Transposition de la directive « Services » (Question orale européenne)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat sur la transposition de la directive « Services ». C'est la première intervention de M.Bizet en tant que président de la commission des affaires européennes : par solidarité géographique, je suis ravi de présider cette séance.
M. Jean Bizet, auteur de la question. - Ce débat illustre le rôle du Parlement sur les textes européens. Une telle intervention n'est pas fréquente mais va se développer.
La directive adoptée en 2006 devait être transposée avant la fin 2009. La directive « Services » n'est pas une directive comme les autres : elle a donné lieu à des débats nourris et parfois polémiques, comme sur le plombier polonais, après la proposition maladroite de la Commission européenne.
Cette directive doit réaliser un véritable marché intérieur des services, tout en garantissant un niveau de qualité satisfaisant. Divers services en sont d'ailleurs exclus. Son champ d'application reste très large et ses enjeux sont considérables pour notre pays.
Dans la conjoncture actuelle, elle peut contribuer à notre sortie de crise, car la France est bien placée dans le domaine des services. Il ne faut pas relâcher notre volonté de réforme de l'État.
La transposition a été l'occasion pour les États membres de nouer des relations étroites avec la Commission. La France n'aura pas recours aux ordonnances, et je m'en félicite ; elle n'a pas choisi non plus la loi-cadre, peu appropriée à un texte très technique. Les dispositions de transposition se retrouvent donc dans différents textes, dont la loi de modernisation de l'économie.
Cette méthode sectorielle présente des inconvénients : la transposition est moins lisible. Des professionnels inquiets nous ont saisis. Faute d'informations, cette directive risque de jouer le rôle de bouc-émissaire. Je compte sur le Gouvernement pour nous éclairer.
Autre inconvénient, le mode de transposition retenu ne permet pas de tenir les délais, en raison de l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire. La directive n'a totalement été transposée ni en France, ni dans la plupart des autres pays. Cette transposition progressive évitera de bâcler le travail, mais la Commission menace d'agir, sans mansuétude particulière : où en sont les textes en attente ? Disposez-vous d'un calendrier précis, madame la ministre ?
J'en viens au guichet unique. Il s'agit d'une des dispositions les plus novatrices de la directive. En France, les guichets uniques sont ambitieux : ils doivent permettre la création d'entreprises, délivrer des informations, procéder à des démarches administratives. Disposez-vous d'un premier bilan ? D'autres langues que le français seront-elles disponibles?
Un rapport de synthèse a été présenté, le 20 janvier, à la Commission. Un retard trop important de certains États provoquerait une distorsion de concurrence.
La Commission déposera un rapport d'ensemble accompagné de propositions de modifications. Certains secteurs pourraient être intégrés, à la demande des professionnels eux-mêmes.
Merci pour toutes les réponses que vous nous apporterez, madame la ministre.
M. Roland Ries. - En décembre, M. Bizet, devenu depuis président de la commission des affaires européennes, ce dont je le félicite, avait interpellé le Gouvernement sur la mise en place de la directive « Services », connue par les nombreux remous qu'elle avait provoqués sous le nom de « Bolkestein ».
À ce jour, cette directive n'est toujours pas complètement transposée, alors qu'elle aurait dû l'être au plus tard en décembre 2009.
M. Bizet a publié deux rapports d'information en 2008 et 2009. Il évoquait la question des guichets uniques et insistait sur les modalités de la transposition.
Le premier rapport recommandait au Gouvernement de transposer cette directive sous la forme d'un texte autonome pour que le Parlement ne soit pas privé d'un débat de fond. L'opinion publique ne pouvait être tenue à l'écart de cette directive : il ne fallait pas une transposition en catimini.
Certains de nos collègues de la majorité se sont posé des questions. Le 25 mars, j'ai présenté une proposition de loi, repoussée après un débat escamoté, avec peu de participants. L'affluence de ce soir montre que le progrès n'est pas notable. Ma proposition de loi a été repoussée sans débat de fond, car on ne le souhaitait pas. Pourquoi en irait-il autrement aujourd'hui ?
