Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat d'initiative sénatoriale « Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ? », programmé à la demande de la commission des affaires sociales.
Commission des affaires sociales
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. - L'année 2010 doit être l'occasion de remettre à plat notre système de retraite, affirmait le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès le 22 juin 2009. De fait, la modification des paramètres actuels apparaît inéluctable compte tenu de la dégradation des comptes de la branche vieillesse, accélérée par la crise. La première façon d'agir sur le pilotage du système de répartition consisterait à réduire le montant des pensions de retraite. J'exclus d'emblée ce scénario -j'y insiste car on me fait parfois dire le contraire- qui reviendrait à abaisser le niveau de vie des retraités, déjà peu élevé pour certains d'entre eux. Deuxième solution, la hausse des cotisations de retraite. Cette solution a le mérite de la simplicité. Mais, à moins que l'augmentation ne soit compensée par une diminution équivalente d'autres cotisations, elle pèserait sur la compétitivité de l'emploi et aboutirait à taxer plus fortement les jeunes générations que les précédentes, au risque d'affaiblir encore la solidarité intergénérationnelle. La troisième, privilégiée jusqu'à présent, est l'allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein. En 2003, il a été décidé de porter cette durée à 41 annuités en 2012.
Doit-on désormais la porter à 42, voire à 43 annuités ? Du fait de l'augmentation de l'espérance de vie, ce serait légitime, mais l'allongement de la durée de cotisation ne produit que des effets limités sur l'âge effectif de départ en retraite. Ainsi, selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), le recul de l'âge moyen de départ en retraite dû à la réforme de 2003 ne serait que de deux mois et demi dans le secteur privé et d'un an et demi pour les fonctionnaires.
En revanche, la remontée de l'âge légal de départ à la retraite aurait des effets plus importants. Fixé à 60 ans en 1983, cet abaissement avait été vécu comme un progrès social. Mais, aujourd'hui, la retraite à 60 ans contredit les évolutions démographiques. L'espérance de vie ne cessant d'augmenter, la période consacrée au travail au cours d'une vie est de moins en moins longue. En 1960, on passait près des trois quarts de sa vie au travail ; aujourd'hui, seulement la moitié. La logique voudrait donc que l'âge légal de départ en retraite soit repoussé, comme l'ont fait plusieurs de nos voisins européens.
Cependant, ce levier se heurte à deux obstacles de taille : le taux d'emploi des seniors et la pénibilité. La France présente malheureusement l'un des taux d'emploi des seniors les plus bas des pays développés : il n'est que de 38 %. Cette singularité résulte des politiques publiques menées depuis les années 1970 jusqu'à la fin des années 1990. Au nom de la sauvegarde de l'emploi, notre pays a incité les salariés les plus âgés à partir en préretraite pour laisser la place aux plus jeunes. Avec la multiplication des mesures d'âge, les seniors ont fini par être considérés comme inemployables. La politique de cessation anticipée d'activité des travailleurs âgés est devenue une véritable « culture de la sortie précoce », partagée par tous les acteurs du marché du travail.
Fort heureusement, cette tendance est en train de s'inverser. Je salue les efforts du Gouvernement à l'occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Lorsqu'il était ministre, M. Gérard Larcher avait voulu favoriser l'emploi des seniors, mais les partenaires sociaux n'avaient pas fait preuve d'un enthousiasme délirant.
M. le président. - L'enthousiasme était contenu ! (Sourires)
M. Dominique Leclerc, rapporteur. - C'est le moins que l'on puisse dire ! A l'époque, vous avez été bien seul pour mener cette nouvelle politique.
De réelles avancées en matière d'emploi des seniors ont eu lieu depuis grâce à la libéralisation du cumul emploi-retraite, à la revalorisation de la surcote, à l'aménagement de la mise à la retraite d'office ou à la récente conclusion d'accords dans les entreprises. S'il est encore trop tôt pour dresser le bilan de ces mesures, les premiers résultats sont encourageants : la mobilisation pour l'emploi des seniors est en marche.
Je crois néanmoins indispensable, dans le contexte économique actuel, de l'amplifier. La crise ne doit pas servir d'alibi pour revenir aux mauvaises pratiques d'éviction des seniors dans le but d'ajuster les effectifs des entreprises ou d'éviter les licenciements économiques.
J'en viens au lien entre emploi des seniors et âge de départ à la retraite. La question de son relèvement doit s'apprécier au regard de la situation de l'emploi des seniors, car reporter l'âge de la retraite ne conduit pas mécaniquement à un recul équivalent de l'âge de cessation d'activité. Une récente étude montre que l'âge auquel les personnes cessent définitivement de travailler et celui auquel elles liquident leur droit à la retraite ne coïncident que rarement. Les Français arrêtent de travailler, en moyenne, un an et demi avant de prendre leur retraite : entretemps, ils sont en invalidité, en préretraite ou au chômage. Dans ces conditions, retarder l'âge de départ à la retraite sans favoriser le maintien dans l'emploi des seniors aboutirait à créer des demandeurs d'emploi supplémentaires.
Second obstacle : la pénibilité. Celle-ci mesure les inégalités d'exposition aux risques professionnels. La généralisation de la prolongation de la vie active serait donc inéquitable. La loi relative à la retraite de 2003 prévoyait une négociation interprofessionnelle : elle a commencé en février 2005 mais, en dépit de quelques avancées sur la prévention, elle s'est soldée par un échec en juillet 2008.
Il convient d'abord de privilégier une approche individuelle de la pénibilité tout en posant des règles collectives. Ce n'est pas le métier qui définit la pénibilité mais plutôt ses conditions d'exercice. Ainsi, une infirmière n'exerce pas le même métier selon qu'elle travaille dans un service de soins palliatifs, dans une maternité ou dans un établissement scolaire.
La mise en place d'un système trop généreux risquerait d'être financièrement très coûteuse. En outre, il ne faudrait pas que la promesse de préretraite permette d'imposer en retour à certains travailleurs des conditions de travail difficiles. Enfin, notons que le débat sur la pénibilité est une spécificité française : aucun pays européen n'a mis en oeuvre un tel dispositif.
Quel que soit le ou les paramètres qui seront modifiés, le problème du financement des régimes de retraite ne sera pas résolu pour autant. Il ne peut s'agir que de mesures de court terme, compte tenu de l'ampleur des besoins de financement à satisfaire à l'horizon des années 2020 et 2050. Selon les simulations de la Cnav, passer d'un âge légal de retraite de 60 à 62 ans apporterait au régime général 6,6 milliards en 2020 et 5,7 milliards en 2050 sur un déficit prévisionnel de 46 milliards.
Au-delà de cette étape d'ajustement, il est donc indispensable de réfléchir à d'autres modes de gestion de l'assurance vieillesse car elle ne permettra pas d'enrayer la dégradation des comptes de la branche vieillesse ni de répondre au vieillissement démographique. Et je n'ai pas du tout évoqué les besoins de financement des pensions civiles et militaires qui sont proportionnellement encore plus importants et inquiétants.
A l'initiative de notre commission, le Parlement a demandé au COR d'étudier les conditions dans lesquelles on pourrait transformer nos régimes par annuités en régimes par points, voire en « comptes notionnels » sur le modèle suédois.
M. Guy Fischer. - Ca ne marche pas !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Aucun de ces systèmes ne permet d'assurer le retour à l'équilibre financier d'un régime de retraite structurellement déficitaire, mais chacun d'entre eux présente des avantages et des inconvénients. La remise du rapport du COR, le 28 janvier, constituera donc une base de travail en vue du rendez-vous de 2010. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Après l'excellente intervention de notre rapporteur, je souhaite vous livrer quelques observations. La première porte sur l'incidence du choc démographique sur notre système de retraite. Deux phénomènes le caractérisent : l'arrivée à l'âge de la retraite, à partir de 2006, des générations nées après la seconde guerre mondiale, le fameux papy boom, et l'augmentation de l'espérance de vie de six ans depuis le début des années 1980.
En 2050, la France comptera 70 millions d'habitants, mais une personne sur trois aura 60 ans ou plus et 11 millions de Français auront 75 ans et plus, contre 5 millions en 2005. Cette évolution structurelle emporte des conséquences irréversibles sur les régimes de retraite. Évidemment, le vieillissement de la population accroît mécaniquement les dépenses de retraite, qui progressent plus vite que les cotisations. Il en résulte des déficits croissants et vertigineux : 25 milliards, tous régimes confondus, en 2020 et près de 70 milliards en 2050. Inévitablement, nous devrons faire des efforts pour répondre à ces besoins de financement. L'allongement de la durée d'assurance et de la durée d'activité sera la meilleure garantie pour assurer un haut niveau de retraite, sans faire reporter sur les actifs de demain une charge démesurée.
Ma deuxième observation concerne un sujet à la périphérie de notre débat, mais qui lui est étroitement très lié : la prise en charge de la dépendance. D'ailleurs, le Gouvernement souhaite traiter ces deux dossiers en parallèle.
