Loi pénitentiaire (Urgence - Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi pénitentiaire.
Discussion des articles (Suite)
Article 10 bis
Lors de son admission dans un établissement pénitentiaire, le détenu est informé des dispositions relatives à son régime de détention, à ses droits et obligations et aux recours et requêtes qu'il peut former. Les règles applicables à l'établissement sont également portées à sa connaissance.
M. Alain Anziani. - Il faut rétablir les cinq mots retirés à cet article : cette information doit être donnée au détenu « dans une langue qu'il comprend ». Cette proposition a été frappée de l'article 40, ce qui relève de l'absurde ! Que vaut une information donnée en anglais à un détenu italien ou russe ?
M. Richard Yung. - Cet article est le fruit d'un amendement présenté par la commission des lois et nous voulions le compléter d'une précision sur la langue employée. Cependant, le 4 février, notre rapporteur a supprimé cette précision qui tombe sous le coup de l'article 40 de la Constitution.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Il aurait frappé ! (Sourires)
M. Richard Yung. - C'est très dommageable. Notre initiative s'inspirait de la réflexion de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. De même, le Comité d'orientation restreint de la loi pénitentiaire a recommandé la délivrance d'un livret d'accueil dans une langue que les détenus étrangers peuvent comprendre, tout comme l'avant-projet de loi pour la transmission de certains documents aux étrangers.
On ne peut refuser aux détenus étrangers l'accès à une information compréhensible. Cela empêche notre pays de se conformer à la règle européenne n°30, qui affirme que « chaque détenu doit être informé par écrit et oralement dans une langue qu'il comprend de la réglementation relative à la discipline ». Imaginez la détresse de l'étranger non francophone dans l'univers difficile de la prison : c'est kafkaïen ! Les étrangers sont d'autant plus durement affectés par la détention qu'ils sont en outre exclus de l'accès à la formation, au travail, à la santé...
M. Bernard Frimat. - Ce problème est simple, et peut même faire l'unanimité. Cela ne sera pas le cas si on le traite par l'absurde en avertissant les détenus de leurs droits dans une langue qu'ils ne peuvent comprendre.
Le rapporteur nous dit qu'il accepterait volontiers de rajouter ces cinq mots, n'était le problème de l'article 40. Il n'y a donc pas de désaccord de fond entre nous. Nous ne pouvons plus, hélas ! proposer de sous-amendement -encore une grande avancée de la révision constitutionnelle... Si donc le rapporteur est d'accord pour rétablir son texte dans sa version d'origine, il existe un moyen simple de surmonter le problème de l'irrecevabilité : le ministre dispose de ce pouvoir magique de lever l'irrecevabilité. Mme la garde des sceaux pense-t-elle ou non que les détenus, lors de leur admission, doivent être informés dans une langue qu'ils comprennent ?
J'en profite pour observer, monsieur le président, que nous avons fait la preuve, sur la dignité, que le travail parlementaire permet de faire avancer les choses, et que la navette serait bien utile sur ce texte... N'est-il donc pas temps de convaincre le Gouvernement, non d'aller à Canossa, car il y fait mauvais temps (sourires), mais de lever l'urgence qu'il a décrétée sur ce texte ?
M. Louis Mermaz. - Même dans les centres de rétention administrative, qui ne sont pourtant pas un modèle du genre -je puis le dire pour être l'auteur de deux rapports de la commission des lois de l'Assemblée nationale- les personnes retenues ont droit à une information dans cinq langues étrangères. Et on ne pourrait pas faire la même chose dans les prisons ? J'invite donc le rapporteur et Mme la garde des sceaux à tenir compte de cette observation, faite dans une langue qu'ils comprennent parfaitement...