Le gouvernement refuse l'idée même d'une loi-cadre, à la différence de la plupart des autres États membres : seules la France et l'Allemagne- État fédéral- ont opté pour une transposition sectorielle.
Lors de la discussion de ma proposition de loi, on m'a expliqué que la loi-cadre ne donnait pas intrinsèquement de gage de sécurité juridique. Cette réponse est étonnante. L'objectif d'une loi-cadre est de définir une orientation politique claire et lisible. La directive « Services » ayant suscité tellement d'inquiétudes, il semblait normal, salutaire, pédagogique, de l'adopter dans la plus grande transparence. Tel n'est pas le cas.
Le Parlement s'est vu privé d'un débat sur les services sociaux d'intérêt général. Le Gouvernement a confié cette tâche à une mission interministérielle en raison de « l'encombrement de l'ordre du jour du Parlement ». C'est regrettable.
Le Parlement n'est pas une chambre d'enregistrement. Il doit traduire les directives dans notre droit. Encore faut-il lui en donner les moyens ! Nous disposions quand même de trois ans pour procéder à cette transposition... Mais le Gouvernement préfère engorger l'ordre du jour pour des textes rédigés sous le coup de l'émotion suscitée par des faits divers.
Le groupe socialiste déplore que le Gouvernement transforme l'Europe en bouc émissaire. Vous allez abandonner à la libre concurrence tout ce qui ressort de la petite enfance ou de l'aide à domicile. Je me refuse de faire porter à l'Europe une responsabilité qui n'est pas la sienne. L'Allemagne a ainsi exclu tout ce qui concerne la petite enfance, car cette contribution à l'éducation relève d'une mission d'intérêt général. En réalité, le Gouvernement a fait des choix politiques. En dérégulant le secteur de la petite enfance, il pourra se targuer de créer 200 000 places d'accueil, mais au prix d'une dégradation de la qualité du service rendu.
La participation du personnel va se réduire. Je suis d'accord avec le collectif « Pas de bébé à la consigne ». Le petit enfant doit être éduqué et non pas simplement gardé. Le Gouvernement avalise un système social à deux vitesses, contraire à notre modèle social. Tout est question de volonté et de choix. L'AMF, que le Gouvernement s'est bien gardé de consulter, s'est unanimement opposée à la politique suivie en ce domaine.
Je souhaite que le Gouvernement prenne une position claire sur les services sociaux d'intérêt général ; tel n'a pas été le cas pour ma proposition de loi. Je déplore que les mêmes causes conduisent aux mêmes effets, alors que la cohésion sociale de notre pays est en cause ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Aymeri de Montesquiou. - La directive Bolkestein avait suscité la polémique exacerbée par les positions du « non » au référendum européen. Grâce au « non », la directive fut réécrite en grande partie. « À l'autarcie, à l'isolationnisme, il faudra substituer la solidarité, l'interdépendance de tous ; l'égoïsme ne paye plus » disait Robert Schumann. Les échanges de services entre États membres ne représentent que 20 % des échanges alors que les services assurent 70 % du PIB européen. Il convient de les dynamiser en favorisant l'installation des entreprises étrangères, tout en garantissant la qualité des services fournis. La coopération administrative permettra de contrôler les services en échangeant des informations.
Une directive impose des résultats mais laisse les États membres libres de la transposer. La France n'a pas choisi une loi-cadre, malgré les vertus du débat pédagogique. La modalité retenue permet d'éviter de relancer la polémique et le mythe du plombier polonais.
Les délais sont écourtés : en juin 2009, M. Bizet estimait que la directive ne serait pas transposée dans les délais. Il avait vu juste, même si des guichets uniques ont été créés et si des secteurs essentiels ont été ouverts.
Pourtant, le processus n'est toujours pas achevé. Combien de secteurs restent à transposer ? Le groupe du RDSE regrette que le rôle du Parlement soit amoindri. Nous aurions préféré une loi-cadre : comprendre vaut mieux que se résigner.
