Loi pénitentiaire (Urgence)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi pénitentiaire.
Mise en oeuvre de nouvelles procédures
M. le président. - Ce projet de loi donne lieu à la première application de la nouvelle rédaction de l'article 42 de la Constitution, entrée en vigueur le 1er mars 2009. La discussion portera donc sur le texte de la commission des lois, qui a été mis en ligne, imprimé et distribué sous le numéro 202. Comme vous pouvez le voir, afin de distinguer le texte adopté par la commission du texte du Gouvernement, nous avons provisoirement fait figurer un bandeau distinctif sur le document imprimé.
Comme nous en avons discuté en Conférence des Présidents avec M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, la commission des lois a tout fait pour pouvoir appliquer les nouvelles règles de la Constitution à compter du 1er mars. Nous nous sommes ainsi conformés à la décision du constituant ; pour être prête à temps, la commission des lois a fait oeuvre d'anticipation dans le respect des droits du Gouvernement qui a pu exprimer son point de vue dans le cadre de l'élaboration du rapport.
Ce matin même, Mme la garde des sceaux, que je salue, a été entendue par la commission et a ainsi pu défendre ses amendements et exprimer sa position. A l'issue de cette réunion, la commission des lois a souhaité confirmer par un nouveau vote le texte tel qu'il a été adopté avant le 1er mars.
La délibération sur la base des conclusions de la commission n'est pas la seule innovation qui soit entrée en vigueur depuis dimanche dernier. Il faut y ajouter le partage de l'ordre du jour, le remplacement de l'urgence par la procédure accélérée avec la possibilité de s'y opposer, le respect d'un délai d'examen de six semaines devant la première assemblée saisie et de quatre semaines devant la seconde, les déclarations thématiques du Gouvernement suivies, le cas échéant, d'un vote, ainsi que la reconnaissance de droits spécifiques aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires.
Pour tous ces sujets, comme vous pouvez le constater, nous essayons d'innover et de régler les difficultés au fur et à mesure qu'elles se présentent, et je suis sûr que cette expérimentation enrichira notre réflexion lors de la modification du Règlement, pour laquelle j'ai constitué un groupe de travail pluraliste où chacun peut exprimer ses préoccupations. Ce groupe de travail a déjà adopté une série d'orientations améliorant nos méthodes de travail ; avant même l'adoption définitive du projet de loi organique par les deux assemblées, et au vu de l'application expérimentale à laquelle nous procédons, nous serons amenés à réfléchir sur les conséquences réglementaires du nouveau dispositif constitutionnel.
Le Parlement traverse une phase importante de l'évolution de ses méthodes de travail et par delà les textes, nous devons ensemble trouver les meilleures pratiques possibles pour permettre l'expression de tous et rénover nos procédures. Ainsi, nous serons pleinement présents au rendez-vous de la modernisation des institutions voulue par le constituant.
Quant au nouveau Règlement, il ne devrait pas entrer en vigueur avant la mi-mai.
Rappels au Règlement
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Une nouvelle période s'ouvre pour le Parlement. Or nous avons appris jeudi dernier que le Gouvernement avait déclaré l'urgence sur le projet de loi pénitentiaire. Cette décision est parfaitement injustifiée. En accord avec le groupe socialiste, nous vous avons donc demandé, monsieur le président, de prendre position à ce sujet, comme le prévoit la nouvelle rédaction de la Constitution. J'ai cru comprendre que M. Accoyer, à l'issue de la Conférence des Présidents de ce matin à l'Assemblée nationale, avait fait part de son opposition à la procédure d'urgence. Nous ne pouvons pas entamer la discussion sur ce texte sans que cette question ait été tranchée : je rappelle que les assemblées peuvent désormais s'opposer conjointement à la procédure accélérée.
M. Jean-Pierre Bel. - M. le président a évoqué la réorganisation du travail parlementaire. Or la commission des lois a auditionné Mme la ministre ce matin, alors que la matinée du mardi est désormais dévolue aux travaux des groupes et aux questions orales en séance publique. La commission s'est réunie de nouveau à 14 heures, une heure avant la reprise de la séance. Tout cela nous empêche de travailler dans de bonnes conditions et augure mal de l'avenir.
Il y a plus de dix ans que les acteurs du monde carcéral attendent une réforme pénitentiaire pour remédier à la situation dramatique des prisons françaises. Ce projet de loi a été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet dernier, ce qui nous a laissé le temps de préparer correctement cette discussion. Mais le Gouvernement a déclaré très tardivement l'urgence sur ce texte. C'est regrettable, et les associations qui ont participé aux états généraux de la condition pénitentiaire s'en sont émues. Le Gouvernement empêche ainsi que le débat se déroule dans un climat serein et constructif et prive le Parlement d'une deuxième lecture pourtant nécessaire. Mme Dati avait pourtant annoncé un « grand rendez-vous de la France avec ses prisons »...
Les raisons de cette décision ne sont pas claires, et M. Accoyer ne semble pas les comprendre mieux que nous. Pourquoi légiférer ainsi à la va-vite ? Nous espérons que le Gouvernement nous apportera des éclaircissements. C'est un bien mauvais départ pour une réforme qui devait revaloriser le rôle du Parlement. Des parlementaires de tous bords ont exprimé leur mécontentement. Le Gouvernement montre ainsi comment il souhaite mettre en oeuvre les nouvelles dispositions constitutionnelles : c'est à lui de décider, et au Parlement d'enregistrer...
En vertu du nouvel article 45 de la Constitution, applicable depuis le 1er mars, j'ai demandé hier la réunion de la Conférence des Présidents du Sénat, afin d'obtenir le retrait de la déclaration d'urgence, conformément au souhait de M. Accoyer. Si le président de l'Assemblée nationale est sensible à ce problème, le président du Sénat, institution gardienne des libertés, ne peut pas faire moins. (Applaudissements à gauche)
M. Louis Mermaz. - Le Sénat est un lieu de mémoire. En 2000 déjà, la commission d'enquête présidée par M. Hyest et celle que je présidais à l'Assemblée nationale ont attiré l'attention des pouvoirs publics sur la situation déplorable de nos prisons. Depuis lors, l'accumulation de lois répressives a encore aggravé la situation : le taux d'occupation carcérale est aujourd'hui de 136 % ! Les conditions de travail des surveillants se sont dégradées, et les personnes détenues sont trop souvent réduites à la désespérance, sans que les victimes soient mieux loties...
Ce projet de loi peut être amélioré par les amendements de la commission des lois et des parlementaires. Le Gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à une situation régulièrement dénoncée par les instances européennes et qui constitue pour lui, pour le Parlement et pour les magistrats une véritable humiliation, pour reprendre le terme qui figure dans le titre du rapport de 2000 de MM. Hyest et Cabanel.
Dès 1987, M. Arpaillange, procureur général près la Cour de cassation, s'émouvait du fait que les magistrats soient réduits par l'arsenal législatif et réglementaire à l'état de « bouffons de la République », incapables de rendre une justice sereine et respectueuse de la dignité des hommes. (Applaudissements à gauche)
M. le président. - C'est par une lettre en date du 20 février que M. le Premier ministre m'a fait connaître que le Gouvernement déclarait l'urgence sur ce texte : c'est donc l'ancienne procédure qui s'applique.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - En effet, l'urgence a été déclarée avant le 1er mars, date d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions constitutionnelles.
Ce projet de loi ne pouvait attendre plus longtemps : M. Mermaz a fait référence aux travaux déjà anciens de la commission présidée par M. Hyest, qui concluaient à la nécessité de moderniser notre système pénitentiaire. On doit aussi mentionner les réflexions menées par Mmes Guigou et Lebranchu, qui devaient conduire à l'élaboration d'un projet de loi ; malheureusement pour la gauche, l'alternance est passée par là... (Murmures à gauche)
Il y a urgence, pour améliorer les conditions des détenus et celles de l'administration pénitentiaire. Le projet de loi a été examiné par la commission des lois en décembre ; la procédure d'urgence n'a donc pas pour effet d'escamoter le débat. Il y a urgence pour donner des outils adaptés et modernes.
Je rends hommage à la commission des lois qui a fourni un gros travail.
M. le président. - Nous allons passer à la discussion générale. Je donne la parole à Mme le garde des sceaux. (Exclamations sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Michel. - Le président du Sénat n'a rien à dire ? C'est un scandale !
M. Jean-Pierre Sueur. - Quelle est la position du Sénat ?
Discussion générale
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui... (Exclamations sur les bancs socialistes)
M. le président. - Continuez, madame la ministre, M. Michel va se calmer. (M. Jean-Pierre Michel quitte l'hémicycle)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - ...pose les fondations d'une nouvelle vision, apaisée, de la prison. Ce n'est pas un sujet populaire : la prison inquiète et indigne, elle porte beaucoup d'images caricaturales. Les discours sont tranchés, entre les partisans de la liberté et ceux qui exigent davantage de fermeté. Le projet de loi vous invite à dépasser les clivages pour bâtir une prison où l'enfermement ne s'oppose plus au respect de la dignité, une prison conforme à notre idéal républicain. Parce que nous voulons une démocratie irréprochable, nos prisons doivent être irréprochables.
La philosophie pénale qui a inspiré notre système pénitentiaire date du XVIIIe siècle, avec la théorie des délits et des peines de Cesare Beccaria. La prison est conçue essentiellement comme le lieu où s'exécute une peine privative de liberté ; elle n'a pas d'autre finalité que d'exclure un condamné du reste de la société. Le projet de loi met un terme à cette conception dépassée et propose de concevoir aussi l'incarcération à partir de la personnalité du détenu. Il différencie les régimes de détention, met en oeuvre des droits individuels conformes aux règles européennes ; il favorise les activités de formation et de réinsertion. Dans cette nouvelle conception, la prison devient humaine et tournée vers l'avenir.
Cette humanité n'exclut pas la fermeté à l'encontre de ceux qui ne respectent pas les lois de la République. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai placé la lutte contre l'insécurité et la récidive au coeur de mon action. Les Français réclamaient davantage de sécurité. Avec le soutien du Sénat, le Gouvernement a mis en oeuvre une politique de fermeté à l'égard des délinquants, car la sécurité est le premier des droits de nos concitoyens. La loi contre la récidive, du 10 août 2007, a déjà été appliquée à plus de 20 000 reprises. La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté concerne déjà 114 condamnés. Dans les prochains mois, le Parlement sera saisi du projet de code pénal des mineurs, car il est urgent de réformer l'ordonnance de 1945 et d'adapter notre droit aux évolutions de la délinquance des plus jeunes.
Cette politique de fermeté était attendue par nos compatriotes. Elle a déjà montré son efficacité : la délinquance générale a baissé de 2 % en 2008. Le Gouvernement a souhaité qu'elle s'accompagne d'une politique pénitentiaire juste et exemplaire. Nos prisons n'ont pas toujours été à l'honneur de la France. Je le dis en toute clarté : tout n'est pas parfait en prison et ce n'est pas manquer de respect à l'administration pénitentiaire que de le dire. Chacun sait que la mission du personnel est difficile. La double évasion de Moulins a rappelé les risques liés au métier de surveillant. Je veux, devant votre Assemblée, rendre hommage à tous ceux qui interviennent en détention. Leur engagement exemplaire ne doit pas masquer la réalité de notre situation pénitentiaire : une forte surpopulation carcérale, des établissements vétustes, des actes de violence.
Le Gouvernement a mis en oeuvre, dès mai 2007, une politique énergique. Pour renforcer l'État de droit en prison, nous avons instauré un contrôle indépendant de la détention. Tout le monde le réclamait depuis dix ans. Le président Hyest avait fait d'excellentes propositions. Le Gouvernement a souhaité agir très rapidement en faisant adopter la loi du 30 octobre 2007 qui crée le contrôleur général des lieux de privation de liberté. J'ai voulu que ce contrôleur ait des compétences larges : plus de 6 000 lieux relèvent de son contrôle. Nous avons voulu une mise en place rapide de cette autorité indépendante : M. Jean-Marie Delarue a été nommé le 13 juin 2008, après avis des deux commissions des lois.
Pour lutter contre la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de détention, nous avons construit de nouvelles places de prison, en application de la loi du 9 septembre 2002. Tous nos engagements ont été tenus : en 2008, nous avons ouvert 2 800 places ; en 2009, nous en ouvrons 5 130. L'objectif est de disposer de 63 000 places en 2012. Nous y parviendrons.
Pour lutter contre la récidive, nous avons développé les aménagements de peine. Depuis mai 2007, les résultats obtenus sont très encourageants puisque les aménagements de peine ont progressé de 34 %.
Pour que les détenus soient mieux suivis, 3 800 personnes travaillent dans les services d'insertion et de probation ; en 2002, leur nombre n'était que de 1 800. Nous avons développé le recours au bracelet électronique et 3 730 condamnés sont placés sous surveillance électronique, soit une progression de 40 % en un an. Fin 2009, 5 000 bracelets seront disponibles.
Pour améliorer la prévention du suicide en détention, j'ai demandé à un groupe d'experts, au mois de novembre dernier, de dresser un bilan des actions déjà engagées et de me proposer des mesures nouvelles. Elles sont en cours d'examen par mes services et donneront lieu à un nouveau plan d'action, en collaboration avec le ministère de la santé.
Enfin, pour que l'administration pénitentiaire exerce pleinement ses missions, le Gouvernement lui a accordé de nouveaux moyens. En 2009, le budget de cette direction progresse de 4,1 % et 1 264 postes sont créés. Cet effort budgétaire s'accompagne d'une revalorisation statutaire.
Vous voyez que le Gouvernement n'est pas resté inactif pour améliorer les conditions de détention. II faut maintenant engager une action de long terme. La dernière loi pénitentiaire remonte à 1987. Nous la devons à l'action visionnaire d'Albin Chalandon. Durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a souhaité que notre pays se dote d'une loi fondatrice pour les prisons. C'est la mission qui m'a été confiée. Le projet de loi pénitentiaire a été élaboré dans un esprit de concertation. Un comité d'orientation restreint, composé de représentants du monde judiciaire et de la société civile, a été mis en place dès le 11 juillet 2007. Les organisations syndicales et les associations professionnelles ont été associées à ses travaux. Ses propositions ont été largement reprises par le Gouvernement. Le projet de loi a également été examiné par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, saisie par le Gouvernement.
Le texte qui vous est soumis aujourd'hui a largement évolué depuis son adoption en conseil des ministres. Pour la première fois, le texte discuté est celui qu'a amendé votre commission des lois. Je salue à cette occasion le travail de fond accompli par M. Lecerf. Cette procédure enrichit le débat parlementaire. Je m'en réjouis pour notre démocratie, comme de la richesse de nos échanges avec la commission des lois, dont l'immense majorité des amendements a été acceptée par le Gouvernement. Dans cette nouvelle pratique parlementaire, il m'appartient de vous présenter les grandes ambitions du projet gouvernemental et de vous rappeler les points auxquels le Gouvernement est particulièrement attaché.
La loi pénitentiaire n'a pas pour finalité de désengorger les prisons mais de mieux prendre en charge les détenus, pour mieux préparer la réinsertion et prévenir la récidive. Elle répond à l'intérêt de la société tout entière.
Il s'agit d'abord de clarifier les missions du service public pénitentiaire La réinsertion des détenus et la lutte contre la récidive deviennent des missions prioritaires au côté de la sécurité publique. Le projet de loi précise que la mission de réinsertion s'effectue en liaison avec les autres services de l'État. C'est une nouveauté. Votre rapporteur a souligné l'action positive des délégués du Médiateur auprès des détenus. De fait, l'action de celui-ci contribue à l'apaisement des détentions.
Le personnel doit être mieux reconnu. Ses conditions d'exercice ont profondément évolué ces dernières années. Son métier est difficile, son dévouement exemplaire. Pour renforcer son autorité et définir son champ d'action, le projet de loi crée un code de déontologie, un serment et une réserve pénitentiaire destinée à des retraités de l'administration pénitentiaire : par leur expérience et leur savoir-faire, ces agents contribuent au renforcement de la sécurité des palais de justice et des bâtiments relevant du ministère de la justice.
Les droits des détenus doivent être garantis. Le projet de loi pose en principe que l'état de droit ne s'arrête pas aux portes des prisons. Son exercice ne peut être restreint que dans la seule limite imposée par la sécurité ou le maintien de l'ordre au sein des établissements pénitentiaires. Les droits dont l'exercice en détention exige de déroger aux règles législatives de droit commun sont énumérés : domiciliation à l'établissement pénitentiaire, maintien des liens familiaux, droit au travail ou à l'insertion. Ces droits fondamentaux seront mis en oeuvre ; ils ont toute leur place dans un texte de niveau législatif ; un décret déclinera ce principe de portée générale pour les autres droits.
Les régimes de détention doivent être clarifiés. Il existe le principe constitutionnel de l'individualisation de la peine ; le projet de loi pose le principe législatif de l'individualisation de l'exécution de la peine. Il s'agit d'individualiser les régimes de détention et de mieux encadrer les pouvoirs de l'administration pénitentiaire en matière de discipline et de fouille. Cette individualisation se fera en fonction de la personnalité du détenu, de sa dangerosité et de ses efforts de réinsertion. Un bilan de personnalité sera réalisé lors du passage dans le quartier arrivant.
Prévenir la récidive avec les aménagements de peines est, pour nous, l'enjeu essentiel de ce texte. La prison est nécessaire mais comme ultime recours. Une peine d'emprisonnement doit pouvoir être exécutée en dehors de la prison. Le nombre de condamnés qui pourront prétendre à un aménagement de peines sera élargi ; les détenus en fin de peine pourront être placés sous bracelet électronique. On limitera le recours à la détention provisoire grâce à l'assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique.
