Communication sur les suites du sommet du G20
M. le président. - L'ordre du jour appelle une communication sur les suites du sommet du G20 des sénateurs membres du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale.
Je remercie nos collègues sénateurs, ainsi que les députés, pour leur participation à ce groupe de travail, nouveauté dans notre République, et salue le travail accompli, même s'il n'est pas encore achevé...
M. Jean Arthuis, co-président du groupe de travail. - Apparue aux États-Unis pendant l'été 2007, la crise financière ne cesse de muter, poussant vers le chômage des cohortes de salariés. La gravité de la situation interpelle directement le Parlement. Le groupe de travail Assemblée nationale-Sénat, créé sur ce sujet à l'initiative des présidents des deux assemblées, est un objet nouveau dans l'univers parlementaire. Sous la présidence des deux présidents des commissions des finances, il rassemble 24 parlementaires : douze députés et douze sénateurs, douze membres de la majorité et douze membres de l'opposition. Il compte quatre rapporteurs : Gilles Carrez et Nicolas Perruchot pour l'Assemblée nationale ; Philippe Marini et Bernard Angels pour le Sénat.
Avant les réunions du G20 à Washington, le 15 novembre 2008, et à Londres, le 2 avril 2009, nous avons transmis au Président de la République des notes sur la crise financière et apporté une vision parlementaire sur la refondation de la finance mondiale. Le Président nous a rendu compte de cette dernière réunion le 15 avril dernier. Cette méthode originale a permis d'obtenir des rapprochements et des convergences sur le diagnostic et les préconisations.
Je débuterai mon intervention par un compte rendu de la mission effectuée aux États-Unis par le bureau de la commission des finances. Ce pays, où est née la crise, détient aussi une partie des réponses à celle-ci. Au cours de la semaine écoulée, nous avons rencontré les responsables du FMI, du Congrès, des institutions monétaires et financières américaines ainsi que des banquiers, des dirigeants d'entreprises et des responsables de hedge funds.
Nous en avons retenu un constat : la crise actuelle a révélé l'incroyable fragilité du secteur financier, caractérisé par le développement considérable et anarchique des produits dérivés. Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale américaine, considérait récemment que l'innovation financière a amélioré l'accès au crédit au point qu'il paraît inenvisageable de revenir trente ans en arrière. Soit, mais nous allons devoir faire face à deux difficultés majeures : les États-Unis vont-ils mettre en place des mécanismes de régulation et de supervision à la hauteur de leurs responsabilités dans le fonctionnement du système financier international ? Dans un contexte où la Réserve fédérale assume de plus en plus le risque systémique en intégrant certains actifs douteux dans son bilan, quelle sera la sortie de crise ? Le choix des États-Unis se résume-t-il à autre chose qu'une alternative entre plus d'impôts ou plus d'inflation ? Avons-nous échappé à tout risque de déflation ?
Pour ce qui concerne la régulation et la supervision, nos interlocuteurs ont constaté des lacunes importantes du contrôle des banques, des institutions financières et des compagnies d'assurances aux États-Unis.
Le paysage réglementaire y est complexe, morcelé, fractionné. Cette absence de structuration globale a laissé libre cours à certains comportements préjudiciables -je pense, au premier chef, à l'affaire Madoff. Les autorités américaines ont-elles pris clairement la mesure des changements à apporter à leur organisation ? Et ont-elles commencé à les mettre en oeuvre ? Je répondrais plutôt « oui » à la première question, plutôt « non » à la seconde, du moins, pour l'instant.
La création d'une instance de régulation du risque systémique fait aujourd'hui consensus, mais la réflexion se poursuit sur l'autorité qui sera investie de cette fonction, bien que la Réserve fédérale apparaisse la plus apte à remplir ce rôle, et la place de cette autorité. Le danger est, en effet, qu'elle se superpose au patchwork existant, sans s'y substituer. Même remarque concernant la régulation des produits dérivés. La technique de la chambre de compensation, qui permet de réduire les risques de défaillance grâce au contrôle quotidien des positions et aux appels réguliers de marges, semble la plus appropriée. Et sa généralisation préventive aurait sans aucun doute réduit fortement l'ampleur de la crise actuelle. Mais le débat ne fait que commencer sur le statut que prendra cette structure. Si elle devait rester aux mains des seules banques, comme la plupart d'entre elles le souhaitent, l'objectif de transparence serait manqué en l'absence d'un réel contrôle externe... Autres sujets de réflexion, les délocalisations vers les paradis fiscaux -j'y reviendrai en conclusion-, la séparation des activités de banque de dépôt et banque d'investissement, la surveillance des agences de notation ou encore le contrôle des hedge funds. Quelques mots de la politique « too big to fail » selon laquelle l'État se trouve contraint d'assumer le risque systémique pour les établissements de très grande taille ; un risque qui est au-delà de ses capacités. Certains préconisent de fractionner les établissements trop importants pour éviter que l'État ne supporte un risque systémique excessif ; d'autres proposent d'instituer une espèce de prime, qui serait fonction de la dimension de l'établissement, dans la mesure où l'État joue le rôle d'assureur. Cette séance sera l'occasion d'aborder ces points d'intérêt commun avec les Américains.
Seconde interrogation que nous ramenons des États-Unis : quelle sortie de crise ? Pour éviter que la crise ne soit suivie par une stagnation, comme au Japon dans les années 1990, le premier impératif est de nettoyer les actifs des banques. Ce travail reste inachevé, d'autant que d'autres mauvaises surprises ne sont pas à exclure. De fait, les banques n'ont pas encore enregistré leurs pertes comptables sur les prêts accordés dans des secteurs sinistrés, tel l'immobilier d'entreprise, pertes que le FMI estime à 4 000 milliards de dollars, dont 2 700 pour les seuls États-Unis. Attention, donc, aux propos optimistes de ceux qui veulent voir les prémices d'un redémarrage économique dès ce printemps. Si ces prédictions n'étaient pas réalisées, elles auraient un impact encore plus dépressif sur l'économie réelle. A court terme, le risque de déflation reste réel. Ensuite, la Réserve fédérale a géré la faillite ou la quasi-faillite de Bear Stems, Lehman Brothers, AIG Citigroup, Freddy Mac et Fanny Mac. Résultat, son bilan, qui est passé en quelques semaines de 800 milliards de dollars à plus de 2 000 milliards, pourrait atteindre 4 000 milliards à la fin de l'année. Parallèlement, comme la Banque centrale européenne, elle a injecté massivement des liquidités dans l'économie. Si l'on peut raisonnablement espérer que nos banques centrales retireront à temps les liquidités en surplus, il faudra cependant surveiller le comportement de la Réserve fédérale à l'égard des actifs douteux inscrits à son bilan, dont elle assume le risque direct, de même que ses relations avec l'État fédéral, avec lequel elle a formé un tout ces derniers temps, malgré son statut d'instance indépendante.
Pour conclure, permettez-moi d'insister sur la question des paradis fiscaux, ces espaces juridiques non coopératifs qui gardent jalousement le secret bancaire. Entre les déclarations du G20 et les avancées réelles, je crains qu'un écart ne se creuse rapidement. Soyons extrêmement vigilants. La constitution d'une liste noire ou grise ne doit pas être dictée par des considérations politiques. (Mme Nicole Bricq approuve) Pourquoi n'y trouve-t-on pas Hong-Kong, non plus qu'aucune île anglo-normande, l'État américain du Delaware et aucun territoire rattaché à des membres du G20 ? Nous devrons faire preuve d'une volonté sans faille pour aboutir sur ce terrain. Pour que les décisions du G20 soient réellement mises en oeuvre, l'Europe doit donner l'exemple et discuter avec ses partenaires autrichien, luxembourgeois et suisse -car la Suisse est associée à l'Europe en matière bancaire et financière.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Il faudrait d'abord convaincre Barroso et McCreevy !
Mme Nicole Bricq. - Nous en parlerons !
M. Jean Arthuis, co-président. - Cette crise constitue un défi majeur pour l'Europe. Elle a mis en évidence que certains États consomment davantage qu'ils ne produisent, finançant leurs déficits public et commercial par l'endettement.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Très juste !
M. Jean Arthuis, co-président. - Pour sortir de cette spirale, appuyons-nous sur la compétitivité et l'activité économique ! (Applaudissements à droite et au centre ainsi que sur quelques bancs socialistes)
M. Philippe Marini, co-rapporteur du groupe de travail. - Nous abordons ce matin un sujet à la fois essentiel et compliqué. Essentiel parce que ce n'est pas une figure de style d'affirmer que cette crise engage notre avenir. Compliqué parce que ce sujet échappe largement au législateur national. Certes, la crise marque un retour à l'intervention de l'État et à la régulation économique, qui se décide au Parlement. Pour autant, les décisions se prennent d'abord au niveau européen -et le Parlement européen, qui sera prochainement renouvelé, ne se comporte pas tout à fait comme un parlement- et, surtout, au niveau mondial.
Les résultats des deux réunions successives du G20 sont, je persiste à le croire, fort contrastés. Des avancées ont été faites, peut-être même l'amorce de percées intellectuelles. Pour autant, attention de ne pas verser dans l'autosatisfaction et l'autoglorification.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Cela va être difficile ! (Sourires)
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Aucune réunion de chefs d'État ou de gouvernement ne s'ouvre sans un appel à lutter contre le protectionnisme. C'est devenu un passage obligé.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Très bien !
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Mais, une fois rentré, chacun s'empresse, dans les limites des accords internationaux, de faire un peu de protectionnisme. Bref, s'agit-il d'une véritable évolution ou d'une organisation temporaire pour faire face à des aléas momentanés ? S'agit-il d'un simple trou d'air après lequel le système continuera de fonctionner comme avant ? C'est l'interrogation que je formule, comme notre excellent président Arthuis, après notre visite de ces derniers jours aux États-Unis.
Aux États-Unis, où règne plus de liberté d'esprit que l'on ne croit...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Plus que chez nous !
M. Philippe Marini, co-rapporteur - ...les Américains ne parviennent pas à remettre en cause les schémas intellectuels qui ont fait le succès des marchés depuis dix ans. Il est certes plus commode de replâtrer et recréer les conditions pour que tout redevienne comme avant. Je souscris totalement aux propos de M. Arthuis sur le rôle des banques centrales : depuis un an, leurs bilans ont été transformés car elles se sont substituées aux banques commerciales et ont pris des risques directs, au nom des États, sur la solvabilité des entreprises. Or nous savons que l'une des causes de la crise réside dans le rôle trop limité, stéréotypé, assigné aux banques centrales -un rôle conçu à une période désormais révolue. Pour le groupe de travail, si la crise a été si mal prévue, c'est que l'attention s'est concentrée exclusivement sur le niveau de l'inflation, sans contrôle vigilant des marchés, sans réflexion sur les causes des déséquilibres ni sur le prix des actifs. Je persiste à rappeler que dans son petit livre Les incendiaires, paru un an avant la crise, Patrick Artus dénonçait, comme d'autres économistes, ce phénomène ; un banquier central reste un banquier central, il parle le langage technique des banquiers centraux, il a le sens de l'intérêt général, mais sans doute est-il trop imprégné d'images du passé et trop prisonnier d'une méthodologie ancienne pour anticiper l'avenir. Seuls les États, les élus du suffrage universel, les politiques ont la capacité de prévoir les rebonds nécessaires et les mutations de pensée indispensables. C'est que la crise actuelle n'est pas une simple discontinuité dans le fonctionnement des marchés !
