Immigration, asile et intégration
M. le président. - Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Interventions des rapporteurs
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial de la commission des finances. - Devant l'importance croissante des questions d'immigration, la France s'est dotée, il y a un peu plus de deux ans, des moyens nécessaires à une véritable politique en ce domaine et a créé le ministère de mission aujourd'hui placé sous votre autorité. Pour avoir une vision d'ensemble, il convient de rappeler que le caractère interministériel de cette action reste très marqué. La politique transversale représente 3,62 milliards en crédits de paiement, répartis sur quinze programmes, onze missions et dix ministères : affaires étrangères (39 millions), culture (7 millions), justice (9 millions), recherche et enseignement supérieur (1 575 millions), santé (535 millions), intérieur (780 millions), économie (16 millions), travail et relations sociales (16,5 millions), ville et logement (60 millions) et services du Premier ministre (20 millions). Sur ces 3,6 milliards, 78 % représentent des crédits d'accompagnement social et 22 % des actions répressives contre l'immigration clandestine. Voilà une réalité que devraient connaître les auteurs de critiques systématiques et quotidiennes !
Le ministère de l'enseignement supérieur prend en charge 200 000 étudiants étrangers. La contribution du ministère de l'intérieur correspond au coût du contrôle de l'immigration et à la gestion des centres de rétention administrative ainsi qu'à la rémunération des personnels intervenant dans les procédures de naturalisation, de demandes de visa, d'asile, de titres de séjour. La contribution de la santé représente l'aide médicale d'État accordée aux personnes en situation irrégulière. Les crédits de la mission ne constituent donc que 15,6 % des moyens de la politique transversale. Il faut avoir ces chiffres en tête pour parler de la politique que vous conduisez et animez.
Ce budget connaît plusieurs progrès majeurs, le premier étant un taux de progression de 12 % des autorisations d'engagement et de 10 % des crédits de paiement, la hausse réelle s'établissant à 8 % en raison de l'extension du périmètre aux investissements des centres de rétention administrative. Elle traduit l'augmentation des dotations aux centres d'accueil des demandeurs d'asile et de l'allocation temporaire d'attente qui leur est versée pendant la durée d'instruction de leur demande.
La consolidation administrative de ce ministère récent marque l'arrivée à maturité de la gestion. Les services, 615 emplois équivalent temps plein, sont désormais regroupés sur deux sites voisins de l'hôtel du ministère, d'où une baisse de 1,8 million des dépenses de fonctionnement.
La trésorerie de l'Office national de l'immigration et de l'intégration, chargé de l'accueil des primo-arrivants et de la mise en oeuvre de leur parcours d'intégration, ne sera plus excessive.
Au-delà de ce retour à la normale, deux inquiétudes demeurent. Malgré une hausse de 10 %, la budgétisation des crédits pour les demandeurs d'asile sera insuffisante pour répondre à une progression des dossiers qui a atteint 16 % dans les premiers mois de l'année. Pour la troisième année consécutive, il faudra donc ouvrir de nouveaux crédits en cours d'exercice. Enfin, la vision de la politique transversale de l'immigration est encore lacunaire ; vos capacités d'analyse et de contrôle doivent être renforcées.
Sous bénéfice de ces observations, la commission des finances propose au Sénat d'adopter ces crédits.
Un mot plus personnel avant de conclure. La France a toujours été un pays d'immigration, tantôt subie et tantôt souhaitée. La France a su globalement réussir sa politique d'accueil et d'immigration et pouvoir utiliser cette longue et riche expérience est une chance pour relever les nouveaux défis car chaque génération a ses caractéristiques. Vous avez bien fait d'ouvrir un large débat sur l'identité et l'immigration. La France a réussi parce qu'elle a su se montrer en même temps ferme et rigoureuse : ferme parce qu'on ne peut pas demander aux ressortissants de respecter la loi si les étrangers ne le font pas et parce qu'il faut pourchasser les filières qui s'enrichissent sur la misère ; généreuse en accueillant ceux qui frappent à notre porte pour des raisons essentielles. Nous le faisons quand nous délivrons 52 000 contrats d'accueil et d'intégration, quand nous naturalisons 65 000 personnes en six mois. De tels chiffres nous placent parmi les premiers pays d'accueil et d'intégration dans le respect de la dignité des personnes. Nous aurons à conduire longtemps cette politique d'immigration en conjuguant humanisme et réalisme, en évitant le nationalisme intransigeant comme l'angélisme béat ou tactique. C'est l'honneur de notre pays de se tenir à égale distance de l'un et de l'autre. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Robert del Picchia, en remplacement de M. André Trillard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - Les 1 200 000 Français de l'étranger savent ce que représente l'identité nationale, ils connaissent la chance d'être Français et le disent assez ouvertement. Ils mesurent ce qu'est l'immigration : ils sont eux-mêmes immigrés et ce n'est pas chose facile dans certains pays. Je dis donc aux critiques : regardez ce qui se passe à l'étranger et vous comprendrez.
Il me revient maintenant de vous faire part de l'avis préparé par M. Trillard. La commission des affaires étrangères a décidé, lors de la création de cette mission, de maintenir un avis sur les crédits consacrés à l'action « Garantie du droit d'asile » au sein du programme « Immigration et asile » car l'Ofpra et la Cour nationale du droit d'asile, qui examinent les demandes de droit d'asile, relevaient antérieurement de la tutelle du ministère des affaires étrangères.
La mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile, depuis 2004, a facilité l'accès au statut de réfugié et elle a permis de faire bénéficier les personnes en attente légitime d'une protection de la France de la protection subsidiaire. Par simple respect humain, les dossiers de demande d'asile doivent faire l'objet d'un traitement rapide. Le 9 décembre 2008, le ministère a signé avec l'Ofpra un contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2009-2011, afin de réduire le stock de dossiers et leur durée de traitement. Cependant, durant le premier semestre, les demandes d'asile ont connu une augmentation globale de 16,5 %, soit dix points de plus qu'il n'avait été initialement prévu. L'exercice 2008 avait enregistré une hausse de 20 %, pour une prévision à 14 %. Or, il existe un lien mécanique entre l'allongement de ces délais et le montant versé par le ministère de l'immigration pour l'allocation temporaire d'attente (ATA), puisque le demandeur n'est pas autorisé à travailler pour subvenir à ses besoins durant le délai d'instruction de son dossier. Créée par la loi de finances pour 2006, cette allocation se monte à 10,57 euros par jour : 53 millions sont inscrits dans le projet de loi de finances à cet effet, soit une augmentation de 76,7 % par rapport à 2009. Dès lors, ne conviendrait-il pas de renforcer les effectifs de l'Ofpra, qui s'élèvent à 412 équivalents temps plein ? L'État n'y gagnerait-il pas financièrement ?