De nombreux amendements ont été adoptés en commission. Certains améliorent considérablement le texte d'origine, comme l'instauration d'une obligation d'activité pour les détenus ou la prise en compte de la confidentialité de leurs documents personnels. La participation à la commission de discipline d'un membre extérieur à l'administration pénitentiaire symbolise l'entrée de la société civile dans le monde pénitentiaire.
Sur d'autres points, le Gouvernement entend faire valoir sa position et vous proposera des amendements. Je pense en particulier au difficile problème de l'encellulement individuel. La commission des lois a souhaité affirmer son obligation pour les prévenus et les condamnés. Depuis mai 2007, le Gouvernement a tout mis en oeuvre pour améliorer les conditions de détention : nous avons créé de nouvelles places, rénové les établissements vétustes, créé des emplois pour le suivi des détenus. Le Gouvernement a donc pris toutes ses responsabilités. L'objectif est de garantir à tout détenu, qu'il soit prévenu ou condamné, un encellulement digne, sûr, et conforme tant à ses souhaits qu'à son intérêt. C'est l'approche retenue par nos voisins, elle est conforme aux règles pénitentiaires européennes. Il ne s'agit pas de dire à la place du détenu ce qui est bien pour lui, il s'agit de lui offrir un véritable choix entre cellule individuelle et cellule collective, qui, dans tous les cas, garantit sa sécurité et sa dignité. Cette solution n'était pas en tous points notre projet initial mais j'ai tenu compte des avis exprimés en commission. J'espère que nos débats permettront d'aboutir à un accord. Le Gouvernement se rapproche de votre position sur trois points essentiels : nous garantissons l'encellulement individuel pour tous les détenus qui en font la demande ; on ne fait plus de distinction entre les prévenus et les condamnés et on ne pourra plus opposer à la volonté du détenu le motif de l'encombrement ou de la distribution intérieure des locaux. Cette nouvelle disposition, d'une ambition sans précédent, doit être assortie d'un moratoire de cinq ans pour achever l'actuel programme de construction de nouveaux établissements.
Le Gouvernement souhaite défendre d'autres amendements. Sur la question de la motivation spéciale du régime de détention plus sévère, votre position s'expliquait par la crainte de voir des droits ôtés aux détenus sans garantie. II n'en est rien : en adaptant le régime de détention à la personnalité du détenu, nous ne portons pas atteinte à ses droits. Le régime différencié, c'est essentiellement l'ouverture, ou non, des portes des cellules et l'accompagnement des détenus aux activités qui leur sont proposées. La motivation exigée par votre commission sera source de difficultés pratiques et de contentieux qui risquent de paralyser sa mise en oeuvre. Le Gouvernement n'y est donc pas favorable.
Votre rapporteur propose de limiter à trente jours la durée des sanctions de placement au quartier disciplinaire en cas d'agression physique sur les personnes. Je souhaite pouvoir aller jusqu'à quarante jours. L'an dernier, plus de 500 agents ont été agressés ; je ne peux l'admettre et il faut des sanctions exemplaires.
La commission des lois a adopté un amendement modifiant l'ordonnance du 6 août 1958 portant statut du personnel pénitentiaire pour lui reconnaître un droit d'expression et de manifestation dans les conditions prévues par le statut général des fonctionnaires de l'État. Ce renvoi par la loi spéciale à la loi générale est source d'ambiguïté, alors même que votre commission n'entend pas modifier le statut spécial des agents.
Sur la saisine du juge des référés par un détenu, la commission a introduit un amendement qui présume l'urgence en cas d'isolement de la personne détenue. II va de soi que tout détenu, comme tout citoyen, peut saisir le juge des référés. Mais l'isolement n'est pas à lui seul constitutif de la situation d'urgence. Le Gouvernement souhaite donc revenir au texte initial.
Ce texte fera entrer notre système pénitentiaire dans le XXIe siècle. Cette loi est attendue depuis vingt ans. Nous avons l'occasion de refonder notre politique pénitentiaire, de la rendre plus humaine, davantage tournée vers l'avenir. Sachons, ensemble, la saisir. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Bel. - Lors de mon rappel au règlement, monsieur le président, je vous ai interrogé sur votre position personnelle quant à l'urgence. Vous n'avez pas répondu. Comme nous voulons discuter dans un climat serein, je demande une suspension de séance d'une dizaine de minutes pour en débattre.
M. le président. - Je vais vous l'accorder.
J'en profite pour vous répondre. La déclaration d'urgence date du 20 février, date à laquelle l'ancienne Constitution était encore en vigueur. Mais votre demande d'une nouvelle Conférence des Présidents ne date que d'hier alors que nous allons légiférer sous l'emprise du nouveau dispositif. (Protestations sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est une question de fond !
La séance, suspendue à 15 h 35, reprend à 15 h 55.
Rappels au Règlement
M. Jean-Pierre Bel. - Les membres de mon groupe -et d'autres- sont troublés après vos réponses parce que la déclaration d'urgence relève de la procédure ancienne et que ce texte sera examiné selon la nouvelle. Quelques éléments d'information car ce que vous nous avez dit ne semble pas correspondre à ce que nous avions compris : protester lors de la Conférence des Présidents du 18 février contre une urgence qui n'a été déclarée que le 20 soulève une difficulté majeure pour tout être normalement constitué (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs socialistes) : votre réponse ne nous satisfait pas.
Vous nous aviez invités à travailler ensemble et nous l'avons fait dans un souci de partenariat complet. La Conférence des Présidents devait jouer un rôle, réguler, si nécessaire, le déroulement de nos travaux. Vous êtes revenu sur cette manière de voir. Nous sommes très surpris et regrettons d'aborder ce débat dans des conditions peu satisfaisantes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - J'avais moi aussi demandé la parole tout à l'heure pour dire notre surprise d'avoir appris par la presse la déclaration d'urgence. La Conférence des Présidents s'était tenue le 18 et le Gouvernement a adressé la déclaration d'urgence par courrier le 20, jour des vacances parlementaires. Nous avons beau nous tenir au courant, nous ne l'avons su par la presse que beaucoup plus tard. Nous avons joué le jeu de la procédure nouvelle.
Or le Gouvernement s'autorise à utiliser l'ancienne procédure d'urgence quand ce texte, que nous attendons depuis dix-huit mois, pour ne pas dire vingt ans, mérite un débat approfondi pour résoudre les difficultés pointées par l'administration pénitentiaire.
Monsieur le président, plutôt que de vous ranger aux arguments du Gouvernement, vous auriez pu réunir la Conférence des Présidents et lui demander de se déterminer. Bref, nous ne commençons pas l'examen de ce projet de loi dans de bonnes conditions.
M. le président. - Commençons par une clarification d'agenda rendue nécessaire par la superposition des deux procédures, l'ancienne et la nouvelle. Lors de sa réunion du 18 février, la Conférence des Présidents a été informée que l'urgence était déclarée sur le projet de loi pour le développement économique de l'outre-mer, le procès-verbal en témoigne. Le 20 février, par lettre du Premier ministre, j'ai été informé que l'urgence était également déclarée sur le projet de loi pénitentiaire. Le 2 mars, vous m'avez saisi d'une demande de réunion de la Conférence des Présidents. Mais l'urgence a été déclarée dans le cadre de l'ancien article 45 de la Constitution qui conférait au Gouvernement un pouvoir discrétionnaire en la matière. Au reste, la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale, qui s'est réunie ce matin, a retenu cette interprétation. Reste que le Gouvernement conserve la possibilité de lever l'urgence. La Conférence des Présidents, lors de sa prochaine réunion, pourra l'interroger sur ce point. (Murmures réprobateurs à gauche)
M. Jean-Pierre Sueur. - Pourquoi attendre ? Le Gouvernement est présent !
M. Robert Badinter. - Examiner un texte aux termes d'une procédure d'urgence qui n'existe plus constitutionnellement est pour le moins paradoxal ! Rappelons que la procédure d'urgence a été modifiée, lors de la dernière révision constitutionnelle, afin de mettre un terme à une situation déplorable. De fait, qu'un texte fasse l'objet de deux lectures était devenu l'exception ! Voilà pourquoi il a été prévu que les Conférences des Présidents des deux assemblées puissent conjointement s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée. Au reste, qui a rappelé le Gouvernement à l'esprit de la Constitution ? Ce n'est pas l'opposition, c'est le Président de l'Assemblée nationale ! Nous gagnerons tous à délibérer un mois de plus sur un texte que nous attendons depuis des décennies. Garde des sceaux durant cinq ans, je n'ai recouru à la procédure d'urgence qu'une fois car deux lectures sont nécessaires pour améliorer un texte tel celui-ci qui présente des difficultés. Bref, aucune raison sérieuse ne justifie que l'on demande au Parlement de délibérer selon un régime qui n'existe plus. Chacun conserve en mémoire les déclarations de M. Roger Karoutchi sur le renforcement des pouvoirs du Parlement. Reconnaissez qu'il serait regrettable de le contredire en appliquant ainsi pour la première fois la Constitution révisée ! (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre)
M. le président. - Nous reprenons le débat. (Protestations à gauche)
M. Charles Gautier. - Quel mépris ! (Un grand nombre des membres du groupe socialiste quitte l'hémicycle)
Discussion générale (Suite)
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois. - C'est avec une émotion toute particulière que je rapporte ce projet de loi pénitentiaire car c'est une première sous la Ve République. Nous avons pour objectif ambitieux de rompre avec la prison d'hier et d'aujourd'hui pour bâtir la prison de demain au bénéfice de tous. Ce sera au bénéfice des détenus, dont la privation de liberté ne sera plus synonyme d'abaissement et d'atteinte à la dignité ; au bénéfice de la société et des victimes, qui gagneront à ce que la prison cesse d'être l'école de la récidive pour devenir celle de la réinsertion ; au bénéfice de la démocratie et de la République, qui mettront fin à l'humiliation dénoncée en 2000 dans le rapport de MM. Hyest et Cabanel.
M. Nicolas About, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - « Une société se juge à l'état de ses prisons ». Cette phrase d'Albert Camus m'a souvent hanté lorsque je visitais, avec d'autres sénateurs, d'innombrables maisons d'arrêt, centres de détention ou maisons centrales. Dans mon rapport, j'ai tenté, avec modestie mais détermination, d'inscrire la réflexion de la commission dans la continuité du travail considérable réalisé ces dernières années. Comment ne pas citer les combats de Robert Badinter et ceux des deux commissions d'enquête parlementaire du Sénat et de l'Assemblée nationale présidées par MM. Jean-Jacques Hyest et Louis Mermaz ? La prison n'est ni de droite, ni de gauche, ni du centre. Puissions-nous, par un vaste consensus, transformer ce lieu de souffrance -souffrance des détenus en écho à la souffrance des victimes- en lieu d'espérance ! Si ce texte ne devait pas modifier la situation, si la montagne devait accoucher d'une souris, ce serait la pire déception de ma vie de parlementaire.
Pour autant, je ne veux pas me montrer injuste envers l'administration pénitentiaire, celle-ci a considérablement évolué.
M. Roland du Luart. - Juste !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Que l'on songe aux prisons des années 70, à ces univers clos où les journaux étaient interdits et les échanges entre surveillants et détenus nuls ! Ceux qui ont visité les cellules disciplinaires de la centrale de Clairvaux avaient le sentiment que le temps s'était arrêté depuis le Moyen Age et les cages de fer que l'on prête à Louis XI. La prison a changé avec, depuis la fin des années 80, le renouvellement du parc pénitentiaire, notamment, le programme de construction dont l'initiative revient à un élu de mon département du Nord, M. Albin Chalandon, nommé garde des sceaux en 1986 ; elle a changé avec la création des services pénitentiaires d'insertion et de probation et l'ouverture des établissements aux visiteurs de prisons, associations, délégués du Médiateur et aux parlementaires. Depuis la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge de la santé des détenus est assurée par le service public hospitalier dans les conditions de droit commun. La formation des personnels dispensée à l'École nationale de l'administration pénitentiaire intègre la culture des droits de l'homme. L'influence des normes internationales et européennes, les jurisprudences du Conseil d'État et de la Cour européenne des droits de l'homme vont incontestablement dans le sens de l'amélioration continue des conditions de détention. Ce serait faire preuve d'aveuglement que d'affirmer que l'univers carcéral est demeuré immobile. L'implication et l'humanisme de nombreux personnels pénitentiaires forcent l'admiration, tel ce surveillant de la maison centrale de Château-Thierry, la maison de fous devrais-je dire, qui reste auprès des détenus jusqu'à ce qu'ils arrêtent de hurler et qu'ils soient rassurés.
Il serait tout aussi absurde de nier ces inestimables progrès que de ne pas reconnaître avec humilité l'étendue du chemin qui reste à parcourir. Une cellule de 12 m² partagée par trois détenus, avec un matelas par terre, un cabinet d'aisance non ventilé, dépourvu de cloisonnement, telle est encore la réalité dans un certain nombre de prisons. Les aumôniers nationaux consacrent parfois moins de temps à satisfaire aux exigences de la vie spirituelle qu'à accompagner les plus jeunes détenus à la douche pour leur éviter les coups et les viols qui leurs sont réservés dans l'univers carcéral.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. - C'est vrai !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Il y a cent cinquante ans déjà, Tocqueville écrivait : la « société a le droit de punir mais non de corrompre ceux qu'elle châtie ». Trop souvent, la prison reste un lieu où perdurent violences au quotidien et loi du plus fort. Quel paradoxe que de plonger des personnes qui ont méconnu gravement les règles dans un univers où les droits et la sécurité ne sont pas garantis ! Chaque année, à Nancy, à Rouen, à Lannemezan ou ailleurs, des détenus meurent victimes de leur codétenus et le taux de suicides dans les prisons françaises reste, malgré les efforts, l'un des plus élevés d'Europe. J'en veux pour preuve les événements des premières semaines de 2009.
Dans ces conditions, comment s'étonner des condamnations internationales qui frappent notre pays ? Leur retentissement est cruel dans la patrie des droits de l'homme. Les efforts accomplis ces dernières années ont été freinés, voire anéantis, tout d'abord en raison de la part croissante des personnes atteintes de troubles mentaux accueillies par les prisons. (Mme Marie-Thérèse Hermange le confirme) La loi pénitentiaire ne pourra pas réellement peser sur ce point. En France, les auteurs d'infractions atteints de troubles psychiatriques sont pris en charge par la prison plutôt que par l'hôpital depuis que le code pénal de 1992 permet de punir un prévenu lorsque le trouble mental a seulement altéré -et non aboli- le discernement et que les évolutions de la psychiatrie ont entraîné une réduction drastique du nombre de lits et de la durée des séjours hospitaliers.
Dans ces conditions, les jurys d'assises, estimant que seule la prison pouvait protéger la société des personnes atteintes de troubles mentaux, prononcent rarement d'acquittements motivés par l'irresponsabilité pénale. L'altération du discernement, qui devrait être considérée comme une circonstance atténuante, conduit bien souvent à l'allongement de la peine. Or, comme le relève le président About dans son rapport pour avis, enfermer en prison un malade psychiatrique revient à nier le sens d'une peine qu'il ne parvient pas à comprendre. Une réforme s'impose, qui nécessitera un travail conjoint de la justice, de la santé et de l'intérieur. Des modifications du code pénal n'auraient par exemple guère de sens si elles n'étaient pas accompagnées d'une évolution de la psychiatrie et de la réouverture de lits psychiatriques en milieu fermé, comme cela se pratique dans nombre de pays voisins. Le Sénat a confié à M. Jean-Pierre Michel et à moi-même une mission d'information sur la responsabilité pénale des malades mentaux, qui pourrait s'ouvrir au-delà de la commission des lois et préparer une initiative législative.
L'inflation carcérale est la seconde cause de l'échec. Le volet du texte consacré aux alternatives à l'incarcération et aux aménagements de peine suscite une large adhésion. La population pénale n'a jamais été aussi nombreuse que ces dernières années, rendant impossible l'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt, où la promiscuité entraîne troubles, violences et problèmes d'hygiène. Le renouvellement du parc immobilier et l'augmentation des capacités d'accueil des établissements -c'est le programme « 13 200 places »- associés aux réformes proposées permettent de penser que l'encellulement individuel, différé depuis 1875, n'est plus hors d'atteinte dans des délais raisonnables à la seule condition d'en faire une ardente obligation.
M. Roland du Luart. - Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - Ainsi le développement considérable des aménagements de peine imposera-t-il la création de postes de conseillers d'insertion et de probation, que l'étude d'impact elle-même évalue à 1 000. Cet effort n'est pas inaccessible, même à budget constant, au regard du nombre de créations de postes de surveillants imposées ces dernières années par l'ouverture des nouvelles prisons. Comme le note justement l'institut Montaigne, « mieux vaut doubler l'effectif des 3 600 agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) que d'embaucher 12 000 gardiens pour faire régner l'ordre sur 30 000 nouvelles places de prison ».
Je ne peux vous cacher, madame le ministre, que le volet du projet de loi consacré au service public pénitentiaire et aux conditions de détention a suscité la déception, tant lors des visites d'établissements que des auditions. Il faut dire que ce texte est très attendu...
