Délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre.
Discussion générale
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. - Que la culture ne soit pas une marchandise comme les autres, un marché comme un autre, nous en sommes convaincus. Qu'elle soit porteuse de valeurs particulières, d'intérêt général, qui échappent à la logique marchande et participe de la qualité de notre vivre-ensemble, c'est ce qui fonde le champ de cette exception culturelle, qui fait la force et de notre culture et de notre économie.
Au sein du champ culturel, le livre occupe une place spéciale, centrale. Il est la propédeutique par excellence de la complexité et de la profondeur. Ce qui implique de prendre en compte sa temporalité propre : nous ne sommes pas dans l'immédiat ni dans le zapping, mais dans la durée et la patience, et ce temps se reflète dans toute la chaîne du livre. Le récit de Borges, Le Livre de sable, est emblématique : si l'on trouve le même élément dans le livre et dans le sablier, c'est bien parce que le livre entretient un rapport particulier au temps. Le livre est fait de l'étoffe du temps ; le livre est même, d'une certaine façon, le temps.
Cette exception culturelle ne signifie nullement que la culture, retirée dans je ne sais quelle tour d'ivoire, ferait exception à la règle économique. Tout montre le contraire, à commencer par la résistance des industries et services culturels à la crise. Pour protéger le livre, les valeurs dont il est porteur et le secteur économique qui les soutient, l'État doit intervenir par la régulation, comme il l'a fait pour protéger le droit des auteurs sur internet avec Hadopi ou favoriser le développement d'une offre légale pour les internautes. Cette politique de régulation remonte à l'époque des Lumières, avec la lutte, déjà, pour fonder et défendre le droit des auteurs face aux contrefaçons.
Plus récemment, la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre a été une grande loi de régulation : la même règle pour tous, non pour uniformiser, mais pour donner libre cours à la diversité des ouvrages et des regards dont ils sont porteurs. Le paradoxe n'est qu'apparent : l'unité de prix est la meilleure façon d'éviter que les petits éditeurs et les petites librairies ne soient victimes de la force de frappe des puissants. C'est la règle qui confirme l'exception, la régulation qui fonde l'exception culturelle.
Or la loi de modernisation de l'économie, ô combien pertinente, qui a pris effet au 1er janvier 2009, risque de mettre en péril le secteur du livre : elle plafonne à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires le délai maximal de paiement entre les entreprises. Afin de repousser l'échéance, et conformément à la loi qui prévoit la possibilité d'un échelonnement jusqu'au 1er janvier 2012, trois accords interprofessionnels ont été signés entre imprimeurs, éditeurs, libraires, grandes enseignes de distribution et sites de vente en ligne. Un décret du 26 mai 2009 a validé ces accords et étendu la dérogation à tous les acteurs du secteur. Mais ces accords ne font que repousser de quelques mois un plafonnement des délais de paiement inadapté au secteur. Pour éviter cette épée de Damoclès, il fallait modifier durablement la règle.
Le commerce de la librairie pratique des délais de paiement d'une centaine de jours en moyenne, la rotation des stocks étant plus lente et l'exposition au public plus longue. Ces délais peuvent dépasser 150 jours, voire 180 dans certains cas. L'industrie du livre s'inscrit dans un temps long, en contradiction structurelle avec le plafonnement des délais de paiement. Ce temps long a pour corollaire une grande diversité éditoriale : 60 000 nouveautés chaque année, près de 600 000 titres disponibles. Cette diversité est une chance et témoigne du talent de nos auteurs et du dynamisme des éditeurs ; elle est aussi le fruit de l'action des pouvoirs publics en matière de régulation de l'économie du livre et de l'édition.
La réduction des délais de paiement amplifierait les difficultés des librairies et limiterait le nombre de créations et de transmissions de ces commerces. Elle réduirait la durée de vie des livres en librairie, favorisant de ce fait les titres de grande diffusion au détriment des ouvrages de création. L'exception culturelle est ici, comme souvent, au service de l'excellence. Cette fragilisation du secteur de la distribution risquerait en outre d'affaiblir le secteur de l'édition, donc de l'offre éditoriale adressée aux lecteurs.
L'application de la LME au secteur du livre risquerait encore d'entraîner une délocalisation des marchés français de l'impression de livres, puisque les imprimeurs français consentent actuellement aux éditeurs des délais importants, de l'ordre de 125 jours. Les relations commerciales en amont des imprimeurs doivent aussi être prises en compte. A défaut, les imprimeurs se retrouveraient tiraillés entre les délais très longs qu'ils devraient continuer à consentir à leurs clients et les délais très courts qui leur seraient imposés par leurs fournisseurs.
Cette interdépendance des maillons de la chaîne exige une réponse globale et coordonnée, c'est l'objet de ce texte. Car la régulation, loin d'être une décision autoritaire, consiste bien à offrir les conditions de la liberté, dans la plus pure tradition républicaine : c'est sa souplesse qui fait sa force et qui garantit son efficacité.
Ce texte permettra de définir conventionnellement et librement les délais entre tous les acteurs de la chaîne du livre pour l'ensemble des opérations liées aux achats, aux ventes et aux livraisons de livres, y compris pour celles rémunérées sous forme de commissions. L'exception au plafonnement des délais de paiement s'appliquera aussi à l'ensemble des opérations de façon qui concourent à la fabrication de livres, notamment la composition, la photogravure, l'impression, le brochage ou encore la reliure, et concernera également les achats de consommables dédiés à une activité d'impression, de brochage, de reliure ou d'édition de livres.