Faut-il revenir à la segmentation des banques instaurée par le Glass Steagall Act, réglementation elle-même issue de la crise majeure du XXe siècle ? Les catégories étaient bien distinctes : banques de dépôts, d'investissement, banques de marchés, établissements de financements spécialisés, etc. Chacun était soumis à un mode de régulation spécifique et prenait des risques en rapport avec la capacité de son bilan. Mais les marchés ont pris une ampleur et une profondeur sans précédent, les besoins de financement de l'économie ont augmenté considérablement et nous vivons dans un monde non plus fragmenté mais globalisé.
Nous ne pouvons nous satisfaire cependant du modèle de banque universelle à l'anglo-saxonne qui a progressivement émergé : la circulation entre structures réglementées et non réglementées et les conflits d'intérêt posent de gros problèmes... Ni retour aux schémas révolus, ni statu quo : il faut inventer un nouveau modèle.
L'innovation financière s'est beaucoup développée. C'est un facteur de progrès. Mais pourra-t-on continuer à mobiliser les créances pour les transformer en financements et les diffuser sur les marchés du monde entier ? Certainement pas dans les conditions débridées des années passées. Les entités économiques à l'origine des émissions doivent conserver dans leur bilan une part significative du risque, c'est un principe de bon sens et une question de transparence. Mais les Américains hésitent encore à assumer les conséquences d'un changement pourtant inévitable. Or, pour préparer le prochain G20, il faudra bien s'intéresser à la standardisation des produits échangés sur les marchés et à la gouvernance des marchés qu'il faudra mettre en place concomitamment.
La même problématique s'applique aux principes comptables. La suspension de la valorisation des actifs bancaires au prix de marché ne peut être qu'une solution provisoire, aléatoire, insatisfaisante ! Et l'une des frustrations durant la présidence française de l'Union européenne fut de ne pas parvenir à traiter la question des normes comptables des compagnies d'assurance. Le Parlement européen vient de valider la directive Solvabilité II qui est selon moi, je le clame haut et fort, une grave erreur économique. Il en résultera, mécaniquement, une raréfaction des placements en actions ; et nous nous serons placés nous-mêmes dans ce piège. Je mets en garde le Gouvernement contre les conséquences de ce que nous sommes en train de faire !
Ne prétendons pas que la répartition entre livre de marché et livre bancaire, pour la valorisation des actifs et des fonds propres, est une solution. Elle ne saurait être qu'un principe transitoire.
M. le Président. - Il faut conclure.
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Aux États-Unis, ce principe est du reste appliqué de façon différente, entre par exemple la Réserve fédérale de New York et le surintendant à la supervision des banques, chargé des petites banques, donc de centaines d'établissements bancaires et de sociétés de crédit à la consommation. Demandez-vous donc pourquoi le nouveau holding de Goldman Sachs a été placé sous le contrôle du superviseur de l'État, qui dépend du gouverneur... Je ne mets pas en cause l'admirable système américain de check and balances, mais considérons-le sans naïveté.
Le groupe paritaire que le président Larcher a eu la grande intelligence de créer prend, comme tout enfant bien constitué, sa personnalité. Il faut souhaiter non qu'il échappe à ses concepteurs, mais qu'il vive sa vie propre ! (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques bancs socialistes)
Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, co-rapporteur du groupe de travail. - Le groupe de travail, constitué de 24 parlementaires...
M. Jean Arthuis, co-président. - C'est le G24 !
Mme Nicole Bricq, co-rapporteur. - ...été placé sous les feux de la rampe récemment, mais certes pas pour de bonnes raisons.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Pour des raisons idiotes !
Mme Nicole Bricq, co-rapporteur - Pourtant, ses travaux ont été fructueux.
Depuis Washington, cette péripétie microcosmique nous a paru bien ridicule. J'espère que notre travail n'en sera pas oblitéré et qu'il pourra être poursuivi.
Avant le premier G20, le groupe a émis un diagnostic partagé sur les causes de la crise : déformation du partage du revenu du capital et du travail...
M. Jean-Pierre Chevènement. - Très bien !
Mme Nicole Bricq, co-rapporteur. - ...développement irresponsable du crédit aux États-Unis, exigence de taux de rentabilité à deux chiffes, hypertrophie de la sphère financière conduisant à multiplier les pratiques à risque, normes comptables pro-cycliques. Cette énumération illustre les renoncements successifs des États, de l'Europe, de la politique.
M. Jean-Pierre Chevènement. - C'est le premier point qui est le plus important !
Mme Nicole Bricq, co-rapporteur. - La crise est un rappel à l'ordre cinglant pour les apôtres du capitalisme à l'anglo-saxonne, moins peut-être pour les « ringards » qui en appelaient à la régulation et à l'État. Aujourd'hui, le chômage explose en Europe et frise les 1 % aux États-Unis !
Je tirerai un bilan provisoire et non exhaustif des orientations définies lors des deux sommets. A Washington, l'administration américaine était en place, le Président des États-Unis avait proposé un plan de relance ambitieux -objet d'âpres débats budgétaires. Les propositions émises devront être traduites au niveau pertinent dans des dispositions contractuelles ou législatives. Mme Lagarde a présenté dès le 7 avril, devant la commission européenne du Sénat, le bilan que le Gouvernement tirait du compromis de Londres.
Avant le G20 du 2 avril, on évoquait un bras de fer entre l'Europe, partisane de nouvelles régulations, et les États-Unis, insistants plutôt sur la relance, chacun appuyant ses revendications sur les déclarations d'intentions du précédent sommet de Washington. Au milieu, le FMI attendait plus de moyens, notamment pour les pays émergents, ainsi qu'une redéfinition de ses missions. Son directeur général n'a cessé d'appeler au nettoyage du bilan des banques et au cantonnement des actifs toxiques, laissant chaque pays choisir sa technique. Aucune crise financière n'a été résolue sans cet effort.
En matière de relance, ni la France ni l'Allemagne n'ont voulu s'engager à faire plus et mieux, estimant que les déficits interdisaient de recourir davantage à l'arme budgétaire. C'est un débat franco-français, nous y reviendrons. Les plans de relance nationaux des États membres de l'Union européenne ont comme grand défaut de n'être pas coordonnés. A la sortie de crise, les États-Unis, pourtant à l'origine de la crise systémique, repartiront sans doute plus vite et plus fort que le vieux continent, qui plus est avec le saut qualitatif de la croissance verte ! Sur ce dernier point, je regrette que le G20 n'ait pas repris les propositions britanniques.
En matière de régulation, le compromis de Londres est une base de départ. Les Européens ont obtenu le principe d'une réglementation de la finance au niveau mondial, malgré les réticences des États-Unis et de la Chine. Reste à en cerner le contenu.
La création du conseil de stabilité financière à base élargie, qui succède au forum de stabilité financière, pourrait être le dispositif d'alerte que nous appelons de nos voeux. Nous souhaitons que l'Union européenne suive la recommandation du rapport Larosière en créant un conseil européen du risque systémique. Le Royaume-Uni y est fermement opposé ; il faudra batailler !
Le Parlement européen a adopté un règlement qui jette les bases d'une surveillance des agences de notation. Celles-ci devront se faire enregistrer auprès du comité européen des régulateurs des valeurs mobilières mais, en pratique, ce sont les pays qui délivreront l'accréditation, et non une seule autorité européenne. Monsieur le ministre, vous nous direz quelles ont été les résistances nationales et peut-être les contraintes de calendrier qui ont empêché cette supervision.
Autre sujet attendu, celui des rémunérations. La Commission européenne, qui s'est penchée en priorité sur les bonus des opérateurs de marché, devait remettre hier une recommandation sur la rémunération des dirigeants d'entreprise. En France, le débat n'a pas été clos par le dispositif prévu dans la loi de finances rectificative...
Concernant les paradis fiscaux, on ne peut même pas dire que le verre est au quart plein. Nous comptons sur le président Arthuis et le rapporteur général pour qu'ils vérifient, au sein du comité de suivi des mesures d'aides aux banques, le respect des exigences prévues par la loi de finances rectificative. Au niveau mondial, nous sommes loin du compte. Le passage du noir au gris, voire au blanc, est bien flou. Parmi nos exigences figurait notamment l'alourdissement de la taxation des opérateurs en lien avec les juridictions non coopératives.
Le projet de directive du commissaire McCreevy encadrant les fonds spéculatifs se résume à un simple toilettage. La France, l'Allemagne, l'Italie ne l'accepteront pas. J'espère que le Conseil retoquera ce projet !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Ça en dit long sur la Commission !
Mme Nicole Bricq, co-rapporteur. - Il n'encadre que les gestionnaires, non les fonds eux-mêmes, et les autorise à démarcher tout investisseur, y compris off-shore. Une fois enregistrés, ils auraient un passeport valable dans tout l'espace européen ! Qui plus est, seuls les fonds dotés de plus de 250 millions d'euros sont concernés !
M. Jean-Pierre Chevènement. - C'est de la provocation !
Mme Nicole Bricq, co-rapporteur. - Le parti socialiste européen a réagi vigoureusement. Arrêtons ces sottises !
Les normes comptables actuelles n'ont aucune légitimité démocratique et sont un bon alibi pour entretenir l'opacité sur les bilans et les actifs toxiques, rebaptisés « actifs hérités »...
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - « Legacy »...
Mme Nicole Bricq, co-rapporteur. - ...dont la présence dissimulée nous fait craindre de nouvelles catastrophes.
Il faut que ce groupe puisse continuer le travail entrepris.
Il faut poursuivre les travaux entrepris, qui restent le seul moyen dont dispose le Parlement. La crise sera longue et profonde. Je suis, comme le rapporteur général, frappée de constater que le modèle développé aux États-Unis ces trente dernières années n'y est pas remis en cause, comme si nos interlocuteurs étaient dans l'incapacité, non pas tant idéologique qu'intellectuelle, de se projeter dans un autre modèle. (M. Philippe Marini, co-rapporteur, approuve) Comme si le seul objectif était d'arrêter la crise pour que tout continue comme avant. Comme si nous étions face à une crise provisoire et accidentelle qui, jouant sa fonction habituelle de purge, sévère mais efficace, écartant les canards boiteux, laissera la machine fonctionner comme avant. (M. Jean Arthuis, co-président, approuve) On comprend dès lors pourquoi de telles réticences se sont manifestées outre-Atlantique lors du G20.
Nous l'avons dit hier, il n'y aura pas de solution sans régulation financière, commerciale, sociale. Si l'on veut faire oeuvre efficace et utile, il faut oser des propositions nouvelles et les conduire jusqu'à l'action politique. Notre génération politique sera jugée à l'aune des réponses qu'elle aura su apporter. (Applaudissements sur les bancs socialistes, au banc des commissions et sur quelques bancs à droite)
présidence de M. Roger Romani,vice-président
M. Bernard Vera, membre du groupe de travail. - Les parlementaires des groupes communistes et apparentés des deux assemblées ont participé aux travaux du groupe paritaire mixte créé pour porter un diagnostic sur les causes de la crise financière et des propositions pour y porter remède.
