Violences faites aux femmes(Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de Mme Michèle André à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.

Mme Michèle André, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, auteur de la question.  - Quelques jours après la réaction féroce de l'église catholique à l'IVG d'une fillette victime d'un inceste au Brésil, après la polémique sur la contraception, et à quelques jours de la conférence de Durban II sur le racisme, qui promeut des thèses sexistes, notre débat s'inscrit dans un contexte où la dignité de la femme est mise en cause.

La loi du 4 avril 2006 est née de l'initiative parlementaire et a recueilli l'unanimité au Sénat comme à l'Assemblée nationale. La paternité en revient à Roland Courteau : par la force et l'humanité de ses arguments, il a convaincu le groupe socialiste de signer avec lui une proposition de loi programme, ciblant les violences « au sein du couple » -en dépassant la notion de violence conjugale stricto sensu- et traitant toutes les composantes du problème : prévention, aide aux victimes et sanction. Dans le même sens, la proposition de loi de Mme Borvo Cohen-Seat et du groupe communiste insistait sur la nécessité de former les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires à la problématique des violences conjugales. Le thème des violences faites aux femmes a, bien entendu, constamment imprégné les travaux de la Délégation, et les avancées législatives sur l'éloignement du conjoint violent lors de la réforme du divorce ont été suscitées par ses analyses.

La loi que nous avons adoptée a levé un des tabous majeurs de la société française. Madame la ministre, vous êtes ici dans la lignée de toutes ces femmes ministres qui, depuis la première campagne que j'ai lancée en 1989 lorsque j'étais moi-même à votre poste, ont contribué à mettre un peu plus en lumière le problème. Car nous revenions de loin ! Il est certes difficile de parler des violences familiales, mais il faudra tout de même que les historiens et les sociologues nous expliquent un jour pourquoi il a fallu attendre 2006 pour débattre de ce thème sur les bancs de nos assemblées parlementaires. Comment expliquer ce très long silence législatif alors que nous avons toujours su qu'ils étaient nombreux, ces enfants et ces adultes à jamais traumatisés par ces violences familiales ?

Nous avons rendu un grand service à notre pays en faisant en sorte que la loi appelle enfin par leur nom les violences familiales. L'impulsion législative a ainsi été donnée, mais il ne suffit malheureusement pas de légiférer, même à l'unanimité, pour surmonter les blocages de la société française. Dès lors, deux séries de motifs conduisent notre Délégation à interroger le Gouvernement sur la mise en oeuvre de ce texte. D'abord, l'article 13 de la loi du 4 avril 2006 prévoit que « le Gouvernement dépose tous les deux ans, sur le bureau des assemblées parlementaires, un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences, au sein du couple ». Il s'agit là non pas d'alimenter la profusion d'écrits administratifs mais bien, conformément à l'esprit de nos institutions, de vérifier l'impact, sur le terrain, du dispositif que nous avons voté. C'est un exercice difficile qui a été demandé au Gouvernement et on peut se réjouir que ce rapport ait finalement été publié avant-hier.

M. Roland Courteau.  - In extremis !

Mme Michèle André, présidente de la Délégation, auteur de la question.  - J'y vois une première illustration de l'efficacité de nos séances de contrôle du Gouvernement. J'espère toutefois que nous ne serons pas obligés, à l'avenir, d'organiser systématiquement un débat comme celui d'aujourd'hui pour hâter la sortie de rapports qui doivent en principe être publiés tous les deux ans...

Cette loi d'avril 2006, loin de rejoindre le trop vaste assortiment des textes peu ou pas du tout appliqués, a enclenché une véritable dynamique. Deux indices en témoignent. Du point de vue législatif, un an après le vote de cette loi, une avancée complémentaire, également suggérée par la proposition de loi Courteau, a été apportée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Elle concerne le suivi socio-judicaire des auteurs de violences familiales qui a été élargi, à l'article 222-48-1 du code pénal, de façon à permettre au juge d'y soumettre non seulement le conjoint, le concubin ou le partenaire de la victime mais aussi les « ex » et également, lorsque l'agression concerne un mineur de 15 ans, l'ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou toute autre personne ayant autorité sur la victime.

Il semble que tous les magistrats aient trouvé dans ce texte des outils préventifs et répressifs. Dès lors, faut-il aller plus loin dans le perfectionnement du code pénal ? Sur la base de la pratique judiciaire qui a suivi l'adoption de cette loi, le Gouvernement estime-t-il aujourd'hui pertinent d'introduire une incrimination spécifique des violences habituelles, physiques ou psychologiques au sein du couple ? Il y a trois ans, une telle incrimination, préconisée par notre proposition de loi avait suscité des objections, notamment celle du rapport établi au nom de la commission des lois par M. de Richemont : « les violences au sein du couple apparaissent presque toujours comme des violences habituelles ». On nous opposait aussi que cette incrimination risquait de soulever des difficultés dans les « imputations de causalité » entre le fait générateur et le préjudice. Les esprits ont évolué sur ce point, une telle incrimination existe en Espagne (M. Roland Courteau le confirme) et, en France, la notion de violence habituelle figure déjà dans le code pénal pour protéger les mineurs de 15 ans, sans que ce texte ait suscité des difficultés d'application insurmontables. Certaines agressions légères et isolées sont difficilement punissables : accepterons-nous d'inscrire dans la loi que leur répétition peut, à la longue, rendre la vie de couple insupportable ? Le Gouvernement peut-il nous faire part des réflexions du groupe de travail interministériel constitué sur ce thème en juillet 2008 ?

N'ayons pas peur, pour l'instant, de l'explosion des chiffres : 47 500 cas en 2007, soit 30 % de plus qu'en 2004. La Délégation a souvent relayé les témoignages de la difficulté à faire enregistrer une plainte par la gendarmerie ou la police. Ce ne sont pas les violences familiales qui ont augmenté de 30 % mais les faits enregistrés par la police ou la gendarmerie. (M. Roland Courteau approuve) Félicitons-nous plutôt de l'amélioration de l'écoute des victimes. Le Gouvernement peut-il solennellement s'engager à poursuivre les efforts dans ce sens en évitant le piège qui consisterait à craindre de « mauvais » chiffres -alors qu'ils confirment, de façon très positive, la levée d'un tabou.

Le Gouvernement a attribué à l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le label de « campagne d'intérêt général pour 2009 » en prévoyant de la faire reconnaître comme « grande cause nationale » en 2010. Nous serons attentifs aux moyens financiers que vous lui consacrerez pour appuyer l'action des associations, indispensable en ce domaine.

Notre devoir est aussi d'attirer l'attention sur le silence des femmes qui se trouvent dans les situations les plus tragiques. Lors de la discussion du texte qui allait devenir la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, j'avais demandé le renouvellement des titres de séjour des femmes étrangères victimes de violences conjugales. M. Hortefeux, alors en charge du dossier, m'avait indiqué les raisons pour lesquelles le Gouvernement refusait d'introduire dans la loi l'automaticité de ce renouvellement mais il s'était engagé -le compte rendu de nos débats du 4 octobre 2007 en fait foi- à donner par circulaire des instructions aux préfets, afin de prendre en compte ma demande. Où en sont ces instructions ? Pour faciliter la prise en charge des victimes, vous prévoyez la mise en place de référents locaux mais je m'interroge sur l'articulation de ce dispositif avec celui des chargés de mission et des déléguées régionales, services déconcentrés de votre ministère qui font actuellement l'objet d'une profonde réorganisation dans le cadre de la Révision générale des politiques publique... Veillez à ce qu'on ne vous rogne pas les ailes !

Pour l'hébergement des victimes, le Gouvernement a annoncé une expérimentation tendant à développer les familles d'accueil et à rendre les victimes prioritaires dans l'accès au logement. Qu'en est-il sur le terrain ? Je réaffirme solennellement que le principe de base est celui de l'éviction hors du domicile de l'agresseur et non pas de la victime. (M. Roland Courteau approuve)

La réinsertion des victimes est essentielle car c'est leur dépendance économique qui explique souvent leur silence. Comme le suggérait la proposition de loi initiale de notre collègue Courteau, certains emplois relevant du secteur public pourraient être attribués à des victimes de violences conjugales Une telle mesure apporterait un immense réconfort aux femmes concernées et permettrait peut-être d'améliorer, ici ou là, l'accueil du public.

Nous devons également prévenir les violences conjugales et combattre la récidive, ce qui suppose de s'intéresser aussi aux auteurs de violences. Le Docteur Coutanceau a remis au Gouvernement, en 2007, un rapport qui constate un véritable « phénomène d'addiction » aux violences conjugales. Pour sortir de ce cercle infernal, il préconise la prise en charge thérapeutique des agresseurs et l'envoi systématique aux prévenus d'une convocation auprès d'une structure médico-sociale. Les lois du 5 mars et du 16 août 2007 ont instauré une injonction de soins pour les auteurs de violences. Quel en est le bilan, quelles en sont les perspectives ?