Dans leur grande majorité, nos concitoyens souhaitent rester chez eux le plus longtemps possible et considèrent le maintien à domicile comme une action prioritaire que l'État doit mettre en place. Il convient donc de renforcer l'aide aux tâches domestiques et à l'accompagnement des actes de la vie quotidienne, d'améliorer l'aménagement des logements et d'accroître les aides techniques. Dans tous ces domaines, les besoins sont immenses. Or, le secteur du maintien à domicile n'a pas encore pris son essor : il reste fragmenté entre différents décideurs, différents financeurs et différents acteurs. N'est-il pas surprenant que notre politique de maintien à domicile ne soit toujours pas pilotée et financée de façon cohérente ? La Cour des comptes avait rappelé, l'an dernier, qu'en dépit de ses recommandations, les intervenants autour d'une même personne étaient toujours aussi nombreux et aussi peu coordonnés.
Face à l'augmentation du nombre des services mandataires et prestataires d'aide à domicile, se pose la question de leur qualité et de la confiance qu'on peut leur accorder. Il y a donc aussi un défi qualitatif à relever dans le secteur du maintien à domicile.
Dès l'annonce, fin 2007, par le Président de la République, d'un projet de loi sur la prise en charge de la dépendance et la création d'un cinquième risque, le Sénat a constitué une mission commune d'information entre les commissions des affaires sociales et des finances, dont j'ai l'honneur d'être membre. Dans son rapport d'étape, notre mission a expliqué pourquoi le statu quo n'était pas tenable. Des efforts financiers très importants ont certes été engagés depuis plusieurs années -allocation personnalisée d'autonomie, création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, instauration d'une journée de solidarité- mais la dépense publique à mobiliser pour les personnes âgées en perte d'autonomie n'a cessé d'augmenter. Elle approche aujourd'hui la vingtaine de milliards, soit un peu plus de 1 % du PIB. Cela pose la question de la soutenabilité de la dépense publique : le nombre de personnes en situation de perte d'autonomie va continuer de croître, tandis que le poids déjà lourd des prélèvements obligatoires et la montée inéluctable des dépenses de maladie et de retraite liées au vieillissement de la population rendront nécessaires des arbitrages.
Partant de ce constat, notre mission préconise une plus grande équité en faveur des bénéficiaires de l'APA à domicile, avec un mécanisme de prise de gage sur patrimoine. Elle propose également de maîtriser le reste à charge en établissement et d'accroître l'efficience de la dépense en établissements d'hébergement, de mettre en place un financement mixte du cinquième risque, avec les assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance, afin de créer les conditions d'une bonne gouvernance de ce risque. J'espère que ces propositions pourront enrichir le projet de loi annoncé. (Applaudissements à droite et au centre)
M. le président. - La Conférence des Présidents a attribué un temps de parole de dix minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe. Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs. Puis nous aurons une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement. La durée de la discussion de chaque question est limitée à cinq minutes. La Conférence des Présidents a attribué deux questions aux groupes UMP et socialiste et une question aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE.
Porte-parole des groupes
M. Gilbert Barbier. - Réformer les retraites est un sacré travail, « la mère des batailles », comme vous le dites justement, monsieur le ministre.
La réforme Fillon de 2003 devait avoir réglé les choses jusqu'en 2012. Le Président de la République a décidé de s'y attaquer dès cette année, avec raison. Plus le temps passe, plus les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse s'alarment : après 8,2 milliards en 2009, on annonce un déficit de 10,7 milliards cette année. A quoi il faut ajouter les pertes des régimes de retraites complémentaires des salariés du privé Agirc et Arrco et la situation du FSV.
Certes, l'impact de la crise n'est pas négligeable : quand les salaires patinent et que le nombre de chômeurs s'accroît, les cotisations se réduisent. Mais le problème est aussi structurel : déséquilibre grandissant entre le nombre d'actifs et de retraités, allongement de l'espérance de vie. Les mesures prises en 2003 seront insuffisantes pour faire face au papy boom. Le rythme des départs reste élevé et, même si les pensions ne sont revalorisées qu'au rythme de l'inflation, la facture va continuer de s'alourdir. La France ne peut donc faire l'économie de nouvelles mesures qui ne se limitent pas à quelques aménagements des dispositions existantes.
Sauf à changer radicalement de logique, la réforme ne peut jouer que sur la durée de cotisation, l'âge de départ à la retraite, le montant des cotisations ou celui des pensions. Il est clair que la conjoncture actuelle limite les marges de manoeuvre mais il est permis d'espérer.
Une baisse des pensions affaiblirait le pouvoir d'achat des retraités et la machine économique ; elle serait contre-productive à tous points de vue. Il n'y a qu'à voir le nombre de retraités qui fréquentent déjà les Restos du coeur, le Secours populaire ou le Secours catholique.
Augmenter les cotisations serait sans doute efficace mais c'est une décision délicate, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà anormalement élevés et alors que la crise rogne le pouvoir d'achat des salariés.
On a jusqu'ici fait le choix d'allonger la durée minimale de cotisation pour toucher une pension à taux plein. Pour beaucoup de Français, cela repousse mécaniquement l'âge de départ à la retraite. L'entrée dans la vie active se faisant de plus en plus tard, il est de plus en plus difficile d'avoir ses annuités à 60 ans. Allons au bout de la logique et reportons l'âge légal de la retraite. Je sais que l'on touche là à un symbole important, mais discutons-en sans tabou. Il ne s'agit pas de remettre en cause le droit de profiter de quelques années paisibles mais d'être réaliste devant l'écart grandissant entre la durée de la vie et la durée de l'activité professionnelle.
Certains de nos voisins européens ont fixé à 65, voire 67 ans l'âge de départ à la retraite. La France a déjà la durée hebdomadaire de travail la plus courte, aura-t-elle aussi la durée de la retraite la plus longue ? Les Français seraient-ils moins endurants que les Allemands ou les Scandinaves ?
Le préalable est bien sûr d'avancer sur l'emploi des seniors et la pénibilité au travail. Avec un taux d'emploi des seniors de 39 %, contre 46 % en moyenne européenne, la France est en deçà des objectifs assignés par la stratégie de Lisbonne. Durant des décennies, notre pays a exclu de l'emploi les salariés les plus âgés pour, disait-on, laisser la place aux jeunes. Le licenciement d'un senior est souvent utilisé comme une préretraite déguisée, payée par l'assurance chômage. Le résultat est un échec sur tous les tableaux : notre protection sociale est menacée, les entreprises se privent de salariés à l'expérience et aux compétences précieuses, le chômage des jeunes continue de croître et les seniors n'ont d'autre horizon qu'une retraite au rabais.
Le Gouvernement n'est certes pas resté sans rien faire. Il a mobilisé les entreprises pour qu'elles prennent leurs responsabilités : plus de 8 000 entreprises et 80 branches ont finalisé un accord ou un plan d'action en faveur du travail des plus de 55 ans. Soyons francs, beaucoup de ceux-ci ont été bâtis en urgence pour échapper à la sanction financière applicable au 1er janvier. Il reste à démontrer qu'ils ne se limiteront pas à des déclarations d'intention. Avez-vous des remontées de l'enquête qualitative que vous avez lancée ?
Quoi qu'il en soit, gardons-nous d'instaurer des quotas et de pénaliser les PME. Ces dernières ne disposent pas des compétences pour mener à bien une politique de gestion des salariés âgés. De surcroît, pour beaucoup d'entre elles, la crise n'est pas un vain mot ; elles luttent avant tout pour leur survie. Je crains que le délai de trois mois qui leur a été accordé ne suffise pas.
Cette évolution attendue sur l'emploi des seniors ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la pénibilité au travail : comment maintenir un salarié âgé sur un poste de maintenance en chaudronnerie, un poste exposé aux intempéries ou supposant le port répété de charges lourdes ?
La négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité, prévue par la réforme de 2003, a échoué. Cela ne m'étonne guère car cette notion de pénibilité est difficile à appréhender. S'agit-il d'un travail dangereux ? D'un travail qui induit une fatigue préjudicielle pour la santé ? D'une situation dans laquelle l'intégrité physique ou mentale du travailleur serait altérée à plus ou moins longue échéance ?
Du fait de l'intensification des tâches, due aux 35 heures, à un management défaillant ou à une organisation du travail inefficace, de nombreux salariés souffrent au travail. Cela sera-t-il demain un critère de pénibilité ? Toute définition est délicate parce qu'il s'agit de la rencontre entre un individu et son emploi. Le stress lié à de fortes contraintes de temps peut être bien vécu. Le travail de nuit peut être un choix.
Tout dépend de l'objectif. Si c'est la prévention, tous les facteurs de risque pour la santé doivent être pris en compte. Si c'est un objectif de compensation, c'est le caractère durable, identifiable et irréversible des dégâts physiques ou psychiques qu'il faut retenir, le critère le plus évident étant la réduction statistique de l'espérance de vie. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que les négociations ont avancé sur ce point ? Quels facteurs de pénibilité a-t-on retenus pour ouvrir le débat sur la compensation ?