Tout le monde y a intérêt : les auteurs et les éditeurs, qui verront leurs livres exposés plus longtemps ; les libraires, qui pourront accepter davantage de livres, et notamment des livres plus exigeants et de vente plus lente ; enfin les lecteurs, qui auront un choix plus large.
Au-delà de la régulation, l'État soutient ce secteur clef de l'édition par une mise de fonds continue, par des actions comme la création, l'an dernier, du label de « Librairie indépendante de référence ». Dans le même esprit, le budget alloué par le Centre national du livre au secteur de la librairie a été triplé, et nous avons mis en en place un fonds de soutien spécifique pour la transmission des entreprises de librairie. Avec la mise en place de structures régionales, l'État, au côté des collectivités territoriales, accentue ainsi son soutien à la diffusion du livre.
L'enjeu est considérable : il en va de la viabilité économique du secteur, de la pluralité de l'offre et, conséquemment, de l'accès de chacun à l'offre culturelle.
Le secteur du livre constitue la première industrie culturelle en France, avec un chiffre d'affaires de près de 5 milliards. Cette réussite exemplaire permet au secteur du livre de reposer sur des bases économiques solides : la politique de soutien et de régulation par les pouvoirs publics n'y est pas étrangère.
Aussi, à l'heure où ce secteur se trouve confronté à des mutations technologiques historiques, devons-nous l'accompagner dans sa révolution numérique. C'est pourquoi il est important, comme le Président de la République l'a demandé lors de ses voeux au monde de la culture, que les dispositions de la loi de 1981 puissent être étendues rapidement au livre numérique et que les moyens mis en oeuvre par le Centre national du livre pour soutenir les éditeurs dans la numérisation des ouvrages de fonds, soient augmentés. La mesure d'exemption du plafonnement des délais de paiement favorisera le développement d'une offre numérique légale.
Je suis donc très favorable à ce texte, qui prend en compte la spécificité profonde du livre et de son secteur, celle de la longue durée, qui est le sceau de sa temporalité, et qui l'inscrit dans la logique d'une exception nécessaire et constructive, dans une politique résolue du livre et de la lecture. Oui, le livre doit continuer à faire exception à la règle générale des autres échanges économiques dont traite la LME.
Je me réjouis du consensus exceptionnel qui a prévalu à l'Assemblée nationale, qui a adopté ce texte à l'unanimité le 1er décembre 2009. L'enjeu est, je crois, partagé : l'essor de cet extraordinaire sésame de la culture qu'est le livre. J'espère vivement que vous ferez également droit à cette nécessaire exception culturelle du livre ! (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Ce texte, adopté l'unanimité par l'Assemblée nationale le 1er décembre dernier, et par notre commission le 16 décembre, traduit l'une des propositions du rapport du groupe de travail du Conseil du livre auquel j'ai participé avec M. Lagauche : je m'en réjouis et je remercie la commission de m'avoir confié ce texte pour mon baptême du feu en tant que rapporteur.
On parle souvent d'exception culturelle, mais cette dernière recouvre des secteurs très divers. Avec les lois Hadopi, nous nous sommes préoccupés des filières musicales et cinématographiques, pour lutter contre le piratage et développer l'offre légale des oeuvres sur internet. Aujourd'hui, nous nous attachons au livre, qui représente un chiffre d'affaires de 3 milliards et près de 70 000 éditions par an. « Les livres sont la lumière qui guide la civilisation » : nous faisons nôtre cette phrase de Franklin Roosevelt.
L'article 21 de la LME, devenu l'article L. 441-6 du code de commerce, plafonne les délais de paiement entre entreprises à un niveau très inférieur aux usages de la filière du livre. A compter du 1er janvier 2009, ces délais de paiement sont passés à 45 jours fin de mois ou à 60 jours calendaires à compter de la date de facturation, et à 30 jours en l'absence de convention entre les parties. La LME prévoit la possibilité de reporter au 1er janvier 2012 le raccourcissement des délais de paiement dans le cadre d'accords interprofessionnels au sein d'une branche. Les professionnels du livre ont exercé cette option, trois accords interprofessionnels ont été signés à cette fin, qui ont reçu un avis favorable de l'Autorité de la concurrence le 9 avril 2009 ; ils ont été validés par un décret du 26 mai 2009 et étendus à l'ensemble des acteurs du secteur du livre, de l'édition et l'imprimerie aux réseaux de distribution.
Mais ces accords prévoient seulement une application progressive de la réduction des délais de paiement : à 180 jours fin de mois au 1er janvier 2009, 150 jours fin de mois au 1er janvier 2010, 120 jours fin de mois au 1er janvier 2011 et à 60 jours fin de mois au 1er janvier 2012. Or, si la LME a des effets vertueux pour l'ensemble de l'économie, protégeant les PME des distributeurs, son impact est dangereux pour la filière du livre où les PME se trouvent plutôt du côté des clients que des fournisseurs, c'est-à-dire des libraires plutôt que des éditeurs et où le prix du livre est réglementé -ceci depuis toujours, exception faite de l'entre-deux-guerres et des années 1978 à 1981.