La commission des lois a donc cherché à rééquilibrer les deux volets du texte en s'appuyant notamment sur le remarquable travail du comité d'orientation restreint sous l'autorité du procureur général Jean-Olivier Viout. Parmi les modifications majeures qu'elle a introduites, puisque, depuis le 1er mars, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 est sur ce point entrée en vigueur...
M. Jean-Pierre Sueur. - Pas pour l'urgence !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. - ...je veux citer l'obligation d'activité pour les personnes détenues et la possibilité pour les plus démunis d'obtenir une aide en numéraire ; ou la reconnaissance d'un droit d'expression sous la forme d'une consultation sur les activités qui leur sont proposées. La commission a strictement encadré les fouilles, en rappelant que le recours aux fouilles intégrales n'est possible que si les autres moyens d'investigation, moins attentatoires à la dignité de la personne, s'avèrent insuffisants ; les investigations corporelles internes -qu'en termes galants ces choses-là sont dites...- seront désormais proscrites sauf impératif spécialement motivé et ne pourront être réalisées que par un médecin requis à cet effet qui, si le Sénat vote l'amendement de la commission des affaires sociales, ne participera pas aux soins en milieu carcéral. Nous avons également renforcé les garanties reconnues aux détenus menacés de sanctions disciplinaires, en prévoyant la présence d'une personne extérieure à l'administration pénitentiaire au sein de la commission de discipline et en ramenant la durée maximale de placement en cellule disciplinaire en cas de violence contre les personnes de 45 à 30 jours. La commission a étendu à tous les détenus le bilan d'évaluation prévu au début de l'incarcération ; elle a aussi prévu une évaluation de chaque établissement au regard de ses résultats en matière de récidive afin que soit mieux mesuré l'impact des conditions de détention sur les chances de réinsertion.
Mais nous débattrons plus avant de ses 107 amendements lors de l'examen des articles.
Avec ce texte, le Parlement reprend la main sur l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires, alors que le droit de la prison relève pour l'essentiel aujourd'hui de mesures réglementaires, voire de circulaires. L'article 34 de la Constitution réserve à la loi la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés publiques : c'est donc au législateur de limiter éventuellement les droits et garanties du détenu autres que sa liberté d'aller et venir. Je suis certain qu'on se rendra rapidement compte de ce changement considérable.
Le Sénat doit accorder une importance particulière à cette réforme, lui qui s'est toujours impliqué dans les combats pour les libertés et pour la dignité humaine ; il est ici au coeur de la spécificité de son message. Le président Larcher a visité mardi dernier, en ma compagnie, la prison de Lille-Loos, avant d'animer une table ronde des personnels et des associations oeuvrant en milieu carcéral. Je le remercie de ce geste symbolique qui montre que près de dix ans après le rapport Hyest-Cabanel Les prisons, une humiliation pour la République, le Sénat livre le même combat et entend cette fois le gagner.
Les Français doivent s'approprier les prisons de la République ; il faut pour cela repousser la tentation du secret et de l'opacité. Je suis convaincu que la presse doit pouvoir entrer dans les prisons pour y faire son métier d'information. Dans le pire des cas, ses reportages seront un aiguillon ; dans le meilleur, elle rapportera par exemple cette confidence que m'a faite un jeune détenu dans un établissement pénitentiaire pour mineurs : « quand je suis rentré ici, je venais d'un « quartier mineurs » où la prison était un temps mort. En quelques mois, j'ai appris à lire et à écrire ».
Enfin, comme l'a noté M. Robert Badinter, « rien n'est possible, lorsque l'on parle de transformation du monde pénitentiaire, si l'on ne fait pas fonctionner de concert la condition des détenus et celle des personnels qui oeuvrent dans les prisons ». Nous avons cette exigence à l'esprit. Je veux souligner le dévouement et le professionnalisme des personnels pénitentiaires.
M. Christophe Caresche, député, écrivait en 2006, sans doute en référence à Camus : « si l'on juge une démocratie au sort réservé à ses prisonniers, alors nous sommes probablement plus près de la barbarie que de la civilisation ». Si je ne partage pas l'extrême sévérité de ce jugement, je veux que demain, ces propos n'intéressent plus que les historiens... Ne laissons pas passer la chance de faire en sorte que notre République n'ait plus jamais honte de ses prisons. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)
M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Nous venons de l'apprendre avec surprise : il faut jusqu'à 120 jours pour détecter un cas de tuberculose à la maison d'arrêt de Villepinte, alors qu'il suffirait d'une nouvelle convention avec l'hôpital de rattachement pour ramener ce délai à 30 jours. Cet exemple s'ajoute à tous ceux qui nous font déplorer la situation médiocre de la santé en prison. A Villepinte comme à Moulins, c'est une maladie venue d'un autre âge et une peur de contagion, que l'on pensait disparues, qui ont surgi. La prison joue un rôle de révélateur car si elle concentre les difficultés de santé, c'est d'abord parce qu'elle concentre les difficultés sociales, outre qu'elle suscite elle-même des troubles sanitaires -je pense aux suicides, dont le nombre remonte depuis l'an dernier et singulièrement depuis le début de 2009, signaux évidents du mal-être des détenus.
Les désordres psychologiques et mentaux les plus graves toucheraient au moins 10 % des personnes emprisonnées, et jusqu'à 60 % d'entre elles si l'on considère l'ensemble des troubles mentaux. C'est la preuve d'un double échec, celui de la santé publique en matière de soins psychiatriques et d'attention portée aux populations socialement fragiles, celui des soins en prison.
Ce projet de loi longtemps attendu doit poser les nouveaux principes de notre organisation pénitentiaire ; il ne peut donc oublier la santé en prison, sujet sur le lequel il était pourtant peu disert. La commission des affaires sociales se devait de l'examiner et de le compléter en tant que de besoin. Pourquoi d'ailleurs travaillons-nous dans l'urgence alors que le rapport du docteur Albrand sur la prévention des suicides en milieu carcéral est attendu pour la semaine prochaine ?
J'ai visité plusieurs établissements pénitentiaires et y ai recueilli le point de vue de médecins, de personnels, de prisonniers même. Si échec il y a, il ne tient pas aux personnels soignants dont j'ai pu constater le dévouement, parfois jusqu'au bout de leur capacité à endurer ; il ne tient pas plus aux personnels pénitentiaires, qui sont démunis face à la maladie. Le problème, c'est la prison elle-même.
Les insuffisances de la situation actuelle ne doivent pas faire oublier les énormes progrès accomplis. Le tournant a été pris avec la loi du 18 janvier 1994 : à partir de cette date, ce n'est plus l'administration pénitentiaire qui a en charge la santé des détenus mais l'hôpital public. Le changement fut radical. La logique antérieure, qui relevait trop souvent de la suspicion envers les condamnés, justifiait presque l'octroi de soins a minima ; elle se traduisait parfois par une obligation à la rédemption non exempte d'effets pervers - rappelons-nous les collectes de sang en prison pour favoriser la « réinsertion » des détenus et les drames de la contamination qu'elles ont causés. Depuis 1994, le détenu est considéré comme un patient à part entière, titulaire de droits et notamment celui d'accéder à un niveau de soins égal à celui dont dispose le reste de la population. Le problème est de faire en sorte que les faits traduisent les principes.
Dans la situation actuelle, chacun des 194 établissements pénitentiaires est doté d'une unité de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) chargée de dispenser les soins courants et d'assurer la visite régulière de certains spécialistes. La plupart des Ucsa disposent également d'un psychiatre, sauf lorsqu'un service médico-psychologique régional (SMPR) regroupe psychiatres, psychologues et infirmiers spécialisés.
Chaque Ucsa et SMPR fait l'objet d'une convention entre l'établissement carcéral et un hôpital de rattachement qui met à disposition des personnels et des moyens matériels. La plupart du temps, celle-ci est signée avec deux établissements car peu d'hôpitaux disposent à la fois de services somatiques et psychiatriques. Cela crée des difficultés matérielles, qui s'ajoutent parfois au manque de dialogue entre médecins psychiatres et somaticiens. Non seulement l'Ucsa et le SMPR sont rarement connectés à internet, et plus rarement encore connectés entre eux, mais ils ne peuvent partager le même dossier médical du fait de l'incompatibilité des systèmes informatiques des hôpitaux de rattachement.
Les unités de soins en prison rencontrent des problèmes de financement au sein de l'hôpital. La tarification à l'activité (T2A) appliquée pour les soins somatiques ne pouvant couvrir l'ensemble des besoins, elle est complétée par une dotation Migac, allouée aux missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation. Dès lors, les hôpitaux sont tentés de négliger les unités carcérales dans les négociations annuelles avec l'agence régionale d'hospitalisation (ARH) ou d'utiliser les sommes destinées aux soins en prison pour assurer le fonctionnement général de l'hôpital. Ainsi, de nombreux médecins m'ont affirmé qu'il existe des affectations fictives en prison, les personnels exerçant en fait l'intégralité de leur service à l'hôpital.
Les personnels soignants qui assurent un service en prison le font par conviction. S'il existe des primes et des horaires adaptés qui peuvent convenir à certains personnels féminins, on ne se confronte aux contraintes du monde carcéral -difficultés d'accès, négociations avec l'administration pénitentiaire, violences verbales répétées- qu'avec le sentiment d'une mission de service public à accomplir. Peu de postes de médecin à plein temps sont disponibles en prison et les perspectives de progression de carrière sont limitées. Il est cependant justifié que les soignants continuent d'exercer partiellement à l'hôpital car la médecine pratiquée en prison est répétitive et déqualifiante. En effet, bien que bénéficiant en principe d'une priorité de reclassement, ces médecins et ces infirmiers ne trouvent pas facilement une place au sein d'un service hospitalier.
J'ai vu des médecins et des infirmières s'occuper de leurs patients tous les jours, sans interruption ni vacances, et leur épuisement physique et moral risque de se refléter sur la qualité des soins dispensés, comme sur leur propre santé. Cette situation, courante à l'hôpital, est aggravée par le caractère clos du milieu carcéral. Les unités de soins en prison ne sont pas adaptées aux soins lourds, mais seulement aux soins ambulatoires. Seuls les SMPR disposent de quelques lits. J'ai rencontré un homme se trouvant depuis huit ans dans une cellule du SMPR : la lourdeur de sa pathologie n'était pas compatible avec une incarcération ordinaire et il aurait dû être soigné dans un établissement spécialisé. J'ai aussi vu une personne de 84 ans recroquevillée en position foetale depuis des mois et des mois ; on se demande ce qu'on attendait pour la faire sortir ; réponse : ailleurs, on ne sait pas où la mettre. Les moyens disponibles en prison sont trop précieux pour être mobilisés aussi longtemps pour une seule personne.
Même pour une simple consultation, on ne parvient que très difficilement à faire sortir un malade de prison. Les chambres sécurisées n'ont été que rarement et tardivement installées à l'hôpital. A ces difficultés techniques s'ajoutent certainement les réticences vis-à-vis de la présence de prisonniers dans les services : on souhaite les faire retourner en prison le plus rapidement possible. En milieu psychiatrique, cela se traduit souvent par l'usage des cellules d'isolement auxquelles -intolérable paradoxe- les malades préfèrent la prison ! Puisqu'on ne peut soigner durablement les prisonniers à l'hôpital, des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) pour les soins somatiques et des unités de soins spécialement aménagées (UHSA) pour les soins psychiatriques sont peu à peu mises en place. Coûteuses, elles n'ont pas encore fait leurs preuves en termes de soins. Un bilan s'impose.
Dès aujourd'hui, nous devons donc nous assurer que les unités de soins en prison fonctionnent convenablement. Cela suppose une clarification des rôles : les médecins et les personnels soignants doivent soigner et non effectuer des missions de sécurité, comme les fouilles corporelles. Il faut également garantir au prisonnier malade les mêmes droits qu'à n'importe quel patient. Consacrés en 1994, ces derniers font l'objet d'entorses fréquentes, particulièrement vis-à-vis du secret médical. En outre, des moyens matériels modernes, semblables à ceux dont sont dotés les hôpitaux, doivent être utilisés car les prisonniers concentrent les difficultés sociales et sanitaires.
Je suis favorable à l'institution d'un dossier médical électronique commun aux soins psychiatriques et somatiques. Le développement de la télémédecine permettrait, quant à lui, de réduire les coûts de certaines consultations et faciliterait l'interprétation des analyses et l'accès à certains spécialistes en évitant le transfert des détenus. Par ailleurs, les nouvelles technologies sont préférables aux fouilles corporelles. Le cas de Moulins n'est pas rare : tout rentre en prison et les fouilles au corps ne servent pas à grand-chose, sauf à humilier les détenus. Des scanners, tels ceux qu'utilisent les aéroports américains, peuvent les remplacer. Rien ne justifie que l'on mélange médecine et sécurité.
Enfin, le problème de la santé en prison dépasse le cadre de la stricte organisation des soins pour rejoindre celui des conditions de détention. De ce point de vue, il n'existe aucune différence réelle entre établissements anciens et plus récents. En moyenne, la population carcérale dans les maisons d'arrêt s'établit à 130, voire 180 ou 300 % des capacités initiales. Dans certains cas, trois détenus cohabitent dans une cellule de 9 m² avec une toilette ouverte au centre de la pièce. Les draps ne sont changés qu'une fois par mois et la douche n'est accessible que trois fois par semaine. La lutte contre la surpopulation carcérale est aussi une priorité sanitaire.
L'accès à la santé ne doit pas s'arrêter à la porte de la prison. Pour de nombreux détenus, la visite chez le médecin et le psychiatre le jour de leur arrivée, limitée parfois à un entretien avec le personnel infirmier, est le premier contact avec le monde de la santé. Des traitements sont alors engagés, mais ils s'interrompent brutalement à la libération du prisonnier, surtout si elle est anticipée. Pour réinsérer, il faut soigner après l'incarcération, accompagner la personne et pas seulement le détenu.
Les amendements déposés par la commission des affaires sociales visent à compléter le projet de loi dans quatre directions : améliorer l'organisation des soins, clarifier les missions des personnels soignants, promouvoir l'emploi des techniques les plus modernes et, surtout, renforcer les conditions d'hygiène. Nous nous réservons le droit de proposer de nouvelles dispositions dès la communication du rapport du docteur Albrand sur la prévention des suicides en prison. Nous nous soucions également de préparer la réinsertion du détenu grâce au maintien des liens familiaux, à l'accès à la formation et à la poursuite des traitements médicaux après la libération.
Nous soutiendrons ardemment nos amendements et comprendrions mal qu'on nous oppose leur hypothétique valeur réglementaire. Ce texte est à mes yeux essentiellement de niveau réglementaire et cet argument ne saurait valoir que pour la commission des lois... Sous ces réserves, notre commission est favorable à ce texte certes très attendu, mais amélioré par la commission des lois et par l'excellent travail de son rapporteur, Jean-René Lecerf. (Applaudissements au centre, à droite et sur certains bancs socialistes)
présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Ce débat n'est banal ni par son objet, ni par les conditions dans lesquelles s'engage la discussion -et je ne me prononcerai pas sur l'urgence... (Rires) Pour la première fois sous la Ve République, en application de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la discussion en séance publique s'engage sur le texte élaboré par la commission et non sur celui déposé par le Gouvernement. La commission des lois s'est longuement préparée à cette novation constitutionnelle, dont les conséquences n'ont peut-être pas été complètement appréhendées par ses promoteurs. Le débat eût été bien plus facile si les lois organiques avaient été votées en temps utile...
Pour lever les doutes, nous avons, après avoir intégré dans le texte de la commission des amendements du rapporteur et des membres de la commission, examiné les amendements dits « extérieurs », émanant des sénateurs et du Gouvernement que nous avons entendu ce matin.
La commission des lois a confirmé, ainsi que l'a rappelé le président du Sénat, le texte proposé à votre délibération, puisqu'à compter du 1er mars est entré en vigueur l'article 42 de la Constitution. (On ironise à gauche)
M. Charles Gautier. - Sauf pour l'urgence...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Je le rappelle surtout pour le Conseil constitutionnel, qui a parfois besoin d'être éclairé sur la régularité de notre procédure... Cette procédure, pour nous expérimentale, devrait permettre à nos débats de se concentrer sur les enjeux fondamentaux des textes.
Combien avons-nous, madame le garde des sceaux, attendu ce texte ! Songeons que le rapport de notre commission d'enquête avait été rendu en juin 2000. Ce rapport demeure pourtant, hélas ! et malgré les efforts non négligeables accomplis ces dernières années, d'actualité.
On ne peut déplorer la surpopulation carcérale, la dégradation des conditions de détention qui interdit trop souvent à la prison d'assumer sa mission de réinsertion et ne lui permet pas de lutter contre la récidive, et remettre à plus tard une réforme ambitieuse. L'ouvrage de référence du président Badinter, La prison républicaine, est très éclairant. La punition, justifiée par ce que la société considère comme des manquements graves aux valeurs et aux règles de la vie en commun, permettait la mise à l'écart des criminels et des délinquants. Mais comment faire du temps de la prison un temps de réinsertion ? Le législateur a parfois donné à cette question une réponse positive, malheureusement bien vite contredite par les faits : en respectant la dignité des personnes détenues, donc en améliorant les conditions de détention ; il s'agit de garantir un droit aux soins médicaux -et la loi du 18 janvier 1994 a marqué un progrès considérable, même si le président About vient d'en dénoncer les lacunes-, de favoriser le travail pénitentiaire et la formation, seuls gages d'une réinsertion possible, de lutter contre la surpopulation carcérale, bien souvent due, Mme le garde des sceaux le sait, à des problèmes financiers.