Car c'est là que se cristallisent les divergences. Certains proposent un droit collectif de départ anticipé à la retraite ouvert sur des critères de pénibilité. D'autres préfèrent un dispositif de réparation proche du mécanisme de l'invalidité, donc avec un examen médical individuel. Je ne suis pas sûr de partager l'une ou l'autre de ces conceptions. La retraite anticipée peut se justifier pour certains cas, mais elle n'est pas la solution pour beaucoup d'autres. De surcroît, elle ne concerne pas les travailleurs non salariés qui peuvent avoir aussi des métiers pénibles, et je pense là, en particulier, aux agriculteurs.
Ceux qui ont acquis une expérience peuvent travailler autrement. Ne négligeons pas la piste du reclassement ni celle du temps partiel en fin de carrière. Les salariés pourraient être mis sur des postes moins durs, comme en Europe du nord. C'est alors que, du point de vue de l'équité, on peut envisager des départs anticipés ou des retraites bonifiées pour ceux qui sont prématurément usés.
Mais cela ne doit pas devenir la règle. Il faut privilégier la prévention, en améliorant les contraintes techniques et l'organisation du travail, et la formation tout au long de la vie, qui facilitera une seconde carrière ou un reclassement. (Applaudissements à droite, au centre et sur plusieurs bancs socialistes)
M. Guy Fischer. - L'année 2010 devrait marquer une nouvelle étape de régression pour nos retraites (M. le rapporteur s'exclame) et les salariés s'inquiètent. Ils connaissent votre façon de procéder, par touches successives !
En 1993, pour les salariés du privé, passage à 40 annuités de cotisations, prise en compte des 25 meilleures années et indexation des retraites sur les prix. Résultat : baisse de 10 à 15 % des pensions pour une carrière complète, de 20 à 25 % pour une carrière incomplète ! Selon le Conseil d'orientation pour les retraites, les économies provenaient pour 80 % de l'indexation et pour 4 % seulement du passage à 40 annuités. Mais on veut faire croire que, pour sauver notre système de retraite par répartition, il n'y a pas d'autre solution que de travailler encore plus longtemps...
En 2003, vous avez allongé la durée de cotisation pour les fonctionnaires. Quant aux mesures « phares » que représentaient le dispositif « carrières longues » et le rachat des années d'études, elles ont été progressivement vidées de leur substance. Malgré les réformes Balladur, Fillon et des régimes dits spéciaux, les comptes sociaux sont dans le rouge. Le déficit de la branche vieillesse devrait atteindre 11,3 milliards en 2010. Vous prenez prétexte de cette situation pour porter de nouveaux coups à notre système par répartition ! Vos regards convergent vers l'Allemagne qui portera l'âge légal de départ à la retraite à 67 ans à partir de 2012. (M le rapporteur s'exclame)
Mais avec l'explosion du chômage, de la précarité, du temps partiel subi, c'est un non-sens, d'autant que n'ont pas été résolues les questions fondamentales que sont l'emploi des seniors et la pénibilité. Sans parler de l'emploi des jeunes, car tout est lié. Avec seulement 38,2 % des 55 à 64 ans en activité, la France fait figure de dernier de la classe européenne.
Je doute que la sanction financière égale à 1 % de la masse salariale pour les entreprises n'ayant pas conclu d'accord sur l'emploi des seniors ou n'ayant pas mis en oeuvre un plan d'action si les négociations ont échoué, instaurée lors du PLFSS pour 2009, apporte une réponse durable. Huit mille entreprises ont mis en place un tel dispositif ; pour les deux tiers, il s'agit de plans d'action. La loi invite les employeurs à contourner les partenaires sociaux ! Et quand bien même ces plans d'action seraient mis en oeuvre, les effets risquent d'être modestes : si 80 % des employeurs envisagent d'organiser la transmission des savoirs et le tutorat, ils ne seraient que 20 % à compter favoriser l'emploi immédiat de seniors.
Dans ce contexte, envisager d'allonger la durée de cotisations ou de reculer l'âge légal de départ est une provocation. Cela pénaliserait les salariés qui ont commencé à travailler tôt, d'autant que le Gouvernement a encore durci les conditions d'accès au dispositif « carrières longues ». Il en est de même de la suppression progressive de la dispense de recherche d'emploi pour les chômeurs approchant les 60 ans, alors qu'on incite les employeurs à se séparer de salariés censés être moins productifs et plus chers !
La prise en compte de la pénibilité doit être une priorité, alors que les négociations sont gelées depuis le 16 juillet. La faute au patronat, qui a longtemps nié que le travail pouvait être nocif à la santé des salariés puis refusé d'envisager un dispositif de retraite anticipée et de réparation, et au Gouvernement, pour avoir laissé s'enliser les négociations. Celles-ci ont toutefois permis la reconnaissance progressive de l'impact potentiellement nocif du travail sur la santé. L'espérance de vie d'un salarié est de sept ans inférieure à celle d'un cadre !
Première catégorie de pénibilité : les accidents du travail et les maladies professionnelles. Aux employeurs d'améliorer les conditions de travail, aux pouvoirs publics d'adapter les règles et les outils de prévention.
Une seconde catégorie de pénibilité est liée aux conditions mentales ou psychiques de travail, c'est-à-dire au stress. La solution passe par une modification des conditions et des rythmes de travail.
Enfin, troisième catégorie de pénibilité, celle qui résulte de l'exposition à un facteur nocif pour la santé. Le salarié dont l'espérance de vie est ainsi réduite doit bénéficier d'une retraite anticipée. Or le patronat estime ne pas avoir à financer cette mesure et entend conditionner ce départ anticipé à l'approbation d'une commission médicale, véritable « mécanisme d'invalidité bis » selon la CGT. Avec les syndicats, nous refusons cette logique médicale. L'appréciation de la pénibilité doit reposer sur la reconstitution de la carrière du salarié. Le système de commissions préconisé par le Medef reviendrait à avancer de quelques mois à peine la retraite des salariés malades du travail !
Le 10 juillet dernier, monsieur le ministre, vous déclariez : « Plusieurs solutions sont envisageables. On peut envisager une capitalisation plus grande ». Le mot est lâché !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. - Et alors ?
M. Guy Fischer. - Les salariés savent que vous ferez tout pour substituer ce système individualiste et inégalitaire à notre système actuel, fondé sur la répartition et la solidarité. Nous espérions pourtant que la majorité avait été échaudée par la crise : ce sont 2 000 milliards de dollars placés dans des fonds de pensions qui ont disparu en quelques mois !
Enfin, nous sommes hostiles à un régime unique par points, qui nous ferait passer d'un régime à prestation définie à un régime à cotisations définies et entraînerait, à terme, l'effondrement des retraites par répartition.
Le maintien du départ à 60 ans passe par une réorientation radicale des finances sociales. Votre majorité organise sciemment l'appauvrissement de notre système en refusant de taxer les revenus du capital, d'élargir l'assiette de cotisations et en favorisant les emplois précaires. Alors que la part de richesse consacrée aux dépenses salariales a chuté de 72,8 % en 1970 à 66,2 % en 2000, vous offrez aux employeurs pour 30,7 milliards d'exonérations de cotisations ! Voilà la cause du déficit !
Je vous rappelle nos quatre propositions : réforme de l'assiette des cotisations ; cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des institutions non financières ; mobilisation en faveur de l'emploi ; suppression des exonérations de cotisations, qui ont progressé de 13,1 % en 2008.
Mais la manière dont le ministre de la santé traite le volet « pénibilité » du travail infirmier -portant le départ de 55 à 60 ans en compensation de l'avantage accordé sur la pénibilité- augure bien mal de ce débat... (Applaudissements à gauche)
M. René Teulade. - Tous les responsables politiques ont affirmé la nécessité de réformes pour garantir l'avenir des retraites par répartition, « expression de la solidarité entre les générations » et « facteur de cohésion nationale ». Pour être comprises et acceptées, ces réformes doivent faire l'objet d'une véritable concertation, sans opposer les retraités aux cotisants, le secteur privé au secteur public, les différents régimes entre eux. Notre assemblée en est convaincue. L'allongement de l'espérance de vie est un progrès considérable de l'humanité. Loin de se limiter à un simple débat financier, la question des retraites relève d'un choix de société. (Marques d'approbation sur les bancs socialistes)
En outre, l'avenir des retraites est une question mouvante, pour laquelle il n'y a pas une solution définitive mais, nécessairement, des adaptations successives. Si l'on veut éviter de privilégier ces deux instruments immédiatement utilisables que sont la baisse du niveau des retraites et la hausse des prélèvements obligatoires, d'autres éléments doivent entrer en ligne de compte, tels que l'emploi, l'augmentation des effectifs cotisants, la réduction du temps de travail, le taux de croissance et le partage de ses fruits, les politiques salariales, l'assiette des cotisations ou la place que notre société entend faire aux retraités. La période de la « troisième vie » permet aux aînés de jouer un rôle actif, social et économique. 30 % des maires ont plus de 60 ans et, dans une société où le temps fait souvent défaut aux actifs, les jeunes retraités soutiennent souvent leurs parents handicapés ou, sur le plan financier, leurs enfants et petits-enfants.
