Article 25 de la Constitution et élection des députés (Urgence - Suite)
Discussion générale commune (Suite)
M. Michel Magras. - « L'outre-mer constitue une chance et un atout pour la France ». Cette phrase qui revient régulièrement dans les propos de tous ceux qui connaissent réellement l'outre-mer s'applique parfaitement à Saint-Barthélemy. Tous les étrangers qui viennent sur notre île et les métropolitains aussi, sont unanimes à le reconnaître : Saint-Barthélemy est l'une des plus belles vitrines de la République Française.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est le mot...
M. Michel Magras. - Si je vous dis cela, c'est tout simplement parce qu'un éminent parlementaire s'adressant à moi récemment, m'a froidement affirmé que les deux collectivités de Saint-Barth et Saint-Martin sont une honte pour la France. Douche froide pour un élu des Tropiques... Je ne pourrai jamais oublier une telle phrase. Je n'en dis pas davantage... Je préfère penser que les autres parlementaires et la grande majorité des Français ne sont pas de cet avis. Je préfère rappeler celui du Président Sarkozy qui, dans une lettre adressée aux habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon en février 2007 écrivait : « La distance, pas plus que la dimension des territoires ou l'importance des populations ne sauraient constituer des critères de discriminations au sein de notre République ».
Le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale et son président ont clairement indiqué au Gouvernement, que l'objectif de leur amendement n°7 était de faire en sorte que Saint-Barthélemy et Saint-Martin n'aient pas de député et, qu'au mieux, ils comprendraient si le Gouvernement choisissait de donner un député pour les deux îles. En adoptant un tel amendement, les députés ont pris une décision incohérente et injuste. Un tel choix relève soit de l'ignorance totale de nos réalités, soit de la mauvaise foi du législateur. L'image qui me vient à l'esprit est celle d'un enfant auxquels les parents, après lui avoir donné naissance, décideraient d'enlever un bras, sous prétexte que les autres membres de la famille ont besoin de ce bras.
Que notre collectivité soit petite ou grande, comme tout être humain qui se veut autonome, elle a besoin de ses deux bras. Nous ne pouvons pas, à chaque fois que l'occasion nous en est donnée, vanter les mérites du bicamérisme et priver une collectivité de sa représentation à l'Assemblée nationale. Comment concilier le principe fondamental selon lequel tout département est représenté par au moins deux députés et le fait qu'une collectivité de la République, qui de surcroit a un statut particulier, n'ait pas un seul député ?
Saint-Barthélemy, en devenant collectivité d'outre-mer, assume seule les compétences d'une commune, d'un département, d'une région et une partie des compétences de l'État. Toutes ces compétences sont définies dans des lois votées par le Parlement et dans des règlements, décrets et autres ordonnances du Gouvernement. Pour la seule année 2008, ce sont plus d'une centaine de textes sur lesquels notre collectivité a été officiellement consultée par le Gouvernement. Et on voudrait nous faire croire qu'un député pour Saint-Barth n'aurait pas sa place à l'Assemblée où ces lois sont votées ?
On nous dit que « les députés ne sont pas là pour représenter les collectivités... ils sont d'abord là pour représenter la population ».
M. Jean-Pierre Sueur. - Non ! La Nation !
M. Michel Magras. - Mais les lois que votent les assemblées ainsi que les règlements, les décrets, les ordonnances, c'est bien à la population qu'ils s'appliquent !
On nous dit que nous pourrions être représentés par un député de la Guadeloupe ou par un député de Saint-Martin. Les communes ont toutes le même statut dans la République, il est donc normal qu'un même député puisse représenter plusieurs communes lorsqu'il s'agit de voter des textes de lois. Mais notre île n'est plus une commune, elle est une collectivité qui a un statut unique et différent de toutes les autres collectivités françaises.
Avec nos voisins de Saint-Martin, nous n'avons pas la même histoire, pas la même population, pas la même culture. Nous n'avons pas fait les mêmes choix de développement économique : par exemple, nous sommes opposés à la défiscalisation et nos voisins y sont très favorables. Nous n'avons pas les mêmes conditions de développement : Saint-Martin est directement relié au monde entier par des plates-formes portuaires et aéroportuaires internationales et nous sommes victimes de la double insularité. Nous n'avons pas le même statut : les compétences choisies ne sont pas les mêmes et la manière de les assumer est différente. Nous n'avons pas les mêmes options européennes : nous souhaitons devenir Pays et territoire d'outre-mer tandis que Saint-Martin voudrait rester Région ultrapériphérique. Je pourrais multiplier les exemples de nos différences y compris législatives.
