SÉANCE
du lundi 15 février 2010
71e séance de la session ordinaire 2009-2010
présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente
Secrétaires : M. François Fortassin, M. Marc Massion.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Loi de finances rectificative pour 2010
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010.
Discussion générale
M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. - Pendant toute l'année 2009, nous avons répondu à l'urgence de la crise en mobilisant tous les moyens fiscaux et budgétaires à notre disposition pour soutenir notre économie et aider nos concitoyens les plus fragiles à traverser cette épreuve.
Cette action a commencé à porter ses fruits : la croissance du quatrième trimestre 2009 est en nette accélération, à 0,6 %, et nos perspectives pour 2010, à 1,4 %, nous placent, avec l'Allemagne, dans le peloton de tête des pays où la reprise est la plus marquée, alors que le FMI prévoit 1 % pour la zone euro.
Cette comparaison avantageuse ne doit pas masquer nos faiblesses historiques, qui peuvent devenir de sérieux handicaps pour l'avenir. Nous ne pouvons passer à côté des évolutions, non seulement des technologies mais aussi des savoirs, qui vont dessiner le monde de demain.
Il serait facile d'expliquer qu'il ne faut pas tout attendre de l'État, mais ce n'est pas notre choix : nous sommes convaincus qu'il est possible d'agir en investissant pour l'avenir. Cette conviction détermine nos priorités budgétaires depuis trois ans, notre choix constant pour la recherche et l'enseignement supérieur, la compétitivité et le développement durable. Depuis 2007, l'enseignement supérieur et la recherche ont vu leurs crédits augmenter d'un milliard par an et le Grenelle de l'environnement a marqué une rupture dans l'approche du développement durable.
Dans le rapport qu'ils ont remis au Président de la République, MM. Juppé et Rocard écrivent « qu'il y a deux façons de mal préparer l'avenir : accumuler les dettes pour financer les dépenses courantes et, peut-être surtout, oublier d'investir dans les domaines moteurs ». Le Gouvernement est vent debout pour redresser l'équilibre de nos finances publiques : voyez la conférence sur le déficit, organisée fin janvier. Le Gouvernement est tout entier mobilisé pour l'avenir, sous l'impulsion des priorités nationales déterminées au terme de la réflexion lancée par le Président de la République. Nos partenaires européens vont dans le même sens. Le Royaume-Uni s'est doté d'un fonds d'investissement stratégique pour financer les projets innovants dans les hautes technologies ; l'Allemagne a conçu un programme de 2 milliards pour soutenir l'innovation de ses PME.
La démarche lancée par le Président de la République, d'une ampleur financière bien plus importante, a suscité les débats. Certains ont voulu limiter la discussion à la question de l'emprunt, comme s'il s'agissait d'ajouter un emprunt à la longue liste de ceux qui ont été lancés sous la Ve République. Cette polémique passe à côté de l'enjeu, qui est d'identifier les vecteurs propres à renforcer durablement la compétitivité de notre économie sans compromettre le redressement de nos finances publiques.
La commission présidée par MM. Juppé et Rocard a fait ressortir un nombre resserré de priorités qui se retrouvent dans les ouvertures de crédits proposées dans ce projet de loi de finances rectificative : 19 milliards pour l'enseignement supérieur, la formation et la recherche ; 6,5 milliards pour l'industrie et les PME ; 5 milliards pour le développement durable ; 4,5 milliards pour le numérique. Au total, 35 milliards tournés vers l'innovation.
Certains ont regretté l'absence du financement des infrastructures de transport. J'aurai l'occasion de revenir sur ce choix lors de la discussion d'un amendement voté par votre commission des finances, sur le canal Seine-Nord-Europe.
Les projets financés sont très divers, des campus d'excellence à la promotion des nouveaux usages dans le numérique et de la conception du véhicule du futur à la recherche dans les biotechnologies.
Tous ces projets, cependant, ont en commun de rechercher l'excellence, terme largement utilisé mais qui a encore tout son sens.
Nous allons consacrer 8 milliards à des campus d'excellence, avec l'objectif d'en faire des pôles de visibilité mondiale. Nous mobilisons un milliard de plus pour la constitution du plus important campus scientifique et technologique européen sur le plateau de Saclay.
Avec l'émergence de ces pôles d'excellence, nous nous donnons les moyens de ne plus jouer dans la deuxième division du classement de Shanghaï. Cependant, il ne s'agit pas d'oublier les autres équipements de recherche : un milliard ira à des laboratoires d'excellence et un milliard à des équipements d'excellence ; 3,5 milliards permettront de mieux valoriser les résultats de la recherche publique.
Ces investissements se font sans remettre en cause la progression des moyens des autres universités et des autres organismes de recherche.
L'excellence exige une gouvernance d'exception, qui se traduit, dans ce collectif, par l'ouverture des crédits sur des programmes budgétaires spécialement créés. Nous isolons ainsi les dépenses d'avenir, par nature exceptionnelles, des autres dépenses de l'État. Nous avons également fait le choix d'un décaissement en bloc à des opérateurs chargés de leur gestion. Ce décaissement en bloc ne traduira pas, il est vrai, la réalité des décaissements chez les opérateurs car certains investissements s'inscriront nécessairement dans la durée.
Plus que l'architecture budgétaire retenue, c'est bien la procédure d'instruction et de mise en oeuvre des investissements d'avenir qui les distinguera de toutes les autres interventions de l'État et de ses opérateurs.
L'opération sera évaluée à toutes les étapes, depuis la sélection des projets, base d'appels lancés avec le concours d'experts reconnus, jusqu'à la mesure des résultats obtenus.
Les investissements auront un effet de levier. MM. Juppé et Rocard visent un objectif de 60 milliards d'investissement global, nous maintenons cet objectif.
Le commissaire général à l'investissement, M. Ricol, jouera un rôle central. Il préparera, avec les ministères concernés, qui sont bien au coeur de la procédure, les conventions passées avec les opérateurs gestionnaires des fonds, qui en détermineront l'emploi et les indicateurs de mesure des résultats attendus.
Un comité de surveillance sera mis en place, dans le prolongement de la mission confiée à MM. Juppé et Rocard, qui veillera au suivi de la mise en oeuvre et aux résultats du programme d'investissement.
Alors, quelle place pour le Parlement dans cette gouvernance ?
Ce serait faire un mauvais procès au Gouvernement...
Mme Nicole Bricq. - Un procès, peut être, mais pas mauvais !
M. Éric Woerth, ministre. - ...que de voir dans ce schéma une opération de « débudgétisation ». Personne n'y avait songé, je me demande pourquoi j'en parle. La nature et les objectifs visés par ces investissements sont détaillés dans les documents budgétaires. Naturellement, nous ne sommes pas nécessairement capables, à ce stade de la procédure, de définir chacun des projets avec toute la précision souhaitable. Ce sera, en pratique, aux opérateurs, sous le pilotage du commissaire général et en liaison avec les ministères concernés, de traduire ces objectifs dans le choix des investissements concrets et d'en rendre compte au comité de surveillance, dans lequel siégeront bien évidemment des parlementaires et, surtout, au Parlement en l'informant régulièrement. Les présidents des deux assemblées ont exprimé leur souhait d'une étroite association du Parlement à la gouvernance de ce programme d'investissement. Ce texte satisfait leurs demandes d'amélioration. Certes, il est possible d'aller plus loin, et vos amendements démontrent que le texte est encore perfectible, mais il serait souhaitable de ne pas trop s'écarter de ce point d'équilibre : l'exécutif doit rester l'exécutif et le législatif le législatif.
Nous n'avons pas limité l'exemplarité à la définition de la gouvernance. Elle inspire également les choix que nous avons faits dans le financement des investissements d'avenir. L'annonce de l'emprunt national a dérouté : pourquoi ajouter de la dette à une dette déjà trop lourde ? Les décisions que nous avons prises lèvent ces inquiétudes. Tout d'abord, nous avons voulu minimiser le coût de l'emprunt.
M. Nicolas About. - C'est bien !
M. Éric Woerth, ministre. - Le remboursement de 13 milliards de financements prêtés aux banques pendant la crise a permis de limiter à 22 milliards le recours à l'emprunt et il fera l'objet d'un appel aux marchés financiers, dans le cadre du programme d'emprunt de l'Agence France trésor. Nous avons donc écarté l'appel aux particuliers car il aurait fallu, dans ce cas, supporter le coût supplémentaire de l'intermédiation des réseaux bancaires, c'est-à-dire entre 1 à 2 % de plus sur le montant des sommes empruntées. Cela n'avait aucun sens.
En complément du choix précédent, l'obligation de dépôt au Trésor des fonds gérés par les opérateurs permet de limiter l'augmentation de la dette publique. Nous avons eu cette discussion en commission des finances. (M. Gérard Longuet le confirme)
Cette obligation procure en effet à l'État une ressource de trésorerie qui lui permet de réduire son recours à l'emprunt de court terme. L'impact des dépenses d'avenir sur la dette publique, ce n'est donc pas 35 milliards, mais de l'ordre de 5 milliards en 2010.
Enfin, nous réorienterons les moyens des dépenses courantes vers les dépenses d'investissement. Si l'on considère l'ensemble des dotations non consommables, des prises de participation et des mécanismes de prêts, 63 % des investissements d'avenir se traduiront par un enrichissement du patrimoine de l'État et de ses opérateurs et même 71 % si on y ajoute les avances remboursables. Ce montant ne viendra donc pas charger les déficits publics au sens maastrichtien. Pour compenser la charge du financement de ces investissements d'avenir, nous ferons un effort supplémentaire pour réduire les dépenses courantes de l'État.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Très bien !
M. Éric Woerth, ministre. - Nous annulerons donc 500 millions, en dehors de la réserve de précaution, sur les budgets des ministères, pour compenser la charge d'intérêt générée par l'emprunt.
Au total, l'impact des investissements d'avenir sur le déficit sera seulement d'environ 2,5 milliards par an, soit 0,1 point de PIB par an.
J'en viens maintenant à l'actualisation de nos perspectives financières. Le déficit public attendu pour 2010 se montera à 8,2 points du PIB, soit 0,3 point de mieux que la prévision de la loi de finances initiale. Certes, le déficit budgétaire ressortant de ce collectif s'élève à 149 milliards. Mais ce niveau historiquement élevé est dû à l'ouverture des 35 milliards de crédits destinés au financement des investissements d'avenir qui pèsent en comptabilité budgétaire même s'ils ne le sont pas au sens maastrichtien. Il ne doit pas faire illusion sur l'amélioration bien réelle de nos perspectives financières. Cette amélioration est due aux premiers effets de la reprise économique, même si elle est modeste. Nous les avons déjà constatés sur les rentrées fiscales de la fin de l'année dernière : 2 milliards de recettes supplémentaires sur l'impôt sur les sociétés, 1,5 milliard sur la TVA pour ne prendre que les impôts les plus importants. Avec la réactualisation de la prévision de croissance attendue cette année, l'amélioration se confirme donc. Dans l'ensemble, et malgré l'impact de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2010, le produit des recettes de l'État est revu à la hausse de 3 milliards cette année. La décision du Conseil constitutionnel porte à la fois sur la taxe carbone et sur les bénéfices non commerciaux dans la taxe professionnelle, soit une moins-value fiscale de 2,2 milliards. Si l'on tient compte également de l'impact de ces perspectives économiques plus favorables sur les recettes sociales, le déficit public est ainsi évalué à 8,2 points du PIB, malgré le coût du financement des investissements d'avenir et malgré le coût de la censure du Conseil constitutionnel qui pèse également de 0,1 point de PIB.
Avec ce déficit public de 8,2 points, dont je ne me réjouis certes pas, je vois quand même un coup d'arrêt à la dégradation continue des déficits et le point de départ à un déficit sous le seuil de 3 % en 2013, conformément au programme de stabilité que nous avons faire parvenir à la Commission. Je profite de l'occasion pour excuser Mme Lagarde qui est à Bruxelles pour participer à l'Eurogroupe.
L'objectif est bien de réduire notre déficit de cinq points de PIB en l'espace de trois ans. Cela peut paraître ambitieux.
M. Nicolas About. - Certes !
M. Éric Woerth, ministre. - Nous devrons donc réduire nos déficits d'une centaine de milliards. Le retour de la croissance nous permettra de faire environ la moitié du chemin, grâce à son impact sur les recettes. En outre, la sortie de crise nous permettra de réduire progressivement les mesures du plan de relance, et donc leurs coûts. Avec ce projet de loi, nous espérons réduire de 50 autres milliards nos déficits publics. Mais la croissance ne suffit pas si nous ne maîtrisons pas les dépenses publiques. Lorsqu'on constate un écart aussi important entre nos recettes et nos dépenses, alors même que les recettes publiques sont en France parmi les plus élevées du monde, c'est bien que le problème se situe au niveau des dépenses. Or ces dernières sont l'affaire de tous : État, sécurité sociale et collectivités locales. L'État apporte chaque année, sous diverses formes, près de 100 milliards de concours financiers aux collectivités territoriales, et 50 milliards aux organismes de sécurité sociale. Les interactions financières entre ces différents acteurs sont telles qu'il serait vain de vouloir ne faire porter l'effort que sur une partie d'entre eux. C'est pourquoi le Président de la République a réuni à la fin janvier une conférence sur le déficit public associant l'ensemble des acteurs de la dépense publique. Cette conférence marque le début d'un processus : les travaux déboucheront sur des décisions concrètes à partir du printemps. Le programme de stabilité que nous avons transmis à la Commission est la traduction de cette démarche : il repose sur un effort de maîtrise des dépenses d'environ 50 milliards d'économies d'ici 2013. Cet effort portera sur tous les types de dépenses, y compris les dépenses fiscales et les niches sociales, avec l'objectif non pas d'une coupe brutale dans les dépenses, comme on l'entend, mais d'un ralentissement significatif de leur progression.
Notre politique budgétaire poursuit deux objectifs liés : le soutien à la croissance de demain, avec un encouragement massif à l'investissement, public et privé, autour de priorités porteuses d'avenir, et la réduction des déficits par la maîtrise des dépenses. Le Président de la République a fixé le cap en souhaitant, lors de la conférence sur le déficit, que la France se dote d'une règle d'équilibre pour toutes les administrations. Il a également proposé une méthode : durant les prochains mois, les groupes de travail se réuniront afin de proposer des diagnostics. A partir d'avril et de la prochaine conférence viendra le temps des décisions et de l'accélération.
Je présenterai un plan d'économies pour les dépenses de l'État, y compris fiscales et sociales, d'ici le printemps. (Applaudissements à droite ; MM. Nicolas About et Aymeri de Montesquiou applaudissent aussi)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - C'est un plaisir de se retrouver pour le premier collectif budgétaire de l'année, qui me semble particulièrement intéressant.
Quel est le contexte ? La crise a d'abord été financière avant de se transmettre à la sphère réelle ; puis l'attention s'est portée sur la soutenabilité des finances publiques, les dépenses dues aux plans de relance pesant sur elles de même que les effets cumulés de l'endettement passé. Aujourd'hui, la question essentielle redevient monétaire : c'est l'euro qui est au coeur des inquiétudes. (MM. Aymeri de Montesquiou et Jean-Jacques Jégou approuvent) Dix ans après sa création, c'est le premier vrai test pour la zone monétaire européenne. Avant 2000, les économistes appelaient notre attention sur le phénomène du choc asymétrique, c'est-à-dire le cas du pays qui diverge ; tandis qu'à l'époque ils citaient volontiers la Finlande, l'inquiétude vient aujourd'hui du sud du continent. Un soutien politique a été accordé à la Grèce afin que les marchés cessent de l'attaquer. Sera-ce suffisant ? On peut sérieusement se poser la question.