Renverser l'attitude à l'égard des fins de carrière, pour les adapter à la durée allongée de cotisations, nécessite une évolution des comportements des entreprises, des salariés et une modification des dispositifs existants. La cessation brutale et anticipée d'activité est un gaspillage d'expérience et de savoir qui se traduit souvent par des problèmes de santé liés à la rupture des rythmes de vie et à un sentiment d'inutilité sociale. Il faut instaurer dans les entreprises une politique nouvelle et négociée de gestion des âges, et notamment des deuxièmes parties de carrière professionnelle pour les métiers éprouvants qui ne peuvent plus être poursuivis au-delà de 60 ans.
Le choix, fait il y a soixante ans, d'un système solidaire fondé sur la répartition n'est pas négociable car il a permis au plus grand nombre d'accéder, par une retraite décente, à la dignité dans cette troisième partie de la vie. Quelles que soient les évolutions démographiques, ce sont l'emploi, la croissance, la répartition des richesses et, en fin de compte, la politique économique et sociale qui détermineront la capacité de nos régimes de retraite à respecter ce contrat de solidarité entre les générations. A défaut, après la lutte des classes, ce serait la lutte des générations ! (Applaudissements à gauche)
Mme Christiane Demontès. - Dans notre pays, le taux d'emploi des 55-64 ans avoisine 38 % contre 45 % en moyenne européenne : nous sommes loin de l'objectif de Lisbonne fixant ce taux à 50 % des seniors dès cette année. Avec la crise, la situation s'est encore dégradée et en France, nous avons la particularité -dont nous n'avons pas à être fiers- d'un taux d'activité très bas des seniors comme des jeunes...
Depuis le 1er janvier, les entreprises d'au moins 50 salariés non couvertes par un accord ou un plan d'action pour l'emploi des seniors se verront infliger une amende égale à 1 % de leur masse salariale.
M. Guy Fischer. - Cela a été reporté !
Mme Christiane Demontès. - Oui mais, en plus, permettez-moi de douter de l'efficacité d'une telle loi. Quel sera l'effet de cette amende sur des entreprises qui dégagent des millions d'euros de bénéfices ?
La question de l'emploi des seniors renvoie aussi à la pénibilité, laquelle avait conditionné l'adoption de la réforme de 2003. Six ans après, le constat est amer. Malgré 18 séances de travail entre partenaires sociaux, le dispositif de prise en compte n'a jamais vu le jour, du fait du refus du patronat de financer toute compensation de la pénibilité.
Ce ne serait pourtant que justice : il suffit de se référer au rapport de l'Ined, La double peine des ouvriers, pour s'en convaincre. On y observe qu'à 35 ans, les hommes cadres supérieurs ont une espérance de vie moyenne supérieure de six ans à celle d'un ouvrier et que le différentiel est de deux ans pour les femmes. Ces cadres supérieurs vivront 34 de leurs 47 années d'espérance de vie sans handicap ou incapacité de type 1 -de vue, de mobilité-, soit dix ans de plus qu'un ouvrier. Pour les femmes, l'écart est de huit années...
Malgré cette réalité, dans la jurisprudence ou le droit positif, les références à la pénibilité demeurent fragmentaires et ne renvoient à aucune disposition du code du travail. Si, au regard de la loi, un travail peut être considéré comme dangereux, il n'est pas nécessairement pénible. C'est ce qui ressort du jugement prononcé par la cour d'appel de Paris le 9 juin 2004, lequel affirme que « le risque grave ne saurait être constitué par la seule pénibilité du travail ». Le code du travail ne fait pas d'amalgame entre pénibilité liée à l'exercice d'une fonction et mauvaises conditions de travail. Or, certains départs anticipés, souvent instaurés en guise de traitement social du chômage, sont en lien avec la pénibilité du travail, notamment dans le cas des travailleurs de l'amiante.
Force est de constater que le patronat comme l'actuelle majorité cherchent à en limiter le champ d'application aux seuls salariés ayant développé une maladie ou à rendre l'accès à la préretraite uniquement individuel. Nous ne sommes plus là dans une logique de compensation mais de réparation, et c'est ce qui explique l'échec des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité du travail. A la logique de compensation prônée par les syndicats de salariés s'oppose celle de la réparation de l'usure. Le Medef a proposé qu'en fonction de facteurs de pénibilité préalablement déterminés, le salarié qui satisferait aux critères d'éligibilité pourrait, deux ans avant son départ en retraite, accéder à un mi-temps, le mi-temps non travaillé étant financé par la solidarité nationale. Ainsi, les employeurs, même responsables, ne seraient pas mis à contribution. Pire, c'est le salarié qui financerait les conséquences de sa dégradation. Ce n'est pas sans rappeler les franchises médicales...
Comment ne pas s'inquiéter à la lecture du rapport -adopté par la majorité- du député Poisson qui reprend les positions du Medef. Le rapporteur « n'est pas favorable à une mise en place des retraites anticipées ou cessations anticipées d'activité ou à une augmentation des droits à pension de retraite pour les travailleurs ayant été exposés à la pénibilité ». Il ajoute que « si des différences réelles en matière d'espérance de vie sont constatées entre les ouvriers et les cadres, il est impossible de considérer que la seule cause de cet écart provient des conditions de travail. La santé est une réalité suffisamment personnelle pour que soient également évoquées des considérations qui touchent au mode de vie des personnes et en particulier à la qualité de leur accès aux soins non moins qu'à leurs habitudes »...
Cela laisse sans voix... Prendre ce rapport comme base de travail des futures négociations ne répondrait pas aux attentes des partenaires sociaux. Des différences subsistent entre les organisations de salariés et d'employeurs, mais elles se sont accordées sur trois facteurs principaux de pénibilité : contraintes physiques, environnement de travail agressif et rythmes de travail. C'est sur cette base que nous devons travailler.
Les écarts entre espérances de vie justifient d'accorder des avantages spécifiques aux salariés qui ont subi des conditions de travail pénibles. Ces avantages ne doivent pas être uniquement pris en charge par collectivité. Les employeurs et le Gouvernement ne sauraient prendre prétexte du coût du travail dans la compétition internationale pour s'exonérer de leurs responsabilités. (Applaudissements à gauche)
M. Gérard Dériot. - M. Milon, empêché, m'a demandé de le remplacer, ce que je fais avec grand plaisir.
L'occasion nous est donnée d'affirmer notre volonté de faire évoluer notre système de retraites pour lequel les réformes sont plus que jamais nécessaires, au vu des déficits croissants. Pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, le déficit devrait être de 9,5 milliards en 2009 et il atteindrait, à législation constante, près de 15,7 milliards en 2013. A cela s'ajoute celui du Fonds de solidarité vieillesse qui sera de 3 milliards en 2009.
Deux origines à cette dégradation. La crise économique a provoqué la montée du chômage. Aussi la branche vieillesse est-elle touchée par une forte baisse de ses rentrées de cotisations salariales et le Fond de solidarité vieillesse par la diminution de ses rentrées de CSG. Mais nous devons reconnaître que, face à la crise, notre système de retraite par répartition a fait la preuve de sa solidité. Contrairement à certains pays de l'OCDE, en France, les pensions de retraite n'ont pas diminué et l'épargne retraite n'a pas souffert de la crise boursière.
A ce déficit conjoncturel s'ajoute un déficit structurel qui ira en s'aggravant avec la progression continue de la masse des pensions, due aux facteurs démographiques et à l'augmentation de l'espérance de vie. Il est donc essentiel d'apporter des réponses structurelles pour assurer la viabilité financière et sociale de notre système de retraite.
Dans la loi de financement pour 2009, nous avions voté des mesures incitant nos compatriotes à travailler plus longtemps.
Selon une étude récente de la Cnav, la surcote a produit ses premiers effets : le nombre de nouveaux retraités bénéficiaires de ce bonus a augmenté de 12,5 % au premier trimestre 2009, contre 9 % en 2008, 7 % en 2007 et 5 % en 2005 et 2006. La revalorisation de la surcote, passée de 3 % à 5 % par année supplémentaire n'y est sans doute pas étrangère. La même étude montre en outre la bonne connaissance qu'ont nos concitoyens du dispositif de cumul emploi-retraite, dont l'objectif est de permettre aux travailleurs âgés d'arbitrer librement entre un départ à la retraite choisi et la poursuite d'une activité professionnelle. Il doit être pérennisé.
D'autres sujets devront être abordés. Comme l'a souligné le Président de la République dans son discours du 22 juin devant le Congrès, « il faudra tout mettre sur la table, l'âge de la retraite, la durée de cotisation, la pénibilité (...) Toutes les options seront examinées ». L'année 2010 doit en effet être l'occasion de mettre à plat notre système de retraite, avec pour fils directeurs la solidarité intergénérationnelle et la simplification de nos dispositifs. Une réforme en profondeur est nécessaire pour garantir la pérennité de notre système par répartition ; elle doit s'accompagner d'un changement dans les comportements et les habitudes de tous les acteurs, une évolution qui encourage l'allongement de la vie professionnelle. Aucun thème n'est tabou, quand on sait que le taux d'emploi des 55-64 ans est en France de 25 % contre 48 % en moyenne dans les pays de l'OCDE et que le poids des plus de 65 ans par rapport aux 20-64 ans passera d'ici 2050 à 46 % -il n'est que de 22 % aujourd'hui.
