Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat, préalable au Conseil européen des 18 et 19 juin 2009.
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Le prochain Conseil européen se déroulera jeudi et vendredi en présence du Président de la République, du Premier ministre, du ministre des affaires européennes et de moi-même. Les récentes élections ont montré tout le chemin qui reste à parcourir pour convaincre nos concitoyens de l'importance de l'Europe et du rôle politique qu'elle aura à jouer dans le monde de demain. L'abstention a été forte, environ 60 % dans la plupart des pays membres ; et la montée des partis eurosceptiques va compliquer l'émergence de majorités claires. Or cette abstention massive intervient à un moment où les parlementaires reçoivent des pouvoirs supplémentaires, en vertu du traité de Lisbonne qui sera, je l'espère, ratifié d'ici la fin de 2009. Désormais, les parlementaires examineront environ neuf textes sur dix, contre un sur deux auparavant. Il faut donc une participation plus forte des citoyens européens ! Cela passe par plus de clarté sur les institutions, plus de liens entre les parlements nationaux et le Parlement européen -je m'y emploierai- et plus d'initiatives, plus de capacité de décision de l'Union européenne sur toutes les grandes questions.
Le Conseil européen se penchera sur trois sujets essentiels. D'abord, le climat et la préparation du sommet de Copenhague, qui se tiendra à la fin de l'année. C'est l'une des conclusions du récent scrutin : le climat et le développement durable sont une préoccupation de l'ensemble de nos concitoyens. Il est impératif que l'Union européenne aille unie à Copenhague pour défendre des options fortes ; or il n'existe pas encore aujourd'hui de consensus ; nous butons sur la question du financement, qui selon certains doit être fonction des émissions de CO2 de chaque État et selon d'autres, fonction de la richesse. Un consensus reste à trouver, notamment avec la Pologne.
La France défend une position ambitieuse mais réaliste. Ambitieuse car le climat et le développement durable sont des thèmes qui doivent permettre à l'Europe d'affirmer une volonté politique et un projet pour la planète, au-delà de ses intérêts propres. Réaliste car il n'est pas question d'imposer de nouvelles exigences aux pays européens sans que tous les autres pays développés du monde se soumettent aux mêmes règles et aux mêmes contraintes financières. Le Président de la République proposera qu'une taxe sur le CO2 soit appliquée aux pays qui ne respectent pas les engagements de développement durable. Nous ne pouvons infliger à nos industriels l'importation de produits vendus à meilleur prix parce que le pays de provenance ne fait pas les mêmes efforts que nous !
Autre grand sujet, qui ne fait pas encore consensus : la régulation financière. Lorsque la crise a éclaté à l'automne dernier, la France, qui exerçait la présidence de l'Union, a été la première à réagir. Elle a demandé la réunion des États membres de la zone euro, puis la convocation d'un G20 afin de définir de nouvelles règles, supprimer les paradis fiscaux, mieux contrôler les banques et réglementer les fonds spéculatifs. Puis, en avril dernier, la France et l'Allemagne ont été les premières à formuler, au G20 de Londres, une proposition forte touchant la régulation financière au niveau européen. Nous continuerons à défendre cette position au Conseil européen : il n'est pas question de revenir en arrière ni de céder un pouce de terrain quand il y a nécessité absolue de mieux contrôler le système financier mondial. Pour que celui-ci alimente correctement les économies, il faut de la supervision, des règles claires sur les effets de levier et la solvabilité. Il faut aussi, et c'est le point d'achoppement avec la Grande-Bretagne, une analyse micro-prudentielle afin de savoir quels risques sont réellement pris par les établissements et le système. Nous n'accepterons pas que les nouvelles règles soient affaiblies d'une quelconque manière ; il y a là aussi un enjeu pour la préparation de la troisième session du G20 à New York à l'automne prochain.
Troisième grand sujet, le référendum irlandais et, plus précisément, les garanties à donner à l'Irlande afin que la consultation qui se tiendra fin septembre ou début octobre se déroule dans les meilleures conditions. Sous la présidence française, l'Union a pris, en décembre dernier, des engagements concernant la neutralité, la politique européenne de sécurité et de défense ainsi que la fiscalité. Ils doivent être traduits en droit européen. Doit-on le faire sous la forme d'une déclaration ou d'un protocole plus formel, annexe au traité ? La France ne voit pas d'obstacle à l'une ou l'autre solution puisque l'on ne retranchera ni n'ajoutera rien par rapport au traité. Mais le Royaume-Uni craint qu'un protocole ne suscite d'autres demandes.
Le Conseil européen sera aussi l'occasion de débattre sur la nomination du futur président de la Commission européenne. Le Président de la République a pris une position claire, le soutien sans ambiguïté à M. Barroso pour un nouveau mandat.
M. Jean Bizet. - Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Mais la France attend aussi du futur président une déclaration claire sur ses intentions politiques pour les cinq années de mandat. Soutien sans ambiguïté mais programme sans ambiguïté. (Murmures sur les bancs socialistes) Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Le sujet politique d'actualité, enfin. La situation en Iran est préoccupante. Les dernières élections auraient dû ouvrir des perspectives politiques et créer une stabilité ; nous avons au contraire une forte instabilité, une répression des libertés publiques, une mise sous contrôle des journalistes et des menaces contre l'ambassade de France. Nous avons demandé une enquête sur ce scrutin et les chefs d'État ou de gouvernement aborderont cette question durant le Conseil.
Celui-ci sera le premier après les élections de la semaine passée. L'année 2009 sera décisive, ce sera l'année du choix entre une Europe qui s'affirme face à la Chine et aux États-Unis ou une Europe qui renonce à défendre ses valeurs et ses intérêts, bref, à exister. Nous refusons celle-ci et promouvons celle-là. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Voici le premier Conseil après les élections européennes. Vous avez rappelé qu'il lui appartient de préparer une réponse à l'Irlande, qui revotera sur un texte un peu différent, et d'évoquer la présidence de la Commission, pour laquelle on a trouvé avec les Allemands une formule qui permettra de formaliser juridiquement la décision à l'automne.
Quelle leçon tirer des élections ? Malgré la crise économique, il n'y a pas rejet de la construction européenne. Les partisans de l'Europe progressent, les eurosceptiques n'ont pas réussi de véritable percée, sauf en Grande-Bretagne.
Mme Maryvonne Blondin. - Et l'abstention ?
M. Hubert Haenel, président de la commission. - L'idée européenne sort renforcée des élections. Si l'on considère les résultats, on voit que les grandes tendances transcendent les frontières et que ceux qui ont voulu transformer le scrutin en élections internes ont perdu. La signification européenne apparaît enfin. Malheureusement, le taux de participation est revenu de 46 à 43 %. Il semble baisser inexorablement. Les citoyens ne comprennent pas la construction européenne. Or les pouvoirs du Parlement s'accroissent. Si la participation continuait de baisser, il faudrait se méfier d'un procès en légitimité. Quels remèdes y apporter ? Certains préconisent des listes supranationales pour une partie des députés. Je n'ai pas d'objection mais les électeurs se mobiliseront-ils pour des listes interminables d'inconnus ? (M. Yvon Collin s'exclame) Pour faire mieux ressortir les enjeux du scrutin, d'autres proposent que les partis aient leurs candidats à la présidence de la Commission, mais la composition de celle-ci dépend des propositions des gouvernements et, à trop la politiser, elle aurait du mal à jouer son rôle de trait d'union entre les États membres.
Ce n'est pas demain que nous verrons alterner les majorités à l'échelon européen et les réponses de ce type ne sont pas suffisantes. Il faut réfléchir à la faiblesse de l'information sur l'Europe, cinquante ans après le traité de Rome. Pourquoi l'Europe ne paraît-elle pas plus importante à nos concitoyens ? De telles questions ne paraissent jamais urgentes et l'on aura vite fait d'oublier les élections. A tort, car il faudrait engager un travail de fond si l'on ne veut pas se lamenter au lendemain du prochain scrutin.