La politique monétaire n'est plus un instrument d'ajustement à la disposition des États et les marges de manoeuvre de la Banque centrale européenne (BCE) sont affaiblies par le niveau historiquement bas des taux d'intérêt. Les marges de manoeuvre budgétaires sont, elles, réduites par les interrogations sur la soutenabilité des finances publiques qu'expriment les marchés, les analystes et les agences de notation -ce qui se traduit par un renchérissement de la dette des États considérés comme les plus fragiles. Personne ne peut dire si d'autres pays ne seront pas demain dans la situation de la Grèce. Je me souviens de l'intervention conjointe du FMI et de l'Union européenne pour soutenir les nouveaux entrants, notamment la Lettonie ; mais l'intervention du FMI dans la zone euro est taboue, et de fait difficile à imaginer. On se demande pourtant ce qui distingue fondamentalement la Grèce de la Roumanie, de la Hongrie ou des pays baltes...
La gouvernance de la zone euro est ainsi devenue une question incontournable. Peut-on continuer à entretenir la fiction selon laquelle les Vingt-sept ont tous vocation à y entrer un jour ou l'autre ? Les États qui ont l'euro en partage ne disposent pas des institutions qui leur permettraient de faire face. Reste que la dépréciation de l'euro est une bonne nouvelle pour la France ; en année pleine, une dévaluation de 10 % de la monnaie unique, c'est 0,7 point de croissance supplémentaire. Cette situation est toutefois contrebalancée par le regard porté par les marchés sur les efforts de redressement des finances publiques.
La sortie de crise sera l'épreuve de vérité. D'où l'importance particulière de ce collectif. S'il donne un signal de laxisme, il desservira la France ; s'il marque au contraire une volonté de mieux nous organiser pour faire face aux investissements d'avenir, s'il nous permet de progresser dans le respect des règles auxquelles nous avons souscrit, il aura un rôle vertueux. Le programme de stabilité que nous venons de transmettre à Bruxelles est particulièrement volontariste ; au regard des précédents, qui n'ont jamais été respectés, nous n'avons pas le droit à l'erreur. Notre crédit est bon, les conditions de notre dette sont attractives, mais tout cela n'est que psychologie ; le ratio dette/PIB, l'envolée de nos déficits, notre incapacité ces dernières années à contenir la progression de la dépense publique en dessous des 2 % en volume, plaideraient pour des appréciations plus nuancées. A nous de mériter celles d'aujourd'hui, qui sont plutôt bienveillantes. Nous comptons sur votre détermination, monsieur le ministre, pour respecter le programme de stabilité, pour faire les économies lourdes et douloureuses qui nous permettront de revenir en 2013 aux 3 % du PIB.
Mme Nicole Bricq. - Qui peut croire une chose pareille ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Les règles du jeu, constitutionnelles ou organiques, pour utiles qu'elles soient, ne sauraient se substituer à la volonté qui se prouve chaque jour dans la gestion. Un objectif de solde, exprimé en règles simples, qui ne puisse être manipulé au gré des circonstances, voilà qui est essentiel à notre crédibilité, aujourd'hui plus qu'hier encore.
J'en viens aux paradoxes de ce texte, qui est une sorte de Janus. D'un côté, il augmente le déficit de 31,6 milliards d'euros, alourdissant de 27 % celui que nous venons à peine de voter en loi de finances initiale ; il paraît de l'autre être porteur d'évolutions que j'oserai qualifier de vertueuses.
M. François Marc. - Il n'y a que la foi qui sauve !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il réhabilite l'investissement public, il identifie des priorités de manière à servir, sinon notre potentiel de croissance, du moins la compétitivité de nos entreprises. Il affirme grâce à vous, monsieur le ministre, le principe selon lequel toute charge financière nouvelle sera gagée par des économies de fonctionnement : 500 millions en 2010 et 1,2 milliard en 2011. Il faudra les trouver, mais je fais pour cela confiance à l'efficacité de la direction du budget.
L'exercice montrera cependant un jour ses limites ; il faudra alors s'interroger sur le périmètre et les modes d'action de l'État. Ce collectif milite pour de profondes réformes administratives. Certains, dont je suis, se demandent par exemple si des administrations de mission -des équipes temporaires, dynamiques et réactives- ne seraient pas plus efficaces que certains ministères, dès lors qu'il s'agit de répondre à des moments particuliers de la conjoncture.
Avec l'Agence nationale de la recherche (ANR), son mode décisionnel, ses jurys pluridisciplinaires d'experts français et étrangers, nous aérons enfin notre système de recherche, le débarrassons de ses pesanteurs mandarinales et le rendons compétitif.
La première préoccupation de la commission des finances, c'est la protection des intérêts budgétaires et patrimoniaux de l'État. Le dispositif proposé était déjà plutôt protecteur de ce point de vue. En particulier, l'obligation faite aux opérateurs publics et privés de déposer leurs fonds libres au Trésor est essentielle, en ce qu'elle procure à l'État une ressource de trésorerie qui lisse l'impact des dépenses d'avenir sur le montant de sa dette. Notre commission est allée plus loin sur en se posant la question du dénouement de l'opération : il lui a semblé déterminant que l'État puisse récupérer les sommes qu'il aura temporairement transférées aux opérateurs sous forme de dotations non consomptibles. Elle a également cherché à orienter les décisions vers les projets présentant une rentabilité dont l'État pourrait profiter financièrement.
La commission s'est également souciée du contrôle démocratique. Il s'agit certes d'une débudgétisation mais le contrôle du Parlement doit être aussi vigilant que s'il s'agissait de crédits classiques du budget de l'État. La Lolf n'avait pas prévu le grand emprunt... Nous avons déposé une série d'amendements qui transposent l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances à la supervision de la mise en oeuvre du programme d'investissements.
Ce dispositif, original, suscite l'adhésion et il en résultera des dynamiques nouvelles. Monsieur le ministre, vous n'êtes pas que le ministre du budget, vous êtes aussi celui de la réforme de l'État et ce texte est un texte de réforme de l'État.
Ce collectif budgétaire ne se résume pas à l'emprunt national ; les autres sujets importants seront traités à l'occasion de l'examen des articles. La commission a choisi d'exclure du débat les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle. Le Sénat a prévu des clauses de rendez-vous, il faut les respecter et ne pas effeuiller ce sujet comme un artichaut. A l'exception d'un amendement de précision, la commission s'opposera à tous les amendements portant sur la réforme de la taxe professionnelle. (Applaudissements à droite)
M. Michel Charasse. - C'est logique.
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Philippe Marini, avec le talent que nous lui connaissons, vient de nous rapporter le travail ciselé de la commission des finances. Pour notre part nous avons abordé le texte avec le souci de déchiffrer le chiffrage (sourires) : il nous fallait découvrir les conséquences qualitatives de ces 25 milliards sur l'enseignement supérieur, la recherche, la promotion de l'égalité des chances et de la mixité sociale.
L'insuffisance d'innovation est la conséquence d'un manque de valorisation de la recherche. La recherche, elle-même, reste intimement liée à l'enseignement supérieur dont elle constitue le label de qualité le plus communément pris en compte. Les classements internationaux -Shanghai ou autres-, quoi qu'on pense de leurs imperfections, en font régulièrement le plus grand cas. Le rapporteur général a montré le rôle que l'ANR doit jouer et comment, par le biais du mode de financement, on peut peser sur l'université, la recherche et l'innovation, de façon à ne plus s'enfermer dans l'obsolescence et le manque de pertinence.
Innovation - recherche- enseignement supérieur sont particulièrement ciblés par la commission chargée de définir les priorités pour les « investissements d'avenir ». L'initiative prise par les co-présidents Alain Juppé et Michel Rocard de mettre cette trilogie au coeur de ces investissements mérite d'être saluée. Comme Michel Rocard l'a souligné devant notre Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, « la clé de l'édifice proposée est très consensuelle : ce sont les unités productrices de savoir -enseignement supérieur et recherche- qui seront à l'origine d'un nouveau tissu économique français plus innovant et donc plus compétitif ».
Avec 25 milliards sur les 35 de ce projet de loi de finances rectificative, l'occasion nous est donnée d'ébrouer des pans entiers de nos structures d'enseignement supérieur et de recherche, fondamentale ou appliquée. Encore faut-il savoir valoriser cette recherche de façon à ne pas en rester à des brevets, certes flatteurs, mais rarement exploitables. Il nous faut donc forcer l'enchaînement des structures et déchirer les cloisonnements.
Ce projet de loi est l'occasion de franchir un nouveau pas dans la transformation de notre enseignement supérieur et de notre recherche, de cet enseignement supérieur caractérisé par la dualité entre grandes écoles et universités.
Encourageons les regroupements qui s'ébauchent entre les structures de recherche : certains laboratoires de grandes écoles sont déjà animés par des directeurs de recherche issus de l'université. Revoyons aussi les modes de recrutements qui diffèrent entre les écoles et les universités, et inspirons-nous des modèles étrangers les plus performants.
Pour que les recherches aient des conséquences concrètes en termes d'innovation, elles doivent avoir l'ampleur nécessaire. Nos chercheurs, claquemurés et parfois moqués par les humoristes, sont honorés lorsqu'ils cherchent et non lorsqu'ils trouvent. Notre système a eu son heure de gloire, mais il est aujourd'hui obsolète et il nous handicape dans la compétition internationale. Pourtant nos chercheurs sont très demandés à l'étranger !
Ce grand emprunt est l'occasion de moderniser nos organismes de recherche, d'en faire des structures mondialement reconnues qui attirent les meilleurs. Prenons exemple sur ces grandes nations de l'innovation que sont les États-Unis et la Corée du Sud ! La capacité d'un pays à innover ne dépend pas de sa taille, mais de la volonté politique et de l'esprit d'entreprise de ses habitants. La France a des atouts : un de mes amis chercheurs me disait que nous avions tout pour devenir un dragon occidental de l'innovation ! Cette loi de finances rectificative servira à créer des universités d'un nouveau type, ambitieuses, situées au centre du système de recherche et décloisonnées.
Les sites d'excellence doivent servir de locomotives. Il faudra donc sélectionner les projets en fonction de critères favorisant le fonctionnement des établissements en réseau, matérialisé ou virtuel. On sait depuis la création de la Silicon Valley l'importance de « l'effet cafétéria ». Les directeurs de recherche doivent se voir confier la responsabilité de thématiques multi-sites. La contractualisation doit aussi favoriser cette synergie, à charge pour les responsables de projets de veiller au respect des contrats.
Quant à l'opération du plateau de Saclay, qui recevra une manne d'un milliard d'euros qui s'ajoutera aux 850 millions déjà prévus, c'est un pari qu'il nous faut gagner. A Saclay travaillent déjà 10 % des chercheurs français ; cette proportion se montera à 20 % en 2015. Ce regroupement doit donner à la recherche française la visibilité internationale qui lui manque. Mais pour cela il faudra développer les synergies : il est triste de voir que les laboratoires déjà implantés à Saclay ne coopèrent guère ! Rien n'unit les chercheurs qui travaillent sur le plateau !
M. Nicolas About. - Les routes ne sont même pas terminées !
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. - En effet ! Il faut faire sauter les barrières, sinon nous n'aurons rien fait ! Un ami chercheur me disait : « C'est une chose d'habiter sur le même palier, c'en est une autre que de se parler dans l'ascenseur. »
M. Nicolas About. - Il y a un monde entre Polytechnique et HEC !
M. Michel Charasse. - Il faut casser les castes !
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. - Très juste.
La commission se réjouit que 750 millions d'euros soient consacrés à la numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques ; elle a adopté un amendement tendant à sanctuariser cette somme. Elle se félicite également que 500 millions d'euros soient alloués à la promotion de l'égalité des chances et de la mixité sociale : cela permettra de concrétiser certaines propositions de la mission d'information sur la politique en faveur des jeunes, présidée par Mme Le Texier. Il faut créer des internats d'excellence, investir dans la formation et l'insertion socioprofessionnelle des jeunes et traiter les problèmes en amont, plutôt que d'instaurer des quotas aux concours.
M. le rapporteur général parlait de « débudgétisation » : raison de plus pour que le Parlement veille à la bonne utilisation des deniers publics. La commission de la culture souhaite d'une part que les parlementaires aient une plus grande place au sein du comité de surveillance des investissements d'avenir, d'autre part que les projets de conventions entre l'État et les organismes attributaires de crédits soient transmis à toutes les commissions parlementaires compétentes, plutôt qu'à la seule commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Bien sûr !
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. - Si les sites porteurs d'espoir doivent recevoir la plus grande part des crédits, il ne faut pas abandonner les structures plus modestes, qui ont peur d'être laissées pour compte. M. le ministre a entendu leur inquiétude. Il existe dans ces petits établissements de véritables pépites de la recherche et de l'innovation, et les étrangers vont à leur recherche ! Les deux milliards d'euros qui leur seront alloués permettront de les valoriser.
J'apprécie la prise en compte de la e-santé dans le soutien aux usages, services et contenus innovants. Pour avoir naguère défendu la télé-médecine, j'y vois des perspectives pour la démographie médicale. (Mme Nathalie Goulet approuve l'orateur)
Le grand emprunt donnera une chance d'amplifier le programme de numérisation des fonds de la Bibliothèque nationale de France ; la commission s'interroge toutefois sur la modicité du taux de participation : 25 %. Il faut pourtant peser face aux partenaires privés comme Google...
M. Jean-Pierre Vial. - Absolument !
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. - La commission s'interroge également sur la veille sur investissement et sur fonctionnement : il ne faudrait pas reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre.
J'avais promis d'évoquer l'article premier A nouveau, sur les jeux vidéos, dont nous regrettons que la commission des finances propose la suppression.
La commission de la culture donne un avis favorable à l'adoption de ce projet, sous réserve des amendements que j'aurai l'honneur de présenter et de la prise en compte de ses recommandations. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - La commission de l'économie s'est saisie pour avis parce que le grand emprunt est un exceptionnel instrument de politique économique et que trois de ses cinq priorités entrent dans son champ de compétence : les filières industrielles et les PME, le développement durable et le numérique.
La crise n'est pas une simple transition conjoncturelle dans un cycle économique banal, mais une rupture structurelle. Il y aura un avant, dans lequel le crédit dopait artificiellement la croissance, et un après où la croissance potentielle sera déterminée par la démographie, sur laquelle nous n'avons guère de prise, et la productivité, sur laquelle nous pouvons agir grâce à l'innovation, la chaîne causale allant de la recherche, à l'innovation puis à l'investissement, à la productivité et la croissance. Si nous ne faisons rien, la France court un risque tant nous avons de mal à convertir notre excellente recherche en succès économique : l'Allemagne dépose 60 brevets quand nous n'en déposons que 40. Notre industrie souffre donc d'une faiblesse qui écrase la croissance potentielle.
La philosophie du grand emprunt est d'accrocher un modèle économique vertueux : moins d'énergie fossile, plus de connaissance. Nous souhaitons formuler à cet égard trois propositions. Il faut d'abord renforcer le contrôle parlementaire sur ce qui ressemble furieusement à une débudgétisation. Il convient de clarifier la répartition des compétences entre le commissaire général et le comité de surveillance. Dans les cinq priorités, ensuite, on identifie beaucoup de sujets transversaux, ainsi pour les pôles de compétitivité ou pour les réseaux intelligents. La méthode d'appel à projet, enfin, est bonne si les PME peuvent en profiter de telle manière que les bénéfices en percolent dans l'économie.
Les PME se heurtent à un problème récurrent, le financement de leur croissance constitue un mur de verre. Or, contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'année 2010 sera plus dure parce qu'elles présenteront aux banques des bilans 2009 détériorés. La création d'un fonds national d'amorçage, richement doté, et le renforcement d'Oséo sont de très bonnes nouvelles, même si une autre répartition entre fonds propres et emprunts aurait pu déterminer un meilleur effet de levier.