J'en viens à la CNDA. Pour faire face au nombre croissant de recours, non suspensifs, formulés dans un délai d'un mois devant la CNDA après une décision négative de l'Ofpra, et pour réduire le délai d'examen, qui est aujourd'hui d'une dizaine de mois, il a été décidé d'adjoindre dix magistrats à plein temps à la Cour au 1er septembre 2009, puis dix autres en 2010. Les magistrats actuellement en fonction sont issus, comme leurs nouveaux collègues, du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou des juridictions de l'ordre judiciaire, mais ils exercent des vacations. A l'évidence, il faut faire appel à des magistrats de plein exercice pour assurer la présidence des audiences : les magistrats vacataires en président, en moyenne, quatre à cinq par mois, contre deux à trois par semaine pour les magistrats à temps plein. Outre une plus grande harmonisation des décisions rendues, cette intensification des audiences permettrait d'améliorer le délai d'examen des dossiers devant la CNDA, mais cet objectif risque d'être compromis par la probable croissance des recours.
Avant de conclure, je tiens à saluer la qualité des personnels exerçant au sein de l'Ofpra et de la CNDA, dont le rôle est déterminant dans la distinction entre exilés politiques, qui entrent dans le champ de l'asile, et exilés économiques, qui relèvent d'autres logiques.
La commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l'adoption des crédits affectés à l'asile. (Applaudissements à droite)
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois. - La politique de la France en matière d'immigration s'efforce de concilier une attitude généreuse, conforme à notre tradition et sans doute à notre identité nationale, avec la fermeté nécessaire dans la lutte contre l'immigration irrégulière et ses filières. Elle dispose désormais d'un ministère bien installé dans le paysage administratif et dont le périmètre se stabilisera sans doute en 2010 avec l'intégration des bâtiments des centres de rétention administrative (CRA).
Le montant consacré à la politique en matière d'immigration et d'intégration se montera à 3,6 milliards, dont 70 % seront consacrés à l'intégration, à la formation des étrangers et à leur santé grâce à l'aide médicale d'État. L'on regarde souvent les choses par le petit bout de la lorgnette, sous l'aspect expulsions, retours dans les pays d'origine, voire mauvais traitements, alors que sur le plan budgétaire, il est évident que l'accueil, la formation, l'intégration et la santé des étrangers est la première préoccupation de ce ministère.
Les crédits consacrés à la garantie de l'exercice du droit d'asile s'élèveront à 318 millions contre 289 millions en 2009, soit plus de la moitié des crédits de la mission. L'accroissement du nombre de demandeurs d'asile, de 14,4 % en 2008 et de plus de 20 % en 2009, se traduit par une augmentation de 1,5 million des crédits de l'Ofpra, de 7 millions des crédits des centres d'accueil des demandeurs d'asile (Cada), et de 23 millions des crédits consacrés à l'ATA, soit une hausse de 76 %.
Les crédits de la lutte contre l'immigration irrégulière passeront de 80 à 94 millions, du fait essentiellement de l'entrée de l'immobilier des centres de rétention administratif dans le périmètre de la mission. Or, ces crédits, qui représentent au total plus des deux tiers du volume budgétaire de la mission, sont liés à des phénomènes sur lesquelles le ministère n'a pas prise, à savoir l'évolution du nombre de demandeurs d'asile et des personnes qui essaient de pénétrer irrégulièrement sur notre territoire. Il est donc indispensable de mieux connaître ces phénomènes pour évaluer le plus précisément possible les crédits nécessaires. La fluctuation du nombre de demandeurs d'asile n'est guère prévisible, même si les guerres ou la politique menée en matière d'asile par d'autres pays peuvent l'expliquer. Pourquoi la baisse de moitié du nombre de demandes d'asile entre 2004 et 2007 a-t-elle été suivie d'une hausse de 14,5 % en 2008 et de plus de 20 % en 2009 ? Pourquoi les demandeurs d'asile qui fuient les guerres du Moyen-Orient vont-ils davantage en Allemagne ou en Suède qu'en France ? Peut-être les connaissances des personnels de l'Ofpra, spécialistes reconnus de la demande d'asile, pourraient-elles être davantage valorisées en la matière.
Les parlementaires qui ont assisté à des entretiens organisés par l'Ofpra soulignent tous la qualité du travail et la pertinence des observations de ce personnel.
En revanche, concernant l'immigration irrégulière, il existe d'autres méthodes pour l'évaluer plutôt que le faisceau d'indicateurs habituellement utilisé et présenté dans le rapport annuel remis au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d'immigration. Lors de la commission d'enquête que nous avions menée en 2006, nous avions appris qu'il était possible d'obtenir des données plus rationnelles. On pourrait ainsi rapprocher les résultats des enquêtes annuelles de recensement, qui permettent une connaissance de toute la population résidente par nationalité, des statistiques relatives aux documents de séjour permettant de connaître l'immigration régulière par nationalité. Autre possibilité, certains protocoles d'enquête élaborés par l'Insee permettraient de recenser les étrangers en situation irrégulière de manière anonyme. On pourrait ainsi affiner l'indicateur n°4.1 du projet annuel de performance de la mission, qui présente le nombre de mesures de reconduites effectives à la frontière, en mettant en regard la variation annuelle du nombre d'immigrés en situation irrégulière sur notre territoire.
Le Président de la République a fixé un objectif de 50 % d'immigration professionnelle dans l'immigration totale. L'indicateur 1.1 du projet annuel de performance montre que ce taux est passé de 14 % en 2007 à 30 % en 2009, et il sera probablement de 37 % en 2010. Alors qu'environ 14 500 titres avaient été délivrés au titre du travail en 2005 et 2006, ce nombre est monté à plus de 18 000 en 2007 et à 28 000 en 2008. Certes, les entrées en France au titre du travail ne représentent qu'une fraction de ce total, puisque de nombreux titres résultent de changements de statut. Ainsi, selon un rapport de L'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (Anaem), 68,5 % des travailleurs permanents admis en 2006 au séjour n'entraient pas physiquement sur le territoire national mais avaient bénéficié d'un changement de statut. Cette proportion a-t-elle évolué ?
Quoi qu'il en soit, une dynamique positive a été enclenchée dans ce domaine qui se traduit également par la signature de nouveaux accords de gestion concertée des flux migratoires en 2008 et 2009, qui comportent, outre des volets consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière et au co-développement, un volet favorisant l'immigration professionnelle. Les accords avec le Congo, le Sénégal et la Tunisie sont entrés en vigueur cet été. En revanche, la collaboration avec les pays asiatiques est encore peu développée. Des négociations sont cependant en cours avec des pays comme le Vietnam, l'Inde ou la Chine. Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, à quelle échéance elles pourront aboutir ?