Alors comment expliquer qu'aujourd'hui, on voudrait nous priver de député et nous mettre sous la tutelle de Saint-Martin ? Une telle décision reviendrait à condamner notre île à l'échec, alors qu'elle se veut un modèle pour l'outre-mer et pour la France. Aujourd'hui, le statut de Saint-Barthélemy dans la République est tel que, seul, un électeur résident de l'île et parfaitement conscient de ses réalités, de ses choix politiques et de son modèle de développement peut sérieusement les expliquer et les défendre. J'ajoute que sans cette représentation, mon action personnelle au Sénat perd plus de 50 % de son efficacité...
Dans l'outre-mer français, notre collectivité et sa population sont singulières à bien des égards et c'est à ce titre que nous demandons à être représentés à l'Assemblée par un député issu de son corps électoral. C'est aussi valable pour chacune des autres îles. Nous pensons y avoir droit et sommes convaincus que cette représentation est indispensable à la réussite du projet de société mis en place avec le Gouvernement et avec le Parlement. Le revirement de situation d'aujourd'hui est incohérent et inexplicable.
Nous n'avons jamais cherché à prendre le siège de quelqu'un d'autre à l'Assemblée, nous avons demandé d'en rajouter un. Nous ne cherchons pas davantage à offrir un poste à un copain. A Saint-Barthélemy nous, les élus, ne sommes pas considérés comme des professionnels de la politique, nous consacrons une partie de notre vie au service de notre collectivité et d'autres prennent ensuite le relais. En nous battant pour ce siège, nous voulons simplement donner à Saint-Barthélemy les moyens de réussir son projet d'avenir.
Ce n'est pas faire injure à l'Assemblée nationale que de vous demander, mes chers collègues, d'adopter ici le principe selon lequel toute collectivité de la République sera représentée par au moins un député, un principe voulu par le Gouvernement et conforme aux objectifs du Président de la République. Je ne comprendrais pas que vous puissiez vous opposer à cette demande.
Aujourd'hui, je ne sais plus à qui me confier. J'ai expliqué et j'ai le sentiment de n'avoir été ni écouté, ni entendu. Les enjeux politiques de ce découpage électoral sont trop importants pour qu'une petite collectivité de 8 450 Français, vienne perturber les calculs nationaux. Du côté du Gouvernement, si je me fie aux déclarations publiques des différents ministres, je ne devrais pas avoir à douter. Le secrétaire d'État à l'outre-mer n'a cessé de confirmer dans la presse que les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin auraient chacune un député : « Le Gouvernement ne change pas sa position, la Constitution est claire, il y aura un député pour Saint-Martin et un député pour Saint-Barthélemy car tout simplement c'est constitutionnel ». Il l'a encore confirmé la semaine dernière.
Mme Alliot-Marie, auditionnée par la commission des lois de l'Assemblée nationale et répondant à une question du député Didier Quentin, que je remercie publiquement pour la fidélité de son engagement, déclarait ceci : « La loi organique du 21 février 2007 a créé un siège de député pour chacune de ces collectivité J'écoute toujours votre commission avec respect et attention mais je suis très attachée à ce que l'État tienne ses engagements et je note que le traitement de Saint-Pierre-et-Miquelon ne donne pas lieu à contestation ». La presse a également publié une déclaration du Premier ministre aux députés UMP : « Saint-Barthélemy et Saint-Martin auront chacun un député : la Constitution ne permet pas autre chose ».
A travers vous, monsieur le ministre, c'est donc à l'ensemble du Gouvernement que je demande de tenir sa parole. Ce projet de loi doit être voté conforme et je ne voudrais pas mettre en difficulté les sénateurs.
M. Richard Yung. - Vous êtes coincé !
M. Michel Magras. - J'ai néanmoins déposé un amendement garantissant le siège de député de Saint-Barthélemy. Seul un engagement ferme du Gouvernement pourrait m'inciter à le retirer. (Applaudissements à droite)
M. le président. - La parole est à M. Yung.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous allons entendre un autre son de cloche...
