Démocratie sociale (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi du 20 août 2008.
Discussion générale
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. - Ce texte est la continuité politique du Gouvernement pour renforcer la place de la négociation collective dans l'élaboration des normes sociales. Les règles discutées par les acteurs eux-mêmes sont plus durables car elles reposent sur une large adhésion.
Après la loi de 2008, à tous les niveaux, aucun accord ne pourra s'appliquer s'il n'a pas de légitimité électorale et s'il ne repose pas sur l'adhésion réelle des salariés. Nous allons plus loin aujourd'hui, sans créer de contraintes nouvelles pour les entreprises et en faisant confiance à la négociation collective.
La loi de 2008 a substitué la notion d'audience à la présomption irréfragable de représentativité, sauf dans les entreprises de moins de onze salariés, non soumises à obligation d'organiser des élections professionnelles. Les partenaires sociaux signataires de l'accord d'avril 2008 avaient prévu des modalités spécifiques aux TPE en y associant les salariés concernés. La loi de 2008 avait prévu l'intervention d'une loi qui devait être précédée par un accord. Celui-ci n'a pas été possible, mais quatre syndicats et l'UPA ont adressé au Gouvernement une lettre qui a constitué une base de travail.
Les TPE emploient 4 millions de salariés ; comment concevoir que certains salariés ne participent pas à la mesure de la représentativité des syndicats ? Ce serait comme si les habitants de villes de moins de 5 000 habitants ne participaient pas aux élections nationales.
Le Conseil d'État a jugé inconcevable d'avoir deux catégories de salariés.
Pour préserver la réforme de la représentativité, il faut adopter dès maintenant une loi pour organiser une consultation électorale d'ici 2013.
La réforme que je vous présente organise la mesure de l'audience des syndicats, que l'État organisera tous les quatre ans à partir de l'automne 2012 auprès des 4 millions de salariés des TPE. Le texte retient le vote électronique et le vote par correspondance ; ces modalités ne seront pas une charge pour l'entreprise. Le Gouvernement a retenu un vote sur sigle plutôt que pour des candidats.
Votre commission a souhaité que le Haut conseil pour le dialogue social soit informé des modalités de vote : c'est une bonne chose.
Le secteur agricole, via les chambres d'agriculture, autorise déjà la mesure de la représentativité syndicale : nous conservons cette disposition.
Les signataires de la lettre du 20 janvier dernier demandent la mise en place de commissions paritaires régionales. Elles existent déjà depuis 2004 pour de nombreuses entreprises et dans l'artisanat depuis 2001 ; elles sont toujours mises en place par la négociation collective.
Ces commissions ont pour seule attribution de suivre l'application des accords collectifs ; elles n'ont pas le pouvoir de négocier ni de contrôler les entreprises : il n'y a pas à s'en inquiéter.
Ce texte reporte de deux ans au plus les élections prud'homales, ce qui évitera de disposer de résultats différents pour une même organisation. Ce délai sera aussi utile à la réflexion, sur la base du rapport de M. Richard sur l'avenir élections prud'homales, que j'ai reçu le 25 mai.
Comme la démocratie politique, la démocratie sociale a besoin d'élections, c'est la condition pour que les acteurs participent à l'élaboration des règles qui les concernent. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Ce texte prolonge les réformes poursuivies depuis 2002 pour rénover la démocratie sociale ; en 2007, la loi Larcher a rendu obligatoire la consultation des partenaires sociaux avant tout projet de loi modifiant le droit du travail ; en 2008, une réforme historique a modifié les critères de la représentativité syndicale, fondée désormais sur l'audience. Un syndicat devait désormais obtenir 8 % des voix pour être représentatif à l'échelon national. Le sort des TPE n'était pas réglé, et les négociations menées à l'automne 2009 n'ont pas abouti ; cependant, le 20 janvier 2010, quatre syndicats et l'UPA ont proposé, dans une lettre commune au Premier ministre, l'élection de commissions paritaires territoriales par les salariés des TPE ; ce scrutin permettrait d'apprécier l'audience des organisations syndicales.