Jusqu'où faut-il s'élargir, jusqu'où réorienter le développement, faut-il maintenir la politique agricole commune, quelle solidarité financière entre États membres ? Ces choix auraient dû être abordés de manière claire pour que les citoyens ne jugent pas que l'Europe se construit loin d'eux. Notre rôle de parlementaires sera essentiel : il nous appartient d'être le lien entre les citoyens et les institutions européennes, qu'ils continuent à juger lointaines et difficiles à comprendre. Nous aurons à donner des réponses et à rendre des comptes ; nous ne pourrons plus botter en touche ni faire de l'Europe un bouc émissaire.
Quel doit être le degré de différenciation au sein de l'Union ? Les progrès ne passent-ils pas par des coopérations concrètes ? M. Fauchon vient de présenter sur ce sujet un excellent rapport. On le voit bien avec la négociation des garanties à donner à l'Irlande, c'est une évolution inéluctable. Il faut savoir à la fois préserver l'unité européenne et faire du sur-mesure -ce qui ne sera pas toujours facile à concilier.
Ce serait une erreur de vouloir atténuer les engagements pris envers les Irlandais en contrepartie de l'organisation du deuxième référendum. On ne peut leur demander de se dédire : ils ne sauraient voter sur le même texte, mais on ne peut toucher au traité. La voie est étroite mais l'Europe a un besoin vital de tourner la page institutionnelle. Tous les moyens sont donc bons pour qu'ils disent enfin oui et que nous ayons les bons instruments pour prendre les bonnes décisions.
Les incertitudes sur la nomination du président de la Commission forment un no man's land. Comment ne pas être rebuté par les informations qui sont diffusées ? On se croirait revenu aux délices et aux poisons de la IVe République. M. Barroso a toutes les chances d'être reconduit car il n'a pas de véritable concurrent. Il fait consensus...
M. Jean-Jacques Mirassou. - Non, il ne le fait pas !
M. Hubert Haenel, président de la commission. - Il faut, dit-on, que le commissaire français ait un bon portefeuille. Il faut surtout que la Commission ait une feuille de route et qu'elle prenne des engagements clairs devant les gouvernements et devant les opinions publiques. La France et l'Allemagne ont mis l'accent sur ce point. Vous nous avez rassurés sur la qualité du dialogue franco-germanique, que vous avez fortifié, et c'est tant mieux. Avec la ratification du traité de Lisbonne, il faudra montrer que le travail institutionnel sert à quelque chose. Cela suppose le retour à un meilleur équilibre institutionnel, car la Commission ne pourra jouer son rôle si elle devient un appendice du Parlement. Celui-ci a tendance à s'accaparer des droits qu'il n'a pas. Il investit le président de la Commission puis le collège, mais il s'est arrogé le droit de se prononcer sur chaque commissaire, comme un jury d'examen.
Voix sur les bancs socialistes. - Il a bien fait !
M. Hubert Haenel, président de la commission. - La Commission tient certes sa légitimité du Parlement européen, mais aussi des chefs d'État et de gouvernement. Ces derniers ont même une légitimité particulière, dans la mesure où ils sont responsables, selon des modalités propres à chaque pays, tandis que le Parlement a toujours refusé qu'il pût être dissous. J'avais proposé, au temps de la convention présidée par M. Giscard d'Estaing, que le Parlement eût davantage de pouvoirs en contrepartie d'une possibilité de dissolution. Mais jusqu'à présent le sujet est tabou... La Commission ne sera légitime qu'en veillant au respect des équilibres institutionnels. Il est vrai que nous sommes entre deux traités, Nice et Lisbonne, avec une Commission en fin de course et un Parlement à peine élu, tandis que la présidence tchèque a été affaiblie par une crise politique intérieure. Alors que l'Union traverse la pire récession qu'elle ait connue, constater ce flottement institutionnel est plutôt décourageant.
Seul le Conseil peut redresser la situation, à condition qu'il démontre des progrès concrets dans la lutte contre les causes et les conséquences de la crise économique. Il faudra aussi qu'il sache adresser aux citoyens européens le message qu'il y a bien au sommet de l'édifice une instance qui tient la barre.
L'Europe politique avec un « P » majuscule, c'est d'abord une Europe où les responsables politiques commandent, et non une machinerie complexe aux mains des techniciens et des juristes. Les citoyens veulent que l'Europe soit gouvernée -c'est un des enseignements de la présidence française. Le Conseil doit dire que nous allons enfin sortir des flottements actuels pour prendre au plus vite un nouveau départ, pour donner à l'Europe un nouveau souffle. C'est ce que nos concitoyens attendent. Ne les décevons pas. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Robert del Picchia, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Le Conseil des 18 et 19 juin intervient peu de temps après les élections européennes, où une majorité claire s'est dégagée en faveur d'orientations similaires dans la plupart des pays. L'Union européenne s'est ainsi dotée d'une direction pour les cinq prochaines années. Mais l'abstention a battu des records, ce qui n'est pas une bonne nouvelle pour l'Europe. La participation des citoyens ne cesse de décliner : l'Union ne suscite pas leur adhésion. Il importe de tirer les leçons de ce désintérêt.
Le Conseil se tient en outre à la veille du renouvellement de la Commission. L'empressement à désigner dès maintenant son président m'étonne, alors que son mandat ne s'achève qu'à l'automne. Ne serait--il pas souhaitable de prendre le temps de consulter les groupes politiques afin de limiter le risque de difficultés ultérieures ? De laisser le temps aux candidats éventuels de présenter leur programme ? L'Allemagne et la France ont certes déjà fait part de leur préférence mais je suis plutôt favorable à ce qu'on repousse la décision. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?
Parmi les thèmes qui seront abordés les 18 et 19 juin, je m'intéresserai aux questions institutionnelles et aux sujets internationaux. Parmi les premières figurent les garanties demandées par le gouvernement irlandais. On sait que le Royaume-Uni préfère une simple déclaration du Conseil à l'inscription de ces garanties dans un protocole. Il faut tout faire pour convaincre les Irlandais de voter « oui » au référendum de l'automne car l'Union européenne a besoin du traité de Lisbonne : elle ne survivrait pas à un deuxième vote négatif. Les garanties demandées figurent dans les conclusions du Conseil de décembre dernier et ne semblent pas soulever de difficultés particulières. Pourquoi refuser de les inscrire dans un protocole qui pourrait être ratifié à l'occasion de l'adhésion de la Croatie en 2010 -si toutefois la Slovénie lève d'ici là ses réserves ? Restera à convaincre les présidents polonais et tchèque de signer le traité, mais je fais pour cela confiance à vos qualités de persuasion, monsieur le ministre...
Le traité de Nice, qui prévoit un nombre de commissaires européens inférieur à celui des États membres, est théoriquement applicable, mais selon celui de Lisbonne, nous aurons un commissaire par État, ce à quoi les chefs d'État et de gouvernement se sont d'ailleurs engagés après l'échec du référendum irlandais. Comment allons-nous procéder s'il entre en vigueur quelques semaines seulement après le renouvellement de la Commission ? Qu'en sera-t-il de la désignation du Haut-représentant pour les affaires étrangères et de sécurité, qui sera aussi vice-président de celle-ci ? Le commissaire européen qui aura été désigné auparavant devra-t-il démissionner de sorte qu'il n'y ait pas deux commissaires de la même nationalité ? Comment seront désignés les députés européens supplémentaires, puisque nous n'en avons élu que 72 alors qu'avec le traité de Lisbonne, nous en aurons 74 ? Pouvez-vous nous éclairer sur tous ces points, monsieur le ministre ?
Dans la proposition de loi que j'ai déposée en mars 2008, je proposais d'attribuer ces deux sièges supplémentaires à une représentation spécifique des Français établis hors de France. (Marques d'intérêt amusé sur divers bancs) Le million de Français résidant dans l'Union ne votent pas aux élections européennes, pas plus que ceux établis hors Union. Je proposais de créer une section « Outre frontière » au sein d'une des circonscriptions. La seule circonscription qui soit déjà divisée en trois sections pour le calcul de la répartition des sièges est la circonscription « Outre-mer ». Cette représentation spécifique serait juste parce que la régionalisation des circonscriptions a exclu les Français établis hors de France d'un scrutin qui les concerne pourtant au premier chef ; elle serait judicieuse car cela permettrait d'élire les deux députés français supplémentaires dès l'adoption du traité de Lisbonne, sans remettre en cause la répartition des sièges issue du scrutin du 7 juin.