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission. (Applaudissements à droite)
Orateurs inscrits
Mme Éliane Assassi. - Le budget de cette mission connaît cette année une hausse importante ce qui démontre que vous poursuivez une politique que nous dénonçons. Cette hausse est à mettre en relation avec votre offensive sur le terrain sécuritaire et idéologique, qui établit un lien détestable entre sécurité et immigration et entre identité nationale et immigration. A ce sujet, comment pouvez-vous accepter que certains vomissent des propos racistes sur le site internet que vous avez créé pour soi-disant lancer ce débat ? Mais comment pourrait-il en être autrement à la lecture de certaines questions de votre formulaire : « Comment éviter l'arrivée sur notre territoire d'étrangers en situation irrégulière aux conditions de vie précaires, génératrices de désordres divers, et entretenant dans une partie de la population la suspicion vis-à-vis de l'étranger ? ». Cette question étrange condense tous les poncifs du discours xénophobe.
Ces pratiques sont proprement scandaleuses et je vous demande, monsieur le ministre, d'intervenir pour qu'elles cessent : le racisme est un crime.
Vous espérez, avec ces amalgames, masquer l'échec de votre politique et flatter un électorat frontiste à l'aube d'une échéance électorale.
Le programme « Immigration et asile », dont les crédits sont en augmentation de 12,5 %, illustre l'agressivité de votre politique de lutte contre l'immigration. La Cimade dans son rapport annuel, qui s'appuie sur un rapport d'information de la commission des finances du Sénat ainsi que sur une étude de la Cour des comptes sur la gestion des centres de rétention administrative, estime à 533 millions le coût des expulsions en France. Autant dire des moyens démesurés au service d'un objectif scandaleux, et qui ne produisent pas même, si l'on s'en rapporte à votre logique, les résultats escomptés, puisque seule une mesure d'éloignement forcée sur cinq est réellement appliquée. C'est que le juge des libertés et de la détention refuse souvent de prolonger la rétention, preuve supplémentaire que votre politique porte atteinte aux droits de l'homme, ainsi que le rappelle très justement la Cimade. Parquer ces étrangers, dans des conditions déplorables, dans les centres de rétention administrative, alors même qu'ils n'ont commis aucun crime, c'est porter atteinte à la dignité de la personne humaine. Dans le même temps, les places dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile, qui aident à accélérer la procédure d'obtention, restent en nombre insuffisant. Et ce ne sont pas 1 000 places supplémentaires qui vont régler le problème quand on sait que les capacités d'accueil sont de 21 000 places pour plus du double de demandeurs d'asile -si l'on en croit vos propres chiffres, 45 500, très largement sous-estimés, comme le souligne le rapporteur spécial. C'est vous qui créez des « jungles » comme celle de Calais, que vous venez ensuite très médiatiquement disperser en faisant croire que vous réglez le problème. Vous ne faites au vrai que le déplacer en déplaçant des hommes et des femmes qui ont souvent quitté un pays meurtri par les guerres ou la misère et dont le seul crime est d'avoir cru que la France restait une terre d'asile respectueuse des droits de l'homme.
Créer 1 000 places d'hébergement, donc ? Pur affichage. Il eût été plus judicieux de concentrer vos efforts sur les délais de traitement des dossiers, qui ne cessent de s'allonger : vous réduiriez d'autant les dépenses d'hébergement et le coût des allocations temporaires d'attente, en même temps que vous éviteriez de plonger des personnes dans une trop longue incertitude. La Cour des comptes estime qu'un mois gagné dans le traitement des dossiers permet d'économiser quelque 8 millions sur le budget de l'État. C'est donc bien là qu'il faut mettre des moyens. L'augmentation des crédits de l'allocation temporaire ? Elle ne fait que traduire une sous-budgétisation antérieure. L'augmentation de la subvention à l'Ofpra ? Elle reste très insuffisante pour faire face à la hausse du nombre de dossiers à traiter d'autant qu'elle ne concerne pas le personnel. Selon les premiers éléments disponibles pour l'année 2009, les demandes ont augmenté de 16,5 %, ce qui produit d'ailleurs mécaniquement une augmentation des saisines de la Cour nationale du droit d'asile, dont les délais d'instruction augmentent à leur tour. Or, ainsi que le souligne le rapporteur spécial du Sénat les délais de traitement des demandes d'asiles sont « l'un des principaux facteurs de coût pour la mission ». Il est donc urgent de renforcer les effectifs de l'Ofpra, pour réduire les délais et partant, le coût de l'allocation temporaire.
Votre budget ne fait qu'appuyer votre politique répressive, une politique de l'exclusion et du chiffre, qui consacre bien plus de moyens à interpeller, détenir et expulser qu'à accueillir et intégrer. Vous restez sourd aux appels des associations et organisations, qui s'alarment. Nous ne pouvons que nous opposer à un budget mis au service d'une politique qui ne vise à rien d'autre qu'à remettre en cause le droit d'asile.
M. Richard Yung. - Vous devez être un homme heureux, monsieur Besson, car l'immigration est au coeur du débat. « Immigration : un sujet cher à l'UMP en période électorale » titrait hier Le Parisien libéré, qui n'est d'ailleurs pas paru aujourd'hui. (Rires à gauche) « L'immigration, c'est, pour l'UMP, comme ?Alexandrie Alexandra? pour Claude François : un succès assuré » s'amusait hier un chroniqueur sur une radio de grande écoute. Et je ne parle pas du débat sur l'identité nationale.
Vous qui êtes un homme de droite convaincu, (on renchérit à gauche) pensez-vous que le Général de Gaulle se serait posé des questions sur l'identité nationale ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Sûrement pas !
M. Richard Yung. - Mais peut-être faut-il se poser la question de la corrélation entre cette agitation médiatique et les mauvais sondages pour la droite à l'approche des régionales ? « Ni nationalisme béat », disait notre rapporteur spécial -sans doute à notre intention- « ni nationalisme tactique» -vraisemblablement pour vous.
Le nombre des demandeurs d'asile est en forte augmentation : 14 % entre 2008 et 2009 ; 20 % entre 2009 et 2010. Je vois là une bonne nouvelle : la perception, dans le monde, d'une France terre d'asile est restée la même. Mais c'est une bien mauvaise nouvelle pour vous, qui annonciez que votre politique de fermeté -opposée à notre laxisme postulé- envoyait à l'étranger un message propre à décourager les candidats à l'exil : vous avez la réponse, le message n'est pas passé. Il y a toujours autant d'Indiens, autant d'Afghans qui cherchent à traverser la Manche ; 200 à 300 chaque jour... Toute votre agitation n'aura servi à rien.
Vous avez dû vous-même annoncer la régularisation de 1 000 sans-papiers. Mais vos critères sont bien trop vagues, et bien trop restrictifs.
Les crédits consacrés au droit d'asile, le rapporteur spécial l'a souligné, sont manifestement insuffisants. Ils partent de l'hypothèse que le nombre de demandes restera stable. Hypothèse hasardée, quand on sait que la courbe des demandes est ascendante. Le président de la commission des finances appelait ce matin à des budgets sincères : le vôtre ne l'est pas.