Ce texte s'inspire de ces propositions. Il propose une élection sur sigle tous les quatre ans et la création, par voie d'accord collectif, de commissions paritaires chargées d'aider les salariés à faire vivre le dialogue social.
Ce texte occasionnera très peu de contraintes supplémentaires pour les TPE. Cependant, pour rassurer certaines organisations d'employeurs, nous proposerons que ces commissions n'aient aucun pouvoir de contrôle et que leurs membres ne puissent pénétrer dans une entreprise sans autorisation.
Notre débat sera l'occasion de lever les inquiétudes infondées qui subsistent. Je ne veux pas ajouter des contraintes aux TPE, qui créent les emplois de demain et subissent déjà trop de lourdeurs administratives.
La constitutionnalité de la réforme de 2008 serait menacée si l'avis des 4 millions de salariés des TPE n'était pas pris en compte dans la représentativité syndicale. De plus, quatre organisations syndicales soutiennent ce texte.
Le report de deux ans des prud'homales sera utile à la réforme nécessaire de ces élections, qui ne recueillent plus que 25 % de participation, pour un coût de 90 millions d'euros. Toute réforme devra être précédée d'une discussion approfondie avec les partenaires sociaux.
Ce texte parachève la réforme de la représentativité syndicale et prépare la réforme du scrutin prud'homal. Il constitue dans les deux cas un progrès : je vous invite à le voter. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Annie David. - (Applaudissements à gauche) Le patronat, notamment celui du CAC 40, n'est pas mûr pour le dialogue social. On nous parle de politisation des enjeux, d'un archaïsme français qui serait le fait des syndicats, à l'opposé des modèles allemand et scandinave, où le compromis l'emporterait. A qui la faute ? Aux salariés ou bien aux employeurs ? A lire ce texte, on voit qu'en France, le patronat est des plus rétrogrades.
Le Medef et la CGPME renient leurs propres engagements, relayés par la majorité sénatoriale. Refuser les commissions paritaires territoriales, c'est méconnaître la loi de 2008 et l'avis du Conseil d'État et, plus encore, refuser aux salariés la mesure de la représentativité syndicale.
La loi de 2008 s'applique aux entreprises de plus de onze salariés, quand les TPE représentent 20 % des salariés, privés de toute représentativité syndicale. La clause de revoyure prévoyait un accord avant le 30 juin 2009 ; il n'a pas eu lieu.
En janvier 2010, quatre syndicats et l'UPA, mécontents de l'attitude irresponsable du Medef et de la CGPME, ont rédigé une lettre commune pour suggérer l'idée de commissions paritaires territoriales. Le Conseil d'État, de son côté, a rappelé l'obligation de prendre en compte la voix des salariés des TPE.
A la hâte, le Gouvernement a préparé ce texte. Je regrette que l'élection se fasse sur sigle, ce qui n'incitera pas à la participation. C'est comme si l'on demandait aux citoyens de voter pour des partis plutôt que pour des candidats.
Le Medef et la CGPME ont annoncé qu'elles feraient tout pour empêcher que ces commissions paritaires ne voient le jour.
M. Jean-Pierre Plancade. - Scandaleux !
Mme Annie David. - L'Assemblée nationale prépare déjà l'enterrement de ce texte. Le Medef et la CGPME veulent bien mesurer l'audience, mais pour mieux se défaire du vote des conseillers prud'homaux par les salariés. Or, des salariés sont très isolés face à leur direction, surtout dans les TPE, de même que des employeurs se trouvent dans l'illégalité tout simplement à cause de leur méconnaissance du droit du travail : c'est tout l'intérêt des commissions paritaires.
Le patronat méprise le dialogue social et recule sur ses propres engagements. Le Gouvernement continue son monologue, engage une fausse concertation, comme pour les retraites, et la majorité complète le travail, toujours dans le sens des intérêts bien compris des employeurs, avec les salariés comme éternels perdants.
