Défenseur des droits (Projet de loi organique et projet de loi ordinaire)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits et du projet de loi relatif au Défenseur des droits.
Discussion générale commune
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - (Applaudissements à droite) Moderniser notre démocratie, c'est moderniser nos institutions mais aussi renforcer les droits fondamentaux des citoyens. La dernière révision constitutionnelle a introduit deux innovations : la question prioritaire de constitutionnalité, dont chacun reconnaît l'importance, et le Défenseur des droits qui renforcera les possibilités de recours non juridictionnels dont disposent les citoyens de notre pays.
La création du Défenseur des droits tire les leçons de quarante années d'évolution de diverses institutions, au premier rang desquelles le Médiateur de la République, instance initialement accueillie avec scepticisme mais qui a démontré son indépendance et son efficacité. Aujourd'hui, nous devons faciliter sa saisine.
En outre, la multiplication d'instances exige aujourd'hui une rationalisation : comment défendre les libertés par une approche éclatée, parfois contradictoire ? Nos concitoyens ne savent pas toujours à qui s'adresser.
Je salue le travail approfondi de votre commission et de son rapporteur. Le Défenseur des droits disposera de moyens renforcés et renouvelés. Autorité constitutionnelle, il doit disposer des moyens à la hauteur de ses missions. Il disposera ainsi de pouvoirs d'investigation et de contrôle, d'accès aux locaux publics et privés sous le contrôle du juge -toute entrave serait pénalement sanctionnée ; de pouvoirs d'injonction -en cas d'inertie, il publiera un rapport spécial, comme en cas de refus opposé par une administration d'appliquer une sanction disciplinaire ; de pouvoirs d'intervention directe dans le règlement des litiges ; il pourra enfin saisir le Conseil d'État face à une interprétation contradictoire du droit.
La saisine du Défenseur des droits par les citoyens sera facilitée : l'intervention des parlementaires ne sera plus obligatoire.
Cette saisine sera gratuite. Il pourra s'autosaisir, sauf opposition de l'intéressé. L'accord des représentants légaux d'un enfant ne sera pas obligatoire pour intervenir en faveur d'un enfant.
Loin de faire table rase du passé, nous mettons à profit l'expérience des autorités administratives existantes. Ainsi, le nouveau Défenseur regroupera les attributions du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), enfin, à la demande de la commission, de la Halde.
Pour prendre en compte la spécificité de ces différents domaines, le Défenseur des droits sera assisté par des collèges de personnalités qualifiées, mais sans porter atteinte à la cohérence de l'action. Tous les personnels et les dossiers des institutions intégrées lui seront transférés. Vous avez voulu renforcer la visibilité de ses différentes missions, notamment grâce à la création d'adjoints.
Le Défenseur des droits confère une ampleur inédite à la protection des droits et des libertés de nos concitoyens, dont la voix pourra se faire entendre face à des administrations parfois indifférentes au sort des personnes. Il importe que nul ne se heurte à un mur. Le Défenseur des droits confortera nos principes et nos valeurs. Il contribuera à garantir notre pacte social et préservera l'unité de la Nation -notre bien le plus précieux. (Applaudissements droite)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois - Notre Haute assemblée se préoccupe depuis plusieurs années des autorités administratives indépendantes (AAI). J'avais déjà constaté, dans mon rapport de 2005 fait au nom du défunt Office parlementaire d'évaluation de la législation, qu'il y en avait trop -et d'autres ont été créées depuis... Mon rapport avait suscité un débat ici, mais aussi au Conseil économique et social et à l'Académie des sciences morales et politiques. Ultérieurement, le comité Balladur a également préconisé un regroupement.
La dernière révision constitutionnelle bouleverse les relations des citoyens avec l'État. Le Défenseur des droits s'insère dans ce nouveau dispositif.
En 2008, la première lecture à l'Assemblée nationale n'avait pas sensiblement modifié l'article 71-1 de la Constitution créant le Défenseur des droits -qui a pris toute sa dimension au Sénat. Je vous renvoie au texte de la Constitution, en notant qu'il n'exclut pas que le législateur organique aille au-delà du texte constitutionnel pour préciser les compétences du Défenseur. C'est ce que propose votre commission.
