Action extérieure de l'État (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'action extérieure de l'État.
Discussion générale
M. Joseph Kergueris, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - Le projet de loi sur l'action extérieure de l'État tend à réformer les instruments de notre diplomatie culturelle.
Cette réforme était appelée de ses voeux par le Sénat, qui avait adopté en 2007 une proposition de loi sur le sujet. Merci, monsieur le ministre, d'avoir porté cette réforme tant attendue.
Avant même le dépôt du texte initial, les commissions des affaires étrangères et de la culture avaient organisé des auditions, puis publié, en juin 2009, un rapport adopté à l'unanimité des deux commissions.
Je souligne l'excellente collaboration avec le rapporteur pour avis de la commission de la culture.
Le texte initial comportait 14 articles. J'ai présenté 32 amendements, adoptés par la commission. En première lecture, notre assemblée a précisé la nouvelle catégorie d'établissements publics créée : un contrat d'objectifs et de moyens devra être conclu, après avis des commissions parlementaires compétentes ; nous avons porté de deux à quatre le nombre de parlementaires membres des conseils d'administration ; enfin, les dotations de l'État deviennent la principale ressource. Le Sénat a préféré l'appellation « Institut français » à « Institut Victor Hugo ».
Aux missions de la nouvelle agence, nous avons ajouté un rôle de formation. En outre, un lien est établi avec le réseau culturel à l'étranger.
Enfin, le remboursement de dépenses engagées par l'État à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger ne s'applique ni aux journalistes ni aux agents d'organismes humanitaires.
L'Assemblée nationale a perfectionné ce texte sans le dénaturer, notamment quant aux relations avec le réseau culturel.
Les principales modifications concernent l'accueil des étudiants étrangers, distingué de l'expertise internationale : les députés y ont vu, à juste titre, le mariage de la carpe et du lapin.
Les députés ont ainsi créé Campus France, une nouvelle agence sous tutelle de l'enseignement supérieur et du Quai d'Orsay.
Par amendement du Gouvernement, une seconde agence, France expertise internationale, sera spécifiquement chargée du renforcement de l'expertise française à l'étranger.
La grande convergence de nos deux assemblées explique l'atmosphère consensuelle de la CMP, dont la tâche a été essentiellement rédactionnelle. La seule exception concerne le rapport annuel présenté à l'Assemblée des Français de l'étranger.
L'Assemblée nationale s'est finalement ralliée à notre conception du rôle du l'ambassadeur, tout en tenant compte des activités bancaires de l'AFD ; la CMP n'est pas revenue sur cette rédaction équilibrée.
Je vous propose d'adopter ce texte, qui renforce notre diplomatie d'influence. (Applaudissements à droite)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Notre réseau, le plus dense du monde, permet d'utiliser notre culture et notre langue au service de notre influence. Alors que d'autres pays renforcent les moyens consacrés à leur diplomatie d'influence, à l'image de la Chine avec les Instituts Confucius, au moment où la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a fait de la diplomatie du Smart power une priorité de sa politique étrangère, la France doit rester fidèle à ce qui fait sa vocation universelle.
Le Sénat appelle de ses voeux une réforme de notre diplomatie d'influence. D'où le rapport d'information adopté à l'unanimité des deux commissions, dont les recommandations ont inspiré les amendements présentés au projet de loi. Je salue la convergence de vues avec nos collègues de l'Assemblée nationale et l'esprit consensuel de la CMP.
Merci, monsieur le ministre, pour avoir, malgré les réticences, initié cette réforme.
Notre assemblée a perfectionné le texte initial : l'Institut français sera placé sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, mais sans exclure les autres ministères, notamment celui de la culture. C'est pourquoi nous avons souhaité créer un conseil d'orientation stratégique associant les départements ministériels concernés.
La question la plus délicate concerne le sort des contractuels, dont le rattachement est souhaité par les deux assemblées parlementaires. Toutefois, les difficultés statutaires et le coût de l'opération conduisent à repousser la décision. Notre assemblée a donc inscrit une clause annuelle de rendez-vous pour les trois ans à venir. Dans l'intervalle, des expérimentations seront conduites dans une dizaine de postes représentatifs.
