Article 25 de la Constitution et élection des députés (Urgence)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés et du projet de loi organique portant application de l'article 25 de la Constitution, adoptés par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence.
Discussion générale commune
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. - Une démocratie plus représentative, plus transparente, plus efficace : tels sont les objectifs fixés par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 à la rénovation de nos institutions. Les deux textes aujourd'hui soumis à votre examen répondent à cette volonté.
Depuis la refonte des circonscriptions de 1986, fondée sur le recensement général de 1982, les évolutions démographiques ont été considérables. Le Conseil constitutionnel a dénoncé à plusieurs reprises les écarts avec les recensements de 1990 et 1999, qui n'ont pas donné lieu à un ajustement. Un rééquilibrage s'imposait.
L'article 25 de la Constitution prévoit également, conformément à l'engagement de campagne du Président de la République, la représentation à l'Assemblée nationale, comme cela est déjà le cas au Sénat, de nos compatriotes, au nombre de 1 400 000, qui défendent à l'étranger les intérêts de notre pays.
Deuxième objectif, la transparence. Aucun soupçon ne doit peser sur les conditions de mise en oeuvre des obligations constitutionnelles, et c'est pourquoi l'article 25 prévoit la création d'une commission indépendante chargée de rendre son avis avant tout redécoupage ou redistribution des sièges.
Pour plus d'efficacité, enfin, la Constitution prévoit que les parlementaires nommés au Gouvernement retrouvent leur siège au terme de leur mission. Le peu de participation aux élections partielles, où l'on est souvent contraint, parce que le minimum n'est pas atteint, d'organiser un deuxième tour, ne renforce pas l'image de notre démocratie. Nos compatriotes croient souvent eux-mêmes que ce retour est de droit.
La loi organique qui vous est présentée met donc en oeuvre les dispositions constitutionnelles relatives au nombre de députés, que l'article 24 de la Constitution fixe à 577, et au remplacement temporaire des membres du Gouvernement. Son article premier met le code électoral, qui prévoit 579 députés, en conformité avec les nouvelles dispositions constitutionnelles. Il abroge les dispositions qui fixent le nombre de députés élus dans les collectivités et départements d'outre-mer, qu'il reviendra à la loi ordinaire de préciser, en même temps que le nombre de députés représentant les Français établis hors de France.
L'article 23 de la Constitution, qui rappelle la règle de l'incompatibilité entre la fonction de membre du Gouvernement et l'exercice de tout mandat parlementaire, prévoit que les parlementaires nommés au Gouvernement sont remplacés par leur suppléant. Le projet de loi organique prévoit que ce remplacement temporaire prend fin au terme d'un délai d'un mois après la cessation des fonctions ministérielles.
Enfin, deux dispositions de la loi organique concernent la commission indépendante prévue à l'article 25. L'une précise les modalités de désignation de son président par le Président de la République, conformément à l'article 13 de la Constitution. Cette désignation est subordonnée à l'aval des deux commissions permanentes compétentes du Parlement. La seconde prévoit l'incompatibilité entre l'exercice des fonctions de membre de la commission et l'exercice d'un mandat parlementaire.
Le projet de loi ordinaire fixe, quant à lui, la composition de la commission. Son article premier dispose que, si les trois magistrats sont élus par leurs pairs, les trois personnalités qualifiées qui la composent également sont nommées, dans un souci d'équilibre, par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, les commissions des lois des deux assemblées étant obligatoirement consultées. La loi fixe la durée de leur mandat à six ans, renouvelable par tiers tous les trois ans, afin d'assurer la continuité des décisions. Elle fixe également les règles de fonctionnement et les obligations qui incombent à ses membres, notamment leur devoir de confidentialité et prévoit que la commission disposera de deux mois pour rendre un avis sur le texte qui lui aura été soumis, ce qui doit éviter tout retard.
L'article 3 contient les dispositions relatives à la révision de la délimitation des circonscriptions électorales. La méthode employée en 1986, acceptée par tous, puisque elle n'a jamais été remise en cause en dépit de quatre alternances, a été reprise : délimitation des circonscriptions par voie d'ordonnance ; respect des limites cantonales, sauf pour les cantons peuplés de plus de 40 000 habitants ou dont le territoire est enclavé ou discontinu ; méthode dite de la tranche, qui donne droit à un siège pour 125 000 habitants ; règle du maintien de deux sièges au moins par département. Les projets d'ordonnance devront être soumis à la commission indépendante et le projet de loi de ratification présenté dans les trois mois.
Enfin, le dernier article du projet de loi ordinaire traite, par simple parallélisme des formes, du remplacement temporaire des membres du Parlement européen nommés au Gouvernement.
Votre débat contribuera, je n'en doute pas, à élaborer un texte qui réponde aux exigences de la démocratie en même temps qu'il permettra aux deux assemblées de voir leur activité mieux reconnue par nos concitoyens. (Applaudissements à droite)
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. - Ces deux textes mettent en oeuvre les nouvelles dispositions de l'article 25 de la Constitution. Adoptés par l'Assemblée nationale en novembre dernier, ils concernent la révision de la carte des circonscriptions législatives et le remplacement temporaire des parlementaires devenus ministres.
Ils ont fait l'objet de débats approfondis à l'Assemblée nationale, particulièrement concernée par les dispositions relatives à l'élection de ses membres : sept amendements au projet de loi organique ont été adoptés par les députés, quinze sur le projet de loi ordinaire. Des améliorations rédactionnelles et des compléments utiles ont été apportés et trois amendements ont modifié sur le fond le projet de loi ordinaire.
La question du remplacement temporaire des parlementaires nommés au Gouvernement a été longuement débattue, particulièrement dans votre assemblée. Les articles 2, 3 et 4 du projet de loi organique réécrivent les articles L.O. 176, L.O. 319 et L.O. 320 du code électoral ; le premier est relatif aux députés, les deux autres vous concernent plus spécialement.
Un sénateur devenant ministre sera remplacé, provisoirement, par son suppléant s'il a été élu au scrutin majoritaire, ou par le suivant de liste s'il a été élu au scrutin proportionnel. Il retrouvera automatiquement son siège au plus tard un mois après la cessation de ses fonctions gouvernementales : s'il a été élu au scrutin majoritaire, il n'aura donc pas à solliciter la démission de son suppléant en provoquant une élection sénatoriale partielle. L'ancien sénateur pourra toutefois renoncer à reprendre son mandat pendant ce délai d'un mois, auquel cas son remplacement deviendra définitif jusqu'au prochain renouvellement partiel de la série à laquelle il appartenait. Dans cette hypothèse, nous nous retrouvons dans une situation voisine de celle que nous connaissons depuis 1958. Il n'y aucune différence par rapport au droit actuel, où l'occupation du siège par le suppléant jusqu'à la fin du mandat restant à courir n'a jamais donné lieu à contestation, car elle évite une élection partielle qui ne suscite jamais une forte participation électorale. Nous avons choisi cette solution parce qu'il ne peut être exclu qu'un ministre refuse de retrouver le siège de député ou de sénateur qu'il occupait auparavant : le cas peut se produire s'il quitte le Gouvernement pour occuper une autre fonction incompatible avec l'appartenance à l'une des assemblées, par exemple celle de membre du Conseil constitutionnel ou de la Commission européenne.