Les crédits de l'Ofprah ne progressent que de 5 %, ceux de la CNDA restent constants, alors que l'on sait que ses délais d'instructions augmentent. Vous créez 1 000 places en centres d'accueil ? C'est insuffisant ! Les crédits d'hébergement d'urgence ne s'élèvent qu'à 30 millions, alors que le budget était déjà sous-doté l'an dernier. Quant aux crédits d'accompagnement social, ils passent tout simplement de 5 millions à 500 000 euros : moins 90 %, on ne peut pas dévoiler plus clairement ses intentions.
Le nombre de placements en rétention administrative, qui était de 32 200 en 2008 pour une durée moyenne de dix jours, n'a fait qu'augmenter -de 20 % depuis 2004- sous la pression de la politique de quotas d'expulsion. Dans son rapport sur les centres de rétention administrative, la Cour des comptes dénonce les lacunes dans le suivi des coûts. Ils sont évalués à 190 millions hors dépenses d'interpellation, d'éloignement et de justice, soit 5 500 euros par personne, 13 200 si on les ramène aux seuls éloignements forcés. Le coût total de l'éloignement, toutes dépenses confondues, serait de 400 à 500 millions, soit 21 000 euros par expulsion.
Un premier geste de bon sens serait de remplacer l'enfermement par l'assignation à résidence, comme la pratiquent les pays civilisés du nord de l'Europe. Beaucoup de progrès restent à faire dans le fonctionnement des centres de rétention : organisation des visites, accès au téléphone, aide à l'exercice effectif des droits -d'autant plus importante que le délai de dépôt des demandes d'asile n'est que de cinq jours, et qu'elles doivent être rédigées en français, alors que les demandeurs ne peuvent plus bénéficier de l'assistance gratuite d'un traducteur.
C'est généralement la Cimade qui résout ces difficultés en faisant appel à des interprètes bénévoles et en fournissant même des stylos, dont les CRA sont dépourvus.
Pour ce qui est des associations venant en aide aux personnes retenues, je ne commenterai pas l'arrêt du Conseil d'État annulant le référé prononcé par le tribunal administratif de Paris, mais l'allotissement, c'est-à-dire la division en sept ou huit lots des contrats d'aide, n'est pas une bonne décision. Cela créera des difficultés de gestion et de rapprochement des droits qui ne serviront pas les étrangers concernés. Il s'agissait, en l'occurrence, de punir la Cimade qui, dans son rapport annuel, a osé critiquer la politique gouvernementale.
Le montant alloué à l'aide juridictionnelle s'élève à 4,6 millions d'euros pour 2010 contre 4 millions pour 2009. L'allotissement explique cette hausse de 15 % des dépenses, qui contredit l'annonce d'économies budgétaires.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne votera pas les crédits de cette mission. (Applaudissements à gauche)
M. Daniel Marsin. - L'examen du budget de cette mission ne peut être dissocié du débat sur l'identité nationale initié par le Président de la République. Vous comprendrez que l'élu ultramarin que je suis considère ce sujet avec une acuité particulière. Mon île est historiquement une terre d'immigration, libre, mais surtout forcée avec la traite des esclaves. L'enracinement, la construction d'un socle de valeurs communes et la définition d'un projet de société constituent des problématiques fondamentales pour comprendre la place qu'occupe la Guadeloupe dans la République.
Or la question migratoire continue d'interroger notre identité. Seconde terre d'accueil d'immigrés parmi les Dom, la Guadeloupe apparaît de plus en plus fragilisée par cette pression migratoire. Entre 2005 et 2007, le nombre des éloignements et des infractions à la législation des étrangers a progressé de 67 %, ce qui s'explique en partie par la politique actuelle de lutte contre l'immigration clandestine. En 2008, les interpellations, au nombre de 1 600, ont diminué de 11 % par rapport à 2007. Il y a actuellement 15 000 étrangers en situation irrégulière dans mon département. Les demandes d'asile auprès de l'antenne de l'Ofpra de Basse-Terre ont augmenté de 57 % entre 2008 et 2009 ; 95 % émanent de ressortissants haïtiens.
Le ministère de l'immigration ne concentre que 15,6 % des crédits de paiement, soit 560 millions d'euros, sur le milliard et demi consacré à une politique éclatée sur onze missions budgétaires. De ce fait, sa gouvernance paraît peu lisible, au détriment d'une gestion rigoureuse des deniers publics. La Cour des comptes a regretté que la gestion des centres de rétention administrative soit divisée entre le ministère de l'immigration et celui de l'intérieur.
L'impératif de bonne gestion s'impose d'autant plus, qu'il en va du sort de milliers de personnes qui fuient la misère, les persécutions et l'absence d'avenir. La démarche répressive ne doit pas occulter les principes humanistes. A l'initiative de Michel Charasse et d'Yvon Collin, des membres du RDSE ont déposé au printemps dernier une proposition de loi supprimant les poursuites au titre de l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers en vertu de l'obligation d'assistance à personne en danger. Des collègues d'autres groupes ont également déposé des propositions de loi visant à abroger le délit dit de solidarité.
La garde des sceaux a publié le 20 novembre dernier une circulaire définissant le champ d'application de l'article L.622-4 du Ceseda incriminant le délit d'aide à un étranger en situation irrégulière, mais ce texte ne règle pas le problème de fond, et l'incohérence législative demeure entre le Ceseda et l'article 223-6 du code pénal, qui définit l'obligation d'assistance à personne en danger.
Plus globalement, monsieur le ministre, j'attire votre attention sur les dangers d'une politique migratoire trop largement fondée sur le chiffre. Avec des objectifs de reconduites à la frontière à atteindre coûte que coûte, attention aux risques de dommages collatéraux. En outre, la réalité ne correspond pas nécessairement aux discours : le nombre des reconduites est artificiellement majoré car seules 46 % de celles-ci s'effectuent hors d'une zone de libre circulation vers la France.
L'exigence, pour la moitié du total, d'une immigration de travail au profit des secteurs économiques manquant de main-d'oeuvre semble avoir placé votre administration dans l'embarras. Les demandeurs d'asile sont exclus des chiffres de l'immigration, et des régularisations relevant de la vie privée et familiale sont transférées vers celles relevant du travail. Votre récente circulaire sur la régularisation des travailleurs en situation irrégulière démontre des incohérences dans la politique suivie. Enfin, en déconcentrant la décision vers les préfectures, la nouvelle procédure de naturalisation risque de créer des ruptures d'égalité.