Pour favoriser l'emploi du plus grand nombre de travailleurs, notamment des seniors, des mesures telles que la suppression de la contribution due par les entreprises qui licencient des plus de 50 ans, l'augmentation de la surcote ou la mise en place du droit individuel à la formation vont dans le bon sens. Il est impératif de supprimer tous les dispositifs qui subventionnent le retrait anticipé de la vie active, et en premier lieu les préretraites. L'âge effectif de départ à la retraite est aujourd'hui inférieur de deux à trois ans à l'âge légal, ce qui peut aussi s'expliquer par les critères d'admissibilité aux allocations chômage sans recherche active d'emploi, qui permettent aux chômeurs âgés de passer directement du chômage à la retraite. Pour relever l'âge de cessation d'activité, il est nécessaire d'assurer aux travailleurs âgés de réelles perspectives d'emplois de qualité.
Les comportements doivent changer. Ceux des entreprises, qui doivent comprendre que les travailleurs âgés sont une richesse, éviter toute discrimination à leur égard, investir dans leur formation, aménager leurs horaires et leurs conditions de travail. Ceux de l'État, qui doit adapter sa politique et faire en sorte que le service public de l'emploi réponde mieux aux besoins spécifiques des travailleurs âgés et favorise leur insertion sur le marché du travail. Ceux de nos concitoyens enfin, qui doivent se préparer à l'idée de carrières plus longues. Ce qui n'empêche pas de prendre en compte les questions de la pénibilité et des carrières longues ; il y va de l'équité.
Sans réforme, sans changement des comportements, ce sont nos enfants et petits-enfants qui seront pénalisés. Le débat doit être lancé. Nous soutenons la volonté d'agir du Gouvernement. (Applaudissements à droite)
M. Nicolas About. - Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : ce débat semble taillé pour la Haute assemblée... (Sourires) La situation de notre système de retraites est préoccupante : 8 milliards d'euros de déficit en 2009, 11 prévus en 2010 et 13 en 2012 ; nous avons atteint en 2007 le niveau que le COR prévoyait pour 2020... Certes, le retournement conjoncturel pèse sur les comptes, mais la reprise ne permettra en aucun cas de rééquilibrer la branche. La dégradation du rapport démographique est structurelle : on comptait 3,8 actifs pour un retraité en 1970, on n'en compte plus que 1,43. Le solde se dégrade continûment depuis cinq ans en dépit des réformes déjà engagées.
C'était hélas prévisible. Je ne minimise pas l'importance de la loi de 2003, mais nous savions que cette courageuse réforme, présentée alors comme décisive, ne couvrirait que la moitié des besoins de financement. Il faut aujourd'hui en couvrir l'autre moitié. Et il faut le faire vite. Le groupe de l'Union centriste salue le volontarisme politique du Président de la République, qui a souhaité avancer de deux ans la remise à plat du dossier et en a fait à la fois le grand chantier de l'année 2010 et le marqueur de sa volonté de réforme. L'opinion est mûre, les travailleurs ont conscience que le statu quo n'est plus une option et sont prêts à faire des efforts -le récent sondage paru dans le JDD est à cet égard rassurant. Mais le consensus s'arrête sur la nécessité de faire ; les modalités de l'action sont encore inconnues -seules quelques pistes sont esquissées- et le calendrier reste un mystère.
Le groupe de l'Union centriste défendra une réforme globale, systémique et équitable. Globale parce qu'il faudra jouer gagnant-gagnant sur tous les thèmes, pénibilité -les partenaires sociaux ont échoué-, âge de départ, extinction des préretraites, surcote, cumul emploi-retraite, emploi des seniors. Systémique parce qu'il serait peu efficace d'agir séparément sur les paramètres que sont montant et durée de cotisation, montant des pensions, âge légal. Nous ne sommes a priori pas favorables à la remise en cause de ce dernier, qui aggraverait les crispations ; le départ à 60 ans est un symbole fort : passer à 62 ans ne comblerait de toute façon que 10 % des besoins de financement. Défendant depuis 2003 le remplacement de l'annuité par le point, idée qui depuis a fait son chemin, nous attendons avec impatience le rapport que le COR devrait rendre fin janvier sur les modalités du basculement vers un régime par points ou en comptes notionnels ; l'une ou l'autre de ces solutions nous semble à la mesure de l'enjeu. Nous vous interrogerons sur ce point, monsieur le ministre. La réforme ne sera enfin acceptable que si elle est équitable. Nous saluons l'effort de solidarité déjà engagé avec la revalorisation de 7 % du minimum vieillesse et la majoration de 11 % des petites pensions de réversion. Il devra être poursuivi à l'occasion de la réforme à venir. (Applaudissements à droite)
présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. - La question des retraites est au croisement de trois enjeux fondamentaux : l'allongement de l'espérance de vie, qui est une chance pour chacun mais aussi un défi pour la pérennité de nos régimes ; le travail, notamment celui des seniors ; et la solidarité, thème qui recouvre aussi bien la pénibilité que la situation des retraités les plus modestes.
Je suis conscient de l'ampleur du sujet, de son urgence, de son importance aux yeux des Français. Du reste, tous les pays dans le monde sont confrontés au vieillissement de la population : c'est un phénomène que chaque société se doit de prendre en considération.
Le financement des retraites concerne directement la génération qui vient d'entrer dans la vie active et qui verra s'accroître de plus en plus la charge des retraites. Il faut dès aujourd'hui agir sur le déficit mais aussi sur la capacité du système à tenir les engagements. Le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités sera de 1,5 dans dix ans et de 1,2 en 2050. Aujourd'hui déjà, à 1,8, une retraite sur dix n'est pas financée.
Le Président de la République a donc souhaité que nous engagions la réforme dès 2010. Je la prépare, avec deux objectifs : sauvegarder le système par répartition, dont la crise a bien montré qu'il est irremplaçable, et veiller à l'équité -ce qui exigera d'aborder la question de la fonction publique. Le Président de la République l'a dit devant le Congrès, toutes les questions seront sur la table. Le régime des fonctionnaires connaît une situation financière délicate, mais elle est masquée par le mécanisme d'équilibrage automatique du compte d'affectation spéciale « Pensions ». Le taux de cotisation de l'État est fixé de façon à maintenir l'équilibre : 44 % en 2000, 62 % aujourd'hui, contre 16 % environ pour les employeurs privés. Cela représente un déficit de près de 10 milliards d'euros, autant que celui du régime général. Si nous n'agissons pas, les contribuables continueront de supporter la charge de cette dérive financière.
La réforme des retraites sera nécessairement globale : on ne pourra demander des efforts seulement à certains. L'actuel gouvernement veut se montrer à la hauteur des efforts de certaines majorités dans le passé. Je pense au travail mené par le gouvernement Balladur en 1993, à la réforme courageuse de M. Fillon en 2003, ainsi qu'aux avancées décisives réalisées par mon prédécesseur M. Xavier Bertrand sur les régimes spéciaux. Tous ont cherché à concilier responsabilité et équité. Je regrette seulement que le bon sens et le courage se soient manifestés d'un seul côté : le bilan de l'actuelle opposition est inexistant...
M. Yves Daudigny. - Et le fonds des retraites ?
M. Xavier Darcos, ministre. - Si nous voulons sauvegarder le système des retraites par répartition, nous devrons soit allonger la durée de cotisation, soit réduire le montant des prestations, soit encore augmenter le montant des cotisations. Diminuer les pensions serait inacceptable. Quant aux cotisations, j'observe que nous avons déjà le niveau de cotisation le plus élevé d'Europe. Accroître la pression qui pèse sur les salariés serait le moyen le plus sûr de nuire à la compétitivité de l'économie. Dans un pays dont l'espérance de vie s'accroît d'un trimestre chaque année, nous n'avons d'autre solution que de travailler plus longtemps. Le partage « deux tiers, un tiers » posé par la loi Fillon entre la durée d'activité et la durée de retraite me paraît sain. Il a déjà trouvé à s'appliquer avec le passage à 41 annuités de cotisation d'ici 2012.
Travailler plus longtemps, c'est aussi augmenter l'emploi des seniors. Je veux en finir avec cette exception française : 39 % seulement de seniors en emploi, contre 44 % en moyenne dans l'Union européenne -l'objectif fixé par la stratégie de Lisbonne était de 50 % en 2010... Gâchis humain, mais aussi charge absurde pour nos finances publiques ! Je veux mettre un terme à cette injustice qui conduit à mettre à la porte des salariés en raison de leur âge...
Mme Christiane Demontès. - D'accord.