Au cas où plusieurs remplacements successifs, ayant des causes différentes, seraient intervenus sur une même liste sénatoriale, c'est le dernier arrivé qui devra céder son siège : le candidat de la liste du titulaire initial du mandat qui est devenu sénateur le plus récemment en remplaçant, soit le sénateur devenu ministre, soit un autre sénateur dont le siège était vacant, devra donc céder ce siège au parlementaire ayant cessé ses fonctions gouvernementales. La nouvelle rédaction de l'article L.O. 320 du code électoral proposée sur ce point par le Gouvernement a été récrite par l'Assemblée nationale, afin de la rendre plus complète et plus lisible. Votre rapporteur n'est pas étranger à cette réécriture, et je crois savoir qu'il en est même l'auteur. Quoi de plus normal d'ailleurs, et conforme à la tradition républicaine, que l'assemblée dont les membres sont concernés au premier chef par une disposition prenne une part décisive à sa rédaction et que l'autre assemblée s'abstienne de la remettre en cause ? La nouvelle rédaction précise utilement que le sénateur « remplaçant temporaire » qui a dû céder son siège reprend la première position de la liste, en tête des candidats non élus de celle-ci : ainsi, il n'y a plus aucune ambiguïté sur le sort réservé à la personne ayant remplacé temporairement un sénateur, élu au scrutin de liste, devenu ministre, lorsque ce dernier reprend son mandat.
Conformément à la réforme constitutionnelle, le nouveau système est applicable aux membres actuels du Gouvernement : l'alinéa III de l'article 45 de la loi constitutionnelle du 23 juillet dernier énonce en effet qu'il s'applique aux députés et sénateurs ayant accepté des fonctions gouvernementales antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi organique prévue à l'article 25 -celle dont il est question aujourd'hui- « si, à cette même date, ils exercent encore ces fonctions et que le mandat parlementaire pour lequel ils avaient été élus n'est pas encore expiré ». Il n'y a là aucune rétroactivité, (M. Bernard Frimat en doute) mais une simple application aux situations en cours à la date à laquelle vous vous prononcez.
Enfin, le projet de loi ordinaire contient une disposition technique semblable pour les députés européens qui deviennent membres du Gouvernement, dont la rédaction est calquée sur celle applicable à ceux d'entre vous qui sont élus au scrutin proportionnel. Comme M. Gélard le signale dans son excellent rapport, l'article 24 de la loi du 7 juillet 1977, qui régit l'élection de nos députés au Parlement européen, permet déjà à un représentant ayant accepté une fonction de membre du Gouvernement ou du Conseil constitutionnel, ou la prolongation au-delà de six mois d'une mission temporaire confiée par le Gouvernement, de reprendre son ancien mandat lorsque ces fonctions ou missions ont cessé et que son remplaçant est décédé ou a démissionné ; il dispose pour ce faire d'un délai d'un mois. Ce retour au Parlement européen, qui restera applicable dans les cas autres que l'entrée au Gouvernement, est donc seulement étendu, dans cette dernière hypothèse, pour s'appliquer de droit, sans se limiter aux cas de démission ou de décès du remplaçant. Le nouveau système n'entrera toutefois en vigueur qu'après le renouvellement du Parlement européen de juin prochain, parce qu'une simple loi ne peut prévoir son application aux situations en cours.
Les autres dispositions des deux textes portent essentiellement sur l'élection des députés. L'article premier du projet de loi organique fixe, dans l'article L.O. 119 du code électoral, le nombre total des députés : il correspond au plafond retenu maintenant dans la Constitution, soit 577, qui est aussi le nombre des membres de l'Assemblée nationale depuis 1985. Les dispositions organiques du code électoral fixant le nombre des députés élus respectivement dans les départements et dans les collectivités d'outre-mer sont en conséquence abrogées : c'est l'objet de l'article 7 du projet de loi organique. Il appartiendra dorénavant à la loi ordinaire d'en arrêter le nombre. Une distorsion est certes ainsi introduite avec la fixation des effectifs de votre assemblée, laquelle résulte de l'addition de plusieurs dispositions fixant, dans le code électoral, les nombres respectifs de sénateurs élus dans les départements et dans chacune des collectivités d'outre-mer et, dans une loi organique spécifique, le nombre de ceux d'entre vous qui représentent les Français de l'étranger. Mais les deux situations sont conformes à la Constitution, dont l'article 25 renvoie à la loi organique le soin de fixer le nombre des membres de chaque assemblée : ce peut être un nombre global, ou une somme de « contingents ». Une harmonisation pourrait toutefois intervenir à l'occasion de la recodification en cours du code électoral ; s'agissant de dispositions organiques relatives au Sénat, elle ne se fera qu'avec votre accord.
Les autres dispositions du projet de loi ordinaire constituent la première étape de l'ajustement de la carte des circonscriptions législatives, exigé, j'y insiste, depuis près de dix ans par le Conseil constitutionnel, compte tenu des écarts importants apparus dans leur population respective. La délimitation actuelle, arrêtée en 1986, sur la base d'un recensement effectué en 1982 -la population française était alors de 55 millions alors que nous sommes aujourd'hui 64 millions- aurait dû être révisée en 1999, à la suite des deux recensements de 1990 et de 1999 ; elle ne l'a pas été et nous ne pouvons plus, aujourd'hui, reporter cette réforme. Comme le souligne M. Patrice Gélard dans son rapport, qui cite plusieurs exemples éloquents, il y a là une véritable « urgence démocratique », les écarts de population existant entre les circonscriptions rendant la représentativité de leurs députés respectifs très inégalitaire.
Afin d'adopter cette réforme indispensable le plus rapidement possible, le Gouvernement propose de recourir à la procédure des ordonnances : c'est la méthode utilisée en 1958 puis, au stade initial, en 1986. C'est aussi celle qui paraît la plus adaptée au sujet : on imagine mal les députés discuter eux-mêmes, dans le détail, de la répartition des sièges et de la délimitation des circonscriptions, ni déposer des amendements au résultat desquels ils seraient directement intéressés. Toutefois, ce recours aux ordonnances ne supprime en aucune façon l'intervention du Parlement. En amont, parce que le projet de loi énonce, dans l'exposé des motifs ou dans l'article d'habilitation lui-même, les critères qui présideront à l'ajustement de la carte des circonscriptions législatives, critères dont les députés ont longuement débattu.
En aval, parce que les deux assemblées pourront, lors de la ratification, contrôler l'application des critères par le Gouvernement. Le choix de ces derniers sera soumis à un contrôle rigoureux, sans précédent, de la part du Conseil d'État, s'il est saisi, et par le Conseil constitutionnel, si la loi lui est soumise. Il ne s'agit pas, conformément aux instructions qui m'ont été données par le Président de la République et le Premier ministre, d'élaborer une nouvelle carte électorale, mais de procéder aux stricts ajustements nécessaires : modification de la répartition des sièges, fixation du nombre de députés représentant les Français de l'étranger, création de nouvelles circonscriptions et ajustement des circonscriptions existantes, toutes opérations qui seront soumises à une commission indépendante avant leur examen par le Conseil d'État.
La création de cette commission pérenne, en application de l'article 25 de la Constitution, est une grande nouveauté par rapport à la réforme de 1986. Elle sera consultée sur les projets et propositions de loi « délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ». Elle ne pourra se saisir elle-même ni ne sera saisie d'éventuels redécoupages des cantons, qui relèvent de décrets.
Le rôle de la commission est consultatif : elle ne choisira pas les règles de répartition, ni ne procédera au découpage, mais donnera un avis sur les solutions proposées. Aucune modification de la répartition des parlementaires ou des limites des circonscriptions législatives ne pourra intervenir à l'avenir sans son avis, un avis qui sera public, et que les auteurs des textes pourront suivre ou ne pas suivre.