M. Roland Courteau.  - Bonne question...

Mme Michèle André, présidente de la Délégation, auteur de la question.  - En tant qu'élus, nous sommes tous sollicités à l'occasion de drames familiaux : il est essentiel que nous puissions apporter les solutions les plus efficaces dans ces situations où nos concitoyens perdent pied face aux difficultés les plus cruciales de leur existence. (Applaudissements)

Mme Christiane Kammermann.  - La violence domestique demeure largement méconnue et atteint les femmes de tous les milieux.

Une femme sur dix est victime de violences conjugales. Une femme meurt tous les trois jours de ces violences. Un phénomène d'une telle ampleur et d'une telle gravité déborde largement la sphère privée et appelle des réponses appropriées de la société.

La violence au sein du couple a reçu une définition légale avec la loi du 23 juillet 1992. Sous l'impulsion de l'Union européenne, les États membres ont été appelés à mieux prévenir et traiter le problème. La loi du 15 juin 2000 renforçant le droit des victimes est venue mieux organiser le traitement spécifique des violences faites aux femmes et depuis 2004, une série de lois a développé et précisé ce dispositif, en s'attachant en particulier à mieux protéger le conjoint. La possibilité d'évincer du domicile le conjoint violent, introduite en 2005, a permis d'inverser le rapport de force entre les époux et de mieux prendre en compte les intérêts des enfants. La loi du 4 avril 2006, surtout, issue de deux propositions de loi sénatoriales, a constitué une avancée majeure et fut adoptée à l'unanimité, ce qui montre qu'il n'existe pas de clivages politiques sur des sujets aussi sensibles, qui touchent à notre conception des rapports entre les êtres.

M. Roland Courteau.  - Heureusement !

Mme Christiane Kammermann.  - Cette loi a notamment introduit une circonstance aggravante pour le meurtre commis par le conjoint, étendue aux ex-conjoints, concubins ou pacsés, sachant que 31 % des cas de décès surviennent au moment de la rupture du couple ou après. Le viol entre époux, dont seule la jurisprudence s'était emparée, a été reconnu. Notre droit rompait ainsi avec un non-dit de notre société imprégnée de l'idée du « devoir conjugal ». Il y eut encore la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance. Nous disposons donc d'un arsenal juridique solide.

Un second plan triennal particulièrement ambitieux a débuté en 2008, articulé autour de quatre axes prioritaires : mesurer, prévenir, coordonner et protéger. Le Gouvernement a déposé cette semaine un rapport très complet faisant le point sur les résultats de la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple. Nous vous écouterons attentivement les décrire tout à l'heure, madame la ministre.

L'une des dispositions principales du plan triennal vise à mieux quantifier les actes de violence commis à l'encontre des femmes. Les données issues du casier judiciaire restent cependant très en deçà de la réalité, compte tenu de la réticence des victimes à porter plainte. Quelles mesures envisagez-vous pour les compléter ? Le Conseil économique, social et environnemental a émis le souhait que soit de nouveau employée la méthodologie de la première enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, avec interrogation anonyme et questionnaire ouvert. Cette enquête pourrait être étendue aux collectivités territoriales d'outre-mer, qui n'avaient pas été prises en compte alors.

Un rapport d'information déposé par le député Guy Geoffroy en décembre 2007 a posé la question de la disparité des politiques pénales menées par les parquets. Il est en effet anormal qu'existent des différences, d'un tribunal à un autre, dans la réponse pénale apportée à des faits de violence similaires. Il était prévu qu'en 2008, un guide de l'action publique en matière de violences conjugales adresse un message de grande fermeté pour mettre fin à cette disparité. Pouvez-vous nous préciser si la situation a évolué depuis ?

Un rapport d'évaluation du plan 2005-2007 soulignait l'insuffisance des structures d'accueil et d'hébergement. L'idée de l'enquête nationale, menée en 2000, de recourir à titre expérimental à des familles d'accueil a-t-elle été développée ?

Enfin, les actions de prévention doivent viser plus particulièrement la jeunesse. L'image de la femme est malmenée et de tristes faits divers, tels que le phénomène des « tournantes », témoignent d'un manque total de respect de certains jeunes, qui ne perçoivent souvent même pas la gravité de leurs actes. Ce n'est qu'en faisant évoluer les mentalités que nous aiderons les femmes victimes à briser le silence dans lequel la peur les enferme et que nous ferons reculer le fléau de la violence. (Applaudissements à droite et sur les bancs socialistes)

Mme Françoise Laborde.  - La question des violences faites aux femmes dépasse tous les clivages ; elle est malheureusement universelle et touche des femmes, des hommes et des enfants. Fort heureusement, elle a trouvé une première réponse législative grâce à l'adoption, en 2006, de la loi Courteau. Je saisis l'occasion pour rendre un hommage appuyé à la pugnacité de notre collègue, éminent défenseur des droits des femmes. (M. Roland Courteau remercie) Ce texte a marqué le début d'une prise de conscience, tant des pouvoirs publics que de l'ensemble de la société et d'une volonté d'agir pour assurer une prise en charge globale des victimes. Il a permis de briser la loi du silence qui suscitait à la fois un fort sentiment de culpabilité des victimes et marquait une indifférence des pouvoirs publics trop longtemps sourds aux revendications du milieu associatif. Il a surtout libéré la parole des victimes et prévu des sanctions contre les agresseurs. On peut se réjouir du chemin parcouru. Cette loi participe d'un bouleversement profond de la société française, dont les fondements sont la lutte contre le sexisme et toute forme de discrimination liée au genre. Elle a plus prosaïquement permis de soustraire les victimes à leur agresseur, d'instituer des mesures de protection d'urgence et de prise en charge par des professionnels, à travers un dispositif à trois niveaux : information et prévention, répression, aide aux victimes. Elle s'inscrit dans la droite ligne de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, de la loi Neuwirth sur la contraception et de l'institution du planning familial. Mais le combat contre les violences faites aux femmes est loin d'être gagné. Nous avons fait la moitié du chemin et les enjeux sont terribles : il est souvent question de vie ou de mort.

La question posée par Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes est donc pleinement justifiée et la réponse que vous y apporterez sera déterminante pour l'avenir. En effet, il a été démontré que 40 % des adolescents violents ont assisté à des violences parentales et que 30 % des enfants violents ont eux-mêmes été victimes de violences. II y a encore à peine quelques années, ces statistiques n'existaient même pas dans notre pays. Pour avancer, nous devons nous inspirer d'exemples étrangers réussis, comme celui de l'Espagne, qui a voté des mesures législatives plus complètes en 2004. La mise en oeuvre d'outils de mesure pertinents, de lieux d'écoute et de conseils aux victimes, a conduit à enregistrer, depuis 2004, une hausse de 30 % des plaintes pour faits de violence. Non point que je me réjouisse d'un tel chiffre, mais je l'interprète comme la démonstration de l'efficacité de la loi. Ce mouvement semble confirmer que les victimes surmontent leur peur de témoigner et s'approprient les moyens mis à leur disposition par le législateur. Ainsi en Haute-Garonne, le centre d'information sur les droits des femmes a reçu 3 765 personnes, dont 439 demandes liées à la question des violences conjugales. Sur ces 439 femmes, 151 ont demandé, en 2008, des consultations juridiques, contre 104 en 2007. Le témoignage de ces femmes reflète une réalité cruelle. La violence conjugale, physique et psychologique, a des retombées désastreuses dans tous les aspects de la vie quotidienne des victimes -santé, emploi, vie sociale, logement, autonomie financière.

Le temps imparti ne me permet pas de m'attarder sur des sujets pourtant importants, comme la procédure de divorce par consentement mutuel, qui fragilise les femmes victimes de violences, ou encore les circonstances aggravantes sur lesquelles un effort de prévention devrait être fait. Je m'en tiendrai, dans une logique pragmatique, à faire mien le voeu des principales associations de voir une loi-cadre compléter le dispositif existant et permettre à la France de rattraper son retard. Le travail accompli sur le terrain par les professionnels et les bénévoles doit nous inspirer. Parmi les principales préconisations, je retiens en particulier les suivantes : favoriser un accès au logement prioritaire pour les femmes avec enfants et augmenter le nombre de centres d'hébergements d'urgence, informer et mettre à l'abri les victimes en temps réel avant même l'aboutissement des procédures devant le juge aux affaires familiales, généraliser la formation des personnels qui recueillent la parole des victimes, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou à l'École nationale de la magistrature, instaurer un suivi psychologique gratuit pour les victimes et les enfants, sensibiliser davantage les élèves des collèges et lycées, renforcer la protection de l'enfant, en instaurant un principe de précaution, notamment en matière d'autorité parentale, en introduisant dans le code civil des mesures temporaires d'éloignement de l'agresseur et de restriction de ses droits. Il conviendrait, enfin, de compléter l'arsenal législatif en introduisant dans le code civil le délit de violence conjugale.