La crise qui frappe les économies occidentales capitalistes s'inscrit dans la logique d'un fonctionnement économique fondé sur la rentabilité maximale des capitaux, le partage inégal de la valeur au détriment du travail, le gaspillage des ressources dans des opérations spéculatives qui, à l'oeuvre depuis des dizaines d'années, ont créé ses conditions.
Face à cette crise, la tentation est forte du Gouvernement et de l'Élysée de promouvoir le principe d'une union sacrée. Mais que l'on ne compte pas sur les parlementaires de notre groupe pour souscrire à une analyse qui attribuerait à cette crise un caractère passager, y verrait le simple produit d'un dérèglement que des mesures ciblées suffiraient à résorber. Car on ne saurait séparer les solutions à apporter d'une remise en cause radicale des choix politiques nationaux et européens qui ont précipité et amplifié ses effets.
Nous avons dit hier notre sentiment sur les conclusions du sommet de Londres, dans lequel le Président de la République voyait un « gage d'efficacité de l'action ». Il faut dire que ce G20 se heurtait à plusieurs difficultés.
La première, c'est qu'il ne réunissait que vingt pays de la planète, fussent-ils, pour certains, émergents. Or, ce sont les instances réunissant l'ensemble des pays et des continents de la planète qui devraient être le lieu naturel de la discussion et des accords internationaux en matière économique et monétaire. Et ce n'est pas un axe trilatéral États-Unis-Europe-Japon, contraint de s'adjoindre la Russie, la Chine, l'Inde et les plus peuplés des pays émergents d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique Latine, qui peut s'autoriser à donner la mesure du devenir des relations économiques et monétaires internationales.
Seconde difficulté, découlant de cette vision rétrécie de la réalité planétaire : peu de décisions véritablement importantes ont été prises, les plus décisives étant reportées à plus tard tandis que prévalait le principe du « chacun chez soi ».
Les orientations fixées par le sommet de Londres sont donc loin de répondre à la gravité des problèmes et aux exigences du temps. Elles traduisent surtout la volonté du Président Obama d'assurer un leadership mondial contraint cependant de tenir compte de plusieurs facteurs -montée irrépressible des pays émergents, à commencer par la Chine, la Russie et l'Inde ; préoccupation des dirigeants européens de préserver les moyens d'une rivalité de l'euro par rapport au dollar ; inquiétude grandissante des dirigeants capitalistes face à la persistance de la crise systémique et aux incertitudes pour l'avenir, qui obligent les États-Unis eux-mêmes à rechercher des collaborations pour maintenir leur domination.
Les sommes mobilisées sont considérables, sans pourtant que soient remis en cause les privilèges exorbitants que confère au dollar, donc aux États-Unis, le statut de monnaie dominante. Nulle transformation profonde de la gouvernance du FMI n'est envisagée, alors même que les États-Unis disposent d'un droit de veto au conseil d'administration. Nulle mise en cause des critères du crédit, alors que grandit la crainte d'un krach sur les endettements publics.
Les ressources du FMI, actuellement de 250 millions de dollars, vont ainsi être triplées : 250 milliards de dollars d'apports bilatéraux -100 pour le Japon comme pour l'Union européenne et 50 pour le Canada, la Chine et la Norvège ; 250 milliards pour les nouveaux accords d'emprunts. Si la France devait remettre au pot, ce serait soit par une ponction sur son budget, soit par un prêt de la Banque de France au FMI.
Sur les droits de tirages spéciaux, nous sommes davantage en accord : cette mesure ouvre la perspective d'une nouvelle allocation générale qui fait écho à la proposition chinoise de faire des DST un nouvel instrument de réserve internationale, alternatif au dollar. Cette allocation nouvelle donnerait lieu, pour 19 milliards de dollars, à des subventions plutôt qu'à des prêts aux pays les plus vulnérables, dont il n'est cependant pas envisagé d'annuler la dette.
Voilà qui témoigne de la crainte qu'éprouvent les dirigeants capitalistes sur l'avenir. Si le FMI se voit, comme jamais, renforcé dans son rôle de gendarme, il lui revient aussi, désormais, d'assumer une mission de soutien de l'activité, eu égard à la crainte du camp occidental quant au risque profond de déstabilisation des pays dominés. Ces apports sont censés mettre fin au fort reflux des mouvements de capitaux dans les pays émergents depuis l'éclatement de la crise financière.
Pour le commerce mondial, 250 milliards de dollars sont débloqués, via l'augmentation des garanties qui pourraient être apportées par des assureurs crédit pour couvrir le financement des échanges entre pays, tandis que sont réaffirmés de façon quasi obsessionnelle les principes du libre-échange et les conclusions du cycle de Doha.
Pour la Banque mondiale, ce sont 100 milliards de dollars de capacité d'emprunt supplémentaires pour fournir des crédits aux pays en développement, et 25 milliards de dollars pour ses banques régionales.
L'essentiel de l'effort porte bien, avant toute considération sur les équilibres économiques futurs, sur la remise sur pieds des marchés financiers occidentaux et nord américains. Mais pouvait-il-en être autrement dans le cadre d'un sommet où les pays directement responsables du désordre financier économique s'étaient assignés pour tâche de demander à quelques économies encore en croissance de leur apporter les subsides destinés à apurer le passif de leurs institutions et établissements financiers ? (Applaudissements à gauche)
M. Albéric de Montgolfier, membre du groupe de travail. - C'est au président du Sénat que nous devons la constitution d'un groupe de travail associant députés et sénateurs pour réfléchir sur les réponses à apporter à la crise financière, initiative inédite qui a montré sa pertinence dans un débat d'importance internationale qui dépasse, dans une large mesure, les clivages partisans.
Le sommet de Londres a été salué comme un succès de l'action coordonnée des grandes nations contre la crise financière. Des avancées qui hier encore paraissaient impossibles ont été enregistrées. Le cas de la lutte contre les paradis fiscaux témoigne de la rapidité avec laquelle la volonté politique s'est imposée sur un sujet bloqué de longue date. La voix de la France a pesé dans ce succès et l'action du Président de la République pour mettre notre pays au centre du débat international sur la sortie de crise doit être unanimement reconnue. Notre groupe de travail a été reçu à trois reprises à l'Élysée, preuve que la revalorisation du rôle du Parlement n'est pas un vain mot. Je veux dire notre satisfaction d'avoir été non seulement consultés mais entendus.
La nécessité de la régulation face aux excès du capitalisme financier constitue une première conclusion, largement partagée. Non pas réguler plus mais réguler mieux. Le contrôle des marchés et de la sphère financière revient non à leurs propres acteurs mais bien au politique, qui doit reprendre la main.
Parmi les éléments qui ont contribué à la violence de la crise figurent en premier lieu les dysfonctionnements des marchés financiers, qui ont propagé sans contrôle d'énormes risques auprès des ménages et des institutions financières, en abusant des possibilités offertes par la loi.
La dénonciation des paradis fiscaux, refuge de l'argent sale mais aussi et surtout facteur d'opacité dans les circuits financiers, nous est apparue à ce titre comme une nécessité, à l'heure où le retour de la confiance et la juste évaluation des risques requiert une transparence accrue.
Notre groupe s'est également interrogé sur le fonctionnement des agences de notation, qui ont souvent failli dans leur analyse, se révélant peu à même d'évaluer correctement le risque inhérent à certains actifs ou produits complexes ou encore la solvabilité d'émetteurs souverains.
Le caractère pervers de certaines normes comptables a également été souligné, en particulier celui des normes américaines, qui ont permis la réévaluation permanente des actifs au bilan des banques à mesure que les marchés immobilier et boursier étaient orientés à la hausse, améliorant les ratios des encours sur fonds propres et gonflant ainsi artificiellement la capacité de prêt.
Si ce schéma a permis la période de croissance des années 2000, il a précipité le retournement de situation en asséchant le robinet du crédit.
Notre groupe de travail a formulé des propositions, notamment relatives aux thèmes évoqués par le G20. Il faut assainir les relations avec les pays qualifiés de paradis fiscaux, bancaires ou réglementaires. La publication d'une liste de pays qui n'ont pas mis en place une coopération suffisante, ou émis des signes de bonne volonté, est un saut qualitatif majeur vers une transparence accrue et un meilleur contrôle des placements offshore. La simple évocation de la fin du secret bancaire suisse ou luxembourgeois aurait fait sourire il y a quelques mois ; il est aujourd'hui envisagé. II faut en revanche rester vigilants face à la persistance de zones ou d'États qui ne figurent pas sur la liste alors que leur législation est très éloignée des standards internationaux de transparence, notamment pour l'enregistrement de sociétés commerciales.
Nous avons plaidé en faveur d'une révision de la supervision internationale, essentiellement par un renforcement du FMI et du forum de la stabilité financière sous le contrôle des États du G20. L'augmentation considérable des moyens du FMI, qui voit ses pouvoirs étendus et son budget tripler pour atteindre 750 milliards de dollars, a été l'un des apports majeurs de ce G20. La crise aura donc eu également pour mérite d'ébaucher une gouvernance mondiale de la sphère financière et d'étendre aux nouvelles grandes puissances comme la Chine ou l'Inde le cercle des pays appelés à participer à ces sommets internationaux. Pour notre groupe de travail, afin de prévenir les risques systémiques, « il est nécessaire de soumettre tous les pays à des inspections et évaluations régulières, de disposer d'une connaissance précise de l'ampleur et de la nature des flux financiers, d'identifier les facteurs de risque et d'établir une « courroie de transmission » avec les régulateurs nationaux pour qu'ils prennent, le cas échéant, les réglementations qui s'imposent ». Au niveau européen, nous proposons d'appliquer les recommandations du groupe d'experts présidé par Jacques de Larosière, prônant notamment la création d'un Conseil européen du risque systémique, et d'associer les banques centrales, notamment la BCE, à la prévention de ces risques en élargissant leur mandat au-delà de l'actuel suivi de l'évolution des prix et la lutte contre l'inflation, pour toucher également les actifs financiers et immobiliers.
Enfin, notre groupe de travail a souhaité plus de régulation des produits et des acteurs financiers à risques : déontologie stricte pour les agences de notation dont la responsabilité serait engagée, création d'une chambre de compensation des produits dérivés négociés de gré à gré, en particulier des dérivés de crédit -comme les fameux CDS- ainsi qu'une plus grande standardisation de ces contrats. Cela faciliterait les comparaisons, donc les évaluations de ces actifs lorsqu'ils ne font pas l'objet d'une cotation. Nous estimons aussi nécessaire de préciser les normes prudentielles applicables aux établissements de crédit, notamment la méthodologie d'évaluation des produits titrisés, et de réfléchir à l'interdiction de la titrisation intégrale des prêts. II faudrait aussi clarifier certains principes comptables, notamment pour l'évaluation des instruments financiers en cas de marché peu liquide pour les instruments financiers complexes.
Personnellement, j'ai été surpris de constater le silence de l'Europe. A quelques semaines des élections européennes, elle a été absente de ces débats, s'effaçant notamment derrière le couple franco-allemand. La Commission, qui aime s'intéresser à des sujets de détail et réglementer de façon pointilleuse certaines activités économiques, aurait gagné à donner de la voix sur ces sujets primordiaux. Les tenants d'un retour des États-nations en tireront satisfaction mais je souhaite que la construction européenne se poursuive aussi autour de ces grands sujets et d'une concertation associant les parlements nationaux.