Le groupe CRC ne partage pas votre vision archaïque du dialogue social. Il proposera de rendre obligatoires les commissions paritaires, de voter sur une liste de noms plutôt que sur sigle ; il demandera également que les conseillers élus soient issus des TPE.
Le report des élections prudhommales ne sert qu'à faire disparaître le vote direct par les salariés ; une telle réforme, que nous voyons venir, exclurait les salariés des TPE de toute démocratie sociale.
Décidemment, le patronat français, notamment celui du CAC 40, n'est pas prêt au dialogue social. En l'état actuel de ce texte, le groupe CRC n'est pas convaincu du bien fondé de son adoption. (Applaudissements à gauche)
M. Nicolas About. - On aurait pu s'attendre à ce que ce projet de loi fasse consensus, parce qu'il complète un texte qui a modernisé notre démocratie sociale. La loi de 2008 a démocratisé le jeu, mais elle resterait cosmétique si elle ne prenait pas en compte les 4 millions de salariés de TPE.
Ce texte y remédie en organisant la mesure de l'audience dans les TPE et en prévoyant la mise en place de commissions paritaires.
Ce texte est critiqué à la fois sur le plan politique et sur le plan syndical ; le groupe de l'Union centriste ne souscrit pas à la critique politique mais il est sensible à la critique syndicale.
Politiquement, la critique vise l'élection sur sigle, ce qui éloignerait les conseillers issus des TPE. Cette critique est juste en théorie mais elle témoigne d'une méfiance envers la démocratie sociale. Or, ce n'est pas notre rôle de tenir les négociateurs par la main. Comment croire que les centrales syndicales sous-représentent les salariés issus des TPE ? Nous nous y refusons.
En revanche, la critique syndicale est plus fondée. La loi de 2008 prévoyait une négociation interprofessionnelle ; cette négociation n'ayant pas abouti, nous devons suppléer la carence des partenaires sociaux. En fait, le sujet de discorde concerne la mise en place de commissions paritaires territoriales, refusées par le Medef et la CGPME. Certains membres de l'UC craignent que ces commissions ne créent de nouvelles contraintes pour des TPE déjà pressurées par le carcan administrativo-fiscal ; ces craintes sont infondées dès lors que ces commissions n'auront aucun pouvoir de négociation. A quoi serviront ces commissions ? Les plus sceptiques de notre groupe répondent : à rien.
La loi de 2008 a donné une base légale à la contribution destinée à développer le dialogue social dans l'artisanat ; faut-il voir dans la mise en place des commissions paritaires une justification à l'existence de cette contribution ? Implacable logique budgétaire de l'absurde...
A titre personnel, je crois plutôt qu'elles serviront au dialogue social dans les TPE : elles diffuseront l'information, leur expertise désamorcera les conflits. N'oublions pas que les TPE sont impliquées dans la grande majorité des affaires prud'homales. Lorsque la machine est grippée, il faut lui injecter de l'huile !
Si je crois à l'utilité des CPR, je m'interroge sur celle de l'article 6, qui rend ces commissions facultatives, ce qui est déjà le cas. Faut-il les rendre obligatoires, comme on le souhaite à gauche de cet hémicycle ? Nous ne le pensons pas car nous préférons accompagner la démocratie sociale.
Dès lors, il ne nous reste plus qu'à considérer l'article 6 comme une validation politique, la reconnaissance d'une démarche : c'est pourquoi la majorité des membres de mon groupe le votera, ainsi que l'ensemble du texte, certaine de son innocuité. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Raymonde Le Texier. - Le principe d'égalité de traitement oblige à mesurer l'audience dans les TPE ; le Gouvernement n'a pas le choix : si la représentativité dans les TPE n'est pas mise en place, la loi de 2008 sera inconstitutionnelle. Les organisations syndicales et patronales, dans une position commune, en avril 2008, ont accepté « d'élargir le plus possible le nombre de salariés bénéficiant d'une représentation collective ». Or, la CGPME et le Medef, faisant peu de cas des 4 millions de salariés des TPE, ont fait échouer les négociations.