J'insiste sur deux pistes qui me tiennent à coeur. Il est essentiel, à mon sens, de favoriser la reconnaissance juridique des violences conjugales psychologiques répétées, avant qu'elles ne dégénèrent en violences physiques, et participer ainsi à la prise de conscience des victimes elles-mêmes, notamment grâce à des campagnes nationales d'information grand public. La reconnaissance de la violence faite aux femmes comme cause nationale devrait vous donner l'occasion de le faire. L'autre mesure incontournable, à mes yeux, est de rendre possible la suspension provisoire de la communauté de biens, que ce soit pour les comptes bancaires, l'obtention de crédits, ou le logement, je pense en particulier à l'inscription sur les baux locatifs des conjoints.

Se pose, enfin, la question des moyens. Je m'inquiète des difficultés rencontrées par certains centres d'information sur les droits des femmes. Il semblerait, en effet, que depuis 2008, le champ d'application « violences faites aux femmes » ne soit plus inscrit parmi les priorités de certains services de la Dass, qui, de ce fait, réduisent considérablement les subventions dédiées à ces actions. Le Conseil national s'en est d'ailleurs ému dans un courrier à vous adressé. Je serai attentive, madame la ministre, à votre réponse.

Pour le lancement du référent unique, mis en avant dans le plan triennal 2008, près d'un tiers des départements attend encore l'appel d'offre de la préfecture. Il faut dire que les professionnels de l'accompagnement aux victimes de violences conjugales soulignent le caractère stigmatisant d'un guichet unique, surtout en zone rurale.

En tant que membre de la Délégation aux droits des femmes, je ne cesserai de militer auprès de vous, madame la ministre, pour que les améliorations dont je viens de faire état soient inscrites dans la loi. (Applaudissements à gauche)

M. Roland Courteau.  - Le phénomène des violences faites aux femmes est d'une ampleur et d'une gravité considérables, tant au travail qu'au sein du couple. Ces violences concernent des femmes de tous âges, de tous milieux, de toutes origines. Ce mal fut trop longtemps tabou, considéré comme appartenant à la sphère privée et relégué au rang de simple dispute de ménage. Quand une femme sur dix est victime de violences, quand une femme décède tous les deux jours et demi sous les coups de son partenaire, quand plusieurs milliers sont victimes de viol, plusieurs dizaines de milliers de mariage forcé, s'agit-il encore de simples problèmes d'ordre privé ou d'un grave problème de société ?

Pour lutter contre ce fléau, j'avais déposé, en novembre 2004, une proposition de loi avec le soutien du groupe socialiste et des Verts, et plus particulièrement de Michèle André, ancienne ministre des droits de la femme. Il s'agissait pour nous d'une proposition de loi-cadre mais j'ai vite compris qu'il valait mieux adopter la stratégie des petits pas que celle du tout ou rien. Notre proposition fut, conjointement à celle du CRC, inscrite à l'ordre du jour de nos travaux et adoptée à l'unanimité, après modifications, par le Sénat et l'Assemblée nationale, puis promulguée le 4 avril 2006. Les associations sont unanimes à voir dans cette loi une grande avancée. Il faut dire que c'était la première fois que le Parlement acceptait de légiférer sur un tel sujet.

Puisque la mémoire est parfois fragile, j'en rappelle les grands axes : relèvement de l'âge légal du mariage des femmes, une jeune fille de 18 ans étant mieux à même de résister à un mariage forcé qu'à 15 ans ; ajout du mot « respect » à l'article 212 du code civil ; mesures spécifiques contre le mariage forcé ; aggravation des peines pour les faits commis au sein du couple ; possibilité donnée aux magistrats d'éloigner du domicile l'auteur des violences ; incrimination du viol au sein du couple ; accompagnement psychologique, sanitaire et social des auteurs de violences. Cette loi comporte également des dispositions relatives aux mutilations sexuelles féminines et fait obligation au Gouvernement de déposer tous les deux ans un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples. Celui d'avril 2008 a été déposé avant-hier. Aurons-nous le prochain en 2010 ou en 2011 ?

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - Nous ferons une session de rattrapage ! (Sourires)

M. Roland Courteau.  - La loi peut devancer les mentalités et en accélérer l'évolution, elle n'est pas la seule réponse à opposer aux violences conjugales. Cela étant, les choses évoluent. Le taux de réponse pénale augmente, passant de 69 % en 2003 à 84 % en 2008. La prise en charge des victimes s'est améliorée ; les faits de violences sont mieux recensés. En 2005, j'avais dénoncé le fait que l'on connaissait le nombre de portables dérobés et le nombre de taille-crayons fabriqués en France mais pas le nombre de femmes qui décédaient, chaque année, des suites des violences qu'elles avaient subies ! Certaines associations, comme Femmes solidaires, regrettent l'inexistence de données sexuées. Il est notamment déploré « un glissement sémantique tendant à englober toutes les violences dans le terme général de violences intrafamiliales ». Je me demande aussi pourquoi on ne comptabilise pas les suicides consécutifs à des violences. Cela dit, force est de constater que, depuis trois ans, le voile du silence s'est déchiré.

La parole s'est libérée. Les victimes osent enfin dénoncer et porter plainte. Les plaintes ont augmenté de 31 % au niveau national et de 58 % dans mon département. Ce n'est pas que les violences se seraient multipliées dans l'Aude ! Il y a une meilleure prise de conscience collective, une meilleure information sur ce type de violence, une meilleure connaissance des droits et surtout un gros travail est accompli par les associations spécialisées et la Mission départementale aux droits des femmes, Bref, les violences sont de moins en moins dissimulées et le phénomène de moins en moins tabou, ce qui ne signifie pas que la partie est déjà gagnée. L'ampleur et la gravité de ce phénomène sont telles qu'il faut accroitre encore l'effort de prévention, qui doit être massif.

C'est ce que nous avions demandé dans notre proposition de loi initiale et que le Sénat et le Gouvernement n'ont pas souhaité retenir, soit au nom de la séparation de la loi et du règlement, soit en raison du refus de débloquer les financements nécessaires. Certes, je connais le plan global 2008-2010, qui vise à « accroître l'effort de sensibilisation de la société pour mieux combattre et prévenir les violences ». Mais je ne saurais trop insister sur la nécessité de campagnes de sensibilisation, plus nombreuses, plus régulières et sur tous les médias.

Il faut également sensibiliser les jeunes. Romain Rolland le disait : « Tout commence sur les bancs de l'école ». Il avait cent fois raison : si nous voulons changer les mentalités, c'est par là qu'il faut commencer. Trop souvent, les jeunes garçons et les jeunes filles sont enfermés dans des représentations très stéréotypées de leur rôle et de leur place dans la société. Des instructions de 2006 mettent l'accent sur la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sur la promotion du respect mutuel entre filles et garçons. En 2005, les instances de l'Union européenne ont recommandé aux États membres de veiller à ce que l'éducation de base évite les schémas et les préjugés culturels et sociaux... ou les images stéréotypées du rôle de chaque sexe.

Pour ma part, j'avais suggéré l'introduction dans les programmes scolaires d'une information sur le respect mutuel entre garçons et filles, sur l'égalité entre les sexes, sur le respect des différences et de l'intégrité physique, ainsi que d'une sensibilisation sur l'exigence de résoudre les conflits de façon non-violente. Mais le Sénat, sur ce point également, avait suivi l'avis du Gouvernement et n'avait pas retenu cette suggestion, ce qui nous était apparu comme très regrettable à la lumière du climat de violence qui commençait à s'étendre autour de certains établissements scolaires.

Pouvez-vous m'indiquer quelles ont été, ces trois dernières années, les actions concrètes engagées auprès des établissements scolaires ? Les différents ministres concernés avaient, pour justifier leur refus de voir nos amendements adoptés, assuré que les outils se trouvaient déjà dans le code de l'éducation. Puisque les outils sont censés exister, je souhaite connaître l'usage qui en a été fait. Le problème est d'importance car on assiste à un accroissement des comportements et des violences sexistes chez de nombreux adolescents. Il m'a été également rapporté que plus nombreuses seraient les adolescentes victimes d'agression sexuelles. Serait-ce dû au fait que l'apprentissage de la sexualité des adolescents se ferait à partir d'internet ou de cassettes pornographiques qui évoquent l'usage consensuel de la violence dans les relations sexuelles ?

Il est impératif de veiller à l'image de la femme dans les médias. Voilà pourquoi j'ai rappelé qu'il fallait que, dans ce domaine, soit appliquée plus rigoureusement la loi de 1986. Cette loi relative à la liberté de communication dispose notamment que « l'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise par le respect de la dignité de la personne humaine ». Améliorons donc l'application de la loi, en faveur du respect de la personne humaine et contre les images choquantes, dévalorisantes et dégradantes de la femme. Peut être faut-il aller plus loin pour faire respecter les femmes et leur image, par le biais notamment de campagnes de sensibilisation grand public et surtout par un réel contrôle qui ne se limite pas aux seules publicités télévisées.

Enfin, je note avec satisfaction l'annonce faite par le Premier ministre d'une reconnaissance de la lutte contre les violences faites aux femmes comme grande cause nationale pour 2010.