Cette complexité et ces incohérences ont un coût budgétaire. Le nombre de places dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) est passé de 17 000 en 2002 à 24 000 aujourd'hui, alors que 29 000 personnes y sont éligibles. Les 1 000 places supplémentaires prévues dans le budget 2010 restent très insuffisantes car non seulement ces centres accompagnent plus efficacement les demandeurs d'asile dans leurs démarches, mais l'accueil y est moins coûteux qu'en centre d'hébergement d'urgence ou à l'hôtel. Je regrette que ce budget ne prévoie que 30 millions d'euros pour ce dispositif alors que 67 millions auront été dépensés en 2009 : cet écart devra être une nouvelle fois comblé en loi de finances rectificative. Enfin, les frais de fonctionnement du ministère s'envolent tandis que le ministre du budget ne cesse de rappeler qu'il faut encadrer les dépenses de l'État.
La majorité de mes collègues du groupe RDSE s'opposera au vote des crédits de cette mission. Pour ma part, j'ai confiance en votre bonne foi et, pour vous encourager, je m'abstiendrai.
M. Jean-René Lecerf. - Conformément aux objectifs du Président de la République et du Premier ministre, notre politique d'immigration doit être guidée par la recherche d'un équilibre entre la fermeté, la justice et l'humanité. Fermeté à l'endroit de ceux qui ne respectent pas les règles de la République, dans la lutte contre l'immigration clandestine et ses filières criminelles ; justice pour les étrangers en règle et pour ceux qui cherchent à s'intégrer en se conformant à nos règles d'admission ; humanité dans l'accueil des immigrants et la prise en compte de la singularité des situations. Ces principes s'appliquent à des réalités humaines. Indissociables, ils sont le visage même de l'État républicain.
Le budget de cette mission, en hausse de 10 %, traduit la volonté du Gouvernement de conforter une politique migratoire volontariste et ambitieuse d'accueil et d'intégration des étrangers en situation régulière et de lutte contre l'immigration clandestine et les filières mafieuses de passeurs. Vous enregistrez de bons résultats en matière de lutte contre l'immigration illégale, notamment par le démantèlement de ce que j'appelle les filières de la honte. (M. Robert del Picchia approuve) Il en est de même pour le rééquilibrage entre immigration professionnelle et familiale puisque la première a doublé en 2008 par rapport aux années 2004-2005.
Le premier pilier sur lequel repose cette mission budgétaire est le droit d'asile, un des plus beaux principes de notre République, qui honore notre Nation et participe de son aura sur la scène internationale. La garantie de ce droit d'asile et l'amélioration de l'hébergement des réfugiés demeurent au coeur de vos préoccupations puisque 54 % des crédits du ministère, soit 318 millions d'euros, y seront consacrés. Cela traduit bien la volonté du Gouvernement de voir la France, fidèle à sa tradition humaniste, demeurer une terre d'accueil pour tous les persécutés du monde. Ces crédits progressent de 10 % en raison de l'augmentation importante du nombre de demandeurs. Après avoir progressé de 19,9 % en 2008, la tendance s'est prolongée en 2009 avec un accroissement de 13,9 % sur les neuf premiers mois.
Cette recrudescence de demandes crée des difficultés de gestion pour l'Ofpra et allonge la durée d'examen des dossiers. Le budget 2010 prend en compte cette évolution : 1 000 places supplémentaires sont créées dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), un objectif ambitieux est fixé en délai de traitement et les fonds nécessaires sont prévus pour le versement de l'allocation temporaire d'attente. Je rends hommage aux agents de l'Ofpra pour le travail qu'ils accomplissent. Je siège au conseil d'administration, qui a récemment réexaminé la liste des pays d'origine sûre au terme de débats nourris. Je m'inquiète en revanche du fort taux d'annulation par la Cour nationale du droit d'asile des décisions prises par l'Ofpra : un tel écart d'analyse n'est pas sain, une harmonisation serait souhaitable, sous le contrôle du Conseil d'État.
En matière de lutte contre l'immigration clandestine, la loi républicaine doit s'appliquer avec humanité mais aussi avec fermeté, conformément à la pratique d'un État de droit. Les réseaux de passeurs organisent une véritable traite des êtres humains. C'est un fléau qu'il faut combattre avec la plus grande détermination. Il y va de la dignité de la personne humaine. Les premières victimes en sont les immigrés clandestins eux-mêmes, qui prennent de plus en plus de risques pour passer coûte que coûte. L'immigration clandestine dégrade également la situation des immigrés légaux, elle aggrave les discriminations à leur égard et nuit à leur intégration. Vous avez engagé une lutte sans merci contre les passeurs, les fraudeurs et les marchands de sommeil : hausse des interpellations d'étrangers en situation irrégulière, arrestations de passeurs constats d'emploi d'étrangers sans titre de travail. Nous devons toutefois traiter les victimes des trafiquants de façon convenable, je me félicite donc du transfert au ministère de l'immigration des crédits de rénovation, de construction et d'aménagement des centres de rétention administrative. La France conduit parallèlement une politique volontariste pour mieux organiser l'immigration légale et privilégier l'immigration professionnelle.
L'intégration des immigrés réguliers est le complément indispensable de la politique de maîtrise des flux migratoires. Près de 80 millions d'euros y sont affectés, 8,7 millions de plus qu'en 2009. L'immigration n'a de sens que si elle débouche sur une intégration réussie. C'est le sens du parcours individuel spécifique. Les modalités d'accompagnement professionnel seront modernisées grâce à de nouveaux accords de branche et l'attribution de nouveaux labels « diversité ». Le ministère s'est doté d'un opérateur unique, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, pour unifier et coordonner localement la politique d'intégration et la financer sur ressources propres.
Quant au développement solidaire, le Président de la République et le Premier ministre ont fixé l'objectif, une vingtaine d'accords d'ici 2012 ; neuf ont déjà été conclus.
Ce budget est en très nette augmentation en raison du renforcement des moyens de toutes les composantes de la politique d'immigration et d'intégration. Il témoigne de la détermination du Gouvernement à poursuivre la nouvelle politique migratoire attendue par nos concitoyens, efficace et équilibrée, humaine et pragmatique, juste et cohérente. Le groupe UMP votera ces crédits avec conviction. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Philippe Dominati. - Monsieur le ministre, vous êtes en train de réussir dans une mission difficile parce qu'il s'agit d'un nouveau ministère et d'un sujet sensible. La preuve de votre succès est dans le reproche que vous font certains orateurs. La France reste une terre d'immigration : ils y voient votre échec. Pas du tout ! Cela montre que vous maintenez l'équilibre.
Votre budget augmente dans une conjoncture de crise économique. La progression est justifiée par la hausse des demandes d'asile, la France étant la première destination de l'immigration en Europe. Je vous félicite pour la part que vous prenez dans la lutte, essentielle, difficile, contre l'immigration clandestine. A Calais, par exemple, vous avez pris soin que les migrants les plus fragiles reçoivent une aide humanitaire et une assistance sur place. Un vrai parcours individuel est indispensable. Il faut en effet agir à l'échelle humaine, au cas par cas ou catégorie par catégorie, mais certainement pas par des régularisations massives. L'Europe a du reste suivi la politique initiée par la France et de telles régularisations sont désormais interdites. Les dirigeants espagnols, qui ont suivi cette méthode, la récusent maintenant.