Car le paradoxe est bien que les prévenus, présumés innocents, sont plus mal traités que les condamnés. Si les récents événements dans les prisons françaises sont révélateurs de la gravité de la situation, il n'en faut pas moins rappeler l'effort considérable entrepris pour réhabiliter le parc pénitentiaire, dès le programme Chalandon, suivi par celui que mit en oeuvre M. Méhaignerie, puis par la loi d'orientation et de programme sur la justice lancé par M. Perben. C'est de fait une nécessité, trop souvent méconnue, que d'avoir une stratégie immobilière, dans laquelle on intègre la maintenance, qu'autorise le partenariat public-privé -si Fleury-Mérogis avait été entretenue, elle n'aurait pas besoin, aujourd'hui, d'un programme de rénovation colossal.
Nous avons soutenu avec beaucoup de force la création d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que vous avez proposé, madame la ministre, comme le développement du bracelet électronique, dont l'initiative revient au Sénat et dont il faut rappeler que l'administration pénitentiaire de l'époque ne voulait à aucun prix, alors que des expériences bien connues, comme celle du Canada, plaidaient déjà en sa faveur. Aujourd'hui, votre projet, c'est l'un de ses aspects importants, vise à développer les alternatives à l'incarcération et notre commission a très largement approuvé ces mesures, qui devraient contribuer à lutter contre la surpopulation carcérale et éviter aux courtes peines les risques de la récidive.
En ce qui concerne les dispositions relatives aux conditions de détention, et dans la ligne du projet de loi, la commission, guidée par l'excellent travail de notre rapporteur, M. Lecerf, qui n'a ménagé ni son temps, ni son engagement, ni son intelligence de la situation, vous fera un certain nombre de propositions innovantes, tant en ce qui concerne les droits des détenus que l'obligation d'activité.
Bien entendu, nous aurons à nous prononcer sur le maintien du principe de l'encellulement individuel, qui remonte à 1875. On peut admettre que cet objectif, qui n'a jamais été atteint, semblant irréaliste, puisse, pour des raisons positives, être aménagé, selon les modes de détention et les besoins des détenus, mais notre espoir reste bien que le nombre de prévenus continue à diminuer et que les alternatives à l'incarcération ici prévues trouvent toute leur dimension.
Nous nous sommes efforcés d'appréhender la réalité d'un service public singulier, en nous gardant de tout angélisme. Car la plupart des détenus sont emprisonnés à la suite d'actes criminels ou délictueux graves, pour avoir tué, violé, blessé, abusé, volé, fraudé, trafiqué. La société a le droit et le devoir de se protéger. Reste que la prison ne saurait demeurer ce système confus qui transforme les établissements pénitentiaires en asiles, en hospices ou en hôpitaux. Nous entendons sur ce point réfléchir, les deux rapporteurs l'ont rappelé, à une réforme de l'article 122-1 du code pénal. J'ai participé à la révision de ce code et je me demande aujourd'hui si, sur cet article qui n'évoque plus la « démence », nous ne nous sommes pas trompés. Nous attendons aussi une loi sur l'hospitalisation psychiatrique.
La commission a porté une attention particulière aux personnels, dont la formation s'est à tel point enrichie qu'il y a loin des gardiens d'autrefois aux surveillants d'aujourd'hui. Leur métier, difficile et que tous n'ont pas toujours choisi, suscite, une fois embrassé, un très fort engagement. C'est en pensant à eux aussi qu'il conviendra de développer les services pénitentiaires d'insertion et de probation pour développer l'aménagement des peines.
Je souhaite que ce dernier volet de votre politique pénale, pendant indispensable des textes que nous avons votés, comme celui sur la récidive, fasse une prison plus utile, plus efficace, qui donne une chance à ceux qui sont coupés de la société ; une prison qui ne soit plus « une humiliation pour la République » -c'est une ambition que nous partageons sur tous les bancs, digne de la France des droits de l'homme-, une prison conçue non seulement « pour protéger la société et assurer la punition du condamné mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ». J'ai cité la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1994, qui soulèvera, sur certains de ces bancs, quelque écho... (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
M. François-Noël Buffet. - Devant le tribunal de Bobigny, en juin 2007, vous déclariez, madame la ministre, que « la justice ne peut être ferme si elle n'est pas humaine » et qu'« une justice humaine, c'est aussi une justice qui respecte totalement ceux qui sont condamnés ». Comment ne pas souscrire à de telles intentions ? Après le projet de loi instaurant des peines minimales pour les récidivistes et celui qui mettait en place un contrôleur indépendant des lieux privatifs de liberté, nous sommes aujourd'hui saisis d'un texte fondateur dans le domaine pénitentiaire. Ces textes, complémentaires, constituent le socle d'une justice que vous souhaitez, à juste titre, à la fois plus ferme mais également plus humaine. Si notre arsenal juridique doit être renforcé afin de nous prémunir contre des cas de récidive parfois très graves, il convient, dans le même temps, de veiller au plein respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Nous voulons une justice attentive aux victimes ; nous la voulons aussi attentive aux condamnés.
L'emprisonnement doit s'accorder avec le respect de la personne humaine. La privation de liberté ne signifie pas privation de l'accès au droit.
Notre assemblée a toutes les raisons de se réjouir que ce projet de loi, déposé le 28 juillet dernier, soit enfin soumis à son examen. La commission a procédé à des auditions ; Mme la Garde des sceaux est venue lui présenter le texte, elle est revenue défendre ses amendements -même si, pour ceux-ci, c'était ce matin, nous avons eu suffisamment de temps pour étudier le dossier. Depuis le 22 juin 1987, aucune réforme du droit pénitentiaire n'avait été mise en chantier. Ce projet suscite de très fortes attentes de la part de nos concitoyens, des professionnels de la justice et des élus. Depuis de nombreuses années, avec constance, le Sénat porte une attention particulière à la situation des établissements pénitentiaires. Il y a neuf ans, une commission d'enquête présidée par M. Hyest soulignait l'urgente nécessité d'améliorer les conditions de détention dans les prisons. La conclusion du rapport, intitulé Les prisons : une humiliation pour la République, était sans appel : « Il y a urgence (...), urgence depuis 200 ans ». Je tiens donc à saluer l'initiative du Gouvernement, qui permet aujourd'hui au Parlement de débattre d'une loi fondamentale.
Vingt-deux ans ont passé depuis qu'Albin Chalandon fit adopter la loi pénitentiaire du 22 juin 1987. Depuis, tout a changé : le profil des détenus, l'administration pénitentiaire, la société, les normes européennes et internationales qui se sont précisées. Le projet de loi que vous nous proposez a d'abord pour vertu de mettre en conformité notre droit interne avec nos obligations européennes : le 11 janvier 2006, le Conseil de l'Europe a énoncé 108 règles pénitentiaires qui n'ont malheureusement aucune valeur juridique contraignante, mais que votre texte applique. Ce projet de loi comporte des avancées majeures : il consacre le principe selon lequel la personne détenue conserve le bénéfice de ses droits de citoyen, même si elle est privée de sa liberté et sous réserve que le tribunal l'ait privée de certains de ses droits ; il permettra d'améliorer la vie quotidienne des détenus au sein de l'établissement pénitentiaire, grâce à la possibilité offerte à tous de téléphoner et à l'incitation faite aux détenus d'exercer une activité professionnelle, sportive ou culturelle ; il améliore également les conditions de travail du personnel, auquel je souhaite rendre un hommage appuyé : ces personnes méritent la reconnaissance de la société tout entière pour le travail qu'elles mènent quotidiennement dans des conditions souvent extrêmement difficiles.
L'un des principes qui inspire ce projet de loi est que la prison est une sanction nécessaire mais ultime. Les peines alternatives à la prison et les aménagements de peine favorisent la réinsertion des détenus et permettent de lutter plus efficacement contre la récidive ; elles remédient également à la surpopulation carcérale. Ce projet de loi institue l'assignation à résidence avec surveillance électronique, qui pourra remplacer la détention provisoire. Notre groupe ne peut qu'approuver des mesures de substitution qui ne mettent pas en danger la sécurité des personnes. Le projet de loi place la réinsertion des détenus au coeur des missions du service public pénitentiaire en favorisant le développement de la formation et du travail en prison.
Les modifications apportées au texte du Gouvernement par la commission des lois, à l'initiative de M. le rapporteur que je félicite pour son travail de grande qualité, ont rencontré une large adhésion car elles permettent d'améliorer significativement les conditions de détention. La commission a souhaité conserver le principe de l'encellulement individuel, inscrit depuis 1875 dans le code de procédure pénale mais auquel la France a toujours dérogé en raison de la surpopulation carcérale. S'il convient d'affirmer ce principe, il semble toutefois nécessaire de prévoir certains aménagements afin de permettre aux détenus qui supportent mal l'isolement carcéral d'être placés dans une cellule à usage collectif.
Il est temps de porter un regard nouveau sur la prison, d'accorder toute sa place à l'impératif de réinsertion et de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes détenues. Pour l'ensemble de ces raisons et sous réserve de ces observations, les membres du groupe UMP voteront le texte proposé par la commission des lois. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jacques Mézard. - Comment faire de la prison un lieu d'espérance, alors qu'elle est aujourd'hui un lieu de désespérance, sinon en privilégiant le sens de l'humain ? Je souhaite rendre hommage à M. le rapporteur Lecerf, qui a montré par son action et son discours qu'il était un homme de conviction, sachant écouter à la fois la voix du coeur et celle de la raison, et qui s'est toujours montré persuasif par la force de ses arguments. (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs à gauche)
Ce projet de loi pénitentiaire ne saurait être appréhendé hors du contexte de la politique pénale de notre pays ; il ne doit pas devenir un outil de communication destiné à masquer l'état catastrophique des prisons françaises. Nous portons tous la responsabilité de cette situation ; nos concitoyens ne s'intéressent à la justice que lorsqu'elle les concerne personnellement. Le récent plan de relance ne comportait que 80 millions pour la justice, dont 30 millions d'euros pour des travaux de rénovation dans les établissements pénitentiaires et 15 millions d'euros pour le lancement anticipé des « quartiers courtes peines ». La France est montrée du doigt en Europe pour les dysfonctionnements de sa justice. Le bâtonnier de Paris a qualifié publiquement les prisons françaises de « pourrissoirs » et conclu son éditorial du 16 janvier 2009 par ces mots : « Nous taire ou nous abstenir équivaudrait à nous rendre nous-mêmes complices de cette indignité ». Le rapport de M. Delarue, dont la récente nomination aux fonctions de contrôleur des lieux privatifs de liberté doit être saluée, établit les mêmes constats : surpopulation carcérale, prolifération des lieux de non-droit où toutes les violences sont permises, taux de suicide en progression exponentielle, désarroi des personnels...
Quelle est la réponse de l'État ? Ce projet de loi résout-il les problèmes de la prison ? Il renforce certes les droits des détenus et développe les peines substitutives à la prison. Mais le Gouvernement veut remettre en cause le principe de l'encellulement individuel : ce n'est pas raisonnable. Une politique pénitentiaire équilibrée doit concilier la protection de la société, l'application de sanctions pour des actes délictueux ou criminels d'une part, l'impératif de réinsertion sociale et la qualité des conditions de travail du personnel d'autre part. Le déséquilibre vient de ce que l'on privilégie un volet ou l'autre, le « populisme pénal » ou le « laxisme libertaire ». Nous ne voulons ni de l'un, ni de l'autre. Ce projet de loi est-il seulement une réponse médiatique aux mises en garde répétées d'organismes nationaux et internationaux, ou permettra-t-il de mettre en pratique leurs recommandations ?
Le texte de la commission des lois constitue un net progrès par rapport au projet initial. Il réaffirme les droits des détenus, inhérents à la personne humaine : la nouvelle rédaction de l'article premier dispose que le service public pénitentiaire garantit à tout détenu le respect de ses doits fondamentaux ; les articles 2 bis à 2 sexies traitent des moyens de contrôle externe et interne ; d'autres dispositions encadrent les restrictions des droits des détenus, facilitent la communication de ces derniers avec leur famille et leur avocat, renforcent leurs droits sociaux et ceux des familles. L'article 32 affirme le caractère subsidiaire de l'emprisonnement et la nécessité de son aménagement. L'inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire est un retour à la voie de droit, mais pas un alignement sur la norme européenne.
Un débat revient comme un serpent de mer, révélant l'échec de notre politique pénitentiaire : je veux parler de l'encellulement individuel. Le livre du docteur Vasseur, publié en 2000, et son écho dans l'opinion publique conduisirent les parlementaires à prohiber l'encellulement collectif, conformément à la loi de 1875, tout en reportant l'entrée en vigueur de cette disposition jusqu'au 15 juin 2003, puis jusqu'à 2008 par le biais d'un cavalier législatif au sein de la loi du 12 juin 2003 sur la violence routière... Aujourd'hui, le Gouvernement veut revenir sur ce principe ; quant au texte de la commission, il prévoit en son article 59 un moratoire de cinq ans avant son application. Il est facile de dire que nous n'avons pas les moyens financiers de remédier à la surpopulation carcérale ; mais renoncer au principe de l'encellulement individuel n'est pas le meilleur moyen de préparer les budgets de demain ! (Mme Bernadette Bourzai approuve) Aujourd'hui, les détenus ont tout juste le droit d'être transférés en cellule individuelle n'importe où en France, après plusieurs mois de procédure. Il convient de conforter le droit à l'encellulement individuel et de mettre l'État devant ses responsabilités. La loi pénitentiaire ne sera qu'une déclaration d'intentions sans un plan d'urgence contre la surpopulation carcérale, sans moyens nouveaux pour faciliter le travail en prison, développer la surveillance électronique et améliorer le suivi socio-judiciaire.
La situation actuelle, c'est l'entassement des prévenus et des condamnés en cellules collectives dans des conditions humiliantes et dégradantes, la promiscuité, la loi du plus fort, l'arbitraire découlant de cette surpopulation et l'insuffisance de moyens d'une politique de réinsertion, le nombre de décès et de suicides, l'augmentation des affections contagieuses y compris chez les surveillants -on a dénombré sept cas de tuberculose à Moulins et Clermont-Ferrand.
Un volet du projet de loi tend à développer les aménagements de peine privative de liberté, c'est positif, mais l'expérience incite au scepticisme si l'on se réfère à la chute du nombre de libérations conditionnelles entre 2001 et 2007, au fait que la mise en place de la surveillance électronique, surtout mobile, nécessite des infrastructures et un suivi humain et matériel coûteux. Comment ne pas souligner la contradiction entre la politique d'affichage sécuritaire aboutissant à l'augmentation du nombre de détenus -peines plancher, rétention de sûreté, carcéralisation du soin psychiatrique- et ce projet de loi ? Est-ce d'ailleurs une contradiction, ou la caractérisation d'une politique visant à faire du système répressif une noria où le flux d'entrées augmente pour répondre au message punitif et impose un flux de sortie accéléré pour cause d'embouteillage humain ? Comment préparer à la réinsertion, lorsque des dizaines de milliers de petits délinquants reviennent en prison pour purger des peines de quelques mois ? On prépare la récidive plus que la réinsertion !
La justice est incompatible avec le suivisme de la médiatisation, avec ces discours sur l'insécurité, que d'ailleurs la politique du chiffre ne fait qu'accroître, à preuve les 577 000 gardes à vue de 2008. Dans son traité De la clémence, Sénèque écrivait : « Quant aux moeurs publiques, on les corrige mieux en étant sobre de châtiments car la multitude des délinquants créé l'habitude du délit ».
Dans le concert des pays développés, la France n'est pas montrée du doigt pour le nombre de ses détenus mais pour ses conditions déplorables de détention, inacceptables pour le pays des droits de l'homme. Cette situation intolérable pour les détenus, pour leurs familles, pour les surveillants est incompatible avec la lutte contre la récidive. Comme, en outre, elle ne favorise pas la réinsertion, elle va contre la sécurité de nos concitoyens. Plutôt que d'accumuler les lois modifiant code pénal et code de procédure pénale, l'urgence, c'est de considérer enfin que l'état de nos établissements pénitentiaires relève d'une priorité nationale. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)
M. Alain Anziani. - Le Sénat a souvent débattu de textes relatifs à la prison. Il y a plus d'un siècle, René Bérenger, catholique et républicain, montait à cette tribune pour dresser un constat : la récidive a pour cause l'état misérable des prisons, la promiscuité favorise la corruption. Il ajoutait que le sursis, l'encellulement individuel, l'aménagement des peines, la libération conditionnelle évitent la récidive plus que l'enfermement. Cent cinquante ans plus tard, le même débat nous occupe de nouveau. A quoi sert la prison, quel est le sens de la peine ? Nos prédécesseurs dans cette enceinte nous ont légué leur réponse qui se résume en ces deux verbes dont Michel Foucault a fait un titre : « surveiller et punir ». Cette réponse ne peut nous satisfaire.
Première évidence : un détenu reste un homme malgré les murs de sa prison. Hormis la liberté d'aller et de venir qui lui a été retirée provisoirement, il conserve les droits qui sont ceux de l'homme.