Le Défenseur des droits sera nommé par le Président de la République, comme le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants ou le président de la CNDS -personnalités dont nul, à ce jour, n'a contesté l'indépendance- mais après audition et vote des commissions parlementaires, qui pourraient s'y opposer. Je suis certain qu'une opposition à la majorité relative suffirait à prévenir la nomination de la personnalité pressentie par le chef de l'État.
L'article 71-1 s'impose à nous ; nous devons l'appliquer, sauf à nous exposer à la censure du Conseil constitutionnel.
Le Défenseur des droits a des compétences générales, qui se substituent naturellement à celles des autres autorités administratives qu'il intègre.
Je comprends que les opposants à la révision constitutionnelle maintiennent leur opinion, et je salue la continuité de Mme Boumediene-Thiery, comme celle du groupe CRC-SPG. Mais nous sommes là pour appliquer la Constitution. Cela dit, il n'y a pas d'opposition systématique de ma part : j'ai demandé à la commission d'adopter des amendements des groupes communiste, socialiste et RDSE.
A côté des autorités administratives indépendantes visées par le texte initial, il en est d'autres. Si j'ai proposé d'intégrer la Halde dans la nouvelle institution, il m'a semblé qu'il était prématuré d'en faire autant pour le contrôleur des lieux de détention, qui n'a que deux ans d'existence. Quant à la Cnil, c'est une gigantesque machine, davantage un outil de régulation que de contrôle. En revanche, la Cada devrait être rapidement fusionnée avec la Cnil.
Je rends hommage à toutes les institutions fusionnées dans le Défenseur des droits, qui méritent notre admiration et notre respect. Nulle n'a démérité. Mais le statut constitutionnel du Défenseur renforcera l'efficacité de leur action.
Nous avons vérifié que toutes les attributions étaient transférées ; nous avons mis en place des collèges et démocratisé leur composition. En outre, les compétences de chacun d'entre eux ont été généralisées à tous.
Je m'élève énergiquement contre certains articles fondés exclusivement sur le texte initial, créant ainsi une atmosphère délétère qui n'a pas lieu d'être. Il en va de même pour ces pleines pages publiées dans de grands quotidiens en défense de telle ou telle institution. Aujourd'hui encore, j'ai lu sur Facebook un texte incitant à s'en remettre à l'Assemblée nationale.
Je comprends que la gauche veuille détricoter le texte, je le comprends moins lorsque les tentatives viennent de ceux qui ont voté la révision constitutionnelle, car celle-ci n'institue pas un Médiateur constitutionnalisé. J'ajoute que le Défenseur a une compétence générale. A quoi bon maintenir les institutions existantes ?
Nous aurons un Défenseur puissant, s'appuyant sur un réseau de bénévoles couvrant tout le territoire national. Cela n'existe nulle part ailleurs.
Soyons optimistes ! Cette nouvelle institution est un progrès démocratique indiscutable ! (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Claude Peyronnet. - Lorsqu'elle nous a présenté l'article 71-1 de la Constitution et son périmètre, Mme Dati a pour le moins fait preuve de flottement.
Nous avons compris que le Médiateur de la République était visé mais pour le reste, seule la CNDS était mentionnée. Au point que la suspicion est venue : n'entendait-on pas se débarrasser d'une institution gênante pour la hiérarchie et les syndicats de la police, de la gendarmerie et de l'administration pénitentiaire ? Dès lors que sont ajoutés le Défenseur des enfants et la Halde, pourquoi ne pas aller plus loin et intégrer le contrôleur des lieux de privation de liberté, voire de la Cada ?
Nous nous sommes rapprochés des autorités administratives concernées, ou qui pouvaient l'être. La perspective de l'intégration a provoqué une levée de boucliers, principalement fondée sur la perte d'indépendance et de visibilité ou la dilution des savoir-faire.
Jusqu'en février, j'ai représenté le Sénat à la CNDS, une institution dont l'indépendance et la crédibilité se sont renforcées en France comme à l'étranger. Sa collégialité lui confère une réelle richesse. Le texte initial mettait fin à cette collégialité. S'ajoutaient des limites à l'action du Défenseur, qu'heureusement la commission a atténuées. L'absence de motivation des décisions aurait par exemple été inadmissible. Je rends donc, avec beaucoup de conviction, hommage au travail du rapporteur ; nous verrons avec le temps si les sections gagneront en droits et en autonomie.
En ce domaine, tout dépendra du Défenseur des droits, qui pourra opter pour un fonctionnement centralisé. Cette possible démarche monarchique ne me satisfait pas.