La composition et les règles d'organisation et de fonctionnement de la commission qui figurent à l'article premier du projet de loi ordinaire assurent son indépendance. Celle-ci est assurée d'abord par la qualité des membres qui la composeront : trois représentants des plus hautes juridictions, le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour des comptes, élus par leurs pairs, et trois personnalités désignées par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat. Reprenant la nouvelle procédure de l'article 13 de la Constitution, les nouveaux articles L. 567-1 et L.O. 567-9 du code électoral prévoient que ces dernières désignations seront précédées de la consultation des commissions des lois des deux assemblées : les deux commissions pour le membre désigné par le Président de la République, qui sera président de la commission, comme l'a demandé le Conseil d'État ; et la commission de l'assemblée concernée pour chacun des deux autres membres. Les deux commissions pourront récuser les propositions des autorités de désignation à la majorité des trois cinquièmes, ce qui signifie que l'opposition parlementaire sera associée aux choix effectués ; c'est un signe fort de transparence, selon les mots de votre rapporteur. En d'autres termes, 29 d'entre vous pourront opposer leur veto à la nomination du membre désigné par le président de votre assemblée, comme pourront le faire 44 députés pour celui désigné par le président de l'Assemblée nationale et 72 députés ou sénateurs pour le président de la commission. Il est probable qu'une personnalité fortement contestée par l'opposition parlementaire ne sera pas nommée, quand bien même les trois cinquièmes de votes négatifs ne seraient pas atteints.
L'indépendance de la commission est renforcée par l'incompatibilité existant entre la fonction de membre de la commission et tout mandat électif, l'affirmation de la liberté totale de ses membres et les modalités de son renouvellement. La présence de parlementaires issus des groupes des assemblées, celle de représentants des partis ou d'élus locaux aurait été contraire au principe d'indépendance. (M. Bernard Frimat rit) Dans l'exercice de leurs attributions, les membres de la commission ne reçoivent d'instruction d'aucune autorité et seront astreints au devoir de réserve. La commission pourra désigner des rapporteurs, faire appel aux services compétents de l'État, procéder à des consultations, et gérer librement les crédits qui lui sont affectés. Ses membres seront nommés pour six ans non renouvelables, la commission étant renouvelée par moitié tous les trois ans.
Conformément à la nouvelle rédaction de l'article 24 de la Constitution, il faut parallèlement créer des sièges de députés pour représenter les Français de l'étranger. Cette question intéresse évidemment ceux qui, dans cette Assemblée, les représentent déjà.
M. Christian Cointat. - Et qui sont bien présents !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Nous ne disposons pas pour ce faire d'un recensement exhaustif de nos compatriotes installés à l'étranger, mais nous connaissons le nombre de ceux qui sont immatriculés dans nos consulats, soit 1 400 000. Ce chiffre devra être comparé à la population recensée en métropole et outre-mer, de façon à répartir aussi équitablement que possible les 577 sièges de députés ; il devra en outre être corrigé à la baisse pour ne pas comptabiliser deux fois les personnes qui, par attachement, restent inscrites dans une commune française pour les élections présidentielles et législatives. La formule retenue dans le texte constitutionnel -« les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale »- autorise une certaine latitude.
Comme je l'ai dit devant la commission des lois, nous devrions aboutir à huit ou neuf députés. Leur élection se fera au scrutin majoritaire. Le Gouvernement, qui n'est pas favorable à la représentation proportionnelle, a en effet souhaité que nos compatriotes de l'étranger puissent identifier leur député à l'intérieur d'une circonscription délimitée à l'avance. Il sollicite du Parlement une habilitation à procéder par ordonnance aux adaptations nécessaires à la spécificité de cette élection, concernant notamment les modalités de la campagne électorale et les règles de son financement, la période séparant les deux tours de scrutin et les modalités de vote par voie électronique ou correspondance.
MM. Robert del Picchia et M. Christian Cointat. - Très bien !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - J'en viens aux règles que le Gouvernement devra respecter dans l'élaboration des ordonnances. Les critères qui présideront aux opérations sont précisés dans le texte du projet de loi d'habilitation ou dans son exposé des motifs ; ce sont les mêmes que ceux retenus pour le découpage de 1986, que le Conseil constitutionnel avait alors validés. La règle assurant à tout département un minimum de deux députés est une constante de notre République depuis l'apparition du scrutin majoritaire. Introduite au début de la Troisième République, elle a été conservée lors du passage au scrutin proportionnel en 1985 avec l'approbation de tous les groupes politiques : elle devrait jouer en faveur de deux départements, la Lozère et, de justesse, la Creuse, contre quatre en 1986.
La règle du minimum d'un député par collectivité d'outre-mer figurait dans le projet initial et le Gouvernement y reste favorable. Elle n'a cependant pas été adoptée par l'Assemblée nationale, soucieuse de ne pas amplifier trop sensiblement les écarts de population.
Cette règle n'a pas la même ancienneté que celle relative aux départements : elle résulte plus de la tradition républicaine que d'une véritable obligation constitutionnelle. Si les députés ont voté un amendement la supprimant des obligations qui s'imposeront au Gouvernement dans l'élaboration des ordonnances, c'est parce qu'ils ne veulent pas, dans leur grande majorité, d'une représentation par un député de chacune des deux nouvelles collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, qui comptent respectivement 8 255 et 35 263 habitants. Ils avaient déjà exprimé clairement et à deux reprises cette position lors de l'examen en 2007 de la loi statutaire sur l'outre-mer puis, lors de la révision constitutionnelle, en plafonnant les effectifs de leur assemblée à 577 et non pas à 579 députés...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Absolument !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - ...comme ils auraient dû le faire s'ils avaient voulu conserver ces deux sièges créés, mais non pourvus. C'est la solution que vous avez retenue ici en fixant un plafond de 348 sénateurs, qui inclut les deux sièges créés pour ces deux collectivités, et aujourd'hui pourvus.
Le Gouvernement a pris acte de la position de l'Assemblée. Il devra, dans sa future ordonnance, fixer la représentation de chaque collectivité d'outre-mer à la lumière de ces positions et de celle que prendra, le cas échéant, le Conseil constitutionnel...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Eh oui !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - ...en tenant compte de la population, de l'ancienneté mais aussi des spécificités géographiques de chacune d'elles. Sa décision sera, comme toutes les dispositions des futures ordonnances, soumise pour avis à la commission indépendante que la Constitution nous impose aujourd'hui de mettre en place.
Le seul choix qui semble exclu à ce stade est celui du maintien de l'actuelle quatrième circonscription de la Guadeloupe, réunissant huit cantons de la Guadeloupe et les deux collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, parce qu'elle ne respecte pas les limites départementales.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ce serait manifestement inconstitutionnel !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - La troisième règle que le Gouvernement a proposé de maintenir est celle qui attribue automatiquement à chaque département un siège supplémentaire par tranche de population. Adoptée en 1885, époque où la tranche était de 75 000 habitants, elle a été conservée en 1958, avec une tranche portée à 93 000 habitants, comme lors du passage au mode de scrutin proportionnel en 1985, lorsque M. Fabius était Premier ministre et M. Joxe ministre de l'intérieur, où la tranche a été fixée à 108 000 habitants.
Cette règle dite « de la tranche » régit également le mode de répartition de vos sièges entre les départements. Elle devrait, au vu des chiffres provisoires dont nous disposons, donner un député pour 125 000 habitants supplémentaires et toucher seulement 40 départements sur 101 : 25 perdront un ou plusieurs sièges et 15 en gagneront un ou deux. Une répartition proportionnelle aurait eu un impact sur près de 80 départements, ce que le Gouvernement ne souhaitait pas.
Quatrième règle conservée, celle de l'écart maximal de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne départementale de la population de chaque circonscription d'un département, règle validée par le Conseil constitutionnel en 1986. Elle nous obligera à réviser la délimitation de certaines circonscriptions dans une dizaine des départements dont le nombre de sièges ne variera pas : c'est ce que j'appelle le remodelage, à distinguer du redécoupage proprement dit.
