Modernisation des institutions de la Ve République (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, adopté par l'Assemblée nationale. Nous poursuivons la discussion générale.
Discussion générale (Suite)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Depuis l'instauration de l'élection présidentielle au suffrage universel direct, diverses réformes constitutionnelles, ainsi que la pratique, ont accentué la dérive présidentialiste de notre régime. Aidés par le fait majoritaire, l'inversion du calendrier électoral et l'introduction du quinquennat, les pouvoirs de l'exécutif se sont renforcés. Le parlementarisme rationnalisé a laissé la place à un présidentialisme irrationnel : le pouvoir du Parlement s'est affaibli, et avec lui la représentation des citoyens. L'enjeu de cette réforme est de mieux encadrer le pouvoir exécutif et de revaloriser les pouvoirs du Parlement.
Lors de son discours du 12 juillet 2007 à Épinal, le Président de la République a ouvert le débat de la réforme des institutions. Le projet était ambitieux et honorable : « Je souhaite que l'on examine concrètement tous les moyens qui permettront à notre République et à notre démocratie de progresser. » Depuis, le principe de réalité a pris le dessus. Entre les 77 propositions du comité Balladur et ce projet de loi, il y a un fossé. Déjà incomplètes au départ, beaucoup de ces propositions ont été écartées par l'avant-projet de loi, puis bannies du texte présenté à l'Assemblée nationale. Cette réforme ressemble aujourd'hui à une peau de chagrin et je crains que son examen devant le Sénat ne lui administre le coup de grâce. Notre déception est à la hauteur des espoirs que nous y avions placés. Du programme ambitieux, il ne reste que des avancées timides et, dans de nombreux cas, de simples affichages médiatiques. La modernisation annoncée ne sera qu'un toilettage sans grande incidence sur la répartition des pouvoirs.
En ce qui concerne les nouveaux pouvoirs accordés au Parlement, ce texte tente l'impossible : rééquilibrer sans toucher aux équilibres, en adoptant des consensus mous, sans effet sur la distribution des pouvoirs entre exécutif et législatif. Ce qui relève de la loi relève de votre majorité, et donc de votre bonne volonté : l'opposition ne pourra peser dans le débat démocratique, illustrant ainsi le sort qui lui est réservé par ce texte.
Quel intérêt de donner plus de pouvoirs au Parlement lorsque ce dernier est pieds et poings liés à l'exécutif, si les droits de l'opposition sont soumis à des lois contrôlées par la majorité ? Où est le réel contre-pouvoir à l'exécutif, appelé de ses voeux par le Président de la République ? Où sont les nouveaux pouvoirs du Parlement, gage de ce rééquilibre ? Il aura la faculté de donner un avis sans valeur contraignante. On lui permet de contrôler un droit utilisé une fois dans l'histoire de la Ve République : les pouvoirs exceptionnels. On lui concède des droits théoriques en raison du corsetage du fait majoritaire. On le tient informé des interventions à l'étranger et on lui permet de voter leur prolongation, mais qu'en est-il du contrôle du maintien des soldats ?
Sur l'encadrement du pouvoir exécutif, on ne peut parler de réelles avancées. La possibilité donnée au Président de la République de s'adresser directement au Parlement réuni en Congrès est-elle l'une de ces avancées ? La séparation physique, reflet de la séparation théorique des pouvoirs, est balayée d'un revers de main. Cette réforme ne doit pas être l'occasion pour le Président de se réconcilier avec les parlementaires de sa majorité. Nous ne construisons pas un pacte de non-agression entre le premier et les seconds, mais un pacte pour l'avenir démocratique de notre pays. Cela suppose des concessions de la part de la majorité comme du Gouvernement.
Au prétexte de ne pas toucher aux grands équilibres de la Ve République, nous ne devons pas nous résoudre à une réforme symbolique sans remédier à la crise de confiance politique actuelle. Nous devons passer de l'incantation à l'action. Cette révision porte en elle toutes les contradictions de l'action du Gouvernement -l'empressement, les voeux pieux, la longue réflexion- pour finalement ne jeter que de la poudre aux yeux. « J'ai une conviction : il ne faut jamais fuir le débat, il ne faut jamais en avoir peur ! » Chers collègues, faites vôtre cette phrase du Président de la République.
En ce qui concerne les droits des citoyens, notre principal objectif est une meilleure prise en compte de leurs aspirations et leur représentation dans des assemblées rajeunies, féminisées et métissées, à l'image de notre société. Je prends bonne note de la création d'une exception d'inconstitutionnalité, ainsi que d'un Défenseur des droits, mais qu'en est-il de la représentation de tous les courants politiques par l'introduction d'une dose de proportionnelle aux élections législatives, du renouvellement de la classe politique grâce à la limitation du cumul des mandats, de la possibilité pour les citoyens de se saisir d'un projet par un référendum local d'initiative citoyenne ?