J'évoquerai enfin deux des sujets internationaux qui devraient être abordés lors du Conseil, et d'abord l'Afghanistan et le Pakistan. Alors que le Président Obama a, au Caire, souhaité définir une nouvelle approche des relations avec le monde musulman, quelles pourraient être, monsieur le ministre, les voies d'un renforcement de l'action de l'Union européenne dans la région ? La stratégie internationale adoptée l'an dernier à l'initiative, notamment, de la France est fondée autant sur le développement et la reconstruction que sur la sécurité. La commission des affaires étrangères a reçu récemment les ambassadeurs de France en Afghanistan et au Pakistan, ainsi que le représentant spécial du Président de la République, M. Pierre Lellouche. Ce dernier a dressé un constat sévère du manque de coordination et d'efficacité de l'aide internationale. Que peut-on attendre de l'Union ?
La question des relations avec l'Ukraine et la Russie en matière énergétique a été ajoutée in extremis à l'ordre du jour du Conseil. Face à la menace d'une nouvelle crise gazière entre ces deux pays et à ses conséquences potentielles sur l'approvisionnement énergétique de l'Union, il est indispensable que les Européens parlent d'une même voix à la Russie, comme ils ont su le faire sous présidence française pour mettre fin à la guerre russo-géorgienne de l'été dernier. En matière énergétique, contrairement à une idée répandue, les Européens ne sont pas démunis face à la Russie : si l'Europe dépend de Moscou pour le gaz, elle est son principal débouché... C'est pourquoi il faut aller vers un partenariat privilégié, tout en diversifiant par ailleurs nos sources et voies d'approvisionnement.
Comme beaucoup d'entre nous, j'ai la conviction que la politique étrangère et de défense est notre horizon pour l'Europe. L'Union ne parviendra cependant à faire entendre sa voix sur la scène internationale, à être une puissance dans la mondialisation que s'il existe une réelle unité entre Européens, condition première d'une politique étrangère commune. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Pierre Fauchon. - Y a-t-il un meilleur point de départ pour une réflexion préalable au prochain Conseil européen que l'enseignement de la récente consultation électorale qui a permis à tous les citoyens européens de se prononcer sur leurs affaires ? Les manoeuvres électorales, trop souvent à cent lieues de l'objet de la consultation, ont quelque peu obscurci cet épisode à l'occasion duquel, tous les cinq ans seulement, les Européens sont invités à se souvenir que leur communauté de destin est aussi une démocratie, la première démocratie de ce type dans l'histoire, et qui n'a sans doute pas d'homologue dans notre monde, si ce n'est peut-être la démocratie indienne.
S'agit-il de mesurer l'audience des familles politiques nationales ? Les commentaires abondent en dépit du fait que le très faible taux de participation signifie d'abord le refus des citoyens d'assimiler affaires européennes et affaires nationales. Ce taux d'abstention record -qui peut surprendre dans un contexte de crise économique et de mobilisation sociale- méritait mieux que les lamentations rituelles. Je le crois porteur d'un double enseignement : technique et politique surtout.
Enseignement technique d'abord. Une élection qui ne comporte guère d'enjeu concret visible ne saurait intéresser la masse des citoyens. Or, il n'y a pas d'enjeu visible dès lors que la plupart des candidats sont des inconnus, que l'élection ne détermine ni la dévolution du pouvoir exécutif ni même celle du pouvoir législatif en l'état consensuel actuel du Parlement européen. Ce sont là deux caractéristiques essentielles que je ne critique pas mais qui ne sont pas mobilisatrices.
Ce qui, par contre, aurait pu être mobilisateur, c'est le sentiment de concourir à des processus décisionnels ayant des conséquences politiques sur les conditions de vie des citoyens européens ou sur la conduite des affaires communes. En quoi peuvent-ils se sentir concernés par ce qui n'est pour eux qu'une énorme machine administrative d'une complexité décourageante, s'exprimant par des textes incompréhensibles et ne produisant que des effets concrets extrêmement rares et limités. Il faut avoir tenté de lire le traité de Lisbonne -qui vous tombe des mains au bout de trois pages- pour réaliser à quels points ces textes sont incompréhensibles !
M. Guy Fischer. - Illisibles !
M. Pierre Fauchon. - Depuis quand une autorité politique digne de ce nom se permet-elle de publier des textes illisibles ?
Il faut le dire : cette montagne européenne n'accouche plus que de souris... Depuis le temps lointain où une Europe plus concentrée et plus animée par une Commission elle-même plus ambitieuse jetait les bases d'un marché commun, ouvrait les perspectives tracées par le traité de Maastricht et s'affirmait par la création d'une monnaie commune, cette créativité n'est plus qu'un souvenir. Les perspectives ouvertes par le traité de Maastricht, qu'il s'agisse des affaires extérieures ou intérieures, n'ont donné lieu qu'à des avancées symboliques, dérisoires par rapport aux enjeux. Ce n'est pas en multipliant les conférences, si agréables que soient les lieux où elles se tiennent, les Livres verts, qui ne font que répertorier les difficultés, et les « décisions » cadres -qui n'ont de décisions que le nom puisqu'elles ne sont pas transposées- que les Européens mettront sur pied une force militaire opérationnelle commune, non plus qu'une sécurité juridique commune pour les particuliers, non plus qu'une défense efficace contre une criminalité transfrontalière florissante. Ainsi va cette Europe que le Premier ministre lui-même qualifiait « d'Europe des petits pas et des petits compromis », dans son discours de la semaine dernière... Vous-même, monsieur le président de la commission, avez parlé de « flottement général »...
Le marché commun lui-même ne s'accompagne pas des dispositifs régulateurs qui permettraient à l'économie européenne d'être autre chose que la juxtaposition d'économies nationales dont les disparités fiscales et sociales entretiennent les rivalités, tandis que les enjeux majeurs que sont l'énergie, la recherche, l'environnement restent l'affaire de politiques nationales et que, face à la crise, les réponses, même « harmonisées », restent nationales et ne présentent pas la cohérence et la force qui permettraient de donner l'exemple au monde. Nous sommes à cent lieues de donner l'exemple...
Reste cet euro jadis mal aimé, aujourd'hui reconnu dans son efficacité protectrice mais qui n'est pas réellement une monnaie commune à l'Europe des Vingt-sept. A ce propos, le fait que cette Europe soit pilotée depuis six mois et pour six mois encore par des États qui ne sont pas concernés directement par cette monnaie est en lui-même emblématique de l'inconséquence non des citoyens mais de leurs appareils gouvernementaux, comme est emblématique cette crise du lait qui démontre que la PAC, unique politique véritablement commune, ne donne pas tous les résultats qu'on pouvait en attendre.
L'Irlande ! La condition posée par Dublin à l'approbation du traité constitutionnel serait... la non-harmonisation fiscale ! Si on renonce à cela, où va-t-on ? S'il faut se passer de l'Irlande, on s'en passera !
Que faire ? Le semestre de présidence française a démontré que l'Europe, quand elle veut, peut tout faire (On le conteste sur les bancs socialistes), depuis la gestion commune de l'immigration jusqu'à l'organisation d'une démarche mondiale commune par les G20 de Washington et de Londres. Malheureusement, cette démonstration n'est plus qu'un souvenir même si la bonne coopération franco-allemande apparaît comme un précieux gage de continuité dans le volontarisme.
Comment faire, cependant, pour passer des intentions aux actes alors qu'il se trouve toujours, parmi les Vingt-sept, quelques membres disposés à s'engager concrètement ? Notre conviction, partagée je crois par les membres de la commission, est qu'il ne faut plus perdre de temps à mettre tout le monde d'accord et que ceux qui sont décidés à agir doivent passer aux actes à quelques-uns afin de démontrer par l'exemple la possibilité de faire avancer les choses. L'exemple du casier judiciaire européen, mis en oeuvre aujourd'hui par une quinzaine de membres, nous montre la voie à suivre : celle de coopérations renforcées ou avancées dans tous les domaines. Ni l'euro ni le système Schengen ne rassemblent tous les États membres : cela ne les empêche pas de fonctionner !