La dernière règle conservée concerne la délimitation des circonscriptions, qui devront être constituées d'un territoire continu et respecter les limites cantonales : un amendement des députés précise qu'il peut être fait abstraction de ces limites, notamment pour des cantons de plus de 40 000 habitants -il en existe 130 en France- et pour réunir des communes de moins de 5 000 habitants.
De même, les nouvelles circonscriptions des députés représentant les Français de l'étranger, qui devraient être équitablement réparties entre l'Europe et le reste du monde, respecteront les limites des circonscriptions existant aujourd'hui pour l'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger.
Enfin, et c'est le troisième amendement de fond adopté par les députés, pourrait notamment figurer, parmi les motifs d'intérêt général autorisant des adaptations au seul critère démographique, « l'évolution respective de la population et des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Comme l'ont précisé à la fois l'auteur de cet amendement adopté à l'unanimité, le député socialiste René Dosière, le rapporteur et le président de la commission des lois, il convient de prendre en considération la situation démographique tout à fait particulière de Mayotte et, dans une moindre mesure, de la Guyane.
Mayotte connaît en effet une très forte expansion démographique : 23 364 habitants au recensement de 1958, 67 205 en 1985, 131 320 en 1997 et 186 452 habitants au 31 décembre 2007, soit 50 % de plus en dix ans ! Cette croissance est très largement due à la présence d'une importante population comorienne en situation illégale. Alors que les étrangers, même en situation irrégulière, ne sont pas exclus du recensement dans les autres parties du territoire national, avons-nous suffisamment d'éléments fiables pour le faire à Mayotte ? Non.
Il appartiendra au Gouvernement, au vu de ce que dira, le cas échéant, le Conseil constitutionnel sur cette question délicate, de décider s'il doit ou non maintenir la représentation de cette collectivité d'outre-mer en forte croissance de population. Là encore, la commission indépendante émettra un avis sur sa décision.
Telles sont donc les principales dispositions du paquet électoral que vous propose aujourd'hui le Gouvernement.
J'ai lu avec la plus grande attention les conclusions de votre commission des lois, qui vous propose d'adopter ces deux textes sans les modifier : elle a ainsi fait siennes les recommandations de votre rapporteur qui s'est référé à « une tradition républicaine bien établie », qui invite le Sénat à ne pas remettre en cause le choix des députés relatif à leur régime électoral, et « à la nécessité d'adopter rapidement les textes examinés pour permettre le lancement effectif des opérations de redécoupage ». Ce dossier est en effet loin d'être bouclé, compte tenu de sa complexité. Le Gouvernement souhaite donc être habilité dès que possible à engager ces différentes opérations qui seront effectuées dans la plus grande transparence : le Premier ministre s'y est engagé lorsqu'il a reçu, le 16 septembre, les responsables des groupes et des formations politiques du Parlement, et j'y veillerai attentivement.
Plus vite vous vous serez prononcés, plus vite nous pourrons mettre fin aux anomalies dénoncées à plusieurs reprises, et à juste titre, par le Conseil constitutionnel. (Applaudissements à droite)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. - (Applaudissements à droite) Aujourd'hui, nous examinons la première loi organique sur les sept prévues par la révision constitutionnelle du 23 juillet. Il en est de même pour la loi ordinaire qui est la première d'une longue série. Au cours de l'année à venir, nous devrons effectivement nous pencher sur des textes réformant la procédure parlementaire, le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil constitutionnel, les nominations aux emplois les plus élevés par le Conseil des ministres ou par le Président de la République.
Contrairement aux usages qui veulent que l'on examine d'abord une loi organique avant de se pencher sur une loi ordinaire, je traiterai en même temps de ces deux lois car elles sont totalement imbriquées. Je reviendrai sur les problèmes qui ont été soulevés en commission et par les représentants des groupes politiques de notre assemblée. Je souhaite en outre attirer l'attention de M. le ministre sur un certain nombre de points.
Dans son article premier, la loi organique fixe le nombre des députés à 577 alors que la Constitution avait fait de ce chiffre un maximum. Par compromis, le Sénat avait également fixé un plafond, bien que nous n'ayons pas été très chauds pour cette formule...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - ...qui limite toute liberté de manoeuvre, notamment pour le Gouvernement et la commission indépendante, car il n'y aura plus de variable d'ajustement à l'Assemblée, ce qui sera extrêmement difficile. Je regrette que l'on ait fixé dans la Constitution ce plafond, mais nous avons comme règle au Sénat de ne pas nous occuper de l'Assemblée nationale.
Les articles 2, 3 et 4 portent sur le retour des ministres, anciens parlementaires, dans leur assemblée d'origine. C'est une nouveauté par rapport à la Constitution de 1958 et à la volonté du général de Gaulle qui voulait, à l'époque, séparer nettement les fonctions ministérielles des fonctions parlementaires. On connaît les difficultés que cela a entraînées : d'excellents politiques se retrouvaient sans mandat ou obtenaient la démission de leur suppléant, ce qui conduisait à une élection partielle. Ce n'était pas non plus satisfaisant. Ces nouvelles dispositions nous posent pourtant un petit problème...
M. Bernard Frimat. - Vous avez mis du temps à vous en apercevoir !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - ...car il va y avoir deux sortes de suppléants : ceux qui sont actuellement parlementaires et ceux qui ne le sont pas encore. En ce qui concerne les premiers qui remplacent un ministre risquant de redevenir parlementaire, ils ont été nommés députés ou sénateurs jusqu'à la fin du mandat.
Nous n'avons pas encore de suppléants de la deuxième catégorie, car il n'y pas encore eu de remaniement ministériel. Mais quid des premiers, ceux qui remplacent actuellement un ou une ministre ? Ils ont été nommés jusqu'à la fin du mandat. Nous avons ici un cas de responsabilité du fait de la loi : il appartiendra à chacune des deux assemblées de résoudre le problème matériel lié au renvoi de ces suppléants. Mais, pour l'avenir, les candidats à un poste de suppléant se feront sans doute plus rares demain, puisqu'ils seront contraints d'abandonner tel ou tel mandat local sans assurance de le retrouver par la suite.
M. Jean-Pierre Michel. - Eh oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Ce sera une difficulté à résoudre. J'ai tenu une petite CMP avec mon homologue de l'Assemblée nationale afin de rendre, au moins, le texte de l'article 4 plus compréhensible.
L'article 5 prévoit que la personnalité choisie par le Président de la République pour siéger à la commission indépendante devra se présenter devant la commission compétente de chaque assemblée parlementaire. Qui pourra être nommé ? Pas un parlementaire, mais peut-être un journaliste, le responsable d'un institut comme l'Ifop ou la Sofres, un universitaire, un professeur de l'IEP... Quant aux représentants du Conseil d'État, de la Cour des comptes, de la Cour de cassation, ils seront choisis par les assemblées générales de ces instances.
L'article 6 porte sur les incompatibilités et l'article 7 renvoie à la loi ordinaire pour la répartition des députés.
Même si je recommande un vote conforme, je conserve des interrogations sur les modalités de la répartition : dans le cas des sénateurs, c'est une loi organique qui les fixe, pour les députés, une loi simple. Pourquoi ces deux régimes distincts ? Peut-être pour souligner que nous formons vraiment la « Haute assemblée » ? (Sourires)
J'en viens au cas des ministres qui redeviennent parlementaires. Il faudra régler le cas des suppléants au sein de chaque assemblée. Mais M. Frimat a soulevé un autre problème, important...
M. Bernard Frimat. - Je ne l'ai pas encore soulevé puisque je n'ai pas encore parlé.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Je le soulève en amont.
M. Bernard Frimat. - Quel hommage !
M. Pierre Fauchon. - Précurseur !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Il s'agit du parallélisme des formes. Si un parlementaire démissionne, son suppléant ne prend pas sa place, une élection partielle doit être organisée. Un ministre, lui, récupère son siège sans élection partielle. Mais, monsieur Frimat, il n'y a rien de commun entre une démission et la réintégration dans des fonctions antérieures. Il n'y a pas de comparaison possible. Ce qui a été prévu dans la loi organique est parfaitement compatible avec les dispositions constitutionnelles...
