissait pas non plus l'arabe. Jamais notre coopération culturelle n'a été aussi basse avec cet État. J'attends avec impatience la création d'un poste régional pour le Golfe persique. En cette période de disette budgétaire, évitons les erreurs de casting. Le centre français de Tbilissi a été entièrement payé par un mécène géorgien. Il en va souvent de même pour les alliances françaises, et même pour les réceptions du 14 juillet ! Je ne partage pas les propos de Mme Laborde. Ayant eu raison trop tôt, à propos de l'UEO, je pense qu'on pourra redéployer des crédits.
N'oublions pas les difficultés rencontrées par les étudiants étrangers pour obtenir un visa.
La question du statut de l'Institut français est secondaire. Dommage que tout le monde ne s'y associe pas, car son rôle est fondamental au Yémen et en Iran.
Mon groupe votera le projet de loi avec enthousiasme. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Bernard Kouchner, ministre. - Le prochain attaché culturel parle très bien l'arabe ; il connaît la région.
Il est aisé de critiquer la réduction des moyens, mais le contexte a changé ! Certes, le ministère manque de moyens mais son réseau reste le deuxième au monde ! Je ne veux pas réduire son ampleur.
Pour l'action culturelle, nous disposons de 350 millions d'euros, bien plus que les Instituts Goethe et Cervantès ! Utilisons bien ces crédits, que j'ai accrus, contrairement à certains de mes critiques.
Pour les nominations, naguère, il n'était pas systématiquement exigé de parler la langue locale. J'ajoute que, pour diffuser notre culture, il faut connaître la culture locale. Notre offre culturelle était toujours semblable à ce qu'elle avait été, nous ne pouvions en rester à cette forme de conservatisme.
Grâce au Sénat, nous n'en sommes plus à nous lamenter sur le recul de notre diplomatie d'influence, la perte de notre rayonnement culturel.
En ces temps de nationalisme renaissant et de concurrence industrielle, nous avons bien fait de réformer la politique culturelle ! (Applaudissements à droite)
L'ensemble du projet de loi est adopté.