Je suggère donc que, dans les négociations actuelles, notre Gouvernement ne considère pas cette formule comme un ultime recours relégué dans un avenir indéfini mais comme une réponse immédiate aux questions qui se posent, que ce soit dans le cadre des traités ou en dehors de ceux-ci. Ce faisant, il ne fera que retrouver la vision prophétique de Robert Schuman, affirmant, en 1950, que « l'Europe ne se fera pas d'un coup ni dans une construction d'ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ». Si nous pouvions présenter à nos concitoyens des réalisations concrètes, même partielles, telles qu'un statut familial commun pour les couples binationaux, un parquet ou une police commune pour lutter contre la grande criminalité, des universités et des centres de recherche pleinement européens, des harmonisations fiscales et sociales concrètes, alors ils sauraient à quoi sert l'Europe et ils seraient plus disposés à s'exprimer lorsqu'on leur demande leurs avis. (Applaudissements au centre)
Mme Annie David. - Comment aborder la préparation de ce Conseil sans tenir compte du message des urnes ? Mais les déclarations de triomphalisme que nous avons entendues sont déplacées. Interpréter ces résultats, et notamment les 28 % du parti de la majorité, comme le succès des politiques menées au niveau national et au niveau européen par le Président Sarkozy ne paraît pas justifié. Les 28 % de votants sont un peu moins de 11 % des inscrits ! Ces résultats ne sont en rien un feu vert pour la poursuite de vos politiques libérales, au contraire. Le principal message des urnes réside dans l'abstention massive, expression du décalage croissant entre les institutions européennes et les peuples européens. Les chiffres sont éloquents : 60 % des Français et 57 % des Européens ont choisi de ne pas se rendre aux urnes. Parmi eux, principalement des jeunes et des électeurs populaires. Ce n'est ni le signe d'une démocratie vivante, ni celui d'un projet européen porteur de progrès social puisque les personnes les plus brutalement touchées par la crise sociale ont considéré que l'Europe n'était pas l'espace politique où une réponse concrète à leurs besoins pouvait être formulée. Et, monsieur Haenel, c'est le traité constitutionnel qui a été refusé ! Cette faible participation est à rapprocher des 69 % enregistrés lors du référendum sur ce traité constitutionnel européen...
Or le taux de participation à ces deux scrutins est lié : le déni de démocratie que constitue la ratification du traité de Lisbonne par la France, simple avatar du traité constitutionnel que le peuple français avait rejeté, a nourri les désillusions et le fatalisme de nos concitoyens.
Pourtant, le premier point à l'ordre du jour de ce Conseil prévoit le contournement du vote du peuple irlandais pour faire adopter le traité de Lisbonne, légalement caduc. La crise de confiance entre nos concitoyens et une Europe qui se construit sans les peuples, voire contre eux, est donc de plus en plus aiguë. Ce message des urnes indique pourtant qu'il faut maintenant s'atteler à construire l'Europe des peuples et non celle des marchés. Or, alors que la dimension sociale de la construction européenne a fait consensus parmi les candidats, ce Conseil européen examine la crise sous l'angle de la régulation financière mais ne traite de la crise sociale que dans la continuité des politiques menées jusqu'à présent ! Le fameux « plan de relance sociale » de la Commission, paru dans la presse quelques jours avant le scrutin, sera abordé mais il manque d'ambition puisque qu'il ne prévoit de débloquer que les 19 milliards déjà programmés ! Cette gesticulation médiatique n'aura qu'un faible impact sur les ravages sociaux de la crise.
Le Président de la République estime que « la crise nous rend libres d'imaginer » mais son imagination le pousse à rogner sur les retraites, à privatiser la Poste, à demander toujours plus de sacrifices aux salariés, à poursuivre les réformes d'un modèle économique qui a échoué. C'est pourquoi toutes les énergies doivent être mobilisées pour construire un nouveau modèle social européen. Nous appelons d'urgence la réunion d'un Conseil européen extraordinaire pour définir une nouvelle donne sociale.
Mais le Conseil se concentre une nouvelle fois sur la régulation des marchés financiers et du secteur bancaire en se prononçant sur les suites à donner au rapport Larosière. Or, de l'aveu même du Gouvernement, les propositions de la Commission sont faibles, voire inopérantes. De plus, cette volonté de régulation du marché ne rend pas compte de la crise que nous traversons. Ce ne sont pas les banques qui ont failli mais bien l'ensemble du modèle libéral défendu par les institutions européennes et relayé par le gouvernement français. Sans remise en cause des politiques communautaires libérale gravées dans le marbre par le traité de Lisbonne, sans remise en cause du pacte de stabilité, de l'indépendance de la BCE, de la liberté de circulation des capitaux, de l'interdiction des aides d'État, la régulation financière n'endiguera pas la crise.
A contrepied des politiques actuelles, les États doivent garantir les droits fondamentaux des citoyennes et citoyens européens. Mais des pans entiers de l'économie sont soumis aux intérêts des grands groupes, conformément à la stratégie de Lisbonne. D'ailleurs, malgré la crise, rien n'arrive à ébranler cette certitude des instances européennes que le marché peut répondre seul à tous les besoins. D'ailleurs, les conclusions du Conseil du 8 juin démontrent cette soumission totale aux injonctions du marché du travail par la définition de la flexicurité à laquelle nous ne pouvons adhérer ! Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le ministre, ce Conseil a exclu toute politique industrielle en estimant « qu'il conviendrait d'éviter les mesures visant à préserver des changements structurels les emplois ou secteurs qui ne sont plus viables ». Les États et l'Union se déclarent donc incompétents pour répondre à l'urgence sociale et économique.
J'en arrive au troisième point à l'ordre du jour, qui concerne la préparation de la conférence de Copenhague et qui devrait être une des priorités politiques de l'Union européenne. Or, la récente conférence préparatoire de Bonn a démontré que les pays industrialisés n'assumaient pas leurs responsabilités : le Japon ne s'est engagé à réduire ses émissions de CO2 que de 8 % et les États-Unis de 4 % d'ici 2020 ! Il est pourtant plus que temps d'agir et nous vous demandons, monsieur le ministre, de faire pression sur nos partenaires pour que l'accord soit ambitieux et équitable.
Si nous partageons le souci commun de réduire les émissions de gaz à effet de serre, nous estimons que développement durable et libéralisme ne peuvent cohabiter. L'idéologie libérale conduisant au productivisme et au pillage des ressources, toute action écologique ne peut être menée que si elle est rentable. La réduction des émissions de gaz à effet de serre passe donc par la maîtrise publique. Ne voyez-vous pas que les directives de libéralisation de l'énergie et des transports nous ont privés de leviers importants pour agir en faveur du développement durable ? Comment encourager l'intermodalité du fret alors que l'avantage concurrentiel de la route n'a cessé d'être renforcé ? Agir pour l'environnement, ce n'est donc pas seulement culpabiliser les citoyens ou prévoir des droits à polluer mais surtout repenser les modes de production d'une manière durable. Le 7 juin dernier, les électrices et les électeurs ont confirmé leur attachement à la préservation de l'environnement et au développement durable.
Ce Conseil devrait également procéder à la désignation du président de la Commission, désignation importante puisqu'il incarne les politiques européennes. Aussi, les affirmations péremptoires comme celle de M. Kouchner qui « imagine mal que le Conseil puisse se prononcer pour une personne autre que le seul candidat pour le moment, c'est-à-dire, M. Barroso » ne sont pas à la hauteur de l'enjeu : cette désignation devrait être faite en concertation avec la représentation nationale. Or, M. Barroso symbolise l'échec des politiques libérales menées ces dernières années. Nous doutons de l'intérêt d'une telle candidature. Nous souhaiterions donc que les parlementaires nationaux soient consultés sur la présidence de la Commission mais également sur les futurs commissaires français. A ce titre, un fonctionnaire européen propose dans une tribune de presse que les membres de la Commission soient nommés parmi les candidats aux élections européennes afin de leur donner une véritable légitimité. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette intéressante proposition ? (Applaudissements sur les bancs du CRC-SPG et sur divers bancs socialistes)
M. Pierre Bernard-Reymond. - En désignant les membres d'un nouveau Parlement, les citoyens de l'Europe nous ont adressé cinq messages. D'abord, il reste beaucoup à faire pour qu'ils s'intéressent vraiment à l'avenir de l'Europe. Ensuite, ils font davantage confiance à la droite et au centre en période de crise. (Exclamations sur divers bancs) Ils nous ont dit aussi que le populisme était toujours latent dans nos sociétés et que les impératifs du développement durable étaient compris et largement partagés. Enfin, ils ont démontré que la pensée socialiste était toujours déchirée entre la social-démocratie et la lutte des classes.