Nous approuvons le soutien aux pôles de compétitivité car ce sont des instruments très efficaces. Les cloisons ne doivent pas être étanches, puisque le soutien à l'économie par des prêts verts aidera à améliorer les performances environnementales. De même, le programme véhicules du futur concerne le train, l'avion et la voiture : le secteur des transports n'est-il pas le premier émetteur de gaz à effet de serre ? Le Cnes offre un bel exemple de cette cohérence puisque l'effet de levier y est de 1 à 19 et que la nouvelle génération de satellite nous permettra de mieux surveiller les changements climatiques.
Le développement durable absorbera 5 milliards, consacrés à l'énergie renouvelable, au nucléaire de demain, aux transports et à l'urbanisme, ainsi qu'à la rénovation technique des bâtiments afin de lutter contre la précarité énergétique des foyers les moins favorisés.
Secteur d'avenir, le numérique est un acteur systémique de diffusion. Il génère déjà 40 % de nos gains de productivité et le quart de la croissance. Accélérateur de croissance, il va aussi déterminer des économies d'énergie grâce à l'intelligence des réseaux. Si 4,5 milliards vont au numérique, 2,5 milliards vont aux contenus et aux usages. Les PME auront ainsi accès à des centres de calcul. Voilà d'ailleurs un vrai sujet de souveraineté numérique car les grands centres sont monopolisés par des entreprises comme Amazon ou Google. Demain, grâce à la sécurité et à la mutualisation des réseaux, nous améliorerons les performances de notre économie. Toutefois, ces sommes vont transiter par un fonds national pour la société numérique alors que la loi sur la fracture numérique avait crée un fonds d'aménagement numérique du territoire.
Mme Nathalie Goulet. - Très juste !
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. - Il serait naturel que les 750 millions consacrés à la troisième zone soient soumis aux règles de gestion du fonds d'aménagement numérique.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. - Deuxième question : Mme Kosciusko-Morizet avait annoncé une enveloppe de 750 millions gérés par la Caisse des dépôts pour des prêts en co-investissement en zone moyennement dense. Le grand emprunt s'y substitue-t-il, par un tour de passe-passe ?
Enfin, si je me félicite que l'État intervienne dans le financement des réseaux pour le très haut débit, un tel chantier suppose des financements plus pérennes, pas forcément budgétaires. Il faut viser non pas 70 % mais 100 % de couverture en très haut débit d'ici dix ans, avec un déploiement multimodal associant fibre optique, satellite et quatrième génération de mobile.
En conclusion, la commission de l'économie approuve ce collectif. Nous nous réjouissons que l'État investisse pour préparer la France de demain, pour ne pas subir l'avenir mais le construire. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Les années se suivent et se ressemblent, diront les esprits chagrins... Nous avions entamé l'exercice 2009 avec un collectif ; nous revoici, début 2010, avec un premier projet de loi de finances rectificative, qui pourrait en annoncer d'autres.
En portant notre taux de croissance prévisionnelle de 0,75 % à 1,4 %, ce collectif est cependant porteur d'une bonne nouvelle, et nous laisse espérer un retour à un calendrier plus classique d'examen des lois de finances. Ces perspectives de croissance nous placent, avec l'Allemagne, parmi les pays qui bénéficient de la reprise la plus marquée, alors que le FMI prévoit une croissance de 1 % seulement pour la zone euro cette année.
Il y a un an, la crise économique, née des défaillances du système financier, menaçait nos équilibres sociaux et notre pacte républicain. Si aujourd'hui la reprise se confirme, nous le devons notamment à l'action du Gouvernement, qui a agi avec discernement et célérité : d'abord, pour rompre la paralysie qui menaçait le système bancaire ; ensuite, pour donner un coup de fouet à l'activité à travers le plan de relance.
Toutefois, les mécanismes à l'origine de la crise seront à nouveau à l'oeuvre si la communauté internationale ne parvient pas à parler d'une seule voix sur la régulation et la supervision des activités bancaires et financières. Par ailleurs, le redémarrage de notre économie ne doit pas être une excuse pour ne pas s'attaquer aux handicaps qui entament notre compétitivité. Les réponses apportées par le présent collectif sont-elles convaincantes ? Vous me permettrez d'exprimer mes interrogations et mes doutes à ce sujet...
Concernant la taxation des bonus, l'examen des amendements sera l'occasion d'expliquer pourquoi la commission approuve le schéma adopté par l'Assemblée nationale, et d'inviter à la prudence pour ne pas désavantager la place de Paris. Nous approuvons sans réserve l'affectation du produit de la taxe à Oséo, qui réduira le déficit budgétaire de près de 300 millions, tout en contribuant au soutien des PME. A condition de soumettre à la taxe l'ensemble de la chaîne décisionnelle et de contrôle, le dispositif établit un lien clair entre la prise de risques par les banques et leur obligation de participer au rétablissement du fonctionnement normal de notre économie.
Toutefois, le combat pour un meilleur encadrement des rémunérations au sein du milieu bancaire, dont la France a pris la tête, n'aura de sens que si nos partenaires nous suivent. La question des rémunérations n'est pas épuisée par la taxation des bonus. D'autres rendez-vous nous attendent, notamment sur les retraites chapeaux : ce sujet n'a pas sa place ici...
Mme Nicole Bricq. - Ah bon ? Et pourquoi ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - J'en viens à l'emprunt national. Il ne m'aurait pas paru envisageable de voter un dispositif qui creuserait de plusieurs dizaines de milliards un endettement déjà colossal. Mais, par un habile procédé, le ministre du budget parvient à accroître le déficit d'une trentaine de milliards sans recourir à la dette.
M. Nicolas About. - Chapeau !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Le Gouvernement nous annonce un grand emprunt de 35 milliards. Pourtant, je voterai ce dispositif, sans avoir à me déjuger et sans rien renier de mes critiques. Cet emprunt est une illusion budgétaire, un trompe-l'oeil.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Je salue la subtilité du concept novateur de fonds « non consomptibles » : près de la moitié du grand emprunt, soit 16 milliards, fléchés vers la mission « Recherche et enseignement supérieur », sont des fonds dont seuls les revenus procurés par leur dépôt au Trésor pourront être dépensés !
Le versement aux opérateurs des 19 milliards restants sera étalé dans le temps : la dette de l'État ne serait accrue que de 5 milliards cette année. Selon M. Ricol, les décaissements effectifs ne dépasseraient pas 2 ou 3 milliards en 2010. Trente-cinq milliards ; 2 milliards : les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Mieux vaudrait zéro !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est substituer une dette à moyen-long terme à la dette à court terme dont le poids relatif s'était considérablement accru. Je ne m'y opposerai donc pas.
Pour le reste, nous devons faire preuve d'exigence dans la sélection des projets, et de vigilance s'agissant de la gouvernance, car le grand emprunt est aussi une débudgétisation, qui nous contraint à définir les voies et moyens d'un contrôle efficace du Parlement, dans l'esprit de la Lolf. Les amendements de la commission confortent nos prérogatives en ce domaine. Toutes les commissions permanentes sont bien entendu également mobilisées.
D'autres échéances nous attendent, plus décisives : la contribution carbone -s'agira-t-il d'un collectif ou d'un simple projet de loi ?- et la clause de rendez-vous que nous avons adoptée dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle. Ces sujets devront être réglés pour l'été.
Au-delà, la loi de programmation des finances publiques devra traduire notre engagement, auprès des instances communautaires, de supprimer notre déficit excessif à l'horizon 2013. L'exercice ne sera pas aisé. Présent à la Conférence sur le déficit du 28 janvier, j'ai pris bonne note des chantiers ouverts par le Président de la République. Des efforts considérables devront être entrepris pour freiner l'évolution de nos charges.
J'appelle le Gouvernement à la plus grande prudence. Ayons toujours à l'esprit l'obligation de défendre notre crédibilité. Il ne suffit plus de fixer une norme d'évolution de la dépense publique que nous nous empresserons d'oublier au premier incident. Des choix devront être faits. Il faut que la dépense publique soit pilotée et non plus subie, que nous disposions des instruments pour en infléchir les évolutions au fil de l'eau. C'est un débat que nous aurons dans les prochains mois.
Dans cette attente, la commission des finances vous propose d'adopter le présent collectif, sous réserve des quelques compléments et adaptations que vous a présentés le rapporteur général. (Applaudissements à droite)
M. Éric Woerth, ministre. - Je vous l'indique dès à présent, le Gouvernement souhaite réserver la discussion de l'article premier, concernant les bonus des traders, jusqu'à demain après-midi, lorsque Mme Lagarde, retenue à l'Eurogroup, pourra être présente.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Favorable.
La réserve est ordonnée.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Je suis de ceux qui estimaient que le grand emprunt était une bonne idée. Les Français épargnent beaucoup. Notre économie est stagnante, installée depuis plus de trois décennies dans un chômage de masse désespérant pour les jeunes. La désindustrialisation et les délocalisations industrielles frappent beaucoup plus l'emploi que ne le prétendent des économistes myopes ou des faiseurs de rapport aux ordres. Ils oublient les emplois que nos entreprises ne créent pas en France. C'est vraiment se moquer du monde que de soutenir, comme l'a fait un récent rapport du Conseil d'analyse économique à Mme Idrac, que l'implantation de nos entreprises à l'étranger a un impact positif sur l'emploi en France. Nous avons perdu 470 000 emplois en 2009 ! Les entreprises du CAC 40 n'ont pas créé un seul emploi en France depuis cinq ans, mais l'État n'en demeure pas moins aux petits soins pour elles. Nos multinationales veulent profiter des très bas coûts salariaux et s'installer là où elles supputent la plus forte croissance dans les années à venir. Mais cette logique est mortifère pour l'économie française. Sans investissement massif, à la fois public et privé, nous ne pourrons offrir, demain, des emplois dignes de ce nom à notre jeunesse. Voilà pourquoi le grand emprunt me paraissait une bonne idée.
Puis il y a eu le rapport de MM. Juppé et Rocard et la transposition que vous en faites, à l'article 4 de ce projet de loi de finances rectificative. Ils prônaient un emprunt de 60 milliards d'euros pour transformer l'épargne des Français en investissements d'avenir. Nous ne sommes qu'à 22 milliards, un point du PIB, puisque 17 milliards proviennent du remboursement par les banques des fonds publics prêtés. Première déception.
Naïvement, je m'étais demandé comment rendre compatible cet effort, si modeste soit-il, avec les engagements que vous avez pris à Bruxelles de réduire le déficit budgétaire d'ici 2013 de 100 milliards d'euros. Vous-même avez réclamé, monsieur le ministre, 50 milliards d'économies budgétaires, une cure d'austérité qui va frapper d'abord les couches populaires et moyennes. A l'examen, il apparaît que le grand emprunt, avec ses mécanismes opaques, est fait pour n'être pas consommé. Cette usine à gaz n'améliorera guère la compétitivité française. Trop de dépenses non consommables, 16 milliards sur 35... Que feront les dix universités élues des 5 milliards du « plan campus » ? Seuls les intérêts produits seront disponibles. Et pour quoi faire ? Acquitter les redevances annuelles des futurs partenariats public-privé qui se chargeront de la rénovation. On aurait pu imaginer plus rapide et plus efficace pour retaper les amphis ! Une seule exception : le milliard versé au plateau de Saclay pour conforter son rayonnement scientifique pourra être consommé intégralement. La tendance à la concentration en ce site de notre potentiel scientifique sera encore plus accusée.
Une même procédure lente et inefficace a été trouvée pour les « campus d'excellence ». L'ANR placera 5,9 milliards d'euros et les campus en percevront le revenu. Même chose pour le Fonds de valorisation de la recherche, pour les Instituts Carnot, les Instituts de recherche technologique. Si le Gouvernement a fixé des règles qui empêchent la dépense publique, ne serait-ce pas pour une raison « maastrichtienne » ? Mais tous les critères maastrichtiens explosent ! Voyez la Grèce et cette danse du scalp des marchés financiers autour d'elle.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ce pays l'a bien cherché, il n'a pas été très vertueux...
M. Jean-Pierre Chevènement. - La Grèce fut autrefois la patrie des mathématiciens, il n'est pas illogique qu'il excelle à manipuler les statistiques. Mais elle ne produit pas plus de déficit que la Grande-Bretagne, les États-Unis...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Elle a moins de force sur les marchés financiers.
M. Jean-Pierre Chevènement. - C'est toujours la raison du plus fort ...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est celle des marchés !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Il reste 19 milliards d'euros de dépenses « consomptibles ». Des opérateurs de premier rang seront dotés et sélectionneront à leur tour les projets d'opérateurs de second rang, en fonction de cahiers des charges établis par le commissaire général à l'investissement, assisté par la commission Juppé-Rocard. Décidément, vous ne faites pas dans la simplicité. Et la dépense a vocation à être étalée sur plusieurs années. Que sera le rôle de ce commissaire général ? Non pas de veiller à l'accélération de l'investissement, mais de s'assurer de la régularité de la procédure, sous le contrôle du Gouvernement. Pourquoi ne l'avoir pas placé sous l'autorité du ministre de la relance ? Le grand emprunt ne sera-t-il pas une « poire pour la soif », opportun dans les temps de grande disette budgétaire que vous nous promettez ? Il n'est pas possible de nous laisser dans le flou sur la manière dont les fonds collectés seront dépensés. Il ne suffit pas d'un « jaune » budgétaire publié sous la responsabilité conjointe du commissaire général à l'investissement et de la commission Juppé-Rocard... Soit dit en passant, il est curieux de mélanger ainsi les fonctions de proposition, de décision et d'évaluation !
Le grand emprunt va concerner en priorité la recherche, l'enseignement supérieur, les hautes technologies, les pôles d'excellence, les thématiques d'excellence, les laboratoires d'excellence, etc. Quand l'excellence est partout, comme a dit le rapporteur général, elle risque de n'être plus nulle part. On voit aussi où seront les bénéficiaires : dans les grandes métropoles, là où sont concentrés les cadres supérieurs. C'est de la redistribution à rebours ! Et si encore le grand emprunt dopait la compétitivité du pays : mais je doute fort qu'elle en soit renforcée. M. Marini a montré que l'effet sur la croissance potentielle sera très faible, de l'ordre de 0,1 % par an. Ce grand emprunt aurait pu être un moyen de stopper la désindustrialisation accélérée du pays. Hélas, seulement 185 millions d'euros d'avances remboursables sont consacrées aux relocalisations compétitives, à la suite des états généraux de l'industrie réunis en octobre dernier à grands sons de trompe par le Président de la République. C'est vraiment l'Himalaya accouchant d'un souriceau ! Ce n'est pas ainsi que l'on parviendra à enrayer la désindustrialisation, dont les vraies causes sont ailleurs. Elles résident dans les règles du jeu biaisées que nos dirigeants ont acceptées depuis plus de deux décennies : libération totale des capitaux, ouverture incontrôlée du marché européen, démantèlement des politiques industrielles, choix d'une monnaie surévaluée. Si bien que nos grandes firmes privilégient l'investissement à l'étranger et d'abord dans les pays à bas coût. Je ne veux pas crier haro sur nos multinationales, puisque les règles du jeu sont fixées par vous !
J'aurais aimé pouvoir applaudir à ce grand emprunt. Mais il est, comme l'a fort bien dit le président de la commission, une grande illusion.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Budgétaire !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Toute cette tuyauterie est une oeuvre de bureaucrates, dont l'art suprême consiste à contourner la règle du jeu, désormais caduque, du traité de Maastricht. Plus qu'au chef-d'oeuvre de Jean Renoir, leur art me fait penser à ces grandes structures de ferraille tordue, à travers lesquelles les plasticiens contemporains nous donnent à contempler l'infini du vide. (Applaudissements au centre et à gauche)
M. Thierry Foucaud. - Moins de deux mois après la promulgation de la loi de finances pour 2010, voici le premier collectif budgétaire de l'année -et sans doute pas le dernier. Nous ne serions plus en crise et la reprise poindrait, mais il faut se préparer à discuter de plusieurs collectifs cette année. Les mesures contenues dans celui-ci aboutissent à un résultat immédiatement compréhensible : le déficit de l'État va passer de 116 à 149 milliards d'euros pour 2010. Des esprits chagrins pourraient trouver à y redire, quand nos engagements européens -grâce à la ratification parlementaire du traité de Lisbonne...- nous imposent une réduction des déficits.