J'avais déposé une proposition de loi visant à accélérer la transposition des directives par une séance mensuelle. Ce texte a été voté par le Sénat, mais jamais examiné par l'Assemblée nationale. Il est portant toujours d'actualité ! Comme Robert Schumann, je suis convaincu que l'idée « Europe » sera la force contre laquelle se briseront tous les obstacles. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean Louis Masson. - Je suis modérément favorable à cette directive qui devrait s'appuyer sur une harmonisation totale des systèmes juridiques et sociaux. On est loin du compte. Les départements frontaliers seront particulièrement pénalisés par cette directive, qui risque de dévaster leur économie.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Je me réjouis de ce débat. Cette directive va permettre la libéralisation des services au sein de l'Europe. Depuis que le principe controversé du pays d'origine a été supprimé, cette directive fait consensus.
Pourtant, des inquiétudes demeurent sur son champ d'application et pour divers services.
La grande majorité des services sociaux et médico-sociaux sont exclus du champ de cette directive. Il n'y a donc pas de risque de dérégulation ou de baisse de qualité.
Certains de nos collègues se sont fait l'écho de l'inquiétude des architectes. Qu'en est-il ?
Enfin, vingt États membres n'avaient pas complètement transposé la directive à la date du 27 avril.
La transposition est un exercice long et difficile, car il faut recenser tous les textes législatifs concernés.
Pour ce qui est des guichets uniques, leur fonctionnement est encore trop récent pour en tirer des conclusions définitives. Qu'en pensent les utilisateurs ? Ces sites pourront-ils être proposés en plusieurs langues ? Une campagne d'information permettrait d'éclairer nos concitoyens. L'envisagez-vous ?
Il va ensuite falloir penser à la phase d'évaluation mutuelle. Chaque État pourra observer les efforts accomplis par ses partenaires. La Commission présentera un rapport complet le 28 décembre 2011.
Cette directive doit être perçue comme une amélioration des services au niveau européen. Même si elle n'est pas entièrement transposée, prenons le temps d'y procéder pour ne pas commettre d'erreurs, mais agissons rapidement : la directive dynamisera la croissance européenne et relancera la création d'emplois. Il ne faut négliger aucune piste dans la conjoncture actuelle ! (Applaudissements à droite)
Mme Annie David. - Je me réjouis de ce débat, après celui que nous avons eu sur une proposition de loi de nos collègues socialistes. Le sujet est d'importance, mais l'affluence dans cet hémicycle semble démentir cette affirmation. Je regrette, comme M.Ries, la confidentialité de nos débats.
Nous condamnons les modalités de transposition de cette directive, effectuée par tranches et en catimini. Il s'agit d'un déni de démocratie. Une loi-cadre aurait permis au Parlement d'avoir un réel débat sur cette question. Vous n'avez pas voulu réveiller certaines craintes, comme l'avait d'ailleurs noté M. Bizet dans son rapport : selon lui, une loi-cadre pourrait servir d'épouvantail et risquerait de cristalliser les mécontentements de tous ordres.
Depuis plusieurs années, des textes de loi transposent par tranches cette directive.
Nous dénonçons l'opacité entretenue par le Gouvernement sur l'état de la transposition : il a attendu le 22 mars veille de l'examen d'une proposition de loi socialiste, pour communiquer la liste des professions réglementées concernées ! La directive demande que des guichets uniques renseignent les prestataires de services, -disparaît la référence au pays d'origine. Le Gouvernement a morcelé sa réponse en de nombreux textes, dont tous n'ont pas encore été discutés, mais les guichets uniques fonctionnent déjà.
La libéralisation introduite par cette directive concerne pour les trois quarts nos emplois. A l'heure de la crise où les gouvernements soutiennent les banques, ils devraient aussi conduire des politiques sociales conformes aux besoins de leurs concitoyens ! Le débat d'aujourd'hui est utile, mais insuffisant pour mettre certaines activités à l'abri de la concurrence.
Nous avions voté contre le traité de Lisbonne, aujourd'hui en application. La directive l'amplifie et tend à marchandiser les services sociaux, car les articles 43 et 49 du Traité de l'Union européenne les qualifient d'activités économiques. Même les services « non économiques » ne sont pas à l'abri de la Cour de justice européenne.