M. Christian Cointat. - Tous les Français doivent être traités de la même manière !
M. Jean-Pierre Sueur. - Et tous les sénateurs ont le droit de s'exprimer !
M. Richard Yung. - Je centrerai mon propos sur la représentation à l'Assemblée nationale des Français établis hors de France. N'est-il pas normal et juste que le Sénat en débatte ? Je ne veux pas me retrouver coincé comme M. Magras. Nous connaissons bien le sujet, il serait paradoxal qu'on ne tînt pas compte de notre expérience. Nombre de nos collègues représentant les Français de l'étranger sont d'ailleurs présents ce matin.
Les articles 2 et 3 du texte relatif à la commission de l'article 25 sont la deuxième étape de mise en oeuvre du principe énoncé à l'article 24. L'élection de députés représentant les Français de l'étranger n'est ni un gadget, ni une lubie ; elle ne répond pas plus aux intérêts de je ne sais quel lobby. C'est une question de principe, il s'agit de parfaire notre démocratie ; les Français établis hors de France sont aussi nombreux que les habitants du dix-huitième département français... Nous n'étions jusque là que des demi-citoyens, dotés d'une demi-représentation parlementaire. Nous militons tous, opposition comme majorité, pour parfaire notre citoyenneté.
Le Gouvernement n'a pas entendu les craintes que nous avions exprimées lors de l'examen du texte constitutionnel, craintes sur le nombre de députés, sur le mode de scrutin, sur le découpage des circonscriptions ; il n'a pas plus entendu celles de l'Assemblée des Français de l'étranger. Le texte nous propose d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur ces questions. Il eût mieux valu créer d'abord la commission, afin que celle-ci pût donner son avis sur la demande d'habilitation. Vous justifiez votre calendrier en évoquant l'absence de données statistiques fiables ; mais nous pouvions bien attendre un peu, les prochaines élections ne sont qu'en 2012, ou au moins limiter l'habilitation.
Le paragraphe I de l'article 2 est en contradiction avec les engagements pris par le Gouvernement, M. Karoutchi déclarant que le Gouvernement « envisageait de créer une douzaine de sièges de député » et « qu'il appartenait au législateur organique d'en fixer précisément le nombre ». Ce même paragraphe est aussi contraire à l'article 25 de la Constitution, qui dispose que la loi organique fixe le nombre des membres de chaque assemblée ; pour nous, cette disposition vaut aussi pour le nombre de députés représentant les Français de l'étranger. On peut d'ailleurs lire dans l'excellent rapport de M. Gélard, page 17, que le nombre de ces députés doit être fixé par la loi organique, la répartition des sièges relevant de la loi ordinaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est le droit en vigueur.
M. Richard Yung. - La demande d'habilitation n'est en outre pas très claire, qui ne précise pas le mode de calcul de la base démographique permettant de déterminer le nombre de députés. Nous ne pouvons autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur le fondement de simples déclarations de principes.
Il est vrai qu'on ne connaît pas précisément le nombre de nos compatriotes établis hors de France, sans doute plus de deux millions. Ils devraient en bonne logique être représentés par autant de députés que Paris. Le comité Balladur était d'ailleurs parvenu au chiffre de vingt députés, en en tirant la conclusion qu'il n'était pas opportun que les Français de l'étranger fussent représentés à l'Assemblée nationale... Pour parvenir aux huit ou neuf sièges qu'il évoque, le Gouvernement minore le nombre de Français de l'étranger inscrits au registre national du nombre de personnes restant inscrites en France pour les élections législatives, au motif que si elles le sont, c'est qu'elles votent toujours en France. Ce n'est qu'un artifice. Si elles restent inscrites en France, c'est d'abord parce qu'elles ne peuvent pour l'instant faire autrement pour élire un député !
M. Jean-Pierre Sueur. - Bien sûr !
M. Richard Yung. - C'est aussi parce que beaucoup ont conservé un intérêt pour la vie locale et veulent participer aux élections municipales. A l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez évoqué les mineurs et les personnes privées de droits civiques. J'ose espérer que ces dernières ne sont pas si nombreuses...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La proportion est la même qu'en métropole...