Le Président de la République dit à qui veut l'entendre que nous sommes sortis de la crise, en grande partie grâce à son intervention déterminée. Il affirme aussi qu'une bonne part du déficit 2009 serait liée à l'action menée contre la crise. Puisque le déficit budgétaire atteindra de nouveaux records et que l'on fera tourner les planches à imprimer les bons du Trésor et les obligations, revenons donc sur le bilan remarquable de l'action gouvernementale depuis 2007 -ce fameux printemps où « tout allait devenir possible ». Tout était possible effectivement et tout est devenu réalité ; mais surtout le pire.
Le pouvoir d'achat augmenterait ? On se demande quelles statistiques le Président de la République a bien pu trouver pour l'établir, car les seules augmentations constatées portent sur les transferts d'urgence, ou encore les revenus du capital et du patrimoine. Et nos concitoyens constatent surtout le gel de leurs retraites, ils subissent toujours plus de plans de licenciement et ne voient pas même les heures supplémentaires défiscalisées que vous leur promettiez, et dont vous ne parlez plus. Les salaires n'augmentent donc pas, sauf à considérer surtout ceux des traders et des dirigeants, qui s'octroient généreusement des bonus et autres parachutes dorés ! Le nombre de chômeurs a augmenté de 22 % l'an passé, ce qui n'est que la partie visible d'une précarisation généralisée du travail, dans ces monarchies que sont restées les entreprises, 30 ans après les lois Auroux ! Et le ministre du travail se félicite qu'il y ait eu 450 000 suppressions d'emplois, au lieu des 700 000 annoncées : comment se réjouir de voir disparaître plus de 1 000 emplois par jour ? En France, on licencie pour garantir la rente financière et l'État encourage le mouvement en accordant des fonds publics aux entreprises qui multiplient les plans sociaux !
Si la crise était derrière nous, nous n'aurions pas à déplorer la baisse de la construction de logements, ni celle des ventes de voitures neuves, ceci malgré les aides exceptionnelles accordées aux constructeurs automobiles.
Et nous déplorons aussi qu'un million de chômeurs doivent basculer dans le régime de l'allocation de solidarité active, ayant épuisé tous leurs droits à indemnisation. M. Bertrand n'y voit que 150 000 chômeurs de plus que les autres années : on comprend par là que la charge supplémentaire va être transférée aux départements et aux autres collectivités territoriales. Il se trouvera alors toujours un sémillant porte-parole de l'UMP pour déplorer « la folie fiscale » des gestions locales de gauche, sans bien sûr établir aucun lien avec tout ce que la politique du Gouvernement dégrade dans le social ! On froncera du sourcil devant Carlos Ghosn qui délocalise la production en Espagne et en Slovénie, mais sans rien faire pour que l'État, actionnaire de référence de Renault, s'oppose à ces délocalisations ! Car les gestionnaires avisés de l'agence des participations n'ont en fait pas d'autre inquiétude que le niveau du dividende versé à l'État, sans aucune considération pour les effets sociaux de la politique industrielle retenue ! Et notre déficit commercial lui aussi se creuse, avec ces voitures « françaises » qui nous reviennent des usines où elles sont fabriquées à l'étranger...
La société Total traduit encore la démission de toute politique industrielle : voici un géant mondial du pétrole et de la pétrochimie, qui ne cesse de se désengager du territoire national, en témoigne la récente affaire de la raffinerie de Dunkerque, où le Gouvernement a concédé un répit, jusqu'au lendemain des élections régionales.
Le Gouvernement, en 2007, fondait de grands espoirs dans la loi de modernisation de l'économie : qu'en est-il advenu ?
Les 300 000 « auto-entrepreneurs » ont réalisé un chiffre d'affaires global de 500 millions, cette quantité infinitésimale de PIB a été acquise au prix d'une concurrence déloyale envers les artisans, et elle a rapporté quelques millions à peine aux caisses de l'État et de la sécurité sociale, très loin de la révolution idéologique promise par M. Novelli !
La suppression des marges arrières ? La crise du lait et celle des fruits et légumes démontrent que les grandes enseignes de la distribution s'en arrangent en pesant sur les prix à la production. Résultat : le revenu agricole s'est effondré du tiers en 2009, sans que les prix ne baissent à la consommation !
La banalisation du livret A ? Même si le nombre et le volume des livrets ont augmenté, on constate une baisse du nombre de logements construits, en particulier des logements sociaux. Et c'est ce qui permet aujourd'hui à M. Apparu, arrivé au Gouvernement à la grande surprise de Mme Boutin, d'annoncer un plan pour le logement...
La loi LME, pivot de l'action économique sarkozyste, a volé en éclats dès le début de la crise financière. Les déficits ont suivi, pour atteindre 141 milliards fin 2009, la dette galope, comme sur le compteur de Mme Chabot lors de la campagne présidentielle, et ce collectif l'aggrave encore !
Quelques mauvais esprits, dont nous sommes, jugent qu'une partie de ce déficit aurait été évitée sans la loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat. Car le bouclier fiscal coûte cher, même s'il ne fait qu'encourager les investissements spéculatifs de quelques-uns, même s'il encourage l'optimisation fiscale au sein de familles riches où l'on se fait plus facilement des donations entre vifs, où l'on se console mieux de la perte d'un proche, maintenant que les droits de succession sont allégés...
Chaque année, nous constatons que la mission budgétaire la plus dynamique pour les dépenses, c'est la mission « Remboursement et dégrèvements » ! La finalité de l'impôt sur le revenu est pervertie et l'impôt sur les sociétés est ajusté à la situation de chacune d'elle, tant les cas particuliers sont nombreux ! Voyez ce que rapporte à Renault ou à Total, le fait d'être imposées sous le régime du bénéfice mondial consolidé : ce n'est pas l'emploi qui en profite. C'est bien parce que l'État prend à sa charge ce que les entreprises devraient payer, que le déficit budgétaire se creuse à ce point !
Le Gouvernement prétend que ce collectif est en rupture. Jugez plutôt ! On aurait trouvé les coupables de la crise financière : les traders, cette caste privilégiée que l'on rémunère en fonction de la spéculation qu'elle organise. Mais la taxe dont on menace les traders est symbolique : elle représente le millième de ce que l'État était prêt à garantir pour sauver le secteur financier, et elle pèsera peu dans le déficit ! Qui plus est, elle ne figure même pas dans la loi de finances initiale : nul doute que les banques trouveront vite les moyens de la contourner. Sans oublier que les banquiers avaient proposé d'en affecter le produit au financement du système de garantie mutuelle tel que recommandé par le G20... Et certains de nos collègues étaient allés jusqu'à conditionner cette nouvelle taxe à la suppression de la taxe que les banques paient sur les salaires !
Ce collectif ne rompt avec aucun des errements qui entraînent les comptes publics dans le gouffre, et il prépare même une purge d'austérité pour les années à venir : nous voterons contre ! (Applaudissements à gauche)
Mme Nicole Bricq. - Nous débattions à peine du projet de loi de finances pour 2010 qu'était annoncé ce collectif budgétaire, adopté dès le 20 janvier en conseil des ministres et essentiellement destiné à loger l'emprunt annoncé par le Président de la République lors du Congrès de Versailles le 22 juin.
Pour la sincérité des comptes, il eût été préférable d'effectuer cet exercice lors de la loi de finances initiale dans la mesure où l'emprunt alourdit le déficit pour 2010 et pèsera sur la dette, même si celle-ci a été habilement réaménagée par vos services en fin d'année. Une fois les élections régionales passées, vous demandez au pays d'entrer dans l'épure maastrichtienne pour passer sous la barre des 3 % de déficit dès 2013. Il faudrait être bien naïf pour croire à une telle fable ! D'ailleurs, cette trajectoire a été rectifiée car le Premier ministre avait évoqué l'échéance de 2014 en fin d'année dernière. Enfin, M. le rapporteur général lui-même la qualifie de virtuelle.
La crise grecque est un révélateur de nos faiblesse et nous devrions en tirer deux leçons : ce sont les mécanismes du marché qui, spéculant sur les dettes privées, ont provoqué hier la bulle qui a commencé à éclater en 2007 et qui, aujourd'hui, spéculent sur la dette publique. Aujourd'hui, comme hier, après trois G20 et de multiples réunions et sommets, rien n'a avancé en matière de régulation financière, pas plus en Europe qu'outre-Atlantique. De ce côté-ci, la directive fonds alternatifs est toujours encalminée à Bruxelles et c'est bien timidement que l'on s'est penché sur les agences de notation. Il y a quelque paradoxe à constater que les États, au nom de leurs contribuables respectifs, sont venus au secours des marchés, assumant ainsi le risque systémique. Or, ces mêmes marchés invitent désormais les mêmes contribuables à se serrer la ceinture !
M. Michel Sergent. - Eh oui !
Mme Nicole Bricq. - Aujourd'hui la Grèce et, demain, d'autres pays ...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Quelles conséquences en tirez-vous ?
Mme Nicole Bricq. - ...qui ont peut être moins menti mais qui sont tout autant dans l'oeil du cyclone. Pourquoi les marchés se gêneraient-ils ? Ils obéissent à leur propre rationalité, celle du profit à court terme.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Qu'envisagez-vous de faire ?
Mme Nicole Bricq. - La sortie de crise sera plus compliquée que prévu, l'Union européenne se révélant incapable de réguler les marchés et de mener des politiques de croissance de long terme, d'effectuer l'assainissement budgétaire nécessaire et de répartir les efforts le plus justement possible. Que notre gouvernement mette un terme à ses cocoricos ! Non, nous ne nous en sortons pas mieux que les autres ! Notre économie stagne, comme les autres pays européens, notre rythme de croissance est mou, le chômage s'accroît, la société vieillit et nos finances publiques sont dans un état calamiteux.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est de l'autodénigrement !
Mme Nicole Bricq. - Nous avons dit il y a plusieurs mois que le déficit n'était pas dû à la seule crise, contrairement aux assertions du Gouvernement. Malgré une croissance convenable de plus de 2 % par an, les déficits et la dette étaient fortement dégradés dès 2008, du fait de la baisse inutile et coûteuse de certains impôts. Depuis lors, le rapport de la Cour des comptes a démontré que le déficit structurel équivaut à la moitié du déficit total. M. Woeth conteste ces conclusions, mais il ne nous a pas convaincus du contraire. C'est pourquoi nous proposons de supprimer des mesures fiscales qui sont inutiles, injustes ou dont le coût est excessif. Nous aurions d'ailleurs également pu demander la suppression de la TVA à 5,5 % pour la restauration : cette dépense fiscale n'a pas été compensée, contrairement aux engagements pris. De même, il aurait fallu mettre un terme à la défiscalisation des heures supplémentaires dont le maintient est criminel en période de chômage.
C'est dans ce contexte qu'intervient l'emprunt. Le 22 juin, le Président de la République posait la question des secteurs stratégiques et prioritaires pour préparer l'avenir de la France « une fois la crise refermée ». Les événements récents montrent que la crise n'est pas une parenthèse que l'on pourra aisément refermer. Nous ne contestons pas les impératifs de recherche ou d'innovation. On peut s'étonner que le secteur du logement social, qui avait été retenu par la commission Rocard Juppé, ne soit pas considéré comme une dépense d'avenir.
Un petit retour en arrière s'impose : dès 2007, nous avons dénoncé l'absence de prise en compte du retard accumulé par notre appareil productif, et nous avons critiqué les cadeaux fiscaux qui ont encouragé la thésaurisation et la rente, pas la production ni la productivité. Le même gouvernement nous propose aujourd'hui de mettre en oeuvre un emprunt dont la rentabilité n'est pas assurée et qui ne produira ses effets qu'à long terme. D'après notre rapporteur général, l'effet sur la croissance sera quasi nul. Mais il entraîne un surcroît de charges d'intérêt...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Elles seront compensées !
Mme Nicole Bricq. - ...et il envoie un mauvais signal à nos partenaires européens, notamment à l'Allemagne. N'eût-il pas été préférable pour financer ces dépenses d'avenir de revenir sur les dépenses fiscales les moins productives ? Cela aurait évité d'ajouter de l'emprunt à l'emprunt ordinaire. En 2009, nous avons emprunté 225 milliards !
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !
Mme Nicole Bricq. - La charge financière de l'emprunt est gagée sur la réduction de même ampleur des dépenses : les dépenses de tous les ministères diminueront de 500 millions en 2010 et de 1,2 milliard en 2011. Tout ceci s'apparente à une politique de gribouille. Faut-il considérer le budget de l'État comme celui des dépenses du passé ? Est-il justifiable de supprimer en 2009 14 000 postes, 16 000 postes cette année, au ministère de l'éducation nationale ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il faut embaucher, encore embaucher ?
Mme Nicole Bricq. - Que dire des mécanismes de gouvernance proposés pour gérer l'emprunt ? Il s'agit d'une débudgétisation qui prive le Parlement de son pouvoir de contrôle et d'évaluation.
Avec ses amendements, notre rapporteur général tente de mettre le pied dans la porte en instaurant un droit de regard du Parlement sur les conventions passées avec les opérateurs destinataires des fonds, en instaurant un suivi budgétaire et en séparant la prise de décision de l'évaluation. Ces efforts sont louables.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Merci !
Mme Nicole Bricq. - Mais nous doutons de leur efficacité, tant le choix des projets par un jury international s'apparente à ce que vous avez maintes fois dénoncé, monsieur le rapporteur général : une agenciarisation de l'État. Il s'agit en fait d'une privatisation de la sphère publique. Il ne reste au Parlement que les dépenses de fonctionnement (M. Philippe Marini, rapporteur général, s'exclame) dans un contexte d'austérité budgétaire : il n'a plus aucune marge de manoeuvre. D'ailleurs, les crédits d'investissements de l'État, qui n'ont fait que diminuer depuis 2002, ne représentant aujourd'hui qu'à peine 6 milliards. Vous n'avez rien fait pour redresser la barre. Le recours à cet emprunt exceptionnel n'efface pas votre inaction depuis huit ans. (On le confirme sur les bancs socialistes)
J'en viens à la taxe sur les bonus. Fragile dès le départ, le dispositif imaginé par le Gouvernement afin que la taxe soit indolore pour les banques, a été heureusement démonté par nos collègues députés qui ont obtenu que le produit de la taxe soit affecté au budget et non pas au fonds de garantie des dépôts. Même légèrement élargi par la commission des finances, le périmètre reste trop étroit. Il devrait comprendre les gestionnaires des fonds alternatifs. Nous avons regretté en commission que notre rapporteur se soit arrêté sur sa lancée. Il n'est bien évidemment pas question de ponctionner l'huissier de la banque, puisque le plancher est fixé à 27 500 euros. En revanche, les mandataires sociaux devraient être concernés.
La taxe bonus ne saurait être déductible de l'impôt sur les sociétés, ce qui prive l'État de 90 millions.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est la taxe sur la taxe, alors !
Mme Nicole Bricq. - Le dispositif proposé ne règle pas la question de la cotisation supplémentaire que doivent verser les établissements pour porter la garantie de dépôt à 100 000 euros. Le Gouvernement doit nous dire si cette directive s'applique directement ou si elle doit être transposée.
En outre, le fléchage vers Oséo des crédits budgétaires de la taxe ne doit pas imputer d'autant les crédits budgétaires.