Notre groupe de travail entend être une force de proposition qui veillera à ne pas laisser les annonces faites sans lendemains. Un troisième sommet du G20 est prévu, dont une des missions sera de contrôler la mise en oeuvre des mesures annoncées. Notre groupe répondra à l'appel du Président de la République à l'occasion de ces travaux.
La régulation doit être ambitieuse sans tomber dans l'écueil d'un interventionnisme excessif. De même que cette crise amène à réfléchir sur la nécessité d'un protectionnisme éclairé, soucieux de la sauvegarde justifiée des emplois productifs et des solidarités collectives, il faut réfléchir à une nouvelle réglementation publique, qui corrige les excès du capitalisme financier sans étouffer la compétitivité de nos économies dans un carcan. C'est un défi auquel les parlementaires que nous sommes ont à appeler les décideurs à une juste mesure. Notre groupe de travail demeure fortement engagé dans ce processus de concertation qu'il entend poursuivre avec détermination. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. - Nous n'avons pas tous la même analyse de la crise mais les divergences sur ses causes n'ont pas empêché le groupe de travail de formuler à l'unanimité des pistes de réforme concernant d'abord l'assainissement des relations avec les paradis fiscaux, bancaires et réglementaires, ensuite l'architecture de la supervision internationale et, enfin, la régulation des produits et acteurs financiers.
La réunion du G20 marque un progrès car, à la différence du G7, il associe la plupart des grands pays émergents et reflète la nouvelle multipolarité du monde. Notre groupe de travail a souhaité le renforcement de son rôle politique et son institutionnalisation et cela paraît en bonne voie.
Ce G20 du 2 avril 2009 a pris des positions qui vont souvent dans le bon sens mais qui sont insuffisantes voire, pour certaines, inappropriées : ainsi, l'assainissement des relations avec les paradis fiscaux, problème important mais qui n'est pas à la racine de la crise, prendra du temps et demandera une résolution sans faille qui manque aux commissaires européens, MM Barroso et McCreevy. De même, la limitation de la règlementation des hedge funds à ceux qui ont une importance systémique pourra être facilement tournée. Joseph Stiglitz, dans une interview aux Échos, observe qu'il n'y a, sur ce point essentiel, aucun engagement du fait de l'influence dans le système des banques américaines. Il ajoute qu'il n'y a pas de volonté réelle de venir à bout des facteurs qui ont contribué à la crise, citant, en particulier, le traitement des produits dérivés qui ont pourri le système. Ceux-ci représentent, je le rappelle, 60 trillions de dollars, soit 60 000 milliards, plus que le PIB mondial !
Les deux problèmes essentiels, celui de l'assainissement financier et celui de la relance économique, sont étroitement connectés. Il ne suffit pas d'injecter des capitaux dans le système bancaire pour l'assainir, il est même choquant de voir le contribuable venir au secours de banquiers faillis qui ne souhaitent, une fois remis selle, que recommencer le grand jeu de la mondialisation libérale et inégale, de la course à des taux de rentabilité exorbitants qui étaient censés justifier leurs bonus extravagants, et reprendre leurs pratiques déresponsabilisantes de titrisation. Il faudrait au moins exiger que les banques conservent dans leur bilan les risques les plus lourds et ne puissent titriser qu'une partie de leurs prêts, comme l'a suggéré le groupe de travail. Nos concitoyens ne peuvent accepter que la dette publique prenne le relais de la dette privée, creusée par ceux-là mêmes qu'on maintient en place alors qu'ils n'ont rien perdu de leur arrogance et de leurs prétentions financières. Oui, monsieur le ministre, la question de la nationalisation des banques se pose, comme je l'avais suggéré les 8 et 15 octobre 2008, dans le débat sur la crise financière et sur la loi de refinancement de l'économie. Elle se pose notamment pour Dexia et pour la banque issue de la fusion de la Caisse nationale d'épargne et des Banques populaires. La renationalisation de tout ou partie du système bancaire, en France comme ailleurs, obéit à une double nécessité. Politique d'abord : celui qui paye commande. Économique ensuite : la reprise du crédit ne se fera que par une entente coopérative entre les banques. Comme l'a bien montré Jean-Luc Gréau, c'est à l'État d'organiser et de surveiller cette entente coopérative durant toute la période nécessaire au retour à la normale.
Dominique Strauss-Kahn a mis en cause la frilosité des plans de relance des pays européens. Certes un nouveau plan axé sur l'investissement, la préservation du tissu productif, les revenus les plus bas, les chômeurs et les jeunes ne doit pas être exclu, mais l'injection de crédits publics ne doit pas aboutir à « arroser le sable ». L'effort du contribuable a servi jusqu'ici, pour l'essentiel, non pas seulement en France, mais d'abord aux États-Unis et en Grande-Bretagne, à renflouer le système bancaire, en vertu du principe : « on prend les mêmes et on recommence ».
Un traitement insuffisant de la crise ne sera pas toléré : car aussi bien, cela ne marche pas. Le risque principal aujourd'hui est dans le mitage du système « banque-assurances » par ses engagements irraisonnés : plus de 60 trillions de CDS (crédit défault swaps) dit produits dérivés, sujet non traité par le Sommet de Londres.
Pour redonner un horizon à nos démocraties et ramener durablement la confiance, il faut une perspective de progrès partagé : un progrès des rémunérations égal à celui de la productivité, un partage plus honnête des salaires et du profit. Ce n'est pas compatible avec le libre échange généralisé, notamment vers les pays à très bas coût salariaux ? Mais c'est cela qu'il faut revoir, en instaurant une concurrence équitable. Non pas un repli autarcique, mais une régulation négociée des échanges internationaux permettant une sortie de crise à l'échelle mondiale et d'abord en Europe et aux États-Unis, à partir d'une revalorisation salariale substantielle, à l'abri d'une protection modérée, corrigeant les distorsions de salaires abusives.
Or le Sommet de Londres se borne à excommunier le protectionnisme au nom d'une lecture biaisée de l'histoire des années trente. Les mêmes qui ont failli veulent persévérer : alors que le commerce international devrait se contracter de 9°% en 2009, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le protectionnisme, ceux-là mêmes qui ont présidé à une mondialisation qu'ils disaient « heureuse » mais qui s'est révélée catastrophique, entendent à nouveau et encore plus « libéraliser » le commerce international à Doha, en juillet prochain. Il n'y a aucune guérison à attendre de ces mauvais médecins. Il faudrait, au contraire, mettre en place une régulation par grandes zones économiques regroupant des pays de niveau comparable en termes de salaires, sans les fermer à une raisonnable concurrence des pays à bas coûts, ceux-ci étant fortement incités, en contrepartie, à développer leur marché intérieur, leur système de sécurité sociale, et la protection de leur environnement.
Tout cela passe par une grande négociation internationale qui prendra du temps. Mais le G20 est en place et plusieurs réunions sont prévues...
Le triplement des ressources du FMI fera les affaires de pays au bord de la banqueroute et des exportateurs sans remédier au déséquilibre abyssal de la balance commerciale américaine...
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Entre les mains de la Chine !
M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. - Mais aujourd'hui, ce sont les débiteurs qui tiennent les créanciers !
La FED a pris en charge des actifs colossaux et acheté 300 milliards de bons du Trésor américain. On nous dit que la banque centrale anglaise pourrait faire la même chose. Le président de celle de Chine a mis le doigt sur le problème essentiel en proposant de créer un nouveau système de réserve monétaire. Qu'en pense le Gouvernement, qui se souvient peut-être de la position adoptée en 1964 par le général de Gaulle ? Il n'est pas normal que le monde dépende des États-Unis, lesquels doivent sortir d'un modèle de rentier. Cela passe par une remise en cause d'un libre-échange dogmatique qui a contribué à la déflation des salaires et à la crise actuelle.
Le G20 sera très utile pour organiser les transitions nécessaires vers une réforme du système monétaire international. Quant à notre groupe de travail, il doit multiplier les échanges avec les parlements étrangers, comme l'a suggéré le Président de la République évoquant le Bundestag et le Bundesrat, mais aussi avec les banques centrales, la Commission : il doit alimenter le débat public, car c'est aussi ce que nos concitoyens attendent du Parlement. (Applaudissements)
M. François Marc. - « Le capitalisme est en train de s'autodétruire » affirmait il y a quelques années l'auteur des Incendiaires, qu'a évoqué le rapporteur général. La crise que nous vivons était annoncée depuis de nombreuses années par les excès ainsi constatés. Malgré la forte tentation de rechercher des boucs émissaires, d'identifier des coupables, beaucoup se sont convaincus que la crise était structurelle, générale. Le groupe de travail réunissant députés et sénateurs a conduit un travail constructif, reprenant plusieurs des thèses que nous défendions ici sur la nécessité d'accentuer la régulation.
J'ai noté l'extrême prudence du rapporteur général sur les conclusions du G20. Il y a en effet quelques bizarreries : ne figurent sur la liste des paradis fiscaux que le Costa Rica, les Philippines, la Malaisie et l'Uruguay, dont on ignorait qu'ils en faisaient partie ; Brunei et le Guatemala avaient eu la bonne idée de téléphoner le matin même (sourires) et Jersey figure dans la lise des pays blancs... (Mêmes mouvements)
Il y a aussi des non-dits sur des sujets majeurs : pas un mot de la réorganisation du système monétaire international et rien de l'étalon dollar non plus que des gigantesques déficits commerciaux ou encore de la façon d'assainir les déficits publics.
S'agit-il de changements profonds ? Je crains que non. A Londres, 20 pays représentant 85 % du PIB et 65 % de la population mondiale ont décidé d'unir leurs efforts et de mobiliser des milliards pour essayer de sauver le système. Mais pas pour en changer ! C'est une déception majeure.
Le krach accuse les excès du capitalisme ; la crise marque la folie des crédits pervers dont on peut craindre les répercussions sur les finances de nos collectivités dans les deux années à venir. Signalons l'irresponsabilité des acteurs de la chaîne financière, sans oublier les agences de notation. La renationalisation des pertes pose la question des contreparties à demander aux banques que l'on remet à flot. La purge du système financier, ensuite, entraînera une décroissance, des pertes d'emplois, de la pauvreté : cela appelle une action publique forte ; précisément, le constat de l'absence de politique commune européenne justifie une consolidation pour l'avenir.
Quelles exigences formuler face à ces constats ? La consolidation d'une économie en crise, d'abord. Il faudra explorer les pistes tracées par le G20 car on ne saurait jouer la politique du pire. Il y a également urgence à anticiper face aux risques détectés. Cela suppose du volontarisme politique pour une régulation accrue. Or nous avons quelques doutes à cet égard sur la durabilité des engagements du Président de la République et du Gouvernement : ils se sont ralliés à la régulation pour les besoins du moment alors que la solidarité doit guider les politiques publiques. François Bayrou, qui est un observateur attentif, décrit l'affirmation d'une idéologie de l'argent présenté comme une valeur et la généralisation de la loi du profit. Il faut que, dans ce pays, la solidarité l'emporte sur le chacun pour soi.