M. Richard Yung. - Précisément ; on n'évoque pas le même argument pour la métropole. Il semble que l'on fasse deux poids et deux mesures.
Vous dites aussi que le code électoral offre de nombreuses possibilités d'inscriptions sur les listes de communes françaises, et qu'en s'y inscrivant, les Français de l'étranger ne manifestent pas la volonté d'un établissement durable hors de France. Mais c'est parce qu'ils n'ont à ce jour pas d'autre possibilité...
J'en viens au mode de scrutin. Vous avez choisi le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, argumentant que les députés qui seraient élus selon un autre mode de scrutin seraient dévalorisés par rapport à leurs collègues de métropole ou d'outre-mer. Mais au Sénat, la moitié d'entre nous qui sont élus à la proportionnelle n'ont jamais eu le sentiment de peser moins que leurs collègues. Quant à l'argument de la proximité, il est pour le moins relatif pour celui qui représentera, de Johannesburg à Alger, les 45 pays d'Afrique, ou celui dont la circonscription ira de Tokyo aux îles Tuvalu. Je rappelle que le comité Balladur, dans sa sagesse, avait suggéré de retenir un scrutin de liste appliqué à de vastes circonscriptions regroupant plusieurs régions du monde.
M. Jean-Pierre Sueur. - Vive Balladur !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il était contre la création de députés !
M. Richard Yung. - Je sais votre hostilité à la proportionnelle. Mais avez-vous songé aux difficultés d'organisation d'un scrutin majoritaire à deux tours ? L'Assemblée des Français de l'étranger a attiré votre attention sur le sujet. Imaginez la situation au soir du premier tour dans la circonscription d'Afrique. Le candidat est à Bangui.
Le dimanche soir, il doit prendre diverses décisions et les communiquer ensuite à ses électeurs. Ce sera très difficile, même s'il dispose de quinze jours. En dehors de la question du découpage, il y a donc un problème matériel grave qui pourrait se transformer en bombe à retardement, car les contentieux risquent de se multiplier.
Les critères retenus pour le découpage sont recevables, même si nous sommes réticents sur la clause d'exception qui ne permettra pas de régler tous les problèmes. Nous espérons que ce découpage n'aura pas pour conséquence de faire élire huit députés de droite sur neuf...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ce sont les électeurs qui décident !
M. Richard Yung. - ...mais si vous mettez Israël avec les pays du Maghreb ou avec ceux du Moyen-Orient, la circonscription peut basculer. Il en est de même pour l'Allemagne en fonction des critères qui seront retenus. Vous comprendrez donc nos craintes, à moins que la commission indépendante ne fasse correctement sont travail, ce dont je doute. C'est pourquoi il serait préférable de retenir notre proposition : deux circonscriptions -une pour l'Europe et une autre pour le reste du monde- avec un mode de scrutin à la proportionnelle. En l'état, nous ne pourrons voter ces projets de loi (Applaudissements à gauche)
M. Christophe-André Frassa. - (« Ah ! » à droite) La représentation politique de nos compatriotes de l'étranger est une préoccupation constante de la République française depuis 1789 avec les dix-sept députés « d'outre-mer » siégeant aux états généraux. Nos expatriés constituent une composante à part entière de la Nation et ce principe a trouvé sa traduction en 1946 avec la création des conseillers de la République représentant les Français de l'extérieur, futurs sénateurs représentant les Français établis hors de France, et, en 1948, avec le Conseil supérieur des Français de l'étranger, qui deviendra, en 2004, l'Assemblée des Français de l'étranger. La révision constitutionnelle du 21 juillet est venue compléter ce dispositif en prévoyant l'élection, à compter de 2012, de députés des Français de l'étranger.
Je me réjouis donc de la concrétisation de la promesse faite par le Président de la République, qui répond à l'attente de nos compatriotes de l'étranger. Même si nos usages républicains veulent que les sénateurs ne se mêlent pas du régime électoral ou du mode de fonctionnement interne de l'Assemblée, et vice versa, ce texte intéresse pourtant au plus haut point le représentant des Français établis hors de France que je suis.
