Lutte contre l'inceste sur les mineurs (Proposition de loi)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes.
Je vous rappelle la contrainte, évoquée par le Président du Sénat cet après-midi, qui pèse sur nos travaux. En ce dernier jour de session ordinaire, la séance ne peut se prolonger au-delà de minuit. J'invite donc tous les orateurs à la plus grande concision car ce texte n'étant pas inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire, il sera, si son examen n'est pas achevé dans les délais ce soir, reporté à l'ordre du jour de la prochaine session ordinaire.
Discussion générale
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - Bien que la prohibition de l'inceste fonde nos civilisations humaines, magistrats, forces de l'ordre et professionnels de l'enfance savent que la lutte contre les violences incestueuses sur les mineurs reste d'actualité. Ce texte, en inscrivant l'inceste dans le code pénal, comble une lacune de notre droit, adresse un signal fort aux victimes et aux autorités chargées de le combattre et prévoit des moyens de détecter, de prévenir et de lutter contre l'inceste.
Porté à l'Assemblée nationale par Mme Marie-Louise Fort, ce texte est le résultat d'un travail législatif approfondi. Je salue le travail remarquable de votre commission et du rapporteur. Voilà qui fait honneur à notre démocratie.
La clarté de la loi est la condition de l'efficacité de notre action. L'inceste, parce qu'il constitue une forme spécifique de violences sexuelles, appelle des dispositions spécifiques. Sans évoquer la définition proposée par votre commission, dont nous aurons l'occasion de débattre, ce texte distingue l'inceste du viol et de l'agression sexuelle -constitués par les facteurs que sont la violence, la contrainte, la menace et la surprise- par la notion de contrainte morale qui résulte de la différence d'âge et de l'autorité de l'auteur du fait.
La spécificité de l'inceste implique de prendre en compte le contexte familial. De fait, l'inceste, qui repose sur l'abus de la confiance spontanée des mineurs dans les adultes qu'ils côtoient au sein de la famille, transforme un processus de construction de la personnalité en destruction de l'individu. La circonstance aggravante d'inceste que crée ce texte constitue un gain de clarté et de lisibilité de la sanction.
Mieux prendre en compte les victimes de l'inceste est la première de nos responsabilités. Le désarroi des victimes de l'inceste est souvent aggravé par le silence qui l'entoure. N'aggravons pas la loi du silence par le silence de la loi, n'ajoutons pas un tabou juridique au tabou social. En inscrivant en toutes lettres la notion d'inceste dans le code pénal, nous contribuerons à mieux répondre à ce besoin de reconnaissance.
La prévention de l'inceste est confortée avec une information dans les écoles, une sensibilisation du public dans les médias et un enseignement spécifique pour les médecins, enseignants, travailleurs sociaux et avocats.
Pour améliorer la prise en charge des victimes, il est prévu, outre la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement avant juin 2010, un déploiement des unités médico-judiciaires sur l'ensemble du territoire que Mme le ministre de la santé et moi-même soutenons. Enfin, parce que la complexité des démarches juridiques constitue un frein supplémentaire à la sanction de l'inceste, le juge désignera un administrateur ad hoc pour accompagner le mineur.
Défendre les plus fragiles, protéger l'enfance, préserver la cellule familiale relève de notre responsabilité au-delà des clivages politiques. Adapter notre droit à la lutte contre l'inceste, c'est affirmer, dans une société menacée par la perte de repères, notre attachement à la dignité humaine et aux valeurs de notre pacte social ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois. - Dans notre pays, l'inceste est une réalité très lourde. Occultée, hélas !, par le passé, elle se dit aujourd'hui plus facilement. Mais beaucoup reste encore à faire. Bien que le code civil comporte des dispositions sur l'empêchement du mariage et que le code pénal sanctionne les infractions sexuelles commises au sein de la famille, la notion n'est pas inscrite dans notre législation, ce qui représente un grave handicap dans la lutte contre ce fléau. Malgré quelques sondages, personne ne sait aujourd'hui chiffrer cette réalité. En revanche, nous savons qu'elle est particulièrement destructrice et crée des traumatismes très profonds.
Face à ce constat, que faire ? Telle est la question que pose ce texte. Notre législation en matière de répression de la délinquance sexuelle est l'une des plus sévères d'Europe, observait Christian Estrosi dans un récent rapport. Mais la France ne pénalise pas l'inceste en tant que tel contrairement à l'Allemagne qui le réprime même entre les majeurs.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Juste !
M. Laurent Béteille, rapporteur. - Ce n'est pas la tradition française, même s'il existe, chez nous, une forme légitime de réprobation morale.
En revanche, notre droit reconnaît comme circonstance aggravante le fait que le viol, l'agression sexuelle ou l'atteinte sexuelle sur mineur soit commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime. Les peines encourues sont très lourdes et vont jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle. En outre, le délai de prescription a été porté à vingt ans, soit le double du délai en matière de crimes, et court à partir de la majorité de la victime qui peut donc dénoncer les faits jusqu'à ses 38 ans. C'est une bonne chose...
Mme Isabelle Debré. - Tout à fait !
M. Laurent Béteille, rapporteur. - Car les victimes ont besoin de temps pour se libérer de la chape de plomb posée sur les faits, parfois par leur propre famille.
D'autres dispositions ont été adoptées : possibilité de désigner un administrateur ad hoc lorsque les parents ne sont pas aptes à assurer la protection des intérêts de l'enfant, privation de l'autorité parentale, etc. Enfin, depuis 2004, le code prévoit que les médecins ne peuvent être l'objet de sanctions disciplinaires lorsqu'ils ont signalé aux autorités compétentes les mauvais traitements dont ils auraient eu connaissance.
Le dispositif pénal existe donc ; aujourd'hui, nous nous interrogeons plutôt sur les conséquences de notre façon d'aborder le problème. Notre loi pénale ne nomme pas l'inceste. Pour les associations de victimes, ne pas donner de nom à la chose, c'est la nier. On n'ose pas parler d'inceste dans notre législation. Pour les victimes, cela est grave. Et nous sommes privés d'une meilleure connaissance du problème : nous ignorons son ampleur et son évolution.
La proposition de loi est le fruit d'une réflexion menée depuis un certain temps. En juillet 2005, M. Christian Estrosi avait remis un rapport au Premier ministre sur l'opportunité d'inscrire l'inceste en tant qu'infraction spécifique dans le code pénal. Puis Mme Marie-Louise Fort, députée, a recueilli un grand nombre de témoignages de victimes qui l'ont convaincue de présenter un texte en ce sens. Néanmoins, l'un comme l'autre se sont prononcés en faveur, non de la création d'une infraction spécifique d'inceste, mais du maintien du principe actuel, l'inceste considéré comme une circonstance aggravante des infractions sexuelles.