Il importe, pour refonder la surveillance financière, de consolider les politiques européennes tout en recherchant un autre partage des richesses. Face à la crise, partager devient nécessaire en France comme aux États-Unis, et la répartition de la valeur ajoutée doit être rééquilibrée en faveur des salariés. Certains avaient prôné un keynésianisme de riches mais les dépenses des plus aisés n'ont pas relancé la croissance parce que leur propension à épargner est plus forte, ce qui a gonflé une bulle spéculative. On a organisé la fuite des capitaux vers la spéculation, ce dont on paie aujourd'hui le prix. Alors que la baisse des prélèvements obligatoires n'a pas eu d'impact sur la croissance, il va falloir plus de solidarité, sauf à aggraver les déficits de manière vertigineuse : chacun devra contribuer, comme dit la Déclaration des droits de l'homme, en raison de ses facultés. Ce sera le cas avec l'impôt sur le revenu, dont le taux augmente avec les revenus. L'effort de répartition des richesses sera la condition nécessaire d'une amélioration durable de la situation. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jean-Jacques Jégou. - Un certain consensus se dégage des interventions de ce matin. L'ampleur de la crise financière qui a ébranlé les fondements du capitalisme financiarisé dans sa version anglo-saxonne impose de repenser la régulation et les valeurs d'un système qui a montré des défaillances inquiétantes et fait la preuve de son instabilité. Même ceux qui vantaient il y a peu les vertus du modèle capitaliste américain en ont pris conscience. Prenant acte de la faillite du système financier mondial, le G20 a dessiné, en novembre dernier, les contours d'un nouvel ordre financier mondial, avec pour objectif de parvenir à une meilleure régulation d'un secteur, la finance, qui avait pris une place démesurée dans le capitalisme contemporain. La production de nouvelles normes et le renforcement de la coordination économique mondiale permettront d'éviter, ou du moins de limiter fortement, la possibilité d'une nouvelle crise.
Au plan micro-économique, la crise a révélé les insuffisances de la production d'informations et des pratiques du secteur financier ; au plan macro-économique, elle illustre le danger des déséquilibres internationaux. Sur le fondement de ce diagnostic partagé, il faut repenser la régulation de la finance et redessiner les contours d'une gouvernance mondiale dont les institutions ont été conçues il y a plus de cinquante ans.
Les pays du G20 ont engagé à Londres les principaux chantiers de la régulation : encadrement des activités bancaires en période d'euphorie, amélioration des politiques de maîtrise du risque bancaire, encadrement des marchés de produits financiers sophistiqués, lutte enfin contre les paradis fiscaux.
La crise a d'abord révélé les insuffisances des normes prudentielles. Les crises récentes ont toutes résulté de l'éclatement de bulles formées par la distribution excessive de crédit par les banques, ou plutôt, dans le cas de celle que nous connaissons aujourd'hui, de prêts risqués accordés à une clientèle peu ou pas solvable. Il faut donc inciter les banques à constituer davantage de capital pendant les périodes d'euphorie, mieux contrôler aussi leurs prises de risques. Cela est possible en rémunérant leurs contrôleurs internes aussi bien que leurs traders, dont il faut encadrer les rémunérations ; en mettant en place des systèmes d'information rendant réellement compte de l'exposition aux risques et en rééquilibrant les incitations individuelles au profit du long terme. Les banques, principalement les banques d'affaires, doivent en outre disposer en permanence de suffisamment d'actifs de qualité.
Dans le domaine prudentiel, il importe de réviser les normes IFRS, sur lesquelles l'Europe a été bien complaisante, de sorte que marchés et valeurs restent en permanence en adéquation. Aux incitations défaillantes au sein des établissements financiers s'est ajoutée l'insuffisance de l'information financière. L'existence de marchés de gré à gré est un problème, dans la mesure où les transactions y sont opaques. Il est également nécessaire d'encadrer les produits dérivés ou structurés, dont la composition exacte échappe même à ceux qui les ont fabriqués.
Les agences de notation ont failli en diffusant de mauvaises informations, notamment en accordant des AAA à des produits financiers qui se sont révélé des créances pourries, produits que les investisseurs avaient cru pouvoir acheter sans risque. Il faut les réformer. Le G20 devra revenir sur leur identité et leurs modes de rémunération, car elles ont été un accélérateur de la crise.
Limiter la dissémination et l'opacité des risques financiers est un enjeu majeur de la régulation future. Il existe aujourd'hui un consensus politique international pour lutter contre les paradis fiscaux. On pourrait dire beaucoup de choses sur les listes qui ont été dressées, l'oubli des îles anglo-normandes par exemple ou de certains États de l'Union européenne. Mais il est clair que la meilleure régulation sera aisément contournée si les paradis fiscaux peuvent continuer à agir comme bon leur semble. Il faut intervenir à tous les niveaux, national, européen, mondial. En renforçant la complexité et l'opacité des instruments financiers, les paradis fiscaux ont contribué à accroître le risque. Ce propos vaut aussi pour les hedge funds, ces fonds spéculatifs enregistrés pour la plupart dans les îles Caïmans, qui sont pour une bonne part responsables de la panique boursière et de la volatilité des marchés financiers. Le G20 paraît, sur cette question, déterminé, même si on peut s'interroger sur l'absence dans la liste de l'OCDE de certains États américains, asiatiques ou européens, pourtant paradis fiscaux notoires.
Dans ce contexte, il me semble nécessaire de créer un superviseur européen des établissements financiers. Le silence de l'Europe a été assourdissant dans la période récente. Aujourd'hui, le contrôle est national, alors que les établissements bancaires développent leurs activités de façon transnationale. La multiplication des faillites a, à l'évidence, montré les défaillances du contrôle. Ce superviseur devra être indépendant des États et pourrait être rattaché à la BCE ; il pourrait donner son agrément aux agences de notation. Il est la condition d'une bonne prévention. Tout nous appelle à une gouvernance économique européenne.
Il apparaît enfin indispensable de renforcer la gouvernance économique mondiale. Les déséquilibres mondiaux, qui ont largement alimenté la crise, sont en partie le résultat de politiques monétaires et de change non coopératives. Devant le risque de déflation, les États doivent oeuvrer de façon coordonnée à une relocalisation des liquidités émanant des pays émergents. Si le G20 n'a pas abordé cette question, ce qu'on peut regretter, il a décidé de confier la coordination au FMI avec des moyens renforcés.
La crise financière internationale, en mettant fin au mythe de l'autorégulation des marchés, a replacé les États et donc la politique au centre du jeu. C'est une bonne chose. Reste à s'assurer que les engagements pris seront tenus et se traduiront par de nouvelles règles financières internationales. Le prochain rendez vous du G20 sera l'occasion de le vérifier. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Pierre Fourcade. - Les orateurs qui m'ont précédé ont parfaitement rendu compte des conclusions du groupe de travail mixte Assemblée nationale-Sénat ; ils ont précisé les causes de la crise et dessiné des perspectives de sortie de crise. Il faut noter, parmi les résultats positifs du G20 et des initiatives du Président de la République, le renforcement, partiellement entré dans les faits, des moyens du FMI, qui avait plutôt cédé devant le développement de l'innovation financière aux États-Unis ; l'entente franco-allemande sur les mesures de régulation et une meilleure coordination de l'action des banques centrales, qui ont dès le début de la crise pris des initiatives communes.
J'ai cependant quelques inquiétudes, qui me font redouter des lendemains moins triomphants qu'on ne le dit généralement. Je partage d'abord le sentiment du directeur général du FMI, M. Strauss-Kahn : le nettoyage des actifs bancaires n'est pas achevé.
Mme Nicole Bricq. - Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Cette question est bien plus importante que celle des bonus et autres rémunérations des dirigeants. Nous ne savons pas encore tout ce qu'il y a dans le bilan des banques et hors de leur bilan. Nous avons hier auditionné le dirigeant d'une grande banque en cours de constitution, qui a évoqué un déficit de 400 millions d'euros dû à des opérations à risque sur des produits inventés outre-Atlantique par M. Madoff... Je crains qu'on ne découvre encore ici et là de grandes quantités d'actifs toxiques, qu'il faudra nettoyer et sans doute pas au travers d'une structure de défaisance -nous ne sommes toujours pas sortis de celle mise en place pour le Crédit lyonnais.
Il faut obliger toutes les banques, françaises et européennes, à indiquer la part de produits toxiques présents dans leur bilan. Cela n'a pas été fait et cela pèse sur la sortie de la crise.
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Absolument.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Ensuite, je regrette que les pays européens, et surtout ceux de la zone euro, n'aient pas été unanimes durant le G20. Si la présidence française a permis de redynamiser l'Europe, la coordination demeure insuffisante. Une application rapide du traité de Lisbonne est nécessaire pour donner plus de force à l'exécutif européen.
Enfin, personne ce matin, sauf peut-être Jean-Jacques Jégou, n'a rappelé que les dirigeants chinois ne vont pas, à l'infini, financer le déficit américain. Il faut trouver une autre monnaie de réserve que le dollar, car les rapports de change entre l'euro, le dollar, le yuan et la livre sterling, stables depuis deux ou trois ans, risquent de varier. Les efforts accomplis par le biais des plans de relance, risqueraient alors d'être réduits à néant. Le G20 n'a pas osé aborder ce problème. Il ne s'agit pas de revenir à des changes fixes -j'ai moi-même signé, il y longtemps, les accords de la Jamaïque- mais de mieux les maîtriser.
Si les indicateurs économiques repassent au vert, le rapport entre le dollar et l'euro pourrait passer de 1,3 à 1,5 ou 1,6. Nous exporterions moins et nous aurions de grandes difficultés pour équilibrer les comptes. Je crains fort que la relance initiée par le Président Obama ne fasse baisser le dollar, et nous connaissons l'aptitude des Américains à ne pas défendre leur monnaie. Une épée de Damoclès pèse sur nous. Je souhaite donc que le gouvernement français, en liaison avec l'Allemagne et avec ses autres partenaires, tienne compte de cette préoccupation au prochain sommet, en septembre.
Il n'est pas bien vu de ne pas s'exclamer sur le succès du G20, mais trop de problèmes restent en suspens. Nous devons faire preuve de lucidité. La réunion de septembre devra accomplir de sérieux progrès pour contribuer à sortir de la crise. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)
M. Richard Yung. - Je me réjouis de ce que nous soyons maintenant un peu plus nombreux dans l'hémicycle...
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Les débats les plus importants sont ceux où nous sommes les moins nombreux !
M. Richard Yung. - Un sujet aussi crucial mérite une participation active. Le sommet a été un succès sur le plan diplomatique.
M. Jean Arthuis, co-président. - C'est encourageant.
M. Richard Yung. - Il a redonné un sens au concept de multilatéralisme : il n'y a plus une seule omnipuissance mondiale. Toutefois, l'Union européenne en a été la grande absente. Le coeur de tous les vrais européens a saigné en voyant la Chine, et non l'Europe, y occuper la deuxième place. C'est la faute de l'Europe elle-même : la commission manque d'allant, José Manuel Barroso traîne un peu la jambe, mais le problème est aussi celui des États qui n'arrivent pas à s'entendre. Une politique économique coordonnée est nécessaire, mais rien ne se passe. Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise en répétant qu'il faut une politique économique...