Surtout, nous avons voulu conforter le lien entre l'agence et le réseau culturel à l'étranger. La gestion des ressources humaines constitue sans doute une faiblesse de notre réseau culturel à l'étranger. Afin de remédier à cette situation, nous avons souhaité associer l'agence à la politique de gestion des ressources humaines des agents du réseau culturel.
Le rattachement à l'agence du réseau culturel a pu susciter des craintes chez certains ambassadeurs. Notre commission n'envisage pas d'action culturelle autonome par rapport à nos priorités diplomatiques. C'est pourquoi l'autorité de l'ambassadeur est réaffirmée sur l'ensemble des services extérieurs de l'État. Cela concerne aussi l'aide au développement : le compromis adopté préserve l'autorité de l'ambassadeur.
J'en viens au remboursement des dépenses engagées par l'État à l'occasion des opérations de secours réalisées à l'étranger. Inspirée de la loi Montagne, cette disposition ne vise pas les journalistes et les humanitaires intervenant en situation de crise. Toute polémique sur ce sujet est donc infondée.
Privées de moyens, les agences ne refléteraient que notre décadence ; dotées des moyens nécessaires, elles permettront de conduire une action innovatrice au service du message universel de la France.
La culture et la coopération expriment la voix de la France ! (Applaudissements à droite)
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. - Il y a près de dix ans, notre collègue Yves Dauge, alors député, évoquait un réseau culturel démobilisé en quête d'un nouveau souffle. En 2009, le Sénat réclamait un sursaut de notre diplomatie culturelle.
Faisant suite à notre rapport d'information, le Gouvernement a déposé en juillet dernier ce texte, début d'un processus qui devrait être salutaire pour notre diplomatie d'influence.
Par cohérence, l'Assemblée nationale a recentré le Campus France sur son coeur de métier. L'expertise internationale bénéficiera d'un nouvel établissement public. Ce dispositif se rapproche du modèle allemand.
Campus France restera sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et de celui de l'enseignement supérieur. Cette double tutelle et la présence d'étudiants au conseil d'administration devraient assurer la cohérence de l'action. Je me félicite de la précision apportée par la commission mixte paritaire soulignant l'importance pour le futur opérateur d'être attentif à l'orientation des élèves étrangers scolarisés dans nos établissements français à l'étranger, qui ne doivent pas être happés par les universités anglo-saxonnes.
L'Institut français devrait établir des partenariats plus aisés avec les Alliances françaises et les centres culturels.
La commission mixte paritaire a validé un mode de gouvernance stratégique ambitieux et responsable pour l'ensemble des établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France. Je souligne que les ambassadeurs exerceront leur autorité sur tous nos établissements à l'étranger. Nos deux commissions ont travaillé main dans la main pour rendre confiance aux agents du réseau culturel ; le texte a été amélioré aussi grâce à nos collègues de l'opposition.
Le texte est ambitieux ; encore faut-il qu'il dispose de moyens budgétaires suffisants. Monsieur le ministre, la représentation nationale veut nous aider ! (Sourires)
La commission vous invite à voter ce texte. (Applaudissements à droite)
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. - Nous formalisons aujourd'hui une étape importante, au service de la plus importante réforme de notre diplomatie d'influence, évoquée depuis des dizaines d'années. J'en entendais déjà parler lorsque j'étais secrétaire d'État de Roland Dumas. Ils en parlaient, nous l'avons faite !
Cette réforme n'a rigoureusement rien d'idéologique : la France avait devant elle des concurrents comme l'Institut Goethe ou l'Institut Cervantès. Sa nécessité s'affirme notamment dans le cadre de l'action extérieure européenne, car il n'y aura pas de représentation culturelle européenne.
L'Institut français nous permettra de faire rayonner nos valeurs, grâce à votre soutien.
Il nous fallait des outils nouveaux ; nous les avons. J'espère que nous aurons les opérateurs nouveaux et efficaces.