J'observe par ailleurs que la petitesse de la CNDS et du Défenseur des enfants a favorisé leur efficacité. Au contraire, on peut craindre une dérive administrative du Défenseur des droits.
Quelles seront les missions des délégués du Défenseur ? Seront-ils omniscients ou spécialisés ? La professionnalisation ne sera-t-elle pas source de coûts supplémentaires ? J'insiste pour qu'ils restent bénévoles.
Au demeurant, le texte de la commission reste entaché du péché originel du dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution : la nomination sera fort peu démocratique ; et le péché s'étendra aux adjoints nommés par le Défenseur. Pourtant, en Europe, les nominations aux principales fonctions relèvent du Parlement.
Rédhibitoire, ce mode de nomination suffit à justifier notre opposition. (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Mézard. - L'article 71-1 issu de la nouvelle révision constitutionnelle offre une compétence générale au Défenseur des droits en matière de protection des droits et des libertés.
Je rappelle que tout droit suppose un devoir, tant pour la société que pour les citoyens. Protéger les droits fondamentaux des personnes résidant sur notre sol n'est qu'une application de la Déclaration de 1789.
Je salue le travail du rapporteur, qui a amélioré le texte du Gouvernement.
L'article 13 de la Constitution prescrit une nomination en conseil des ministres après examen par les commissions et barrage à la majorité des trois cinquièmes. Certes, les nominations effectuées jusqu'ici arbitrairement par l'exécutif se sont révélées remarquables mais s'il est une personnalité qui doit être incontestable, c'est bien le Défenseur des droits. Certes, l'article 2 interdit qu'il reçoive des instructions, mais ce serait encore mieux s'il n'était pas redevable.
Les logiques de médiation et de contrôle peuvent-elles être conciliées ? La cohabitation des deux peut être délicate ; mais elle peut être aussi considérée comme apportant davantage de force au Défenseur.
Aujourd'hui, les 34 autorités existantes forment un ensemble complexe ; la CNDS et le contrôleur des lieux de détention ont démontré leur utilité pour un coût peu élevé. Ce qui manque, c'est la prise en compte de leurs recommandations, singulièrement pour la CNDS, dont le dernier rapport est frappant, pour ne pas dire inquiétant.
Notre groupe ne s'oppose pas à la réunification des autorités administratives indépendantes, y compris la Halde, une création approuvée par les sénateurs RDSE.
Dans la tradition de la Gauche démocratique, nous combattons toute discrimination, tout « délit de sale gueule ». Personne ne doit être discriminé en raison de son âge, de son sexe, de sa religion. Le plus souvent, ce sont les plus démunis qui sont les premières victimes. Je ne suis pas persuadé que le fonctionnement de la Halde ait été parfait mais la lutte contre les discriminations doit se poursuivre sans verser dans la discrimination positive ni permettre à une quelconque minorité d'imposer sa vision de la société.
L'efficacité du Défenseur des droits dépendra des moyens attribués. S'il est judicieux que le secret de l'enquête ne lui soit pas opposable, je suis réservé sur la fragilisation du secret professionnel.
Ce texte nous pose un problème de principe par rapport à l'article 13, mais la commission l'a bien amélioré. Chaque membre de notre groupe se déterminera en son âme et conscience. (Applaudissements au centre et sur divers bancs à droite)
M. Jean Louis Masson. - Ce texte est issu de la révision constitutionnelle mais est-il opportun de tout réformer tout de suite ? Il y a d'autres urgences ! Surtout, rien ne dit que le Défenseur marchera mieux que les instances actuelles.
L'autorité morale du défenseur sera certes importante mais je ne suis pas sûr que cet argument soit décisif.
Pour quelles raisons le contrôleur des lieux de privation de liberté n'a-t-il pas été intégré ? Et pourquoi, en revanche, faire disparaître le Médiateur qui a prouvé toute son utilité ? Il aurait fallu faire en sorte qu'il fonctionne mieux qu'aujourd'hui. Les dossiers ne sont traités qu'au bout d'un an. Si on réforme, il faut s'assurer que la nouvelle institution apporte un mieux, notamment dans le traitement des dossiers.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il est indispensable que les droits et libertés soient reconnus et défendus. Notre pays est loin d'être irréprochable et se montre réticent pour respecter ses engagements nationaux et internationaux.