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Cela me rappelle quelque chose ! (Sourires)
M. Richard Yung. - Le cabri...
Chaque État connaît des problèmes différents : l'Allemagne avec ses exportations, la France avec son marché intérieur et son appareil de production, l'Espagne avec l'explosion de sa bulle immobilière et le Royaume-Uni reste le Royaume-Uni.... Les politiques ne peuvent donc être les mêmes, mais il est possible de les coordonner.
Le problème des actifs toxiques reste entier : le système bancaire n'a été nettoyé ni aux États-Unis, ni en Allemagne...
Mme Nicole Bricq. - Ni en France.
M. Richard Yung. - Ni en Grande-Bretagne, même si un effort a été fait.
La France, elle, aurait échappé aux actifs toxiques comme au nuage de Tchernobyl ! Nous en avons pourtant : du fait de la titrisation, chaque achat d'un produit financier comporte 10 à 15 % d'actifs toxiques. Je pense pourtant, comme Warren Buffet, qu'il ne faut pas acheter ce que l'on ne comprend pas.
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Buffet a subi lui aussi de très lourdes pertes !
M. Richard Yung. - Que fait la France ? En Allemagne, Angela Merkel a instauré un double système de structures de défaisance : un consortium pour les banques privées, avec peut-être la garantie d'État, et un autre consortium, que devront constituer les banques des Länder, sans cette garantie. Ce modèle n'est pas transposable en France, mais il faut redescendre sur terre : une banque recueille des dépôts pour les transformer en prêts à l'économie. Dexia illustre les excès de la spéculation : l'ancien Crédit local, banque de père de famille qui prêtait aux communes, s'est retrouvé avec 800 millions d'euros investis dans des opérations de spéculation.
Mme Nicole Bricq. - C'est un scandale !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Les banques ont été privatisées !
M. Richard Yung. - L'argent a rendu fous les banquiers.
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Permettez-moi de vous interrompre mais nationalisation et privatisation sont des concepts d'un autre temps. Nous avons auditionné hier le nouveau président du groupe Banque populaire-Caisse d'épargne : parmi les actifs les plus douteux de Natixis, certains ont été acquis par la Caisse des dépôts et consignations avant 2002. Cet établissement public totalement aux mains de l'État a pris des risques très importants aux États-Unis. Etre la propriété de l'État n'est pas une vertu en soi ! Ce dernier ne constitue pas un paravent permettant d'éviter les erreurs.
Certaines banques nationales, directement gérées par des fonctionnaires, ont commis de graves fautes par le passé.
M. Robert Hue. - C'est un problème de critères de gestion... On a voulu leur appliquer les méthodes du privé !
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - La question me semble plus compliquée. D'où ma volonté d'instiller un doute dans votre esprit...
M. Jean-Paul Emorine. - Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Soit. Mais qui paie commande.
M. Richard Yung. - Dans mon esprit, le problème n'est pas celui de la propriété publique ou privée. Simplement, ne confondons pas tout ! S'il s'agit de spéculer, il existe des structures dédiées.
M. Jean Arthuis, co-président. - D'où la séparation entre banques de dépôt et d'investissement !
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Juste ! Au reste, l'État lui-même spécule très bien.
M. Richard Yung. - Le renforcement des moyens du FMI est une excellente mesure pour peu que les conditions d'octroi des aides soient assouplies afin de ne pas placer les États dans de plus grandes difficultés encore, comme cela a été le cas en Afrique dans le passé. D'ailleurs, le FMI a déjà commencé de modifier son approche.
Concernant les paradis fiscaux, la situation est extraordinaire : la liste noire a fondu, elle s'est soudainement évaporée dans les sables...
Mme Nicole Bricq. - Elle est devenue grise !
M. Richard Yung. - Et seuls les petits poissons ont été pris dans la nasse... (Sourires) L'article 24 des anciens accords du Gatt donne un mandat de négociation. Comment le Gouvernement entend-il négocier avec les pays figurant sur la liste grise ? Il y a fort à parier que ces États, une fois rayés de la liste, prennent leurs jambes à leur cou...
Enfin, la sortie de la crise. Cette crise, que nous espérons la plus courte possible, met en jeu des sommes gigantesques. Quand la croissance reviendra, aurons-nous la force d'être vertueux ? Je le souhaite. Car la tentation de l'inflation est grande ; cette inflation, d'abord indolore, mais à terme mortelle ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs au centre et à droite)
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. - Je me réjouis de participer à ce débat d'un genre nouveau, qui illustre le renforcement des pouvoirs du Parlement, voulu par le Président de la République, à l'occasion de la dernière révision constitutionnelle. Le travail effectué par le groupe parlementaire sur la crise financière est remarquable et nombre de ces recommandations ont été reprises dans le communiqué final du G20. Je vous remercie des propos aimables tenus à l'endroit de Mme Lagarde, dont je vous prie d'excuser l'absence. Depuis le début de la crise, elle a voulu être totalement transparente vis-à-vis du Parlement. (Marques d'approbation à droite)
Ce G20 est une étape historique.
Mme Nicole Bricq. - On verra !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Chefs d'État et de gouvernement de 20 pays, représentant 85 % de la population, étaient rassemblés en un même lieu. Que de chemin a été parcouru depuis vingt ans quand deux blocs s'affrontaient, quand la Chine jouait sa partition hors du concert des nations, quand l'on considérait que la pauvreté était un mal endémique !
Le G20 constitue une bonne nouvelle pour la démocratie. Il a réaffirmé la primauté du politique sur l'économique, soit le retour du pouvoir légitime, celui du peuple. Et, pour l'heure, la crise, si violente soit-elle, n'a pas eu les effets politiques dévastateurs de la crise des années 1930 : aucun gouvernement élu n'a été renversé.
Le G20 est une réunion historique en ce qu'il a permis de dégager des consensus forts sur l'économie de marché comme seul système viable, la nécessité de réguler l'économie financière au moyen d'une approche internationale, collaborationniste et multinationale et le refus du protectionnisme. Ensuite, certains pays connaissent une inflexion idéologique. L'intervention de l'État n'est plus une question taboue. Pour preuve, d'après le directeur du FMI, l'effort budgétaire des différents États en matière de relance en 2009 est assez homogène ; il équivaut en moyenne à 2 % du PIB, 2,4 % pour la France.
Le G20 a marqué un retour de l'Europe sur la scène internationale. Faisant suite au premier sommet réuni à Washington après que Nicolas Sarkozy, alors Président de l'Union européenne, en a proposé le principe lors de son discours aux Nations Unies, le Sommet de Londres a été l'occasion de réaffirmer l'importance de l'axe franco-allemand : l'Union a soutenu les propositions contenues dans la déclaration conjointe du conseil des ministres franco-allemand du 12 mars.
J'en viens aux décisions du G20 en matière de régulation et de redéfinition du rôle des institutions internationales, fort proches des propositions formulées par votre groupe de travail parlementaire. La régulation a fait l'objet d'une déclaration spécifique de six pages, contenant un plan d'action. Désormais, la régulation s'appliquera à tous les territoires, notamment les fameux paradis fiscaux qui accueillent deux tiers des fonds spéculatifs. Nous avons obtenu que l'OCDE mette au point une liste noire. Ce travail a porté rapidement ses fruits puisque les pays concernés -le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay- s'étant engagés à coopérer sont passés de la liste noire à la liste grise. Ensuite, la régulation s'étendra aux hedge funds. Ces acteurs, qui contrôlent 1 200 milliards de dollars de placement et 50 % du volume des transactions sur certains marchés, peuvent fragiliser le secteur bancaire aidé par l'État. Il a donc été prévu de mieux les encadrer : leur immatriculation sera obligatoire et les engagements bancaires contrôlés. Même logique concernant les agences de notation qui, par leur mauvaise appréciation des risques, ont concouru à la crise actuelle : elles seront enregistrées, devront respecter un code de bonne conduite et employer des méthodes de notation différentes selon la nature de l'objet noté : État, entreprise, produit... Enfin, les particuliers seront également soumis à une régulation. De fait, il convient de lier la rémunération des traders à leurs performance réelles afin d'éviter des opérations totalement hasardeuses qui n'auraient jamais dû voir le jour.
Enfin, il nous faut mettre en place un système de coopération international afin d'avoir une vision consolidé des groupes multinationaux qui ont une importance systémique. Le FMI, outre son rôle d'aide aux pays émergents, continuera d'avoir pour tâche de limiter les risques financiers et les déséquilibres macro-économiques, en collaboration avec le nouveau conseil de la stabilité financière, dont les missions seront plus larges que l'ancien forum de stabilité financière.
Ces organisations présenteront deux fois par an une carte des risques économiques et financiers. Nous disposerons ainsi, au sein du Financial Stability Board, d'une véritable capacité de contrôle des risques. Les institutions seront plus fortes, plus inclusives aussi : le nouveau forum est élargi à l'Espagne et à la Commission européenne et le FMI reverra la quote-part de chaque État à son capital. Bref, des avancées ont été acquises au G20, même si nous aurions souhaité aller plus loin.
La déclaration mentionne la nécessité de revoir la référence retenue lorsque la valorisation au prix de marché n'a plus de sens. (M. Philippe Marini, co-rapporteur, renchérit) Il convient aussi de constituer davantage de réserves de fonds propres en période de croissance, au lieu de relever les seuils lorsque la situation se dégrade, autrement dit lorsque l'économie a un besoin accru de crédits.
La place de Paris a bien résisté, grâce à un cadre de supervision souple mais rigoureux. Les banques françaises sont solides, saines, elles n'ont dans leurs livres qu'un montant limité d'actifs toxiques...
M. Robert Hue. - Qu'en savons-nous ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - La résistance de notre système dans la crise tient à la qualité du contrôle bancaire et assurantiel et à l'intervention des pouvoirs publics, avec des dispositifs simples -un mécanisme de garantie- et ciblés sur la consolidation des fonds propres.
Ceux qui sont rompus à l'exercice de la négociation internationale reconnaîtront le caractère inédit de ce G20, dans sa forme comme dans la rapidité des décisions prises. Les pays participants ont dépassé les déclarations de principe pour donner des gages de leur volonté de réforme. La crise aura été l'occasion de repenser un système qui, par manque de régulation, a mené l'économie au bord du gouffre. Il faut désormais réorienter nos économies vers un modèle capitalistique plus entrepreneurial, plus respectueux des équilibres de long terme, plus juste et plus efficace. (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Bricq. - Lors de leur rencontre, les membres du groupe de travail et le Président de la République ont évoqué la possibilité de résoudre le problème des actifs toxiques par le moyen, suggéré également par Mme Merkel au plan européen, d'un consortium privé d'établissements qui mutualiseraient leurs mauvais actifs. L'État fournirait-il alors sa garantie ? Je suis convaincue, comme M. Strauss-Kahn, que la paralysie du crédit demeurera aussi longtemps que l'on n'aura pas résolu le problème des actifs toxiques. Il n'y a pas d'exemple de sortie de crise sans un tel nettoyage. Vous avez entendu M. Fourcade, cette préoccupation est partagée sur tous les bancs. Le ministère de l'économie a-t-il procédé à une évaluation de cette idée du Président de la République ?