Enfin, ce mécanisme ne permet pas de prévenir les crises financières. Depuis plusieurs mois, nous défendons une mesure proposée par le directeur général du FMI : une assurance contre le risque systémique dont le coût serait proportionnel aux risques pris. Encore évoqué il y a quelques jours lors du G7 des ministres des finances, le principe semble être accepté, mais Mme Lagarde ajoute la condition qu'il soit mis en oeuvre par tous et en même temps. Ce qui condamne à l'impuissance. Nous avons donc déposé un amendement pour demander un rapport sur la mise en oeuvre de cette prime d'assurance systémique. Les contribuables ne doivent en effet pas être les assureurs des risques pris sur les marchés financiers.
L'actualisation des comptes publics ne lève pas de doute sur la sincérité de nos finances : l'emprunt n'est pas de nature à assurer notre rebond économique. La taxe bonus ne constitue ni réparation pour le passé, ni prévention pour le futur. Logiquement, nous ne voterons pas ce collectif. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
présidence de M. Roger Romani,vice-président
M. Philippe Dallier. - Ce premier collectif de 2010, qui n'est assurément pas le dernier, vise, dans un contexte de sortie de crise, à soutenir le retour de la croissance en privilégiant les dépenses d'investissement. Le groupe UMP approuve cette démarche : il est en effet primordial d'orienter massivement l'effort vers l'investissement, qui est producteur de richesses, tout en réduisant les dépenses de fonctionnement.
Le plan de relance, ciblé sur l'investissement alors que certains plaidaient pour une augmentation des dépenses courantes, a apporté une première réponse ; a suivi la réforme de la taxe professionnelle. Le Gouvernement nous propose aujourd'hui un grand emprunt national de 35 milliards d'euros destiné à financer un plan exceptionnel d'investissement public et qui, par effet de levier, devrait conduire à 60 milliards d'investissements.
De telles sommes engagent fortement notre responsabilité. Utilisé à mauvais escient, le grand emprunt ne ferait qu'aggraver nos déficits. Son coût, de 2 à 5 milliards par an, est raisonnable. Et seuls 22 milliards seront levés sur les marchés, les 13 autres provenant du remboursement par les banques des aides que l'État leur a consenties. Les trois principales agences de notation estiment que la France pouvait emprunter de 20 à 30 milliards supplémentaires sans altérer la qualité de sa signature. Le groupe UMP se félicite du choix judicieux de recourir aux marchés plutôt qu'à l'épargne publique, ce qui aurait coûté plus cher.
Les nouvelles dépenses d'investissement ne sont pas incompatibles, nous dit le Gouvernement, avec l'objectif de ramener le déficit à 3 % du PIB en 2013. Il aura réussi à résoudre la quadrature du cercle. Si le déficit budgétaire est augmenté de 35 milliards, l'impact sur le déficit au sens de Maastricht sera faible. Les 500 millions de charge d'intérêts seront intégrés à la norme de dépenses et donc compensés par une réduction équivalente des dépenses de l'État. Nous nous en félicitons. En outre, entre 50 et 75 % des dotations produiront des actifs -prises de participation, prêts et avances remboursables, actifs non consomptibles- et ne devraient pas être considérés comme des dépenses publiques au sens maastrichtien du terme. Ce choix de privilégier la création d'actifs s'inscrit dans la continuité du plan de sauvetage des banques.
Cette débudgétisation présente l'inconvénient d'échapper au contrôle budgétaire du Parlement. Le financement du plan d'investissement ne devant pas devenir un monstre financier opaque, il importe de prévoir des contrôles à chaque niveau et d'assurer notamment le suivi budgétaire et la transparence du processus de sélection des projets. Le Parlement devra jouer son rôle, en complément de ceux du commissaire général à l'investissement et du conseil de surveillance coprésidé par MM. Alain Juppé et Michel Rocard, dont le rapport a largement inspiré le projet de grand emprunt. Le groupe UMP se félicite que les députés aient proposé la création de deux nouveaux jaunes budgétaires, l'un pour informer le Parlement de l'emploi et de la gestion des crédits de l'emprunt national, l'autre pour décrire les conséquences sur les finances publiques des investissements d'avenir. Nous soutenons également la proposition des députés de transmettre aux commissions des finances, avant leur signature, les conventions passées entre l'État et les organismes attributaires des crédits.
Le choix des secteurs bénéficiaires est pertinent : enseignement supérieur, formation et recherche, industrie et PME, développement durable et numérique ; le Gouvernement soutient ainsi l'innovation et cible des secteurs fortement créateurs de valeur ajoutée. Nous nous réjouissons qu'il entende faire de la France un leader dans ces secteurs, alors que notre pays figure, depuis 2000, parmi les derniers pays de l'OCDE en matière de progression des dépenses de recherche et développement. Cette approche s'inspire des programmes des années 60 et 70, qui ont fait du nucléaire, du TGV, d'Airbus ou d'Arianespace les fleurons de notre technologie et des moteurs de notre économie. Le plan qui nous est proposé aujourd'hui est sans précédent au regard des montants engagés ; cette réorientation ambitieuse nous permettra de passer d'une économie des ressources à une économie des savoirs et du développement durable.
La formidable croissance des pays émergents dans un contexte de plus en plus mondialisé est un bouleversement majeur. La montée en puissance de la Chine, de l'Inde ou du Brésil remet en question les vieux équilibres et se traduit par une compétition accrue sur les matières premières, avec le risque de précipiter la pénurie des ressources énergétiques et d'accélérer le dérèglement climatique. Une réforme du modèle de croissance hérité des Trente Glorieuses était devenue nécessaire.
La deuxième grande mesure de ce collectif est la taxation des bonus des opérateurs de marché. La crise financière avait contraint l'État à intervenir pour sauver de la faillite des banques dont le comportement n'avait pas été, c'est le moins qu'on puisse dire, très vertueux. Une réflexion avait alors été engagée sur la possibilité de taxer ces bonus. Le Président de la République, dont le groupe UMP salue l'action déterminante, avait convaincu ses partenaires du G20, à Pittsburgh, en août 2009, d'adopter des règles communes d'encadrement des bonus. Il nous est aujourd'hui proposer de concrétiser cet engagement. La Grande-Bretagne et l'Allemagne sont sur le même chemin, ce qui prouve que la France a fait le bon choix.
La taxation sera limitée. Alourdir à l'excès la fiscalité des banques pourrait être contre-productif, le secteur bancaire étant confronté à une forte compétition internationale. Il est d'ailleurs déjà assujetti à une fiscalité pérenne : 150 millions d'euros à la suite de la réforme de la taxe professionnelle, 100 millions en 2010 puis 150 au titre de la contribution pour frais de contrôle au profit de la Banque de France, enfin taxe sur les salaires de 14 % spécifique à la France. Le groupe UMP approuve le choix des députés d'affecter les 360 millions d'euros de produit de cette taxe à Oséo et au financement des PME.
Nous soutiendrons la proposition du rapporteur général, dont nous saluons le remarquable travail, d'étendre la taxe exceptionnelle sur les bonus aux responsables hiérarchiques des traders. (M. Philippe Dominati approuve) C'est une mesure de justice. La fonction de trader n'étant pas définie, il nous appartient de dire quels professionnels des marchés seront visés, au regard des risques qu'ils peuvent faire courir à leur entreprise. Raison pour laquelle l'assiette porte sur la part variable des rémunérations, qui correspond à la prise de risques.
Le groupe UMP se félicite enfin de la révision à la hausse des prévisions économiques ; les chiffres du dernier trimestre 2009, meilleurs qu'attendu, nous encouragent à approuver toute initiative visant à soutenir le retour de la croissance. De ce point de vue, les mesures de ce collectif vont dans le bon sens. Après la tenue en janvier de la conférence sur les déficits publics et avant la remise à plat de l'ensemble des niches fiscales et sociales, nous saluons la détermination du Gouvernement à conjuguer soutien de la croissance et maîtrise des dépenses. Le groupe UMP aborde l'examen de ce texte dans une démarche constructive de soutien au Gouvernement et approuvera les améliorations qui pourront être encore apportées. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Léonce Dupont. - (Applaudissements à droite) Le 22 juin 2009, le Président de la République annonçait devant le Congrès qu'un grand emprunt serait levé pour préparer l'avenir et citait parmi les domaines à financer l'aménagement du territoire, l'avenir de la ruralité, l'éducation, la formation professionnelle, la recherche, la santé. Les financements nécessaires, disait-il, ne pouvaient être obtenus dans le strict cadre budgétaire annuel. Des chiffres pharamineux circulèrent alors, avant même que les besoins aient été définis.
Cette proposition avait suscité la plus grande réserve au sein de notre groupe. Alors que nos comptes publics affichaient déjà un déficit abyssal, alors que la dette publique se creusait de façon inédite, il était question d'engager massivement de nouvelles dépenses publiques, des dépenses publiques financées exclusivement par l'endettement, autrement dit, par les générations futures.
Mme Nathalie Goulet. - Le sapeur Camenber...
M. Jean-Léonce Dupont. - Il a été question un temps de lever l'emprunt auprès des particuliers : les contribuables de demain auraient financé les intérêts des créanciers d'aujourd'hui. Notre attachement à une gestion responsable de la dépense publique, à l'équité sociale et intergénérationnelle, notre lutte contre l'endettement qui limite chaque année un peu plus nos marges de manoeuvre : tout militait contre cette proposition.
Puis, en août dernier, la commission chargée de réfléchir aux priorités stratégiques a identifié les domaines stratégiques et les besoins avant de fixer le montant de l'emprunt. Elle a veillé à éviter le saupoudrage, à proposer des investissements rentables pour la collectivité, susceptibles de stimuler l'emploi et la croissance.
Le montant de l'emprunt a finalement été fixé à 35 milliards, soit un peu plus du tiers des 100 milliards un temps envisagés. Et, fort heureusement, l'hypothèse de l'emprunt populaire a rapidement été écartée compte tenu de son coût exorbitant.
Le travail de la commission présidée par MM. Juppé et Rocard a donc permis de lever une partie de nos réticences. Finalement le « grand emprunt national » consiste en fait, d'une part, à effectuer un transfert tout à fait opportun de la dette de court terme vers la dette de moyen et long terme, et, d'autre part, à investir massivement dans quatre domaines stratégiques. Il eût été préférable de le dire tout de suite...
Car il s'agit bien d'investir 19 milliards dans l'enseignement supérieur, la formation et la recherche, 6,5 dans l'industrie et les PME, 5 dans le développement durable et 4,5 dans le numérique. Le dépôt obligatoire auprès du Trésor par les opérateurs gestionnaires des fonds d'un montant d'environ 30 milliards réduira d'autant le besoin d'endettement à court terme de l'État sur les marchés, ce qui optimisera l'action de l'Agence France Trésor et diminuera les charges d'intérêt.
Les investissements d'avenir augmentent bien le déficit budgétaire de 35 milliards en 2010 mais leur incidence sur le déficit des administrations publiques au sens du traité de Maastricht sera plus réduite. Au total, l'incidence sur les déficits publics maastrichtiens devrait être comprise entre 2,5 et 3 milliards en 2010 et les années suivantes, loin des montants pharaoniques dont il fut un temps question. Le montant de l'emprunt, la gestion des fonds, le calendrier de décaissement semblent donc bien conçus.
Les priorités, également, ont été bien ciblées. Il est capital d'investir dans des domaines stratégiques à moyen ou long terme et de se concentrer dans des secteurs où la France dispose d'avantages comparatifs. Le rapport d'information sur la recherche et l'innovation dont notre collègue Joseph Kergueris était rapporteur avait souligné l'importance d'intervenir là où nos retards sont rattrapables, et de ne pas nous perdre dans des courses d'ores et déjà perdues. Il faudra y veiller. Nous approuvons particulièrement l'effort en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous le martelons depuis des années : dans l'économie mondiale de la connaissance, l'innovation est le levier qui redressera notre croissance potentielle.
Un effort considérable est nécessaire et urgent pour mieux contenir les dépenses de fonctionnement, mais aussi pour réduire les dépenses fiscales. Et nous sommes convaincus qu'investir de façon à la fois massive et intelligente dans la formation, la recherche et l'innovation est indispensable pour préparer l'avenir. Cette conviction n'est ni idéologique, ni béate. Nous ne pensons pas que l'emprunt suffira à nous sortir de l'impasse dans laquelle nous avançons chaque année un peu plus.
Il faut tordre le cou à l'idée selon laquelle les dépenses publiques ne pèsent pas sur la croissance : c'est faux, passé certains seuils, des dépenses excessives imposent une taxation excessive, laquelle pèse sur la mobilisation du travail et du capital, et donc sur la croissance.
Il faut tordre le cou à l'idée selon laquelle la hausse de la croissance permettra de financer notre système social à moyen terme : c'est une condition nécessaire et non suffisante ; nous ne pourrons pas faire l'économie de nouvelles réformes, notamment de notre système de retraites. Si nous n'avons pas le courage d'engager ces réformes, le rythme d'évolution de nos dépenses sociales accompagnera celui du PIB, et les gains de croissance seront annulés.
Il faut tordre le cou, enfin, à l'idée qu'investir pour l'avenir serait une opération sans risque, assurément gagnante : l'opération présente un risque considérable, et il nous faut prendre toutes les mesures pour que les retombées économiques soient supérieures aux dépenses engagées. Par exemple, il faut investir dans nos universités mais il faut aussi asseoir leur autonomie, promouvoir des financements flexibles et diversifiés, développer la sélection par projets, s'attaquer au cloisonnement des structures. Une autonomie sans concurrence et sans mobilité des enseignants chercheurs, une autonomie qui passe par la présidentialisation et la marginalisation des personnalités extérieures, une autonomie sans moyens suffisants ferait le terreau du localisme. Là où on espérait avancer, nous régresserons. Pour la distribution des budgets additionnels, la création d'agences de moyens visant l'excellence scientifique ou l'excellence pédagogique est essentielle, et nous saluons les dispositions du texte qui vont dans ce sens. Le saupoudrage et l'uniformité n'aboutiraient à rien. Ce sont les incitations, la contractualisation et l'évaluation qui feront de nos universités des générateurs de croissance. C'est la conjonction de ces efforts qui a porté ses fruits chez nos voisins.
Financer ne suffira pas. Partout où l'État investira, il faudra mettre en oeuvre un train de mesures concrètes sans lesquelles l'argent que nous allons dépenser pourrait bien être gaspillé. Avec prudence donc, le groupe Union Centriste dans sa grande majorité soutiendra cette initiative tournée vers l'avenir.
Indiscutablement, elle nous contraint à un effort supplémentaire pour réduire nos dépenses publiques. A ce sujet, nous avons constaté que le débat sur l'opportunité d'inscrire la fameuse règle d'or dans la Constitution était à nouveau ouvert. Cette réflexion va dans le bon sens, tout comme les conclusions de la première Conférence nationale sur les déficits publics. Mais ce débat bienvenu ne doit pas nous faire oublier que nous disposons déjà d'un arsenal normatif conséquent : il y a peu de temps, nous avons élevé au niveau constitutionnel les orientations pluriannuelles et la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Les lois de programmation doivent s'inscrire dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. Un autre arsenal, européen celui-là, est bafoué, année après année. Respectons les règles que nous nous sommes librement imposées avant d'envisager d'en créer de nouvelles.
Nous appelons à cette discipline mais aussi à plus de transparence : monsieur le ministre, il eût été plus simple d'expliquer, dès l'annonce de ce projet, de quoi il était question. Les parlementaires ne s'y trompent pas, les citoyens non plus. Nous comprenons la nécessité d'afficher le volontarisme du Gouvernement mais cela peut aller de pair avec un effort de sincérité. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
M. Aymeri de Montesquiou. - (Applaudissements sur les bancs RDSE) - Les données et le contexte de ce collectif peuvent être qualifiés d'extraordinaires. Extraordinaires en effet un déficit de 138 milliards, de 7,9 % du PIB, une dette publique de 80 %, une dépense publique absorbant 55 % de la richesse nationale ! Extraordinaires car qui, majorité ou opposition, au début de cette législature aurait pu imaginer une telle situation ? Extraordinaires, car certains s'interrogent sur la survie de l'euro. La Commission européenne a engagé une procédure pour déficit excessif à l'encontre de vingt de ses membres. Que nous soyons moins frappés que d'autres est une consolation bien modeste. Monsieur le ministre vous devez nous démontrer comment et avec quelle croissance, nous pourrons résorber cinq points de déficit d'ici 2013 pour parvenir aux 3 % compatibles avec les exigences de Maastricht, puis à un équilibre indispensable pour réduire la dette. Cette dette pénalise notre capacité d'investissement et paradoxalement rend nécessaire un emprunt qui l'augmente à son tour.