L'opposabilité des droits consacrée par nos textes fondamentaux est à mille lieues de se traduire dans les faits.
C'est dans ce contexte que nous sommes amenés à examiner ces deux projets de loi. L'objectif de renforcement des droits, prévu lors de la révision, était bien évidemment louable. Mais les choix faits le contredisent. Le Défenseur sera en pratique nommé par le seul Président de la République, puisqu'il est quasiment impossible à l'opposition d'atteindre les trois cinquièmes dans les commissions compétentes. Ce mode de désignation ne garantit donc pas l'indépendance. Pourquoi ne pas donner le pouvoir de nomination au Parlement ? C'est se qui se pratique dans la plupart des pays étrangers.
Les collèges ne seront pas non plus composés de façon pluraliste. Les adjoints et les personnalités qualifiées seront nommés par le Défenseur des droits.
Le Défenseur remplacera diverses instances actuelles, dont le Médiateur qui règle les différends entre l'administration et les citoyens. Son remplacement ne pose pas de problème de principe contrairement à celui d'autres institutions, comme la Halde, dont la nouvelle présidente vient d'être nommée. La Défenseure des enfants et le président de la CNDS ont été mis devant le fait accompli.
Or, ces autorités ont acquis une certaine aura et fait preuve de leur indépendance, ce qui n'a pas plu. Leur dilution au sein du Défenseur des droits marque une reprise en main, alors qu'elles ont acquis une reconnaissance certaine au plan national et même international.
La Défenseure des enfants, qui collabore avec diverses institutions internationales, a pour spécificité la proximité. La mise en place d'un collège et d'un adjoint va remettre en cause sa mission, alors qu'une soixantaine d'États ont institué une institution indépendante analogue. Pourquoi la fondre dans un organisme généraliste alors que le Comité des droits de l'enfant de l'ONU s'est montré sévère à l'endroit de notre pays dans son dernier rapport ? C'est d'autant plus inconcevable lorsqu'on sait le nombre d'enfants en difficultés. A l'unanimité, nous avions voté la loi du 6 mars 2000, sur proposition du Parlement des enfants. Revenir sur ce vote, ce serait le déjuger.
J'en viens à la CNDS. Les saisines n'ont cessé d'augmenter. Je l'ai saisie près de quarante fois depuis sa création. Les atteintes aux droits des personnes en sont la cause, en raison d'une politique ultra sécuritaire et des excès auxquels conduit une politique du chiffre. La CNDS a dénoncé l'augmentation exponentielle des gardes à vue et l'usage systématique de la fouille au corps. Sur 153 dossiers, 78 % démontrent un manquement à la déontologie. On comprend que le ministère de l'intérieur ne voie pas d'un bon oeil la CNDS.
Le projet de loi organique restreint les pouvoirs d'enquête du Défenseur des droits.
La Halde a été regroupée dans la nouvelle institution. De très nombreuses associations protestent. La Halde a permis de mettre fin à un certain sentiment d'impunité. Elle a été saisie de 30 000 réclamations. Craigniez-vous d'être dépassés ?
Notre rapporteur a tenté de concilier la mise en place d'un Défenseur constitutionnel et le respect des institutions précédentes ; cela ne saurait nous convaincre, les spécificités doivent être sauvegardées. Nous demanderons le maintien de ces autorités.
Les débats de la loi de finances pour 2010 ont montré que le Gouvernement ne voulait pas leur accorder les moyens nécessaires. Cela augure mal de l'avenir ! En 2008, nous avions auditionné le Défenseur du peuple espagnol, dont s'est inspiré le Gouvernement. Mais il est loin d'avoir la compétence générale du Défenseur des droits.
Il aura donc fallu deux ans pour arriver à un texte sans grande ambition, qui mélange avancées et régressions. Je vous demande de renoncer à fondre la Halde, le Défenseur des enfants et la CNDS dans le Défenseur des droits ; il n'en résultera pas un renforcement mais une diminution des contrôles. Comme le disait M. Delarue, rien ne saurait justifier qu'on porte atteinte aux droits fondamentaux. Nous voterons donc contre ces projets de loi.
M. Nicolas About. - Ce texte fait partie de ceux qui découlent de la révision de 2008. Il reste cependant à voir le projet de loi sur le référendum, comme l'a récemment rappelé le comité Balladur.