M. Guy Fischer. - Provocation !
M. Pierre Bernard-Reymond. - Je ne commenterai que le premier message : nous aurions en effet tort de ne pas nous interroger sur le fort abstentionnisme que nous constatons de scrutin en scrutin depuis trente ans, notamment chez les jeunes. Quatre Français sur cinq sont favorables à la construction européenne mais 60 % d'entre eux n'éprouvent pas le besoin d'accomplir leur devoir électoral. II semble que l'Europe soit comme l'air que l'on respire : on ne l'apprécie vraiment que lorsqu'on en manque.
Les causes de cette désaffection sont profondes et vraisemblablement sociologiques. Le puissant mouvement de globalisation engendre inquiétudes et repli sur soi : la proximité est vécue comme un refuge. La crise financière et économique renforce ces sentiments. Devant une telle évolution, les hommes politiques apparaissent désarmés, leur marge de manoeuvre se rétrécit et leur crédibilité est atteinte.
En outre, le débat politique qui privilégiait jadis le long terme et les valeurs ne s'intéresse plus désormais qu'à l'image, à l'instant et au marketing. Comment se passionner durablement pour la politique si elle n'est plus que tactique ? Comment l'Europe pourrait-elle trouver sa place dans les médias, elle qui n'est ni sensationnelle, ni dramatique, ni pessimiste et dont les objectifs se situent sur le long terme ?
Un examen de conscience s'impose : si l'on cessait de faire de l'Europe un bouc émissaire, si les aides financières de Bruxelles n'étaient plus aussi confidentielles, si chaque député européen s'engageait à venir au moins une fois par an dans chaque département de sa circonscription électorale pour rendre compte de son travail, si la presse informait des débats du Conseil des ministres et du Parlement européen, si l'on créait une chaîne parlementaire européenne comme il en existe pour l'Assemblée nationale et le Sénat, si l'on enseignait davantage les rudiments de l'Europe durant la scolarité, si l'on intensifiait les jumelages, si l'on élargissait les échanges au-delà des étudiants et apprentis à tous les secteurs professionnels, si l'on harmonisait les conditions d'inscription sur les listes électorales de tous les ressortissants de l'Union, si l'on permettait à ces derniers de participer aux exécutifs locaux, si le drapeau européen était associé systématiquement au drapeau français et l'hymne européen à la Marseillaise...
M. Hubert Haenel, président de la commission. - Très bien ! Les symboles sont importants !
M. Pierre Bernard-Reymond. - ...peut-être l'Europe se rapprocherait-elle du citoyen et celui-ci serait davantage enclin à voter. Mais de telles mesures n'auraient de sens que si la construction européenne s'approfondissait.
Or, cette élection marque justement une nouvelle phase qui comprendra des rendez-vous très importants, comme la ratification du traité de Lisbonne, la réunion du G20, la conférence de Copenhague et la révision du budget et de la politique agricole commune.
La ratification du traité donnera une voix et un visage à l'Europe et rendra les décisions plus efficaces. Pendant six mois, le Président de la République a montré à quel point ceci était possible mais seul le traité de Lisbonne permettra à cette brillante exception de faire jurisprudence.
Le moment n'est-il pas venu, dans une Europe à 27, et demain davantage, de réfléchir à une nouvelle architecture de l'Europe ? On aurait pu imaginer que la réunification de l'Allemagne rende moins utile à ses yeux le dialogue avec la France, on aurait pu craindre que ce couple soit dilué par le grand élargissement. Au lieu de quoi l'entente entre nos deux pays n'a jamais été aussi nécessaire à l'Europe. On pourrait le réaffirmer solennellement dans le cadre d'un nouveau traité de l'Élysée.
La conception d'une Europe puissance et celle d'une Europe de simple libre échange continuent de coexister au détriment de l'efficacité. Le moment n'est-il pas venu de le reconnaître sereinement ? Les partisans de l'Europe puissance ne devraient-ils pas se rapprocher pour créer une entité plus forte, plus structurée, plus homogène ? Cette Europe à trois étages, que j'ai proposée au moment où je quittais les fonctions que vous occupez aujourd'hui, monsieur le ministre, ne devra-t-elle pas être mise en oeuvre face à la lenteur de la construction européenne alors que le monde n'attend pas ? Au départ, ce pourrait n'être qu'un club ; à la fin, ce serait une entité politique capable de bâtir un projet de civilisation servi par une puissance organisée sur le mode du fédéralisme décentralisé et constituant une véritable communauté de nations.
Mais il y a une tâche plus urgente : tirer les enseignements de la crise et mettre en place les moyens de régulation avant la reprise car les forces qui ont conduit à la catastrophe sont prêtes à repartir de plus belle. Le succès de Londres doit absolument être concrétisé au prochain G20 ; la tâche est gigantesque. Où en est-on du rapport Larosière ? Quels sont les points d'accord et de divergence avec les États-Unis ? Avec la Chine ?
Cette crise a montré la difficulté de bâtir une réponse européenne en matière de relance en raison de la trop grande hétérogénéité de nos économies et de nos politiques économiques respectives. Le moment n'est-il pas venu de faire comprendre aux anciens partisans du tout libéral que l'Europe a besoin d'une gouvernance économique ?
Nous souhaitons tous ardemment le succès de la conférence de Copenhague. II n'y a pas de raison de ne pas croire 99 % des scientifiques spécialistes du climat. Nous devons être admiratifs devant cette conversion sociétale au développement durable et souhaiter qu'elle se concrétise à Copenhague, même si le mouvement écologiste prend parfois les traits d'une nouvelle religion dont la première excommunication s'est appliquée à mon département que les Verts condamnent à l'enclavement perpétuel en refusant que l'on termine l'autoroute entre Grenoble et Gap.
Après le marché commun, le marché unique, la monnaie unique, l'Union économique ne sera pas complète sans une politique économique, budgétaire, fiscale et sociale plus affirmée. Je ne comprends pas que l'on veuille bâtir l'Europe et limiter son budget à 1 % de son produit intérieur brut. L'Europe doit disposer de moyens plus importants ; le budget de l'agriculture paraîtra alors plus acceptable aux yeux de ceux qui veulent le réduire ou le détruire. De même, l'Europe ne pourra pas se passer longtemps d'une politique fiscale propre à éviter le dumping fiscal. Quant à la politique sociale, le Président de la République vient de montrer la voie dans son discours à l'Organisation internationale du travail.
Il reste un cinquième grand rendez-vous. Celui que nous ne connaissons pas et qui surgira de Téhéran, de Kaboul, d'Islamabad, de Pyongyang ou d'ailleurs. Il faudra alors à l'Europe un président actif et réactif qui saura suppléer l'absence de politique étrangère commune comme a su le faire le Président de la République française pendant notre présidence. Mais l'avenir n'est écrit nulle part. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Aymeri de Montesquiou. - L'Europe ne fait plus rêver, nous en sommes tous responsables et coupables. Nous avons préféré les égoïsmes nationaux aux grands projets mobilisateurs d'une Europe dont la politique sociale, économique, internationale aurait rassemblé les citoyens et le monde. Le taux de participation extrêmement décevant de 43 % aux élections européennes le démontre cruellement. La première puissance industrielle et commerciale, le premier marché mondial n'assume pas son rang. Dans un monde en mutation qu'agitent les convulsions de la crise économique, l'Europe est-elle capable d'apporter une réponse à l'inquiétude des citoyens qui ne croient plus en elle ?