Je souhaite m'attarder quelques instants sur le problème des violences psychologiques, que notre proposition de loi initiale prenait en compte. Un amendement sur ce point a été rejeté par le Sénat par 140 voix contre 138. Trois ans après, la plupart des associations nous disent être dans l'attente de l'introduction d'une définition des violences psychologiques dans le code pénal.

Les questions relatives au harcèlement ou aux comportements persécutoires sont au premier rang des préoccupations des associations car elles en mesurent les effets désastreux. La violence psychologique, c'est l'arme de l'agresseur habile. Elle détruit un être à petit feu, elle le conduit vers la dépression et sur des pentes extrêmement périlleuses pour sa santé et sa vie. Mais elle ne laisse pas de traces visibles. Pas de traces, pas de preuves ! J'ai trop entendu dire qu'il ne s'agirait pas là de véritables violences. Comment alors qualifier cet acharnement à détruire la personnalité de sa partenaire, à l'humilier, à la rabaisser, à la harceler, jour après nuit, au fil des mois, des années ? Il est nécessaire que les violences psychologiques soient bien prises en compte, au même titre que les violences habituelles, physiques.

La solution réside peut-être dans les notions de harcèlement ou de comportement persécutoire : les preuves sont en effet plus faciles à réunir. En 2007, notre proposition de loi visait à insérer dans le code pénal un article L. 222-14-2 traitant des violences physiques ou psychologiques « habituelles » portant atteinte à l'intégrité de la personne.

L'une des dispositions phares de la loi de 2006 prévoit l'éloignement du domicile de l'auteur des violences. Cette inversion du rapport de forces symbolique était bienvenue, car trop souvent c'était la victime qui quittait le domicile conjugal. Hélas, cette disposition, tant attendue, reste peu utilisée par les magistrats, qui ne prononcent un éloignement que dans 9 % des cas. Est-ce dû à un manque de places d'hébergement ? A l'absence de ressources, de famille ? Cette mesure est-elle effective ? Quant à l'injonction de soins, est-elle régulièrement appliquée ? La prise en charge est indispensable pour prévenir la récidive. Or celle-ci est de plus en plus fréquente, si j'en crois les statistiques. Dans mon département, les associations ont mis en place des permanences d'accueil et des groupes de parole. L'existence de structures de soins dotées d'intervenants qualifiés et de financements est fondamentale. Quels moyens comptez-vous y consacrer ? Les crédits à des associations telles que le Planning familial ont diminué : le Gouvernement ne peut-il pas trouver ailleurs des sources d'économies ?

Les associations manquent de places, en hébergement comme en accueil d'urgence de nuit. La loi de 2006 ne peut être pleinement appliquée sans moyens adéquats : et puisqu'il s'agit de solidarité nationale, la balle est dans votre camp, madame la ministre. On ne peut laisser les salariés et les bénévoles des associations se débattre dans les problèmes financiers pour parvenir à appliquer les mesures que nous avons décidées.

Quelques mots de la formation. Les professionnels de santé sont souvent en première ligne face aux violences, mais considèrent que le dépistage et le conseil aux victimes ne sont pas aisés. Ils se sentent coincés entre l'obligation de protéger la santé de la patiente et le respect du secret professionnel. Or leur intervention, avec la rédaction d'un certificat médical et l'évaluation de l'incapacité temporaire de travail, est essentielle dans l'hypothèse de poursuites. C'est pourquoi nous souhaitions, en 2006, inscrire le principe d'une formation initiale et continue de tous les intervenants, dans les domaines social, médical, policier, comme parmi les magistrats, les avocats, les enseignants. Il n'y a pas eu consensus pour l'écrire dans la loi, mais le Gouvernement a pris des engagements. Un effort a été réalisé dans la formation des gendarmes et des policiers -je songe à la charte d'accueil et aux instructions interministérielles. Mais pour le reste, rien ! Il faut intégrer cette question dans les programmes des études d'avocat, de magistrat, d'enseignant, de médecin. Tous les professionnels ne sont pas sensibilisés et mobilisés ; j'ai le sentiment d'un terrain encore en friche.

L'aide juridictionnelle devrait être accordée sans condition de ressources lorsqu'il s'agit de violences conjugales. Les victimes sont en état de choc et il importe de faciliter leurs démarches lorsqu'elles décident de réagir. Leur dépendance financière constitue un frein : inutile de compter sur le conjoint pour payer l'avocat ! De même, il faut pouvoir accorder aux victimes la réparation intégrale des dommages subis.

Autre problème, l'accès au logement social. Il y a pénurie. Et les propriétaires hésitent face à ces familles monoparentales à revenu souvent faible. Les femmes victimes de violences conjugales doivent être prioritaires pour obtenir un logement social, notamment lorsqu'elles quittent un centre spécialisé. Logement et insertion professionnelle déterminent en effet le retour à une vie autonome. Il serait bon que chaque année, des logements soient proposés aux associations.

Les enfants sont les spectateurs et les victimes collatérales de ces violences. Le cerveau des nourrissons et les jeunes enfants exposés à des violences domestiques peut subir des dommages sévères liés au stress émotionnel. Les enfants connaissent aussi des troubles du sommeil, du comportement, de la personnalité : dépression, tendances suicidaires, énurésie, etc. Et les adolescents très violents ont souvent assisté enfants à des violences domestiques. Ils voient dans ces comportements le moyen normal de régler les conflits. Certaines associations envisagent de mettre en place des lieux d'écoute. Le Gouvernement les encouragera-t-il ?

Une femme battue et l'association qui lui venait en aide ont été condamnées, dans le passé récent, pour avoir dissimulé au père son adresse et celle de ses enfants. Or, s'il est légitime de veiller aux droits du père, la protection de la mère et des enfants compte aussi ! Nous suggérons la création de lieux neutres, espaces de rencontre entre le parent exclu du domicile et ses enfants. Dans l'Aude, un tel projet pourrait voir le jour prochainement.

Une meilleure cohérence est nécessaire entre les procédures pénale et civile. Les juges aux affaires familiales ne sont pas toujours informés des violences conjugales ! Les avocats devraient les saisir plus souvent. Et il serait judicieux de compléter l'article L. 220-1 du code civil qui permet au juge aux affaires familiales de statuer sur la résidence séparée et l'exercice de l'autorité parentale. La disposition ne vaut que pour les couples mariés, pas pour les concubins ni pour les pacsés.

Nous nous efforcerons de faire aboutir nos propositions dans des textes de loi. Le Sénat a joué dès 2005 et 2006 un rôle précurseur et moteur en ce domaine. Si ces initiatives passées, comme celles que nous prendrons dans l'avenir, peuvent contribuer à éradiquer les violences au sein des couples, nous aurons fait oeuvre utile. La tâche est ardue : raison de plus pour nous y atteler. (Applaudissements à gauche)

Mme Muguette Dini.  - Il existe des mesures législatives fortes, une prise de conscience politique affirmée, mais les violences persistent.

A titre liminaire, j'insiste sur le fait que les violences contre les femmes portent atteinte aux droits humains, en premier lieu au droit à la vie, mais aussi à la liberté, à la sûreté et à l'égalité, et je tiens à replacer ces violences dans le contexte plus large d'une discrimination qui perdure, celle fondée sur l'appartenance sexuelle : les femmes en sont victimes parce qu'elles sont femmes. Par essence, la discrimination opère une différence arbitraire de traitement : comme le racisme, le sexisme dénie à l'autre le statut d'alter ego. Les violences contre les femmes sont entretenues par une discrimination qui, les maintenant dans une position subalterne, forme un terreau propice à la violence.

Depuis 1994, les violences commises au sein du couple marié ou vivant en concubinage sont sanctionnées par l'introduction d'une circonstance aggravante.

La loi du 4 avril 2006 visant à renforcer la prévention et la répression des violences commises au sein du couple a marqué une étape fondamentale. Elle a élargi cette circonstance aggravante aux partenaires d'un Pacs. L'extension à l'encontre des « ex » est également justifiée, puisque la violence est le plus souvent exacerbée juste après la rupture. D'après l'Observatoire national de la délinquance, 9 % des femmes déposent plainte lorsqu'elles sont victimes d'un conjoint, mais 50 % le font lorsque l'agression est commise par un ex-conjoint. Je citerai également l'incrimination spécifique du viol et des autres agressions sexuelles au sein du couple, l'interdiction du domicile conjugal ou familial et l'injonction de soins pour le conjoint violent. La prévention des mariages forcés a été renforcée par le relèvement de l'âge légal du mariage et l'extension de l'action en nullité pour vice de consentement.

Dans cette lutte contre les violences faites aux femmes, le dispositif législatif est essentiel mais insuffisant car l'État doit véritablement garantir le droit. Il faut bien sûr sanctionner les auteurs des violences, offrir des réparations adéquates aux femmes, mais aussi prendre toutes les mesures de prévention. Il s'agit de combattre les comportements sexistes dès les cursus scolaires, d'organiser régulièrement des campagnes d'information et de former les agents publics dans une optique égalitaire.