Pour ce qui est des PME, plutôt que d'emprunter pour les financer, il serait plus responsabilisant pour elles que l'État garantisse les prêts qu'elles sollicitent. Elles choisiraient en connaissance de cause les investissements qui s'inscriraient le mieux dans leur stratégie de développement ; de plus, les critères de Maastricht ne seraient pas concernés. Quelle articulation est prévue avec le FSI-PME ?
Il est difficile de trouver le meilleur niveau d'efficacité entre l'augmentation de la dette et le retour sur ces investissements d'avenir. On prévoit 35 milliards pour l'économie de la connaissance et de la haute technologie dans des secteurs stratégiques, ce qui devrait entraîner 25 milliards d'investissements privés. Mais cet emprunt accentue le déficit de 12 % !
Cet emprunt est certainement indispensable. Comme le dit La Fontaine, « les vertus devraient être soeurs, ainsi que les vices sont frères ». Remédions donc aux vices de la dette et du déficit par les vertus d'excellence, de recherche, d'innovation, d'efficacité, maîtres-mots du grand emprunt et du commissaire général à l'investissement René Ricol. En s'entourant « des meilleurs » et en s'adjoignant les conseils de personnalités étrangères, il veut s'assurer de la pertinence de nos projets à l'international, de l'exploitation des brevets et de la création d'emplois et de richesses qu'ils génèrent en France car nombre de brevets sont rachetés et exploités par des groupes étrangers.
L'accumulation de faiblesses coupables est responsable de notre situation budgétaire actuelle, hors crise mondiale. Depuis des années nous nous inquiétons de l'incapacité à présenter des budgets où les dépenses se stabiliseraient en euros constants puis en euros courants. Vous avez justement dit « quand on observe un écart aussi important entre les recettes et les dépenses alors même que les recettes publiques sont parmi les plus élevées du monde, c'est bien que le problème se situe du côté des dépenses. ».
Pour les dépenses, on est toujours rattrapé par les faits : nous maintenons, depuis la désastreuse mise en place des 35 heures, une compensation aux entreprises qui coûte à chaque budget 15 milliards. Est-ce si difficile d'expliquer que la compétitivité des entreprises, et donc l'emploi, sont en jeu ? Aujourd'hui en Grèce, des mesures drastiques touchent notamment les fonctionnaires. Or, seuls 10 000 d'entre eux défilaient à Athènes. Les Grecs ont compris quel terrible effort était nécessaire pour redresser leurs finances. En France, les dépenses publiques représentent 55 % du PIB ; cela handicape notre capacité à investir et donc notre compétitivité. Le Conseil d'analyse économique affirme que l'attractivité de la France a été surestimée car le montant d'investissements français à l'étranger est quatorze fois et non deux fois supérieur aux investissements étrangers en France en 2008. Il faut donc poursuivre la RGPP.
Pour les recettes, nous ne pourrons échapper à une augmentation des prélèvements nécessitant l'effort de tous.
Le bouclier fiscal est un pis-aller pour ne pas supprimer l'impôt sur la fortune, dont on connaît l'effet négatif sur investissement. Malgré un bon principe, il a pour effet injuste que les augmentations d'impôts épargnent les titulaires des plus gros revenus. Pourquoi ne pas accepter le triptyque associant la suppression de l'ISF et du bouclier fiscal avec la création d'une cinquième tranche de l'impôt sur le revenu ?
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est la bonne solution !
M. Aymeri de Montesquiou. - Combien de temps conserverons-nous la note maximale AAA attribuée par des agences de notation ? La France risque d'être déclassée, comme le Royaume-Uni ou l'Espagne, si elle ne maîtrise pas mieux ses finances publiques.
Le philosophe Thalès de Milet affirmait avec raison : « La nécessité est la chose la plus forte, puisqu'il n'y a rien dont elle ne vienne à bout. » Je souhaite la même force à vos réformes, car il est vital d'améliorer l'équilibre budgétaire, la compétitivité économique et la justice sociale. Écoutez avec plus d'attention le Sénat et sa commission des finances ; vous aurez notre appui ! (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Très bien !
M. Philippe Dominati. - Cette première révision budgétaire est marquée par une hausse des recettes à concurrence de 3,3 milliards d'euros, soit dix fois moins que les dépenses supplémentaires, qui atteignent 33,9 milliards. Nous battrons donc cette année le record du déficit budgétaire établi en 2009, pour culminer à 149 milliards d'euros, soit une aggravation de 27 % par rapport à la loi de finances initiale. Ce montant doit être comparé aux recettes nettes de l'État, qui s'établissent à 270 milliards d'euros. Telle est la réalité des finances publiques au milieu de cette crise.
De nombreux orateurs ont loué l'habileté dont vous avez fait preuve à propos du grand emprunt. Sans revenir sur les subtilités du mécanisme, j'insiste sur l'environnement économique perturbé de cette opération, les prévisions indépendantes prenant systématiquement le contre-pied de ce que le Gouvernement affirme. J'observe tout d'abord que l'on s'attend aujourd'hui à une croissance deux fois plus soutenue qu'il n'était initialement envisagé. Ensuite, le démenti régulièrement apporté au pacte de stabilité européen finit par nous accoutumer au report des échéances. Troisièmement, on ne peut que difficilement estimer l'incidence du grand emprunt sur la croissance, mais le rapporteur général de notre commission estime l'impact sur le PIB à 0,3 %, soit l'épaisseur du trait.
Tout comme M. Chevènement, j'étais à Versailles favorable au grand emprunt, car il s'agissait alors de rassurer l'opinion publique sur la solidité du système bancaire. Les choses ayant rapidement évolué, j'ai suggéré lors de la discussion budgétaire que l'on renonce à l'opération. Sans succès. Alors que certains collègues de la majorité souhaitaient qu'il atteigne 100 milliards d'euros, vous avez obtenu de le limiter à 35 milliards, puis à 22. Avec une réelle habileté, vous avez fait preuve de démagogie... (Rires sur de nombreux bancs) vous avez répondu à la démagogie du grand emprunt à 100 milliards d'euros ! (Sourires sur de nombreux bancs ; applaudissements à droite et au centre.)
Je salue votre habileté à « minimiser l'exercice », selon votre expression.
J'en viens à l'incompréhension, voire à la colère, de la sphère réelle de l'économie face à un grand emprunt qui semble inopportun au moment où la Grèce, l'euro et nombre d'organismes nous incitent à maîtriser les déficits publics. Nous avons oublié les recommandations de l'OCDE et des rapports Campdessus, Attali et Pébereau ! Dans son dernier rapport, publié sous l'autorité de M. Séguin, la Cour des comptes a souligné que les dépenses publiques avaient augmenté l'an dernier de 2,6 % en volume ! Finalement, une nouvelle commission Campdessus devrait être formée...
Pourtant, l'analyse des finances publiques est chose simple : il y a les prélèvements obligatoires d'un côté, la dépense publique de l'autre.
Bien que vous ayez - heureusement !- conservé le bouclier fiscal, la France demeure championne du G20 pour les prélèvements obligatoires. Malgré la tentation forte d'alourdir les impôts, vous suivez la seule politique qui vaille aux yeux d'une partie de votre majorité : conserver le bouclier fiscal et ne pas augmenter les prélèvements obligatoires.
S'agissant de la dépense publique, je peine à voir les effets de la RGPP, car les 6 milliards d'euros économisés sont peu de choses face aux 50 milliards annoncés. On aimerait une action plus énergique !
Avec la crise, l'État est de retour dans la sphère industrielle, chez Renault, EDF-Suez ou dans l'audiovisuel, mais il ne peut pas résoudre le problème de la mondialisation.
J'ajoute que l'État externalise, puisque 60 % des emplois publics consacrés à la culture sont rattachés à des organismes publics. Sous l'autorité de M. Fourcade, nous examinons le projet du « Grand Paris », des investissements qui pourraient atteindre 40 milliards d'euros et des dépenses de fonctionnement comprises entre 30 et 40 milliards. Nous n'en trouvons pas trace dans ce collectif.
Au sein de la majorité, certains élus songent à d'autres solutions en matière de dépenses publiques. En Allemagne, le gouvernement baisse les impôts, sous la pression des libéraux...
Mme Nicole Bricq. - Ce n'est pas encore fait !
M. Philippe Dominati. - ...pour restaurer la compétitivité des entreprises et rendre du pouvoir d'achat aux citoyens. C'est son seul plan de relance. Vous n'agissez pas de même, ce qui peut susciter la colère de la sphère réelle.
Avant M. Fillon, Mme Lagarde avait prononcé le mot de faillite ; en janvier, le Président de la République a dit qu'il ne voulait pas conduire le pays à la ruine. Or, celle-ci nous menace si nous ne prenons pas les choses en main. Vous avez annoncé un plan d'économies, nous l'attendons aussi drastique que celui adopté dans certains pays de l'OCDE. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
M. Jean-Jacques Jégou. - J'aborderai successivement le grand emprunt, les déficits publics et la dette, la taxation des banques.
Je n'avais pas caché ma consternation lorsqu'un grand emprunt de 100 milliards auprès du public fut annoncé le 22 juin à Versailles par le Président de la République ; je suis donc soulagé que l'on évoque aujourd'hui un montant bien plus raisonnable, contracté auprès des marchés, donc à un coût moindre.
En fait, il s'agit plutôt d'un « grand investissement financé par l'emprunt », qui doit enfin permettre de créer des richesses dont notre pays a besoin, en renforçant durablement la compétitivité de notre économie. Les causes de notre faible croissance sont connues : le manque d'investissement dans les secteurs d'avenir, l'insuffisance des crédits alloués à la recherche, à l'innovation et à l'enseignement supérieur. Bref, nous souffrons du sous-investissement chronique dans le capital humain. Je regrette depuis longtemps que notre pays n'investisse pas plus dans les secteurs stratégiques et innovants. Le drame, c'est que l'endettement a financé les dépenses courantes de l'État, au lieu de préparer l'avenir. C'est la tendance à inverser : le déficit n'est acceptable que s'il est consacré à l'investissement !
Depuis plus de 30 ans, les investissements ne représentent que 5 à 6 % du budget de l'État, contre 20 % dans les années 1960 et 1970. Nul ne peut donc contester la décision d'investir massivement dans l'enseignement, la recherche, l'innovation, les biotechnologies, les énergies nouvelles, bref, les secteurs susceptibles de soutenir la croissance, tout en accompagnant notre mutation vers une économie de la connaissance.
Le Gouvernement doit toutefois s'assurer qu'il financera des projets rentables, dans des secteurs stratégiques contribuant à la reprise durable de la croissance et améliorant le potentiel économique du pays en lui faisant retrouver ses capacités d'innovation et de développement. Il faudra veiller à la qualité des projets et au retour sur investissement.
Il faut espérer que les modalités retenues sanctuariseront les 35 milliards et assureront leur étanchéité avec les dépenses courantes. Il est indispensable que le Parlement assure un suivi vigilant de leur utilisation.
Le grand emprunt aura un impact sur le déficit, qui s'établira en 2010 à 149 milliards au lieu de 117 milliards. Il n'y a pas de secret : un emprunt de 35 milliards, ce sont 35 milliards de dette supplémentaire. Emprunter davantage, s'endetter davantage, s'est accroître la charge de la dette. Comme l'a dit la Cour des comptes, le recours supplémentaire à l'emprunt ne peut que rapprocher la perspective d'un endettement de 100 % du PIB dès 2013. A terme, le risque est d'aboutir à une dégradation de la qualité de la signature de la France, avec des conséquences particulièrement négatives sur le service de la dette. Notre crédibilité dépend de notre capacité à assainir nos finances publiques. Il y a urgence !
Selon la commission Juppé-Rocard, « la situation et les perspectives préoccupantes de nos finances publiques plaide pour que dans la durée, ce soit par le redressement de la situation budgétaire et par la réallocation des dépenses que l'État trouve d'abord le moyen de financer ses investissements ». La deuxième conférence des finances publiques nous permettra de mesurer sa détermination. Avec Thierry Breton, je considère que le véritable investissement d'avenir c'est le désendettement.
Beaucoup de mes collègues, suivant l'opinion publique et se laissant aller à un certain populisme, veulent durcir l'article premier avec l'intention de punir les banques. Les comportements à risques ont certes contribué à déstabiliser les marchés et il convient d'éviter les risques excessifs, conformément aux conclusions du G20 de Pittsburgh, mais ce sont les banques anglo-saxonnes qui sont à l'origine de la faillite du système financier mondial. Pénaliser les nôtres parce que le système international de régulation et de contrôle a été défaillant serait contreproductif et affaiblirait un secteur économique important : 400 000 emplois directs, 300 000 emplois indirects, 30 000 embauches chaque année, des investissements considérables et une forte valeur ajoutée dans un contexte très concurrentiel. Ne le fragilisons pas au moment où nous avons besoin de refinancer notre économie. La comparaison avec les Anglais et les Américains ne vaut pas parce que les banques françaises ont déjà versé 2,3 milliards à l'État et qu'elles n'ont rien coûté au contribuable. En outre, notre pays est le seul à avoir adapté une réglementation très restrictive en matière d'attribution de bonus, conformément au G20 de Pittsburgh. Nous ne pouvons pas alourdir excessivement et seuls la fiscalité des banques. En conséquence, je vous demande, dans l'intérêt de notre économie, de ne pas aggraver la taxation sur les bonus, qui doit rester exceptionnelle. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Serge Lagauche. - Peut-on rattraper huit années d'insuffisance budgétaire par un collectif qui gage l'investissement sur des annulations de crédit ?
Mme Nicole Bricq. - Non !
M. Serge Lagauche. - Ce n'est évidemment pas ainsi que l'on comblera le retard pris sur l'agenda de Lisbonne -je remarque d'ailleurs qu'on ne mentionne l'Europe que pour se féliciter que l'emprunt n'entre pas dans le calcul des critères de Maastricht... Vous nous annoncez 35 milliards mais en additionnant des financements hétérogènes et disponibles à différentes échéances : quelle sera la solidité des placements et la gouvernance sera-t-elle exemplaire ? Vous proposez surtout un exercice médiatique dans lequel une commission dépossède le Parlement. Les propositions du rapporteur en sont la preuve.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Les soutiendrez-vous ?
M. Serge Lagauche. - Oui... Confier le fonctionnement à des agences ouvrira la porte à la participation du privé et vous permettra de contourner les conseils d'administration des universités, les élus, les collectivités territoriales, et de privilégier le pilotage à court terme à visée recentralisatrice.
Améliorer le classement des universités en regroupant les centres de recherche ? Certes, il est urgent que la recherche française s'appuie sur de grands campus, mais vous êtes obligé pour financer votre opération campus de recourir à l'emprunt car malgré les promesses du chef de l'État, vous n'avez pu dégager que 3,7 milliards de la vente d'EDF et maintenant seuls les intérêts de ces sommes étant disponibles, chaque chercheur ne recevra qu'une petite somme, et encore, à condition d'un partenariat public privé -le bât blesse là aussi. L'opération campus, quoique lancée en 2007, n'a toujours pas reçu un début d'exécution financière. Quel sera le calendrier ?
La décision de tout miser sur des opérations-phares comme Saclay creusera les écarts entre universités. Les regroupements les plus importants en bénéficieront au détriment des petites universités qui n'ont pas ou peu de post-licence. Vous confortez ainsi un enseignement supérieur à plusieurs vitesses.