L'inscription de l'inceste dans notre législation fait l'objet d'avis contrastés : l'ancienne Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, ainsi que l'ensemble des associations de magistrats sont réservées voire hostiles. Nous ne pouvons négliger cette réaction. Néanmoins, j'ai eu l'occasion comme avocat de plaider de telles affaires : j'ai obtenu l'acquittement d'un père accusé par sa fille ; or, de nombreuses années après, j'ignore toujours si un innocent a fait deux ans de détention provisoire ou si la cour d'assises a libéré un coupable. Souvenons-nous d'Outreau. C'est une matière extrêmement difficile à juger. Entre le témoignage de l'enfant et les déclarations de l'adulte, un expert psychiatre dit quels propos sont les plus crédibles... Il y a très rarement un élément matériel, une preuve scientifique ; c'est le domaine de l'intime conviction et la responsabilité est lourde pour les juges.
Cela ne signifie pas qu'il ne faille rien faire. Je rejoins les associations de victimes, tout comme l'exposé des motifs de la proposition, qui souligne l'importance de « poser sur l'acte le terme qui convient ».
Le texte issu de l'Assemblée nationale posait des difficultés. La loi pénale est toujours d'interprétation stricte. S'il y a ambiguïté, celle-ci profite à l'accusé. Si les sanctions sont aggravées, elles ne s'appliqueront qu'aux infractions futures, lesquelles seront jugées dans environ vingt ans compte tenu du délai de prescription. Il ne faut pas se tromper...
La proposition fixe des catégories qui n'existaient pas dans la loi précédente. Est-ce une aggravation ou non ? Le texte sera-t-il ou non applicable ? N'y aura-t-il pas des effets pervers ? Je ne puis répondre !
Les membres de la commission des lois, de tous les groupes, ont fait ensemble un travail fructueux. La liste retenue par la proposition de loi apparaissait excessivement rigide, englobant des situations qui ne relèvent pas de façon évidente de l'inceste -par exemple un adolescent qui aurait des relations sexuelles avec l'amie de son père, de son oncle ou de son frère- et elle excluait des situations qui en relèvent de façon manifeste, je songe aux violences au sein de « quasi-fratries ». L'énumération des auteurs d'actes incestueux qui figurait à l'article premier ne recoupait qu'imparfaitement les personnes actuellement englobées dans les notions d'ascendant et de personnes ayant autorité. La commission des lois y a substitué une référence plus générale aux « violences commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur, par son ascendant ou par une personne qui dispose d'une autorité sur lui ». La nouvelle circonstance aggravante d'inceste risquait de poser de réels problèmes de droit transitoire ; nous avons préféré une « surqualification », une qualification supplémentaire se superposant aux qualifications existantes et applicable aux affaires en cours. En outre, la qualification d'inceste fera l'objet d'une question spécifique devant la cour d'assises.
Nous avons suivi M. Jean-Pierre Michel et le groupe socialiste et supprimé l'article 2 bis, qui aggravait les peines en cas d'atteintes sexuelles commises sur un adolescent âgé de 15 à 18 ans. La proposition de loi vise à inscrire l'inceste dans le code pénal afin de mieux identifier et prendre en charge les victimes, elle n'a pas pour objet d'aggraver les sanctions existantes. Enfin, la désignation systématique d'un administrateur ad hoc en cas d'inceste n'est pas souhaitable, car l'un des parents demeure peut-être apte à assurer la protection de l'enfant. En revanche, nous avons conservé, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles, la définition de la contrainte figurant à l'article premier.
La contrainte est un élément constitutif des infractions de viol et d'agression sexuelle. Or, dans les années 1990, la Cour de cassation a considéré que la contrainte ne pouvait résulter du seul jeune âge de la victime et de la relation particulière qui la liait à son agresseur. Ce raisonnement avait conduit dans certains cas à requalifier en atteintes sexuelles des viols commis sur un mineur par une personne de sa famille. Cela avait fortement ému les associations de victimes, pour lesquelles une telle position semblait sous-entendre que l'enfant aurait pu consentir aux relations sexuelles qui lui étaient imposées -une aberration dans le cas spécifique de l'inceste. La nouvelle définition de la contrainte conduira les magistrats à ne plus retenir l'atteinte sexuelle quand ont été commises des violences au sein du cadre familial qui relèvent à l'évidence du viol ou de l'agression sexuelle.
Au-delà du vote d'une loi, la prévention et l'accompagnement des victimes relèvent du Gouvernement, soit parce que les mesures sont d'ordre réglementaire, soit parce qu'elles sont tombées sous le coup de l'article 40. Je me félicite de la sensibilisation des professionnels, il faut l'approfondir. L'Assemblée nationale a voulu créer des centres d'accueil des victimes dans tous les départements, l'amendement a été déclaré irrecevable, mais le Gouvernement se doit de prendre la mesure du problème. Je me réjouis, madame la ministre, de vos propos, car la balle est dans le camp du Gouvernement ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Muguette Dini. - Pour une femme ou une adolescente, le risque de maltraitance ou d'agression sexuelle est plus grand à son domicile que dans la rue. C'est encore plus vrai des enfants. La plupart des abuseurs sexuels se trouvent au sein de la famille. Notre droit pénal prend-il en compte les spécificités de ces crimes ?
Les spécificités de l'inceste méritent-elles qu'il soit nommé comme un crime différent ? A ces questions, les victimes répondent par l'affirmative.
C'est vrai, le terme d'inceste n'est inscrit ni dans le code civil, ni dans le code pénal. Alors que l'anthropologue, le sociologue, le psychanalyste, l'ethnologue et l'éthologue se sont tous penchés sur l'inceste, le juriste n'y a consacré que très peu d'écrits. Tout se passe comme si la règle morale sous-jacente aux règles juridiques allait tellement de soi qu'il n'était point besoin pour notre droit d'en dire plus.
Le mot « inceste » va dans le sens d'un interdit social. Le dictionnaire de l'Académie française, dans ses vieilles éditions, l'a défini comme « la conjonction illicite entre les personnes qui sont parentes ou alliées au degré prohibé par la loi ». Le Littré parle, lui, d'« union illicite ». Au vu de ces premiers éléments, il est clair que l'« inceste » renvoit à la famille voire à la parenté. Il n'y a donc pas d'inceste sans famille au sens large.
Notre droit ne donne pas de définition de l'inceste mais l'interdit de l'inceste, quoique non désigné explicitement en tant que tel par le droit, n'en a pas moins été et demeure l'un des fondements mêmes du droit familial et un pilier fondamental de notre société. Ainsi, notre droit positif civil comporte des dispositions se rattachant à l'inceste, relatives au mariage et à la filiation. Le code civil interdit l'union incestueuse et, donc, oblige à trouver son partenaire sexuel à l'extérieur de la famille. Cette prohibition a traversé toutes les réformes du code civil. Un homme ne peut et n'a jamais pu épouser sa mère, ni sa grand-mère, ni sa soeur, ni sa fille, ni sa petite-fille. Une femme ne peut épouser son père, ni son grand-père, ni son fils, ni son petit-fils, ni son frère. La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité a posé le même principe de prohibition. L'article 515-2 du code civil dispose qu'« à peine de nullité, il ne peut y avoir de Pacs entre ascendant et descendant en ligne directe et entre collatéraux jusqu'au troisième degré ».