M. Bernard Frimat. - Allons donc ! Vous ne croyez pas vous-même à votre argumentation !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - J'y crois parfaitement.
M. Bernard Frimat. - Vous avez des doutes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Sur ce point, pas du tout ! (On rit sur les bancs socialistes) La loi ordinaire crée une nouvelle autorité administrative indépendante.
M. Richard Yung. - Encore une...
M. Patrice Gélard, rapporteur. - On en crée au moins deux par an. Il faudra bien un jour mettre un terme à cette pratique... La commission indépendante qui va donner son avis sur les nominations comprendra six membres. La présidence ira au candidat proposé par le Président de la République -qui se sera présenté devant les commissions des deux assemblées. La majorité des trois cinquièmes est prévue pour éliminer un candidat. Mais une candidature refusée à la majorité simple n'aurait aucune chance de prospérer : l'intéressé se retirerait de lui-même ou ne serait pas nommé.
M. Christian Cointat. - Absolument !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Chacun peut donc être rassuré. Les personnalités nommées seront pleinement indépendantes et l'opposition jouera tout son rôle dans chacune des commissions.
M. Bernard Frimat. - Changez plutôt le texte !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - La loi ordinaire prévoit une habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance pour le découpage de circonscriptions : c'est la tradition ; la seule exception intervint lorsque le Président Mitterrand refusa de signer l'ordonnance, obligeant le Gouvernement à revenir devant le Parlement.
L'article 2 fixe le nombre des députés à 577. Un problème compliqué se posera alors au Gouvernement, qui devra répartir les sièges entre trois catégories. La première regroupe les représentants des départements. Deux députés par département, c'est la règle républicaine, mais certains départements seront surreprésentés par rapport à d'autres. Les autres catégories concernent les représentants de l'outre-mer et ceux des Français hors de France.
Les règles posées par le Conseil constitutionnel sont reprises à l'article 2. Soit dit en passant, la rédaction de l'Assemblée nationale concernant les dérogations au territoire contigu n'est pas bonne.
M. Bernard Frimat. - Déposez un amendement !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Il n'en est pas question, car le Sénat ne se mêle pas de ce qui regarde l'Assemblée nationale, c'est un principe constant.
MM. Richard Yung et François Fortassin. - Pas d'accord !
M. Jean-Pierre Michel. - Ridicule
M. Patrice Gélard, rapporteur. - J'ai encore de petites interrogations sur la représentation des nouveaux territoires, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. La balle est dans le camp du Gouvernement : combien de représentants son ordonnance prévoira-t-elle ? Le problème se posera aussi pour les Français de l'étranger, pour lequel s'appliquera le scrutin majoritaire uninominal à deux tours.
Les suppléants ou « suivants de liste » aux élections européennes représentent des cas rares, car jamais ou presque, un député européen n'est pressenti pour devenir ministre ; mais le parallélisme des formes s'impose.
Les difficultés du Gouvernement tiennent à la complexité du processus. Le Conseil constitutionnel exercera son contrôle sur la loi ordinaire à la demande de 60 parlementaires et la loi organique lui sera transmise automatiquement. Il ne manquera pas de vérifier si les conditions qu'il pose sur le découpage des circonscriptions ont bien été reprises dans le texte.
Ensuite, après que la commission indépendante aura donné son avis, ce sera au tour du Conseil d'État, lequel se prononcera également sur le contenu juridique du texte et, tant que l'ordonnance n'aura pas été ratifiée, indirectement sur sa constitutionnalité puisqu'il est, dans ce cas, juge en excès de pouvoir. Enfin, la ratification expresse de l'ordonnance par le Parlement annonce de beaux débats au Sénat comme à l'Assemblée nationale et, partant, une nouvelle possibilité de saisine du Conseil constitutionnel. Il faudra donc s'assurer du respect du principe d'un représentant par collectivité territoriale, que nous appliquons naturellement au Sénat, contrairement à l'Assemblée nationale où le principe démographique l'emporte. Car ce principe sera examiné à la loupe par les deux juridictions suprêmes lesquelles devront également se pencher sur la question de Mayotte soulevée par le ministre. Soulignons que si l'outre-mer connaît une croissance démographique rapide, les mêmes règles doivent être observées partout sur le territoire, sans quoi le choix du législateur pourra être remis en question. Le même raisonnement prévaudra pour les Français de l'étranger. Bref, laissons au Gouvernement la rude tâche de mener à bien ce véritable parcours du combattant plutôt que de chercher à fixer dans la loi organique le nombre des députés dans chaque circonscription des Français de l'étranger, de l'outre-mer ou de la métropole.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Tout ça pour ça !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Bref, la commission souhaite que nous votions la loi organique et la loi ordinaire conformes par respect du principe, que j'ai maintes fois rappelé, selon lequel le Sénat n'intervient pas sur le mode de désignation des députés ! (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Pierre Fauchon applaudit également)
M. René Garrec. - Un principe de droit coutumier !
M. Bernard Frimat. - Rappel au Règlement. Je m'interroge sur l'organisation de nos travaux : pourquoi le Sénat discuterait-il la loi ordinaire avant la loi organique alors que l'Assemblée nationale a examiné ces deux textes, dont M. Gélard a dit tout le bien qu'il pensait, (sourires à gauche) dans l'ordre contraire ? Certes, les deux textes sont imbriqués, mais pourquoi ce choix ? Ce point pourrait-il être précisé afin que nous puissions nous organiser au mieux ?
M. le président. - Cet ordre de discussion a été voulu par le Gouvernement, puis validé par la Conférence des Présidents.
M. Jean-Pierre Michel. - Donc, c'est le choix du Gouvernement !
M. René Garrec. - Rien d'étonnant à cela ! C'est le Gouvernement qui détermine l'ordre du jour prioritaire...
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Le Gouvernement souhaite que l'on examine la loi ordinaire avant la loi organique.
M. Jean-Pierre Michel. - Nous voilà bien avancés !
M. René Garrec. - La raison en est simple : c'est un problème de hiérarchie des textes !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Discutons les textes dans l'ordre souhaité par le Gouvernement, mais peut-être faudra-t-il voter la loi organique en premier lieu.
M. René Garrec. - Reprenons : le vote de la loi ordinaire est la condition préalable à celui de la loi organique. D'où la chronologie choisie par le Gouvernement.
M. le président. - Suspendons la séance quelques instants pour accorder nos violons.
La séance, suspendue à 10 h 50, reprend à 11 heures.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - La Constitution est très claire concernant le vote final : l'adoption de la loi ordinaire doit précéder celle de la loi organique. Quant à la discussion, qu'elle se déroule selon l'ordre traditionnel.
M. le président. - La question est donc réglée, je remercie M. Frimat de l'avoir soulevée.
M. François Fortassin. - Rappel au Règlement. Si l'on nous demande de voter conformes ces deux textes au nom de la courtoisie sénatoriale, quelle est l'utilité de ce débat ? (Applaudissements à gauche)
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Le Parlement vote la loi...
M. François Fortassin. - Nous faisons comme les sociétés savantes qui se réunissent pour le plaisir de se réunir. Savoir d'entrée de jeu que nous ne pourrons rien modifier à ce projet de loi, c'est une anomalie étonnante ! (Applaudissements à gauche)
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Nous avons combattu cette révision constitutionnelle taillée sur mesure pour le nouveau Président de la République. Le Gouvernement nous avait alors rétorqué qu'au contraire cette réforme allait renforcer les pouvoirs du Parlement. De nombreux parlementaires, au-delà des sensibilités politiques, s'y opposèrent. Malgré tout, grâce à quelques marchandages, la réforme fut votée mais de peu, de si peu.