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Les voies de l'irrecevabilité sont parfois, comme celles du Seigneur, impénétrables... Cela dit, j'ai eu l'occasion, avec le président, de discuter du problème avec la directrice de Loos, qui nous a montré les documents d'information distribués aux détenus, dans l'ensemble des langues parlées dans son établissement. C'est elle-même qui s'était chargée de la traduction en allemand, un autre l'avait faite en turc, et bon nombre des membres du personnel avaient mis la main à la pâte. Peut-être pourrait-on faire confiance à l'administration pénitentiaire ? (Exclamations à gauche)
M. le président. - Sans m'immiscer dans le débat, je me permets d'observer, en ma qualité de plus ancien membre de la commission des finances, que l'on peut s'interroger, quelquefois, sur l'usage qui est parfois fait de l'article 40... Nous pourrions profiter de la Conférence des Présidents pour demander s'il n'y a pas eu, en l'espèce, une erreur d'interprétation, que le bon sens devrait corriger. Il ne s'agit pas, monsieur Frimat, de demander à la ministre de lever un gage, puisque l'irrecevabilité a été prononcée avant l'examen en commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Nous sommes en effet parfois un peu surpris de l'application de l'article 40. Mais, dès lors qu'il s'applique, nous sommes privés de tout moyen. J'ai essayé une fois, en vain, de le faire lever pour l'application de dispositions pénales plus favorables outre-mer. C'est le Gouvernement qui a dû reprendre l'amendement.
Il est évident que l'administration serait condamnée si les détenus n'étaient pas informés de leurs droits et devoirs et des possibilités de recours. Il est vrai, aussi, qu'il faut se garder de prêter la main aux abus : certains, qui pour avoir traversé bien des pays anglophones avant d'arriver en France entendent l'anglais font parfois mine de n'y rien comprendre... La navette devrait nous permettre de régler cette question délicate. (Exclamations à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il n'y aura pas de navette !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais il y aura une CMP, et les députés seront parfaitement au fait de nos débats. Quant à moi, monsieur le président, je ne me permettrais pas de dire que la commission des finances n'a pas une parfaite compréhension de l'article 40 et de lui demander de revenir sur ce qu'elle a jugé...
M. le président. - Je pense que l'erreur est humaine. J'en parlerai au président Arthuis. Nous sommes d'accord sur le fond.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - J'aimerais connaître la position de Mme la ministre. Car il me semble, en faisant état de risques d'abus ou de « trichoteries », que nous avons perdu de vue la question de fond, qui est celle de l'information dispensée aux détenus à leur admission.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - N'oublions pas qu'il y a 20 % d'étrangers en prison, soit un détenu sur cinq. J'aimerais que Mme la ministre nous dise si oui ou non l'information des étrangers doit être assurée dans une langue qui leur est compréhensible, et si la réponse est oui, qu'elle lève l'irrecevabilité, si elle a la possibilité de le faire.
M. le président. - La ministre ne peut lever l'irrecevabilité, puisqu'il n'y a pas de gage. J'évoquerai le problème en Conférence des Présidents.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Elle peut reprendre l'amendement.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je n'y suis pas favorable. Pour assurer le respect des droits fondamentaux des détenus, par exemple dans les instances disciplinaires, l'administration pénitentiaire fait venir, à ses frais, un interprète. Pour l'information générale, il existe des guides dans plusieurs langues. Si l'on inscrit l'obligation d'une information dans une langue compréhensible dans toutes les situations de la vie quotidienne, on ouvre la voie à toutes les dérives. Un détenu pourra bientôt se plaindre quand on lui dira bonjour en français ! Restons pragmatiques, et ne compliquons pas la tâche de l'administration pénitentiaire. Nous savons qu'il existe, dans le contentieux de l'asile, des utilisations abusives de la procédure. J'ajoute, à l'attention de Mme Boumediene-Thiery, que sur les 18 % d'étrangers que comptent nos prisons, 60 % sont francophones.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Je précise, madame la ministre, qu'il ne s'agit que de faire connaître aux détenus, lors de leur admission, leurs droits et obligations et les voies de recours qui leur sont ouvertes. Ce n'est pas là une information qui change tous les jours. Vous nous dites qu'elle existe déjà dans au moins cinq langues. C'est donc que la chose est possible à réaliser sans mobiliser de gros moyens.
Ce système existe même dans les centres de rétention, où la population est bien moins stable.
Monsieur le Président, j'ai défendu fermement le point de vue de la commission des finances, même si je ne suis pas toujours convaincu, selon mon habitude ! (Sourires)
M. Louis Mermaz. - Et non sans humanisme.
M. le président. - Nul doute que les points de vue des deux commissions se rapprocheront pendant la suspension. J'en ai déjà saisi le président Arthuis...