Deuxième évidence, tout aussi forte : la prison reste cette « humiliation pour la République » que décrivait il y a neuf ans la commission d'enquête présidée par Jean-Jacques Hyest. Elle entasse, elle humilie, elle détruit, elle déshumanise. Elle ne constitue trop souvent qu'un trou dans lequel un individu tombe, un individu qui, le plus souvent, trébuche depuis son enfance. Il tombe dans ce trou à rats où il partagera 11 m² avec deux ou trois détenus, sans hygiène, sans intimité, sans possibilité de réfléchir à sa vie, à ce qu'elle fut, à ce qu'il souhaiterait qu'elle devienne. Un trou à rats où il se comportera d'autant plus comme un enragé qu'il sera traité comme un enragé. Avec violence envers les autres, qu'il s'agisse de ses codétenus ou du personnel pénitentiaire -dont nous savons combien la mission est difficile-, ou envers lui-même. Son désespoir peut le conduire à l'automutilation ou au suicide : il y a sept fois plus de suicides en prison qu'en milieu ouvert, un tous les trois jours en 2008.
Troisième évidence : statistiquement, le détenu est rarement un professionnel de la délinquance pour qui la prison fait partie des risques du métier, il est plutôt un paumé de la vie.
Puisque nous avons la responsabilité de légiférer, tirons enfin les conséquences de ces évidences, même si elles ne sont pas toujours admises par l'opinion. Si nous voulons éviter la récidive, la peine ne doit plus se limiter à surveiller et punir, mais elle doit avoir l'ambition d'humaniser et de réinsérer. La méthode est simple : faire entrer le droit commun en prison autant que faire se peut. Nous jugerons ce projet de loi en fonction de ce critère.
Je prends soin de ne pas le dire vôtre, madame la garde des sceaux, puisque le texte de la Chancellerie a été entièrement revisité par la commission des lois. Je salue d'ailleurs l'engagement de M. Lecerf : il avait sur sa table un projet resté « au milieu du gué », entraînant « une déception largement partagée ». Ce texte, en effet, se trouvait largement en retrait des travaux du Comité d'orientation restreint que le Gouvernement avait installé pour préparer une grande loi pénitentiaire, il ignorait les remarques de l'Observatoire international des prisons et le vaste chantier des états généraux de la condition pénitentiaire, devant lesquels le candidat Sarkozy s'était « clairement engagé à ce que la dignité de la condition carcérale soit une priorité de notre action ».
Je reprends ma question : où en est le droit commun en prison ? Il n'est hélas que l'exception. Il est absent quand un caïd asservit un codétenu, une « mule » dans le langage carcéral, pour organiser ses petits trafics en restant impuni. Il est absent quand les stupéfiants s'achètent et se revendent dans le mutisme de l'administration. Il est absent lorsque règne la pire sauvagerie. Vous me permettrez de citer deux cas. A Rouen, Idir, 26 ans, condamné pour conduite en état alcoolique, a été égorgé par Sofiane qui avait tenté plusieurs fois de mettre fin à ses propres jours. A Nancy, Johnny, peintre en bâtiment, a été torturé à mort dans sa cellule pendant quinze jours sans que personne ne remarque sa souffrance.
Quel paradoxe de voir que la prison constitue un lieu hors la loi où ni la sécurité ni l'égalité ne sont respectées ! Pourquoi ? Ne mettons pas en cause le personnel pénitentiaire qui se débrouille avec les moyens mis à sa disposition. La vraie raison tient à ce flou juridique qui doit gêner tout législateur : il existe bien un droit en prison, mais ce droit reste confus, fait de décrets, de circulaires, de notes, de règlements intérieurs, d'usages variant d'un établissement à un autre, bref de normes que le président Canivet disait d'une « qualité discutable »... Cette absence de règle a abouti à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. Ce projet de loi va-t-il nous permettre de passer enfin de l'exception à la règle ?
Il contient des avancées, par exemple sur l'allocation d'une aide en nature ou en numéraire, sur la domiciliation, sur le droit à l'intégrité physique. La commission a aussi repris des règles européennes le principe selon lequel l'emprisonnement doit constituer un dernier recours. Ce n'est pas rien. Ayons l'honnêteté de le reconnaître. Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas suffisant.
Sur trop de points, le projet de loi reste empêtré dans des obsessions sécuritaires et demeure très en retrait des règles européennes. J'ai lu sur le site du ministère de la justice que « l'administration pénitentiaire a décidé de faire du respect des règles pénitentiaires européennes un objectif prioritaire ». Nous vous proposons de vous aider à atteindre votre objectif. Il vous suffit d'accepter nos amendements puisqu'un quart d'entre eux reprend les recommandations adoptées par le Conseil de l'Europe, et en particulier par la France.
La Chancellerie proposait de réduire la mise en cellule disciplinaire de 45 à 40 jours. La commission a abaissé cette durée à 30 jours. Le Gouvernement s'obstine et demande de revenir à ses 40 jours comme s'il s'agissait d'un nombre sacré. Cette durée n'a aucun sens. Aucune étude n'a jamais établi que la cellule disciplinaire réduisait la violence en prison. Au contraire, tout montre qu'elle augmente un désespoir et une haine qui se retournent parfois contre son auteur : le taux de suicide au mitard est sept fois plus élevé que dans le reste de la prison.
Nous vous demandons d'abolir les cellules disciplinaires et de les remplacer par des mesures de confinement individuel. Mais, à défaut, réduisez-en au moins la durée aux normes européennes : la durée de la cellule disciplinaire est de 3 jours en Irlande, de 9 en Belgique, de 14 en Angleterre, de 28 en Allemagne. La commission Hyest suggérait de la réduire à 20 jours. Je suis certain que le Sénat refusera de revenir à ces 40 jours qui doivent constituer un record d'Europe.
Ce matin, la présentation faite par Mme la garde des sceaux des régimes différenciés relève d'une histoire pour enfants. Officiellement, il s'agit d'adapter la détention aux prisonniers. La réalité est bien différente. Le « quartier spécial », le « quartier fermé », le « strict », selon le jargon carcéral, constitue une sanction déguisée. Sans procédure, sans durée précise, sans motif explicite. Par un arrêt du 21 février 2008, la Cour administrative d'appel de Nantes vient d'annuler une décision de régime différencié pour défaut de motivation. Il était reproché au détenu de se promener en short et en claquettes. On comprend pourquoi la décision n'était pas motivée. Le projet de loi reste muet sur cette zone de non-droit.
Le texte aurait pu aussi s'inspirer des principes constitutionnels. Deux d'entre eux sont gravement méconnus. La séparation du pouvoir de l'autorité qui poursuit et de l'autorité qui sanctionne est une garantie indispensable d'objectivité. Pourtant, en prison, l'administration pénitentiaire restera juge et partie, même si l'article 53 prévoit désormais un regard extérieur dans les commissions disciplinaires.
Selon un autre principe, les décisions relatives à la liberté relèvent du juge. La seconde partie du texte inquiète les juges de l'application des peines qui voient une partie de leurs attributions transférée à l'administration pénitentiaire.
Des lois d'apparence anodine restent aux portes de la prison. La loi du 12 avril 2000 relative aux droits du citoyen dans ses relations avec les administrations, par exemple. Son article 2 précise que « les autorités administratives sont tenues d'organiser un accès simple aux règles de droit qu'elles édictent ». L'article 19 bis du projet prévoit que le détenu sera informé des conditions de sa détention. C'est bien, mais la Chancellerie refuse que cette information soit donnée dans une langue qu'il peut comprendre !
Le droit à la santé est aujourd'hui universellement reconnu, sauf en prison. Le projet de loi se limite à un renvoi vers l'hôpital public. Il y a pourtant urgence à distinguer nettement la maladie mentale et le comportement disciplinaire. Un cas illustre l'absurdité de la confusion actuelle. A Rouen, un détenu soupçonné de cannibalisme a été condamné à 45 jours de cellule disciplinaire ! Là encore, l'absurde est possible parce que la règle de droit n'est pas fixée avec précision.
Pour en terminer, je voudrais évoquer deux droits fondamentaux affirmés avec force par plusieurs règles pénitentiaires européennes. Le premier est le droit au respect, y compris au respect de l'intimité. Rien n'est plus bafoué en prison que l'intimité. Avant, après le parloir, au moment des transferts ou dans de multiples circonstances, le détenu, femme ou homme, est mis à nu, subissant des investigations anales ou vaginales, sans que ces contrôles n'obéissent à aucune règle précise. Je ne nie pas la nécessité de contrôle, mais d'autres méthodes existent. L'article 24 le rappelle d'ailleurs puisqu'il mentionne que « les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou les moyens de détection électronique sont insuffisants ». Malheureusement, comme beaucoup de dispositions de ce texte, la restriction apportée prive la bonne intention de toute portée concrète.
Ce droit à l'intimité est nié aussi par l'encellulement collectif et je m'étonne de l'amendement du Gouvernement qui revient sur le texte de la commission et remet en question le principe de l'encellulement individuel. On nous a expliqué, ce matin en commission, que c'était un bon principe mais qu'il serait inapplicable. Pourquoi ne pas renoncer aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité au motif qu'ils sont eux aussi difficiles à appliquer ? Il faut s'en donner les moyens !
Mais peut-être que plus que tout, il manque à votre texte un droit fondamental : celui de redevenir un homme responsable après avoir purgé sa peine. Ce droit à la réinsertion est le grand absent de ce projet de loi. Regardez combien sont précises les dispositions consacrées à la surveillance et vagues celles traitant de la réinsertion. Il manque au texte un titre IV : « De la sortie de prison et de la réinsertion du condamné ». Ce titre-là est indispensable non seulement pour le détenu, mais pour la société. Il y a deux fois plus de récidives lorsque la sortie est sèche, c'est-à-dire non préparée par un aménagement de peine. En fait, la réinsertion devrait être une obsession du service public pénitentiaire et ce, à tous les moments du parcours du détenu. Dès son entrée, la formation devrait offrir une nouvelle chance à un homme souvent dépourvu d'instruction, alors qu'elle n'est actuellement qu'une possibilité variant selon les moyens et les circonstances. En cours de peine, la semi-liberté et la libération conditionnelle devraient devenir des transitions obligées. Enfin, lors de la levée d'écrou, le sortant a besoin d'un soutien matériel. En Allemagne, le détenu libéré se voit proposer une solution de logement. En France, il se retrouve à la rue, souvent avec moins de 15 euros en poche, sans perspective d'emploi dans la grande majorité des cas. La grande faiblesse de votre politique pénitentiaire, c'est qu'elle ne se préoccupe pas suffisamment de la réinsertion. Dès lors, votre politique pénitentiaire ne peut que favoriser la récidive.
J'ai débuté mon propos en rappelant nos prédécesseurs, en particulier René Bérenger. Je finirai en évoquant ceux qui nous suivront. Que penseront-ils de ce texte ? Certains salueront de réelles avancées, obtenues grâce à l'obstination de Jean-René Lecerf. D'autres souligneront que les intentions étaient belles mais que, comme souvent, les moyens n'ont pas suivi. Tous mentionneront que votre politique pénitentiaire a souffert d'un mal originel qui est votre politique pénale. Au fond, globalement, que proposez-vous ? De vider les prisons après les avoir remplies à ras bord ! Quelle politique contradictoire ! Pour plaire à l'opinion, vous remplissez les prisons à grand bruit. Puis, pour faire face à la surpopulation pénale, vous les videz en catimini. Je ne doute d'ailleurs pas que face à d'éventuels faits divers, vous rejetterez la responsabilité sur les magistrats.
La politique pénitentiaire et la politique pénale sont étroitement liées. Tous, nous voulons faire diminuer la délinquance, protéger les victimes, assurer l'ordre public. Mais pour y parvenir, il existe plusieurs voies. L'une d'elles se satisfait de surveiller et de punir. L'autre entend humaniser et insérer. (Vifs applaudissements à gauche)
M. François Zocchetto. - Ce projet de loi était attendu. C'est la première fois, sous la Ve République, que le Parlement a à connaître d'un texte cadre sur la question pénitentiaire. Ce simple fait est assez révélateur du déni qui a trop longtemps été celui de la puissance publique quant aux conditions réelles d'incarcération. Déni qu'a stigmatisé le Sénat en 2000 dans un rapport d'information au titre éloquent : Prisons, une humiliation pour la République.
Tandis que le droit en prison a progressé au cours des trente dernières années, ces avancées ne se sont pas accompagnées d'améliorations suffisantes dans les conditions de vie des détenus. Pourquoi ce paradoxe ? D'abord parce que, si le droit en prison a progressé, cela s'est fait, en l'absence d'intervention coordinatrice du législateur, par touches impressionnistes. Ensuite parce que la politique carcérale a été découplée de la politique pénale.
La politique pénitentiaire est la continuation de la politique pénale par d'autres moyens et l'une ne peut être disjointe de l'autre. C'est cette conception d'une politique pénale qui marche sur ses deux jambes que le projet de loi met en oeuvre. Il a l'immense mérite de commencer par clarifier les missions du service public pénitentiaire en prenant en compte son rôle d'insertion et de probation ainsi que de lutte contre la récidive. Il met ainsi en phase objectifs pénaux et carcéraux. Ce changement de perspective implique que les questions purement pénitentiaires soient traitées en même temps que celles relatives aux aménagements de peines et à leurs alternatives. C'est ce que fait le présent projet de loi dans un titre Il abouti et riche. Il était fondamental d'énoncer le principe que l'emprisonnement est une mesure de dernier recours. Et nous saluons le développement du recours aux travaux d'intérêt général ainsi que l'ouverture de l'assignation à résidence avec surveillance électronique comme alternative à la détention provisoire. L'ensemble du projet est donc porté par une cohérence à laquelle nous ne pouvons que souscrire.
La politique carcérale n'est pas une branche de la politique de santé publique. Or, les prisons accueillent de plus en plus de personnes atteintes de troubles mentaux du fait de la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. Du fait des carences de l'hôpital, la prison s'y substitue...
La loi pénitentiaire est une partie de la politique pénitentiaire, mais pas toute la politique pénitentiaire.
Une politique pénitentiaire, c'est un ensemble de moyens humains, matériels, économiques et juridiques. Or ce texte n'a vocation qu'à intervenir sur le terrain du droit : n'en attendons pas qu'il règle tous les problèmes ; c'est aux budgets, aux lois d'orientation et de programmation pour la justice de le faire.
Alors, ce texte donne-t-il au pénitentiaire les moyens d'assurer sa fonction de réinsertion ? La version initiale y répondait en partie par le fondement incontestable qu'est la garantie des droits. Les personnes privées de la liberté d'aller et de venir ne sont pas privées de tous les autres droits, lesquels constituent une chance de réinsertion. Bien longtemps ignorés, ces droits se sont progressivement affirmés, mais restaient disparates et peu lisibles, situés à un niveau trop bas de la hiérarchie juridique par rapport à l'article 34 de la Constitution, d'où la nécessité de consacrer le droit à la vie familiale ou le droit de visite qui n'étaient affirmés que par de simples circulaires ; d'où la création de nouveaux droits, fondamentaux eux aussi, tels le droit au téléphone ou le droit à une domiciliation, à un revenu minimum, le droit à la santé ; d'où ces droits déterminants pour la réinsertion, le droit au travail et à la formation professionnelle.
En dépit de toutes les avancés, j'avais, à l'instar de la commission des lois, jugé cette première version en deçà de que l'on pouvait attendre mais le travail de la commission a résorbé le déséquilibre entre le titre II et un titre I qui méritait d'être amélioré. Le texte du Gouvernement marquait un recul sur la question de l'encellulement individuel, de la reconnaissance à ce droit fondamental. Nous souscrivons au retour à l'article 716 du code de procédure pénale qui le consacre pour les prévenus, quitte à discuter d'un moratoire à l'article 59.
La commission des lois a considérablement amélioré le texte initial et répondu aux attentes des professionnels dont le mouvement prolongé du printemps dernier avaient avoué le malaise. Le texte leur apporte maintenant les réponses attendues.
Je salue le travail collectif de la commission des lois et la perspicacité de M. Lecerf, ainsi que l'avis de M. About. Tel que modifié, le texte nous semble équilibré et nous le voterons si la commission maintient sa position mais nous resterons vigilants pour que les budgets permettent son application effective. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - De Victor Hugo à Paul Amor, en 1945, un long parcours humaniste a fait supprimer les bagnes et les travaux forcés, instaurer la libération conditionnelle et fait prévaloir la réinsertion. Après l'abolition de la peine de mort puis de la perpétuité effective, après les lois Badinter, après la création des services de probation et d'insertion, comment la France en est-elle arrivée à être montrée du doigt pour l'état de ses prisons ?
Le constat est sévère. Depuis longtemps, on avait appelé les politiques à se ressaisir et à considérer les détenus comme des sujets de droit, mais on est bien loin de l'esprit de 1945, bien loin aussi de l'esprit de la commission sénatoriale qui dénonçait l'absence d'une politique d'envergure et les réformes chaotiques imposées par les circonstances.
Selon le sentiment général, votre texte est a minima et régressif. Il est hautement significatif que la commission des lois ait adopté une centaine d'amendements. Vous, qui nous aviez annoncé une loi fondamentale, vous êtes résignée à une réponse minimale aux exigences européennes. Le projet restait muet sur le sens de la peine et sur les principes qui guident la politique pénitentiaire. Aussi le rapporteur a-t-il ajouté un article sur le sens de la peine.
Vous pourriez dire que la gauche n'a pas fait plus ; c'est vrai, le précédent gouvernement de gauche a manqué de courage et renoncé au projet Lebranchu. Mais, disons-le très nettement, la situation s'est bien dégradée depuis une dizaine d'années : en 1999, à la veille de la publication du rapport de notre assemblée qualifiant nos prisons d'« humiliation pour la République », il y avait 53 000 prisonniers ; ils sont 64 000 aujourd'hui et on en escompte 80 000 à l'horizon 2012. Ce gouvernement et sa majorité font preuve d'une véritable schizophrénie : répondant aux consignes d'un président nourri des doctrines Bush (tolérance zéro et enfermement dès 12 ans) poussées jusqu'à ce paroxysme qu'est la rétention de sûreté, vous avez beau jeu de dénoncer maintenant les conséquences des mesures que, des peines plancher à l'aggravation des qualifications, vous avez votées pendant sept années de matraquage médiatique et politique sur la délinquance...