La volonté publique existe mais les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions.

Utilisant un ton inhabituellement grinçant, avec une accroche au deuxième degré, la campagne d'octobre 2008 voulait susciter un déclic auprès des femmes, de leur entourage et des auteurs de violences.

Le label « campagne d'intérêt général » attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes va dans le bon sens, puisque les associations pourront travailler ensemble autour d'une communication relayée par les médias.

La plate-forme téléphonique 39.19 d'aide aux victimes est une bonne initiative, les 7 000 appels par mois montrant qu'elle répond à une vraie demande.

Pourtant, les violences subies par les femmes ne régressent pas. D'après l'Insee, sur cinq femmes victimes de violences physiques au sein de sa famille, une n'a ni déposé plainte, ni parlé à un professionnel ; après des violences sexuelles, une victime sur trois reste murée dans son silence. Selon cette enquête, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans disent avoir subi des injures sexistes, 2,5 % déclarent avoir été agressées physiquement et 1,5 % avoir subi un viol ou une tentative de viol en 2005 ou 2006. Il reste beaucoup à faire !

Notre arsenal législatif est un premier pas vers l'éradication de ces violences, à condition que les lois soient appliquées, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Mais il faut aussi accompagner l'évolution des mentalités, bien plus lente mais qui fera la différence. Les maîtres mots sont : prévention, sensibilisation et formation. Mme Morin-Desailly abordera notamment la sensibilisation des plus jeunes au respect du corps, à la sexualité, à la prévention des comportements sexistes. (Applaudissements)

Mme Odette Terrade.  - Les violences dont les femmes sont victimes ne peuvent que nous alerter sur une société qui reste fondée sur la domination masculine. Ces violences constituent la plus répandue des violations des droits humains. Sachant qu'une femme sur dix est victime de violences dans son couple, on voit bien que ce phénomène est inscrit dans une société fondée sur le patriarcat, les comportements individuels s'insèrent dans des rapports sociaux assis sur la domination masculine.

Malgré des conquêtes fondamentales, les inégalités entre femmes et hommes perdurent. Elles constituent le terreau des violences envers les femmes. Ainsi, l'Observatoire des inégalités a révélé le 4 février que l'écart de rémunération entre hommes et femmes atteignait en moyenne 33 %. La différence s'explique principalement par le travail à temps partiel subi, qui touche particulièrement les femmes. Plus on s'élève dans la hiérarchie des salaires, plus l'inégalité est marquée, puisque l'écart va de 6 % chez les employés à 30 % chez les cadres supérieurs.

Les violences faites aux femmes sont trop souvent niées, alors que leur ampleur et leur gravité doivent nous alerter. D'après l'Observatoire national de la délinquance, 47 573 faits de violence à l'égard des femmes ont été enregistrés en 2007 par la gendarmerie ou la police, contre 36 231 en 2004. Ces chiffres sous-estiment la réalité puisque, selon le rapport publié en février par l'Observatoire de la parité, seulement 12 % des violences conduisent à un dépôt de plainte. D'après l'Insee, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans ont été victimes d'injures sexistes en 2005 et 2,5 % d'entre elles auraient été victimes d'une agression physique. A ce triste tableau s'ajoutent les 130 000 viols dénoncés par l'Observatoire national de la délinquance et les 166 assassinats de femmes commis en 2007 par leurs partenaires ou ex-partenaires.

Il est donc urgent de mieux protéger les femmes en les encourageant à déposer des plaintes et en accompagnant leurs démarches. Le phénomène est connu, mais encore sous-évalué.

La législation actuelle est-elle suffisante ? Les sénateurs CRC-SPG estiment que la loi du 4 avril 2006, qui résultait de deux propositions de loi dont l'une émanait de notre groupe, a constitué une étape importante mais qu'il faut aller plus loin en proposant d'instituer une ordonnance protégeant les femmes victimes de violence. Cette suggestion est conforme aux conclusions de la mission d'évaluation du plan global 2005-2007. Après avoir analysé les assassinats de femmes, le remarquable Observatoire départemental des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis a repris cette proposition.

Pour combattre efficacement ces violences, il propose quatre axes complémentaires à ceux que j'ai déjà mentionnés. Pour informer et sensibiliser la population sur les mécanismes de la violence masculine, je propose qu'une grande campagne soit organisée sur ce thème. Il faut également former tous les professionnels pour leur permettre de mieux aider les femmes victimes de violences.

En accord avec l'Observatoire de la parité, nous demandons que la législation évolue pour intégrer le volet préventif et éducatif qui lui fait cruellement défaut. Il importe de prendre en compte le fait que les enfants sont aussi victimes des violences dans le couple.

Il ne peut y avoir de lutte efficace sans utilisation de tous les leviers : l'éducation, l'apprentissage à la mixité, les sanctions, la lutte contre les inégalités salariales et contre l'image négative des femmes. Je regrette à ce propos que la majorité UMP ait utilisé la transposition d'une directive européenne contre les discriminations pour laisser perdurer dans la publicité l'usage de stéréotypes dégradants pour les femmes. Nous proposons d'introduire dans le code de la consommation une nouvelle catégorie de publicités illicites : celle présentant les femmes de manière attentatoire à leur dignité. Le corps féminin n'est pas un support publicitaire !

Je regrette en outre que la majorité ait accepté, sous un prétexte fallacieux, de revenir sur le principe républicain de mixité à l'école. Nous proposons que la prévention de ces violences soit une véritable mission de l'Éducation nationale.

Le Gouvernement veut ériger la lutte contre les violences faites aux femmes en grande cause nationale. C'est une bonne chose, à condition d'être concret.

La législation doit évoluer. Les chercheurs l'affirment, les associations le demandent. Il faut donc intégrer à la loi un volet préventif, comme nous avons voulu le faire en 2006 sous la forme d'amendements et conformément à la proposition de loi que nous avons déposée en 2007 à l'Assemblée nationale et au Sénat. Les 115 articles de ce texte couvrent tous les aspects de la réponse nécessaire. A l'occasion de la dernière journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre 2008, les associations ont apporté à l'Assemblée nationale plus de 16 000 pétitions demandant l'adoption urgente d'une loi-cadre.

Une mission d'information a même été créée à l'Assemblée nationale. Cette proposition, à l'image de ce qui a été fait en Espagne, est à la disposition du Gouvernement. Pourquoi ne pas appliquer dans ce domaine la clause européenne la plus favorable ?

Tout d'abord, nous souhaitons modifier les dispositions pénales pour que les femmes victimes de violences conjugales n'encourent plus le risque de poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse. Ensuite, nous proposons d'aider les femmes victimes de violences au sein du couple qui souhaitent quitter le domicile commun : elles sont prioritaires pour l'attribution de logements sociaux. Nous pourrions leur accorder dans le mois une aide d'urgence équivalant à six mois de salaire. Enfin, nous proposons de modifier la notion de violence dans le code pénal afin d'y intégrer le harcèlement moral et sexuel.

Le champ d'intervention est vaste, c'est pourquoi je dénonce les risques qui pèsent sur le Service des droits des femmes et de l'égalité, menacé par la RGGP. Sa fermeture serait dans ce contexte un très mauvais signal, et je vous demande de revenir sur ce projet résultant de la seule analyse comptable. Dans le même état d'esprit, nous considérons qu'il est temps, comme le recommande le Conseil économique, social et environnemental, de créer un ministère aux droits des femmes. La lutte contre les violences faites aux femmes exige une forte volonté politique, assortie de moyens humains et financiers, que le Gouvernement n'est pas disposé à débloquer. Dès lors, il y a fort à craindre que cette grande cause nationale ne soit qu'un effet d'annonce. Dans ce contexte de crise, le Gouvernement semble faire d'autres choix.

Les violences faites aux femmes coûtent pourtant cher à la société : un milliard d'euros selon le Service des droits des femmes. Je propose d'inscrire la même somme pour lutter contre ce fléau.

Mme Michèle André, présidente de la Délégation, auteur de la question.  - Et on n'invoquerait pas l'article 40 ! (Sourires)

Mme Odette Terrade.  - Or face à l'explosion des besoins, le Gouvernement tarit les ressources. J'en veux pour preuve la situation dramatique de l'accueil d'urgence, qui permet aux femmes de se soustraire aux compagnons violents : il se trouve dans une situation de quasi-indigence en raison de la politique budgétaire. Cette compétence nationale est trop souvent assumée par les départements, mais cet échelon territorial est aujourd'hui menacé. Si l'État ne prend pas toutes ses responsabilités, qu'adviendra-t-il de ces centres ?