En ce qui concerne le nombre de sièges, je serais heureux que vous m'expliquiez, monsieur le ministre, pourquoi vous souhaitez retrancher du nombre des Français de l'étranger, qui se monte au 1er juillet 2008 à 1 403 580, ceux d'entre eux qui sont inscrits dans des communes en France pour les législatives, alors que ce sont aujourd'hui les seuls qui ont clairement décidé de participer à toute la vie politique de la Nation. Ne serait-il pas plus judicieux de retrancher de ce nombre les seuls Français de l'étranger qui exercent en France leur droit de vote pour la présidentielle ?
Je ne souhaite pas non plus me livrer à un énième calcul, dont le résultat situerait plutôt à douze qu'à huit le nombre de sièges de députés qu'il faudrait créer, mais nous sommes nombreux à considérer que le nombre minimum en dessous duquel le découpage deviendrait impossible est de neuf sièges. Outre les quatre sièges pour l'Europe, il serait ainsi possible d'en créer deux pour l'Amérique, deux pour l'Afrique et le Moyen-Orient et un, enfin, pour l'Asie et l'Océanie. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ?
Le projet de loi prévoit que les députés représentant les Français de l'étranger seront élus, comme tous les autres, au scrutin uninominal majoritaire. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous preniez trois engagements : les deux tours devront être espacés au minimum de deux semaines.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Tout à fait !
M. Christophe-André Frassa. - Ensuite, il faudra informer les électeurs par le biais de TV5, France 24 et RFI, tant dans le domaine civique que de la propagande électorale à proprement parler. Nos compatriotes seraient ainsi réellement impliqués dans une campagne électorale qui se déroulera dans des circonscriptions de 50 à 200 fois plus étendues que la France ! Enfin, je souhaiterais que vous élargissiez le mode de scrutin au vote par correspondance par la voie postale ou électronique. Rapprocher l'urne de l'électeur n'est pas un vain mot pour nous, Français de l'étranger. Le vote par internet fonctionne déjà pour les élections à l'AFE. Il est possible de l'étendre aux législatives.
A l'avenir, il faudra aussi revoir les règles de financement des campagnes électorales, puisqu'aujourd'hui, seul le nombre des électeurs de la circonscription est retenu comme base de calcul. Des critères objectifs devront être élaborés tenant compte de la taille, des distances et des coûts de déplacement et d'acheminement des documents. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur ce point, monsieur le ministre ?
Enfin, quels critères prévaudront pour les futurs chefs-lieux de circonscriptions ? Ceux-ci seront lourds de significations et de conséquences politiques. Ainsi, pour le député d'Afrique subsaharienne, quelle capitale africaine sera désignée et sur quels critères, autres que le seul nombre de Français y résidant ?
Au nom de nombreux collègues et des élus de l'AFE, je dois vous dire que nous restons un peu sur notre faim. Nous comptons beaucoup sur vous pour nous rassurer et garantir aux Français de l'étranger qu'ils auront des députés en mesure d'exercer leur mandat. Quoi qu'il en soit, je voterai bien évidemment ces deux textes. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Leleux. - L'article 2 du projet de loi prévoit qu'un député nommé membre du Gouvernement est remplacé par son suppléant durant la durée de ses fonctions ministérielles et qu'il pourra automatiquement retrouver son siège lorsqu'il quittera le Gouvernement. Le titulaire conservera donc sa légitimité électorale pendant toute la durée de sa fonction ministérielle avant de retrouver son siège.
Or, dans de nombreux cas, le suppléant est également maire et conseiller général. Le jour où il sera appelé à devenir parlementaire, ce ne sera qu'à titre provisoire. Il y a donc un double risque : que les suppléants refusent d'occuper la fonction de député titulaire pour ne pas perdre une de leurs fonctions locales importantes et que le candidat aux élections ait plus de mal à trouver un suppléant bien implanté dans la circonscription puisque ce dernier ne voudra pas prendre le risque de démissionner d'un de ses mandats locaux.
Il faudrait donc prévoir une dérogation à la règle du cumul puisque le mandat pourrait être qualifié de temporaire, à moins que l'on n'instaure pour les suppléants la même disposition de retour automatique dans l'assemblée d'origine que celle qui protège les députés titulaires. Il est en effet difficile qu'un suppléant titulaire perde un mandat pour un remplacement à la durée aléatoire. Une telle incertitude risque de dissuader l'intéressé.