L'article 71-1 crée un Défenseur des droits. Il prend la suite du Médiateur, créé en 1973. Cette institution a amélioré les relations entre les administrations et les citoyens. Saisie 750 000 fois, elle a proposé plus de 750 réformes. Ainsi, le Médiateur est à l'origine du texte indemnisant les victimes des essais nucléaires français. Plusieurs autorités indépendantes vont être réunies en une autorité constitutionnelle. Notre commission a décidé que le Défenseur des droits sera aussi chargé des missions de la Halde. Ce rattachement permettra de renforcer la lutte contre les discriminations. Pourquoi la Cada n'a-t-elle pas été intégrée ?
Il y aura désormais la saisine directe du Défenseur. Le constituant a étendu le champ de la compétence à la sphère privée. La saisine directe supprime le filtre parlementaire, devenu obsolète.
L'article 7 prévoit des voies de saisine complémentaires. Certaines sont justifiées ; d'autres, moins. Il est légitime que des parlementaires puissent saisir le Défenseur mais qu'un député ou un sénateur continuent à transmettre des réclamations individuelles pose problème : nous aurons d'un côté des réclamations simples et, de l'autre, celles visées par un parlementaire, qui auront plus de poids, ce qui risque de dévaloriser la saisine directe. Je proposerai donc de supprimer cette saisine.
Le projet de loi organique prévoit l'absorption du Défenseur des enfants. Une telle suppression sera néfaste au regard des engagements internationaux de la France et de l'efficacité de la défense des enfants.
Aujourd'hui, le Défenseur des enfants est parfaitement identifié par ceux-ci. Il sera remplacé par un adjoint du Défenseur des droits sans autonomie de décision. De nombreux pays ayant un Ombudsman ont également un Défenseur des enfants. Il convient de le sortir du périmètre du Défenseur des droits.
Je veux rendre hommage au travail de notre rapporteur, qui a notamment prévu que le Défenseur adoptera un règlement et un code déontologique, pour éviter les conflits d'intérêts. Je m'en félicite. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-René Lecerf. - Désormais, le justiciable pourra saisir le Conseil constitutionnel ou le Conseil supérieur de la magistrature. Ce projet de loi va dans le même sens. Dans la nébuleuse des autorités indépendantes, l'une d'entre elles brillera de façon particulière comme autorité constitutionnelle chargée de la défense des droits. Elle reprend les attributions du Médiateur, mais aussi de la CNDS, du Défenseur des enfants et de la Halde.
La prolifération des autorités indépendantes pose problème. Les autorités de régulation posent un problème de démocratie. Celles qui veillent au respect des droits et libertés se contredisent parfois et coûtent cher. Le regroupement se traduira-t-il par une réduction des pouvoirs des autorités actuelles ? S'agit-il seulement de simplifier ou d'aller plus loin ?
Le tableau comparatif du rapport répond à la première question : tous les pouvoirs et toutes les attributions seront alignés sur le niveau maximal. Pour permettre au Défenseur des droits d'exercer ses compétences, la commission a précisé l'organisation interne de cette autorité. Le Défenseur nommera trois adjoints, après avis des commissions parlementaires compétentes.
La multiplication des réticences exprimées est-elle le reflet de la difficulté, compréhensible, des autorités actuelles à envisager leur disparition ? Comme le disait Lamartine, « l'homme est un dieu déchu qui se souvient des cieux ».
J'ai la plus grande estime pour le travail de la CNDS, mais ses avis n'ont pas toujours été suivis d'effet. Pensez-vous que l'intervention du Défenseur des droits restera lettre morte ? Je ne puis l'imaginer.
Il fallait maintenir le contrôleur des lieux de privation de liberté tant que la situation dans ces lieux ne sera pas digne de la République.
Les délégués ont un pouvoir important. Ils doivent exercer leur activité de façon bénévole, en étant indemnisés de leurs frais.
Il faudra aussi veiller à une bonne implantation des locaux, dans un souci budgétaire.
Je veux enfin rendre hommage au président et au rapporteur de la commission des lois. Le groupe UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Michel. - La Constitution de 1958 ne garantit-elle pas les droits ? Si ! L'autorité judiciaire en est chargée. Il aurait mieux valu parler d'un défenseur des libertés. La réforme propose une condamnation implicite de diverses autorités qui n'ont pas démérité. Le regroupement arbitraire en une même autorité de compétences différentes risque d'aboutir à leur dilution. La Constitution ne fixant pas le périmètre du Défenseur, la commission y a ajouté la Halde, mais pourquoi pas la Cnil, la Cada ?