Enfin, je rends hommage aux associations nationales, départementales, locales, qui interviennent quotidiennement en faveur des femmes victimes aux côtés des professionnels de terrain et qui manquent cruellement de moyens. Il faut renforcer l'aide financière à ces associations, soutenir le service public de proximité. Le chantier est immense, mais en faisant reculer les violences faites aux femmes, nous ferons avancer toute la société. Pour qu'enfin, s'agissant des femmes décédées sous les coups de leur conjoint, nous puissions faire nôtre le slogan de la Marche mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté, et dire : No more; Ni una mas, « Pas une de plus » ! (Applaudissements à gauche)

Mme Raymonde Le Texier.  - Une femme meurt en France tous les trois jours du fait de violences. Sur ce sujet, je partage les interrogations, les analyses, les réquisitoires que viennent d'exposer Michèle André et Roland Courteau. Je souhaite élargir notre approche aux violences sociales. L'accroissement des inégalités entre hommes et femmes n'est pas un symptôme mineur, il traduit un renforcement des pressions et des contraintes qui pèsent sur les femmes. En tant que parlementaires, nous devons nous mobiliser pour inverser la tendance.

Les chiffres, les faits divers, les témoignages ne manquent pas, mais notre société semble ne pas avoir encore pris conscience de l'importance de ce combat. La violence sociale subie par les femmes est pourtant sensible dans tous les domaines. Dans le monde du travail, 82 % des actifs à temps partiels sont des femmes et elles occupent 78 % des emplois non qualifiés. Or moins les emplois sont qualifiés, moins le temps partiel est choisi... Loin de se résorber, ces inégalités s'aggravent depuis les années 1990 : la part des femmes dans les salaires les moins élevés et occupant des emplois à temps partiel est de 10 points supérieure à ce qui était constaté à l'époque. Il serait bon d'y penser chaque fois que vous légiférez pour durcir les conditions de travail et développer le recours aux emplois précaires, ce qui fut le cas ces dernières années !

Le cumul de telles inégalités représente une véritable violence faite aux femmes. Ainsi, les « familles monoparentales » sont constituées neuf fois sur dix de femmes élevant seules leurs enfants. Certaines connaissent de grandes difficultés : solitude familiale, rupture affective, isolement social, horaires inadaptés, travail précaire et fins de mois impossibles. Ces situations n'émergent souvent qu'à travers des événements dramatiques dont le plus souvent l'enfant est la victime. Leur vie est un véritable combat pour survivre en même temps qu'un rappel cuisant de notre incapacité à réduire la violence sociale.

Il est pourtant possible de combattre cet isolement en détectant les situations de détresse au moment de l'accouchement ou du suivi de grossesse, puis en les entourant d'un réseau de professionnels. Lorsque j'ai débuté ma carrière professionnelle dans les années 1960, le suivi des jeunes mères à domicile a été ma première mission. Il serait pertinent de remettre à l'ordre du jour ce mode d'intervention.

La violence sociale s'exerce également dans les quartiers sensibles. Les droits de femmes sont récents et ils ne cessent pourtant d'être insidieusement remis en cause. Au travers des faits divers et leur cortège de drames, ce sont les tensions de notre société qui nous sont restituées : crime d'honneur, viol collectif, mariage forcé... Ces exemples extrêmes dévoilent la violence quotidienne que subissent les femmes dans ces banlieues, ainsi que la résurgence d'un discours obscurantiste. Le poids du sexisme, de la religion et de la tradition s'abat sur des femmes de plus en plus nombreuses. Dans ce cadre, toute tentative d'émancipation est vécue comme une trahison envers la famille, la culture d'origine, l'identité sociale. Il est alors souvent impossible de s'affirmer en tant qu'individu : ne reste plus qu'à intérioriser la norme.

Peu de responsables politiques dénoncent cette situation. Le travail d'une association comme « Ni putes, ni soumises » a révélé le problème, mais la situation des femmes de ces quartiers n'a guère évolué, si ce n'est dans le mauvais sens. Dans son livre : Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui, Didier Lapeyronnie dresse un tableau très sombre de la situation. Il décrit un univers où le racisme est fortement lié au sexisme, où le contrôle des femmes est devenu un des principes central d'organisation de la vie du quartier. Cette étude démontre que, lorsqu'une population est placée dans une situation de pauvreté à laquelle s'ajoute la relégation, elle se replie sur des définitions très traditionnelles des rôles sociaux et sur une morale rigide et souvent bigote.

Ce constat révèle l'explosion des inégalités sociales en France et les échecs constatés en matière d'intégration. Ce n'est pas un cas d'école, mais il est largement absent du discours politique. Cet abandon est d'autant moins acceptable qu'il repose sur la crainte de vexer des communautés qu'on préfère mobiliser par leurs votes plutôt que par le respect de nos valeurs. Il est d'autant moins justifié qu'en abandonnant ces femmes à leur sort, on abandonne ces territoires à leur misère éducative et sociale.

Le refus de faire de la loi SRU un véritable instrument de lutte pour la mixité sociale a de terribles conséquences, tandis que l'abandon de la parole politique et du discours laïc a indiqué à tous les intégrismes que ceux qui devraient porter les valeurs de notre société ont déserté le combat.

Il est dommage enfin qu'il n'y ait pas en France, contrairement à ce qui se fait en Europe du nord, de travail sur les politiques de genre.

Analyser les violences faites aux femmes sous cet angle est rare. Faire évoluer les mentalités, agir concrètement pour changer la donne sont pourtant des missions du politique. II ne s'agit pas d'un enjeu pour les femmes seulement, mais pour la société entière.

Vous me direz peut-être que je suis hors sujet ; j'en prendrai alors acte. Les violences faites aux femmes méritent notre attention à tous. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Depuis l'époque où Valéry Giscard d'Estaing nommait Françoise Giroud première secrétaire d'État à la condition féminine, les politiques menées afin de défendre les droits des femmes et promouvoir l'égalité entre hommes et femmes se sont développées. La question des violences subies par les femmes n'avait pas alors l'acuité qu'elle a aujourd'hui. Sans doute ces violences étaient-elles davantage cachées, taboues. L'ampleur du phénomène, qui n'est ni de l'ordre du fait divers ni une fatalité, est maintenant prise en compte par les pouvoirs publics. Je me réjouis que cette cause ait reçu le label « Campagne d'intérêt général » pour l'année 2009. Nous savons en outre le rôle fondamental que jouent les associations sur le terrain.

De nombreuses dispositions ont été adoptées depuis quelques années. Un premier plan global a été mis en oeuvre puis évalué en juillet 2008, ce qui a permis d'améliorer le deuxième, lancé à l'automne dernier, accompagné d'une campagne de communication rénovée et percutante. Je me félicite que le rapport prévu par l'article 13 de la loi du 4 avril 2006 soit disponible ; nous pouvons désormais, dans le cadre du renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, évaluer l'application de ce texte et voir comment l'améliorer.

Au coeur de la politique de lutte contre les violences subies par les femmes, il y a la nécessité de développer et de privilégier la seule approche efficace, qui est transversale et articule toutes les thématiques : prévention, éducation, information et sensibilisation, répression et suivi des auteurs, accompagnement et réinsertion des victimes. Il me revient du milieu associatif que la prise en charge et le suivi des hommes violents étaient insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Si une femme sur dix est violentée, combien d'hommes sont alors violents... Cela implique aussi une coordination de tous les intervenants, gendarmerie, police, hôpital, justice, travailleurs sociaux, éducation nationale. Le deuxième plan va dans ce sens, dont la démarche est interministérielle. Nous savons cependant que le volet social et le suivi des victimes est encore insuffisant. Or ces femmes doivent pouvoir être sûres qu'elles auront les moyens d'être autonomes et libres pour trouver la force de dire « stop, ça suffit ! ».

La démarche transversale que vous avez initiée, madame la ministre, mériterait d'être développée dans les territoires : les élus locaux doivent la mettre en oeuvre à leur échelle.

Si un corpus juridique est nécessaire, il restera lettre morte sans moyens ni structures pour le faire vivre. Et il faut faire vite. Nous avons tous en tête ce chiffre effrayant : une femme meurt tous les trois jours des suites de violences ; et les violences contre les femmes progressent plus que l'ensemble des violences commises contre les personnes. Le rapport d'évaluation du premier plan a relevé un manque de structures et de moyens. Notre cadre législatif est assez complet et le rapport ne préconise pas l'adoption d'une loi-cadre, comme il en existe en Espagne : quel est votre sentiment sur ce point ?

Développer les structures, se donner les moyens, changer les comportements, aider les victimes : autant d'impératifs. En un mot agir. Je sais que vous en êtes d'accord. Pour changer les comportements des hommes, pour faire comprendre aux femmes que la violence, physique ou psychologique, n'est ni normale ni acceptable, je crois à l'éducation et à la sensibilisation dès le plus jeune âge. Or elles sont aujourd'hui davantage à destination des filles, ce qui les place toujours en situation de victimes et coupables (M. Alain Gournac approuve) Un effort particulier doit être fait à destination des garçons. Ne pourrait-on concevoir pour eux un livre similaire à celui que recevront toutes les jeunes filles de 18 ans lors des journées d'appel de préparation à la défense ? N'oublions pas les petites filles victimes de viol commis au sein de leur famille et qui portent ce poids toute leur vie. Les stéréotypes sont intériorisés très tôt parce que largement diffusés, de façon consciente ou non. Les équipes éducatives doivent faire comprendre aux enfants que filles et garçons sont égaux. Mais il faut aussi agir en direction des médias. J'ai évoqué ce sujet lorsque j'ai rapporté le projet de loi sur l'audiovisuel public ; j'espère qu'avec son nouveau cahier des charges, le service public de l'audiovisuel, qui doit être exemplaire, y sera attentif.