Votre jeune ministère a déjà pris des mesures techniques, réorganisation de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, harmonisation des procédures d'instruction des demandes de nationalisation, effort budgétaire sur les centres de rétention -nécessaire, si l'on se souvient d'où nous sommes partis. Vous avez adressé une circulaire aux préfets et aux magistrats à propos de l'aide apportée en urgence par des citoyens à des migrants. Vous rappelez ce qui est réel et irréel, vous rappelez quelles sont les responsabilités et comment notre pays répond aux traditions d'accueil.
Votre bilan montre que vous êtes en passe de réussir votre mission et de maintenir un juste équilibre, notamment par rapport à la jeunesse française, car le moindre dérapage est problématique. J'ai été sollicité par un Français d'une trentaine d'années qui souhaitait accueillir son père, qui n'était jamais venu dans notre pays et qui voyait très rarement son fils. Il lui faut aller en mairie, produire si possible un titre de propriété -non l'avis de taxe foncière, mais une attestation notariée. Il doit de surcroît apporter avis d'imposition, bulletins de salaire et trois timbres fiscaux de 15 euros chacun. Que des Français se heurtent à une rigidité si excessive me semble nuisible à une certaine politique de compréhension, de modération. Par votre travail, vous réussissez à maintenir cet équilibre fragile et je vous apporte tout mon soutien. (Applaudissements et « Très bien ! » sur les bancs UMP)
M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. - En même temps que je répondrai à vos questions, je rappellerai les axes prioritaires de l'action de mon ministère et les lignes directrices de ce budget.
La politique de l'immigration que nous menons est équilibrée et ambitieuse, et je remercie la majorité présidentielle de la soutenir. Elle vise à mieux accueillir et à intégrer les immigrés en situation régulière, à répondre généreusement aux demandes d'asile, mais aussi, car c'en est la condition indispensable, à lutter contre l'immigration clandestine alimentée par des filières mafieuses. Le ministère que je dirige a été créé pour mieux coordonner l'action du Gouvernement ; il a trouvé sa place dans le paysage politique et administratif de notre pays : le mérite en revient pour une grande part à mon prédécesseur M. Hortefeux. L'augmentation de 11,5 % des crédits de cette mission, qui s'élèveront à près de 600 millions d'euros en 2010, témoigne de notre engagement.
Le premier pilier de l'action gouvernementale, c'est la réponse aux demandes d'asile, dans la tradition de générosité qui est la nôtre. Les crédits qui y sont affectés représentent plus de la moitié de ceux de la mission. J'ai coutume de dire qu'il manque à l'intitulé de mon ministère, déjà long, le mot « asile ». Le nombre des demandeurs d'asile est en forte augmentation depuis deux ans. Les 29 milliards supplémentaires affectés à cette politique serviront à créer 1 000 places de plus dans les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile et à augmenter l'enveloppe destinée à l'allocation temporaire d'attente. Le nombre de places en centres d'accueil a quadruplé depuis 2001, ce qui montre la continuité des efforts de l'État dans ce domaine.
Certains penseront peut-être que la hausse des crédits ne suffira pas à répondre à la demande. Mais nos prévisions budgétaires prennent en compte la réduction d'un an et demi à un an de la durée de traitement des demandes par l'Ofpra et des recours par la CNDA, qui répond à des impératifs humains -les demandeurs ont besoin d'être fixés rapidement sur leur sort- mais aussi à la nécessité de décourager les détournements de procédure et de réduire les dépenses : en réduisant d'un mois les délais, on fait économiser 8 millions d'euros à l'État. Des progrès en ce sens ont été enregistrés depuis deux ans à l'Ofpra, mais ils sont compromis par l'afflux des demandes ; je réunirai bientôt le comité de pilotage pour faire le point. M. Trillard suggère d'augmenter les effectifs de l'Ofpra, mais cela me semble prématuré. Il faut d'abord agir auprès de la CNDA, où les délais sont beaucoup plus longs qu'à l'Ofpra. Dix magistrats professionnels ont été nommés auprès de la Cour, et il faudra sans doute poursuivre dans cette voie. En outre, nous attendons beaucoup de l'harmonisation des politiques européennes : à l'initiative du Président de la République, le dernier Conseil européen en a fait la demande explicite à la Commission.
Si le budget prévu se révélait insuffisant, M. le Premier ministre s'est engagé à ce qu'il soit pourvu aux besoins. L'État n'a jamais manqué à ses devoirs dans ce domaine.
Le deuxième pilier de notre politique, c'est la lutte contre l'immigration irrégulière. Je m'efforce d'atteindre les objectifs qui m'ont été assignés dans ma lettre de mission et de faire appliquer la loi républicaine avec humanité et fermeté. Le budget de cette action intègre désormais des crédits affectés à la rénovation et à la construction des centres de rétention administrative, dont la gestion a été transférée à mon ministère. La reconstruction des centres de Vincennes et du Mesnil-Amelot est déjà engagée ; un nouveau centre sera construit à Mayotte où les conditions de rétention sont devenues inacceptables. Je me réjouis que le Conseil d'État ait autorisé l'exécution de sept des huit marchés relatifs à l'assistance juridique aux étrangers placés en rétention.
Dans son comportement vis-à-vis des mineurs étrangers isolés, la France est d'une générosité exceptionnelle :(Mme Maryvonne Blondin proteste) les pays où l'on ne procède jamais à aucun éloignement contraint des mineurs isolés sont très rares, et le Haut commissariat aux réfugiés n'exige pas que l'on s'en abstienne. La France offre en outre à ces mineurs les mêmes prestations qu'aux mineurs isolés français. J'ai veillé à ce que les 120 mineurs qui vivaient dans des conditions insupportables dans la « jungle » de Calais soient accueillis dans des centres prévus à leur intention. L'expérience d'un « dispositif-SAS » d'évaluation des mineurs étrangers isolés, conduite depuis fin septembre à Vitry-sur-Orne, sera reconduite.
Le groupe de travail que j'ai constitué en mai a formulé des propositions. Certaines seront mises en oeuvre très prochainement, comme la séparation des mineurs et des majeurs dans les zones d'attente, l'augmentation du nombre et de la formation des administrateurs chargés d'accompagner les mineurs non admis à la frontière, la mise en place d'une permanence des administrateurs à Roissy et le remplacement de l'examen osseux destiné à déterminer l'âge des personnes par un autre procédé qui devra faire l'objet d'un consensus parmi les médecins.