Habituellement, les textes ne comportent pas les moyens de leur mise en oeuvre. J'ai enrayé la chute des ressources et j'espère qu'à partir de 2011, l'Institut français aura les moyens de sa politique.
La convention avec l'Alliance française signée dans quelques semaines portera sur 650 points non de vente mais de mise en oeuvre de notre politique culturelle. Nous avons le logo, et même le papier à lettres ! (Sourires)
M. Robert Hue. - C'est Byzance !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Vous regretterez de ne pas avoir voté ce projet de loi. Quelque 6 000 agents sont concernés, dont 4 000 seront initiés à la nouvelle action culturelle.
M. Robert Hue. - Ils ne savent pas ce qu'ils vont devenir...
M. Bernard Kouchner, ministre. - Nous avons rencontré des difficultés, mais tout s'aplanit. Le mariage capital aura lieu entre les diplomates et les professionnels de l'action culturelle.
Les ambassadeurs commencent une mission nouvelle.
Vous avez parlé de Campus France.
J'en viens à la faculté de faire rembourser les frais de recherche engagés à l'étranger. Contrairement à tous les autres pays, le nôtre s'honore en faisant systématiquement revenir ses ressortissants de l'étranger.
M. Didier Boulaud. - Même Johnny Hallyday !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Les journalistes, les humanitaires et, de façon générale, les professionnels ne sont pas concernés par ce remboursement. C'est évidemment vrai pour les journalistes retenus en Afghanistan. En aucun cas cette disposition sur le remboursement ne s'applique à eux ! Cette précision est indispensable, tant est grande la désinformation politique, cette vieille tradition de notre pays. Journalistes et humanitaires sont appelés à prendre des risques, et nous le savons ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Robert Hue. - Les conclusions assez formelles de la CMP nous permettent pourtant d'aborder les enjeux fondamentaux de notre diplomatie.
Nos débats étaient restés confidentiels, pas ceux de l'Assemblée nationale, après les déclarations de MM. Juppé et Védrine, d'un ancien ambassadeur de France au Sénégal et après votre réponse, monsieur le ministre : tout cela a replacé la discussion de ce projet de loi dans le contexte plus général de la véritable crise d'identité que traverse notre diplomatie.
La CMP n'a pas changé grand-chose, ce qui laisse en l'état nos critiques, notamment sur le statut d'Épic de l'Institut français ; notre diplomatie n'a toujours pas de stratégie. L'objectif inavoué de votre réforme, c'est de réaliser des économies dans ce secteur régalien et de désengager financièrement l'État d'une partie de ses activités diplomatiques. Le coeur de votre projet ? Transférer l'action culturelle et la coopération internationale à deux nouveaux opérateurs ayant le statut d'Épic. Depuis longtemps, l'action culturelle et scientifique est la variable d'ajustement permettant à notre diplomatie d'atteindre les objectifs de réduction des dépenses fixées par la RGPP.
Certes, vous vous félicitez des 60 millions obtenus pour l'action culturelle extérieure mais ce rattrapage est insuffisant. Dans un tel contexte, il sera difficile de rendre confiance au personnel.
Ni la discussion à l'Assemblée nationale ni la CMP ne m'ont persuadé qu'il fallait créer des Épic : ces établissements devront vendre leurs prestations pour se financer. L'autofinancement se profile à terme, avec l'introduction progressive d'intérêts privés.
En outre, le statut d'Épic est moins protecteur pour le personnel. Nous aurions préféré le statut d'EPA pour un opérateur chargé d'une mission de service public.
J'en viens à un sujet éloigné de la diplomatie culturelle, mais qui a beaucoup alimenté la chronique : le remboursement des dépenses engagées lors d'opérations et secours à l'étranger.
En première lecture, je m'étais inquiété des propos déplacés de l'ancien chef d'état-major des armées et du secrétaire général de l'Élysée sur l'imprudence d'Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier et sur le coût des opérations menées par nos armées pour tenter de les sauver des mains de leurs ravisseurs afghans.
Je crains que la rédaction ambiguë du projet de loi n'ouvre la voie à l'intervention des assureurs.