Plus inquiétant encore est ce qui se passe sur internet, où les jeunes sont confrontés à des représentations dégradantes, déconnectées de la réalité qu'ils considèrent pourtant comme vraies. Comment peuvent-ils ensuite respecter les femmes ? L'accompagnement des jeunes dans le monde numérique doit être sérieusement envisagé ; la commission des affaires culturelles y réfléchit. Pourquoi ne pas imaginer une sorte de CSA de l'internet, qui veillerait au bon usage de la toile et au respect de la dignité humaine ?

Mme Reiser, dans le rapport sur l'image des femmes dans les médias qu'elle vous a remis en septembre dernier, évoque « d'invisibles barrières bloquantes pour les femmes et les jeunes filles françaises qui ont un rôle à jouer dans la société ». Je connais votre implication sur ces questions : quelles suites entendez-vous donner à ce rapport ?

Il est encore indispensable de célébrer des journées comme le 8 mars, Journée internationale des femmes, ou du 25 novembre, contre les violences faites aux femmes, pour alerter l'opinion publique ; mais nous rêvons tous du jour où ces célébrations seront devenues inutiles, parce que les droits et le respect des femmes seront acquis partout dans le monde. En attendant, j'ai une pensée pour cette petite fille brésilienne violée par son père et dont la mère a été excommuniée après l'avortement de sa fille. Ces souffrances auraient pu être évitées.

La France, pays des droits de l'Homme avec sa majuscule, a un rôle à remplir pour faire avancer la cause sans frontière des femmes ; elle doit jouer de son influence dans toutes les instances internationales. (Applaudissements)

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - Je me réjouis que le Sénat ait mis cette question à son ordre du jour dès sa première semaine de contrôle. Voilà qui montre combien il est attentif aux questions de société et combien l'image que certains veulent donner de lui, alors que les femmes y sont en proportion plus nombreuses qu'à l'Assemblée nationale, est contraire à la réalité. (On approuve sur divers bancs) Les clichés, dans tous les domaines, ont la vie dure...

La violence faite aux femmes est inacceptable. Nous ne devons tolérer aucune atteinte à l'intégrité physique ou psychologique des femmes. Cette violence au quotidien touche toutes les catégories sociales et tous les âges, elle est la plus grande violation des droits fondamentaux des femmes et un obstacle permanent à la réalisation de l'égalité. Les femmes sont en réalité plus en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail. Le progrès social n'a pas réglé la question.

Mmes Kammermann, Dini, Terrade, Le Texier ont rappelé des chiffres terribles : une femme sur dix est victime de violences au sein de son couple ; 166 sont décédées sous les coups de leur conjoint en 2007, soit une tous les deux jours et demi ; 47 500 plaintes pour violences volontaires ont été déposées, soit une augmentation de 30 %, ce qui signifie que les femmes osent dénoncer plus qu'avant -mais 400 000 déclarent avoir été victimes de violences. Selon le dernier rapport de la Délégation aux victimes, le nombre de faits de violences au sein du couple a augmenté de 14 % en 2007. Mme Kammermann s'est demandée si ces chiffres reflétaient la réalité. L'Insee conduit en partenariat avec l'Observatoire national de la délinquance une enquête annuelle de victimisation pour compléter les statistiques de la police et de la gendarmerie.

Environ 2 % des femmes de 18 à 60 ans déclarent avoir subi des violences au sein de leur couple.

Après la Réunion et avant la Guadeloupe, une enquête est en cours en Martinique car nous manquons d'éléments précis concernant l'outre-mer.

Il n'est nullement question de fermer le service des droits des femmes et de l'égalité, qui est essentiel à la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement. Un délégué interministériel, auquel sera rattaché ce service, produira un document de politique transversale.

Je sais que ce combat vous tient à coeur, madame la présidente André. En 1989, au sein du gouvernement Rocard, vous aviez mis en place dans chaque département des commissions d'action contre les violences afin que tous les partenaires travaillent ensemble. Depuis, les gouvernements successifs ont progressé, mais le phénomène perdure.

La participation de la France à la conférence de Durban II est conditionnée à une décision européenne qui sera prise au vu du texte préparatoire. Il faut être vigilant car l'actualité nous rappelle que les intégrismes mènent au sexisme et à l'intolérance.

S'agissant du renouvellement du titre de séjour des femmes victimes de violence conjugale, M. Hortefeux avait répondu à une question écrite que les préfets avaient pour instruction d'appliquer rigoureusement les règles les plus protectrices. Je demanderai à M. Besson de renouveler ces instructions.

Le rapport prévu à l'article 13 de la loi du 4 avril 2006 a été déposé sur le bureau des assemblées le 16 mars. Au risque de prendre du retard, nous voulions y intégrer des mesures récentes et disposer de données précises. Nous nous sommes appuyés sur le rapport d'évaluation du premier plan triennal global 2005-2007 réalisé, à ma demande, par les inspections des affaires sociales, des services judiciaires, de l'administration et de la police nationale.

En outre, un groupe interministériel copiloté par la justice et les droits des femmes a été constitué le 2 juillet dernier afin de faire évoluer le cadre juridique, notamment sur la reconnaissance des violences psychologiques et sur l'articulation entre les procédures pénales et civiles. Nous ferons des propositions concrètes, y compris sur les violences au travail et l'égalité professionnelle. La mission de l'Igas, qui rendra ses conclusions fin juin, servira de base à la concertation avec les partenaires sociaux.

Le rapport dresse le bilan des actions menées en 2006 et 2007, mais aussi celui de la première année de mise en oeuvre du plan 2008-2010. Avec le document de politique transversale prévu dans la dernière loi de finances, nous disposerons d'un état des lieux précis des actions engagées, dont nous pourrons évaluer précisément l'efficacité. Le prochain rapport sera remis en 2010.

La lutte contre les violences faites aux femmes présente un caractère transversal et interministériel, qui mobilise le Gouvernement tout entier. Le rapport présente les avancées réalisées avec le Gouvernement et les collectivités territoriales.

La commission nationale contre les violences faites aux femmes, composée de représentants de l'État, des associations et de personnalités qualifiées, est une instance essentielle de concertation et d'animation du réseau des conseils départementaux. Elle recense les bonnes pratiques, fait des recommandations législatives et réglementaires, peut commander des études et remplit une mission de veille.

La mobilisation des associations sur le terrain est remarquable et nécessaire : elles doivent être soutenues.

M. Roland Courteau.  - Il ne faut pas les désespérer !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Elles sont irremplaçables. Le Gouvernement maintient son effort financier en faveur du planning familial, qui plus est dans le cadre d'une convention triennale, ce qui devrait rassurer le réseau associatif.

Nous nous appuyons sur le réseau des centres d'information sur les droits des femmes et des familles, chargés par l'État d'assurer l'accès des femmes à l'information sur leurs droits. Parmi leurs activités, la lutte contre les violences sexistes est essentielle. Leurs ressources globales s'élèvent à plus de 30 millions, dont 34 % proviennent de l'État. Je m'engage à maintenir ce niveau de financement. Certains centres n'ont pas encore reçu les premiers acomptes, car des conventions triennales sont en cours de signature. Nous envisageons de généraliser cette contractualisation afin d'éviter les retards.

La complémentarité des partenariats institutionnels est essentielle. Les parquets nouent de nombreuses relations avec les associations ; les travailleurs sociaux sont de plus en plus sollicités par le monde judiciaire, la police ou la gendarmerie ; les services déconcentrés et les collectivités territoriales travaillent en partenariat et de nombreuses actions de sensibilisation et de formation sont organisées à l'échelon local. Ces multi-partenariats permettent à l'État de mener de façon pragmatique une politique volontariste de lutte contre les violences adaptée aux besoins.

La prise en charge globale des personnes concernées s'améliore, même si M. Courteau regrette que les avancées se fassent à petits pas. De nouvelles mesures ont été mises en oeuvre depuis 2006. Ainsi, le 39.19, numéro d'appel unique, reçoit plus de 7 000 appels par mois. Il dispense une écoute professionnelle, anonyme et personnalisée et, le cas échéant, une orientation adaptée. J'ai renforcé les moyens financiers de cette plate-forme d'écoute par un redéploiement des crédits d'intervention.

Nous mettons progressivement en place un réseau de référents locaux sur tout le territoire. Interlocuteurs uniques de proximité, ils pourront apporter une réponse globale aux femmes et les orienter vers les structures adaptées. Douze référents ont été recrutés et sont financés par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance. Une vingtaine de départements projettent de les mettre en place prochainement. Leur rôle sera déterminant pour simplifier les démarches auxquelles sont confrontées les femmes victimes de violence et assurer le suivi individualisé de leur parcours.