Si nous ne traitons pas le problème, nous nous traînerons, comme l'a fait le Japon pendant dix ans, avant de sortir de la crise...
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Le système de bad bank peut être utile aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais il n'est pas très adapté à la situation des banques françaises, lesquelles disposent encore de marges de manoeuvre pour absorber de nouvelles dépréciations d'actifs. Ce nouveau mécanisme de garantie n'est pas à l'ordre du jour. Le Président de la République a dit que si le système bancaire souhaitait mettre en place une telle structure de mutualisation, il étudierait la question. Mais le Gouvernement ne propose nullement de créer une bad bank.
M. Thierry Foucaud. - Il y a eu deux catégories d'oubliés au G20. D'abord, les salariés : ils servent de variable d'ajustement pour permettre à quelques entreprises de se refaire une santé. Carlos Ghosn, le 14 avril, déclarait à un journal anglo-saxon, le Times, que la crise lui offrait l'occasion de faire passer des réformes qu'il n'aurait pu accomplir auparavant : et de fait, il a pu revenir sur la réduction du temps de travail et abaisser le niveau des salaires...
Ensuite, les pays du Sud vont gravement souffrir de la crise. Le Monde de l'économie annonce que 55 à 80 milliards de personnes supplémentaires vont tomber dans l'extrême pauvreté. Assurer l'accès de tous les hommes à l'eau potable coûterait chaque année un dixième de la somme perdue par AIG, soit 100 milliards. Quelles initiatives la France peut-elle prendre, au sein de la Cnuced notamment, en vue de sortir de la grave crise économique, sociale, sanitaire qui frappe aujourd'hui la planète ? Entend-elle inciter ses partenaires de l'Union européenne à répondre aux attentes légitimes des peuples du Sud, en cessant de rejeter l'immigration économique, en mettant un terme au pillage des ressources naturelles et en définissant des politiques partenariales mutuellement avantageuses ?
Enfin, que pensez-vous des tentatives pour faire contrepoids à la domination du dollar comme monnaie commerciale internationale -je songe au projet de monnaie unique sud-américaine ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - La crise est effectivement d'une violence inouïe et les salariés en sont les premières victimes. Notre politique consiste à préserver l'outil industriel et les compétences techniques ainsi que le capital humain. C'est le sens des mesures qui visent à maintenir le lien entre le salarié et l'entreprise, par exemple la revalorisation de l'indemnisation du chômage partiel à 90 % du salaire...
M. Thierry Foucaud. - A Sandouville, certains salariés sont contraints de travailler plus d'heures tandis que d'autres sont mis au chômage !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Chaque fois que cela est possible, le lien est maintenu. L'État a aussi augmenté sa part dans l'indemnisation, afin d'alléger la charge des entreprises. C'est un geste de solidarité.
Les quatre millions de foyers qui percevront le RSA au 1er juillet prochain ont également reçu une prime. Et la première tranche de l'impôt sur le revenu ayant été supprimée, certains foyers n'auront pas à payer de deuxième ni de troisième tiers provisionnel.
Le Président de la République a voulu que les pays dits émergents soient associés le plus possible, et la composition du G20 a fait l'objet d'âpres négociations avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Le Brésil, la Chine, l'Inde ont été présents. Au bout du compte, 85 % de la population mondiale était représentée !
M. Robert Hue. - Et l'Afrique ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - L'Afrique du Sud était présente.
Les ressources du FMI vont être augmentées, au profit des pays pauvres. Mme Lagarde a récemment réaffirmé à Ouagadougou notre soutien à la zone Franc. Le message de la France au G20, au FMI ou à la Banque mondiale est d'appeler à prendre en compte la situation des pays d'Afrique.
M. Albéric de Montgolfier. - Le G20 s'est engagé à tripler les moyens octroyés au FMI. Pouvez-vous nous préciser le montant et la nature de l'engagement de la France : s'agit-il d'une dépense budgétaire ou d'une ligne de trésorerie sur la Banque de France ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Le Conseil européen de mars dernier s'est engagé sur une contribution de 75 milliards d'euros. A Washington, Mme Lagarde a signé avec M. Strauss-Kahn une lettre d'intention prévoyant une contribution de la France à hauteur de 15 milliards de dollars. Nous mobilisons 1 milliard supplémentaire à destination des pays les plus pauvres, notamment en Afrique subsaharienne.
Nous mettons en place une ligne de crédit à la Banque de France, qui sera tirée en fonction des besoins. L'opération n'a donc pas d'impact budgétaire.
M. Jean-Jacques Jégou. - Le ministre s'est félicité des avancées du G20 de Londres, mais ne frise-t-on pas la caricature en parlant de paradis fiscaux dont la plupart des gens ignorent l'existence, comme les îles Turques-et-Caïques, alors que de vrais paradis fiscaux comme la place de Londres ou les îles anglo-normandes ne sont pas cités ? Derrière la satisfaction de façade, n'y a-t-il pas des choses plus sérieuses à faire ?
Vous avez reconnu les limites du système IFRS. Les Anglo-saxons, qui défendaient ces normes, ont été les arroseurs arrosés... Étant donné l'absence de reprise des relations interbancaires, ne faut-il pas prévoir des dérogations et apporter des modifications au système, circonstancielles ou structurelles ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Reconnaissez que le G20 a accompli des progrès considérables concernant les paradis fiscaux. C'en est fini du secret bancaire. Il faut désormais concrétiser ces engagements, dont le G20 assurera le suivi. La France demandera aux pays de la liste grise d'engager des négociations pour se conformer aux standards de l'OCDE. Les îles anglo-normandes ont signé une convention en la matière.
Sommes-nous allés assez loin sur les normes comptables ? Il y a un an, nous étions très isolés sur le sujet. Depuis, nous avons obtenu des avancées au niveau européen.
Mme Nicole Bricq. - Il faut que ce soit mondial !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Le conseil Ecofin de Prague a appelé l'IASB à prendre en compte l'impact de la crise financière et a menacé de réviser le règlement de 2002 qui lui confie l'élaboration des normes.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Le sort de nos industries est une question très sensible. Avec des écarts de salaires de un à huit à l'échelle européenne, et de un à vingt à l'échelle mondiale, quel peut être l'avenir de notre industrie automobile ? Avons-nous les moyens de la sauvegarder ? A Vesoul, le Président de la République a dit avoir découvert avec effroi que nous étions devenus déficitaires dans ce secteur. Nous ne produisons plus que deux millions d'automobiles, contre trois au début de la décennie. Avec l'affaissement du dollar, la question de la protection de cette industrie se pose, même si pour l'heure, la concurrence est intra-européenne plus qu'asiatique.
Quels sont les moyens mis en oeuvre ? Le fonds d'investissement spécialisé, le fonds de soutien aux équipementiers, alimenté par l'État, par Peugeot et Renault, suffiront-ils ? Quid des entreprises qui souffrent, qui, dans ma région, ne trouvent pas de repreneurs ? Ne doit-on pas sensibiliser Peugeot, par exemple, à la nécessité de maintenir le tissu productif ? Quid de la taxe carbone ? La disparition de notre industrie automobile aurait des répercussions sur la sidérurgie, le caoutchouc, l'électronique, etc... C'est une question stratégique ! De quels moyens disposez-vous ?
A entendre les déclarations de Londres, reprises par la Commission européenne, ultralibérale et dogmatique, on se dit que nous ne sommes décidément pas défendus ! Nous sommes sans défense, pieds et poings liés, sans pouvoir préserver le coeur de notre industrie !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Nous croyons à l'avenir de l'industrie automobile en France, mais à plusieurs conditions. C'est l'objet du pacte automobile présenté à l'Élysée le 9 février dernier. L'urgence était de répondre à la gravité de la crise dans ce secteur, le premier à avoir été frappé par la violence de la crise car très demandeur de financements. Mais la crise est aussi structurelle : compétitivité, adaptation de l'offre à la demande, évolution en matière environnementale, c'est l'ensemble du modèle économique de notre construction automobile qu'il faut repenser. Parmi les mesures de court terme, nous apportons des moyens financiers pour les constructeurs, des liquidités pour les sous-traitants, un encouragement au chômage partiel. Parmi les mesures plus structurelles figurent la suppression de la taxe professionnelle...
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Ça, ce n'est pas fait !
Mme Nicole Bricq. - Ce n'était pas à dire !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - ...la promotion du lean management et lean manufacturing, pour améliorer la productivité dans l'organisation de la production et le développement des véhicules propres, autour de consortiums, car il faut une solution française sur le véhicule du futur.
Oui, il y a des entreprises qui souffrent dans votre région. J'étais dernièrement à Besançon pour installer le commissaire à la réindustrialisation, relai des services de l'État chargé d'anticiper et de rechercher des repreneurs. Depuis le début de la crise, ce sont 22 000 emplois qui ont été sauvés de la sorte. Nous étudions toutes les hypothèses de reprise potentielle, dans la discrétion, qui est souvent la condition du succès. Faute de réussite, l'État veille à l'accompagnement social. On ne ferme pas une usine en quinze jours en France, les salariés ont des droits !
C'est en réindustrialisant, par la revitalisation (M. Philippe Marini, co-rapporteur, approuve) que l'on évitera ces drames humains. Ce sera le rôle des commissaires.
M. Jean Arthuis, co-président. - La vraie question est celle de la sortie de crise. Comment, demain, parviendrons-nous à mieux équilibrer nos niveaux de consommation et de production ? La crise nous éclaire sur nos contradictions. Dans notre conception de l'économie de marché, nous voulons à la fois parvenir aux prix les plus bas -la lutte contre la vie chère, quand on est Premier ministre, se vend bien politiquement- et maximiser les profits. Or, compte tenu de l'état de notre réglementation, de notre protection sociale, de la nécessité de financer ses branches santé et famille, nous chargeons la production de contributions, accessoirement de la taxe professionnelle, augmentant ainsi le prix de revient de ce que nous produisons. Comment cette contradiction est-elle surmontée ? Par les délocalisations. Même s'il paraît qu'elles comptent pour rien, puisqu'à en croire M. Blanchard, économiste en chef du FMI, l'avenir est à l'économie de la connaissance... Allez expliquer cela aux ouvriers qui perdent leur boulot... Et voilà comment on pousse des milliers d'hommes et de femmes au chômage. Gardons-nous d'oublier que l'emploi est un ensemble très divers, avec des niveaux de valeur ajoutée très contrastés.
On désindustrialise massivement ; on recourt massivement à l'emprunt pour financer les déficits publics : comment sortir de cette contradiction ? Il faut rendre sa compétitivité au travail. Il y a quelques années, on nous expliquait que la délocalisation de Renault en Roumanie pour la fabrication de la Logan ne posait pas de problème puisqu'il s'agissait d'un véhicule destiné aux conducteurs des pays de l'Est. Trois ans plus tard, on ne comprend pas pourquoi on prive les Français d'une voiture si bon marché... Mais aujourd'hui, quand les constructeurs lancent leurs appels d'offres auprès des équipementiers et des sous-traitants, les offres qui ne comportent pas au moins 70 % de production hors de France ne sont pas prises en considération.
Il faut mettre fin à l'hypocrisie pour que les forces du conservatisme et de l'immobilisme renoncent à leurs revendications et qu'ensemble nous construisions, au-delà d'un seul pacte automobile, un véritable pacte social.