M. Guy Fischer. - Voilà la vérité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Qu'il s'agisse du nombre d'entrées en prison ou de la durée des peines, vous avez aggravé la situation par une frénésie législative qui hypothèque aujourd'hui la sincérité du texte.
Il y a eu 115 suicides en 2008, 1 519 tentatives et 2 021 actes d'automutilation ; il y a pratiquement eu un suicide en prison tous les deux jours depuis le début de l'année. Cela justifie la commission d'enquête demandée par mon groupe.
Le rapport Albrand n'est pas encore public ; le sera-t-il ? S'il ne s'agit que de vêtements et de draps en papier, la réponse sera un peu courte. Alors qu'il préconiserait de diminuer les placements en quartier disciplinaire, vous vous êtes opposée à l'amendement en ce sens de la commission des lois. On est bien loin de la circulaire du 29 mai 1998 selon laquelle la prévention du suicide n'est efficace que si elle restaure le détenu dans les droits qui sont les siens.
Puisque le rapporteur a cité Albert Camus, posons-nous la seule question qui vaille : ce projet va-t-il créer de nouvelles conditions carcérales ?
M. Roland du Luart. - Certainement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - L'incarcération doit demeurer l'ultime recours, mais le texte ne le permettra pas si vous continuez à augmenter le nombre de places de prison pour y accueillir autant de nouveaux prisonniers. Au lieu de refuser l'encellulement individuel au motif qu'on manque de places de prison, limitez l'emprisonnement et acceptez l'encellulement individuel !
Il ne faut pas continuer à enfermer des gens qui n'ont rien à faire en prison, en particulier les personnes atteintes de troubles mentaux, dont le nombre ne fait que croître. La réduction drastique de la psychiatrie publique fait de la prison une alternative dix fois moins coûteuse ; la RGPP y trouve son compte, mais les hommes ? Un psychiatre vient de lancer ce cri d'alarme : la prison n'est pas un lieu pour soigner les maladies mentales -vous ne pourrez pas occulter cette question.
Quelles sont les alternatives, quels aménagements de peine, quel contrôle judiciaire ? Vous nous promettez le bracelet électronique dont le nombre est passé de 679 en 2004 à 3 331, mais quelles conclusions tirez-vous de l'expérimentation de ce remède miracle et quelles solutions apporte-t-il aux problèmes humains ?
L'utilisation du bracelet électronique comporte des risques ; risques également dans le choix des régimes de détention selon la dangerosité du prévenu, une notion bien peu scientifique.
Peu de place est accordée aux mineurs dans ce texte. Pourtant, leur situation est terrible : trois d'entre eux se sont suicidés en 2008 et les tentatives de suicide se sont multipliées en 2007, comme l'a noté la Défenseure des enfants.
Parce que ce projet de loi n'énonce pas l'intangibilité des droits fondamentaux des détenus, ceux-ci pourront être attribués au mérite par l'administration pénitentiaire. « La réforme maintient des pans entiers du droit dans le champ réglementaire », note l'Observatoire international des prisons, « alors même que sont pourtant constitutionnellement garantis les libertés et droits fondamentaux en question ». Je fus la première parlementaire à utiliser le droit qui m'était conféré par la loi du 15 janvier 2000 en franchissant les portes de Fresnes. Sans oublier les victimes, j'y ai vu la misère sociale, physique et psychologique qui, pour reprendre les termes de Mme Beaurepaire, s'y « expose » : deux hommes emmurés dans 9 m² -7 à la Santé avant la rénovation !-, des cabinets de toilette nauséabonds, des jeunes déjà abîmés, des vieux en fin de vie, des fous, rien que le temps long. User de ce droit de visite permet au législateur de mesurer combien la prison n'est pas un lieu de réinsertion, contrairement à ce qu'il proclame, mais un lieu de destruction où tout s'achète.
Ce texte permettra-t-il de modifier cette situation ? J'en doute quand ses modalités d'application sont renvoyées à des décrets et que de nombreuses restrictions sont déjà prévues aux droits des détenus. Quid du renforcement des moyens de l'administration pénitentiaire pour faire face à la hausse des détenus ? Comment se satisfaire du budget misérable consacré au suivi psychologique, à la formation et à la réinsertion des détenus ? N'est-il pas dangereux de confier la construction et la gestion des prisons à de grands groupes comme Bouygues ? Des juges ont été mis en examen en Pennsylvanie parce qu'ils avaient été payés par des centres de détention privés pour envoyer des jeunes en prison...
Lors de l'abolition de la peine de mort, notre société semblait enfin avoir entendu l'appel de Victor Hugo pour qui « il est un droit qu'aucune loi ne peut entamer, qu'aucune sentence ne peut retrancher : le droit de devenir meilleur ». Quel dommage que ce texte n'ait pas été l'occasion de lancer, comme en 1981, une grand débat de société afin de faire progresser une conception humaniste du droit pénal, de la peine et de la détention ! Pourtant, notre société avait besoin d'un tel débat sur les longues peines après les évasions de la prison de Moulins et l'appel des prisonniers de Clairvaux au rétablissement de la peine de mort ou encore sur l'enfermement des mineurs et la santé en prison.
Madame la garde des sceaux, vous n'avez pas tenu compte des recommandations des parlementaires, depuis le rapport de MM. Hyest et Cabanel en 2000 jusqu'aux propositions de MM. Burgelin et Warsmann, de même qu'aux conclusions des états généraux de la condition pénitentiaire, de l'OIP, ou encore de la CNDH jusqu'à celles du comité d'orientation restreint que vous aviez pourtant réuni. Vous restez sourde aux condamnations régulières de la France et aux appels des personnels pénitentiaires. Fallait-il attendre le meurtre à la centrale de Lannemezan pour agir ? Certes, vous avez annoncé 177 postes supplémentaires mais, semble-t-il, par redéploiement... Pour que l'administration pénitentiaire ait les moyens de remplir sa mission, il faut recruter des personnels statutaires et garantir des conditions de détention correctes. Il manquait 16 surveillants à Moulins lors de l'évasion ! Les équipes régionales d'intervention et de sécurité ne remplaceront pas les surveillants.
Madame le garde des sceaux, pourquoi l'urgence ? Pour attacher votre nom à ce projet de loi ? Malgré les réels efforts du rapporteur, ce texte doit être encore amélioré à travers un débat approfondi. Si ce n'est pas le cas, nous ne pourrons le voter ! (Applaudissements à gauche)
M. Roland du Luart. - Ce projet de loi constitue une étape importante dans l'organisation d'un service public pénitentiaire en garantissant les droits en milieu carcéral. Précédé de nombreux travaux préparatoires, il sera un texte fondateur de la Ve République. En répondant aux attentes et aux espoirs qu'il suscite, il honorera notre démocratie. Plus qu'un devoir politique, c'est un impératif moral pour le Sénat qui, dès 2000, avait adopté le rapport de M. Hyest au titre sans ambiguïté : « Prisons, une humiliation pour la République ». La commission des finances exprime également depuis longtemps des inquiétudes sur les conditions de détention. En tant que rapporteur spécial de la mission « Justice », j'ai souligné, lors du dernier budget, la vétusté de nos établissements pénitentiaires et la surpopulation carcérale qui atteignait le niveau historique de 116,5 % en 2008, voire 200 % dans certains lieux. Je me réjouis donc de l'examen de ce texte. La privation de liberté ne doit en aucun cas conduire à des conditions inhumaines de détention qui favorisent la contagion de la délinquance et sont contraires à l'objectif premier de la peine, l'amendement du condamné.
Pour que ce texte remplisse ses objectifs, il faut veiller à la bonne adéquation des moyens humains de l'administration pénitentiaire, engager des programmes de construction et de rénovation du parc pénitentiaire et améliorer la prise en charge des cas psychiatriques. Sur ce dernier point, madame le garde des sceaux, permettez-moi de vous conseiller d'obtenir de Mme le ministre de la santé l'ouverture de lits en hôpital psychiatrique plutôt que de placer ces détenus, qui ne relèvent pas de la prison, dans de nouveaux établissements pénitentiaires.
Dans le budget 2009, le budget du programme « Administration pénitentiaire » représente 37,1 % des crédits de la mission « Justice », soit une hausse de 4 % par rapport à l'an passé. Entre parenthèses, pour répondre à un précédent orateur, il s'agit d'un geste significatif. Qu'a fait la gauche en son temps ? Pas moins de 900 emplois équivalent temps plein ont été créés pour accompagner l'ouverture de nouveaux établissements, ce qui rassurera les personnels pénitentiaires fort inquiets ces derniers mois. Il faudra maintenir cet effort financier, a fortiori avec l'adoption de ce projet de loi pénitentiaire.
Mais il est tout aussi certain que la rationalisation de l'activité pénitentiaire doit se poursuivre. La question des transfèrements de détenus en particulier, actuellement effectués par la police et la gendarmerie nationales, appelle dès cette année des réponses réalistes et plus conformes à l'esprit de la Lolf ; les conclusions de l'audit mené actuellement par le ministère de l'intérieur à la demande du Sénat seront bientôt connues, qui devront fonder la négociation entre la place Beauvau et la Chancellerie.
La rénovation et la construction de places en établissement pénitentiaire est une priorité absolue : 50 806 places pour 64 250 détenus en 2008, ces chiffres témoignent de la crise actuelle. La durée moyenne de détention tend à se stabiliser, mais le nombre de condamnés définitifs ne cesse de croître : le constat est connu, qui vide de toute substance le principe de l'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt, pourtant inscrit dans la loi depuis 1875. C'est dire le caractère crucial du programme de modernisation du parc immobilier pénitentiaire engagée avec la loi d'orientation et de programmation pour la justice : 10 800 places seront créées dans de nouveaux établissements et 2 400 dédiées à l'application de nouveaux concepts, comme les établissements pour mineurs. En 2009, 4 588 places nettes seront ainsi créées. Mais le « programme 13 200 » ne permettra probablement pas de remédier au cruel déficit de places en détention. Selon la projection réalisée par la commission des finances pour le projet de loi de finances pour 2009, à supposer que le nombre de détenus demeure au niveau actuel et que les prévisions de créations de places soient respectées, le nombre de places n'égalera pas le nombre de personnes détenues au terme de la programmation. La vigilance reste donc de mise.
Centrale aussi est la question de la prise en charge des cas de psychiatrie en milieu carcéral. On peut estimer au tiers la proportion de détenus atteints de troubles mentaux. La première des explications réside dans la forte réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques, d'où un transfert vers les prisons dès lors que le nouveau code pénal admet la responsabilité pénale des personnes dont le discernement a été altéré par un trouble psychique ou neuropsychique. Malgré un effort conséquent, on ne peut que déplorer l'insuffisance des moyens en la matière, notamment le faible nombre de psychiatres intervenant en établissement pénitentiaire. Un long chemin reste encore à parcourir pour renforcer les équipes psychiatriques.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. - C'est évident !
M. Roland du Luart. - Ce texte est lourd d'enjeux essentiels. Il y va du respect de la dignité des personnes comme des conditions de travail dans les établissements. Je veux saluer le dévouement et l'engagement des personnels de l'administration pénitentiaire, que j'ai pu récemment constater lors d'une visite de la future maison d'arrêt du Mans. Les progrès attendus ne pourront se concrétiser qu'à une double condition : des moyens budgétaires adéquats et une évaluation sur le long terme. La barre est donc placée haut, mais désormais l'élan est pris. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Anne-Marie Escoffier. - Je voudrais évoquer le sujet crucial qu'est la réinsertion, sur lequel je vous avais déjà alertée, madame la garde des sceaux, lors du récent débat budgétaire.
Pour avoir rencontré des détenus et des personnels pénitentiaires dans une maison d'arrêt aux conditions matérielles insoutenables, mais aussi dans un centre de détention, à l'inverse, humanisé, j'ai retenu la volonté partagée de faire du temps de détention non pas un temps mort mais un temps de resocialisation, de reconstruction, un temps pour permettre aux détenus de se remettre debout.
M. Jean-Pierre Plancade. - Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier. - Ce ne sont pas les personnels pénitentiaires que je veux mettre en cause, encore que le comportement de certains puisse contrarier cette volonté, mais l'institution en elle-même. Un détenu a récemment dénoncé dans un livre non pas tant les problèmes de surpopulation et d'hygiène que ceux de la formation et du travail, deux puissants leviers d'une réinsertion sociale réussie. Il écrit ceci : « pour qu'une condamnation soit efficace, il est nécessaire d'atteindre un juste équilibre entre les objectifs de neutralisation, de punition, d'amendement, de réparation, conscientisation et de réhabilitation ». Or le défaut majeur du système actuel est de ne pas croire en l'homme, de considérer que le détenu doit être, à raison de ses crimes, un être dominé et privé d'autonomie. L'univers carcéral n'est pas conçu pour protéger l'individu contre sa propre désintégration mais trop souvent pour seulement lui faire acquitter sa dette envers la société. Il s'en suit une autre forme de suicide que celle dramatiquement observée ces derniers mois, l'acceptation de la mort sociale, une mort lente subie dans une prison qui « loin de remplir sa mission de réinsertion, ne fait que pousser dans la voie de l'exclusion ». Je voudrais ne plus jamais avoir à lire cette condamnation sans appel : « je fus libéré sans un sou en poche, (...) une libération sèche et douloureuse. La prison m'avait vomi sur le trottoir comme un vulgaire déchet ».
Je me réjouis donc que figurent dans ce texte les articles 11 ter, 13, 14 et 14 bis, dont l'objectif est de donner un sens au temps de détention -même si nous sommes nombreux à regretter que ne soit pas plus fortement affirmée la nécessité de la réinsertion.
La prison, écrivez-vous, doit être vraiment le pont qui conduira la personne condamnée à une réinsertion réussie. Comment ce pont permettra-t-il à 60 % des personnes incarcérées qui ne détiennent aucun diplôme, dont la moitié sont illettrées, d'intégrer un plan de formation individualisé, élaboré en concertation entre le détenu et un conseiller d'orientation ? Comment financera-t-il les activités scolaires qui aujourd'hui ne concernent que 23 % de la population des détenus ? Pourquoi par exemple ne pas examiner cette proposition faite par des détenus de créer des postes d'auxiliaires d'enseignement, des détenus qui pourraient animer des ateliers sur le lieu de leur détention ? L'un de vos prédécesseurs, madame le ministre, avait accueilli cette proposition favorablement en 2007, mais il semble qu'elle n'ait pas été reprise ; seuls les institutionnels accomplissent aujourd'hui frileusement leur obligation...
Comment ce pont facilitera-t-il l'insertion professionnelle des 40 % de détenus qui n'ont jamais travaillé avant leur incarcération ? Je me félicite que les articles 14 et 14 bis prennent cette question en compte. Il faudra ensuite que soient levés les obstacles externes, ceux que chacun de nous oppose à ces sortants de prison, à ces errants au curriculum vitae marqué par une ligne blanche entre deux périodes de leur vie.
Je veux croire que vous mettrez toute votre détermination et toute votre énergie à faire que ce pont enjambe réellement le fleuve de la désespérance. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)
M. Robert Badinter. - Chacun comprendra que je rende d'abord un hommage particulier à M. Lecerf, non seulement pour ce qu'il a apporté à ce texte mais surtout pour l'humanité avec laquelle depuis si longtemps il consacre tant d'efforts et de temps à visiter les prisons, à écouter les personnels, à observer les expériences des pays proches, à chercher à concilier les différents impératifs de l'institution carcérale. Son action dans ce domaine rejoint celle d'un de ses prédécesseurs, M. Béranger.
Enfin ! Nous voilà au rendez-vous que nous attendions depuis si longtemps ! Un de ces rendez-vous qu'on ne souhaite pas voir trop vite interrompu... C'est dire que la procédure d'urgence n'a pas sa place ici, s'agissant d'un texte qui touche à la dignité de l'être humain et aux libertés fondamentales, substances mêmes du travail législatif.
Nous sommes très en retard et depuis très longtemps. Nous avons pourtant connu le rapport Canivet de 1999, puis ceux rédigés ici sous la présidence de M. Hyest et à l'Assemblée nationale sous celle de M. Mermaz, en 2000 et 2001. Puis est venu un torrent de textes conduisant toujours davantage à l'incarcération, tandis que la loi pénitentiaire restait du côté des colloques et des articles de presse. Heureusement, nous avons été ensuite pris dans le mouvement européen.
Sans le mouvement européen, et plus particulièrement le Conseil de l'Europe, je ne suis pas sûr que le Gouvernement nous aurait enfin saisi de ce texte. La commission des lois du Sénat l'y a également poussé. Une première résolution du Parlement européen de 1998 a été suivie de plusieurs autres et de l'adoption de règles pénitentiaires européennes. Nous devons notamment au Parlement et au Conseil de l'Europe la création du contrôleur général des prisons, fonction qu'occupe actuellement l'excellent Jean-Marie Delarue. Se sont également succédé des rapports d'inspection du Comité de prévention de la torture, du commissaire européen aux droits de l'homme, qui nous ont à chaque fois pointés du doigt : c'était, sur tous les bancs, une humiliation pour la République.