La filiation incestueuse s'avère également indirectement prohibée. L'enfant né de relations incestueuses ne verra sa filiation légalement établie qu'à l'égard de l'un des deux auteurs de l'inceste.
Au plan pénal, l'inceste est aussi réprimé comme circonstance aggravante du crime de viol, du délit d'agression sexuelle ou du délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans par une personne ayant autorité.
Alors, faut-il en rester là ? Les victimes nous demandent d'aller plus loin et de reconnaître que l'inceste n'est jamais pris en considération isolément, qu'il est toujours appréhendé en même temps que tous les autres crimes d'abus d'autorité. Depuis plusieurs années, sortant de leur silence, les victimes d'actes incestueux parlent. Les poursuites pour de tels faits se multiplient mais ils ne sont jamais qualifiés comme tels. Cette répression pénale s'est accrue notamment depuis la réouverture des délais de prescription par la loi du 10 juillet 1989, ce qui ne fait plus obstacle à une action tardive de la part de victimes majeures, ayant été victime d'un inceste pendant leur minorité.
Mais les victimes ont besoin que les faits soient posés par les mots justes. La proposition de loi leur donne gain de cause. Il n'y a pas création d'une nouvelle infraction mais ce crime est, dans sa spécificité, nommé et de ce fait, reconnu.
Surtout, ce texte reconnaît la notion de « contrainte morale », pouvant résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait qu'il exerce sur cette dernière. Dans la rédaction actuelle du code pénal, quatre facteurs permettent de constituer une agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Or, tout cela ne se vérifie pas en matière d'agressions sexuelles intrafamiliales. Le parent n'a pas besoin de se montrer violent avec l'enfant. Les menaces sont souvent postérieures à l'acte et donc inopérantes. La surprise est insuffisante pour rendre compte de la pérennité du phénomène. La victime est dans une situation très particulière par rapport à l'auteur de l'infraction. Elle vit avec lui et souvent elle l'aime... Cette dépendance, cette autorité font de l'inceste un crime pas comme les autres et créent les conditions du particularisme que réclament les victimes.
Cette proposition de loi n'évoque pas l'inceste entre personnes majeures mais sur le plan de l'interdit social, toute relation sexuelle intrafamiliale reste un inceste. C'est pour insister sur la différence entre inceste imposé et inceste consenti que j'ai cosigné l'amendement de François Zocchetto sur la modification du titre du texte de loi.
Nous avons le devoir de faire changer les mentalités. Ce sera un long travail qu'il convient d'entamer au plus vite, en particulier à l'école et dans les lieux de loisirs fréquentés par les enfants et les adolescents. C'est la condition d'une prise de conscience rapide chez les enfants victimes d'inceste. C'est à cette condition qu'ils seront moins nombreux et moins traumatisés. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le sens anthropologique et le sens juridique de l'inceste ne recouvrent pas le même champ, le second étant plus large que le premier. Si le droit ignore les cas où les adultes sont consentants -seule l'interdiction du mariage peut leur être opposée-, il n'ignore pas les cas d'inceste sur les enfants, même si l'inceste n'est pas nommé dans le code pénal. Mais la loi restera toujours impuissante tant que les faits resteront ignorés par la société. La grande majorité des agressions sexuelles sur les enfants ont lieu dans le cadre familial même si on a du mal à l'admettre. Les secrets de famille continuent d'être bien gardés. Le silence entourant l'inceste explique les difficultés rencontrées par les professionnels pour l'identifier, le prévenir et le sanctionner. L'enfant est agressé dans son corps mais aussi dans son psychisme, il est trahi par ceux qui sont censés lui apporter de la sécurité et de l'amour. Cette trahison enferme l'enfant, et ensuite l'adolescent et l'adulte qu'il devient, dans un silence impossible à briser. L'emprise de l'adulte sur l'enfant, le sentiment de honte, de culpabilité, la peur d'être puni ou de ne pas être cru, sont si forts qu'il s'enferme dans son silence.
La question clé, c'est la capacité de la victime à engager une action en justice et c'est pourquoi, en 2004, j'ai contribué à porter de dix à vingt ans le délai de prescription parce qu'il faut parfois atteindre l'âge adulte pour parler.
Le code pénal prend déjà en compte la réalité de l'inceste, bien qu'il ne le nomme pas expressément. Le législateur a fait le choix, jusqu'à présent, de sanctionner toute atteinte commise, même sans violence, sur un mineur : le fait que celui-ci ait moins de 15 ans constitue une circonstance aggravante, tout comme le fait que l'agresseur soit un ascendant, une personne ayant autorité sur la victime ou ayant abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions. Si les juridictions n'utilisent pas le terme d'inceste, leur sévérité est incontestable comme le constatait la Défenseure des enfants, Claire Brisset, dans son avis de 2005 : « De tels actes sont quotidiennement réprimés par les tribunaux correctionnels et les cours d'assises, d'ailleurs avec une sévérité souvent supérieure en France à celle de la plupart des autres pays européens ». Notre législation permet, grâce à l'utilisation des notions d'ascendant et de personne ayant autorité sur la victime, de prendre en compte la diversité des situations de violences sexuelles au sein de la famille.
La proposition de loi, telle qu'elle a été adoptée par les députés, présentait l'inconvénient de procéder à une stricte énumération des auteurs d'actes incestueux. L'inscription de cette liste -non exhaustive- dans le code pénal aurait exclu du champ de l'inceste des cas qui pourtant sont vécus comme tels par les victimes. La proposition de notre rapporteur -qui a fait l'unanimité- d'en revenir à une terminologie existant dans le code pénal et de ne pas retenir l'énumération prévue initialement répond mieux aux cas d'inceste dans des structures familiales dont la composition évolue rapidement. Alors que de plus en plus de familles sont recomposées et que les liens affectifs y dépassent largement ceux du sang, l'inadéquation de la liste dressée dans l'article premier initial avec la multiplicité des schémas familiaux était flagrante. Je crains que l'amendement du Gouvernement réintroduisant l'énumération dans cet article ne soit trop précis et laisse de côté des situations pourtant vécues comme des incestes. Claire Brisset s'interrogeait déjà en 2005 sur la façon de fixer la limite du cercle familial et voulait garder assez de souplesse pour délimiter le cadre intrafamilial. Il faut en rester à la position de notre commission des lois.
La définition de la contrainte proposée par l'article premier crée davantage d'insécurité juridique qu'elle n'en résorbe. Le texte prévoit que la contrainte peut être « physique ou morale ». La définition retenue pour la contrainte morale présente l'inconvénient de limiter la liberté du juge dans son appréciation de la contrainte qui aura pu être exercée sur l'enfant.
L'inceste n'est pas nécessairement caractérisé par la différence d'âge ; et on ne sait si les deux conditions seront ou non cumulatives. Pour certains auteurs, la question du consentement ne se pose pas dès lors que l'état de dépendance de la victime est tel qu'il altère son discernement. Or il ne peut y avoir consentement que s'il y a discernement.