Ce texte, qui se fonde sur la lettre commune de quatre organisations syndicales et de l'UPA, présente deux mesures phares : l'organisation d'élections sur sigle et la possibilité de créer des commissions paritaires facultatives. L'ire du Medef et de la CGPME semble disproportionnée : les salariés des TPE ne voteront pas pour des représentants mais pour des sigles, des logos, et les personnes désignées n'auront pas d'accès à l'entreprise sans autorisation du chef d'entreprise. Le patronat, cependant, peut-être angoissé par un fantasme de révolution prolétarienne...
M. Guy Fischer. - Qui sait ? Nous n'avons pas encore baissé les bras !
Mme Raymonde Le Texier. - ...estime que c'est encore trop.
Ces commissions paritaires seront facultatives et conditionnées à l'accord de branches : elles ne seront pas légion. Très large, elles connaîtront peu le terrain.
Les patrons de TPE, qui sont-ils ? Ils ne consultent pas le CAC 40, ils ne sont pas des professionnels de l'optimisation financière, ils ne licencient pas à tour de bras : ils attendent plutôt des conseils, pour un meilleur dialogue social. Car dans les TPE, le dialogue social ne va pas de soi : le paternalisme a ses limites.
Il n'est pas certain que les commissions paritaires survivent. MM. Copé et Bertrand jugent qu'il faut aller encore plus loin dans la « simplification indispensable », par quoi il faut entendre la disparition pure et simple des commissions paritaires. Et c'est le ministre du travail de 2008 qui le dit ! M. Bertrand n'en est plus à retourner sa veste, comme l'opportuniste de Jacques Dutronc : sa garde-robe entière y passe ! (Rires à gauche)
Le message est clair, messieurs de la majorité : vos collègues de l'Assemblée nationale sont prêts à vider de son sens ce texte. A trois semaines du congrès du Medef, la seule catégorie professionnelle qui renâcle à mesurer sa représentation syndicale, qui en reste au XIXe siècle, c'est le patronat. « Chaque chose en son temps », dit M. Woerth. Medef et CGPME voient le sablier retourné et s'inquiètent. D'où leur attitude actuelle. En matière de démocratie sociale, les patrons ont tout à apprendre des salariés !
Ce texte va dans le bon sens mais le pas est trop petit ; il en faut d'autres ; c'est le sens de nos amendements. Résistons collectivement aux pressions intolérables du Medef et de la CGPME ! (Protestations à droite, applaudissements à gauche)
M. Guy Fischer. - Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. - La loi de 2008 n'avait pas oublié les 4 millions de salariés des TPE ; elle avait prévu un accord entre les partenaires sociaux pour régler ce problème. Faute d'un tel accord, nous voici saisis de cette loi. Il est affligeant de voir CGPME et Medef, qui ne cessent de donner des leçons, d'expliquer qu'il faut s'adapter au changement, refuser aujourd'hui, après l'avoir accepté hier, jusqu'au principe même de cette loi. Ces gens ont peur et la peur fait perdre des batailles.
M. Alain Gournac, rapporteur. - Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. - Ils ont même dit que le Gouvernement voulait mettre les PME sous surveillance.
M. Alain Gournac, rapporteur. - Ridicule !
M. Jean-Pierre Plancade. - On voit bien l'absence de dialogue social dans les TPE qui, il est vrai, n'ont pas les moyens de le mettre en oeuvre. Il n'en est pas moins attristant de constater la peur sociale du patronat, sa régression intellectuelle.
Faut-il féliciter le Gouvernement de déposer ce projet de loi ? Oui, parce que vous avancez ...et non parce que vous n'avancez pas assez. Les règles ? C'est secondaire. En revanche, refuser de rendre obligatoires les commissions paritaires, auxquelles le patronat a déclaré la guerre, c'est ne rien faire. Il faudra bien que les patrons de ces 4 millions de salariés cessent de se situer au-dessus des lois et de la Constitution. Le dialogue social n'est pas une mode mais une exigence.