Troisième pilier : la politique d'intégration, dont les crédits sont en hausse. Il faut d'ailleurs y ajouter les crédits de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'État finance essentiellement les politiques d'accueil. Monsieur Yung, la France reste une terre d'immigration et je m'en réjouis.
M. Richard Yung. - Nous aussi !
M. Eric Besson, ministre. - Elle a accordé cette année 2 millions de visas de court séjour et 180 000 visas de long séjour. Nous voulons améliorer les conditions d'intégration des immigrés : la politique d'intégration et la lutte contre l'immigration illégale sont les deux faces d'une même médaille. Il n'y a pas d'exemple, dans l'histoire, de pays qui aient mené une politique migratoire laxiste sans aboutir à l'échec de l'intégration des immigrés et à la montée de la xénophobie.
Nous avons mis en oeuvre des mesures innovantes, comme l'ouverture de l'école aux parents étrangers, à qui sont dispensés des cours d'éducation civique sur les fondements de notre organisation administrative et politique. Un label a été créé pour promouvoir la diversité dans les entreprises et les collectivités territoriales. Mentionnons aussi les « parcours de réussite professionnelle », ces bourses accordées à des lycéens étrangers méritants afin qu'ils puissent poursuivre leurs études. Nous améliorerons également la formation linguistique au titre du contrat d'accueil et d'information.
Le développement solidaire, autre domaine d'action de mon ministère, relève d'une autre mission budgétaire. Notre objectif est de parvenir d'ici 2012 à la signature d'une vingtaine d'accords, dont neuf ont déjà été conclus ; je compte en signer au moins trois en 2010. Pour ce faire, les moyens dont je dispose ont été accrus. Des négociations sont en cours avec les États de l'Afrique subsaharienne et des Balkans occidentaux ainsi qu'avec les grands pays émergents. J'ai proposé cette semaine dans le cadre du dialogue « 5+5 » un partenariat migratoire pour la prospérité de l'espace méditerranéen comportant trois volets : une coopération nord-sud renforcée contre l'immigration irrégulière ; la prise en compte des demandes d'asile dans les pays de transit ; un projet pour la mobilité des jeunes. Je me rends la semaine prochaine dans les Balkans pour conclure trois accords sur la mobilité des jeunes avec la Macédoine, le Monténégro et la Serbie, et renforcer notre coopération avec le Kosovo dans la lutte contre l'immigration irrégulière et la traite des êtres humains. Des contacts ont été pris avec l'Inde et le Vietnam. J'ai également conclu il y a quelques semaines un accord avec la Banque africaine de développement portant sur la création d'un fonds fiduciaire dont nous attendons beaucoup.
Vous pouvez constater que l'action internationale de mon ministère est importante, même s'il faut parfois faire preuve de patience dans ce domaine.
Nul ne pourra contester, dans le contexte difficile que nous connaissons, qu'il s'agit d'un bon budget qui témoigne des ambitions du Gouvernement en matière d'immigration et d'intégration.
Je me réjouis de l'adoption fin octobre, par le Conseil européen, de plusieurs propositions françaises pour renforcer la lutte contre les filières d'immigration irrégulière. J'en retiendrai trois : l'adoption de règles d'engagement claires pour les opérations maritimes ; une coopération opérationnelle accrue avec les pays d'origine et de transit tels que la Libye et la Turquie ; l'affrètement de vols conjoints financés par Frontex. Les flux migratoires sont un sujet mondial que nous ne pouvons plus traiter à l'échelle de notre seul pays et il est important que la France continue à jouer un rôle moteur au sein de l'Union européenne.
M. Bernard-Reymond a souhaité que mon ministère renforce ses capacités d'analyse et de contrôle. Il faut en effet compléter le travail déjà fait par des analyses transversales. Je m'étais engagé à faire étudier les coûts de la politique d'éloignement et à en communiquer les résultats. C'est fait.
M. Buffet s'est interrogé sur l'augmentation des demandes d'asile et sur son lien avec l'immigration irrégulière. La cause de cette augmentation est multifactorielle et la moindre d'entre elles n'est pas la modification des réglementations chez nos voisins. M. Buffet a souhaité qu'on améliore le dispositif actuel de prévisions et je le ferai. La France s'engage pour que le bureau d'appui devienne opérationnel.
Sur l'immigration professionnelle, nous partons de très bas : 10 %. L'objectif est fixé à 50 % pour 2012, ce qui est ambitieux compte tenu du contexte économique. Des mesures comme la délivrance de la carte de séjour triennale commencent à porter leurs fruits : malgré la crise, cette immigration professionnelle a augmenté de 33 % en 2008.
A madame Assassi, je dirai sobrement que je regrette sa vision caricaturale. Je l'avais trouvée d'autres fois plus nuancée... Je regrette ce qu'elle a dit sur le lien entre le débat sur l'identité nationale et l'immigration. Ce débat ne porte pas prioritairement sur l'immigration ! Il traite de quantités d'autres sujets qui intéressent les Français et, j'en suis heureux, les francophones et les francophiles. C'est donc beaucoup plus large. Mais lorsque vous niez la possibilité de lier identité nationale et immigration, vous niez toute l'histoire de France car notre pays n'a été qu'un territoire de perpétuelles invasions. Il n'y a pas en France de peuple premier !
Mme Éliane Assassi. - Ne vous en sortez pas par un cours d'histoire !
M. Philippe Dominati. - Elle ne comprend pas...
M. Eric Besson, ministre. - Il y a eu des envahisseurs, puis des vagues d'immigration, et l'idéal républicain a été de faire le lien entre ces diverses vagues. Chaque année, nous accueillons 190 000 étrangers sur notre sol, nous accordons la nationalité française à 110 000 d'entre eux, nous sommes au deuxième rang dans le monde pour l'accueil des demandeurs d'asile et 30 % des mariages célébrés en France sont des mariages mixtes. Le lien entre immigration et identité nationale est le reflet de notre histoire et de la réalité. Le nier, c'est ignorer cette histoire et cette réalité.
Mme Assassi a également prétendu que notre site était un repaire de propos racistes. Au contraire, la modération y est très exigeante et, sur les 37 000 contributions déjà en ligne, vous ne trouvez pas le moindre propos raciste. Mais, comme j'ai voulu que ce site ne soit pas aseptisé, il y a certains propos non conformistes, à la limite de l'acceptable, qui reflètent non ma pensée mais celle d'une minorité.
Mme Assassi s'est encore dite choquée par le lien entre immigration irrégulière et délinquance. Bien des policiers pourraient l'informer des violences, rackets, trafics de drogue, proxénétismes et traites d'êtres humains, inévitablement développés par cette immigration irrégulière. (Applaudissements à droite) Ne pas le comprendre, c'est la preuve d'une grande candeur... Vous avez dit que le racisme est un crime -c'est vrai-, mais le mensonge, le sectarisme et la mauvaise foi sont des fautes, des fautes contre l'intelligence.