Le volet prévention et accompagnement des victimes est enfin très décevant ; sur ce point, le texte initial était meilleur. Il est très important que les professionnels soient bien formés, aient une bonne appréciation de la parole des enfants afin de pouvoir détecter ce que les troubles de ces derniers peuvent receler. Les parlementaires ne peuvent malheureusement pas augmenter d'eux-mêmes les dotations allouées à la prévention et aux soins. Pour cette seule raison, nous nous abstiendrons.
M. Gilbert Barbier. - Cette proposition de loi touche un domaine où la raison le cède bien souvent à l'émotion, ce qui est compréhensible. Je salue donc le travail fait par notre collègue députée Mme Fort, dans le prolongement de la mission menée par M. Estrosi, ainsi que celui de notre rapporteur M. Béteille.
L'inceste produit en nous un mélange d'incompréhension et de répulsion. Il transgresse les structures fondamentales de l'organisation de nos sociétés, porte une atteinte intolérable à la dignité de ses victimes. Les statistiques peinent à en donner une image fiable ; en extrapolant le nombre d'affaires portées devant la justice, on estime à deux millions le nombre de personnes ayant subi durant leur enfance un rapport sexuel forcé ou une tentative. Environ 20 % des procès d'assises concernent des affaires d'inceste. Tous les âges sont concernés et l'inceste par ascendant peut être le fait de la mère. C'est la violation la plus totale des droits de la personne, une des formes les plus évoluées de la barbarie. Combien de victimes ont trouvé la mort comme seule réponse à leur souffrance ? Les conséquences de l'inceste sont toujours graves : suicide, anorexie, boulimie, automutilation, toxicomanie, prostitution, alcoolisme, dépression, trouble bipolaire... Un abus sexuel intrafamilial laisse toujours des blessures psychologiques irréversibles.
L'inceste est aussi un problème de santé publique, un problème de société : il insulte nos valeurs. C'est pourquoi il nous faut donner aux pouvoirs publics les outils permettant de le combattre, de le réprimer, mais aussi et surtout de le prévenir.
La qualification juridique de l'inceste doit d'abord être inscrite dans le code pénal. Cette reconnaissance par la loi aidera les victimes dans leur thérapie : appeler les choses par leur nom empêche le refoulement et le déni de la réalité. Nier l'inceste, c'est se faire complice de l'agresseur. Le texte n'aggrave pas les peines encourues pour viol, agression sexuelle et atteinte sexuelle commis de façon incestueuse. Son article premier établit une présomption irréfragable d'absence de consentement du mineur victime de viol ou d'agression sexuelle ; jusqu'à présent, la Cour de cassation exigeait, pour reconnaître la constitution de ces deux infractions, que leur commission ait eu lieu avec violence, menace, contrainte ou surprise -raisonnement qui contraint le mineur victime à prouver qu'il n'a pas consenti, ce qui ajoute au traumatisme. De nombreuses juridictions ont été conduites à requalifier viol et agression sexuelle en atteintes sexuelles passibles de peines moins sévères.
Le texte apporte ainsi bien plus qu'une précieuse mise au point. Dans le cas de l'inceste, l'agresseur appartient à la sphère quotidienne de la victime, il exploite le modèle socialement accepté d'autorité légitime pour contraindre la victime, souvent sans violence ni menace. Les enfants sont projetés hors de leur univers, sans repère ni défense ; la force et l'autorité écrasante de l'agresseur les rendent muets et peuvent même leur faire perdre conscience.
L'accompagnement des victimes est fondamental. Il est regrettable que l'article 6, qui prévoyait la création de centres pluridisciplinaires de référence, soit tombé sous le coup de l'article 40. Il est très opportun que l'article 6 bis permette aux associations de lutte contre l'inceste de se porter partie civile : malgré l'aménagement d'un délai de prescription spécifique, la victime ne porte pas toujours l'affaire en justice. Je serais pour ma part favorable à ce que ces crimes soient imprescriptibles.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Surtout pas !
M. Gilbert Barbier. - La nomination systématique d'un administrateur ad hoc contribuera à éloigner la victime de la cellule familiale qui n'a pas su la protéger. La création de circonstances aggravantes nouvelles plutôt que d'une nouvelle infraction permettra d'appliquer immédiatement le texte aux procédures en cours.
Au-delà des atteintes corporelles, les séquelles psychologiques, au premier rang desquelles la culpabilisation, sont malheureusement souvent présentes tout au long de la vie malgré le travail thérapeutique. La prise de conscience n'est pas une acceptation, car l'inceste demeurera intolérable. Il faut aux victimes non pas vivre en oubliant, mais vivre avec ce poids en donnant à la vie tout son sens. Je rends hommage au travail de la communauté éducative qui est le premier interlocuteur des jeunes victimes. Il est souhaitable que les établissements scolaires aient une mission particulière de pédagogie et d'information sur ces sujets ; des débats à l'école pourront peut-être libérer la parole des victimes.
Ce texte apporte une réponse pénale plus claire aux souffrances des victimes d'inceste ; sans céder à la démagogie, il s'adresse aussi aux victimes silencieuses et aux victimes refoulées, en leur disant que la société est prête â les entendre. L'inceste est plus qu'un viol car il brise le caractère protecteur qui fait de la famille l'un des socles de notre société et détruit les repères de l'enfant. Mettre des mots sur les actes, punir ceux qui les commettent, c'est aider les victimes à retrouver leur dignité. Le groupe du RDSE unanime votera ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Michel. - Cette proposition de loi doit être examinée avec prudence. L'émotion ne doit pas prendre le pas sur la raison. L'émotion est forte, certes, quand on pense aux victimes, aux témoignages qu'elles ont osé livrer, à celles dont la vie a été brisée par l'inceste. On pense inévitablement aux chansons de Barbara, à l'Aigle noir ou à Il pleut sur Nantes, dont le sens n'a été révélé que par les mémoires de l'artiste.
Oui, l'inceste provoque un traumatisme aux conséquences graves et indélébiles sur la santé physique et psychique, sur la vie affective, sociale et familiale. C'est un véritable meurtre psychologique. L'inceste touche à l'inavouable, c'est un interdit universel, un tabou qui structure presque toutes les sociétés. Lévi-Strauss y voit même le fondement de la société en ce qu'il oblige à aller hors de son premier cercle. Je n'évoquerai qu'en passant Freud et le complexe d'?dipe.
Les victimes demandent qu'on nomme l'inceste pour mieux le stigmatiser, pour leur permettre, disent-elles, de mieux accomplir le travail psychologique indispensable à leur reconstruction. Mais l'objet de la loi est-il de compléter le travail des psychiatres et des psychologues ? Le fait que demain la Chancellerie dispose de statistiques sur les condamnations pour inceste changera-t-il les choses ?