Hervé Gaymard a rappelé devant notre commission qu'en 1981 Jacques Chirac et François Mitterrand avaient pris parti pour le prix unique du livre, et que la loi du 10 août 1981 avait été adoptée à l'unanimité. Celle-ci s'est révélée pertinente : c'est bien une loi de développement durable sur le plan culturel en permettant la diversité de l'édition, sur le plan économique en maintenant un réseau de librairies supérieur au réseau américain et sur le plan territorial compte tenu des enjeux en termes d'aménagement du territoire et de diffusion de la culture au plus grand nombre.
Le commerce de la librairie se caractérise par des délais de paiement particulièrement longs, 94 jours en moyenne. Cette spécificité économique va de pair avec une offre extrêmement diversifiée et des cycles d'exploitation très longs. Les livres publiés depuis plus d'un an représentent 83 % des titres vendus en librairie et plus de la moitié de leur chiffre d'affaires ; 40 % des titres vendus ont plus de cinq ans. Les délais de paiement peuvent s'élever à 180 jours en cas de création ou de reprise d'une librairie, de création d'un fonds éditorial, d'opération commerciale ou de difficultés de trésorerie. La réduction des délais de paiement amplifierait les difficultés de nombreuses librairies et, en favorisant les best-sellers, affaiblirait les éditeurs et appauvrirait l'offre éditoriale. Elle placerait aussi les imprimeries dans un étau entre les délais longs en amont et les délais courts de leurs fournisseurs, alors que les risques de délocalisation sont réels.
La proposition de loi adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 1er décembre dernier a pour objectif d'exempter définitivement la filière du livre du plafonnement des délais de paiement pour revenir au système conventionnel en vigueur avant la loi LME. L'Assemblée nationale l'a modifiée sur trois points : elle a jugé inutile de codifier une exception dont ne sauraient se prévaloir d'autres secteurs ; elle n'a pas maintenu les opérations de vente par courtage dans le champ du texte ; il lui est apparu nécessaire d'inclure l'imprimerie dans le dispositif, en ce qui concerne le secteur du livre, ce dont je me réjouis car ses délais de paiement sont de l'ordre de 125 jours vis-à-vis des éditeurs et de 90 pour ses consommables.
Nous devons confirmer l'urgente nécessité de revenir au système conventionnel dans ce secteur. Grâce à un soutien qui ne s'est jamais démenti et dont la loi de 1981 marque une étape importante, la France peut s'enorgueillir de la vitalité de sa filière livre : la création est riche et le réseau des libraires dense. Mais ses fragilités sont réelles et il faut prendre soin avec vigilance à ne pas la déstabiliser.
Sur ma proposition, la commission de la culture a adopté le texte conforme et a soutenu son inscription rapide à notre ordre du jour. Je me suis interrogée sur le fait qu'il ne soit pas codifié mais l'urgence m'a conduite à écarter cet inconvénient. De même ai-je levé dans mon rapport écrit ce qui pouvait apparaître comme une ambiguïté rédactionnelle. Il y va en effet de l'exception culturelle et de l'accès à la culture.
Le texte ne règle pas tous les problèmes. Il serait utile de réfléchir à la pertinence de la proposition, formulée dans le rapport d'information du 26 septembre 2007, d'un médiateur du livre. Il est également urgent de réduire le taux de mise au pilon qui est aujourd'hui de 22 %.
La révolution numérique est en route. Les mutations technologiques sont plus subreptices et plus lentes que pour la musique, les professionnels n'en doivent pas moins créer rapidement des plateformes de téléchargement. La politique conduite depuis plusieurs années prend en compte ces nouvelles exigences -je sais que vous y êtes sensible, monsieur le ministre. La commission la soutient et le Sénat a adopté à son initiative un amendement au collectif 2009 augmentant les ressources du Centre national du livre pour financer les aides aux librairies de référence et à la numérisation des fonds des éditeurs privés. Nous avons déjà débattu de la numérisation des oeuvres patrimoniales et nous formons le voeu d'une intervention ambitieuse de l'État grâce au grand emprunt. Le rapport de M. Marc Tessier trace des pistes intéressantes.
La commission de la culture recommande l'adoption conforme de ce texte à l'unanimité. Une pièce sans livre est comme un corps sans âme, disait Cicéron. Puissent les citoyens du monde partager cette ambition ! (Applaudissements)
M. Jack Ralite. - La proposition de loi crée une dérogation à l'article 21 de la LME pour le secteur du livre. Le bilan global de cette loi que nous venons de dresser est très contestable. A l'heure de la crise financière, la libéralisation à outrance doit être dénoncée avec vigueur. Elle confond tous les secteurs au mépris du principe de l'exception culturelle. Or les biens culturels ne sont pas des biens comme les autres, mais des oeuvres de l'esprit dont la qualité est la variable d'ajustement.
Le texte d'Hervé Gaymard instaure pour les acteurs du livre une dérogation au plafonnement des délais de paiement, car le cycle économique y est en effet très long ; le secteur s'est empressé de signer deux accords interprofessionnels qu'il entend voir pérenniser. La loi de 1981 confère au livre un régime et une place particuliers dans notre droit. Réguler le secteur par la qualité plutôt que par le prix, c'est favoriser l'égal accès au livre, l'existence d'un réseau diversifié et la vitalité comme la diversité de l'édition. La loi LME est un danger pour le livre et ses acteurs, ainsi que pour la diversité et la qualité de l'offre culturelle française. Elle va à l'encontre de la loi sur le prix unique alors que les délais de paiement sont de 100 jours en moyenne. Les éditeurs permettent ainsi aux libraires de présenter la totalité de la production éditoriale, dont les nouveautés. Les livres publiés depuis plus d'un an représentent 83 % des titres vendus en librairie. La réduction des délais de paiement conduirait à une diminution de la durée de vie des livres et favoriserait les best-sellers au détriment d'ouvrages moins connus, d'où un appauvrissement de l'offre. Des librairies fermeraient comme en Angleterre avec la fin du Book Agreement et les éditeurs spécialisés seraient menacés.
