SÉANCE

du mardi 4 novembre 2008

17e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Gérard Larcher

La séance est ouverte à 16 h 5.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Eloge funèbre du Président Michel Dreyfus-Schmidt

M. le président.  - Mes chers collègues (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent), c'est avec une émotion tout particulière que, pour la première fois, j'accomplis le triste devoir, qui incombe au Président de chaque assemblée, de saluer la mémoire d'un collègue disparu. Cette émotion est d'autant plus grande que Michel Dreyfus-Schmidt et moi-même avons été en même temps vice-présidents et que nous avons alors travaillé ensemble dans un climat de confiance et de réelle estime. Nous avons été nombreux dans cet hémicycle à éprouver un sentiment de peine et de vide, ce matin du dimanche 7 septembre, à l'annonce de sa disparition, à quelques jours des élections sénatoriales. L'émotion qui a alors touché tous ceux qui connaissaient Michel Dreyfus-Schmidt et admiraient son talent, ses engagements et ses combats a été à la mesure de la perte que l'on éprouve lorsque disparaît une figure aussi emblématique.

Né le 17 juin 1932 à Belfort, Michel Dreyfus-Schmidt fut, dès son enfance, marqué par les événements de la seconde guerre mondiale. Il avait ainsi forgé, dès sa prime jeunesse, pendant ces années de danger extrême, la conviction inébranlable qu'il s'employa à mettre en oeuvre tout au long de son existence : l'homme doit toujours, en toute circonstance, être protégé contre les abus de pouvoir.

Son père, Pierre Dreyfus-Schmidt, à qui il voua toute sa vie une fervente admiration, allait aussi durablement marquer sa destinée. Résistant, avocat, député et maire de Belfort, cette figure paternelle était un exemple, dont son fils Michel allait se montrer digne. Il s'y prépara d'abord en poursuivant de brillantes études. Lauréat de l'Institut d'études politiques et licencié de la faculté de droit de Paris, il s'inscrivit au barreau de Belfort, comme avant lui son père et après lui son fils, qui perpétue aujourd'hui la tradition, dans ce Territoire de Belfort si cher à son coeur, creuset de tous ses engagements ultérieurs.

Mais, dès 1964, Michel Dreyfus-Schmidt entra parallèlement dans la vie publique en briguant les suffrages de ses concitoyens belfortains. Élu, il devint aussitôt adjoint au maire. Puis, en 1966, il fit, comme élu du canton de Belfort ouest, son entrée au Conseil général. Il en devint plus tard vice-président. C'est en 1967 qu'il fut porté au Palais Bourbon sous l'étiquette de la FGDS. Ce bref mandat de député -écourté par la dissolution consécutive aux événements de mai 1968- fortifia sa vocation de parlementaire.

C'est en 1980 qu'il fit son entrée au Palais du Luxembourg, porté par le soutien amical et confiant des grands électeurs du Territoire de Belfort qui avaient pu et su apprécier toute l'étendue de ses qualités : sa générosité, son ouverture aux autres, sa force de conviction, son goût du service public, son amour de la République et des valeurs citoyennes qui s'y attachent. Ce soutien lui fut renouvelé en 1989 puis en 1998, avec des pourcentages qui firent de Michel Dreyfus-Schmidt l'un des sénateurs les mieux élus de France.

Dès ses premières interventions -je pense bien sûr à son vibrant plaidoyer en faveur de l'abolition de la peine de mort défendue en 1981, chacun s'en souvient, par notre collègue Robert Badinter-, Michel Dreyfus-Schmidt s'imposa comme un orateur hors pair et un infatigable défenseur des libertés et de la liberté. Pendant ses vingt-huit années de mandat sénatorial, il fit preuve d'une inlassable activité : présent jour et nuit, il était souvent le premier à intervenir par des rappels au Règlement restés célèbres et le dernier à expliquer son vote après des jours et des nuits d'examen d'un texte sur lequel il avait sans relâche proposé, défendu ou soutenu de multiples amendements.

Si Michel Dreyfus-Schmidt appartenait par sa profession au barreau, le spectre de ses engagements allait au-delà des seules questions de justice. Il en était pourtant un expert brillant, avisé et reconnu. Il fut, à ce titre, juge titulaire à la Haute cour de justice et à la Cour de justice de la République. A la commission des lois, dont il fut l'un des membres les plus actifs durant près de trois décennies, ses interventions riches et argumentées étaient toujours marquées par sa passion de la défense des libertés individuelles, de la lutte contre toutes les discriminations et de la justice sociale. Les questions d'éthique et la défense de la dignité humaine occupaient ses réflexions et nourrissaient ses interventions enflammées. Faisant preuve d'une indépendance d'esprit peu commune, il n'hésitait pas à soutenir avec fermeté les positions qu'il croyait justes, au risque de déplaire. Pour Michel Dreyfus-Schmidt, seule comptait la sincérité de l'engagement fondé sur des positions éthiques claires et éprouvées.

De Jaurès et de Pierre Mendès-France, qu'il révérait l'un et l'autre, il avait la puissance du verbe et le goût du débat : loyal, puissant et franc. Sa rhétorique naturelle, portée par une connaissance approfondie des questions sur lesquelles il intervenait, lui permettait de prendre la parole, le plus souvent sans notes, avec talent et en sachant toujours capter l'attention de son auditoire. Sa passion pour le débat, nous l'avons tous ici en mémoire : qui ne se souvient de ses interventions et des réactions qu'elles suscitaient parfois dans cet hémicycle ?