Les états généraux de la condition pénitentiaire, qui ont réuni militants et professionnels de la justice et du milieu pénitentiaire, ont rédigé une déclaration qui a obtenu l'accord de tous. Le principe en a été approuvé par les candidats à l'élection présidentielle, dont l'actuel Président de la République, Nicolas Sarkozy. Nous avons dû pourtant attendre encore deux ans pour débattre de ce texte et cela, grâce à la révision constitutionnelle, dans la version élaborée par la commission enrichie des amendements très importants présentés par Nicolas About.
Ce texte est exceptionnel en ce qu'il touche à la condition de milliers d'êtres humains, confinés dans un espace clos, et prévenus, suspectés, condamnés pour avoir commis des infractions. Cette population particulière, que le rapporteur connaît bien, n'est pas seulement composée de Dils ou de Mesrine, contrairement à l'idée que peut s'en faire le public à travers de saisissants faits divers. S'il y a un noyau dur de criminalité qui mérite notre plus extrême attention, ne s'y trouve pas l'immense majorité de la centaine de milliers de personnes détenues chaque année. Près de 30 % d'entre elles souffrent d'affections mentales graves, 40 % seulement occupaient un emploi avant leur incarcération, 13 % sont complètement illettrées, 12,5 % à peine capables de déchiffrer un texte ; enfin, 28 % ont été placés par le juge des enfants. C'est à cette population-là qu'il faut d'abord songer.
Je suis saisi de voir à quel point la situation actuelle ressemble à celle dénoncé par les hommes des Lumières : l'enfermement général de vagabonds, de criminels aussi, de filles de joie, dans un magma indifférencié. Cela serre le coeur. Et on n'y trouve jamais le fils du banquier ni de la grande avocate car l'inégalité sociale s'inscrit dans cette population en lettres impitoyables. On comprend à quel point la tâche est difficile pour tous ceux qui interviennent en prison et je souhaite rendre hommage aux personnels pénitentiaires, comme l'ont fait avant moi le rapporteur et Nicolas About. Ils sont rarement préparés à veiller sur une population composée de 30 % de grands psychopathes... Il aurait peut-être fallu commencer cette loi par un article rappelant l'importance de leur mission.
Ne faisons pas de ce texte une occasion manquée, revenons au grand souffle des principes. Ceux qui s'appliquent aux conditions de détention dans une grande démocratie du XXIe siècle sont faciles à rappeler et j'aurais souhaité qu'on les proclamât solennellement. Le premier parcourait, comme un fil rouge, le rapport du premier président Canivet : le détenu est un être humain, c'est un homme -le plus souvent- ou une femme qui doivent jouir de tous leurs droits et, s'ils sont français, des droits du citoyen à l'exception de ceux que la justice leur a retiré. Tout s'éclaire si l'on aborde la question pénitentiaire à travers ce prisme. Dans cet espace clos, qui constitue la seule restriction au principe, il faut prendre en compte la sécurité des personnes et des biens.
L'État de droit ne peut pas s'arrêter à la porte des prisons. Nous le verrons en traitant des régimes différenciés ou des problèmes disciplinaires et, surtout, de l'arbitraire trop longtemps toléré de la fouille au corps, pratique insupportable qui porte gravement atteinte à la dignité humaine. La commission des affaires sociales a proposé des amendements auxquels nous devons souscrire et que nous devons même renforcer. L'apport personnel du grand René Cassin à la Déclaration universelle des droits de l'homme n'est-il pas justement le respect de la dignité humaine, qui ne figurait pas dans la grande Déclaration de 1789 ? Ce principe majeur, qui doit gouverner notre approche de l'univers pénitentiaire, ne s'accommode pas des fouilles qui s'inscrivent dans toute notre histoire pénitentiaire.
Il en va de même pour la question de l'encellulement individuel, principe inscrit dans l'admirable rapport du vicomte d'Haussonville sur l'univers carcéral, qui l'a fait voter en 1874, à la veille de la IIIe République. Il devait s'appliquer aux prévenus et aux détenus condamnés à des peines de moins d'un an mais n'a jamais été respecté. Or, on ne peut transiger sur ce principe, inscrit dans les règles pénitentiaires européennes, tout en prenant en compte l'intérêt des détenus, dont beaucoup sont déprimés ou dont la personnalité est trop fragile pour supporter l'isolement. (M. Nicolas About, rapporteur pour avis, approuve)
Dans sa remarquable intervention, Alain Anziani a rappelé que les droits des détenus devaient être pris en considération au regard de ces principes, auxquels le président Hyest a ajouté celui de la décision du Conseil constitutionnel de janvier 1994 donnant à l'objectif de réinsertion du détenu valeur constitutionnelle.
Sur un autre volet, la discrétion de la plupart d'entre nous m'a étonné.
J'étais habitué à entendre les convictions s'exprimer avec plus de fracas. Car que propose le titre II ? De revenir à ce que nous n'aurions jamais dû perdre de vue : l'impératif d'individualisation des peines, le principe qui veut que l'emprisonnement reste le dernier recours et la faculté pour les magistrats, qui en ont la responsabilité au premier chef, de décider de mesures alternatives à la prison ou d'aménagement des peines -lesquelles ne comptent aujourd'hui que pour moins de 20 %. Quel changement de cap ! Quelle admirable conversion au regard de ce qui prévalait hier encore -peines planchers et emprisonnement ferme, y compris pour les mineurs ! Je salue ce changement avec satisfaction. Il est infiniment heureux. Cette deuxième partie du texte ne manquera pas de servir grandement la cause de l'humanisation des prisons. J'eusse aimé que l'on commençât par là.
Dernier aspect de ce texte : en posant dans la loi les principes qui doivent gouverner la condition pénitentiaire, nous allons permettre le développement du contrôle juridictionnel des conditions de détention et prendre acte du mouvement très convergent qui a vu, depuis quelques années, les autorités juridictionnelles chercher à s'assurer que les principes fondamentaux ne sont pas méconnus par les conditions mêmes faites aux détenus dans l'univers carcéral. C'est ainsi qu'en décembre dernier, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, dans le fameux arrêt Renolde du 16 octobre 2008, pour avoir infligé à un détenu psychologiquement fragile une sanction de 45 jours de cellule disciplinaire, qualifiée de traitement inhumain et dégradant. Plus important encore, les décisions de l'assemblée et de la section du contentieux du Conseil d'État de novembre et décembre 2008 qui marquent fermement que l'État de droit ne s'arrête pas à la porte des prisons et qu'il appartient aux juridictions administratives d'user de leurs compétences pour veiller au respect des principes. Sans parler de l'institution judiciaire et de la décision de la cour de Rouen qui a permis de dresser un constat en référé...
Cette loi sera une grande loi, et je souhaite, monsieur Lecerf, qu'elle porte votre nom (murmures approbateurs à droite) car elle est véritablement votre loi. Peu importe comment la nommeront les Dalloz, souvent infidèles, et les journalistes, souvent incertains, elle sera pour nous la loi Lecerf, qui marquera, dans l'histoire désolante de l'institution judiciaire, le moment où l'État de droit aura cessé de n'être qu'une référence pour devenir une réalité dans l'univers sombre dont tous ceux qui s'en approchent savent les difficultés quotidiennes. (Applaudissements à gauche ainsi que sur plusieurs bancs au centre et à droite)
Mme Muguette Dini. - La prise en charge des soins des détenus, sur laquelle je concentrerai mon propos, a connu une profonde mutation avec la loi du 18 janvier 1994. Bref dans sa rédaction mais puissant dans son contenu, ce texte a profondément modifié l'organisation des soins dispensés aux personnes détenues, laquelle repose, désormais, sur une conception globale de la prise en charge des soins tant dans ses aspects somatique et psychique que dans sa dimension préventive et curative.
Il s'agissait d'assurer aux détenus une qualité et une continuité des soins équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population, principe d'égalité qui ressort également de la loi du 4 mars 2002, laquelle rappelle les droits des patients sans distinction de la situation pénale du malade.
La prise en charge sanitaire des personnes détenues est ainsi passée de l'administration pénitentiaire au service public hospitalier tandis que tous les détenus étaient affiliés à l'assurance maladie et maternité du régime général de la sécurité sociale. La santé des détenus a donc quitté le code de la procédure pénale pour entrer dans ceux de la santé publique et de la sécurité sociale.
La médecine en prison, jusqu'alors humanitaire et de l'urgence, est devenue un mode normal de prise en charge hospitalière. En principe, les détenus bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers, au sein des établissements pénitentiaires comme dans les établissements publics de santé, lors de consultations d'urgence, de consultations spécialisées et d'hospitalisations. Le président About a fort bien décrit le dispositif de soins en milieu pénitentiaire, autour notamment des unités de consultations et de soins ambulatoires, pour les soins somatiques, et des services médico-psychologiques régionaux, pour la prise en charge psychiatrique.
De nombreuses études et rapports officiels mettent en évidence les progrès apportés par la loi de 1994, en même temps qu'ils soulignent les difficultés qui persistent dans la mise en oeuvre au quotidien des soins et des activités de prévention en milieu carcéral. D'autant que de nouveaux besoins en santé des détenus se font jour, que nous devons prendre en compte.
Pour apprécier le chemin qui reste à parcourir, il est nécessaire d'analyser la situation sanitaire des détenus, qui demeure globalement dégradée si on la compare à celle de la population générale d'âge comparable. La population carcérale continue, en effet, à cumuler les facteurs de risque. Certains sont stables : précarité et faible accès aux soins, forte consommation d'alcool et de tabac, toxicomanie et phénomènes de violence. Mais des évolutions majeures sont à l'oeuvre : développement des polytoxicomanies, vieillissement de la population pénale -l'âge des entrants augmente de façon continue depuis vingt ans et l'allongement des peines touche plus fortement les condamnés déjà âgés-, baisse constante de la prévalence du VIH en prison mais avec un taux de personnes atteintes du VIH, malgré une baisse de la prévalence, supérieur à celui de la population générale, fréquence des hépatites B et C, très mal dépistées et donc rarement soignées avant l'incarcération, recrudescence inquiétante de la tuberculose -vous vous êtes, madame la ministre, récemment exprimée sur ce sujet, après l'annonce de la contamination par le bacille de Koch d'un détenu, puis de cinq surveillants de la prison de Villepinte.
Surtout, une forte proportion de personnes détenues nécessite une prise en charge psychologique ou psychiatrique. L'enquête de prévalence des troubles mentaux chez les détenus, menée par les professeurs Falissard et Rouillon, indique que, quels que soient la population et le type d'établissement, les personnes incarcérées présentent de lourds antécédents personnels et familiaux. Avant leur incarcération, plus du tiers d'entre elles ont déjà consulté un psychologue ou un psychiatre, tandis que 16 % des hommes ont déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. La prison est le plus souvent facteur d'aggravation de ces troubles.
Au regard du niveau élevé de souffrance psychique d'un grand nombre de détenus, le dispositif de soins mentaux se révèle particulièrement inadapté. Les unités extérieures pour malades difficiles sont saturées, ce qui entraîne des délais d'attente importants. Même dans les prisons disposant d'un service médico-psychologique régional, il n'y a pas d'hospitalisation psychiatrique à proprement parler, puisque les cellules sont identiques aux autres cellules. Les soins dispensés correspondent le plus souvent à une hospitalisation de jour, inadaptée aux patients suicidaires dans la mesure où le cadre légal n'autorise pas une prise en charge sans consentement aux soins : l'hospitalisation d'office reste ainsi trop souvent le seul recours. Généralement trop courte, elle reste un simple palliatif en cas de crise aiguë, sans perspective de prise en charge à long terme pour les pathologies chroniques.
Les handicaps liés au vieillissement sont eux aussi sévères, particulièrement en établissements pour longue peine. Or, la vétusté des équipements des locaux de détention empêche tout déplacement, ce qui aggrave les problèmes d'hygiène. Les fins de vie liées aux cancers sont de plus en plus problématiques. La prévention et l'éducation pour la santé restent timides, alors même que la population pénitentiaire en a le plus grand besoin.
La construction d'un programme cohérent de santé publique s'impose.
L'hygiène, autant individuelle que collective, présente des lacunes importantes : manque de douches régulières, blanchissage inefficace, chauffage défaillant, éclairage déficient, insalubrité des locaux.
Enfin, on ne peut ignorer la misère sexuelle à laquelle sont confrontés les détenus et le silence qui l'entoure.
Sur tous ces problèmes, les commissions des lois et des affaires sociales ont proposé de véritables solutions, que nous soutiendrons en souhaitant qu'elles ne restent pas à l'état de voeux pieux. (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Ce débat s'ouvre dans un contexte difficile et je souhaite rendre hommage à Mme la ministre en la félicitant pour son courage. Je salue également M. le rapporteur Lecerf pour son engagement obstiné en faveur d'une humanisation des conditions de détention, et M. le président About, qui s'est beaucoup investi dans ce projet.
L'institution pénitentiaire fut tristement placée au coeur de l'actualité au mois de janvier dernier, lorsque onze détenus se sont suicidés. Cette vague de suicides pour des raisons affectives et psychologiques, parce que la prison est trop souvent considérée comme un temps mort, un temps d'absence de la société. La France connaît un taux de 15 suicides pour 10 000 détenus, l'un des plus élevés d'Europe.
On parle souvent de « monde carcéral », expression inappropriée qui révèle le malaise que suscitent les prisons. Celles-ci ne constituent pas un autre monde, une galaxie éloignée de la nôtre : bien au contraire, les prisons concentrent certaines des caractéristiques et des faiblesses de notre société, parmi lesquelles l'incapacité à prendre soin des autres lorsqu'ils sont hors de notre champ de vision. Il en va ainsi des personnes qui sont victimes de troubles mentaux, face auxquelles les familles et l'État sont désemparés. De même, nous sommes aveugles aux séquelles de la prison, lieu de misère psychologique, affective et sociale, lieu de l'absence d'amour qui conduit trop souvent les détenus à la violence, à la drogue, à la dépression ou à la maladie.
Certes, le droit pénitentiaire s'est progressivement structuré autour d'objectifs tels que la resocialisation des personnes détenues. Il faut saluer la création des unités de visite familiale, des unités hospitalières sécurisées interrégionales, des établissements pour mineurs et des unités hospitalières spécialement aménagées, destinées à un public spécifique et qui permettent de mieux concilier la sécurité avec le respect des droits humains. Mais aujourd'hui, la fracture est béante entre l'hôpital et la prison, entre la détention et la remise en liberté. Ce projet de loi répond à certaines préoccupations ; mais à la suite de M. About, j'insisterai sur la nécessaire amélioration de la prise en charge médicale des détenus et sur l'impératif de réinsertion.
Qu'il ait été condamné à six mois, deux ans ou trente ans de prison, le détenu est un homme, voué à reprendre sa place au sein de la société. La manière dont l'État prend en charge l'état sanitaire des détenus est révélatrice de l'attitude de notre société envers ses membres les plus vulnérables. Si la prise en charge des affections somatiques en prison est assez satisfaisante, celle des troubles psychologiques l'est beaucoup moins, faute de moyens financiers et humains. Est-il normal qu'un psychiatre embauché à temps plein dans nos prisons n'y effectue pas l'intégralité de son service ? Est-il normal que les soins ne soient pas assurés le week-end ou la nuit, faute de surveillants ou à cause du refus de certains d'entre eux d'alerter les services compétents parce qu'ils savent mal évaluer l'urgence ?
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le comité national d'éthique relevait en 2006 que le taux de pathologies psychiatriques en prison était vingt fois supérieur à celui observé dans l'ensemble de la société. Vingt fois ! Les psychiatres se retrouvent en première ligne, mais ils manquent de moyens pour répondre aux besoins d'une population vulnérable, trop souvent conduite au suicide ou à la récidive. L'une des causes de cette carence est la reconnaissance de la responsabilité pénale de personnes dont le discernement est altéré par des troubles mentaux ; une autre est la baisse continue du nombre de lits dans les services hospitaliers de psychiatrie alors qu'à la Salpêtrière, des salles d'enfermement restent vides et pourraient être réaménagées. Il faut aussi tenir compte de la fragilisation psychologique qui résulte des conditions de détention.
Les services médico-psychologiques régionaux créés en 1986 et les unités hospitalières spécialement aménagées sont plus que jamais nécessaires, mais du fait de l'insuffisance des effectifs et des moyens financiers, les délais d'attente sont très longs, généralement supérieurs à six mois, sauf urgence. J'appelle sur ce point l'attention de la garde des sceaux et du ministre de la santé, dont je m'étonne de constater l'absence.
L'article 21, dans sa nouvelle rédaction, énonce l'impératif de qualité et de continuité des soins, à l'intérieur comme à l'extérieur de la prison, et prévoit que l'état psychologique des personnes détenues sera pris en compte lors de leur incarcération et tout au long de leur détention. Cette disposition primordiale vise à assurer que ces personnes fragiles ne ressortent pas de prison dans un état aggravé.
En ce qui concerne la prévention du VIH, le combat est loin d'être gagné même si nous avons fait des progrès. Les associations préconisent de poursuivre les actions de dépistage à l'entrée en prison, en améliorant le conseil et en renouvelant régulièrement les propositions de test. Elles insistent aussi sur la nécessité de préparer la sortie des détenus : un médecin chargé du suivi médical du VIH à Fleury a, par exemple, ouvert une consultation médicale post-pénale à la Pitié-Salpêtrière. Le problème est que c'est le même médecin qui doit assurer ces deux tâches ! Etes-vous prête, madame la ministre, à favoriser de tels dispositifs ?