L'émotion, la raison. Celle-ci nous commande d'examiner sérieusement ce texte sur le plan juridique. Certes l'inceste n'est pas aujourd'hui une incrimination spécifique, mais il apparaît dans le code civil parmi les prohibitions au mariage, au Pacs et, grâce au Sénat, au concubinage. C'est une très mauvaise chose qu'il soit défini différemment dans le code civil et dans le code pénal. Aujourd'hui les tribunaux condamnent au cas par cas, sur le fondement de circonstances aggravantes, et souvent très sévèrement, les faits d'inceste avérés. Mais comme le disait le rapporteur, lorsque l'inceste est révélé par une victime majeure aucune constatation ne peut être faite ; il est alors très difficile de juger. J'en ai fait l'expérience comme magistrat. La prudence se retrouve dans les demandes des associations de défense des enfants, dans les rapports de la Défenseure des enfants.
Les magistrats qui président des cours d'assises sont également très réservés quant à ces précisions. La notion d'inceste est beaucoup plus large que celle qu'on veut introduire aujourd'hui par cette incrimination nouvelle. Et de quels mineurs s'agit-il ? Mineurs de 15 ou de 18 ans ?
Je remercie notre rapporteur dont le travail précis a permis de revenir sur certaines dispositions votées par l'Assemblée nationale.
M. Alain Vasselle. - Travail remarquable !
M. Jean-Pierre Michel. - A trop vouloir préciser, on risque l'insécurité juridique et un traitement différent des victimes de l'inceste selon les juridictions.
Il faut tout d'abord se préoccuper de la prise en charge des victimes : introduire une incrimination dans le code pénal changera-t-il quoi que ce soit à la situation actuelle, même si elle s'est récemment améliorée ?
Les moyens humains et financiers ne figurent pas dans la loi puisqu'ils sont de nature règlementaire. Or, ce sont eux qui sont essentiels pour lutter contre l'inceste. Je pense en particulier aux médecins scolaires qui sont souvent les premiers à détecter les violences au sein de la famille, aux magistrats, aux membres de la police et de la gendarmerie. A cet égard, je reconnais que l'accueil s'est grandement amélioré, madame la ministre, notamment grâce aux personnels féminins. A l'Assemblée nationale, des moyens supplémentaires ont été demandés : certes, il existe des centres d'accueil à Paris, notamment à l'hôpital Tenon, mais ils sont extrêmement rares.
Ce texte n'apporte aucun élément convaincant dans la lutte contre l'inceste, si ce n'est de le nommer. Mais nommer, est-ce prévenir ? Ce texte risque d'engendrer de faux espoirs pour les victimes, de la confusion pour les professionnels et des inégalités de traitement.
Sans polémiquer, cette proposition de loi s'inscrit dans une pratique éprouvée qui consiste à faire croire que les problèmes de notre société peuvent se régler au détour d'un texte. Or, la loi ne règle pas ces situations sociales désastreuses et condamnables. Les victimes de l'inceste méritent mieux : des actions interministérielles qui, dans le cadre de la loi sur la protection de l'enfance, puissent mieux former les différents intervenants qui préviennent, accueillent et sanctionnent.
Comme nos collègues du groupe CRC-SPG, nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)
Mme Isabelle Debré. - (Applaudissements à droite) Toute violence à l'égard d'un mineur est odieuse et condamnable. L'acte incestueux est quant à lui une violence spécifique qui se nourrit du non-dit. Il constitue l'une des formes les plus abjectes des mauvais traitements infligés aux mineurs, car il est commis par ceux qui auraient dû naturellement protéger l'enfant, le former, l'éduquer et veiller à sa propre sécurité. Les conséquences de l'inceste sont catastrophiques non seulement sur le plan individuel, mais aussi pour la société. Ce fléau remet en cause les droits de l'enfant et l'institution familiale, c'est-à-dire le lieu où se transmettent les valeurs fondamentales de notre société. La famille n'est plus alors l'espace de protection et d'éducation de l'enfant, mais un lieu de souffrance et d'isolement.
La spécificité des violences qui sont infligées à la victime mérite d'être reconnue comme telle. En France, deux à trois millions de personnes ont été confrontées à une situation incestueuse et 20 % des procès d'assises concernent des infractions de ce type. Or, en dépit des immenses souffrances morales et psychologiques que cause l'inceste, notre droit n'apporte que peu de réponses à ceux ou celles qui en sont victimes. Certes, le code civil prohibe le mariage et le Pacs entre membres d'une même lignée familiale et le code pénal prévoit des peines aggravées lorsqu'une atteinte sexuelle ou un viol sont commis par une personne ayant un lien de parenté avec la victime. Mais il n'existe pour autant ni crime ni délit d'inceste. Or, cette absence d'incrimination pèse lourdement sur les victimes et nourrit leur sentiment de ne pas être reconnues de manière spécifique. Ainsi, cette proposition de loi, qui inscrit pour la première fois dans nos textes la notion d'inceste, est une avancée majeure pour les victimes et pour la justice.
M. Alain Vasselle. - Très bien !
Mme Isabelle Debré. - Je salue, au nom du groupe UMP, l'initiative prise par Mme Marie-Louise Fort et plusieurs de ses collègues députés, d'avoir proposé au Parlement un texte inscrivant l'inceste dans notre code pénal. Établir une différence entre l'inceste et les autres agressions sexuelles permettra de mieux reconnaître la spécificité des violences subies par les victimes et de combattre plus efficacement ce fléau.
Cette proposition de loi préserve un juste équilibre entre la répression de l'inceste, le développement de sa prévention et un meilleur accompagnement des victimes.
Dans son volet pénal, le texte précise le contenu de la notion de contrainte lorsqu'elle constitue l'élément constitutif d'un viol. Au lieu d'être nécessairement prouvée par la victime, elle pourra être déduite de la différence d'âge existant entre la victime mineure et son agresseur, ainsi que de l'autorité de droit ou de fait qu'il exerce sur elle. La nature interprétative de cette disposition permettra au juge, en vertu de l'article 112-2 du code pénal, de l'appliquer à des faits commis antérieurement à la publication de la nouvelle loi. Toutes les victimes verront donc nommé l'acte qu'elles ont subi, quelle qu'en soit la date. Ainsi, la loi du silence qui leur a été imposée si durement depuis leur agression sera brisée.
Pour ma part, je souhaite aller plus loin, s'agissant de la notion de contrainte, et j'ai déposé un amendement pour préciser que la contrainte est caractérisée en cas d'inceste sur mineur.
M. Alain Vasselle. - Excellent amendement !
Mme Isabelle Debré. - Un enfant n'est en effet pas en mesure de s'opposer ni de résister à son agresseur, a fortiori s'il s'agit de l'un de ses parents ou d'un membre du cercle familial. Il ne saurait être question d'un consentement de la victime en cas de relation sexuelle entre un enfant et un membre de sa famille ou une personne ayant autorité sur lui.