M. Alain Gournac, rapporteur. - Tout à fait !
M. Jean-Pierre Plancade. - Lui seul permet de progresser ensemble, de favoriser le changement. La société tout entière refuse l'illusion d'une perpétuelle stabilité. Il n'y a rien de permanent -que le changement.
Le groupe du RDSE, qui ne voterait pas le texte en l'état, suivra cette discussion avec attention. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)
Mme Catherine Procaccia. - Je me réjouis de ce projet de loi qui permettra aux salariés des TPE de s'exprimer, dans la suite de la loi de 2008 qui avait mis en place les critères de la représentativité syndicale. Cette réforme permettra de faire reposer la validité des accords collectifs sur des signataires légitimes. Ne pas tenir compte de 20 % des salariés du privé serait un déni de démocratie ; le présent projet de loi est donc indispensable.
La négociation des partenaires sociaux n'ayant pas abouti, le Gouvernement a tenu compte des propositions formulées par quatre syndicats de salariés et par l'UPA. Il ne s'agit en aucun cas de créer des délégués du personnel dans les TPE ! Le mode de scrutin retenu facilitera la consultation sans alourdir les charges des TPE.
Je ne comprends pas les polémiques que le fameux article 6 a soulevées. Les commissions paritaires ne seront que facultatives ! On aurait pu préférer laisser les commissions actuelles continuer à jouer leur rôle ; ça n'a pas été le choix du Gouvernement. L'UMP soutiendra les deux amendements du rapporteur. Les commissions devront couvrir un champ géographique étendu ; elles n'auront pas de mission de contrôle et ne pourront envoyer, à leur propre initiative, de délégués à l'intérieur des entreprises. Le patronat n'a donc pas à s'inquiéter !
Le report des élections prud'homales ? Personnellement, je suis sceptique sur le lien de cette disposition avec ce projet de loi... Pourquoi ne pas attendre les conclusions du rapport Richard ?
L'équilibre trouvé par notre commission satisfait l'UMP. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Serge Dassault. - Je représente ici les intérêts des TPE de l'Essonne. (Sourires à gauche) La CGPME de l'Essonne m'a chargé de vous demander pourquoi imposer un encadrement du dialogue social là où règnent des relations directes entre employeurs et salariés ? Les petites entreprises n'ont pas besoin d'intermédiaires entre le patron et ses salariés. Pour elles, il ne s'agit pas d'abord de faire du dialogue social mais d'avoir des commandes ! Ce projet de loi n'est donc dans l'intérêt ni des entreprises ni des salariés.
Moi, je vous demande de cesser d'imposer des délégués syndicaux dans les TPE, qui n'en ont nul besoin. Les relations directes et personnelles y règnent.
M. Jean-Louis Carrère. - On peut aussi supprimer les syndicats !
M. Serge Dassault. - Le dialogue social dans les TPE est quotidien et permanent.
M. Guy Fischer. - C'est vite dit !
M. Serge Dassault. - Ce projet de loi va inévitablement renforcer la présence syndicale...
Mme Raymonde Le Texier. - Des bolcheviques !
M. Serge Dassault. - La boîte de Pandore est déjà largement ouverte dans les PME.
M. Jean-Louis Carrère. - Il n'y a plus beaucoup de pandores ! (Sourires) N'allons pas contre les intérêts des salariés et des entreprises. Je regrette ce que viennent de dire les orateurs précédents et cosigne l'amendement Dominati supprimant l'article 6.
La situation est déjà assez difficile comme cela pour les entreprises. Ne leur imposons pas de contraintes paralysantes et allons à l'essentiel ! Ce qui compte, c'est le travail, la compétitivité, pas les organisations syndicales ou les commissions paritaires. (Applaudissements sur certains bancs UMP)
Mme Patricia Schillinger. - Les TPE représentent 93 % des entreprises françaises et n'ont aucune structure de dialogue social ! Le législateur doit donc intervenir, dans l'intérêt de ces 4 millions de salariés, répartis dans 690 branches.