Sur la question du protectionnisme, permettez-moi de vous conter notre rencontre, à New York, avec l'association des banques étrangères, non américaines. Il existe, aux États-Unis, deux programmes importants, le Tarf et le Talf, l'un destiné à la reprise des actifs toxiques, l'autre à des opérations non moins complexes de « shadow banking ». Eh bien, nous avons appris que le Trésor américain a décidé que ces opérations ne seront possibles qu'au profit des banques américaines. Déclarations du G20 ou pas, si ce n'est pas là du protectionnisme...
Je suis pour l'économie de la connaissance, mais ce n'est pas elle qui nous donnera le moyen de rendre leur rôle dans l'entreprise à tous ceux qui perdent leur job à cause de la désindustrialisation. Sans compter que c'est se leurrer que de penser que la recherche sera dynamique là où il n'y a pas d'industrie.
Alors, monsieur le ministre, la taxe professionnelle, d'accord, mais il faut nous indiquer quelles voies vous entendez emprunter pour aller au-delà.
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Sur les paradis fiscaux, sur la politique commerciale, on ne peut s'en tenir aux principes généraux et aux bonnes intentions. Il faut être très attentif.
Il est facile au gouvernement des États-Unis, quand il se rend compte de la perte de ressources fiscales que provoquent dans son budget les paradis fiscaux, de faire politiquement pression, hors toute convention, sur ces territoires qui sont souvent très dépendants de lui. Mais cela ne peut suffire. Pour nous, Européens, des règles du jeu doivent prévaloir, qui assurent assistance administrative et transmission de l'information. Je souhaiterais que dans toutes les procédures fiscales et civiles, on mette autant d'insistance à l'édiction de telles règles que dans le domaine pénal. Il existe, en Suisse, une loi très contraignante sur l'entente internationale en matière pénale. Ces dispositions, adaptées à la procédure fiscale, seraient tout aussi efficaces... J'attends du Gouvernement qu'il soit tenace, pugnace et ne se contente pas de déclarations de bonnes intentions. On doit pouvoir élargir la brèche.
En matière de politique commerciale, nous sommes confrontés à la question de la division internationale du travail. Il est vrai qu'à Washington, M. Blanchard, l'économiste en chef du FMI, nous a déclaré sans vergogne que les économies des pays développés allaient devoir se redéployer vers l'économie de la connaissance, qui serait leur horizon. On a beau répliquer qu'il n'est pas évident que toutes les qualifications s'adaptent, cette vision mécanique, inéluctable, idéologique, disons-le, demeure. Monsieur le ministre, il faut sortir, sur ces sujets, du politiquement correct. Se pose le problème de la définition d'une stratégie européenne en matière de politique commerciale. Ce problème, au-delà de la zone euro, est celui des Vingt-sept. Si l'Europe ne sait pas clarifier ses structures, ses fonctions, ses responsabilités, comment pourra-t-elle prétendre jouer le rôle de pôle de stabilité dans le monde ? Si l'on se contente de raconter aux électeurs des choses plus ou moins fausses, l'Europe deviendra le bouc émissaire dans tous les débats, surtout si la crise s'approfondit.
Pour la crise financière, même si l'on n'a pas encore circonscrit tous les actifs toxiques, le processus de correction est en cours. Mais la crise de l'économie réelle est encore devant nous, ainsi que nous en avertissent, à juste titre, nombre d'économistes. Vous le savez, monsieur le ministre, qui êtes aux prises avec des problèmes sociaux et industriels de grande ampleur, et, pour vous avoir vu à l'oeuvre dans un conflit avec lequel je suis moi-même aux prises, je sais votre courage et votre pugnacité.
Nous savons que ce que l'on nous annonce se concrétisera à terme. Nous savons que les statistiques du chômage s'aggraveront longtemps encore de façon significative ; que cela alimentera les anticipations défavorables...
Le vrai problème, face à cela, est celui de la compétitivité de nos entreprises. On ne tranchera pas le débat européen sans clarifier le sujet. Je rejoins donc le président Arthuis -sauf sur la taxe professionnelle (sourires)- pour vous demander quelle est votre vision, monsieur le ministre, pour franchir cette période difficile.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - La réponse réside dans une industrie plus compétitive et plus innovante. (M. Jean Arthuis, co-président, approuve)
Mme Nicole Bricq. - Nous avons quinze ans de retard.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Nous ne tirerons pas le pays vers le haut sans son industrie. Le Président de la République l'a dit, il ne croit pas à l'avenir économique d'un pays dépourvu d'industrie.
Les mesures que nous avons prises depuis deux ans vont bien dans ce sens : la suppression de l'impôt forfaitaire annuel, à hauteur de 5 milliards, doit rendre aux entreprises une compétitivité nouvelle (M. Jean Arthuis, co-président, manifeste son scepticisme) ; la multiplication par trois du crédit impôt recherche nous fera gagner de 0,2 à 0,3 point de PIB en innovation...
Mme Nicole Bricq. - On en fera le bilan.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - ...portant la recherche et développement à 2,5 ou 2,6 points. Il faudra, il est vrai, d'autres mesures encore pour atteindre l'objectif de Lisbonne.
Le président de Sanofi-Aventis, que j'ai rencontré hier, m'a assuré que ces mesures ont guidé son choix d'investir dans notre pays.
Lorsque nous exonérons de charges sociales toute entreprise de moins de dix salariés qui en embauche un nouveau, nous favorisons encore la compétitivité de nos entreprises. Et, dans le cadre des 11 milliards du plan de relance, les dispositifs d'aide à la trésorerie des entreprises contribuent à soutenir leur activité et leurs investissements.
Nous avions besoin de mesures structurelles : nous en avons pris et nous continuerons à le faire. Mais il nous faut aussi du volontarisme. C'est ainsi, par exemple, que dans le cadre du Pacte automobile, nous avons exigé et obtenu des donneurs d'ordre du secteur automobile qu'ils cessent de demander à leurs fournisseurs sous-traitants qu'une partie de leur production vienne de pays à bas coûts salariaux.
Monsieur le rapporteur général, nous voulons obtenir la coopération de tous les pays, sans exception, y compris en matière d'entraide administrative. Le Luxembourg vient de décider de traiter de la même manière les questions d'entraide administratives et d'entraide judiciaire. C'est un progrès ; désormais, le secret bancaire ne pourra plus être opposé.
J'ai conscience moi aussi du désarroi et de la souffrance des salariés. La situation sera d'autant plus difficile qu'on verra s'amorcer un signe de reprise car nous savons qu'il existe toujours un décalage entre les premiers frémissements de celle-ci et leur impact sur l'emploi et les restructurations industrielles qui, malheureusement, continueront encore plusieurs mois après.
On constate quand même la bonne tenue de certains indicateurs : la consommation des ménages, par exemple, le déstockage des entreprises, qui devrait entraîner un rebond technique, ou l'amélioration des conditions de financement. Même s'il faut rester prudent, on peut juger que c'est encourageant.... (Applaudissements à droite)
M. Jean Arthuis, co-président. - Je me réjouis de la qualité du débat de ce matin et je me réjouis que cette crise ait eu pour effet d'approfondir notre réflexion de parlementaires. Merci, monsieur le ministre, pour votre présence, pour votre écoute et pour la précision de vos réponses.
Je me réjouis enfin de l'initiative du président Larcher d'avoir constitué ce groupe de 12 députés et 12 sénateurs, au-delà des considérations partisanes et en respectant la diversité de toutes nos familles politiques. Nous voyons naître ainsi une nouvelle forme de réflexion parlementaire, faisant fi des clivages traditionnels et permettant un diagnostic partagé et la formulation de propositions consensuelles. La supranationalité de la crise nous pousse sans doute à sortir, enfin, des tranchées partisanes...
Cela nous a permis, également, de prendre la mesure de nos obligations dans ces matières monétaires et financières, qui jusque-là restaient le fait de quelques spécialistes. Les acteurs du monde financier étant plutôt adeptes de l'autorégulation, ils avaient l'habitude de se réunir entre spécialistes, à Bâle par exemple, et à définir entre eux les guides de bonne pratique. Ils venaient certes de temps en temps au Parlement, pour la transposition d'une directive par exemple ou un texte législatif, mais sans jamais pousser la réflexion assez loin pour que nous puissions en présenter les enjeux dans nos circonscriptions. Cette crise nous fait comprendre la nécessité de nous réapproprier les problèmes monétaires et financiers. Nous avons mesuré les limites de l'autorégulation et la nécessité, pour l'État, de se replacer au coeur du dispositif. Mais nous mesurons combien, si chaque État prend des dispositions isolément, tout cela demeurera inefficace, car l'activité économique ignore les frontières.
Le G20 a été une réussite. Mais il a aussi été un ensemble d'annonces qu'il faut maintenant faire vivre, notamment pour ce qui concerne les paradis fiscaux. Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ? Le département de la Marne a naguère été un paradis fiscal pour les vignettes automobiles ! Mais il ne pratiquait pas le secret bancaire... Paradis fiscal et secret bancaire sont les deux complices de l'évasion fiscale, destructrice du pacte républicain. J'ai eu récemment une discussion, assez vive, avec des collègues luxembourgeois : signe de l'évolution des mentalités... Il faudra aller jusqu'au bout.
De même pour la supervision prudentielle et les produits financiers. Nos institutions financières les plus illustres se sont fait piéger de façon stupéfiante par les agences de notation. Natixis, fleuron de la créativité financière (sourires), a perdu plus de 400 millions dans l'affaire Madoff, du fait d'une cascade de produits et de commissions dérivés et indirects.
M. Philippe Marini, co-rapporteur - Ils n'y ont rien compris !
M. Jean Arthuis, co-président - Nous autres, Européens, pourrions commencer par transcrire et par appliquer toutes les louables dispositions que nous recommandons au reste du monde. Si nous voulons être crédibles ailleurs, commençons par faire le ménage chez nous, à Monaco, en Suisse, au Luxembourg, en Andorre.
M. Jean-Pierre Chevènement. - Et Chypre !
M. Jean Arthuis, co-président. - Notre groupe poursuivra donc sa tâche, fera sans doute un peu de diplomatie parlementaire, au Luxembourg, par exemple, en Autriche ou en Suisse.
M. Philippe Marini, co-rapporteur. - L'île de Man, aussi, doit être agréable...
M. Jean Arthuis, co-président. - Voilà qui doit nous rassembler. Cette crise était peut-être nécessaire pour que nous cessions de marcher sur la tête, de nous raconter des histoires et de poursuivre une politique virtuelle. (Applaudissements à droite)
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. - Je rends hommage à votre assemblée, à ce groupe de travail et au Président Larcher qui en a eu l'initiative et que je remercie d'être présent ce matin. Ce groupe de travail a permis de définir des objectifs communs et d'arriver à des propositions unanimes, ce qui a été bien utile au Président de la République lorsqu'il a dû mener de rudes négociations avec ses homologues de l'Union.
Je vous remercie pour la qualité de ce débat, conséquence de la réforme constitutionnelle. Il renforce la démocratie parlementaire, l'équilibre des pouvoirs et la lisibilité de notre travail pour nos concitoyens. (Applaudissements à droite)
La séance est suspendue à midi et demi.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 15 heures.