L'article premier propose également d'inscrire la notion d'inceste dans le code pénal : il était grand temps de nommer cette réalité pour mieux la combattre. Désormais, un viol incestueux pourra être reconnu comme tel par les juridictions pénales. Notre législation offrira aux pouvoirs publics les outils nécessaires pour mesurer l'ampleur de ce phénomène et adapter la prise en charge des victimes. A l'initiative de notre rapporteur, la commission des lois a souhaité que les auteurs d'actes incestueux ne soient pas énumérés de façon stricte. En matière de violences sexuelles incestueuses, la confiance et l'affection abusées de l'enfant importent en effet au moins autant que la filiation stricte. Il est donc essentiel que la cellule familiale soit envisagée, avant tout, comme la cellule affective dans laquelle évolue l'enfant et qu'une liberté d'appréciation soit laissée aux juges afin de leur permettre de s'adapter à toutes les configurations familiales auxquelles ils pourraient être confrontés.
Il est également indispensable que l'état du droit applicable à l'heure actuelle soit conservé afin que la définition de l'inceste, qui figurera désormais dans le code pénal, puisse être utilisée immédiatement par les juges dans les affaires en cours.
Au-delà du volet pénal, ce texte prévoit des mesures concrètes en matière de soins et de prévention. Une plus grande mobilisation de l'institution scolaire et de l'audiovisuel public contribuera à la prévention des comportements incestueux. Nul ne conteste le rôle positif et majeur que peuvent jouer l'école et les médias dans la prévention de ce véritable fléau.
Enfin, l'accompagnement des victimes sera amélioré grâce aux associations de lutte contre l'inceste. Celles-ci pourront plus facilement se constituer partie civile dans un procès. Je me félicite de cette avancée majeure car elle permettra aux victimes d'être mieux assistées.
En outre, le texte adopté par l'Assemblée nationale proposait de rendre systématique, dans l'instruction de crimes incestueux, la désignation par le juge d'instruction d'un administrateur ad hoc chargé de représenter la victime en lieu et place de ses représentants légaux. Cette mesure est essentielle car il y va de la protection de la victime qui pourra être accompagnée durant toutes les étapes de la procédure. La commission des lois a opportunément souhaité atténuer le caractère systématique de cette désignation car, comme l'a justement rappelé notre rapporteur, il est essentiel de réserver l'hypothèse où l'agresseur n'appartiendrait pas au cercle proche de l'enfant et où les parents de ce dernier, ou l'un d'entre eux, demeureraient à même d'assurer sa défense et sa protection.
Cette proposition de loi est un texte nécessaire et attendu. Parce qu'elle lève enfin le voile sur une réalité sociale trop longtemps cachée dans notre droit pénal, parce qu'elle propose également des réponses concrètes et efficaces, le groupe UMP la votera. (Applaudissements à droite)
M. Alain Milon. - Cette proposition de loi renforce le pilier et le fondement de notre démocratie, ce qui garantit sa vitalité : les enfants et la famille. L'inceste apparaît comme un des dangers majeurs qui détruisent ces derniers. Or les cas d'abus sexuels sur mineurs commis dans le cadre familial sont parmi les affaires les plus nombreuses portées devant les tribunaux.
L'inscription de l'inceste dans le code pénal permettra de mieux l'identifier. Le silence sur cette violence spécifique revient en effet à la banaliser, alors même que toutes les civilisations humaines reconnaissent cet interdit comme structurant pour la transmission de la culture d'une génération à l'autre. Il est temps de briser la loi du silence qui invite ceux qui ne semblent pas avoir intégré cet interdit fondamental, à perpétuer un ordre social qui légitime ou banalise cette violence. Une société humaine ne peut survivre si elle renonce à lutter contre la violence de ses membres. Ce texte remédie à une carence de notre législation.
L'injonction au silence demeure extrêmement puissante pour les médecins. Les auteurs de ces actes étant les responsables de la sécurité et de l'intégrité de l'enfant, le médecin et les professionnels de santé jouent un rôle primordial. Mais s'ils sont dans l'obligation d'identifier et de détecter ces actes, encore faut-il qu'ils puissent le faire en toute liberté, en s'en remettant à la justice, qui décide de l'opportunité de déclencher une action. Or ils sont insuffisamment protégés : seules les sanctions disciplinaires ayant été interdites dans ce cas, les poursuites civiles ou pénales continuent et ils préfèrent encore souvent se taire.
A chacun son métier : au médecin le diagnostic, l'obligation de signalement ; à la justice la détermination de la réalité des faits. Le maintien des poursuites contre un médecin qui signale un cas d'inceste finalement non vérifié fait porter sur celui-ci la responsabilité d'une éventuelle décision de justice. Cela n'est pas acceptable et les conséquences en sont très graves : les médecins ne signaleraient pas 95 % des cas d'inceste.
J'ai déposé un amendement visant à briser cette loi du silence. L'abandon des sanctions disciplinaires avec la loi du 2 janvier 2004 constituait un premier pas dans ce sens, mais largement insuffisant. Il faut supprimer les poursuites civiles et pénales contre un médecin signalant un cas présumé d'inceste. Je présenterai un autre amendement permettant de garantir sa sécurité : l'identité du signalant ne serait communiquée qu'avec son consentement, comme le prévoit la loi de protection de la jeunesse du Québec. En France, le présumé agresseur peut obtenir cette information dans les heures qui suivent la réception du signalement et exercer des pressions sur le médecin.
Les médecins doivent en être explicitement informés avant même de commencer à exercer ; Mme la ministre et le rapporteur l'ont déjà indiqué. Seul un renforcement de leur formation initiale peut garantir et améliorer les signalements. Cela relève plutôt du domaine réglementaire, mais je souhaite qu'on le prévoie dans le cadre des études médicales. Une étude américaine signale que, sur 415 pédiatres, 11 % seulement n'ont jamais, durant leur carrière, observé un enfant susceptible de souffrir de maltraitance. Ce silence s'explique par le stress, la peur et la crainte de perdre son patient.
J'agis comme vous en mon âme et conscience, en qualité de citoyen fier d'appartenir à un pays qui sait à quel point la protection de la famille et de l'enfant est le fondement sans lequel aucune liberté ne peut être garantie. Je ne pourrais définir ce qu'est une bonne famille, une bonne éducation, voire l'intérêt réel de l'enfant, tellement la liberté pour laquelle nos ancêtres se sont battus est effective et ancrée dans la vie quotidienne de tous les Français. J'y suis profondément attaché, ainsi qu'à la protection de l'intégrité physique et psychique de l'enfant. L'inceste nuit à la liberté de nos concitoyens, enfants et leurs familles, ainsi qu'à l'intégrité physique et psychique de leurs agresseurs. Il faut donc le combattre sans relâche, avec un texte de loi le plus équilibré possible. (Applaudissements à droite et au centre)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article premier
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après l'article 222-22, il est inséré un article 222-22-1 ainsi rédigé :
« Art. 222-22-1. - La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. » ;
2° La section 3 du chapitre II du titre II du livre II est ainsi modifiée :
a) Le paragraphe 2, intitulé : « Des autres agressions sexuelles », comprend les articles 222-27 à 222-31 ;
b) Le paragraphe 3, intitulé : « De l'inceste », comprend les articles 222-31-1 et 222-31-2 ainsi rédigés :
« Art. 222-31-1. - Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. » ;
« Art. 222-31-2 (nouveau). - Lorsque le viol incestueux ou l'agression sexuelle incestueuse est commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l'autorité parentale, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.
« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et soeurs mineurs de la victime.
« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;
c) Après le paragraphe 3, sont insérés deux paragraphes 4 et 5, intitulés « De l'exhibition sexuelle et du harcèlement sexuel » et « Responsabilité pénale des personnes morales », qui comprennent respectivement les articles 222-32 et 222-33, et l'article 222-33-1 ;
3° Après l'article 227-27-1, sont insérés deux articles 227-27-2 et 227-27-3 ainsi rédigés :
« Art. 227-27-2. - Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.
« Art. 227-27-3 (nouveau). - Lorsque l'atteinte sexuelle incestueuse est commise par une personne titulaire de l'autorité parentale sur le mineur, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.
« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et soeurs mineurs de la victime.
« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;
4° (nouveau) L'article 227-28-2 est abrogé.
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer la seconde phrase du texte proposé par le 1° de cet article pour l'article 222-22-1 du code pénal.
M. Jean-Pierre Michel. - La version initiale de la proposition de loi précisait que la contrainte pouvait être physique ou morale. Puis l'Assemblée nationale a ajouté que la notion de contrainte morale peut résulter « en particulier » de la différence d'âge ou de l'ascendant. Or la notion est floue et le code pénal d'application stricte. La contrainte peut résulter d'autres facteurs, tel le non-dit familial, qui équivaut à une quasi-acceptation de la situation. La précision apportée nuira à la sécurité du texte et à sa bonne application. En outre, sont ainsi confondus un élément intrinsèque de l'infraction et des circonstances aggravantes. Ainsi, il serait superflu de demander à l'enfant s'il a donné son consentement à un inceste car il a été soumis à la contrainte.
M. Laurent Béteille, rapporteur. - La commission des lois a hésité sur ce sujet. Hugues Portelli a appuyé la position de Jean-Pierre Michel car un élément constitutif de l'infraction ne peut pas être également une circonstance aggravante. Nous devons être très prudents. J'aurais aimé donner un avis positif à cet amendement, mais la rédaction proposée est utile pour stabiliser la jurisprudence. Il est dommage d'être obligés de légiférer sur ce point, mais la jurisprudence est flottante.
Ainsi, en 1995, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la contrainte ne pouvait provenir du seul âge de la victime et de la qualité d'ascendant. En conséquence, des juridictions inférieures ont requalifié des viols manifestes en agressions sexuelles. Puis la Cour de cassation a validé des décisions de cour d'assises selon lesquelles la contrainte morale découlait de la différence d'âge et de l'autorité, mais l'évolution est encore implicite.
Je vous propose d'adopter la rédaction de l'Assemblée nationale avec comme modification, notamment, la suppression de la mention « en particulier » : la contrainte résulte de l'âge de la victime. Les termes proposés correspondent à des décisions validées par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dont un arrêt du 3 mai 2008. Pour ces raisons, retrait ou avis défavorable.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Même avis. C'est aux juges d'interpréter la loi, mais ce n'est pas la première fois que le législateur la précise.
M. Jean-Pierre Michel. - Il aurait été plus clair de supprimer cette phrase, d'autant qu'Isabelle Debré va présenter un amendement allant dans le même sens.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°8 rectifié bis, présenté par Mme Debré, M. Lardeux, Mmes Bout et Kammermann, M. Cantegrit, Mmes Rozier et Goy-Chavent, M. Mayet, Mmes Henneron, Desmarescaux et Giudicelli, MM. Gournac, Dériot, Jacques Gautier et Fourcade, Mme Bernadette Dupont et MM. Vasselle et Juilhard.
Après le 1° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après l'article 222-22-1, il est inséré un article 222-22-2 ainsi rédigé :
« Art. 222-22-2. - La contrainte est caractérisée en cas d'inceste dans les conditions définies à l'article 222-22-1. »
Mme Isabelle Debré. - Je regrette très vivement que l'urgence nous empêche de débattre sereinement...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - L'urgence n'est pas déclarée !
Mme Isabelle Debré. - ...puisque nous devons conclure avant minuit.
Il est inimaginable de prétendre que les enfants de 3, 4 ou 5 ans aient consenti à une agression sexuelle. Certes, la jurisprudence exclut le consentement d'un enfant de moins de 6 ans, mais ce n'est qu'une jurisprudence.
Un viol commis au sein d'une famille doit être examiné sans même envisager l'hypothèse d'un consentement.
M. Laurent Béteille, rapporteur. - Cet amendement renvoie à la notion d'inceste, ce qui ferait tomber sous le coup d'une incrimination toute relation sexuelle entre adultes d'une même famille.
Nous venons de redéfinir la contrainte, pour dire qu'un mineur ne peut en aucun cas consentir à des relations sexuelles avec un adulte de sa famille exerçant une autorité sur lui. Malgré les réserves qu'il nous inspirait, j'ai maintenu l'article premier, précisément pour affirmer qu'un mineur n'est jamais consentant à un inceste.
Mais n'allons pas trop loin, car l'inceste est une circonstance aggravante, qu'il ne faut pas confondre avec l'élément constitutif de l'infraction.
L'amendement n°8 rectifié bis me semble satisfait. Si Mme Debré avait un doute à ce sujet, nous pourrions revoir la rédaction au cours de la navette.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Cet amendement intéressant est satisfait par la notion de contrainte morale.
Je vais en outre adresser à toutes les juridictions une circulaire d'application où il sera précisé qu'un enfant n'a pu accepter d'acte sexuel commis sur lui par un adulte.
Mme Isabelle Debré. - Vu cet engagement, je retire l'amendement, car je vous fais toujours confiance, madame la ministre. Je compte aussi sur le comité interministériel de prévention de la délinquance.
L'amendement n°8 rectifié bis est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°7, présenté par M. Zocchetto et Mme Dini.
Au premier alinéa du b) du 2° de cet article, après les mots :
de l'inceste
insérer les mots :
commis sur les mineurs
M. François Zocchetto. - Le texte de ce soir, qui ne traite que de l'inceste commis à l'encontre de mineurs, pourrait laisser penser que l'inceste est libéralisé entre majeurs, alors que les mineurs ne sont pas les seules victimes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Un majeur consentant n'est pas une victime !
M. François Zocchetto. - En l'état du texte, une relation sexuelle entre frère et soeur mineurs ne serait pas considérée comme un inceste, non plus qu'entre un garçon de 19 ans et sa mère.
L'amendement n°7, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.
I. - Rédiger comme suit le texte proposé par le b du 2° de cet article pour l'article 222-31-1 du code pénal :
« Art. 222-31-1. - Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
II. - En conséquence, rédiger comme suit le texte proposé par le 3° de cet article pour l'article 227-27-2 du code pénal :
« Art. 227-27-2.- Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Cette rédaction complète celle de la commission afin de réprimer expressément l'inceste entre frère et soeur -même en l'absence de relations d'autorité- ainsi que celui commis par un concubin exerçant une autorité sur le mineur.