M. Xavier Darcos, ministre. - Au lieu de chercher à toute force à diminuer le temps d'activité, misons sur une création de richesses fondée sur la mobilisation de toutes les compétences. Je poursuis donc avec M. Laurent Wauquiez une politique volontariste en faveur de l'emploi des seniors ; elle a déjà fait ses preuves. Le taux de la surcote a été porté à 5 % pour les années accomplies au-delà de 60 ans et du taux plein : en conséquence, au premier trimestre 2009, le taux de recours à la surcote est en hausse de près de 50 %. Le cumul emploi-retraite a été ouvert à tous les salariés de plus de 65 ans et à tous les plus de 60 ans qui ont atteint le taux plein. L'âge des mises à la retraite d'office a été repoussé à 70 ans. Et la dispense de recherche d'emploi, véritable trappe à inactivité, sera progressivement supprimée. En outre, les entreprises de plus de 50 salariés devront être couvertes à partir de cette année par un accord de branche ou d'entreprise relative à l'emploi des seniors, faute de quoi une pénalité de 1 % de la masse salariale sera appliquée. Nous avons été entendus : déjà plus de 80 branches, représentant 12 millions de salariés, ont conclu ou vont conclure un accord en faveur de l'emploi des seniors, alors que seules quatre branches avaient décliné l'accord national interprofessionnel de mars 2006. Et les partenaires sociaux ne se sont pas bornés à respecter formellement les obligations légales : voyez les dispositions relatives à l'amélioration de la formation dans les industries chimiques, à la prévention de la pénibilité dans la grande distribution, au tutorat dans la métallurgie. De nombreuses branches ont créé un droit à temps partiel.
Pour travailler plus, il faut travailler mieux et équitablement. Cela impose de poser sans tabou la question de la pénibilité, en distinguant entre ce qui relève de l'amélioration des conditions de travail -objet du deuxième plan santé au travail que je présenterai vendredi au conseil d'orientation des conditions de travail- et ce qui relève de la compensation, laquelle exige de tenir compte de la pénibilité spécifique à certains secteurs. Nos longues discussions avec les partenaires sociaux ont déjà porté leurs fruits et je suis déterminé à aller plus loin.
D'autres sujets seront abordés. Le Président de la République l'a dit lors de ses voeux le 31 décembre ; la dépendance sera dans les prochaines décennies l'un des problèmes les plus douloureux pour les familles. Je salue le travail très utile réalisé par la mission d'information conjointe de vos commissions des affaires sociales et des finances, mission conduite par MM. Marini et Vasselle. L'objectif de notre réforme sera de rendre effectif le libre choix entre le maintien à domicile et le départ en maison de retraite ; et nous devons dans cette perspective envisager toutes les pistes de financement.
Ce débat porte au fond sur l'avenir même de notre démocratie sociale. Le Gouvernement ne négligera aucune idée pour concilier la diversité des situations avec les impératifs de l'intérêt général. Il sera donc attentif à vos remarques et vos propositions. (Applaudissements à droite)
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. - Je remercie votre commission, et singulièrement M. Leclerc, expert sur ces questions.
Nous travaillons depuis plusieurs années sur l'emploi des seniors, d'abord sous l'impulsion de M. Gérard Larcher, puis de M. Hortefeux et à présent de M. Darcos qui met toute son énergie à faire avancer ce qui est, comme l'a rappelé avec humour M. About, une priorité majeure pour les Français... comme pour les sénateurs. (Sourires)
La France s'est enfermée depuis trente ans dans une spirale infernale, achetant des améliorations apparentes de la situation de l'emploi par les préretraites, aux dépens des seniors. Le recours à toutes les formes de préretraite s'assimile en effet à des injections de morphine et à long terme, il se révèle préjudiciable à la compétitivité et pénalisant pour les salariés. Le taux d'emploi des seniors en France -39 %, contre 70 % en Suède et près de 50 % en moyenne en Europe- est une exception. La responsabilité en revient aux politiques menées par les ministres successifs, qui ont camouflé les vrais chiffres du chômage par les préretraites ; elle en revient aussi aux employeurs et à leurs choix de gestion des ressources humaines. Enfin, les syndicats ont considéré les préretraites comme « du grain à moudre » pour gérer les conflits sociaux.
Résultat : année après année, les préretraites ont grimpé de façon vertigineuse, au point qu'en 1997 et 1998, leur niveau record a dépassé 100 000 personnes. C'est pourquoi nous conduisons depuis deux ans une politique très active sur le sujet. De nombreuses mesures ont été prises, comme la libéralisation du cumul emploi-retraite ou la fin des mises à la retraite d'office. Les résultats sont là : seuls 8 000 préretraites ont été décidées en 2009, uniquement en faveur des victimes de l'amiante.
Le deuxième volet concerne le meilleur accompagnement des demandeurs d'emploi seniors, dissuadés auparavant de rechercher un emploi, un scandale qui portait atteinte à leur dignité. Désormais, ils seront accompagnés dans leur recherche.
Le dernier volet concerne la gestion des âges dans les entreprises. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 enjoint aux branches et aux entreprises comptant au moins 50 salariés de signer avant le 1er janvier 2010 des accords ou des plans d'action destinée à recruter ou à maintenir des seniors dans l'emploi, avec des objectifs précis. M. Dériot a relevé que l'emploi des seniors avait progressé grâce à ces mesures. Que n'avons-nous entendu à leur propos ! Que l'emploi des seniors n'était pas une priorité en temps de crise, que le moment était mal choisi pour s'en occuper ! Nous avons repoussé les sirènes de la facilité si bien que pour la première fois en temps de crise depuis trente ans, le taux d'emploi des seniors a augmenté d'un point et demi pour avoisiner 40 %. Le chemin est long car inverser les mentalités culturelles relève d'une course de fond.
Aujourd'hui, 82 branches employant les trois quarts des salariés du secteur privé ont ouvert, et souvent conclu, des négociations. Plusieurs branches ont déjà déposé des accords. Je citerai l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), la Fédération française du bâtiment, l'Union des fédérations de transport et les industries alimentaires. Avec M. Darcos, nous avons accordé une certaine souplesse aux entreprises comptant 50 à 300 salariés qui pensaient à tort, mais de bonne foi, être couvertes par un accord de branche.
Madame Demontès, les accords conclus sont de bonne qualité. Ainsi, développer les compétences et les qualifications, l'accès à la formation et le tutorat est prioritaire pour 80 % des branches. Les trois quarts d'entre elles ont choisi d'anticiper l'évolution des carrières et la moitié ont décidé d'aménager les fins de carrière et d'améliorer les conditions de travail.
Il reste, comme dit M. Fischer, à utiliser ces outils sur le terrain. Monsieur About, des résultats concrets sont déjà observables, notamment pour diminuer le travail de nuit après 55 ans, ce dont le Parlement pourrait peut-être s'inspirer... (Sourires) Je mentionnerai aussi la validation du tutorat en faveur des jeunes salariés et la formation des recruteurs afin d'éviter toute discrimination fondée sur l'âge.
Ces mesures simples aboutissent à des résultats intéressants : ainsi, la Société générale a décidé d'augmenter de 30 % la proportion des seniors en formation ; lorsqu'ils travaillent à Carrefour, les seniors peuvent désormais passer d'un poste de nuit à un poste de jour et bénéficier d'un temps partiel progressif sans diminuer leur salaire à due concurrence.
Concrètement, nous ne nous contenterons pas d'accords de façade. La feuille de route est clairement définie et nous disposons des outils permettant d'évaluer l'application des accords. En février, nous allons réunir les branches professionnelles et les entreprises pour faire le point et envisager l'application effective ; fin avril, nous dresserons un premier bilan, qui pourra être transmis au Sénat.
Ainsi, la dynamique est progressivement enclenchée pour inverser la tendance : autrefois, les négociations portaient sur la mise à la retraite d'office des seniors ; aujourd'hui, elles ont pour objet leur accès concret à l'emploi. Cette bataille au long cours nécessite une grande opiniâtreté car il s'agit de changer notre vision de la société : alors que nous avons besoin de la solidarité entre générations, il était criminel de culpabiliser les seniors en prétendant qu'ils prenaient l'emploi des jeunes. Nous préparons l'avenir en conservant les seniors tout en préparant l'embauche des jeunes ! (Applaudissements à droite.)
Questions-réponses-répliques
M. François Fortassin. - Pour le sujet qui nous préoccupe, la France est la lanterne rouge de l'Europe, ce dont nous nous passerions volontiers.
Des mesures ont été prises, annoncées par le Gouvernement depuis plusieurs années, sans être toujours suivies d'effet car de nombreuses entreprises ne jouent pas le jeu : elles rechignent trop souvent à recruter des salariés jugés plus chers et moins malléables, se privant ainsi d'une expérience et d'un savoir-faire inestimables. Il faut donc changer les mentalités.
Certes, plus de 8 000 entreprises de 80 branches ont signé des accords destinés à faciliter l'embauche de personnes âgées de plus de 55 ans mais l'obligation de résultat est insuffisante.
Il faut prendre en compte la pénibilité du travail car on peut être infirmière ou professeur d'éducation physique d'une certaine façon jusqu'à 45 ou 50 ans mais la pratique professionnelle doit ensuite changer. La recherche de la rentabilité maximum est source de stress pour les salariés, ce qui n'a jamais été de bonne gestion : il faut lui substituer de l'humanisme.