On ne peut qu'être favorable à une politique ambitieuse ; encore faut-il qu'elle soit intégrée dans le budget et articulée avec la politique gouvernementale et locale. La recherche a besoin d'un effort programmé dans la durée. Nous ne formons que 10 000 docteurs l'an, ce qui est trop peu. Cette désaffection s'explique d'abord par la précarité induite par l'usage des CDD et des bourses et ce projet aggrave les choses en réservant les aides aux chercheurs les plus renommés. Votre politique de l'emploi scientifique, c'est la suppression de 900 postes ! L'enseignement supérieur n'est même pas épargné par les suppressions de crédits qui ont atteint 123 millions d'euros : seuls les programmes « Vie étudiante » et « Recherche sur la gestion des milieux » y ont échappé. Pourtant, selon l'OCDE, la première raison d'installation de centres de recherche est la présence de personnel qualifié. Une des priorités aurait dû être un plan pluriannuel de l'emploi scientifique.
Qu'en est-il de la recherche-développement dans le privé ? C'eût été l'occasion de restructurer les aides publiques. Nous avons demandé un rapport sur le coût du crédit impôt-recherche. Nous espérons le recevoir bientôt. Il semble en effet que ce crédit soit attribué ce manière indifférenciée et qu'il profite d'abord aux grandes entreprises quoique les entreprises de taille intermédiaire en aient plus besoin. Quel effet d'aubaine !
Le fonds national pour la société numérique, géré par la Caisse des dépôts, investira 750 millions. Nous serons vigilants : le programme « Économie numérique » ne doit pas le cannibaliser. Nous serons également attentifs à l'amendement de M. Etienne sanctuarisant ces 750 millions. Il appartient au Gouvernement d'organiser la maîtrise par la France de son exceptionnel patrimoine écrit, qui ne doit pas tomber aux mains du géant Google. La plate-forme commune Gallica-Europeana n'exclut pas des partenariats avec la firme californienne et chacun doit être associé à condition que le contrôle reste à l'État. Comment en effet se targuer de l'exception culturelle si les multinationales mettent la main sur nos oeuvres ? Il en est de même pour la numérisation du patrimoine cinématographique qui risque de nous échapper. La diversité de la production cinématographique dépend de la capacité des pouvoirs publics à accompagner opérateurs publics et privés. Quand vos engagements seront-ils tenus ? Nous doutons de la réalisation des promesses de Mme Pécresse, leur financement apparaît trop incertain. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nicole Bricq. - Bien sûr !
M. Jean-Pierre Vial. - Cette loi de finances rectificative marque une étape importante dans l'engagement du chef de l'État face à la crise. Convaincu de l'importance de l'investissement et de l'industrie pour l'avenir de notre économie, il a lancé une mission sur le grand emprunt et les assises de l'industrie, dont ce collectif traduit les conclusions.
L'article 4 consacre 35 milliards à l'industrie : c'est bien, mais ce n'est que le tiers de l'investissement annuel de certains grands groupes... Je souscris aux amendements des commissions des finances et de l'économie qui renforcent le droit de regard du Parlement sur les conditions de mobilisation de ce grand emprunt, sachant qu'il ne faut pas non plus retarder la mobilisation des financements. L'expérience récente des dotations pour les universités suscite quelque inquiétude... Or, la rapidité de la mobilisation des fonds sera décisive.
S'agissant des dotations consomptibles, je ne reviens pas sur le flou des tableaux : M. Etienne a parlé de « déchiffrage »... Si j'admets qu'il faut conserver une certaine souplesse, encore faut-il que les règles de fonctionnement de la commission soient claires !
La France peut rattraper son retard en matière d'innovation technologique, mais cela nécessite des moyens importants, sur des délais très courts. Or 10 à 25 % seulement de dépenses consomptibles, c'est insuffisant : dans certains domaines, il faudrait 50 à 75 % ! Mieux vaut réussir moins de programmes qu'en engager beaucoup qui ne pourront aboutir. J'attends une réponse du ministre sur ce point. Le rapport Juppé-Rocard cite des exemples précis... Si les taux sont laissés à l'appréciation de la commission chargée de l'évaluation des projets, je serais rassuré, à condition que l'on édicte des règles précises.
Nous reviendrons sur les mesures d'accompagnement, fonds de placement dans l'innovation et fonds d'investissement de proximité, lors des amendements.
Une politique industrielle, c'est d'abord une volonté politique. Il y a deux ans, j'avais interrogé la ministre de l'économie sur le devenir du site de Saint-Jean-de-Maurienne et plus généralement sur la filière de l'aluminium en France. Le groupe Rio Tinto s'employait en effet à transférer la technologie française à l'étranger, après avoir abandonné le projet de modernisation qu'il s'était pourtant engagé à faire connaître mi-2008... Le jugement rendu dans le contentieux entre EDF et Rio Tinto ne fait que confirmer la duplicité du groupe. La réalité dépasse les craintes : Pechiney, c'était 20 000 personnes en France lors du rachat par Alcan, contre 3 000 en 2010 ! Avec le secteur aval, ce sont 16 000 emplois directs et indirects qui sont concernés.
Pourtant, une politique industrielle peut encore sauver l'aluminium en France. Le comité de soutien de l'aluminium dans la vallée de Maurienne demande au Gouvernement d'étudier une reconversion industrielle de la filière. J'avais fait la même demande au préfet de la Savoie lors des états généraux de l'industrie. Je la réitère aujourd'hui. L'avenir de cette filière ne passe certainement pas par une aide de l'État. Plus de 6 000 emplois directs et indirects sont concernés à court terme !
Quand le Président de la République propose que le CEA devienne Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, ce n'est pas qu'une question de terminologie. En créant le CEA en 1945, le Général de Gaulle a donné à la France l'outil de son indépendance nucléaire. A nous de le mobiliser au profit des nouvelles énergies, de lui donner une nouvelle ambition, pour reconquérir la place que nous n'aurions jamais dû perdre.
Que ce soit l'occasion de mobiliser nos grands établissements de recherche et nos grandes entreprises dans une compétition qui unisse nos compétences. Notre pays a l'intelligence pour relever ce défi ; encore doit-il s'en donner les moyens. C'est donc avec enthousiasme que je voterai ce collectif. (Applaudissements à droite)
M. Michel Teston. - Quelques semaines à peine après l'adoption du projet de loi de finances initiale, ce premier collectif -car il y en aura d'autres !- vient démontrer que ce budget n'était manifestement pas sincère...
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ce n'est pas ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel !
M. Michel Teston. - Le dernier rapport de la Cour des comptes rappelle au Gouvernement sa responsabilité dans la dégradation de nos finances et souligne que le déficit public -qui atteint 8 % en 2009- n'est pas dû qu'à la crise.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La Cour des comptes n'est pas le Conseil constitutionnel !
M. Michel Teston. - Le grand emprunt, censé financer les investissements d'avenir, vient alourdir la dette. Il y aurait d'autres moyens de financer ces investissements si le Président n'avait pas multiplié les cadeaux fiscaux, à commencer par le bouclier fiscal...
Les infrastructures et services de transports font une nouvelle fois les frais des adaptations budgétaires : plus de 81 millions sont annulés en autorisations d'engagement et en crédits de paiement au sein de la mission « Écologie, développement et aménagement durables ». Les investissements d'avenir ne concernent que les programmes intégrés urbains, au détriment des projets de LGV. Quid dès lors des promesses du Grenelle de l'environnement ? L'État n'assumant pas ses responsabilités, les collectivités territoriales devront-elles prendront le relais ? II n'est pas acceptable que le Gouvernement rogne ainsi sur des éléments essentiels de la politique d'aménagement du territoire.
En octobre 2008, lors de la présentation du plan France numérique 2012, le Gouvernement avait annoncé deux objectifs : le haut débit pour tous et la réduction de la fracture numérique. Annonce qui n'avait pas été accompagnée de crédits... Aujourd'hui, le collectif prévoit 4,5 milliards, qui seront versés au Fonds national pour la société numérique, géré par la Caisse des dépôts. Le grand emprunt oublie toutefois complètement le numérique à l'école. L'équipement en tableaux interactifs numériques est pourtant un projet à la fois pédagogique et industriel, que prône notamment le rapport qui vient d'être remis au ministre de l'éducation nationale.
Afin de faire levier sur l'investissement privé, le fonds mobilisera 2 milliards pour le développement des réseaux à très haut débit selon des règles d'intervention publique censées être adaptées aux caractéristiques des territoires.
Aucune intervention publique n'est prévue dans les zones denses. Quant aux zones moyennement denses, le fonds n'attribuera pas de subventions, mais des prêts, à hauteur de un milliard d'euros, pour accélérer l'investissement des opérateurs privés ; 250 millions d'euros sont prévus pour des subventions et des prises de participation pour le déploiement, dans les cinq ans, d'une solution technique apportant le très haut débit à 750 000 foyers en zone rurale. Il reste 750 millions d'euros seulement pour les zones peu denses. Or les besoins sont immenses pour envisager la couverture totale du territoire.
Le grand emprunt fait aussi l'impasse sur un secteur qui crée des emplois durables : le logement social. Comme l'écrit notre collègue M. Repentin dans La gazette des communes, « les organismes HLM sont les seuls à pouvoir obtenir des résultats substantiels en matière d'économies d'énergie et de soutien aux filières innovantes ». Il rappelle que MM. Rocard et Juppé ont proposé la création d'un fonds de 2 milliards d'euros pour financer des prêts à taux zéro sur quinze ans, destinés à la réhabilitation thermique de 700 000 logements sociaux. Hélas, le chef de l'État n'a pas jugé bon de reprendre cette idée. Le texte prévoit seulement 500 millions d'euros pour les travaux d'amélioration thermique des propriétaires occupants. L'effet de levier ne sera pas le même...
Mon appréciation rejoint donc totalement celle, défavorable, de Mme Bricq et de M. Lagauche. (Applaudissements à gauche)
M. Éric Woerth, ministre. - Plusieurs d'entre vous ont souligné que ce collectif intervenait très tôt dans l'année, certains y voyant une preuve d'insincérité du budget 2010. Le Conseil constitutionnel a considéré le contraire. Du reste, j'avais dit ici très clairement que le budget 2010 était présenté hors grand emprunt et j'avais annoncé la discussion que nous avons aujourd'hui.
Nous nous trouvons à un moment charnière, entre fin de crise et début de reprise. Il faut consolider cette dynamique, en France comme en Europe et dans le monde entier. Mais notre pays s'en sort mieux que d'autres en Europe. M. Marini a raison de dire qu'il s'agit aussi d'un texte de réforme de l'État ; effectivement, ce n'est pas un texte financier, mais un texte d'engagement pour l'avenir. La France se pose des questions qu'elle ne s'était plus posées depuis longtemps, celles liées à l'investissement !
C'est aussi un texte Janus : il suit deux logiques. Il prévoit des dépenses qui creusent le déficit budgétaire, mais il nous projette vers l'avenir. Il n'a rien d'illusoire, monsieur le président de la commission des finances, ni de « magique », pour reprendre le terme utilisé par votre homologue à l'Assemblée nationale. Les 35 milliards d'euros d'investissement ne doivent pas avoir un impact trop négatif sur le solde budgétaire, tout en ayant l'effet le plus grand sur l'économie.
S'agit-il de débudgétisation ?
Mme Nicole Bricq. - Bien évidemment !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Monsieur le ministre, j'ai parlé d'illusion « budgétaire » : car les dépenses supplémentaires sont de 35 milliards d'euros dans le budget 2010 alors que les dépenses effectives ne dépasseront pas 4 milliards ; et pour le budget 2011, on n'annonce pas de dépenses supplémentaires alors que nous écluserons des dépenses qui seront passées, en apparence, dans le budget 2010.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Autrement dit, c'est un texte habile.
M. Éric Woerth, ministre. - C'est la construction financière du texte qui est ainsi. Le programme -qui a été transmis à Bruxelles- engendrera aussi des recettes nouvelles ; et les dépenses du plan de relance n'auront qu'un temps. Vous le savez, vous qui participez à la conférence du déficit public, ou au groupe de travail sur l'assurance maladie, ou à celui sur les finances sociales, ou sur les dépenses locales : nous n'édulcorons pas la réalité, nous l'affrontons et nous débattons ouvertement du meilleur pilotage possible de la dépense publique. Nous tenons compte de l'impact de la crise, qui a bouleversé les finances publiques.
M. de Montesquiou comme le rapporteur général rappellent que la France est bien notée, qu'elle bénéficie d'une image de sérieux qu'il faut préserver. Ils nous engagent à respecter le pacte de stabilité : en temps normal, bien sûr, mais pas en période de crise, la distinction figure dans le pacte. Mais j'y insiste, le rééquilibrage des finances publiques est au coeur des politiques de l'État, l'assainissement est poursuivi sur tous les fronts. Ce matin encore, le Président de la République a demandé aux partenaires sociaux d'inscrire dans l'agenda social la réforme des retraites, réforme structurelle s'il en est.
Mme Bricq évoque un différend avec la Cour des comptes : un différend, oui, mais pas une polémique. Le Gouvernement a le droit de s'exprimer et de répondre aux observations de la Cour. Celle-ci estime que l'accélération du déficit est due à la crise à 90 % ; à notre avis le pourcentage correct est 100 %.
Mme Nicole Bricq. - Ce n'est pas ce que la Cour a dit.
M. Éric Woerth, ministre. - Cour des comptes et Gouvernement étayent leurs affirmations respectives ; et la Cour n'a pas forcément raison, le Gouvernement pas forcément tort. Sur les réformes fiscales, M. Dominati nous encourage à continuer à baisser les impôts, comme les Allemands. Ceux-ci, par la voix de M. Schäuble, ont effectivement produit des annonces en ce sens. Mais la France a déjà fait des efforts non négligeables en ce domaine. Le crédit d'impôt-recherche, n'est-ce pas une baisse d'impôt ?
Mme Nicole Bricq. - Pour le dire franchement, on ne sait pas vraiment ce que c'est...
M. Éric Woerth, ministre. - L'imposition forfaitaire annuelle des entreprises représente 1,4 milliard d'euros, et elle a été supprimée. Et la suppression de la taxe professionnelle, qu'est-ce sinon une baisse d'impôt ? La fiscalité était trop lourde en France, il fallait restaurer notre compétitivité à cet égard.
Il n'y avait pas eu depuis les grands plans d'investissement des années 60 pareils programmes d'investissement. Notre pays avait des retards stratégiques à combler, la commission Juppé-Rocard devait déterminer comment procéder. Nous avons décidé une intervention massive, avec des priorités clairement définies.
S'agissant du numérique, M. Retailleau a été très précis. J'indique que le milliard d'euros s'ajoute aux 750 millions de la Caisse des dépôts pour les zones moyennement denses.
Il y aura bien en outre 750 millions de subventions pour la couverture des zones peu denses qui seront versés au fonds national pour la société numérique, ce qui permettra d'abonder le fonds d'aménagement numérique du territoire. Si l'on peut trouver plus simple, il faudra évidemment le faire, mais il s'agit bien de crédits supplémentaires.
Je remercie le groupe de l'Union centriste de son soutien. Les priorités seront délimitées et nous avons préféré faire appel aux marchés plutôt qu'à nos concitoyens, car c'était la solution la moins chère et donc la plus raisonnable. Je regrette que M. Chevènement ait été d'accord avec nous a priori et moins a posteriori. En France, toute mesure peut être qualifiée d'usine à gaz, ce qui est d'ailleurs normal car nous vivons dans un monde compliqué, juridiquement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Nous sommes un vieux pays !
M. Éric Woerth, ministre. - Pourtant, il ne s'agit pas ici d'une usine à gaz, car le dispositif est limité dans le temps et le mode de gouvernance associe l'expertise aux pouvoirs législatif et exécutif. Assez vite, des projets vont être retenus et lancés pour provoquer un surcroît de croissance. (Mme Nicole Bricq en doute) Or, c'est bien le but recherché !