M. Laurent Béteille, rapporteur. - L'amendement n'ayant pas été finalisé lorsque la commission s'est réunie, cette dernière ne l'a pas formellement examiné, mais s'orientait vers un avis de sagesse au vu du projet communiqué par Mme la ministre.
Le cas des frères et soeurs ne soulève pas de difficultés : c'est un inceste absolu. Pour le reste, l'amendement n°9 évitera des divergences de jurisprudence et à titre personnel j'y suis assez favorable.
M. Jean-Pierre Michel. - Nous nous abstiendrons. Je maintiens qu'il était bon de mentionner les frères et soeurs, mais, n'en déplaise à certains, les familles ne sont plus limitées au père et à la mère et à leurs enfants : il y a les décompositions, les recompositions, les partenaires de Pacs et les concubins...
M. Alain Vasselle. - Et si une personne exerce une autorité au sein d'une famille dont elle n'est pas membre, comme par exemple un tuteur ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il ne s'agit pas d'inceste !
M. Laurent Béteille, rapporteur. - Le cas envisagé ne relève pas du texte, puisqu'il n'y a pas d'inceste, effectivement. En revanche, le code pénal aggrave le viol commis par une personne exerçant une autorité, comme un tuteur ou un instituteur...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - ...un curé au sein d'une institution religieuse, un éducateur...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce retour à la logique du texte initial soulève bien des questions ; il faut examiner le contexte familial.
L'amendement n°9 est adopté.
L'article premier, modifié, est adopté.
Les articles 2 bis et 3 demeurent supprimés.
Articles additionnels
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Milon, Mme Giudicelli, M. Mayet, Mme Henneron, M. Leclerc et Mmes Kammermann, Debré, Bout, Desmarescaux et Rozier.
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :
1° A la première phrase du premier alinéa, les mots : « ou autorise » sont supprimés ;
2° Au deuxième alinéa 1°, le mot « informe » est remplacé par les mots : « est tenu d'informer » ;
3° A la première phrase du troisième alinéa 2°, les mots : « porte à la connaissance du procureur de la République » sont remplacés par les mots : « est tenu de porter à la connaissance du procureur de la République, des autorités judiciaires, médicales ou administratives » ;
4° A la dernière phrase du même alinéa, après le mot : « psychique », sont insérés les mots : « ou de son état de grossesse » ;
5° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Une personne qui alerte les autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet, ni de poursuites ni de sanctions disciplinaires, ni de poursuites ni de sanctions en justice, pour un acte accompli de bonne foi ».
M. Alain Milon. - Les abus resteront cachés si le signalement n'est pas rendu obligatoire : peu de parents présumés agresseurs les signalent, et leurs enfants demandent rarement de l'aide. Les médecins, qui sont en première ligne, se retrouvent confrontés, du fait de la conjonction de la loi du 2 janvier 2004 et de l'article 226-14 du code pénal, au dilemme suivant : être poursuivis pour ne pas avoir signalé, ou l'être au civil et au pénal pour l'avoir fait. Les médecins préfèrent souvent se taire, d'autant que les poursuites se retournent contre les enfants : 5 % des signalements seulement émanent des médecins. D'où cet amendement inspiré de la législation du Québec.
M. Laurent Béteille. - Je partage très largement votre préoccupation. Toutefois, la loi de 2004 prévoit déjà une immunité disciplinaire. Ne revenons pas là-dessus. L'amendement pose une autre difficulté : l'article 226-14 est beaucoup plus large : il vise aussi les journalistes ou encore le secret bancaire. De plus, en droit, l'indicatif vaut impératif et dire « le médecin informe » signifie qu'il est tenu de le faire : l'amendement est satisfait. L'état de grossesse n'est pas notre sujet. Enfin, les poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse supposent que le signalement n'a pas été accompli de bonne foi, ce que le juge appréciera. Enfin, interdire des poursuites par principe serait contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Je souhaite donc le retrait ou le rejet de l'amendement.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Aux arguments du rapporteur, j'ajouterai que l'amendement serait inconstitutionnel car il romprait l'égalité devant la loi. Retrait ?
M. Alain Milon. - Je retire cet amendement en rappelant que le 3 juin, à Strasbourg, la France a adopté au Conseil de l'Europe le projet de lignes directrices pour la protection de l'enfance qui recommande de rendre obligatoire le signalement et de veiller à renforcer la protection des professionnels. Je retire également l'amendement n°4 rectifié bis, qui n'a plus de raison d'être, et le 5 rectifié en raison des explications de la ministre.
L'amendement n°3 rectifié est retiré ainsi que l'amendement n°4 rectifié bis et l'amendement n°5 rectifié.
Article 4
I (Non modifié). - L'article L. 121-1 du code de l'éducation est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les écoles, les collèges et les lycées assurent une mission d'information sur les violences et une éducation à la sexualité. »
II (Non modifié). - Au premier alinéa de l'article L. 542-3 du même code, après le mot : « maltraitée », sont insérés les mots : «, notamment sur les violences intra-familiales à caractère sexuel, ».
III (Non modifié). - L'article L. 542-1 du même code est ainsi modifié :
1° Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :
« Cette formation comporte un module pluridisciplinaire relatif aux infractions sexuelles à l'encontre des mineurs et leurs effets. (Dispositions déclarées irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale) » ;
2° (Dispositions déclarées irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale).
IV. - (Supprimé)
Mme Maryvonne Blondin. - Ce sujet gravissime méritait un autre traitement que ce texte et un autre débat. L'invocation de l'article 40 a tué dans l'oeuf l'espoir d'une prise en charge des victimes. Or la reconstruction est longue et difficile et un accompagnement est nécessaire. Quelle frustration que cette absence de moyens ! Quant à la prévention, elle est dévolue à l'éducation nationale comme si l'école pouvait tout faire, ce que je ne crois pas au vu de la démographie de la médecine scolaire. Il convient d'améliorer la prévention conformément à la convention des droits des enfants. Je rappelle que l'article 27 de la loi de mars 2007 a créé un fonds de financement pour la protection de l'enfance mais que 35 millions ont été attribués à la prévention de la délinquance. C'est un choix politique que je ne partage pas. La ministre a évoqué une prise en charge de l'accompagnement mais les bonnes intentions ne suffiront pas : tenez vos engagements ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Laurent Béteille, rapporteur. - Ce n'est pas parce que la Constitution décide qu'une disposition relève du règlement qu'elle ne sera pas prise. Quant au fond, nous sommes au coeur du sujet avec la prévention de la délinquance. Enfin, nous avons souhaité maintenir le rapport que le Gouvernement est tenu de présenter au Parlement.
L'article 4 est adopté, ainsi que les articles 5, 6 bis, 7 et 7 bis.
L'article 8 demeure supprimé.
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. - Amendement n°6, présenté par M. Zocchetto et Mme Dini.
Rédiger comme suit l'intitulé de cette proposition de loi :
Proposition de loi tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux
M. François Zocchetto. Il a été défendu.
L'amendement n°6, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et devient l'intitulé de la proposition de loi.
L'ensemble de la proposition de loi, modifié, est adopté.
(Applaudissements sur les bancs UMP)