Notre principale revendication est la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales, afin de rendre justice à ces citoyens qui contribuent à la richesse de notre pays. De votre réponse dépendra le vote des parlementaires verts. Certains diront que ce n'est pas le moment mais ce n'est jamais le moment ! Nous avons trop attendu, nos parents mêmes ont trop attendu pour bénéficier de l'élan démocratique que connaissent nos voisins européens. Saisissons l'occasion de donner à ces résidents permanents le droit de maîtriser leur destin et témoignons-leur le respect, le devoir de mémoire et de justice qu'ils méritent, au-delà des intérêts partisans et des luttes intestines.
Les libertés publiques reculent, la colère gronde, le discrédit plane -les taux d'abstention aux élections en témoignent. L'histoire nous montre que, lorsque le peuple ne croit plus en ses dirigeants, la démocratie laisse place à l'autoritarisme. Pour reconquérir la confiance de nos concitoyens, nous devons mener de véritables réformes pour la démocratisation de nos institutions, notamment du Sénat, dernier bastion du conservatisme. Il s'agit d'un enjeu démocratique pour l'avenir de notre société. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Puech. - Ce projet de modernisation des institutions est un événement. La Constitution de la France est solide et moderne, mais elle date de 1958. Il n'est pas scandaleux de procéder à une révision générale, une sorte de check-up qui nous confirme qu'elle a bien vieilli, mais n'est plus adaptée à un monde qui change. Rappelons-nous cette période de tensions politiques : la guerre froide, le choc des idéologies, notre présence en Algérie et l'instabilité de la IVe République. Le nouveau pouvoir exécutif ne pouvait qu'être fort ! Depuis, la France a vécu l'alternance, et même la cohabitation. L'Europe s'est construite, les distances se sont effacées. Les instances de décision de notre pays ont parfois eu du mal à prendre la mesure de ces bouleversements. Paradoxalement, les élus locaux n'ont eu d'autre choix que de s'adapter.
Présidant l'Observatoire de la décentralisation, je suis très attaché aux questions touchant les collectivités locales, leurs élus et leurs électeurs. Les élus, confrontés aux problèmes de nos concitoyens, désirent répondre à leurs attentes. Ils sont en prise directe avec les réalités quotidiennes du troisième millénaire : il leur faut enregistrer ces évolutions afin d'y faire face -à leur niveau bien sûr. Pourtant, dans les vagues déferlantes des réformes qui se succèdent, la situation des élus locaux est ignorée, sauf lorsqu'il s'agit de leur taper sur les doigts parce qu'ils dépenseraient trop...
M. Jean-Louis Carrère. - Très bien !
M. Jean Puech. - ... ou pour remettre en cause un jour la commune, l'autre le département, sans qu'ils soient pour autant associés aux multiples rapports qui les concernent directement.
Réparons cette injustice. Accordons aux élus locaux la reconnaissance nationale que les Français leur témoignent déjà -car ils sont les meilleurs ouvriers de la démocratie. De compétences arrachées en lois de décentralisation, les collectivités territoriales ont enfin acquis leur vraie place. Mais beaucoup de retard a été pris. Le Sénat a fortement contribué à l'adoption de la réforme constitutionnelle de 2003 avec le plein soutien du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La décentralisation était enfin inscrite dans notre Constitution. Mais aujourd'hui, qu'attendent les collectivités territoriales de l'État ? Elles ont besoin de la confiance de l'État, qui trop souvent se départit de son rôle de conseil pour retomber dans la tutelle.
La décentralisation implique aussi la contractualisation : les élus locaux souhaitent un État organisé avec un interlocuteur unique sur le terrain, légitime et responsable, le plus souvent le préfet, souvent court-circuité sur le terrain. Enfin, les collectivités et leurs élus ont besoin de sécurité juridique, de règles stables et consensuelles.
De cette réforme, les collectivités locales ne sauraient être absentes, ne serait-ce que parce que le Sénat, grand conseil des collectivités territoriales de France, est concerné au premier chef. Un maire, un conseiller général, un conseiller régional traite chaque jour de questions qui dépassent son ressort géographique. C'est cela, la vraie France. Il est donc légitime que les élus locaux aient ici voix au chapitre. Au Sénat, nous n'esquivons pas ces questions : qui fait quoi sur le territoire ? Qui est responsable de quoi ? La clarification des compétences est établie, mais elle n'est pas encore effective -elle le deviendra lorsque les citoyens pourront identifier sans difficulté ceux qui décident en leur nom. La Constitution doit intégrer la reconnaissance de cette légitimité. Il faut à l'élu local un véritable statut, les moyens de se consacrer à son mandat, la possibilité de retrouver plus tard une activité professionnelle -et une protection sociale comme tout citoyen qui travaille. Voilà pourquoi bon nombre de nos collègues ont cosigné mon amendement. Cette ambition est partagée par l'ensemble des membres de l'Observatoire et par une très large majorité de notre Assemblée, au-delà des divergences politiques. Mon amendement introduit une référence au statut de l'élu local dans notre Constitution. Une loi déterminera les conditions d'exercice du mandat. Nous ne faisons pas autre chose que de rationaliser des mesures qui existent déjà. L'inscription d'une référence au statut de l'élu local est l'aboutissement de notre réflexion sur la République décentralisée.