Que comptez-vous faire à ce propos ? Comment allez-vous soutenir l'emploi des seniors sans pénaliser les jeunes ? Comment allez-vous changer les mentalités ?
M. Xavier Darcos, ministre. - La situation s'améliore peu à peu, le taux d'emploi des seniors ayant progressé de 2,6 points depuis 2002, pour atteindre 38,2 % entre 54 et 64 ans.
Le changement des mentalités est en cours, puisque l'on a longtemps cru aux dogmes du partage du travail, donc nous avons subi les conséquences destructrices avec les 35 heures ou la religion des préretraites. Mais notre pays a renoncé à ces démons.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 comporte des mesures incitant les travailleurs âgés à prolonger leur activité, avec le relèvement de la surcote, l'autorisation du cumul emploi-travail et le report à 70 ans des mises à la retraite d'office. Je ne pense pas qu'un homme comme vous puisse défendre à contre-emploi la mise à la porte de salariés pour la seule raison qu'ils aient atteint 65 ans ! (Mouvements divers à gauche)
Enfin, nous avons incité les branches et les entreprises à conclure des accords portant sur l'emploi des seniors.
M. François Fortassin. - La bonne volonté du Gouvernement est manifeste mais le syndrome du jeunisme est flagrant dans les entreprises. Je pense que l'on ne peut pas s'en remettre au temps pour changer les mentalités : il faut des mesures draconiennes !
Mme Janine Rozier. - Le sujet dont nous parlons comporte deux aspects : l'accès à l'emploi et le maintien au travail, difficile malgré l'expérience acquise. Certains seniors subissent des pressions en vue d'un départ anticipé. Pour surmonter leurs difficultés, bien des entreprises envisagent en priorité une cessation progressive d'activité de leurs salariés seniors.
Actuellement, la France est un très mauvais élève en Europe, avec un taux d'emploi de seulement 38 % contre 46 % pour l'ensemble de l'Union. Cessons de considérer l'inactivité après 55 ans comme un moyen de réduire le chômage !
J'approuve les mesures inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, notamment la surcote de 5 % ou le cumul emploi-retraite.
Cette loi de financement pour 2009 prévoit également que les entreprises de plus de 50 salariés doivent, à partir du 1er janvier 2010, passer un accord d'entreprise ou de branche relatif à l'emploi des seniors, les contrevenants s'exposant à une pénalité équivalente à 1 % de la masse salariale. Si nous avons la volonté de promouvoir l'emploi des seniors, seul un changement de mentalité dans les entreprises peut conduire les seniors à retrouver la place qu'ils méritent dans notre société et à voir leur savoir-faire reconnu, notamment dans les métiers manuels, qui sont une école de premier choix pour les jeunes. Monsieur le ministre, vous nous avez fait part de certaines informations à ce sujet mais puis-je en espérer davantage ?
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. - Madame Rozier, seules les entreprises peuvent effectivement sortir l'emploi des seniors de la spirale infernale dans laquelle il se trouvait. Raison pour laquelle nous avons demandé aux entreprises des objectifs chiffrés très précis. Ensuite, nous avons identifié, avec l'aide du cabinet de Nicole Notat, Vigeo, six domaines d'action prioritaire : la non-discrimination à l'embauche, l'évolution des carrières professionnelles pour casser le couperet des 50 ans, l'amélioration des conditions de travail, l'amélioration de l'accès à la formation -car, à partir de 50 ans, les salariés ont deux fois moins de chance d'obtenir une formation-, l'aménagement des fins de carrière et la transmission des savoir-faire en direction des plus jeunes.
Pas moins de 12 millions de salariés sont aujourd'hui couverts alors que nous sommes partis de zéro ; belle performance obtenue grâce au travail conjoint avec les services de M. Darcos. Ces résultats sont également satisfaisants au plan qualitatif : l'accord de branche dans le commerce de gros assure un maintien de rémunération en cas d'inaptitude pour les plus de 55 ans, l'accord dans la métallurgie prévoit de passer la part des salariés de plus de 58 ans de 3 à 5 %, l'accord des industries textiles étend la validation des acquis de l'expérience pour les seniors expérimentés, l'accord des entreprises de la propreté favorise la formation.
Nous n'en sommes qu'au début du chemin, nous vous proposons d'y progresser ensemble !
Mme Janine Rozier. - Permettez-moi d'insister sur la transmission du savoir-faire des seniors dans le bâtiment et les métiers d'art. Nos châteaux du Val de Loire, nos jeunes et nos cathédrales en ont besoin !
Mme Isabelle Pasquet. - Permettez-moi de revenir, à mon tour, sur l'obligation faite aux entreprises de conclure un accord sur l'emploi des seniors. Le bilan est pour le moins contrasté, nonobstant la communication enthousiaste du Gouvernement : des plans d'action dépourvus de mesures concrètes dans les entreprises de plus de 300 salariés, sauf exception et un report de cette obligation de trois mois pour les entreprises de 50 à 300 salariés, dont les entreprises de moins de 50 salariés sont totalement exemptées. L'exemplaire accord de la métallurgie prévoit seulement de porter de 11 à 12 % le taux de salarié de plus de 55 ans... En outre, ces accords de branche seront-ils déclinés dans les entreprises ? Monsieur Wauquiez, ne pensez-vous pas, comme vous l'avez évoqué dans la presse, nécessaire de prendre des mesures plus contraignantes et de passer d'une obligation de moyen à une obligation de résultats ? (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. - Madame, qu'aucun gouvernement, depuis trente ans, toutes majorités confondues et y compris ceux auxquels votre famille politique a participé, ne se soit jamais attaqué à l'emploi des seniors devrait nous inciter tous à une certaine modestie... Nous avons écarté le système des quotas, dont nous avons déjà débattu, pensant qu'il était inefficace d'imposer aux entreprises des taux d'embauche si irréalistes que celles-ci auraient préféré payer. Nous avons voulu, avec une sanction pécuniaire représentant 1 % de la masse salariale, obliger les entreprises à évoluer, mais en fixant des objectifs raisonnables. L'accord dans la métallurgie, loin d'être insuffisant, prévoit un doublement de la part des plus de 58 ans. Cette avancée n'a pas été obtenue par le Gouvernement mais par les délégués syndicaux, les acteurs de terrain. L'emploi des seniors mérite mieux que le pessimisme et l'inaction !
Mme Isabelle Pasquet. - Nul pessimisme dans mes propos... Il se peut que par le passé, les gouvernements n'aient pas agi, mais ce gouvernement ne prend pas assez le problème à bras-le-corps. Notre taux d'emploi des seniors est aujourd'hui de 38 % quand l'Union européenne avait fixé pour objectif en 2006 d'atteindre 50 % en 2010. De nombreux salariés attendent que la pénibilité de leur travail soit reconnue, telles les infirmières. Il est temps de prendre des mesures plus contraignantes pour faire changer les mentalités dans les entreprises. En novembre 2009, monsieur Wauquiez, vous déclariez dans Les Echos, « sans perspective de sanction, rien n'aurait bougé ». Hélas, depuis, rien n'a changé. C'est pourtant le préalable à toute nouvelle modification de notre système de retraite !
M. Guy Fischer. - Très bien !
M. Nicolas About. - Depuis 2003, nous défendons le remplacement de l'annuité par le point ou le basculement du système de l'annuité vers un système de compte notionnel, solutions qui nous semblent une réponse efficace au problème de financement. Dans un premier cas, la pension ne serait pas calculée en fonction des années validées mais du nombre de points comptabilisés au cours de la carrière. Dans le second, la pension dépendrait d'un capital virtuel accumulé par le salarié pendant sa carrière, auquel serait appliqué un coefficient de conversion qui dépendrait de l'âge effectif de départ à la retraite et de l'espérance de vie.
Une telle réforme systémique permettrait d'aborder le problème avec une hauteur nouvelle, de dépasser le point de crispation qu'est l'âge légal de départ à la retraite et de donner à chaque assuré les moyens d'effectuer un arbitrage entre arrêt de l'activité et montant de la pension. Pour nous, elle est le seul moyen de concilier retraite à la carte et maintien d'un haut niveau de pension. Le Gouvernement y est-il favorable ?
M. Xavier Darcos, ministre. - Le Conseil d'orientation des retraites rendra le rapport sur le modèle suédois, dont le Parlement lui a passé commande dans la loi de financement pour 2009, dans quelques semaines, vraisemblablement en février. Nous lui avions demandé de réfléchir aux évolutions possibles en matière de calcul des pensions de retraite en poursuivant trois objectifs : simplification des 38 régimes de base obligatoires, équité entre les régimes et lisibilité pour l'assuré. Ce rapport d'une instance indépendante alimentera notre réflexion. Toutefois, monsieur About, il faut se méfier des solutions miracles... (M. Elie Brun le confirme)
M. Nicolas About. - Ah !
M. Xavier Darcos, ministre. - Modifier le calcul des droits ne permettra pas d'éviter de travailler plus longtemps : soyons clairs ! Mais ce changement permettra de clarifier et d'harmoniser les règles du jeu. Même si l'on peut souhaiter une réforme d'une telle ampleur, il faut commencer par procéder à des ajustements du système actuel pour rendre nos dépenses soutenables dans les dix à quinze années à venir, ce qui ne nous ne prive pas d'agir !