Dans l'ordre du jour proposé à ce Conseil, la recherche, fenêtre sur le futur, n'est plus citée, le développement durable y trouve enfin sa place, l'avertissement sur le dysfonctionnement des banques commence à s'estomper et la politique extérieure est traitée avec désinvolture. Au coeur de la stratégie de Lisbonne, la recherche devait renforcer notre compétitivité. On pouvait espérer qu'après le conseil de Barcelone, les objectifs seraient tenus. Il n'en est rien. Hélas, en France, depuis 2002, la part du PIB consacrée à la recherche décroît, passant de 2,23 à 2,08 %. On peut cependant placer dans le cadre de la recherche le développement durable, pour lequel le Président de la République a annoncé un milliard sur quatre ans. La loi sur le Grenelle de l'environnement consacre des dispositions à la recherche.
Le séisme financier, largement dû à l'absence de garde-fous de la City et de Wall Street, a révélé les carences du système bancaire européen. Un front uni s'était constitué à la réunion du G20 à l'initiative du Président Sarkozy. Cette unanimité a donné raison à Vaclav Havel, pour qui le marché ne peut exister qu'à condition de s'appuyer sur une morale. Ce front se lézarde et chacun joue sa propre partition. Il est indispensable que le couple franco-allemand intervienne et que les institutions européennes et internationales définissent des mesures d'encadrement et de moralisation.
Le rapport commandé par la Commission européenne à Jacques de Larosière présente une architecture inédite des structures financières, avec la création du conseil européen du risque systémique, du système européen de supervision financière et l'attribution de la personnalité juridique aux organes européens de la surveillance qui remplacent les comités existants. Ce rapport, qui constitue déjà un compromis avec les Britanniques, doit être mis en application intégralement. Privilégier une supervision des établissements bancaires par les organes nationaux serait contraire à une politique européenne. Quelle sera la position de la France ? Appuiera-t-elle à Bâle un conseil des risques systémiques ?
L'Europe, première économie mondiale, a importé les normes comptables américaines qui, en provoquant des à-coups dans l'évaluation des entreprises ont alimenté la psychose des bourses. Profitons de l'état de choc actuel pour revenir aux règles comptables antérieures et communes. La participation du président du conseil des normes comptables internationales, Sir David Tweedie, au dernier conseil Écofin va-t-elle en ce sens ?
Le Conseil européen fera le bilan des mesures prises dans le cadre du plan de relance ; je souligne notamment les 4 milliards destinés aux infrastructures gazières, électriques et éoliennes, ainsi que les projets de piégeage et stockage du CO2, de renforcement de l'efficacité énergétique et des sources d'énergie renouvelables. La Commission prévoit que, si l'Union tient son objectif de 20 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2020, 410 000 emplois seraient créés et le PIB augmenterait de 0,24 %.
L'ordre du jour ne mentionne pas la sécurité énergétique, qui est pourtant un sujet prioritaire de la présidence tchèque, dont le pays dépend en grande partie des importations russes de pétrole et de gaz. La dernière crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine pourrait n'avoir été que peu de chose au regard de la crise qui couve aujourd'hui. L'approvisionnement énergétique de l'Union européenne serait menacé par l'explosion d'une crise. Alors que les stockages gaziers souterrains ukrainiens jouent un rôle important dans notre approvisionnement, leur niveau est nettement inférieur au niveau nécessaire en cette période de l'année. Les stocks sont évalués entre 5 et 8 milliards de mètres cubes par la Russie et à 19 par l'Ukraine sur une capacité totale de 32 milliards. La Russie, qui a toujours tenu ses engagements, a formulé plusieurs propositions : la constitution d'une société internationale composée pour un tiers de Gazprom, un tiers de Naftogaz ukrainien et un tiers de sociétés des pays importateurs garantirait un bon fonctionnement du transit et la gestion des stockages, sur la base d'objectifs partagés par toutes les parties concernées. L'Union européenne fait défaut sur ces questions qui engagent son avenir et sont sources de conflits, d'incertitudes, et d'investissements irrationnels.
Le projet russe de traité international alternatif à la charte de l'énergie est négociable, sans doute améliorable : pourquoi refuser un dialogue a priori ?
La prépondérance de la Russie doit nous pousser à diversifier les énergies. Le transport du gaz naturel liquéfié par méthanier et non par tube facilitera les négociations.
Pour assurer la sécurité énergétique de l'Union, il faut appliquer au plus vite les priorités de la présidence tchèque : le partenariat oriental, et le corridor sud, nouvelle route de la soie, qui reliera l'Union aux pays d'Asie centrale.
La Commission a présenté le 10 juin dernier sa stratégie européenne pour la Baltique. Face aux réticences de la Suède et de la Finlande au projet de gazoduc Nord Stream, qui pose un problème environnemental, il faut une réponse politique commune, compatible avec le droit européen.
Si le projet Nabucco est souvent cité comme une priorité, sa réalisation reste problématique. Le South Stream russo-italien, qui éviterait l'Ukraine en passant sous la mer Noire, devrait en revanche se concrétiser prochainement.
Ces projets sont aléatoires. L'Union ne peut aujourd'hui encaisser des à-coups dans son approvisionnement. Pour lever les incertitudes, il faudrait une diplomatie opérationnelle, non un simple « échange de vues sur deux ou trois sujets d'actualité internationale intéressant les chefs d'État ou de gouvernements », formulation aussi floue que dérisoire...
« La vieille Europe, elle ne revivra jamais ; la jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? » s'interrogeait Chateaubriand dans ses Mémoires d'outre-tombe. Souhaitons que la France fasse de cet espoir une réalité ! (Applaudissements à droite)
M. Hubert Haenel, président de la commission. - Très bien.
Mme Bernadette Bourzai. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Le vote du 7 juin a été marqué par un taux d'abstention record, en hausse de 2 % par rapport à 2004. Qui peut être fier d'avoir obtenu à peine 11,3 % des inscrits ? Ces chiffres incitent à la modestie...
Pourquoi cette abstention massive ? L'indifférence, la suspicion, l'opposition aux politiques de l'Union, un euroscepticisme croissant, y compris au Parlement européen, car l'Union européenne sert trop souvent de bouc émissaire de l'échec des politiques nationales, mais aussi le dogme libéral de la Commission. Comment faire confiance à Mme Fischer Boel qui affirmait, en pleine crise alimentaire, que le marché devait tout régler ? La fin des quotas laitiers devait se traduire par un « atterrissage en douceur » -or c'est déjà le crash !
Une majorité de nos concitoyens s'est exprimée contre l'Europe libérale, pour un développement durable sur le plan économique, social et environnemental. Nous assumons notre vision des enjeux européens. D'abord, un véritable plan de relance économique à l'échelle de l'Union, notamment dans le domaine de l'économie verte, accompagné de mesures sociales pour faire face à la déferlante du chômage ; ensuite, une lutte contre la spéculation financière, l'assainissement des réseaux bancaires et la fin des paradis fiscaux. Enfin, la reconduction du président Barroso nous paraît inacceptable : il n'est pas l'homme de la situation pour conduire ces politiques. (Murmures d'approbation sur les bancs socialistes)
Le décalage est net, alors que le Conseil s'apprête à examiner la mise en oeuvre du plan de relance européen et les mesures de soutien aux banques. La finance doit soutenir l'économie réelle, qui a besoin d'investissements à long terme. La régulation financière est indispensable pour empêcher la dictature du court terme. Il faut des crédits à taux raisonnables, des offres de placement contrôlées. Pas question de renflouer des banques dont les dirigeants se rémunèrent sur les aides reçues ! En la matière, il ne suffit pas d'un décret minimaliste... Quelles mesures allez-vous défendre en ce sens ?
Le projet de directive sur les fonds spéculatifs localisés dans les paradis fiscaux a été confié au commissaire chargé du marché intérieur -l'un des plus libéraux.
M. Guy Fischer. - Cela n'augure rien de bon !
Mme Bernadette Bourzai. - Pensez-vous que ce soit le meilleur moyen de mettre en oeuvre les décisions du G20, ou allez-vous exiger du futur président de la Commission une véritable action contre les paradis fiscaux ? (M. Guy Fischer approuve)
Un véritable plan de relance à l'échelle de l'Union exige de rétablir la confiance et d'assainir les financements bancaires. Etes-vous prêt à demander un contrôle accru de l'usage par les banques de l'argent perçu et à soutenir une supervision financière contraignante ?