Souhaitant clarifier la situation, nous voulons exclure les services sociaux d'intérêt général du champ de cette directive. Il faut donc une nouvelle directive, ou une modification du traité. Cette dernière solution est la meilleure, surtout à l'heure où le peuple grec est, à l'instar des autres peuples, victime des mesures d'austérité dictées par une Europe libérale. Une autre Europe est possible, nous y travaillons ! (Applaudissements à gauche)
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. - Le débat contribue à la transparence sur cette importante directive. En janvier, le Gouvernement a présenté un rapport de synthèse sur ce sujet. L'objectif initial de transposition ne sera pas atteint, malgré le travail de la mission interministérielle constituée à cette fin et dirigée par Mme Lagarde.
Rappelons que la directive tend à faciliter la libre circulation des prestations de services en Europe. Quatrième exportateur mondial de services, notre pays est particulièrement bien placé pour profiter de cette ouverture. Nous avons eu besoin de temps, vu le niveau de réglementation des professions dans notre pays.
Je remercie les orateurs qui se sont félicités du choix de ne pas procéder par ordonnance. Fallait-il une transposition globale pour un texte fourre-tout ? Par pragmatisme, le Gouvernement a préféré conduire un travail fin abordant chaque profession, ce qui n'a nullement nui au débat. Les textes principaux sont la loi sur la modernisation de l'économie et celle sur les services touristiques. D'autres textes à venir ou en navette comportent des articles de transposition. Ainsi, la loi de simplification du droit concerne par exemple les entrepreneurs de spectacles ou les agences de mannequins. On pourrait citer aussi les textes sur les réseaux consulaires, les agents sportifs, la représentation en justice, les sociétés de ventes.
La transposition tente de moderniser les conditions d'exercice de certaines professions, tout préservant l'indépendance des professions.
Sur le plan de la détention du capital, notre priorité tient en deux points : la clause majoritaire n'est pas contraire à la directive, mais les ressortissants d'États membres doivent pouvoir entrer au capital. C'est le cas en particulier des architectes.
Les services sociaux et médico-sociaux sont exclus du champ de la directive, qui ne traite ni du droit de la concurrence ni du financement public. Ainsi que l'a écrit votre collègue Mme Jarraud-Vergnolle, l'inclusion ou non d'un secteur est sans rapport avec la concurrence. Idem pour le financement public.
M. Ries a évoqué les garderies d'enfants et les crèches. Il y a un malentendu : les crèches font partie du champ de la directive, mais sans incidence pour la réglementation existante.
Le Gouvernement est à la pointe de la défense des services d'intérêt général, en particulier dans le cadre du « Paquet 2020 ».
Sans revenir sur l'utilité du guichet unique, je rappelle que le Gouvernement s'est inspiré des procédures applicables à la création d'entreprises. Des milliers de demandes ont déjà été adressées au guichet, ouvert depuis le mois de janvier. Aujourd'hui, 92 fiches professionnelles sont accessibles sur le site. Par ailleurs, les Centres de formalités des entreprises assistent les personnes souhaitant exercer certaines activités - quatorze pour être précis, dont les coiffeurs, bouchers, agents immobiliers, experts comptables.
Bien sûr, nous étudions l'incidence économique de la directive, qui pourrait être comprise entre 0,6 et 1,5 point de PIB, selon l'ancien Commissaire Monti.
La commission permanente de concertation sur les services aura à coeur de suivre la dynamisation de l'économie permise par cette transposition.
Prochaine séance, mardi 18 mai 2010, à 9 heures 30.
La séance est levée à 18 heures 55.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mardi 18 mai 2010
Séance publique
A 9 HEURES 30,
1. Questions orales.
A 15 HEURES ET LE SOIR
2. Projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (Procédure accélérée) (n°200, 2009-2010).
Rapport de M. Gérard César et M. Charles Revet, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (n° 436,2009-2010).
Texte de la commission (n° 437, 2009-2010).