La suppression du Défenseur des enfants est inadmissible. Dans notre société de plus en plus injuste, les enfants ne sont pas épargnés par la maltraitance, l'exploitation ou les violences sexuelles. Les enfants ne trouveront plus l'oreille attentive créée par la loi de 2000. La France avait pourtant ratifié la convention des droits de l'enfant et celle du Conseil de l'Europe.
Le Défenseur des enfants a traité 20 000 réclamations, dont un quart formulées par des enfants de 11 à 15 ans. L'institution était connue et reconnue. Je doute que le Défenseur des droits prenne efficacement le relais. Le projet est en net recul par rapport à l'institution actuelle, qui formule un avis sur les textes relatifs aux enfants.
Alors que 80 pays ont créé un Défenseur des enfants, notre pays fait marche arrière. Pourtant, le rapport de l'ONU du comité des droits de l'enfant a invité, en 2009, la France à donner à notre défenseur des enfants davantage de moyens humains et financiers.
La Défenseure des droits de l'enfant a permis d'améliorer la législation, a critiqué la législation répressive, s'est inquiétée du sort des mineurs étrangers isolés.
La suppression du Défenseur des enfants semble confirmer l'inclination du pouvoir à limiter les contre-pouvoirs qui le gênent, comme la CNDS, qui chaque année pointe les manques déontologiques dans la police ou la gendarmerie.
Si toutes les autorités avaient été regroupées dans le Défenseur, il en eût peut-être été autrement, mais pour l'heure, nous ne pouvons voter ces deux textes en l'état. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Yvon Collin. - Nous sommes enfin saisis de ce qui était présenté comme la pierre angulaire de la révision, le Défenseur des droits. La création des autorités indépendantes répondait au besoin d'améliorer les relations entre les citoyens et l'administration. Mais l'hétérogénéité de ces autorités imposait un regroupement. Le comité Balladur l'avait demandé.
La mutualisation des moyens aura un effet de levier indéniable. C'est ce qui s'est passé lors de la fusion des autorités de contrôle des marchés financiers. Mais ces deux projets de loi sont en deçà des ambitions.
L'accouchement du texte fut long, avec un grand suspens quant aux autorités concernées, puisque Mme Dati fut évasive lors des débats de 2008.
Notre groupe est attaché au Médiateur de la République, une institution qui a toujours pris de l'ampleur depuis sa création en 1973. Je suis fier qu'un radical de gauche ait occupé cette fonction de 1981 à 1986, ainsi qu'un de mes prédécesseurs à la présidence du RDSE, M. Pelletier, de 1992 à 1998. Les radicaux, qu'ils soient de gauche ou de droite, ont les qualités nécessaires pour occuper la fonction de médiateur : le poste requiert en effet des qualités d'écoute, de dialogue et de recherche du consensus.
Les solutions des litiges sont recherchées par compromis, mais la surveillance des droits relève d'une autre logique. Je pense notamment à la CNDS, qui effectue un rappel salutaire de l'État de droit. Pourquoi l'intégrer dans une institution dont les pouvoirs seront inferieurs ? Malgré la commission des lois, le Défenseur des droits n'aura pas l'autorité actuelle de la CNDS. Nous défendrons des amendements à ce sujet.
Je me réjouis en revanche du maintien du contrôleur général des lieux de privation des libertés : il faut en finir avec les prisons indignes.
Je ne doute pas de la volonté d'affirmer l'État de droit mais je regrette les modalités des visites domiciliaires en matière de sécurité et je reste réservé sur les modalités de nomination.
Avec plusieurs membres du RDSE, je m'abstiendrai ; d'autres voteront ce texte, mais aucun d'entre nous ne votera contre une avancée, même si elle reste limitée. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Richard Yung. - Il nous aura donc fallu deux ans pour donner chair au Défenseur des droits, ce qui prouve que l'introduction de l'article 77-1 dans la Constitution était quelque peu improvisée !
Le Défenseur des droits devient un objet constitutionnel non identifié. Mme Dati avait refusé de préciser quelles autorités seraient concernées par cette réforme, et le comité Balladur préconisait simplement de substituer le défenseur des droits au médiateur de la République. (M. le rapporteur est d'un avis contraire)
Sur la forme, le Médiateur de la République s'est félicité du présent texte, mais le Défenseur des enfants et le président de la CNDS ont exprimé leurs vives inquiétudes.