Toute autosatisfaction serait singulièrement déplacée, d'autant que le pire de la crise est encore à venir. Le chômage frappera 27 millions d'Européens en 2010, soit 10 millions de plus qu'il y a un an, 7 millions de plus qu'au début des années 2000. En France, 200 000 emplois ont été détruits depuis le début de l'année et le Pôle emploi ne peut plus faire face à l'afflux des chômeurs !
Les plans nationaux, qui mobilisent 200 milliards d'euros, soit 1,5 % du PIB -contre 6,5 % aux États-Unis-, ne suffiront pas. Pourquoi la Commission et le Conseil ont-ils refusé le grand emprunt proposé par le président de la Banque européenne d'investissement pour financer un plan massif d'économies d'énergie ? La croissance verte représente pourtant un gisement considérable d'emplois.
Comment être crédible dans les négociations pour la conférence de Copenhague si vous renâclez à lutter contre le réchauffement climatique ? L'accord politique sur le paquet Énergie-climat vous suffit-il ? Quid du financement des objectifs ? Le dernier conseil Écofin n'a pas trouvé d'accord sur le financement de l'aide aux pays en voie de développement dans leur lutte contre les émissions de gaz à effet de serre... Vous voulez taxer les productions des pays tiers qui n'appliquent pas nos exigences environnementales, mais comment allons-nous financer nos propres engagements ?
Alors que le Conseil européen de printemps est traditionnellement dédié aux questions économiques et sociales, le débat a été reporté et finalement remplacé par une simple rencontre avec les partenaires sociaux. Les priorités retenues -apologie de l'esprit d'entreprise et de la flexisécurité- sont loin de prendre en compte l'ampleur de la crise sociale, et les syndicats ont refusé de signer la déclaration conjointe.
L'engagement partagé sur l'emploi publié le 3 juin par M. Barroso, présenté comme un plan de relance social, ne nous rassure guère quand on sait que la lecture ultralibérale de l'agenda de Lisbonne s'est traduite par une aggravation de la précarité de l'emploi...
La confédération européenne des syndicats estime que, loin de résoudre le problème de l'absence de demande, une réduction des coûts non salariaux stimulerait les stratégies de réduction des coûts tout en minant les ressources des systèmes de sécurité sociale. Moyennant quoi, c'est M. Barroso que vous proposez de reconduire à la tête d'une commission affaiblie, lui qui n'a cessé de théoriser l'impuissance de la Commission ! On se souvient du dynamisme de Jacques Delors, mais quelle empreinte M. Barroso laissera-t-il ? Aucune, si ce n'est d'avoir organisé le sommet des Açores où des membres de l'Union s'affichaient auprès du Président Bush en soutien à la guerre en Irak !
C'est le vide qui tient lieu de politique sous l'appellation better regulation, que j'ai bien connue et qui consiste à évacuer les sujets d'importance, ou lorsque la commission refuse de proposer une directive sur les services d'intérêt général.
Reconduire la Commission sortante serait une erreur grave. Une Commission faible entérinerait la volonté de certains États de retourner à une Europe intergouvernementale, confrontation d'intérêts nationaux, au lieu d'inventer ensemble de nouvelles politiques à l'échelle de l'Europe. Ensuite, il est inacceptable que le Conseil européen décide dès cette semaine de la nomination du président de la Commission. Les nouveaux eurodéputés doivent examiner la candidature de José Manuel Barroso au regard des engagements pris devant les électeurs et de l'existence de candidatures alternatives. A défaut, il y aurait déni de démocratie et une abstention encore plus élevée au prochain renouvellement du Parlement. Enfin, il est préférable d'attendre l'adoption du traité de Lisbonne : la nomination du président de la Commission par le Parlement européen coïnciderait avec celle du président du Conseil et du Haut-représentant pour la PESC. Le mandat de la Commission ne s'achevant qu'à l'automne, c'est possible.
Il faut dépasser l'Europe intergouvernementale par le haut, c'est-à-dire raviver l'intérêt des citoyens pour la construction européenne. Les choix politiques doivent se traduire dans des politiques nouvelles, dotées d'un vrai budget européen. Nous serons très attentifs à la discussion des nouvelles perspectives financières : il en va de la démocratie. Nous sommes favorables à une Europe forte et respectée, qui tient ses engagements envers ses citoyens et ses partenaires, telle la Turquie. Depuis longtemps, les Européens appellent de leurs voeux un monde multipolaire. Aujourd'hui, avec le Président Obama, les États-Unis semblent comprendre cette aspiration. C'est le moment pour l'Europe d'assumer vraiment sa volonté d'exister. (Applaudissements à gauche)
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Compte tenu de la richesse des interventions, je répondrai à chacun d'entre vous afin de satisfaire le souhait conjoint de Chateaubriand et d'Aymeri de Montesquiou : que le Parlement et l'exécutif collaborent étroitement.
Comme plusieurs d'entre vous, Hubert Haenel s'interroge sur la nomination du futur président de la Commission. Pourquoi le nommer maintenant ? Parce que le Parlement européen le réclame. Les eurodéputés demandent à s'exprimer sur ce sujet lors de leur session des 14 et 15 juillet prochain. S'il n'y a actuellement qu'un seul candidat déclaré, rien n'empêche d'autres groupes de proposer un autre nom. C'est une question de volonté politique, non de calendrier : chacun doit prendre ses responsabilités.
Pourquoi avons-nous choisi de prendre, lors de ce prochain Conseil, une décision politique et non juridique ? Il ne s'agit pas d'un acte de défiance vis-à-vis de José Manuel Barroso, que nous soutenons sans ambiguïté, mais du respect des parlementaires européens, qui partagent le pouvoir de nomination. Les présidents des groupes parlementaires réagiront à ce choix, puis le Parlement se prononcera définitivement lors de sa prochaine session.
L'abstention est un sujet de préoccupation : il faut obtenir un taux de participation plus élevé lors des prochaines élections. Il serait généreux, mais naïf, de tout confier au Parlement européen : cela ne fonctionne pas. Je crois plutôt que celui-ci doit travailler plus étroitement avec les Parlements nationaux. Pourquoi ne pas inviter des eurodéputés à venir rendre compte tous les mois de leurs travaux devant les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat ? Nous pourrions ainsi avoir des échanges sur des thèmes concrets qui intéressent les citoyens. (Marques d'approbation sur les bancs UMP) Ainsi, il est absurde que l'Assemblée nationale et le Sénat travaillent sur la loi Hadopi en même temps que le Parlement européen, sans aucune concertation. (M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, approuve)
Il faut être prudent sur la question de la relation entre la désignation de la Commission et les élections européennes. Pour ma part, j'estime que la nomination du président de la Commission doit être liée à l'élection des eurodéputés, de la même façon que l'élection des Parlements nationaux entraîne un changement à la tête de l'exécutif. Il aurait été plus convaincant pour les citoyens européens de savoir que la victoire du Parti populaire européen aurait pour conséquence la nomination de Barroso, et celle des socio-démocrates, la désignation d'un autre candidat. Comme Hubert Haenel, j'estime qu'il ne faut pas que la nomination du président soit liée à celle de l'ensemble des membres de la Commission. Le pluralisme doit être préservé, au service de l'intérêt général européen.
Comme d'autres orateurs, Hubert Haenel a évoqué les coopérations renforcées, les noyaux durs, la capacité de certains États à avancer plus loin ensemble. Je l'ai déjà dit : il ne faut pas remettre en cause l'unité européenne, conquise sur le totalitarisme et la résistance de certains gouvernements. (M. Robert del Picchia approuve) C'est le gage le plus précieux de la force politique de l'Europe. Ainsi, la Lettonie connaît des difficultés financières dramatiques et doit prendre des mesures drastiques pour se conformer aux exigences de la BCE. Nous avons un devoir de solidarité envers elle, même si ce pays ne se trouve pas au coeur de nos préoccupations. Nous pouvons avancer conjointement avec d'autres États européens dans certains domaines comme la défense, la monnaie, la circulation des personnes, mais en laissant toujours la porte ouverte. S'il s'agit d'aller plus loin avec certains, ce n'est pas pour distancer les autres mais pour leur permettre de nous rejoindre.