On pouvait attendre que le Gouvernement veuille réaffirmer la légitimité de cette réforme constitutionnelle en donnant la priorité à ses mesures phares. Au lieu de quoi, les deux premières lois qu'il nous présente ne sont qu'une basse manoeuvre au service du Gouvernement, débattues dans la discrétion et la hâte afin d'être en vigueur lors du remaniement ministériel qui s'annonce pour les prochaines semaines. Seule, en effet, l'hypothèse d'un remaniement dès janvier justifie le dépôt en urgence de cette loi organique qui profiterait aux 26 ministres, dont le Premier, qui retrouveraient leur siège sans repasser par le suffrage universel comme ils devaient le faire depuis 1958.
Cette construction juridique ne s'appliquera pas seulement aux députés et sénateurs qui deviendront ministres après le vote de la loi organique, comme le proposait le comité Balladur ; elle bénéficiera d'une application avec effet rétroactif, procédure considérée comme anticonstitutionnelle, sauf exceptions de la plus haute importance. Ce doit être le cas...
Quid des suppléants ? Seront-ils considérés comme des sous-élus ? Ils sont arrivés sous le régime d'une règle les concernant, mais cette règle sera changée en cours de législature. Ils n'auront alors pas leur mot à dire si le ministre sortant désire retrouver son siège. Comment et au nom de quel principe constitutionnel légitimer cette disposition ?
En réalité, le Gouvernement se sert de la loi pour régler ses affaires personnelles au sein de sa propre famille politique : le Président veut éviter la fronde au sein de son parti et de sa majorité parlementaire. Le député UMP Jacques Myard déclare pourtant que ce retour quasi automatique des ministres au Parlement revient à « mettre les députés dans la main du Président de la République ». Selon Jean-Pierre Grand, autre député UMP, cette réforme est « la porte ouverte à l'instabilité gouvernementale en période de difficultés ». Il ajoute que « Ce sera fatalement ressenti par l'opinion publique comme la mise en place par notre Assemblée d'un "parachute politique doré" ».
Le fait est que, grâce à cette loi, les ministres seront, eux, prémunis du chômage qui menace des centaines de milliers de travailleurs. Au lieu de garantir le parcours professionnel des élus et d'utiliser la loi pour régler vos démêlés familiaux, il serait temps de créer ce statut de l'élu que nous appelons de nos voeux depuis tant d'années et pour lequel nous avons déjà fait tant de propositions. Les salariés élus ne sont pas tous des professionnels de la politique et ils ne retrouvent pas leur emploi à l'issue de leur mandat.
J'en viens au projet de loi ordinaire qui fixe les règles d'organisation et de fonctionnement de la commission chargée de donner un avis sur les projets de textes délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. La création d'une telle commission paraît nécessaire à première vue, dans la mesure où elle permettrait d'étudier le redécoupage d'une manière plus juste, plus objective. La refonte de la carte électorale a trop souvent signifié manoeuvre politicienne. Ce fut le cas pour le dernier redécoupage des circonscriptions, mené en 1986 par notre collègue Pasqua.
Toutefois, l'actualité légitime notre inquiétude. Nous aurions aimé avoir une discussion sur la personne en charge de la préparation de ce travail de découpage. Au lieu de quoi, le Président de la République a choisi Alain Marleix, chargé du secrétariat national aux élections de l'UMP depuis 2004, qui avait déjà officié au redécoupage électoral de 1986.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - C'est fini !
Mme Josiane Mathon-Poinat. - L'hypocrisie de la manoeuvre en dit tant sur l'opacité du redécoupage à venir qu'il n'est pas la peine d'en rajouter.
Nous ne sommes pas davantage rassurés par la commission de contrôle, dont le pouvoir sera purement symbolique car le Gouvernement ne sera pas obligé de suivre ce qui ne sera qu'un avis. De toute manière, sa composition dit tout sur sa neutralité : elle est censée être composée de trois hauts magistrats et trois personnalités nommées par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat, c'est-à-dire uniquement par la majorité. Où sont les droits de l'opposition que le Président de la République prétendait renforcer en modifiant la Constitution ? Lorsque nous avions évoqué ce problème lors de la révision constitutionnelle, Mme la garde des sceaux avait tenu à nous rassurer en nous précisant que cette commission « sera composée d'experts. Ce seront des démographes, des statisticiens, des juristes et des experts en droit électoral ». La promesse n'est pas tenue, hormis pour M. Marleix, expert électoral -de l'UMP.
Le projet précise même que la personne nommée par le Président de la République présidera cette commission. Comme le futur président de France Télévisions ! Le Président s'arroge ainsi un contrôle accru des institutions et une concentration des pouvoirs proprement scandaleuse.
Pour accomplir cette manoeuvre, vous demandez au Parlement de donner entière liberté au Gouvernement via les ordonnances. Il est impensable que le Parlement soit ainsi privé de tout pouvoir de contrôle. Un découpage électoral n'est jamais innocent, encore moins lorsque le Parlement n'est pas consulté. M. Marleix a justifié le recours aux ordonnances par le précédent de 1986. C'est faux : François Mitterrand avait refusé de signer ces ordonnances, qui avaient dû être transformées en projet de loi.
Il semble, enfin, que la prochaine réforme des collectivités territoriales pourrait supprimer le département ou modifier le mode de scrutin pour les élections régionales. Nous discutons donc du redécoupage des circonscriptions sans rien savoir ni de la future articulation entre les départements et la région ni de l'évolution des modes de scrutin.
Bref, nous ne pouvons cautionner des textes pareils. Lors de la réforme constitutionnelle, vous prétendiez en prouver l'intérêt démocratique et respectueux de la pluralité politique, nous voyons mal de quelle façon vous pourrez le faire maintenant. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Troendle. - Ces deux textes visent à rendre notre démocratie plus représentative, plus transparente, plus efficace.
M. Bernard Frimat. - C'est mal parti !
Mme Catherine Troendle. - Plus représentative, avec le rééquilibrage démographique des circonscriptions réclamé depuis des années par le Conseil constitutionnel. La délimitation actuelle a été arrêtée en 1986, sur la base du recensement de 1982. Depuis lors, malgré les recensements de 1990 et de 1999, les circonscriptions n'ont pas été ajustées. Il était grand temps pour nous, législateur, d'autoriser le Gouvernement à le faire. Comme M. Gélard, ces deux projets de loi répondent à une urgence démocratique.
Une fois encore, c'est grâce à l'action du Président de la République qu'un exercice aussi difficile va être réalisé.
M. Robert del Picchia. - Très bien !
Mme Catherine Troendle. - Celui-ci est rendu encore plus nécessaire par la création de postes de députés représentant les Français établis hors de France.
Deuxième objectif : la transparence. C'est la raison de la création d'une commission indépendante chargée de donner un avis public sur tout projet de délimitation des circonscriptions législatives ou de modification de la répartition des sièges de sénateurs. Consacrée dans le code électoral, l'indépendance de cette commission est confortée par les dispositions amenées à en régir la composition et le fonctionnement. Elle sera, en effet, composée de trois magistrats issus de chacune de nos juridictions suprêmes qui seront désignés par leurs pairs et de trois personnalités nommées par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat, après avis des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée.
A cet égard, je m'associe au rapporteur pour souligner que chaque commission parlementaire se prononcera séparément, ainsi que les sénateurs l'avaient souhaité lors de la révision constitutionnelle. Les désignations seront précédées par l'audition des candidats et l'avis public des commissions parlementaires. L'opposition interviendra donc dans la procédure.