L'étude d'impact m'a semblé lacunaire. En 2008, M. Hyest estimait qu'il fallait étudier l'éventuelle fusion d'AAI au sein du Défenseur. Nous attendons encore cette étude.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission de lois. - Non ! M. Gélard l'a faite.
M. Richard Yung. - Le Défendeur des droits et la CNDS ont une aura internationale. La CNDS est très critique envers ce qui lui paraît une diminution de la protection des droits.
Fin juriste, le rapporteur a modifié la copie du Gouvernement, notamment pour améliorer les modalités de saisine ou mieux affirmer les droits des enfants. Nous saluons la composition pluridisciplinaire des collèges et la suppression des « circonstances exceptionnelles » permettant de restreindre les pouvoirs d'investigation du Défenseur, voulu par le rapporteur.
La Halde, la CNDS et le Défenseur des enfants font les frais d'une réforme servant de prétexte pour les supprimer. L'absorption de la Halde n'est pas une surprise, car des articles de presse l'avaient évoquée. Cette autorité, tout comme la CNDS, est souvent critiquée par la majorité.
Il semble que certaines décisions, comme l'opposition aux tests ADN, aient déplu en haut lieu. Contrairement à ce que je pensais, la disparition des AAI n'attendra pas la fin de leur mandat.
Je crains aussi pour le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont je ne pense pas qu'il puisse améliorer la situation des prisons.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ça s'est amélioré !
M. Richard Yung. - Grâce à nos idées, que vous avez appliquées.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Vous en avez parlé, nous l'avons fait !
M. Richard Yung. - J'en viens à la nomination par le Président de la République.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est comme ça aujourd'hui !
M. Richard Yung. - Ce n'est pas un argument ! Nul ne peut se prévaloir de la turpitude d'autrui ! Vous avez perdu une occasion car le péché constitutionnel ne s'efface jamais.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Vous êtes un drôle de théologien !
M. Richard Yung. - Je ne suis pas le mieux placé, étant huguenot...
Nous demandons le maintien et le renforcement des autorités indépendantes et la constitutionnalisation du Médiateur ; nous déposerons des amendements en ce sens. (Applaudissements à gauche)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Étant démocrate, je me conforme à la révision constitutionnelle, votée sans ma voix, et je me félicite que soit concrétisée aujourd'hui une mesure importante, tout en regrettant que l'on transforme cette autorité en holding.
Il est bon d'élever le Médiateur de la République à un niveau constitutionnel, mais le projet de loi organique intègre aussi la CNDS et la Halde. Nous donnons acte au rapporteur de ses nombreuses améliorations, tout en regrettant qu'il ait ajouté la Halde aux AAI supprimées. Ce projet de loi organique organise une véritable braderie : quatre autorités pour le prix d'une !
La grosse machine institutionnelle qui va naitre nous inquiète. La réforme constitutionnelle a gravé dans le marbre une nomination critiquable.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Comment est nommé le Médiateur !
Mme Alima Boumediene-Thiery. - En réalité, le Président de la République sera seul maître à bord. Le fond du problème, c'est que l'indépendance des autorités qui vont être supprimées gêne ! Je sollicite souvent la CNDS, dont l'action est remarquable malgré des moyens dérisoires. De même, l'indépendance du Défenseur des enfants a permis de dénoncer le traitement des enfants dans les centres de rétention administrative.
A des autorités spécialisées se substitue une entité administrative froide et globalisante placée sous l'autorité unique d'un Défenseur souverain. Les amendements du Gouvernement, comme par exemple le n°89, montrent une volonté d'effacer, de museler.
La Halde s'est opposée aux tests ADN parce qu'elle dispose d'un pouvoir consultatif. Le Défenseur des enfants peut faire de même. Tout cela disparaîtra !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Non !
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Comment rétablir une visibilité réduite à néant par la fusion ?
Nous voterons contre les textes car le Défenseur des droits aurait dû assurer la synergie des AAI. Au contraire, la suppression de ces autorités s'accompagne d'une reprise partielle de leurs compétences.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Totale !