Les récents rapports « Création et internet », et « Numérisation du patrimoine écrit » introduisent des problématiques qui me sont chères. Le 7 janvier, lors de ses voeux au monde de la culture, le Président de la République a repris la proposition d'une extension du prix unique aux ouvrages numériques. L'Autorité de la concurrence s'y est opposée dans un avis invoquant la régulation par le marché. Mais réguler ce secteur par le prix, c'est avantager les grands groupes et permettre des monopoles. L'Autorité de la concurrence agira-t-elle de même pour la taxe Google ? Cette proposition l'atteste, nous sommes tous attachés à ne pas faire du livre un simple bien marchand. Nul ne saurait critiquer l'importance du prix unique pour le livre numérique car ce qui importe est l'immatériel du livre, non son support.
L'initiative publique doit être au coeur de la numérisation du livre, du livre numérique. L'offensive monopolistique de Google, qui bafoue le droit d'auteur et dépossède le grenier de la mémoire humaine par une exclusivité imposée, consentie, cachée sur les ouvrages numérisés, cette offensive peut être stoppée. La démarche européenne, aujourd'hui un peu délaissée, est légitimée par ce rapport : c'est son intérêt. Il s'agit de sortir de situations que Google exploite à son profit et de rendre ses pratiques hors-la-loi -sans pour autant renoncer à la diffusion numérique. Google n'est pas inévitable. Sa force est de faire croire qu'il l'est. Google n'est pas un monstre sacré. A côté de lui, existent d'autres acteurs privés.
La grande presse a beaucoup titré sur Google. Il fallait oser publier, sachant ce que l'entreprise a fait en Chine, ce communiqué dans lequel on lit que les propositions du rapport Tessier s'inscrivent dans une logique de coopération qu'elle a toujours promue. La justice l'a prouvé, il s'agit d'une contre-vérité. Devient insupportable la pratique des autorités, comme la mise en oeuvre ségrégative de la taxe carbone et le tour de passe-passe de Mme Lagarde dans la taxation des bonus bancaires.
Le système de convention collective, c'est une imperfection du texte, présente l'inconvénient d'accorder dans les faits un poids de négociation plus important aux grands groupes qu'aux petits, alors même que l'objectif affiché est de les protéger. Du moins les petits libraires, car on part ici du principe que les éditeurs sont de grands groupes. Or sur les 10 000 éditeurs que compte la France, seuls vingt publient plus de 5 000 titres par an, et plus de la moitié moins de dix titres par an. Les douze plus grands éditeurs concentrent certes 80 % du chiffre d'affaires de l'édition, mais les éditeurs indépendants sont indispensables à la qualité et à la diversité du paysage littéraire de notre pays. C'est une ardente obligation démocratique.
Cette proposition de loi est indispensable : nous la voterons. M. Gaymard a fait des propositions positives, après M. Toubon, M. Cerruti, M. Tessier enfin : vous n'y êtes pas étranger. Si elles venaient en débat, nous les voterions. De grâce, ne laissez pas, ne laissons pas Google polluer le débat de ses arguments suaves, mais truqués et violents. Malraux disait du cinéma qu'il était aussi une industrie. Il faudrait dire aujourd'hui qu'il est d'abord une création, comme l'est le livre. L'éminent directeur de la bibliothèque de Harvard disait vendredi à la BNF, sous les applaudissements d'un grand auditorium comble, que la culture, qui est notre bien commun, ne saurait tomber sous le monopole de Google et que la culture dans toutes ses formes, depuis le papier jusqu'au livre numérique, doit rester un bien public.
Michelet disait que notre siècle, celui des grandes machines, des usines et des casernes a progressé vers la fatalité. Merveille du machinisme : se passer de l'humain. Mais nous ne sommes pas encore assez profondément mécanisés. Le défi est symbolique. Je ne me résoudrai jamais à être le compagnon de l'argent-roi. Le livre et la littérature sont dans le champ de la solidarité. Nous disons : pas touche ! Nous voterons ce texte. (Applaudissements au centre)
Mme Muguette Dini. - Le livre n'est pas un produit comme les autres. Vecteur historique du savoir et de la culture, il ne saurait être traité en simple marchandise. Rien d'étonnant donc à le voir régi par des règles dérogatoires au droit commun. Son marché est régulé, en France, depuis des siècles, sur le fondement d'une logique de qualité et de conseil, et non de prix. La loi du 10 août 1981, dite du prix unique du livre, n'a fait que retranscrire dans l'arsenal législatif de la Ve République la pratique constante d'un prix du livre administré. Un tel sanctuaire économique est-il toujours justifié ? Oui, à n'en pas douter. Mme Mélot a dit combien positif est le bilan de la loi de 1981. Sans cette loi, jamais le secteur de l'édition n'aurait pu conserver la richesse et le dynamisme qui le caractérisent.