Vous avez évoqué Calais. Ceux qui sont reconduits à la frontière sont des déboutés du droit d'asile, droit qu'ils ont pu défendre à tous les niveaux, de l'Ofpra jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme. Considérez-vous que tous les déboutés doivent acquérir instantanément l'asile, voire la nationalité française, dès lors qu'ils viennent d'un pays en guerre, où sévissent guerres civiles et attentats ? Il y a au moins 25 pays dans ce cas. Ce sont donc quelques centaines de milliers de personnes qui devraient pouvoir rester sur le territoire français ? Votre parti est--il prêt à dire clairement que c'est ce qu'il propose ? Il aurait un franc succès auprès de nos compatriotes...
M. Yung a évoqué le général de Gaulle : c'est en effet aujourd'hui notre patrimoine commun. Lui aussi -il suffit de lire ses Mémoires de guerre et ses Mémoires d'espoir pour le constater- n'a jamais cessé, au nom d'« une certaine idée de la France », de s'interroger sur notre identité nationale. Les propos de M. Yung étaient donc déplacés. (Protestations sur les bancs socialistes) Il a parlé du lien avec la Nation. Mais ce n'est pas de ma faute si la gauche a un problème avec la Nation ! (M. Richard Yung proteste) Il nous a accusés d'être partisans. Mais nous n'avons pas de leçon à recevoir ! Sur Europe 1, on interrogeait M. Montebourg sur ce que serait la politique de son parti en matière d'immigration. « Nous sommes dans une phase de reconstruction, a-t-il répondu, les propositions, vous les connaîtrez dans quelques mois » ! Un Bureau national -voyez que je m'intéresse encore à ce parti- devait mardi soir faire des propositions en ce domaine. Mais l'on connaît la méthode de Mme Aubry. Elle revendique une « large », pour éviter de dire massive, régularisation avant de chuchoter que tout se déciderait « sur critères » ! Exactement ce que nous faisons ! Et du Bureau national, il n'est sorti sur le sujet que quatre lignes totalement ambiguës sur le site...
Sur l'asile, il semble qu'il y ait le sénateur Yung de la commission et le sénateur Yung de la séance publique. En commission -je cite le compte rendu-, il « s'est réjoui que la moitié du budget du ministère soit consacré au droit d'asile » ! Ce n'est pas exactement ce que j'ai entendu tout à l'heure... Il est vrai que tout le monde a le droit de changer d'avis en quelques heures. (Rires sur les bancs socialistes)
M. Richard Yung. - Ça vous va bien !
M. Eric Besson, ministre. - Dans les CRA, tous les droits sont respectés, du droit à l'assistance juridique jusqu'au droit à la santé, en passant par le droit au téléphone et à l'interprète. A cet égard, je rends hommage à une politique... la vôtre. C'est François Mitterrand qui a créé les CRA et c'est Lionel Jospin qui a créé les chambres parents-enfants qu'on nous reproche tellement.
Il est normal, contrairement à ce que vous avez dit, que les crédits des marchés d'accompagnement juridique soient en sensible augmentation, d'abord parce que les prestations demandées sont d'un niveau supérieur, par exemple en termes de formation des intervenants, ce que vous ne pouvez nous reprocher ; ensuite parce que le nombre de places en CRA passera de 1 659 en 2009 à 2 058 en 2010. Je ne sais pas en outre où vous avez trouvé les 500 000 euros de financement de l'accompagnement social dans les CRA ; disons que vous avez mal lu les documents... Les crédits atteindront en réalité 11 millions d'euros, au lieu de 10.
J'ai pris bonne note, monsieur Marsin, de vos propos sur l'écho particulier que pouvait avoir outre-mer le débat sur l'identité nationale ; je vais travailler main dans la main sur ce sujet avec Mme Penchard, qui m'a déjà fait quelques suggestions. Vous avez insisté à juste titre -c'est vrai pour les Antilles comme pour tout le territoire- sur la nécessité de réguler les flux migratoires.
S'agissant ce que vous avez appelé, en y mettant des guillemets, le délit de solidarité, Mme Alliot-Marie vient d'envoyer aux préfets une circulaire qui reprend très exactement les engagements que j'ai pris devant les associations. Certaines ne sont pas satisfaites, qui voulaient l'abrogation de l'article L.622-1. Mais je relève que, parmi les 5 000 personnes mises en examen chaque année au titre de cet article -passeurs, trafiquants, propriétaires de squats qui exploitent les étrangers en situation irrégulière- on ne trouve pas un seul bénévole humanitaire. Pas un depuis la Seconde guerre mondiale. J'ai mis au défi les associations de m'indiquer un cas, elles n'ont pu le faire. C'est dire combien cet article est indispensable à la lutte contre les filières mafieuses d'immigration clandestine. La modification qui a été apportée n'a d'autre but que de sécuriser définitivement les bénévoles humanitaires. Mme Alliot-Marie a en outre demandé aux forces de l'ordre de ne plus jamais intervenir à l'encontre d'étrangers au sein des préfectures, à l'hôpital ou aux abords des écoles. Notre pays est à cet égard exemplaire. (Exclamations sur les bancs socialistes) J'ai apprécié, monsieur Marsin, ce que vous avez joliment appelé votre abstention d'encouragement...
M. le président. - Je vous prie de conclure.
M. Eric Besson, ministre. - J'aurais aimé avoir le temps de remercier M. Lecerf. Oui au triptyque fermeté, justice et humanité ; oui à une harmonisation entre les jurisprudences de l'Ofpra et de la CNDA. Il a dit à juste titre que les premières victimes de l'immigration clandestine étaient les immigrés eux-mêmes.
J'ai été sensible au satisfecit qu'a décerné M. Dominati à l'action du ministère que j'ai l'honneur d'animer. Mes collègues européens le disent, la France est exemplaire. Et sa politique, monsieur Yung, est celle de tous les pays européens, socialistes espagnols et travaillistes britanniques compris ; les deux pays qui durcissent actuellement leur politique d'immigration sont d'ailleurs l'Espagne et le Royaume-Uni ...
M. Richard Yung. - Et les 700 000 régularisations ?
M. Eric Besson, ministre. - Merci, monsieur Dominati, de vos propos sur l?aide humanitaire et les procédures de régularisation au cas par cas, dans le respect de l'article 40 de la loi de 2007.
M. Yung m'a demandé si j'étais heureux. La réponse relève de la vie privée. Je veux en tout cas lui dire ma fierté de mener une mission éminemment républicaine sur laquelle je regrette que tous les républicains ne se retrouvent pas. Qu'il lise, sur le site du ministère, ma lettre de mission : elle est belle, humaniste, républicaine. Je me contente de la respecter avec détermination. (Applaudissements à droite)
Les crédits de la mission sont adoptés.