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Non, car le Défenseur décidera. Les Verts ne pourront voter ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Louis Mermaz. - Le Médiateur de la République, la CNDS, le Défenseur des enfants et la Halde ont rempli leurs missions de façon satisfaisante, mais la fusion proposée regroupe des missions fort diverses. Je regrette que le Défenseur ne défende plus les libertés.
Un amendement sénatorial permettant de supprimer des AAI existantes, le Gouvernement s'est engouffré dans la brèche.
Notre rapporteur a proposé des améliorations ne mettant pas en cause l'économie générale du texte.
Le Défenseur des enfants est intervenu des milliers de fois. La CNDS l'a fait dans des commissariats, dans des prisons, dans des centres de rétention administrative. La Halde traite des milliers de dossiers ; elle s'est opposée aux tests ADN. Ces autorités ont souvent fait tomber le masque d'un pouvoir autocratique : le coup porté par le Gouvernement donne la mesure du travail qu'elles accomplissaient.
Celui-ci nommera donc un Défenseur des droits qui présidera les mêmes institutions, réduites à des collèges. Le Défenseur pourra révoquer ses adjoints selon son bon vouloir.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Il y a un amendement.
M. Louis Mermaz. - Le Défenseur appréciera souverainement si son intervention est justifiée. Le Gouvernement n'avait pas eu froid aux yeux en dispensant le Défenseur de motiver son refus d'intervenir.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - C'est le cas aujourd'hui.
M. Louis Mermaz. - Mais la commission, faisant preuve d'une audace inouïe, a prévu une motivation.
Le Gouvernement avait omis de qualifier le Défenseur d'autorité indépendante, la commission l'a fait.
En fait, la commission des lois n'est intervenue qu'à la marge : le texte a parfois pris du ventre, mais pour cacher ses aspérités...
Sur fond de crise sociale, nos libertés diminuent de texte en texte, dont chacun se présente comme une loi de protection ! (Applaudissements à gauche)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Je remercie les orateurs pour leur approbation, leurs suggestions, voire leurs critiques courtoises.
Vient d'abord la cohérence entre le refus de la réforme constitutionnelle de 2008 et l'opposition à sa mise en oeuvre. Nul besoin d'habiller cette attitude : invoquer le refus de principe serait moins hypocrite mais plus courageux !
A la vérité, le présent texte n'a pas attendu deux ans car il a été déposé sur le bureau du Sénat le 9 septembre 2008. Il n'y a pas plus d'improvisation puisque le texte découle du rapport Balladur.
Le périmètre n'est pas figé; ainsi, les attributions du contrôleur des lieux de privation de liberté n'ont pas nécessairement de rapport avec la liberté. Je pense notamment aux suggestions sur les aménagements des locaux. Lorsqu'elles seront satisfaites, resteront à titre principal les droits et libertés des détenus. A cette échéance, l'intégration dans le Défenseur des droits sera envisageable.
La Cada exerce une mission de régulation, notamment sur l'information économique. Faudra-t-il opérer un rapprochement avec la Cnil, quitte à transférer certaines attributions vers le Défenseur des droits ? Peut-être...
Sur la forme, Mme Versini a participé à l'élaboration texte. Il est donc faux de prétendre qu'elle a été mise devant le fait accompli. Elle a seulement proposé de revoir la date de la fusion. (M. Jean-Jacques Hyest le confirme)
M. Gélard a mentionné la volonté du constituant.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Oui !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Je comprends que certaines autorités défendent leur existence, mais leur volonté doit-elle l'emporter sur celle du constituant ? Je ne le crois pas.
La nomination du Défenseur par le Président de la République portera-t-elle atteinte à son indépendance ? Les prises de position de certaines personnalités, pourtant nommées par le Chef de l'État, montre qu'il n'en est rien.
J'en viens aux moyens : la nouvelle autorité constitutionnelle aura, dans chaque domaine, davantage de pouvoirs juridiques, matériels et humains que les AAI supprimées. J'estime qu'une autorité de ce niveau sera beaucoup plus lisible.
Dans les communes de ma circonscription, personne ne connaît certaines institutions. Je ne crains aucun affaiblissement de l'autorité nouvelle. Au demeurant, MM. Mermaz et Yung craignent à la fois son affaiblissement et son renforcement excessif : il faut choisir !
Je partage totalement l'analyse de M. Lecerf : la nouvelle institution représente un véritable saut qualitatif au service de nos droits et libertés ! (Applaudissements à droite)
La discussion générale est close.