La proposition de loi qui nous est soumise, votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, et qui l'a été de même par notre commission de la culture, propose d'exempter l'ensemble de la filière du livre du plafonnement des délais de paiement entre entreprises instaurée par l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie. Il s'agit d'autoriser par la loi le secteur du livre à continuer de définir, de manière conventionnelle, les délais de paiement entre fournisseurs et clients. Cet article 21, s'il est parfaitement justifié dans le domaine de la grande distribution, où il permet de protéger les fournisseurs -les petits- des grandes enseignes -les gros- ne saurait valoir pour le livre, où le rapport entre fournisseurs et points de vente est exactement inverse : le petit n'est pas le fournisseur, mais le libraire.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : un tiers des libraires indépendants seraient menacés en cas d'application stricte de la LME, alors qu'ils représentent 25 % des ventes et un lien humain qui ne se chiffre pas. Les délais standards ne correspondent absolument pas à ceux pratiqués dans le secteur du livre, où ils sont, en général, beaucoup plus longs.
L'article 21 de la LME ouvre la possibilité de conclure un accord dérogatoire sectoriel : on comprendra que les acteurs du livre s'en soient saisis. Cet accord a été signé le 18 décembre 2008 et étendu par décret du 26 mai 2009. Il ne s'agit cependant que d'une solution transitoire puisque le secteur devra progressivement réduire les délais et se conformer à la loi d'ici à 2012.
La seule solution est donc celle que propose ce texte : une mesure d'exemption complète en faveur du secteur du livre. C'est sans réserve que le groupe de l'Union centriste le votera. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)
M. Serge Lagauche. - La loi Lang a instauré en France le principe d'un prix unique de vente du livre, fixé par l'éditeur ou l'importateur. Votée à l'unanimité par le Parlement, cette loi a été renforcée en 2003 lors de la transposition en droit français de la directive européenne sur le droit de prêt.
Or, si la loi sur le prix unique du livre a été consolidée, elle a également fait l'objet d'attaques frontales, mais peut-être salvatrices, lors de l'examen de la loi de modernisation de l'économie. Salvatrices, car les interrogations suscitées par le dépôt -puis le retrait- par deux de nos collègues députés d'amendements tendant à réduire le délai pendant lequel les libraires ne peuvent procéder à des rabais importants sur le prix du livre furent à l'origine de la création, au sein du Conseil du livre, du groupe de travail, piloté par M. Gaymard, pour l'évaluation de la loi sur le prix unique du livre. J'ai eu l'honneur, avec Mme Mélot, d'y participer. Ses conclusions sont sans appel : la loi du 10 août 1981 reste pertinente, y compris à l'ère d'internet. Elle a permis la sauvegarde d'un réseau diversifié de diffusion et de distribution des livres, de plus de 3 500 librairies indépendantes, sur l'ensemble du territoire. Le dynamisme du marché du livre ne s'est pas démenti, avec une croissance de plus 3 % en moyenne par an, le nombre d'exemplaires vendus ayant progressé de 50 % entre 1986 et 2007.
La loi sur le prix unique du livre a en outre clairement soutenu la vitalité et la diversité de l'édition, permis la création de nouvelles entreprises innovantes et réactives, indispensables au paysage éditorial français, tout en permettant une offre large et diversifiée.
En instaurant un marché du livre régulé par la qualité et la compétence des libraires, et non par les prix, la loi Lang, qui fait l'unanimité chez les professionnels, a atteint son objectif. N'ayant pas à se battre sur les prix, les librairies, tous réseaux confondus, ont maintenu les ventes d'ouvrages de grande diffusion tout en préservant dans leurs stocks la présence d'ouvrages plus difficiles.
On comprendra que le vote de la loi de modernisation de l'économie fut, pour les professionnels, un coup de semonce. Son article 21 plafonne en effet à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires le délai maximal de paiement entre fournisseurs et distributeurs. L'objectif de la loi de modernisation de l'économie était de favoriser le développement des moyennes entreprises.
Or, si dans la distribution alimentaire, les PME sont pour l'essentiel des fournisseurs, il en va tout autrement dans le secteur du livre. En effet, le circuit des librairies est principalement composé de petites entreprises s'approvisionnant auprès de grands groupes, dont les deux premiers -Hachette livre et Editis- représentent 35 % des ventes, les douze premiers groupes de l'édition française réalisant 80 % du chiffre d'affaires global. La loi de modernisation de l'économie était donc inadaptée.
Une autre caractéristique majeure de l'économie du livre, totalement ignorée à l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, tient à la longueur des délais de paiement, une pratique permettant aux libraires de présenter au public l'ensemble de la production éditoriale. Ainsi, les livres publiés depuis plus d'un an représentent 83 % des titres vendus en librairie, où 40 % des ouvrages sont écoulés plus de cinq ans après leur publication.
Une étude réalisée par le Syndicat national de l'édition montre que le délai de paiement moyen se situe à 94 jours. Spécifique aux livres, la lenteur qui va de l'écriture à la diffusion permet à l'auteur de trouver ses lecteurs, grâce aux conseils avisés des libraires.