Pouvez-vous nous donner des éclaircissements sur ce point, monsieur le ministre ? (Applaudissements à droite)
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. - Concernant le redécoupage des circonscriptions, le projet de loi prévoit que les opérations doivent être conduites sur des bases essentiellement démographiques, qu'un minimum de deux sièges par département et d'un siège par collectivité d'outre-mer doit être accordé, que la délimitation des circonscriptions doit respecter les limites administratives et qu'aucune circonscription ne doit avoir un écart démographique supérieur à 20 % par rapport à la population moyenne des circonscriptions.
La création d'une deuxième circonscription à Mayotte, prévue par le Gouvernement, a été refusée par l'Assemblée nationale, sur intervention de M. René Dosière. Il est pourtant de tradition que chaque département soit représenté par au moins deux députés. En 2002, le Sénat a tenu compte uniquement des critères démographiques...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Tout à fait !
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. - ...et a créé à Mayotte un deuxième siège de sénateur.
Il serait tout de même paradoxal que la représentation par les députés demeure inférieure à celle assurée par les sénateurs. Les arguments avancés pour fermer la porte à une deuxième circonscription à Mayotte sont fallacieux et contraires à la Constitution. Cette dernière retient comme critère non pas le nombre d'électeurs ou d'étrangers en situation irrégulière, mais le chiffre de la population. S'il faut déroger au critère démographique, alors ce doit être partout en métropole comme en outre-mer. Je rejoins le président Hyest, qui a émis des réserves sur une application différenciée de l'amendement Dosière.
En outre, si l'on ne tient pas compte de la jeunesse de la population et des difficultés d'inscription sur les listes électorales en raison du retard dans la révision de l'état-civil, on peut tout faire dire au texte, même des contre-vérités en ce qui concerne Mayotte. L'argumentation de M. Dosière ne tient pas la route au regard de notre belle Constitution. M. Bernard Frimat a eu raison de souligner lors de l'examen en commission l'impertinence de cet amendement. Les débats de la Haute Assemblée seront pris en compte par le Conseil constitutionnel lorsqu'il se prononcera ; c'est pourquoi je vous demande de réparer l'injustice et d'ouvrir la possibilité d'une deuxième circonscription législative à Mayotte. Je comprends les difficultés du redécoupage, le nombre de députés étant fixé dans le marbre. Mais, au nom de la population de Mayotte, je vous le dis : nous ne saurions servir de variable d'ajustement. Sous ces réserves, je voterai le projet de loi. (Applaudissements à droite)
M. Michel Guerry. - Réjouissons-nous, car ce projet de loi tend à renforcer la représentation de nos concitoyens établis hors de France. Aujourd'hui, 63,8 millions de Français vivent à l'intérieur de nos frontières ; ils sont représentés par 577 députés et 331 sénateurs. Les 2,5 millions de Français établis hors de France ne sont représentés que par douze sénateurs. Merci au Gouvernement d'ouvrir ce débat afin que nos compatriotes soient représentés dans l'ensemble du Parlement ! C'est le respect du bicaméralisme républicain, pierre angulaire de notre système politique.
Les sénateurs représentant les Français établis hors de France n'étaient que six avant la loi organique du 17 juin 1983. Le chiffre actuel de douze est raisonnable. Nous représentons correctement la totalité de cette population expatriée. Pourquoi ne pas tout simplement transposer à l'Assemblée nationale la proportion existant au Sénat ? Un équilibre entre les deux chambres serait ainsi respecté.
Le projet fixe le nombre de nouveaux députés en fonction du nombre de nos compatriotes inscrits sur les listes électorales consulaires. Mais l'immatriculation sur ces listes n'est pas obligatoire, et l'incitation pour aller s'y inscrire insuffisante, en dépit des campagnes de communication du ministère des affaires étrangères, du travail de l'Assemblée des Français de l'étranger, de la présence sur le terrain des conseillers élus et du travail parlementaire accompli par les douze sénateurs. En retenant, monsieur le ministre, votre base de calcul, les 1,4 million de Français immatriculés à l'étranger devraient élire onze à douze députés. Votre proposez de corriger ce chiffre à la baisse, huit ou neuf élus, pour tenir compte des personnes restées inscrites en France. J'y suis opposé, parce que 2,5 millions de Français vivent à l'étranger, et que leur nombre va croissant.