M. Bernard Frimat. - C'est une plaisanterie !
Mme Catherine Troendle. - Je souligne également que ni la Constitution, ni le projet de loi ordinaire ne confèrent un pouvoir normatif à la commission indépendante : il appartient au législateur de fixer dès aujourd'hui les règles de forme et de fond régissant le remodelage des circonscriptions. Rien ne justifierait un procès d'intention à la méthode gouvernementale. Le groupe UMP approuve les garanties d'impartialité, de transparence et d'indépendance offertes à cette commission.
Le troisième objectif poursuivi est l'efficacité, justifiant la mesure applicable aux parlementaires nommés au Gouvernement.
En effet, la loi organique organise leur remplacement temporaire.
Ce dispositif n'a été accepté par le Sénat qu'au terme d'un long débat, marqué par des réserves sur son opportunité. Les modalités d'application étaient parfaitement cohérentes pour les parlementaires élus au scrutin majoritaire, mais nous estimions peu claire la rédaction initiale des dispositions organisant le remplacement temporaire des parlementaires élus au scrutin proportionnel, car elle ne précisait pas ce que deviendrait le suivant de liste, devenu provisoirement parlementaire, une fois que l'ancien ministre reprenait l'exercice de son mandat. La correction introduite par l'Assemblée nationale nous satisfait, puisque l'ancien parlementaire temporaire revient en tête des suivants de liste non élus.
Enfin, à l'instar du rapporteur, le groupe UMP souhaite ne pas oublier les quatre collègues qui nous ont rejoints en remplacement de quatre sénateurs devenus ministres depuis 2007. Certains ont dû renoncer à un mandat local en raison des règles de non-cumul.
Avant de conclure, je souhaite aborder le recours aux ordonnances pour délimiter les circonscriptions législatives.
Cette procédure permettra d'appliquer rapidement cette réforme technique et minutieuse. Au demeurant, nous sommes en terrain défriché, puisqu'une loi d'habilitation adoptée en cette matière avait été validée le 2 juillet 1986 par le Conseil constitutionnel. Enfin, la procédure est acceptable, puisque le projet d'ordonnance sera soumis pour avis à la commission indépendante et au Conseil d'État, avant le dépôt d'un projet de loi de ratification. Le recours aux ordonnances ne prive donc pas le Parlement d'un contrôle en amont et en aval.
M. Bernard Frimat. - Mais si !
Mme Catherine Troendle. - Le législateur aura le dernier mot, en ratifiant ou non les ordonnances.
Le groupe UMP votera les deux projets de loi fixant des règles claires, transparentes et cohérentes. (Applaudissements à droite)
M. Bernard Frimat. - Le Sénat examine les deux premiers projets de loi consécutifs à la réforme constitutionnelle.
Quel paradoxe et quel symbole de nous proposer le vote conforme de deux textes appliquant une réforme censée renforcer les droits du Parlement ! Mais il est vrai que, depuis l'ouverture de la session, la pratique gouvernementale est à l'opposé du discours qui accompagnait la révision constitutionnelle : l'essentiel n'est pas d'organiser un débat parlementaire fructueux améliorant la loi, mais d'aller vite en fonctionnant aussi souvent que possible comme chambre d'enregistrement de l'agitation législative présidentielle. Aujourd'hui, nous atteignons la caricature en cumulant la déclaration d'urgence et le vote conforme pour dessaisir le Parlement !
Nous allons pourtant faire notre travail de législateur, exposer notre point de vue au cours de la discussion générale, défendre nos amendements et expliquer notre vote. Que la majorité de la commission ait choisi le vote conforme ne peut nous réduire au silence, ni escamoter l'examen de ces textes qui détermineront le niveau de démocratie au sein de la République.
Faute de pouvoir vous convaincre -ou plutôt de vous faire changer votre vote quand vous partagez notre analyse- nos propos seront principalement destinés au Conseil constitutionnel, qui, nécessairement saisi de la loi organique, le sera par nos soins de la loi ordinaire.
J'aborderai successivement trois points : le parachute parlementaire des ministres en exercice ; la commission prévue à l'article 25 de la Constitution ; l'élection des députés.
Prenant à contre-pied une pratique constante depuis l'origine de la Ve République, la révision constitutionnelle a institué un droit de retour automatique des ministres dans l'assemblée parlementaire où ils siégeaient à la date de leur nomination. Nous avons combattu cette proposition et persistons à estimer que cette mesure de confort a pour seul but de permettre au Président de la République de nommer et de congédier à sa guise le ministre, et d'éviter à tout prix les élections partielles.
L'application immédiate de ces dispositions aux ministres en exercice a rencontré initialement l'hostilité de notre commission des lois. En effet, de nombreux sénateurs n'estimaient pas convenable que les ministres en fonction bénéficient de ce privilège, celui-ci devant être réservé aux parlementaires devenus ministres après l'adoption de la loi organique.
Pourtant, cette solution n'a pas été retenue. En conséquence, certains de nos collègues seront bientôt victimes d'une injustice légale, alors même que les règles de non-cumul leur avaient fait abandonner des mandats locaux qu'ils ne retrouveront pas. Quel mépris pour des élus de la République d'estimer ces conséquences négligeables par rapport à l'effet d'aubaine dont bénéficieront les ministres actuels ! Peu importe pour le Président de la République : le projet de loi organique doit être adopté pour effectuer dans les meilleures conditions le remaniement annoncé depuis si longtemps.
Comme si cela ne suffisait pas, le Gouvernement a ajouté le droit pour un ancien ministre de ne pas revenir au Parlement, maintenant ainsi le suppléant dans ses fonctions parlementaires. Cette hypothèse peu vraisemblable pourrait satisfaire les collègues qui échapperaient ainsi à la guillotine, mais sa constitutionnalité est incertaine. Antérieurement, les choses étaient simples : un député devenu ministre perdait sa qualité de parlementaire ; depuis la révision constitutionnelle, le caractère temporaire du remplacement fait qu'il conserve cette qualité. Par suite, un ancien ministre retrouve son état de parlementaire à l'issue du délai de convenance d'un mois et ne peut y mettre un terme que par une démission, inévitablement suivie d'une élection partielle. La solution proposée par le Gouvernement introduit donc une différence inacceptable entre parlementaires, le ministre n'ayant jamais cessé de l'être.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Si !
M. Bernard Frimat. - Vu la conjoncture, je vous laisse le soin d'apprécier si le parachute parlementaire est doré ou non.
J'en viens à l'institution que l'article 25 de la Constitution a établie sous le nom « commission indépendante ». Au moins dans son intitulé, elle sera donc indépendante.
Son rôle étant défini par la Constitution, sa composition, son organisation et son fonctionnement relèvent de la loi ordinaire. Les débats constitutionnels ont montré que l'indépendance de la commission chargée d'émettre un avis sur les circonscriptions et la répartition des sièges était essentielle pour la démocratie. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Le projet de loi ordinaire propose d'y faire siéger trois magistrats élus appartenant au Conseil d'État, à la Cour de cassation et à la Cour des comptes, outre trois personnalités qualifiées nommées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. Sachant que son président est nommé par le Chef de l'État, en quoi cette composition garantit-elle l'indépendance de la commission ?
Nous constatons tous que le Président de la République est engagé dans le combat politique. On ne lui fait pas injure en le considérant comme chef du principal parti de la majorité, ce qu'il revendique. Comment voir une garantie dans la nomination du président de la « commission indépendante » par le chef de file de l'UMP ?