Comme je l'ai déjà indiqué dans mon dernier rapport budgétaire sur la création et le cinéma, raccourcir les délais de paiement aggraverait les difficultés de trésorerie rencontrées par de nombreux libraires, qui seraient contraints de privilégier les best-sellers, si vous voulez bien pardonner cet anglicisme. On fragiliserait ainsi la distribution des livres, donc l'ensemble de la chaîne.
La loi de modernisation de l'économie ayant permis à tout secteur d'échelonner la réduction des délais de paiement jusqu'au 1er janvier 2012, trois accords interprofessionnels ont été signés entre fin 2008 et début 2009. Ils ont été validés par un décret du 26 mai, qui a étendu la dérogation à l'ensemble du secteur du livre, depuis l'édition jusqu'au réseau de distribution. Toutefois, ces accords ne permettent qu'une réduction progressive des délais de paiement, qui devront être ramenés à 45 jours fin de mois ou à 60 jours calendaires le 1er janvier 2012.
Or, cette règle aurait rapidement suscité des difficultés. C'est pourquoi le groupe socialiste votera sans hésitation la proposition de loi déposée par M. Gaymard, d'ailleurs cosignée par plusieurs députés socialistes qui avaient déposé un texte analogue. Cette exemption se place dans la continuité de la loi sur le prix unique du livre en confortant l'économie fragile du livre physique.
Pour l'avenir, nous devrons rapidement traiter la numérisation, c'est-à-dire deux sujets : la numérisation du patrimoine et la commercialisation du livre numérique sous droits.
Dans les deux cas, nous devrons aborder les relations avec les opérateurs privés, notamment avec Google, d'autant plus que 80 % des 10 millions de livres qu'il a numérisés sont aujourd'hui sous droits. L'intervention publique s'impose dans le premier cas. A ce propos, notre groupe sera particulièrement attentif aux suites du rapport que vient de remettre M. Tessier sur la numérisation du patrimoine écrit. Dans le second cas, l'action publique doit accompagner celle des éditeurs, à qui le Centre national du livre doit apporter un soutien essentiel.
Pour l'instant, le marché du livre numérique est très restreint : il ne représente que 3 % de l'édition aux États-Unis et à peine 1 % en France. Plus que par le piratage, il est aujourd'hui préoccupé par la constitution de l'offre légale, encore freinée par l'insuffisante interopérabilité des matériels et des ouvrages.
Il est toutefois urgent d'anticiper les évolutions à venir, l'expérience du secteur musical devant servir de leçon. Nous prenons acte à ce propos de l'intérêt manifesté par M. Sarkozy pour le rapport Création et internet, qui vient d'être publié. Il faudra prendre en compte le récent avis formulé par l'autorité de la concurrence, qui refuse d'avaliser la transposition immédiate du prix unique au livre numérique. Présentant ses voeux au monde de la culture, le Président de la République a également préconisé la création d'une plateforme commune à tous les éditeurs et le passage à la TVA de 5,5 %. Nous attendons maintenant les décisions concrètes.
En 2008, le rapport de M. Patino sur le livre numérique proposait déjà de maintenir la valorisation du droit d'auteur par les éditeurs. C'est une question essentielle si l'on veut éviter que le marché ne soit capté par les acteurs multinationaux.
Une guerre des prix fragiliserait évidemment toute la chaîne française du livre. C'est pourquoi il est urgent d'agir auprès de la Commission européenne pour cesser d'opposer les consommateurs aux acteurs des filières économiques.
Montesquieu affirmait : « Les livres anciens sont pour les auteurs ; les nouveaux, pour les lecteurs. » Il faut aujourd'hui concilier les deux, quelles que soient l'ancienneté de l'oeuvre et la nature du support de diffusion. (Applaudissements à gauche et au banc de la commission)
Mme Françoise Laborde. - Une fois n'est pas coutume, nous abordons aujourd'hui un débat important dans la sérénité, la proposition de loi déposée par M. Gaymard ayant suscité l'honorable unanimité de l'Assemblée nationale puis de notre commission de la culture.
Ma voix ne détonnera pas dans ce concert, car ce texte est vital pour un secteur fragile mais primordial dans la vie de la Nation : le livre, donc la création.
En tendant à raccourcir les délais de paiement, la loi de modernisation de l'économie affichait l'objectif estimable de protéger les PME contre les demandes excessives de leurs clients. Le principal secteur bénéficiaire est celui de l'alimentation, où les PME se trouvent surtout du côté des fournisseurs. En revanche, ces dispositions sont particulièrement inappropriées pour le livre, dont elles déstabilisent les entreprises car les délais de paiement traditionnellement longs permettent aux libraires de présenter au public l'ensemble de la production éditoriale. N'oublions pas qu'il s'agit là du premier secteur culturel français, avec un chiffre d'affaires atteignant 3 milliards d'euros. En outre, nous devons impérativement protéger le livre et ses valeurs. C'est pourquoi l'État intervient pour réguler ce secteur. Nous avons déjà légiféré, toujours avec succès et dans un grand consensus politique : la loi du 10 août 1981 a été votée à l'unanimité.
Nous avons tous pris conscience, un peu tard, des difficultés induites par le raccourcissement des délais de paiement, qui obligerait les libraires à privilégier les succès assurés. Ce serait la fin d'une richesse et d'une diversité qui nous sont chers, tout en contribuant à la disparition des librairies indépendantes, dont la rentabilité est déjà l'une des plus faibles dans le commerce de détail. C'est pourquoi nous devons régler durablement cette question.