L'absence d'une représentation à l'Assemblée nationale contribue au manque d'intérêt de nos compatriotes expatriés pour les élections législatives. Ceux qui restent inscrits en France n'avaient pas jusqu'à présent le choix de voter de l'étranger. Cela ne traduit nullement, monsieur le ministre, contrairement à ce que vous avez estimé devant l'Assemblée nationale, une « absence de manifestation d'une volonté d'établissement durable en France »
Je salue l'intention du Gouvernement d'attribuer automatiquement un siège supplémentaire par tranche de 125 000 habitants supplémentaires. On parviendrait, pour les Français de l'étranger, à vingt députés. Nous n'en demandons pas tant.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Vous devriez !
M. Michel Guerry. - Le 19 novembre dernier, monsieur le ministre, vous avez bien employé le terme de population et avez annoncé « l'attribution automatique d'un siège supplémentaire par tranche de population ». Vous avez précisé que vous reteniez bien la « population » et non pas les électeurs inscrits « parce que chaque député représente la Nation ». En irait-il autrement pour la population française à l'extérieur ? J'ajoute que le nombre de ceux qui demeurent inscrits en France diminuera et le nombre de ceux qui voteront depuis l'étranger augmentera : corrigera-t-on en conséquence la répartition des sièges ? Mettons fin à une certaine hypocrisie et regardons la réalité en face.
Un mot enfin des modalités de vote. Je reste très réservé sur le vote électronique, sujet à des fraudes, ce qui ne saurait être satisfaisant pour des élections aussi importantes et symboliques. (Applaudissements à droite)
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Mme Mathon-Poinat estime que la création de la commission de contrôle est une « basse manoeuvre ». Mais auparavant, il n'y avait rien ! En 1986, une commission circonstancielle avait vu le jour et vécu trois mois ; la nouvelle est pérennisée puisque inscrite dans la Constitution ! Elle contrôlera le découpage électoral et les opérations électorales. Cette commission ne serait pas indépendante ? La désignation de trois des six membres se fera en assemblée générale au sein du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation. Pour les trois autres membres, il y a le veto parlementaire. L'avancée démocratique est évidente ; et toutes les garanties sont là.
En conseil des ministres hier a été adopté un deuxième projet de loi d'application de la réforme constitutionnelle. Il y en aura d'autres d'ici l'entrée en vigueur en mars prochain.
Manque de transparence dans le découpage des circonscriptions, dites-vous. Outre le grand débat dans chaque chambre du Parlement, il y a eu les réunions que j'ai tenues : j'ai reçu l'ensemble des députés de la majorité comme de l'opposition qui le demandaient, j'ai eu des contacts avec la secrétaire générale de votre parti et le président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, pour leur expliquer que je reprenais la méthodologie recommandée par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel. Le Premier ministre a en outre reçu à Matignon tous les groupes parlementaires des deux assemblées ainsi que les chefs des formations politiques.
Toutes les garanties ont donc été données et, madame Mathon-Poinat, s'agissant de votre groupe, j'ai eu un contact personnel avec Mme Buffet tandis que Mme Borvo Cohen-Seat a été invitée à Matignon, même si elle n'a pu s'y rendre.
Madame Troendle, il était effectivement urgent de procéder au redécoupage territorial des circonscriptions, tâche difficile à laquelle le Président de la République s'est attelé et qui avait été longtemps repoussée. Bien que le Conseil constitutionnel ait rappelé à maintes reprises sa nécessité...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Très juste !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - ...rien n'avait été entrepris après les recensements généraux de 1990 et de 1999. Résultat : la carte des circonscriptions restait celle de 1986, dessinée d'après le recensement général de 1982, et la loi était bafouée sur tout le territoire, notamment la Constitution et son article 3. Concernant le cas des suppléants auquel vous avez fait allusion, le Gouvernement sera attentif à toutes les suggestions venant des assemblées, notamment celles, fort intéressantes, de M. Leleux.
Monsieur Frimat, nous ne ménageons pas un « parachute parlementaire » pour les ministres ; ceux-ci, avant d'être nommés au Gouvernement, avaient été élus au suffrage universel direct, leur légitimité est donc entière. Vous vous préoccupez des conditions matérielles des parlementaires, ce qui part d'un bon sentiment...