Le préambule de 1946 précise que tout travailleur participe par l'intermédiaire de ses délégués à la vie de l'entreprise.
Le Conseil d'État a rappelé qu'il fallait s'y conformer. Il importe de rétablir une certaine égalité ; c'est en quoi ce projet de loi est une avancée. Mais il prévoit que les salariés voteront sur sigle et non pour des délégués. Veut-on que soient élus des représentants de grandes centrales, qui ne connaîtront rien des réalités concrètes de chaque entreprise ? Il est plus motivant de voter pour un candidat que l'on connaît, qui peut être un vrai porte-parole.
Nous regrettons le caractère facultatif des commissions paritaires, qui doivent apporter une aide aux salariés mais aussi aux entreprises mêmes. Que fait-on si ces commissions ne se créent pas ? Et si elles se créent, il faudra l'accord de l'employeur pour qu'elles remplissent leur mission...
Ce texte nous laisse très loin d'une démocratie sociale moderne, alors même que la crise économique et financière creuse la fracture sociale. La faiblesse du syndicalisme résulte de la mauvaise qualité des relations sociales ; on ne peut chercher à les améliorer en se calant seulement sur les positions patronales. On peut innover sans affaiblir les droits. (Applaudissement à gauche)
M. Claude Jeannerot. - Le problème est majeur : il concerne 4 millions de salariés, encore privés d'institutions représentatives du personnel. Ce texte s'inscrit dans la continuité des lois Waldeck Rousseau du 21 mars 1884 et Auroux de 1982.
Citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l'être aussi dans l'entreprise. Le droit du travail doit stimuler les initiatives individuelles et collectives, non les brider. Les lois Auroux devaient faire des salariés des « acteurs du changement » dans l'entreprise. Il faut sortir du cliché conservateur qui oppose le dynamisme de l'entreprise au dialogue avec les salariés. A notre sens, celui-ci est une composante de celui-là !
Le préambule de la Constitution reconnaît le droit de chacun de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la gestion de l'entreprise.
Même si le caractère essaimé des TPE est une vraie difficulté, les modalités retenues par ce projet de loi ne permettent pas d'assurer une égalité réelle du droit entre les salariés.
Ceux des TPE n'auront pas de délégués nominativement choisis, ce qui fait problème en termes de représentativité.
Il n'était pas fatal d'aboutir à un texte aussi déséquilibré, dans lequel ne se retrouvent ni les patrons ni les salariés. En 2008, Medef et CGPME s'étaient engagés à chercher les moyens d'assurer une représentation collective de leur personnel. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas saisi cette occasion de donner aux salariés le droit de choisir nominativement leurs représentants, dans des commissions dont nul n'est plus sûr désormais qu'elles seront créées ? L'abstention sera considérable et l'on en déduira la désaffection des salariés à l'endroit des organisations syndicales !
L'article 6 est indispensable au regard des exigences constitutionnelles et internationales, mais il les satisfait a minima. Depuis l'origine, la CGPME voit dans ce dispositif « l'introduction de la bureaucratie et de la suspicion » ; des députés comme M. Copé veulent la rassurer sur ce point ! Il appartient au législateur de mettre en place un dispositif équilibré. Ce texte, qui n'a rien de révolutionnaire, de l'aveu même du Premier ministre, est vidé de ses maigres ambitions initiales. Il est pourtant possible de proposer un dispositif gagnant-gagnant pour les patrons et les salariés !
Les avancées sociales, qui servent les salariés, servent aussi la collectivité au travail, et donc les employeurs. Il est possible aujourd'hui d'organiser le socle de la démocratie sociale. (Applaudissements à gauche)
La séance, suspendue à 16 h 45, reprend à 17 heures.