Votre réforme manque d'ambition pour relever les défis évoqués par MM. Védrine et Juppé. L'amputation des moyens de votre ministère se poursuit. Je crains une régression des crédits alloués à l'action culturelle.
Comme la première fois, le groupe CRC-SPG votera contre.
M. Didier Boulaud. - Très bien !
Mme Claudine Lepage. - Nous revenons de loin mais je regrette que nous ne puissions aller encore plus loin.
En CMP, l'opposition s'est abstenue sur un texte sans commune mesure avec le projet initial, puisque la discussion parlementaire lui a donné du corps et du sang.
Certes, vous avez débloqué une machine enrayée, monsieur le ministre, mais les préconisations de notre assemblée notamment n'ont pas été retenues. M. Dauge avait tiré la sonnette d'alarme il y a dix ans ; depuis, le rapport d'information de nos commissions a réclamé un nouveau souffle pour la politique culturelle de la France. Il en fut de même pour l'AEFE.
Hélas ! Le texte est en deçà des espérances. Nous regrettons l'adoption en procédure accélérée... mais il est vrai que M. Darcos a été nommé le 7 juin : il faut aller vite !
L'idée était de créer une grande agence culturelle. Vos ambitions ont été revues à la baisse ; pas celles des parlementaires. D'où l'amendement présenté par les députés socialistes pour obtenir une fusion des réseaux culturels à l'étranger ; d'où l'expérimentation engagée pour trois ans par ce projet de loi.
L'Institut français, à Paris, et les centres culturels situés à l'étranger doivent communiquer entre eux. Dans un souci de coordination, les députés ont modifié l'article 6 relatif à la formation des agents.
Nos universités forment d'excellents cadres pour l'action culturelle, désireux de servir à l'étranger -mais leurs perspectives de carrière sont faibles, à moins qu'ils ne soient diplomates. Il faut donc conjuguer formation initiale spécifique et perspectives de carrières attrayantes.
Le statut retenu ne facilitera ni les passerelles ni les synergies. L'Institut français sera un Épic et non un EPA, comme le sont le Louvre, le musée d'Orsay ou le centre Pompidou. Ce statut supposera la recherche du profit et des financements privés.
M. Robert Hue. - Très bien !
Mme Claudine Lepage. - Prenons garde à ne pas préparer la privatisation de notre réseau et l'abandon de notre exception culturelle.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Mais vous voulez du mécénat partout !
Mme Claudine Lepage. - Il revient toujours à l'État de jouer le rôle de stratège -pilotage qui manque actuellement. La création d'un secrétariat d'État spécifique aurait été préférable ; au moins avons-nous obtenu la création d'un Conseil d'orientation stratégique.
Je me félicite de la présentation devant l'AFE des rapports annuels des trois nouveaux établissements, que l'Assemblée nationale avait supprimée.
Le silence sur les modalités de collaboration de l'Institut français avec les Alliances françaises est assourdissant.
M. Bernard Kouchner, ministre. - Une convention y pourvoira !
Mme Claudine Lepage. - La modification apportée par les députés à l'article premier est bienvenue, comme l'est la séparation entre Campus France et France expertise internationale. La double tutelle sur Campus France permettra d'associer le Cnous.
Je me félicite que ce projet de loi indigent ait été étoffé par les parlementaires. Cela, hélas, ne suffira pas, il faudra des crédits. Nous avions des illusions... Une illusion de moins fait une vérité de plus, aurait dit Alexandre Dumas. Et la vérité, c'est que l'État ne se donne pas les moyens d'une politique culturelle extérieure ambitieuse.
Les crédits du ministère des affaires étrangères doivent encore baisser dans les prochaines années, jusqu'à 10 % en 2013. MM. Juppé et Védrine ont tiré la sonnette d'alarme et relevé que s'il faut adapter notre appareil diplomatique, il faut cesser de l'affaiblir, sauf à prendre le risque de le rendre incapable de remplir ses missions. Comme en première lecture, le groupe socialiste s'abstiendra. (Applaudissements à gauche)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Courage ! Courage !