Les élus locaux ne comptent pas leur temps et n'économisent pas leur peine. Ils prennent des risques. Ils ne demandent rien d'autre que la reconnaissance de leur pays. La République s'honorerait de les accueillir dans ce sanctuaire de la démocratie qu'est la Constitution. Et que cette inscription soit proposée par le Sénat est significatif : le Président de la République a souhaité restaurer la confiance dans nos institutions et renforcer la légitimité des représentants du peuple. Prolongeons l'esprit de la réforme constitutionnelle !
Je forme le voeu que le Sénat renforce encore son rôle de représentant des territoires et de leurs élus. Les membres de l'Observatoire souhaitent que les moyens du Sénat soient renforcés pour que ce dernier puisse mieux suivre l'évolution des collectivités territoriales. La place de notre Haute Assemblée dans les institutions républicaines en sera confortée. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Claude Peyronnet. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Je veux exprimer ma déception. J'avais personnellement considéré comme très positive l'initiative du Président de la République, à la fin de l'été dernier. Je fondais de réels espoirs sur les conclusions du comité Balladur et j'espérais que nous aboutirions à un large accord politique pour rénover la vie politique. Mieux encadrer les pouvoirs du Président de la République, renforcer le rôle du Parlement : c'était une perspective réjouissante.
Nous nous trouvons aujourd'hui dans une démocratie simulée. Sans rien changer à la lettre de la Constitution, le Président de la République en a profondément modifié la pratique. Le Premier ministre fait de la figuration. Le Président décide de tout -sans être responsable, sinon devant le peuple, mais après cinq ans. Le Parlement, quant à lui, fait semblant d'exister. L'opposition n'est jamais écoutée et la majorité obéit au doigt et à l'oeil.
M. Henri de Richemont. - Ce n'est pas exact !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Vous moins qu'un autre, je l'admets.
Il y avait pour mettre fin à ce semblant de démocratie deux solutions. La première eût été -je parle en mon nom personnel- la plus efficace, y compris pour redonner des couleurs à un Parlement devenu théâtre d'ombres : c'eût été d'aller vers un régime présidentiel. Pour le Parlement, c'était le seul moyen de dépasser le blocage démocratique du fait majoritaire poussé à son extrême. Le Parlement se serait grandi en exerçant de façon rigoureuse un réel contrôle sur l'action de l'exécutif. Parallèlement, on aurait mis fin au pouvoir de dissolution, à l'usage de l'article 49-3 et aux nominations discrétionnaires aux postes stratégiques des grands corps de l'État.
C'est l'autre solution qui a été choisie : une voie possible à condition que l'on joue réellement le jeu de la démocratie et qu'en particulier l'une des branches du bicamérisme soit mieux en rapport avec la situation démographique et politique du pays. La majorité de la commission des lois a renoncé à constitutionnaliser ce qui s'apparentera de plus en plus aux « bourgs pourris » de l'Angleterre du 18e siècle.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Cela reste à prouver !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Ce qui revient à laisser le Conseil constitutionnel, dont on connait la composition politique, maintenir sa jurisprudence qui interdit de fait toute alternance. Voilà pourquoi l'on refuse la représentation des collectivités territoriales en fonction de leur population, comme le proposait le comité Balladur. Je n'ignore pas les progrès : vote sur le texte issu des commissions, mode de fixation de l'ordre du jour, etc. Mais il existe pour nous des empêchements dirimants. Voyez le cas du défenseur des droits des citoyens. Heureuse initiative... mais Mme la Garde des sceaux refuse de nous dire quelles institutions il est destiné à regrouper ! Elle a seulement cité à plusieurs reprises la commission nationale de déontologie et de sécurité. Le but de cette création serait-il de faire disparaître des institutions « poil à gratter » ? Le pouvoir de nomination également pose problème. Chez nos partenaires, les nominations le plus souvent se font à la majorité qualifiée du Parlement. Au lieu de quoi vous proposez un veto des 3/5e, revenant à une approbation par 2/5e. Mystification ! Et comment oser prétendre qu'une nomination par le Parlement à la majorité qualifiée est une ingérence politique dans la haute administration ? Plaisanterie ! C'est tout l'inverse : nous suggérons des nominations fondées sur un accord entre les forces politiques, donc un choix objectif.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Marchandage !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Enfin, concernant l'exercice du droit d'amendement, vous ne semblez pas disposés à assouplir l'application de l'article 40. Je pense, contrairement peut-être à la plupart de mes amis politiques, que le droit d'amendement doit être mieux encadré...