Pour ce qui est de l'Europe politique, je souscris à la perspective dessinée par Hubert Haenel d'une Europe de projets, capable de prendre des décisions, et d'une Europe de la responsabilité. Aujourd'hui, on ne sait pas bien qui fait quoi.
Pour ce qui est des garanties sur le traité de Lisbonne, j'estime, comme Robert del Picchia, que le traité ne supporterait pas un second vote négatif. Soit il est adopté à la fin de l'été, soit nous retournerons à une période d'errements institutionnels. Le protocole conclu avec l'Irlande ne pose pas de problème car il ne contient rien de plus ni de moins que le traité. On ne peut aller plus loin en matière de fiscalité. Nous avons besoin d'un support pour retranscrire ces garanties : ce pourrait être le traité d'adhésion de la Croatie, à condition de régler le problème de frontière entre la Croatie et la Slovénie. Je m'y emploie tous les jours avec le commissaire européen à l'élargissement, M. Olli Rehn.
L'objectif est de ratifier cette année le traité de Lisbonne, les obstacles à lever sont la signature de M. Klaus, celle de M. Katczinsky, la levée du blocage entre la Slovaquie et la Slovénie ; et il nous faudra bien sûr soutenir la politique britannique et M. Gordon Brown afin d'éviter des élections anticipées, qui entraîneraient des difficultés.
Nous voulons une désignation du président de la Commission -nous soutenons la candidature de M. Barroso- puis le renouvellement de l'ensemble de la Commission en novembre. Le mandat actuel court jusqu'au 1er novembre et il faut tenir compte des élections générales en Allemagne le 27 septembre, afin que chaque État se prononce sur le choix des commissaires.
Nous envoyons 72 députés français au Parlement européen, 74 dans le cadre du traité de Lisbonne. L'attribution des deux sièges supplémentaires aux plus forts restes n'est pas possible juridiquement, il aurait fallu voter une loi en ce sens avant le scrutin, ce qui aurait semé la confusion chez les électeurs. Il faudra donc procéder à un nouveau scrutin et nous recherchons avec le secrétariat général du Gouvernement la solution appropriée.
Sur l'Afghanistan, les choses progressent au sein de l'Union, notamment à l'initiative de la France et de Bernard Kouchner. Une force de sécurité supplémentaire sera formée par les gendarmes, une force de police sera prochainement en fonction ; et le sommet Union européenne-Pakistan qui se tient aujourd'hui démontre la capacité de l'Europe à prendre davantage de responsabilités dans la région.
Monsieur Fauchon, vous êtes sévère pour l'Europe... qui le mérite parfois, je le reconnais. Il faudra progresser encore. Nous savons que « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Les textes sont illisibles ? Nous travaillerons à les simplifier.
Qu'attendre de l'Union européenne ? Après la communauté européenne du charbon et de l'acier, il y a eu le marché intérieur, puis la monnaie unique ; ce qui manque aujourd'hui, c'est un projet politique clair. Le Président de la République, durant la présidence française, y a oeuvré avec énergie. Il demande que le prochain président de la Commission présente un programme politique pour les cinq années de mandat : énergie, santé, éducation, protection sociale, régulation financière mondiale. Pour la première fois de son histoire, l'Europe va proposer au monde des solutions de développement.
Sur la fiscalité, je dois avouer que notre ambassadeur à Dublin a donné une information erronée : il n'y aura rien de plus que dans le traité de Lisbonne. La section B des garanties précise bien que « rien dans le traité de Lisbonne ne modifie quoi que ce soit sur les compétences de l'Union en matière fiscale ». Mais rien n'interdit de progresser vers plus de coopération fiscale entre États-membres.
Madame David, il ne faudrait pas surinterpréter le niveau de l'abstention. Vous considérez la ratification par le Parlement français comme un déni de démocratie. Mais vous êtes les représentants du peuple ! Lorsque vous votez, vous êtes le peuple qui ratifie. Quant au modèle social, nous avons essayé de le faire progresser. Nous avons obtenu un doublement des crédits du fonds d'ajustement à la mondialisation et une simplification de l'allocation des ressources. Il n'est effectivement pas acceptable que seuls 50 millions d'euros sur les 500 disponibles soient employés, en pleine crise économique ! Nous voulons mettre en place un meilleur contrôle pour vérifier que les fonds parviennent bien aux salariés licenciés pour financer une formation. Sur les services publics, vous souhaitez une directive cadre globale, nous sommes partisans de directives séparées, mais nous avons le même but !
J'en viens aux questions financières. La directive Mc Creevy comprend des points qui ne nous satisfont pas, je songe au contrôle des produits financiers, car le contrôle du responsable des fonds spéculatifs ne suffit pas. En revanche, les propositions de la Commission reprennent fidèlement le rapport Larosière, qui constitue notre feuille de route pour la supervision financière.
Monsieur Bernard-Reymond, nous entendons lutter contre l'abstention et nous ferons le maximum. Je suis moi aussi un farouche partisan de l'entente franco-allemande et je puis vous assurer que nous irons plus loin, après le vote du 27 septembre. L'Allemagne va fêter les 20 ans de la chute du Mur et nous avons encore beaucoup à construire avec elle. Vous ne serez pas déçu !
M. Jean Bizet. - Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - La priorité budgétaire est aujourd'hui de mieux employer les fonds. Chez nous, je songe au programme Erasmus et à certaines politiques structurelles. Il faut aussi mieux répartir le fardeau budgétaire ; il n'est pour nous pas question d'alourdir la contribution demandée au contribuable français avant d'avoir réglé la question du chèque britannique.
MM. Jean Bizet et Hubert Haenel. - Oui !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Monsieur Montesquiou, nous avons proposé de réviser la stratégie de Lisbonne afin de passer du stade déclaratoire à des propositions plus contraignantes. Sur les questions financières, je l'ai dit, nous ne reviendrons pas en arrière mais Mme Lagarde se bat chaque jour pour que les vieilles habitudes ne reprennent pas le dessus. Nous aurons gain de cause !
La sécurité énergique sera au programme du Conseil, le dîner des chefs d'État jeudi soir y sera consacré. Je partage votre appréciation de la situation, de nouvelles crises sont possibles entre l'Ukraine et la Russie. Nous examinons les propositions russes. Une seule est inacceptable, qui transformerait la relation entre l'Europe et la Russie : de client, nous deviendrions banquier et prêteur. Cela est trop risqué pour les deniers publics ! En revanche, nous pouvons soutenir la construction de nouveaux gazoducs, y compris Nord Stream, ainsi que l'inversion des flux gaziers et le mécanisme d'alerte précoce. Une centrale d'achat nous donnerait plus de poids dans les négociations avec la Russie.
Je veux dire à Mme Bourzai qu'avec les sénateurs normands MM. Revet et Bourdin, j'ai rencontré à plusieurs reprises les producteurs de lait. Il faudra des règles pour maîtriser la production et nous le demandons au président de la Commission, -laquelle n'est pas restée inactive puisqu'elle a consenti des avances sur les aides pour 2010.
La Banque européenne d'investissement a joué un rôle majeur dans la relance en renforçant ses investissements dans le développement durable, les infrastructures, le soutien aux PME (30 milliards) et à l'industrie automobile (7 milliards). Nous voulons, à la rentrée, mettre en place un mécanisme pour vérifier que les PME en sont bien les bénéficiaires. Quant aux énergies renouvelables, aux quotas gratuits, aux émissions de carbone, nous ne pouvons en rester à des déclarations de principe.
La régulation financière et les paradis fiscaux enfin. Pour la première fois dans l'histoire, l'accord conclu avec la Suisse nous assurera une transparence totale sur les comptes bancaires. Les Français comprennent bien cette avancée.
Ma conviction demeure intacte et ma détermination rejoint la vôtre pour construire l'Europe que les citoyens réclament et qui répond à nos intérêts. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme la présidente. - Acte est donné de cette déclaration, qui sera imprimée et distribuée.