Faut-il admettre -ce serait une novation- que dès lors qu'une personnalité qualifiée est nommée par le Président de la République, elle devient de jure indépendante ? Quelles que soient les qualités des intéressés, comment une commission dont le président est nommé par le Président de la République et les membres par le même et sa majorité politique pourrait-elle être indépendante ? La présence de magistrats n'est pas une garantie suffisante et le Gouvernement serait bien inspiré de revenir sur sa composition, afin d'en lever le caractère partisan. Nous proposerons ainsi, pour que soit respectée la séparation des pouvoirs, car le pluralisme aussi est inscrit dans la Constitution, que le président de cette commission soit élu par ses membres et que les présidents des deux assemblées nomment chacun deux personnalités qualifiées, dont une sur proposition conjointe des groupes de l'opposition, qui ont aussi la capacité de s'élever au-dessus des choix partisans.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Dans l'état de division du parti socialiste, on peut se poser quelques questions.
M. Bernard Frimat. - La majorité simple alors suffirait, quand le vote négatif des trois cinquième n'offre qu'une garantie toute formelle.
Plus fondamentalement encore, la répartition des sièges des députés et la détermination des circonscriptions doivent être au-dessus de tout soupçon. La « démocratie irréprochable » qu'appelle de ses voeux le Président de la République commence par des élections nationales conformes à la volonté des citoyens, soit au principe constitutionnel qui veut que chaque voix ait un poids identique. C'est bien la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a exigé une révision de la carte électorale.
Tout le monde reconnaît que le découpage électoral est un art difficile, qui échappe malaisément à la critique. On évoque à son sujet le recours aux talents artisanaux les plus délicats, parmi lesquels celui du rémouleur, appelé à aiguiser l'instrument, celui du charcutier, pour le geste habile, mais tout à la fois brutal et sanglant, de sa découpe, parfois même du chirurgien, pour les opérations les plus sophistiquées. (Murmures admiratifs)
Du découpage de 1986, effectué sous l'autorité de M. Pasqua, et dans lequel vous avez joué, monsieur le ministre, un rôle actif, il est de bon ton de s'émerveiller qu'il n'ait pas interdit l'alternance. C'est bien le minimum ! Faut-il voir dans ce curieux mode de légitimation le rêve inavoué, car inavouable, d'un découpage idéal mettant une fois pour toute la majorité actuelle à l'abri des choix démocratiques ?
Signalons quand même que si alternance il y eut, son peu d'amplitude est révélateur : sur 577 circonscriptions, 247, soit 43 %, ne l'ont jamais connue. Et quand celles qui ont toujours élu un député de gauche ne représentent que 10 % du total, ce n'est pas moins d'un tiers qui ont toujours élu un député de droite. On mesure mieux la différence des contraintes qui pèsent sur la droite et la gauche dans la conquête de la majorité de l'Assemblée nationale. Quand la gauche, pour assurer sa victoire, doit l'emporter dans plus de 40 % des circonscriptions flottantes, il suffit à la droite d'en conquérir moins de 20 %.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Que n'avez-vous modifié les choses en dix ans !
M. Bernard Frimat. - Je ne nie certes pas les réalités sociologiques et la géographie contrastée des différents quartiers de nos agglomérations. Il sera, de fait, toujours plus facile à Olivier Besancenot d'être facteur à Neuilly-sur-Seine que d'en devenir le député. Mais l'argument ne suffit pas. Il n'est pas admissible, dans une « démocratie irréprochable », que les élections législatives ressemblent à une course hippique à handicap, où certains portent leurs lingots de plomb.
Qui plus est, vous nous demandez d'autoriser le Gouvernement à procéder par voie d'ordonnance. Nous ne pouvons vous suivre.
L'histoire récente nous est un enseignement. Pour valider le découpage actuellement en vigueur, le Président François Mitterrand, estimant que le Parlement ne pouvait être dessaisi d'un sujet aussi délicat, avait refusé de signer les ordonnances préparées par le Gouvernement de Jacques Chirac, qui avait dû se résoudre à la voie parlementaire. Ce qui fut fait. Ce qui a été possible hier doit l'être aujourd'hui.
Quant au champ couvert par la loi d'habilitation, vous innovez, en laissant au Gouvernement le soin de déterminer la répartition des députés entre départements, collectivités d'outre-mer et circonscriptions des Français résidant hors de France. Voilà qui est parfaitement contraire à la tradition républicaine, qui veut que l'Assemblée Nationale détermine elle-même les modalités de l'élection des députés. Il me semble que le législateur ne saurait, sans méconnaître sa compétence, se dessaisir d'une prérogative que lui reconnaît l'article 34 de la Constitution.
Où est l'urgence enfin, puisque les prochaines élections n'auront lieu qu'en mars 2012, sauf dissolution de l'Assemblée nationale ?
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. - Peut-on écarter l'hypothèse ?
M. Bernard Frimat. - Les résultats définitifs du recensement seront bientôt connus. Pourquoi ne pas les attendre, et permettre ainsi à la commission indépendante de jouer un rôle dès le début du processus, en recueillant son avis sur le contenu de la loi d'habilitation, ainsi que le voulait l'esprit de la révision constitutionnelle ? Vous avez préféré, en demandant une habilitation plus large que jamais, vous donner les mains libres pour concocter dans la plus grande tranquillité un découpage que l'on ne pourra que suspecter de partialité.
D'autant que l'on peut craindre que le Gouvernement ne s'arroge le droit, en choisissant l'ordre dans lequel il déterminera le nombre des députés des Français de l'étranger, de l'outre-mer et de métropole de faire de ces derniers le simple solde de calculs antérieurs, au détriment des départements les plus peuplés. Où est alors le respect de l'égalité du suffrage ?
Nous nous opposerons donc, monsieur le ministre, à vos deux projets de loi qui ne sont pas conformes à l'idée que nous nous faisons d'une république démocratiquement exemplaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Fauchon. - Je m'en tiendrai, de mon banc, à quelques observations.
M. Jean-Pierre Sueur. - Quelle modestie !
M. Pierre Fauchon. - Il faut en faire preuve - à titre exceptionnel. Mais vous ne pouvez être soupçonné à cet égard ! Les textes qui nous sont soumis n'appellent pas, comme voudraient nous le faire croire nos collègues de gauche, de grandes controverses. Le groupe de l'Union centriste approuve les conclusions de la commission des lois. Il est bien naturel, monsieur Fortassin, que nous ne nous mêlions pas des règles normatives qui régissent l'organisation de l'Assemblée nationale, même si nous nous en préoccupons. Ceci sous réserve, évidemment, de réciprocité. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, approuve)
La commission que nous institutionnalisons présente des garanties, n'en déplaise à ceux qui hochent dubitativement la tête. Nous entrons là dans un processus à l'américaine qui constitue une véritable avancée démocratique. Que l'on puisse comparaître devant une commission libre de ses questions et de ses votes élimine d'emblée les risques de népotisme et de clientélisme. C'est là une avancée considérable, que je salue, de même que je souscris à la procédure des ordonnances, adaptée à une question si complexe. Procédure d'autant moins critiquable que nous avons prévu une validation expresse.
Je suis en revanche un peu embarrassé par la récupération de leur siège par les ministres. (M. Jean-Pierre Sueur manifeste son intérêt) Les défauts des élections partielles ont beaucoup été invoqués, comme, de l'autre bord, la banalisation de la fonction ministérielle, qui serait par là désacralisée. Mais dans la mesure où nous nous orientons vers un régime présidentiel, et si nous allons au bout de cette logique, ainsi que l'avait souhaité M. Balladur, je ne vois pas d'objection à une telle mesure.
La seule chose fâcheuse, c'est la rétroactivité. Une rétroactivité partielle, certes, mais dommageable pour les actuels remplaçants qui ont pu prendre des dispositions, professionnelles par exemple, sans avoir prévu cette innovation. Nous l'avons votée et c'est regrettable. C'est aux ministres actuels de veiller, en conscience, à corriger les effets malheureux de cette rétroactivité.
Reste que ces textes sont essentiellement techniques et que le groupe de l'Union centriste approuvera les conclusions de la commission des lois. (Applaudissements à droite)