J'en viens au problème des addictions. La prison manque de spécialistes dans ce domaine. Or 33 % des détenus font usage de substances illicites, et 31 % ont une consommation excessive d'alcool. La prison pourrait être l'occasion du premier accès à la santé pour nombre de prisonniers. Le voulons-nous vraiment ?
Pour que les traitements soient efficaces, il est indispensable qu'ils se poursuivent après la sortie de prison. Or les soins s'interrompent trop souvent du jour au lendemain, ce qui est contraire à l'objectif de santé publique énoncé par la loi de 1994, et potentiellement dangereux pour l'ancien détenu comme pour la société : je pense, par exemple, à l'interruption d'un traitement à la méthadone.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. - Tout à fait.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Voilà pourquoi un article additionnel après l'article 22, ajouté en commission, prévoit une visite médicale de sortie. Mais les soins apportés aux détenus ne doivent pas se limiter au milieu carcéral : il faut mieux coordonner les différents acteurs de la santé publique, y compris en dehors de la prison.
Cette coordination des actions dans les murs et hors les murs est également nécessaire dans les domaines du logement, de l'insertion professionnelle et de la famille. En ce qui concerne le logement, il faudrait dresser un bilan social complet du détenu à l'entrée en prison et lui apporter un soutien individualisé. Il conviendrait également de développer le dispositif des appartements-relais qui favorise la réinsertion et l'autonomisation. Faute d'une politique appropriée, les anciens détenus sont réduits à l'errance, à l'isolement, parfois à la récupération par des réseaux criminels et à la récidive. Il faut en finir avec les sorties sèches, à minuit à Fleury, à midi à Fresnes, avec pour tout viatique un préservatif fourni par l'administration pénitentiaire !
Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, la prison pourrait être une opportunité fondatrice pour des personnes qui n'ont pas même les bases de l'instruction. Il convient donc de développer la formation en prison. Le nouvel article 11 ter fait obligation aux détenus d'exercer une activité afin de lutter contre l'oisiveté cérébrale.
Il faut également aider les détenus à maintenir des liens familiaux. En tant que ministre et mère, vous ne pouvez qu'être sensible, madame la garde des sceaux, au problème que constitue la rupture de tout lien entre des parents et des enfants de moins de 3 ans, rupture qui nuit au développement des uns et des autres. Pour faciliter leurs rencontres, la puissance publique devrait prendre en charge l'acheminement des enfants jusqu'au lieu de détention. Ces rencontres doivent avoir lieu dans des espaces spécialisés, selon un cahier des charges établi par la Protection maternelle et infantile (PMI).
Une personne détenue doit sortir de prison dans un état psychologique meilleur que lors de son incarcération, mieux consciente de son humanité. Elle doit nous entendre lui dire : « Tu as ta place dans notre société car nous croyons en toi. » (Applaudissements au centre, à droite et au banc des commissions)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Je tiens d'abord à remercier M. le rapporteur Lecerf pour son engagement en faveur de l'humanisation de nos prisons.
Vous nous avez associés, monsieur le rapporteur, à vos nombreux déplacements et su nous prouver que la question des prisons dépassait les clivages politiques traditionnels. Vous avez montré que la sécurité ne justifiait pas éternellement de porter atteinte aux droits des détenus.
Sur de nombreux points, vous êtes allé aussi loin que l'on puisse aller. Je pense notamment à la responsabilité de plein droit de l'administration pénitentiaire pour les violences entre détenus ou aux procédures d'aménagement de peines propres à décongestionner nos prisons. Je pense également au renforcement du principe de l'encellulement individuel.
Cependant, je regrette que, sur de nombreux points, le texte n'aille pas assez loin. Je pense, en premier lieu, au principe de l'encellulement individuel obligatoire, dont le Gouvernement veut réduire la portée en le rendant facultatif. Non seulement il n'est plus question, comme dans le code de procédure pénale, de faire respecter le principe de l'encellulement individuel mais le Gouvernement voudrait redéfinir ce principe, qui ne serait plus un détenu par cellule mais un détenu par place ! C'est ouvrir la voie à tous les abus : l'administration jettera au sol des matelas et on appellera cela une place. On élèvera des montagnes de lits superposés dans une seule cellule et l'on dira que la dignité des détenus est respectée !
Il est urgent de mettre un terme à cette mascarade et d'affirmer le droit à une cellule individuelle. Ce n'est qu'à ce prix que le détenu concevra la prison autrement que comme une zone d'attente délabrée où la survie constitue un combat de chaque instant. Nous ne demandons pas que nos prisons se transforment en hôtel cinq étoiles mais seulement que les détenus n'aient pas à endurer, en plus de la détention, les atteintes continues à leurs droits fondamentaux à la dignité, à la santé, à l'intimité. Rien que le droit, mais tout le droit !
Le code pénal punit d'emprisonnement ceux qui fournissent un logement indigne ; pourquoi les détenus ne pourraient-ils pas bénéficier d'une telle protection ? II est temps que la France reconnaisse un véritable droit opposable à l'encellulement individuel ! Profitons de la caducité du moratoire pour enfin organiser, graduellement mais sûrement, la mise en place progressive de ce principe. Le cadre juridique existe, puisque vous avez pris, madame la ministre, un décret, le 10 juin 2008, pour mettre en oeuvre l'encellulement individuel. L'enjeu d'une application effective de ce principe n'est pas seulement arithmétique, il s'agit de faire respecter le droit à la dignité des détenus.
Je regrette d'ailleurs que la référence à la dignité du détenu ait disparu du texte. Le respect de la dignité du détenu ne va pas de soi, comme on l'affirme, et le détenu doit pouvoir désormais, comme n'importe quel citoyen, soumettre par voie préjudicielle au Conseil constitutionnel la protection effective de son droit au respect de sa dignité, et vous connaissez l'orientation englobante de la jurisprudence du Conseil. En supprimant toute référence à la dignité du détenu, on prive celui-ci de la possibilité de s'en prévaloir.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Comment cela ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Autre point sur lequel je souhaite insister, la santé des détenus. Il y a quelques mois, j'ai déposé une demande de commission d'enquête sur la prise en charge sanitaire des détenus et l'évaluation des risques suicidaires. Il y a eu 115 suicides en 2008 et 26 pour les seuls mois de janvier et février 2009. Or le projet de loi est muet sur cette question. Il ne contient rien non plus sur la prise en charge des détenus malades, ni sur l'aménagement des régimes de détention en fonction de l'état de santé, ni sur l'information des familles sur son état de santé. Autant dire que le détenu malade est traité comme les autres ! Nous souhaitons remettre la santé du détenu au coeur du parcours d'exécution de la peine. Elle doit être prise en compte dès l'incarcération et à toutes les phases de l'exécution de la peine, y compris lors de mesures disciplinaires.
La question de la prise en charge sanitaire des détenus a été oubliée depuis la grande loi de 1994. Quinze ans après, il est temps de faire un bilan pour les ministères responsables, et de repenser le soin dans ses rapports avec la peine. En prison, la demande de soins est beaucoup plus pressante qu'à l'extérieur et l'absence de soins y a des conséquences tragiques que nous avons mesurées ces derniers mois. Le taux de détenus présentant des troubles mentaux est impressionnant : on l'évalue à 25 %, dont 8 % atteints de psychoses graves. Nous devons sortir de cette escalade de la morbidité !
Il faut mettre un terme aux mélanges des genres et assurer aux détenus un service public hospitalier convenable. Cela nécessite des unités hospitalières spécialement aménagées afin de laisser aux SMPR, aujourd'hui saturées, la responsabilité effective des soins ambulatoires. Cela passe également par une remise à plat de la démographie psychiatrique.
Il faut surtout sortir de la contradiction entre une politique pénale répressive et une politique pénitentiaire censée favoriser la réinsertion et combattre la récidive. Nous abordons l'examen de ce texte avec optimisme, dans un esprit de collaboration ; nous vous soumettrons, madame la garde des sceaux, plusieurs propositions équilibrées avec l'espoir que vous saurez y adhérer et que nous pourrons peut-être voter cette loi. (Applaudissements à gauche)
M. Claude Jeannerot. - Le pays des droits de l'homme attendait cette loi pénitentiaire avec impatience : nous savons tous que les prisons françaises ne sont pas dignes de notre démocratie et sont loin des exigences européennes. La déception est à la mesure des espoirs. Malgré certains progrès réels, ce projet de loi n'est pas à la hauteur des enjeux. Son insuffisance tient sans doute au contexte paradoxal, voire contradictoire, dans lequel il a été conçu : depuis 2002, on n'a de cesse de renforcer la dimension répressive de notre droit pénal, ce qui a eu pour effet mécanique d'accroître le surpeuplement de nos prisons. Le taux moyen est de 125 % d'occupation, ce qui veut dire qu'il dépasse souvent les 135 % dans les maisons d'arrêt.
La première raison d'être de ce projet de loi est de remédier à cette surpopulation, ce que nous approuvons, mais une grande loi pénitentiaire doit aller plus loin et porter très haut le droit à la dignité pour les détenus. Mettez à profit ce texte insuffisant et partiel pour faire progresser ce pays !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Vous semblez oublier qu'on discute le texte élaboré en commission !
M. Claude Jeannerot. - La surpopulation a des effets désastreux sur la santé des détenus, malgré les énormes progrès accomplis grâce à la loi de 1994 qui a confié la prise en charge de la santé des détenus au secteur hospitalier. Mais cette loi n'est qu'insuffisamment appliquée, selon l'Académie de médecine, qui dénonce des carences graves de l'hygiène, une absence de permanence médicale la nuit, une violation fréquente du secret médical, une insuffisance de suivi à la sortie. Tout cela alors qu'un quart des détenus est atteint de troubles psychiques.
Ce projet de loi mérite donc encore d'évoluer. Les règles pénitentiaires européennes devraient servir de cadre de référence pour aller plus loin.
Le groupe socialiste proposera donc des amendements garantissant mieux ce droit à la santé, en cohérence avec les propositions du président de la commission des affaires sociales. Le rapporteur a lui-même reconnu la nécessité de retravailler à fond cette question : il serait dommage que ce texte ne la traite pas.
Le droit à la réinsertion doit être une préoccupation centrale. Elle s'opère grâce au maintien des liens familiaux, grâce au suivi médical et, surtout, par l'accès au travail et à la formation professionnelle. Pourtant, la proportion de détenus exerçant une activité en prison ne dépasse pas 40 %. Alors que 75 % des entrants n'ont pas le niveau du CAP et que la moitié sont illettrés, le temps de l'incarcération doit être un temps utile. Nous présenterons des amendements favorisant le travail en prison.
Dans la perspective de ce débat, j'ai visité la maison d'arrêt de Besançon, rencontré des détenus, une équipe de direction très professionnelle et un personnel soucieux d'assurer ses missions dans les meilleures conditions. En proposant à la vie pénitentiaire un cadre législatif ambitieux, nous valoriserons aussi le travail de ce personnel.
En 1981, en abolissant la peine de mort, la France se mettait en accord avec elle-même, elle qui avait été une des premières nations à éradiquer la torture et à supprimer l'esclavage. Faisons en sorte qu'elle ne soit pas la dernière à se doter de règles pénitentiaires dignes d'une démocratie. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Alain Fouché. - En janvier 2000, le rapport de Véronique Vasseur devait aboutir à la constitution de deux commissions d'enquête parlementaires. Quelques mois plus tard, la commission des lois du Sénat poussa à l'adoption de la proposition de loi déposée par MM. Hyest et Cabanel. C'est dire le rôle majeur et précurseur du Sénat sur ce sujet. C'est aussi grâce à la pression permanente du rapporteur, M. Lecerf, et à son engagement personnel en faveur de la condition pénitentiaire que nous entreprenons l'examen de ce texte.
La commission des lois a fait un travail remarquable et, moi qui suis membre d'une profession juridique, je ne suis pas déçu par ce texte qui apporte de réels progrès. Ce projet de loi a de grands mérites. Et d'abord celui d'être courageux puisqu'il aborde, dans une période de crise, un sujet qui n'est pas au premier rang des préoccupations de la grande majorité des Français, qui considèrent que, lorsque quelqu'un a commis une faute, il doit en supporter les conséquences. « Vous n'allez pas leur faire des quatre étoiles ! » s'exclament-ils lorsqu'ils apprennent sur quoi nous légiférons...
Ce texte a aussi le mérite de placer la réinsertion au coeur du service public pénitentiaire, s'attaquant ainsi au « paradoxe pénitentiaire » qui fait souvent de la prison une école de la récidive. « La société a le droit de punir mais non de corrompre ceux qu'elle châtie » écrivait Alexis de Tocqueville. Il ajoutait qu'on jugeait de l'efficacité du système pénitentiaire à son taux de récidive. Ce texte propose de nombreuses avancées : prévoir par exemple, comme le propose le rapporteur, d'évaluer le taux de renouvellement de l'infraction par établissement pénitentiaire pour mesurer l'impact des conditions de détention sur la récidive ; ou éviter l'incarcération, en développant les alternatives et les aménagements de peines. En matière correctionnelle, l'emprisonnement ferme ne doit être prononcé qu'en ultime recours et la libération conditionnelle doit être, aussi souvent que possible, préférée aux réductions de peine, tant il est primordial d'éviter les « sorties sèches ». La réussite de la réinsertion étant conditionnée par les modalités d'exécution de la peine, nous devons prendre à bras-le-corps le problème de la surpopulation pénale. Notre majorité a fait de constants efforts, depuis bientôt trente ans, pour construire de nouvelles places de prison. Trois programmes ont été successivement mis en oeuvre : le programme Chalandon de 13 000 places avec la construction de 25 établissements, le programme Méhaignerie avec 4 000 places et la construction de six établissements et, enfin, la création de 13 200 places, décidée par la loi d'orientation et de programmation pour la justice initiée par Jean-Pierre Raffarin avec la construction d'une quinzaine d'établissements pénitentiaires et de sept centres pour les mineurs. Parallèlement, au sein des établissements existants, on a créé entre 2003 et 2008 près de 1 600 places de détention. C'est en poursuivant cette orientation que nous répondrons au double objectif de sécurité pour la société et d'humanisation de nos prisons.
En tant que membre de la profession juridique, je me félicite de la priorité accordée par ce texte à la réinsertion mais celle-ci ne peut être poursuivie pour tous ni de la même façon. A l'optimisme de la réinsertion s'opposera toujours le pessimisme vis-à-vis des inamendables. Il nous faudra toujours des prisons, mais des prisons dignes.
A cet égard, l'encellulement individuel doit rester une priorité avec, certes, de possibles assouplissements liés à la personnalité du détenu. Il faut s'en donner les moyens, comme propose de le faire le rapporteur pour le travail, la formation ou la sécurité des détenus. Il préconise un régime de responsabilité sans faute de l'État pour les décès en détention survenus du fait d'une agression commise par un détenu.
La même logique de moyens prévaut pour le statut des personnels pénitentiaires. Oui, il faut se donner les moyens de garantir l'effectivité des droits reconnus aux détenus. Ce projet de loi est porteur en la matière de certaines avancées : droit à la communication, visites, maintien des liens familiaux, notamment avec les unités de vie familiale.
Il en va de même du droit disciplinaire dont les principes fondamentaux sont désormais élevés au niveau législatif. Il faut limiter les fouilles corporelles, trop souvent indignes, et les accomplir en respectant la dignité des détenus qui sont des êtres humains comme vous et moi.
Pas plus que la prison ne peut être une zone de non-droit, elle ne saurait être une zone de non-soins. On lit dans certains journaux des chiffres extravagants sur la proportion de détenus malades mentaux. J'en parlai voici quelques jours avec le professeur Senon, psychiatre bien connu dans nos prisons. D'après lui, 4 à 7 % de malades sont des schizophrènes et des psychotiques, 10 à 20 % sont dépressifs et délinquants sexuels, la France étant le pays d'Europe où les auteurs de violences sexuelles sont les plus punis.
Il faut aussi considérer le cas des jeunes détenus, plus fragiles et qui risquent d'être entraînés à la récidive. Les unités pour malades difficiles sont trop peu nombreuses. Dans les années 90 on a supprimé des lits, si bien qu'aujourd'hui toutes les UMD ont des listes d'attente. La création proposée de quatre nouvelles répondrait aux besoins actuels. Au-delà, il importe de garantir à tous l'effectivité des soins, sans que les détenus aient à attendre plusieurs mois pour une consultation spécialisée, et de fixer des objectifs de santé publique en fonction des pathologies de la population carcérale. L'idée d'un numerus clausus, sous la forme de l'interdiction d'incarcération de nouveaux détenus dans un établissement ayant un taux d'occupation supérieur à 120 % de ses capacités, peut se justifier tant la surpopulation carcérale a des effets sanitaires désastreux. Assurer un suivi des soins après la sortie de prison est une idée qui tombe également sous le sens mais qui, pour être correctement appliquée, suppose de coordonner tous les acteurs. Une visite médicale obligatoire après la sortie amorcerait sans doute ce processus vertueux. La prise en charge médicale du détenu montre qu'il a besoin d'un accompagnement continu « dedans » et « dehors ».
Votre projet pose des fondements ; il répond à une volonté exprimée de tous les horizons mais, il faudra, c'est le plus difficile, dégager des moyens pour le mettre en oeuvre. (Applaudissements à droite et au centre)
La séance est suspendue à 19 h 45.
présidence de M. Bernard Frimat,vice-président
La séance reprend à 21 h 45.