L'article unique de la proposition de loi permettra de déroger au nouveau droit commun quant aux délais de paiement des fournisseurs pour toute la filière du livre. Notre groupe a toutefois déposé un amendement, car la rédaction de l'Assemblée nationale pourrait laisser croire que la vente de livres n'est pas directement visée, alors qu'elle forme l'objet même du texte initial. Nous paraissons unanimes dans l'interprétation de l'article, mais il faut conforter sa bonne lecture : la dérogation s'applique premièrement aux ventes de livres, par extension aux activités de fabrication et de commercialisation, reprenant ainsi le périmètre couvert par la loi de 1981 relative au prix unique du livre.
Bien sûr, nous sommes conscients de l'urgence à légiférer, ce qui rend souhaitable l'application d'un statut dérogatoire dès ce début d'année.
A l'heure de la révolution numérique, il est fondamental de ne pas délaisser la politique du livre : la viabilité économique de tout le secteur est en cause, mais aussi l'accès de tous à la culture sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi le groupe RDSE votera la proposition de loi. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-François Humbert. - Difficile d'intervenir en dernier, quand tout a déjà été dit... Je me limiterai donc à quelques répétitions, car je souhaite également l'adoption du texte.
Le marché du livre occupe une place majeure en France, où plus de 5 000 points de vente forment un des réseaux de vente les plus denses au monde. Permettant un accès aisé aux livres, il constitue un atout pour l'aménagement du territoire et l'animation culturelle des villes. C'est pourquoi nous devons le protéger.
D'autres l'ont déjà dit : le livre n'est pas une marchandise comme une autre, car ce bien de consommation culturelle contribue à l'édification de la pensée.
Votée à l'unanimité, la loi du 10 août 1981 a institué un prix unique du livre, véritable modèle culturel français repris en Europe et dans le monde. Ce système évite une guerre des prix, ce qui permet aux libraires de présenter une offre diversifiée et aux éditeurs de prendre des risques sur certains ouvrages qui ont besoin de temps pour trouver leur public.
Au prix unique s'ajoutent des délais de paiement longs. Les conventions en vigueur prévoient une centaine de jours, correspondant au temps de la diffusion des livres, car ceux-ci ne trouvent pas leur public instantanément. La loi de modernisation de l'économie a cherché à protéger les PME contre des délais de paiement trop longs ; mais si dans la distribution alimentaire, ce sont les fournisseurs qui sont des PME, dans le secteur du livre, ce sont les détaillants. Une réduction des délais de paiement aurait des conséquences très dommageables pour la filière. Le rapport Gaymard conclut que « priver le secteur de délais de paiement longs réduirait la durée de vie des livres en librairie et en grande surface spécialisée » et favoriserait « les livres à grande diffusion au détriment des ouvrages à tirage plus réduit ». Ce serait contraire à la loi du 10 août 1981.
La LME autorisait des accords dérogatoires, ils ont été conclus dans l'ensemble de la filière du livre. Mais il est temps de sanctuariser ce régime dérogatoire au nom de l'exception culturelle. La proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par les députés, notre rapporteur nous recommande une adoption conforme. A l'heure où le secteur du livre doit relever de nouveaux défis et s'adapter au numérique, il faut protéger la filière. Le groupe UMP votera bien évidemment ce texte qui doit nous rassembler, au-delà de nos clivages politiques, pour marquer notre attachement au livre. (Applaudissements à droite)
Mme Claudine Lepage. - Mme Blondin ayant un empêchement, je reprends le flambeau... Ce texte est similaire à la proposition de loi des députés du groupe socialiste, radical et citoyen, tendant à exempter l'ensemble de la filière du livre du plafonnement des délais de paiement, pour revenir au système en vigueur avant la LME. Celle-ci a plafonné le délai à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires et ceux qui contreviennent à la règle s'exposent à des sanctions. Cette disposition est manifestement inadaptée pour le secteur du livre ; il faut aller au-delà des accords dérogatoires. Les cycles d'exploitation sont lents. Les livres parus depuis plus d'un an représentent 80 % des ventes. La centaine de jours de délai de paiement est donc indispensable dans ce secteur et l'application de l'article 21 de la LME aurait des conséquences catastrophiques. Au moins un tiers des librairies seraient menacées. Et les survivants seraient obligés de privilégier les livres de grande diffusion au détriment des petites publications, pour régler leurs factures à temps...
La loi du 10 août 1981 relative au prix du livre a sauvegardé un réseau de librairies dense et diversifié. La France compte davantage de points de vente de livres que les États-Unis entiers ! Pour préserver la diversité des publications, pour éviter de céder au règne de la rentabilité et du tout libéral, le prix unique du livre a prouvé son utilité. De nombreux pays l'ont aujourd'hui adopté. Il protège le livre du diktat économique et de la concurrence à tous crins. Nous voulons défendre les petites librairies et les petites maisons d'édition de la concurrence des grandes. Car le livre est un vecteur d'accès à la culture, de compréhension du monde et d'évasion. La démocratisation de la culture et l'accès des plus défavorisés au livre, voilà l'enjeu. Les collections de poche facilitent l'accès à la lecture, des jeunes notamment. Internet a lui aussi un grand rôle à jouer pour démocratiser la culture.