M. Nicolas About. - Monsieur le ministre, je partage entièrement votre conviction !
M. Jacky Le Menn. - En 2003, une grande organisation syndicale soutenait la loi sur les retraites, sous réserve de la création d'un dispositif de compensation de la pénibilité du travail. Que s'est-il passé depuis ? Ledit dispositif n'a pas vu le jour, le patronat s'étant refusé à le financer. Aucune définition juridique claire n'est donnée de la pénibilité dans le code du travail. L'augmentation des contraintes physiques, mentales et organisationnelles place les salariés, notamment les femmes, devant des difficultés insurmontables entre vie privée et vie professionnelle.
Enfin, tout cela s'inscrit dans le cadre d'une menace constante, pour ne pas dire d'un chantage au licenciement, fait par une majorité d'entreprises, y compris publiques, ce qui accroît la souffrance mentale des salariés qui savent que licenciement signifie chômage de longue durée et, pour les plus de 50 ans, perte définitive d'un emploi salarié.
Que compte faire le Gouvernement pour contraindre le patronat à participer au dispositif de compensation de la pénibilité du travail ? Quand arrêtera-t-il de demander à nos concitoyens de travailler plus longtemps, alors qu'il laisse les entreprises les plus prospères licencier sans vergogne ?
M. Xavier Darcos, ministre. - Le Président de la République a évoqué la question de la pénibilité lors de son discours au Congrès. La sauvegarde des régimes de retraite exigera des efforts de tous, ce qui ne veut pas dire que l'on demandera les mêmes efforts à tous. Après trois ans de discussions, les partenaires sociaux en sont arrivés à un constat d'échec. Il nous a donc fallu prendre nos responsabilités.
Notre réflexion repose sur trois idées clés : la pénibilité ne doit pas seulement être compensée, elle doit être prévenue. C'est pourquoi je réunis cette semaine même le conseil d'orientation des conditions de travail pour y pourvoir. Ce point figurera dans l'accord sur l'emploi des seniors. Ensuite, la pénibilité ne doit pas être une notion attrape-tout. Enfin, la cessation d'activité n'est pas la seule réponse possible à la pénibilité : les postes peuvent être aménagés, le temps de travail diminué, les compétences des seniors utilisées autrement. Nous devrons explorer toutes les pistes.
M. Jacky Le Menn. - C'est peu dire que vous ne m'avez pas convaincu. Il faudra définir le concept de pénibilité dans le code du travail, ce qui permettra de mieux adapter l'âge de départ à la retraite et le niveau des pensions pour les personnes ayant exercé ces métiers difficiles.
Enfin, je m'élève contre la notion de réparation en matière de pénibilité et je souhaite une compensation plus juste pour les personnes ayant eu une activité pénible pendant leur vie active. (Applaudissements à gauche)
M. Marc Laménie. - Il serait juste d'accorder certains avantages en matière de retraite à des personnes qui, leur vie durant, ont exercé des métiers pénibles. Qu'est--ce que la pénibilité ? Plusieurs critères ont été avancés par les experts interrogés lors du rapport d'information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale : le travail de nuit, le travail à la chaîne, le déplacement de charges lourdes ainsi que l'exposition à des produits toxiques tels que l'amiante. Le risque inhérent à certaines professions telles que les militaires, les policiers, les gendarmes, les pompiers, les convoyeurs de fonds ou encore les surveillants de prison doit également être pris en compte, sans oublier les professions médicales, notamment les infirmières. Si le Gouvernement ne retenait que les critères mesurables médicalement, son approche serait réductrice : les conséquences de la pénibilité du travail ne se mesurent pas toutes facilement. Ainsi, la pression et le stress qui causent de graves troubles sont difficilement mesurables. De plus, la pénibilité a évolué : certaines professions ne sont plus pénibles du fait de l'évolution technologique. D'autres le sont devenues : ainsi en est-il du travail sur ordinateur qui provoque des troubles musculo-squelettiques.
Nous devrons donc compenser certaines pénibilités inévitables par des mesures financièrement acceptables et justes pour les personnes concernées. Aussi, quelle définition de la pénibilité le Gouvernement entend-il retenir ? Comment tiendra-t-il compte de ce facteur lors de la réforme des régimes de retraite ?
M. Xavier Darcos, ministre. - La pénibilité ne peut pas être une notion attrape-tout. Des facteurs objectifs de pénibilité doivent être définis. En partant des travaux faits durant la négociation entre les partenaires sociaux, nous pouvons distinguer ce qui relève de la compensation de la pénibilité, dont le critère essentiel doit être l'impact objectif sur l'espérance de vie, de tout ce qui relève de la validité, de l'incapacité, de l'inaptitude ou de la dangerosité. Ce n'est pas en faisant entrer sous le vocable de pénibilité l'ensemble de ces nuisances ou fatigues que l'on progresse. Les régimes de retraite n'ont en effet pas vocation à compenser l'ensemble de ces risques.
Si la définition retenue n'était pas assez précise, les conséquences seraient contraires à l'intérêt de tous. Le dispositif devra donc reposer sur un critère tangible : l'espérance de vie.
M. Marc Laménie. - Merci pour ces informations, monsieur le ministre.
M. Yves Daudigny. - En 2003, le Gouvernement a laissé aux partenaires sociaux le soin de définir les critères et le champ d'application de la pénibilité au travail. Nous sommes en 2010 et rien, ou presque, n'a bougé. La voie conventionnelle montre ses limites lorsque les représentants des employeurs ne veulent pas assumer leurs responsabilités à l'égard de leurs salariés.
Nous attendons que les engagements et les déclarations solennelles se concrétisent enfin pour assurer la compensation des inégalités d'espérance de vie qui résultent de l'exercice de métiers pénibles. Mais s'il faut, comme le dit le Président de la République, « que tout soit mis sur la table », les Françaises et les Français ne comprendraient pas que cette compensation se fasse au prix d'un recul de l'âge de la retraite alors que s'amplifient les contraintes physiques, les astreintes, le travail de nuit -passé de 6 % en 1991 à 15 % en 2005- et les horaires décalés. Alors qu'augmentent le nombre de maladies musculo-squelettiques et les handicaps dus aux accidents du travail, il serait paradoxal, sous couvert d'améliorer l'emploi des seniors, d'imposer à ceux qui subissent déjà les conséquences de cette pénibilité, de travailler plus longtemps encore.
Nul n'ignore que les mesures de prévention de la pénibilité sont essentielles. A cet égard, il a été suggéré d'étendre le rôle des comités d'hyène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) aux entreprises de moins de 50 salariés. Il convient également de renforcer les moyens et les pouvoirs de la médecine du travail. Or le Gouvernement souhaiterait en transférer la responsabilité aux directeurs des services de santé au travail, c'est-à-dire aux employeurs, ce qui supprimerait tout contrôle indépendant de la santé des salariés. La surveillance médicale serait également rendue facultative. Il est vrai que la périodicité de la visite de contrôle est passée d'un à deux ans.
Alors que la santé au travail est une question de santé publique, confirmez-vous, monsieur le ministre, ces projets qui étoufferaient définitivement la médecine du travail ?
M. Xavier Darcos, ministre. - On peut difficilement reprocher au Gouvernement d'avoir souhaité que les partenaires sociaux concluent un accord. Les négociations ont été très longues mais n'ont pas abouti. Le Gouvernement a pris ses responsabilités et c'est pourquoi je réunirai le conseil d'orientation des conditions de travail vendredi prochain.
La question de la pénibilité ne relève pas seulement de la médecine du travail, sur laquelle nous voulons d'ailleurs avancer. Je vous rassure : vos craintes ne sont pas fondées.
Les leçons que nous recevons de l'opposition sur cette question sont un peu difficiles à entendre car, en matière de retraites, je n'ai pas le sentiment qu'à part certaines pétitions de principes, la gauche ait proposé une quelconque réforme courageuse ! (Exclamations socialistes)
M. Alain Gournac. - C'est vrai !
M. Xavier Darcos, ministre. - Ne reprochez pas au Gouvernement ce que le parti socialiste n'a jamais été capable de faire ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs tandis qu'on applaudit à droite)
M. Yves Daudigny. - Merci de nous rassurer sur l'avenir de la médecine du travail.
Pour le reste, nous ne jugeons pas ce soir de la politique passée du parti socialiste mais de celle menée par le gouvernement actuel !
Un récent rapport de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) démontre que les parcours professionnels ont un impact sur la préservation ou l'altération de la santé des salariés : ne serait-il pas de bonne politique humaine et économique d'étendre le rôle et le périmètre de compétence de la médecine du travail ? Ne serait-il pas opportun de mesurer le coût social et sanitaire qu'entraînent les politiques de flexibilité menées par les entreprises ? (Applaudissements à gauche)
La séance, suspendue à 17 heures, reprend à 17 h 15.