M. Bernard Frimat. - Je n'ai que des bons sentiments ! (Sourires à gauche)
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Mais, en démocratie, les mandats sont, par nature, aléatoires...
M. Bernard Frimat. - C'est la règle du jeu !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - ...et les cas douloureux, qui peuvent résulter d'une cessation de mandat ou d'une dissolution comme en 1981, ont toujours été gérés par les assemblées parlementaires. J'ai noté avec satisfaction que vous ne vous opposiez pas au redécoupage. De fait, nous avons retenu la méthodologie, validée par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, qui impactera le moins les départements : 40 départements sur 100 seront touchés par le redécoupage, dix par le remodelage à l'intérieur des départements.
Monsieur Fauchon, il y a un seul point sur lequel je ne peux être d'accord dans votre remarquable intervention : on ne peut parler de rétroactivité. Le Conseil d'État confirmera que les textes que nous examinons sont le résultat de la dernière réforme constitutionnelle.
Monsieur Magras, le Gouvernement, favorable à l'inscription du principe d'un député par collectivité territoriale outre-mer, a dû y renoncer devant l'opposition des députés qu'ils ont fait connaître par deux fois en 2007 puis en 2008 en plafonnant les effectifs de l'Assemblée nationale à 577 lors de la dernière révision constitutionnelle. Mais, rassurez-vous, le débat est loin d'être clos...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il sera réglé par ordonnance !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - ...sans compter que le projet de loi ordinaire sera sans doute déféré au Conseil constitutionnel et que le projet d'ordonnance sera présenté à la commission indépendante.
Monsieur Yung, l'élection des députés des Français de l'étranger au scrutin majoritaire à deux tours est un choix politique sur lequel nous ne reviendrons pas : il y va de la stabilité des institutions de la Ve République. La proportionnelle peut être un poison dont nous constatons les ravages chez nos pays voisins et dans certaines formations politiques... Toutefois, il sera tenu compte de la particularité de ces élections avec l'instauration d'un délai entre les deux tours et l'adaptation des conditions de financement de la campagne électorale, après concertation avec les instances des Français de l'étranger.
Monsieur Frassa, la création de députés représentant les Français de l'étranger répond effectivement à une préoccupation ancienne qui aurait pu être satisfaite par François Mitterrand et Lionel Jospin puisqu'elle figurait dans leur programme électoral de 1981 et 1997 comme dans celui de Mme Royal...
M. Robert del Picchia. - Tout à fait !
M. Bernard Frimat. - Monsieur le ministre, vous avez de saines lectures !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Compte tenu des chiffres de l'Insee, je peux vous confirmer que le nombre minimal de députés des Français de l'étranger sera au moins de neuf, dont quatre en Europe. Par ailleurs, un délai de deux semaines entre les deux tours semble satisfaisant.
M. Robert del Picchia. - C'est un minimum !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - L'ordonnance fixera les modalités ; j'ai un a priori favorable sur l'espacement de deux semaines.
M. Robert del Picchia. - Au moins !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Au plus !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Je sais que certains s'opposent au vote électronique ; il est pourtant pratiqué pour d'autres Européens de l'étranger.
M. Bernard Frimat. - Et pour les prud'homales !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - M. Leleux soutient le remplacement des ministres ; ce n'était pas si fréquent ce matin... Il y a effectivement un problème lié au cumul des mandats. On pourrait imaginer un système semblable de remplacement temporaire pour les conseillers généraux et régionaux. Il est vrai que cela paraît compliqué... Ce sera étudié dans le cadre de la réforme en cours des règles d'interdiction de cumul des mandats. Le Gouvernement sera ouvert à toutes vos propositions.
Le deuxième siège de Mayotte, monsieur Ibrahim Ramadani ? Si l'amendement que vous évoquez est validé par le Conseil constitutionnel, il s'appliquera à Mayotte comme ailleurs. Je demanderai au Premier ministre une mission pour étudier sur place les différents aspects du recensement à Mayotte.
Malgré la possibilité qu'ils ont de voter dans les consulats, un nombre non négligeable de Français de l'étranger viennent voter en France, monsieur Guerry. Si nos compatriotes devaient être beaucoup plus nombreux à s'installer à l'étranger, il appartiendrait au législateur d'en tirer les conséquences pour leur représentation. Ce serait fait en liaison avec vous. (Applaudissements à droite et au centre)