Mme Blondin souligne le rôle fondamental que jouent aussi les collectivités territoriales. Le conseil général du Finistère a ainsi voté un plan de développement de la lecture publique qui prend en compte les mutations technologiques ainsi que l'essor de l'intercommunalité. Ce plan a eu un réel impact. Les 220 bibliothèques du réseau touchent 880 000 habitants. Le ministère de la culture a du reste choisi pour 2010 la bibliothèque du Finistère comme l'un des cinq sites pilotes pour la mise en place d'un observatoire de la lecture publique nationale.
Le maillage territorial est ainsi essentiel pour transmettre le goût de la lecture aux jeunes générations. Voilà bien toute l'utilité de cette proposition de loi, maintenir un réseau de librairies indépendantes dense et décentralisé et soutenir la richesse et la diversité culturelles, la liberté d'expression, la création. La lecture est une expérience culturelle irremplaçable. Comme le formule l'écrivain québécois Michel Bouthot : « Un livre, c'est un navire dont il faut libérer les amarres. Un livre, c'est un trésor qu'il faut extirper d'un coffre verrouillé. Un livre, c'est une baguette magique dont tu es le maître si tu en saisis les mots ».
La discussion générale est close.
Article unique
Nonobstant les dispositions prévues aux huitième alinéa et suivants de l'article L. 441-6 du code de commerce, pour les opérations d'achat, de vente, de livraison, de commission ou de façon concourant à la fabrication de livres, ainsi que pour la fourniture de papier et autres consommables dédiés à une activité d'impression, de brochage, de reliure ou d'édition de livres, le délai est défini conventionnellement entre les parties.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme Escoffier et les membres du groupe RDSE.
Remplacer les mots :
de commission ou de façon concourant à la fabrication de livres
par les mots :
de commission de livres ou de façon concourant à leur fabrication
Mme Anne-Marie Escoffier. - C'est un amendement rédactionnel. La formulation de l'Assemblée nationale n'a pas la clarté d'expression d'un Boileau et relève plutôt des longues et belles pages de Proust. « Le livre » paraît faire référence à la seule fabrication, excluant l'achat, la vente, les livraisons, bref l'ensemble de la chaîne. Telle n'est pas l'intention du législateur ! Mais je ne doute pas que le rapporteur et le ministre sauront rassurer les professionnels.
Mme Colette Mélot, rapporteur. - J'avais envisagé une clarification rédactionnelle car l'ajout de l'Assemblée nationale est superfétatoire, mais il y a urgence à sécuriser les pratiques commerciales dans le secteur du livre et je n'ai pas voulu retarder l'entrée en vigueur du texte.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. - Madame, quoique je sois très frappé par l'affrontement que vous imaginez entre Boileau et Proust (on apprécie), mon souci, au-delà de ce conflit de générations entre deux géants de la littérature, est de vous rassurer. Si, par définition, toute rédaction peut être améliorée, la lecture qu'il faut faire de ce texte est tout à fait explicite. Nous voulons que les délais de paiement puissent être définis par conventionnement et librement pour l'ensemble des opérations liées aux achats, aux ventes et livraisons de livres, y compris celles rémunérées sous forme de commissions. Ceci s'appliquera également aux opérations de façonnage concourant à la fabrication de livres -la composition, la photogravure, l'impression, le brochage et la reliure- ainsi qu'aux achats de consommables dédiés à une activité d'impression, de brochage, de reliure ou d'édition de livres.
Adopter cet amendement rédactionnel retarderait l'entrée en vigueur de cette loi très attendue par la chaîne des livres. Car, si la moyenne des délais de paiement est de 100 jours, les délais négociés entre éditeurs et détaillants peuvent être supérieurs à 150 jours, voire à 180, dans de nombreux cas -création ou reprise de librairie, développement d'un nouveau fond éditorial, ouvrages de fond, difficultés conjoncturelles de trésorerie dont nous nous avons débattu tout à l'heure et opérations commerciales de l'éditeur. Nos débats permettront de lever toute ambiguïté. Ainsi donc, nous quittons le domaine de Du côté de chez Swann pour rejoindre celui du Lutrin de Boileau que vous semblez préférer. Retrait ?
Mme Anne-Marie Escoffier. - Monsieur le ministre, j'aurais voulu vous dire avec les vers de Ronsard combien j'apprécie ces explications précises qui rassureront pleinement les professionnels !
L'amendement n°2 est retiré.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Jacques Legendre. - Ce soir, le Sénat, après l'Assemblée nationale, montre qu'il ne saurait imaginer un monde où le livre n'aurait pas toute sa place. Il a pris toutes les dispositions pour que le livre ne soit jamais menacé dans notre pays, ce livre qui est au coeur de notre culture ! (Applaudissements à droite et au centre)
La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. - Merci aux honorables sénateurs, merci au rapporteur de son analyse précisée et détaillée. Je veux saluer avec émotion un pays ravagé par un séisme épouvantable. La poésie, la peinture, les expressions artistiques, en dépit de conditions de vie déplorables, y assurent le rayonnement de tout un peuple aujourd'hui terriblement éprouvé. Et l'on ne sait aujourd'hui dans quel état sont ses habitants, ses artistes et son patrimoine. Alors que nous avons voulu défendre unanimement l'un des secteurs les plus importants de notre expression culturelle, saluons les créateurs éprouvés d'Haïti, manière de faire un geste de solidarité envers d'autres créateurs. (Applaudissements)
M. le président. - L'assemblée, unanime, s'associe à ces propos.