M. Foucaud a déploré le peu d'évolution du pouvoir d'achat. Or, il a augmenté de 2,2 % l'année dernière. Tout le monde pense le contraire, mais c'est un fait : il y a eu très peu d'inflation et de nombreuses augmentations de prestations sociales. Le pouvoir d'achat des fonctionnaires a, quant à lui, augmenté de plus de 3 %. Le pouvoir d'achat a donc résisté de façon assez exceptionnelle en ces temps de crise. Nos concitoyens les plus modestes ont été plus protégés dans notre pays que dans bien d'autres durant cette crise. Il s'agit maintenant de tout faire pour qu'ils profitent de la sortie de crise.
M. Etienne a fait un discours remarquable sur l'enseignement supérieur et sur la recherche. Or, ils sont tous deux au coeur de ce grand investissement : 19 milliards de fonds, dont une bonne partie ne sera pas directement consommable. Seuls les intérêts permettront de financer les dépenses d'investissement, notamment dans les campus d'excellence et dans les universités qui ont des points forts. Certes, il est toujours possible de mettre plus d'argent, mais notre effort est juste et fondé. En outre, l'Agence nationale pour la recherche est un partenaire incontournable en ce domaine.
J'en viens aux infrastructures de transport évoquées par M. Teston. Nous ne sommes pas en retard dans ce domaine par rapport à nos voisins et nous n'avons pas voulu que le grand emprunt finance des infrastructures de transport pour éviter la critique de débudgétisation qu'auraient pu formuler le président ou le rapporteur général de la commission des finances. (Sourires) Les investissements pour ces infrastructures sont déjà prévus dans divers plans, souvent cofinancés par les collectivités. En outre, ce n'est pas parce que nous décidons d'un grand emprunt que le budget de l'État ne va plus prévoir d'investissements !
Concernant la filière industrielle de l'aluminium, je suis à titre personnel tout à fait favorable à ce que l'étude réclamée par M. Vial soit menée. Je transmettrai cette demande à Mme Lagarde et à M. Borloo. Notre pays s'est effectivement désengagé de ces industries électro-intensives et j'en suis d'autant plus attristé que j'ai travaillé plusieurs années chez Péchiney. Je suis sûr que la France peut jouer un rôle dans la production d'aluminium.
MM. Marini, Retailleau et Etienne ont parlé de débudgétisation. Cette critique n'est pas fondée.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il s'agit d'un simple constat !
M. Éric Woerth, ministre. - Je ne partage pas ce constat ! (Sourires) Les crédits sont ouverts sur le budget de l'État. La débudgétisation, cela aurait consisté à autoriser les opérateurs à emprunter directement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est bien vu !
M. Éric Woerth, ministre. - Or, l'État va leur donner de l'argent et il va en vérifier la bonne utilisation.
Mme Nicole Bricq. - C'est de la trésorerie !
M. Éric Woerth, ministre. - Tout le monde va bien regarder comment les choses se passent. Le mécanisme de contrôle administratif ne devra pas étouffer les projets. Sur le plan budgétaire, les opérateurs disposeront de crédits ouverts dans le cadre de programmes. Le schéma est sans doute original mais il permet de préserver l'identité propre de cet emprunt.
Imaginez notre débat si nous avions décidé de créer de nouveaux opérateurs pour recevoir ces fonds, plutôt que de passer par Oséo et l'ANR ! Vous nous auriez alors à juste titre reproché de créer une usine à gaz. En outre, les opérateurs ne sont pas déconnectés de la politique de l'État : ils en font partie ! Les ministres exerceront leur tutelle sur eux. Il s'agit donc d'une autre façon de consommer des crédits budgétaires. Le contrôle sera étroit : les conventions seront préalablement transmises à vos commissions, deux sénateurs et deux députés siègeront dans les comités de surveillance, des documents budgétaires seront édités et il ne s'agira pas seulement de « jaunes » budgétaires, monsieur Chevènement. Les contrôles ne devront pas empêcher la consommation des fonds mais ils devront être étroits et réalisés par l'exécutif et le Parlement. De plus, le Gouvernement sera favorable à un certain nombre d'amendements que vous présenterez en ce domaine.
Le financement de l'emprunt sera compensé par une diminution des frais de fonctionnement de l'État. La charge des intérêts sera plus importante à partir de 2011.
Enfin, M. Arthuis posait la question de la taxe carbone. Il se demandait quel véhicule législatif porterait cette taxe. Collectif ou texte spécifique, je ne sais pas encore, mais il pourrait s'agir d'un véhicule hybride. (On rit)
(Applaudissements à droite)
Question préalable
M. le président. - Motion n°116, présentée par M. Foucaud et les membres du groupe CRC-SPG.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (n° 276, 2009-2010).
M. Bernard Vera. - Ce collectif doit être jugé à l'aune de la situation économique internationale.
Depuis quelques mois, plusieurs pays, dont le nôtre, donnent des signes de reprise économique, même s'il convient de les relativiser à la lecture des indices fournis par l'Insee sur la récession en 2009, récession évaluée à 2,2 %.
L'économie américaine semble avoir repris de la vigueur et tout laisse penser que le gouvernement des États-Unis souhaite la faire fructifier pour son propre compte. Nous assistons à des mouvements décuplés de spéculation sur les matières premières, ainsi qu'à une offensive vigoureuse sur la dette obligataire des pays de la zone euro les plus fragilisés, une offensive pilotée notamment par les fonds de pension américains. Les hedge funds anticipent de confortables plus-values pour ceux qui joueront à la fois de la progression des taux d'intérêt consentis par les pays émetteurs et de la remontée prévisible de la parité euro-dollar. Alors que certains d'entre eux sont encore empêtrés dans les créances douteuses du marché immobilier américain, ils s'apprêtent à se refaire une santé sur le dos des pays européens les plus fragiles. Nous sommes passés de la vertueuse et éphémère indignation des sommets du G20 à une crise obligataire.
Les États de la zone euro, qui se sont endettés pour soutenir les activités bancaires et éviter l'explosion du système, font face aujourd'hui à des acteurs de marchés qui ont repris leurs mauvaises habitudes de spéculation. Pour la moralisation et la régulation du capitalisme, il faudra encore attendre ! La potion d'austérité qu'on prépare à la Grèce se traduira par des mesures très dures : baisse du nombre et de la rémunération des fonctionnaires, allongement de la durée de cotisation pour la retraite, hausse des impôts de consommation et autres dispositifs frappant les plus nombreux, c'est-à-dire les moins riches. Si l'Europe avait eu un sens, elle aurait aidé ce pays à se reconstruire après le désastre de deux étés d'incendies ; elle aurait mis à sa disposition un dispositif de lutte contre les maux endémiques dont elle souffre, la fraude fiscale et l'économie informelle.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La Grèce n'est pas une colonie européenne !
M. Bernard Vera. - D'autres pays sont ciblés par les spéculateurs, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, l'Irlande, qui ont en commun un déficit public élevé, une activité économique fortement ralentie, un chômage en rapide augmentation et une dette publique galopante. Ils sont totalement en dehors des clous maastrichtiens.
La convergence des politiques économiques des États membres de la zone euro se fait sur le fondement d'objectifs erronés, notamment la stabilité de la monnaie ; elle se nourrit d'une course exténuante au moins-disant social et fiscal, alimentée qu'elle est par la concurrence exacerbée entre les territoires. C'est cette même logique qui précarise le marché du travail et privatise les services publics. Ratifier Lisbonne, c'est ratifier des politiques de liquidation du service public, c'est ratifier des politiques budgétaires qui associent baisse des impôts et baisse des dépenses publiques, des politiques qui elles-mêmes conduisent à l'expansion constante des marchés obligataires.
Nous ne pensons pas que la France coure le risque d'être attaquée comme la Grèce, notamment parce que sa dette publique trouve facilement acquéreur sur les marchés financiers. Finissons-en donc avec cette idée que la dette deviendrait insupportable pour les finances publiques. A moins que le discours catastrophiste ne serve à justifier par avance les coupes claires à venir dans les dépenses publiques pour revenir aux sacro-saints 3 % et la cure d'austérité que l'on s'apprête à administrer à nos concitoyens.
J'en viens au grand emprunt. Certains le critiquent au motif qu'il crée de la dette supplémentaire. Mais de cette dette, mes chers collègues de la majorité, vous qui votez sans sourciller depuis 2002 toutes les lois de finances qu'on vous présente, vous êtes comptables devant les Français. Son encours est passé de 717 milliards d'euros en 2002, soit 40 % PIB, à 1 148 milliards fin 2009 ; ce sont vos choix budgétaires, vos mesures fiscales, vos politiques industrielles et économiques qui ont produit ces 431 milliards supplémentaires, malgré des coupes régulières dans les dépenses publiques, malgré la suppression de dizaines de milliers d'emplois publics, malgré les transferts de charges non compensés aux collectivités territoriales. Pour ne rien arranger, la durée de vie moyenne de la dette s'est réduite de cinq mois depuis 2007 -il nous faut rembourser plus vite ce qui a été emprunté.
Ce collectif suit la même logique. Il ignore le handicap dû aux mesures fiscales antérieures, dont l'efficacité est nulle -quand elles ne sont pas contreproductives- et poursuit les coupes dans les dépenses publiques. Pour certains, la France sortirait des clous européens en lançant le grand emprunt ; ce n'est pas notre sentiment. Ce qui nous pose question, en revanche, outre qu'il vient au secours de projets déjà lancés, c'est qu'il fait porter par le budget des dépenses de recherche et de développement que les entreprises se refusent à porter. Il est la énième déclinaison du principe « privatisation des profits, socialisation des pertes », qui est la marque des politiques libérales autoritaires partout dans le monde.
Le grand emprunt confie en outre dangereusement nombre de politiques publiques essentielles -énergie, transports, nouvelles technologies- au seul bon vouloir des entreprises leaders du secteur, et risque de détourner l'essentiel des efforts des établissements de recherche vers les créneaux susceptibles d'être financés, au détriment des autres. Et il y a fort à parier que les engagements pris en matière de recherche justifieront demain la réduction de la dépense publique d'équipement et pourquoi pas l'extinction du budget civil de recherche et développement.
Avec le grand emprunt, le Gouvernement vient au secours de la rentabilité d'opérateurs choisis. Il serait dommage que les 500 millions prévus pour la numérisation documentaire servent à assurer les bénéfices de Google ! C'est pourtant ce qu'on nous propose d'entériner. C'est d'autant plus regrettable que l'État aurait pu se passer de cet emprunt en entrant dans le capital des banques en difficulté et en décidant de leurs choix d'investissement ! La réduction de l'impôt sur les sociétés, la fiscalisation de la sécurité sociale, la suppression de la taxe professionnelle creusent le déficit sans régler les problèmes de localisation des activités, de maintien de l'emploi et d'investissement des entreprises. L'an dernier, l'État a versé plus de 30 milliards d'euros de remboursements divers au titre de l'l'impôt sur les sociétés, mais l'investissement productif a baissé de 7,6 %...
Ce collectif ne répond en rien aux exigences du temps. Pire : demain, pour cause de dette, de grand emprunt, de réduction des déficits, on attaquera le droit à la retraite à 60 ans, le statut de la fonction publique, les garanties des salariés. La cure d'austérité qui vient pour que la France satisfasse aux normes européennes en 2013 ou 2014 sera aussi amère que celle que les Grecs vont subir, tandis que les privilèges des grands groupes et des ménages les plus fortunés ne sont pas remis en question. C'est pourtant par là qu'il faudrait commencer.
Nous ne pouvons qu'inviter le Sénat à adopter cette motion. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La commission n'est guère enthousiaste ... (Sourires) D'autant qu'elle pense avoir analysé ce collectif de la manière la plus pertinente possible. Elle trouverait vraiment frustrant d'avoir à classer son rapport et ceux des commissions saisies pour avis... Il ne faut vraiment pas voter la question préalable. Et il est urgent d'entrer dans la discussion des articles.
M. Éric Woerth, ministre. - C'est avant tout urgent pour la France ! La situation grecque, monsieur Vera, n'est pas comparable à la nôtre. L'Eurogroupe se réunit aujourd'hui pour donner suite aux décisions du récent conseil européen. Vous avez évoqué un plan d'austérité. Aucun n'est en préparation, ni dans les esprits. Simplement, l'assainissement des finances publiques est une préoccupation largement partagée au plan mondial. Quand la dépense publique galope, en réduire le rythme de progression est une nécessité et un devoir. La réponse n'est pas toujours plus d'argent. A un moment donné, il faut bien que quelqu'un paie ; et selon l'endroit où on se trouve, on a toujours de bonnes raisons de faire payer les ménages ou les entreprises, le public ou le privé, les riches, les fonctionnaires, son voisin. Le fil directeur de toutes les réformes que nous conduisons, de tout notre travail sur la dépense, c'est l'équité. Ce sera aussi celui de la réforme des retraites.
Le grand emprunt, ce n'est pas du recyclage, nous le verrons au fil des projets ; ce n'est pas plus une entreprise de privatisation. Au contraire, l'État intervient massivement dans des domaines qui souffrent d'un manque de la compétitivité.
C'est pourquoi nous lançons cet amorçage public en espérant que son effet levier sera important.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de repousser cette motion.
Mme Nicole Bricq. - Je comprends les raisons pour lesquelles le groupe CRC-SPG a déposé une motion par laquelle il n'y aurait pas lieu de poursuivre la délibération. Mais le groupe socialiste pense qu'il y a lieu de délibérer. La réponse du ministre n'est pas juste : il a parlé d'équité ! Vous pouviez tout à fait vous dispenser d'emprunter 22 milliards sur les marchés financiers : c'est moins de la moitié du montant des niches fiscales !
Vous débudgétisez mais vous gagez les intérêts de l'emprunt sur la réduction des dépenses budgétaires ! D'où la politique insensée menée à l'éducation nationale. Ou ces plans-crèches dont les collectivités locales supporteront les charges de fonctionnement. Faire des investissements sans en assurer les dépenses de fonctionnement, c'est insensé.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Le groupe UMP votera contre cette motion.
D'abord, les premiers indices positifs de sortie de crise sont le résultat des réformes déjà amorcées et il serait absurde de ne pas mettre en oeuvre ce collectif et ce grand emprunt. Ensuite le montage de l'opération est extrêmement astucieux, qui permettra d'engager le processus de diminution du déficit. Enfin, il est sage de précompter les intérêts sur les dépenses ordinaires de fonctionnement : cela va dans le sens de la diminution des dépenses publiques.
M. Thierry Foucaud. - Il y avait d'autres choix budgétaires pour l'indispensable remise en ordre des comptes publics. La dette trouve son origine dans vos choix fiscaux plus que dans les dépenses publiques. Depuis plusieurs années les prélèvements obligatoires d'État ne progressent plus et la part des dépenses budgétaires dans le PIB stagne, voire régresse. Avant de mettre en cause les dépenses publiques, mieux vaudrait vous interroger sur les dépenses fiscales. Celle de l'impôt sur le revenu est supérieure à 40 milliards ! Toutes ces niches ont-elles une efficacité économique ? De même l'impôt sur les sociétés est miné par les dérogations, crédits d'impôt et autres exemptions. Un seul exemple : plus une entreprise est dangereuse et paie de cotisations AT/MP, moins elle paie d'impôt puisque ces cotisations sont déductibles. De même pour la fiscalité du patrimoine et celle des plus-values. C'est en réformant la fiscalité que vous diminuerez le déficit.
Les dépenses publiques permettent aux fonctionnaires d'assurer leurs missions de service public, elles financent des infrastructures qui dynamisent l'activité économique. Réduire ces dépenses, c'est mettre en danger la croissance. Nous vous invitons à voter cette motion.
La motion n°116 est mise aux voix par scrutin public ordinaire.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 211 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 106 |
Pour l'adoption | 24 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.