En occupant pendant douze années consécutives, de 1986 à 1998, les fonctions de vice-président du Sénat, Michel Dreyfus-Schmidt était aussi devenu un fin connaisseur de notre Règlement. Sa science en la matière était appréciée, mais aussi redoutée, par ses collègues lorsque, depuis l'hémicycle ou à la tribune présidentielle, il en faisait usage. Mais le travailleur infatigable qu'était Michel Dreyfus-Schmidt ne bornait pas son horizon aux seules questions juridiques ni au seul Hexagone. Membre puis vice-président de la délégation parlementaire aux assemblées du Conseil de l'Europe et de l'Union de l'Europe occidentale, président de la section française puis vice-président du Congrès juif mondial, président du groupe sénatorial interparlementaire France-Caraïbes, Michel Dreyfus-Schmidt manifestait dans l'exercice de ses responsabilités européennes et internationales la même force et la même détermination que dans la défense d'un amendement ou d'une proposition de loi. Il était très attaché à ses mandats et, quelle que soit l'enceinte, sa vaste culture soutenait ses interventions : il citait même parfois des poèmes appris dans sa jeunesse, ceux de Victor Hugo, son voisin de Besançon, ou du poète belfortain Léon Deubel qui fut, dit-on, le dernier des poètes maudits.

Il est bien sûr impossible de retracer en quelques phrases une existence aussi riche et un itinéraire aussi exceptionnel que ceux de Michel Dreyfus-Schmidt. Mais je veux, une nouvelle fois, saluer le combattant inlassable qu'il fut toute sa vie et jusqu'à l'extrémité de ses forces. Il s'est éteint à quelques jours des élections sénatoriales auxquelles, bravant une santé déjà compromise, il avait résolu de se représenter.

Le dernier acte de la vie publique de Michel Dreyfus-Schmidt s'est sans doute déroulé au coeur de son département, à Grosne, où les élus locaux et ses concitoyens se pressaient pour l'accueillir à la faveur de la fête organisée en l'honneur du maire sortant. Cette ultime apparition dans une mairie, auprès d'élus et entouré du peuple belfortain, au coeur de ce qui était pour lui à la base de l'engagement de sa vie, ne manque pas de frapper par sa force symbolique : élu de la République, le Républicain exemplaire qu'était Michel Dreyfus-Schmidt se devait de rester, jusqu'au bout, debout, au contact permanent des élus et de ses concitoyens.

Michel Dreyfus-Schmidt repose au cimetière israélite de Belfort, aux côtés de ses parents. Un cortège immense et douloureux l'y a accompagné le 9 septembre dernier. Des hommages émouvants lui ont été rendus, notamment par mon prédécesseur, Christian Poncelet, qui a tenu, en tant que Président de notre assemblée, à présider personnellement cette cérémonie d'adieu et à prononcer son éloge.

Aujourd'hui, dans cet hémicycle qui résonne encore de ses interventions, c'est l'hommage de la République qui est rendu à la mémoire du parlementaire d'exception que fut Michel Dreyfus-Schmidt.

A ses collègues du groupe socialiste, dont il fut un des plus brillants représentants, je présente mes plus vives condoléances pour la perte cruelle qu'ils ont éprouvée.

A ses collègues de la commission des lois, qui bénéficia durant tant d'années de son travail acharné, de ses compétences et de son talent, j'exprime notre sympathie sincèrement attristée.

A vous, Madame, à vos enfants, et à tous vos proches qui vivez la cruelle douleur de la séparation brutale d'un être cher et ô combien attachant, je tiens à vous assurer de la part personnelle qu'avec tous mes collègues sénateurs ici présents, nous prenons à votre immense chagrin. Soyez assurée que le souvenir de Michel Dreyfus-Schmidt marquera pour longtemps encore notre assemblée.

Lui qui était un homme d'honneur, il fut et restera l'honneur du Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.  - Le Gouvernement tient à s'associer à l'hommage du Sénat au président Michel Dreyfus-Schmidt. Issu de Belfort, d'une région où l'on est passionnément français -qu'on se rappelle le conflit de 1870-, issu d'un milieu où vibrait l'âme de la République, d'un père élu, résistant, avocat, issu de cette famille de gauche si attachée aux valeurs républicaines, Michel Dreyfus-Schmidt a gravi tous les échelons de l'élection jusqu'à parvenir au Sénat et y rester pendant vingt-huit ans. Avec son talent oratoire, exceptionnel et reconnu sur tous les bancs, avec son goût pour la joute, il donnait tout son sens à la démocratie parlementaire. C'était un passionné -souvenons-nous de ses interventions contre la peine de mort, sur la décentralisation ou les pouvoirs des collectivités locales-, un orateur estimé de son groupe. Pour les autres groupes, c'était un opposant ferme, irréductible mais honnête qui, tirant sa force de ses convictions républicaines, a participé à tous les grands débats de ces vingt-cinq dernières années. Il restera un modèle de conviction et d'engagement. Tout à l'heure, ici même, vous aurez un débat sur les délits commis par l'intermédiaire d'internet, débat qui portera sa marque tant il y avait travaillé.

Nous avons perdu un sénateur de qualité, un démocrate et un républicain convaincu. Au groupe socialiste, à son épouse, à ses enfants et à sa famille, je présente les condoléances du Gouvernement.

La séance est suspendue en signe de deuil.

présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président

La séance reprend à 16 h 35.