Notre objectif est de mailler le territoire. Le Premier ministre a réclamé que leur déploiement soit accéléré et que d'ici la fin du premier semestre 2009, chaque département soit doté d'un tel référent local. Le dispositif n'a pas pour objectif de se substituer aux acteurs existants mais de les coordonner et de faciliter les démarches de la victime.

L'autonomie des femmes victimes passe par une solution en matière d'hébergement et de logement. De nombreuses mesures ont été prises mais il nous faut encore progresser. Pour diversifier les réponses offertes, j'ai lancé une expérimentation sur les familles d'accueil. Nous avons saisi les présidents de conseils généraux qui se sont fortement mobilisés et, aujourd'hui, plus de 70 familles ont été repérées pour accueillir les femmes victimes avec ou sans enfants. Elles sont réparties sur une vingtaine de départements. Notre objectif est d'arriver à 100 familles d'accueil d'ici 2010.

La proportion de femmes accueillies en CHRS est désormais importante : 33 %. Ces centres abritent les femmes victimes de violences ou bien en grande difficulté sociale. Par ailleurs, 40 % des places en CHRS sont en structure « éclatée », en appartement. Nous veillons aussi à ce que les femmes victimes de violences conjugales soient prioritaires dans l'accès au logement. La loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion adoptée en février comporte deux dispositions importantes insérées par voie d'amendements votés à l'unanimité, et, rendant ces femmes prioritaires dans l'accès au logement social.

Dans le domaine de la santé, des efforts sont faits pour améliorer la connaissance du phénomène, faire de la prévention, développer la formation des professionnels de santé et faciliter le repérage des situations de violence. La prévention très en amont, dès le plus jeune âge, est un souci constant du Gouvernement. Nous travaillons avec l'éducation nationale, notamment dans le cadre de la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons et entre les femmes et les hommes dans le système éducatif, qui engage neuf ministères. Prévenir les comportements violents et combattre les stéréotypes font partie des priorités de Mme Philippe, rectrice de Besançon qui préside le comité de pilotage.

Le respect de l'autre ne se décrète pas. Le plan « Espoir-banlieue » comprend une sensibilisation au problème. Dans les quartiers sensibles, seules 25 % des jeunes filles participent aux programmes de mini-vacances, par crainte de la violence des garçons. Il faut encourager les filles à avoir les mêmes loisirs, à suivre les mêmes filières et à choisir les mêmes métiers que les garçons. Il faut bien sûr mener des actions contre les mutilations sexuelles et les mariages forcés.

Parallèlement, l'arsenal législatif et juridique depuis 2006 est plus répressif et protecteur. Les victimes sont encouragées à porter plainte et le taux de réponse pénale à l'encontre des auteurs de violences conjugales a augmenté passant de 69 % en 2003 à 84 %. De très nombreux parquets se sont engagés dans des conventions ou protocoles visant la prévention de la récidive grâce à une prise en charge sociale, médicale et psychologique. De même, l'éviction du conjoint violent, mesure phare de la loi de 2006, se révèle pertinente, permettant d'inverser le rapport de force qui se créée lors du processus de violence et de limiter les violences indirectes dont sont victimes les enfants. Sachez, madame André, que nous travaillons avec le ministère de la justice sur ce dossier.

Les acteurs prennent de plus en plus conscience de l'importance de se coordonner. Le rôle des « référents » est essentiel. D'autres interlocuteurs référents ont été mis en place dans les domaines de la santé, de la justice et du logement. Il faut mieux les identifier et clarifier leurs missions en fonction de leurs compétences.

La tension dans les zones très urbanisées freine l'accès au logement social et retarde le retour à l'autonomie des victimes. Les unités médico-judiciaires les accueillent et les informent. Au nombre de 50, elles méritent d'être déployées. De nouveaux schémas ont été élaborés en janvier avec des établissements pivots pour assurer un meilleur maillage. Le manque de places dans les différentes structures de prise en charge thérapeutique réduit l'efficacité de l'éviction du conjoint violent, mesure prononcée dans 9,6 % des affaires de violences conjugales. La concertation des acteurs locaux et la formation des professionnels de santé, de police, de gendarmerie, de justice doivent être renforcées. Mme Bachelot étudie la mise en place de modules de formation adaptés. Mme Alliot-Marie a rappelé sa volonté de former et d'augmenter les personnels de police affectés à l'accueil et au soutien psychologique des femmes victimes. La prise en charge doit être homogène sur tout le territoire.

Vous avez raison, madame Terrade, de citer en exemple le parquet de Bobigny. Nous devons nous inspirer des bonnes pratiques que le rapport de l'Igas et de l'IJS ont utilement recensées, par exemple de la politique pénale conduite par le procureur près le tribunal de grande instance de Bobigny qui a désigné depuis 2005 des référents spécialisés au sein du parquet, avec des résultats visibles : le taux de classement sans suite est passé de 24 % à 15 % et le recours à la médiation pénale a été interdit. Un mémento à l'attention des membres du parquet a été élaboré afin d'harmoniser les réponses pénales et des instructions précises sont données aux services de police pour systématiser les rapports téléphoniques, même en l'absence de plainte. Des marges de progression existent en s'inspirant de ce qui fonctionne bien.

On ne peut éradiquer les violences sans travailler sur l'image des femmes. Le poids des clichés et des stéréotypes continue à peser et à compromettre les progrès. La commission Reiser a rendu ses conclusions et je ne souhaite pas qu'elles restent lettre morte. La mission de cette commission « Image des femmes dans les médias » va être prolongée, afin d'assurer le monitorage de l'image de la femme dans les médias, miroirs de notre société.

Sur le sujet du respect qui lui est connexe, j'ai souhaité m'adresser plus particulièrement aux jeunes filles. Elles vont recevoir lors des Journées d'appel de préparation à la défense un ouvrage intitulé 18 ans, Respect les filles pour les aider à faire respecter leurs droits. Il sera distribué lors des journées d'appel et disponible pour tous sur un site gouvernemental. Nous envisageons semblable démarche en direction des garçons.

La campagne de communication grand public, lancée en octobre, visait trois cibles -la victime, le témoin et l'auteur. Elle se poursuit grâce au site internet gouvernemental sur les violences faites aux femmes avec des témoignages directs pour que le silence se brise. Toutes les formes de violences sont prises en compte. Un spot télévisé sur les violences conjugales sera diffusé avant l'été, des brochures en cours d'élaboration seront destinées en avril-mai aux femmes et jeunes filles victimes ou susceptibles de l'être de mutilations sexuelles ou de mariages forcés. Un label de campagne d'intérêt général a été attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes en 2009 en vue de la préparation de la grande cause nationale 2010.

Une loi-cadre, à l'instar de celle mise en oeuvre en Espagne depuis 2004, est-elle indispensable ? C'est une revendication récurrente de plusieurs mouvements associatifs mais le rapport d'évaluation du premier plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes a conclu qu'une loi-cadre n'aiderait pas à régler les difficultés persistantes. Notre arsenal juridique est complet et particulièrement répressif et, depuis 2004, nous le consolidons régulièrement. Nous réfléchissons actuellement à la répression des violences habituelles et psychologiques.

Notre objectif aujourd'hui est l'application pleine et entière du dispositif, qui recèle plus de marges de progrès que l'édiction d'une nouvelle loi. Le deuxième plan va au-delà de ce que pourrait une loi-cadre.

Il est en revanche primordial, madame Laborde, de rassembler toutes les dispositions législatives et réglementaires existantes dans un code unique, qui les rendra plus lisibles, aidera les femmes à connaître leurs droits et simplifiera leurs démarches.

Au travers de ma trop longue intervention, vous aurez compris que j'entends défendre avec la conviction qui est la vôtre la cause qui nous unit et que nos actions conjointes contribueront à faire progresser. Les années 2009 et 2010 seront riches dans les champs de la lutte contre les violences faites aux femmes et de la poursuite de l'égalité professionnelle. Nous aurons beaucoup à travailler ensemble. Bon courage et à bientôt ! (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Le débat est clos.

Prochaine séance, mardi 24 mars 2009, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 20.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 24 mars 2009

Séance publique

A 15 HEURES ET LE SOIR

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures (n°34, 2008-2009).

Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°209, 2008-2009).

Texte de la commission (n°210, 2008-2009).

Avis de Mme Jacqueline Panis, fait au nom de la commission des affaires économiques (n°225, 2008-2009).

Avis de Mme Françoise Henneron, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°227, 2008-2009).

Avis de M. Bernard Angels, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (n°245, 2008-2009).

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DÉPÔT

La Présidence a reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la proposition de loi de M. Thierry Foucaud, Mme Marie-France Beaufils, M. Bernard Vera, Mme Éliane Assassi, MM. François Autain, Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Claude Danglot, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Guy Fischer, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Josiane Mathon-Poinat, Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade et M. Jean-François Voguet, tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus (n°29, 2008-2009).