M. Jean-Pierre Sueur. - Il doit l'être !
M. Jean-Claude Peyronnet. - Franchement, ce n'est pas ainsi qu'il fallait procéder. Vous voudriez nous pousser à voter contre ce texte que vous ne vous y prendriez pas autrement. Voilà comment, dans notre République d'apparence, les effets d'annonce les plus séduisants masquent un conservatisme profond, voire une régression (M. le ministre le conteste vigoureusement) sinon un simple habillage. Et, monsieur le ministre, je maintiens ce que je viens de dire ! (Applaudissements à gauche)
M. Patrice Gélard. - Une Constitution n'est pas une tente dressée pour le sommeil, disait Napoléon Ier. Depuis près de cinquante ans, notre Constitution a été modifiée vingt-trois fois : elle a fait la preuve de son adaptabilité, et a su se moderniser. (Marques de désapprobation à gauche) La réforme qui nous est proposée aujourd'hui est mal comprise par certains d'entre nous. (Protestations à gauche) Ce n'est pas une réforme globale : elle modifie nos institutions sur un certain nombre de points seulement. Contrairement à ce que certains affirment, elle ne dresse pas l'épouvantail du régime présidentiel, mais préserve les équilibres de la Ve République. Loin de renforcer les pouvoirs du Président, elle les réduit plutôt. (Marques de désapprobation à gauche) Il ne s'agit pas pour autant de revenir aux vieilles lunes du régime parlementaire !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Non, en effet !
M. Patrice Gélard. - Certains regrettent encore que la Constitution d'avril 1946 n'ait pas été adoptée ; mais un tel régime conduit à l'impuissance, et à la dictature parlementaire. (Protestations à gauche)
M. David Assouline. - On n'a jamais vu au monde de dictature parlementaire ! Pouvez-vous en donner un seul exemple ?
M. Patrice Gélard. - Il en existe une multitude ! (Exclamations à gauche) Cette révision renforce, de manière mesurée, le rôle du Parlement, afin de parvenir à un meilleur équilibre des pouvoirs. Elle tient compte de l'introduction du quinquennat, qui a profondément transformé nos institutions, notamment par la coïncidence des élections présidentielle et législatives. Nous ne sommes plus sous le septennat ou sous le quinquennat de Jacques Chirac, où l'on avait continué à fonctionner selon des règles anciennes. Je me félicite qu'aient été reprises certaines propositions de nos deux rapports : comme nous l'avions proposé il y a dix ans déjà, les Chambres débattront désormais en séance publique du texte adopté en commission, et non plus du projet du Gouvernement ; et le Comité des affaires européennes est constitutionnalisé. Pour l'essentiel, ce texte satisfait donc ceux qui attendaient que nos institutions soient adaptées au nouveau régime du quinquennat.
Mais j'ai plusieurs regrets à formuler. Tout d'abord, il faudrait corriger les règles du recours au référendum, que nous ne savons pas utiliser.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est sûr !
M. Patrice Gélard. - Les électeurs ne répondent pas à la question posée, mais se prononcent pour ou contre le Gouvernement. (On ironise à gauche) Je propose donc que tout référendum auquel moins de 50 % du corps électoral aura pris part soit considéré comme nul et non avenu. (Marques d'approbation à droite, et de désapprobation à gauche)
M. Henri de Richemont. - Bravo !
M. David Assouline. - Ce n'est pas très gaulliste !
M. Patrice Gélard. - Ensuite, je souhaiterais que l'on s'interroge sur le statut des anciens présidents. Que ces derniers soient membres de droit du Conseil constitutionnel ne répond à aucune nécessité.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Très bien !
M. Patrice Gélard. - Les membres du Conseil sont tenus à un devoir de réserve. Surtout, le Conseil devra désormais juger par voie d'exception les recours des justiciables : les anciens présidents, membres à vie, pourraient ainsi avoir à se prononcer sur des lois qu'ils auront eux-mêmes promues ! C'est une situation anormale, et sans reprendre l'idée que les anciens présidents pourraient devenir sénateurs à vie...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est très démocratique, cela !
M. Patrice Gélard. - ... je laisse au Parlement le soin de réfléchir aux fonctions qui pourraient être les leurs. C'est anormal... Il faudrait donc réfléchir au statut des anciens présidents.
Enfin, le Conseil constitutionnel risque d'être confronté à une surcharge de travail, suite aux nouveaux recours. Je propose donc que le nombre de ses membres passe de neuf à douze, et que le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour des comptes y délèguent chacun un représentant.
M. David Assouline. - Et qu'ils soient tous doyens !
M. Henri de Raincourt. - Ajoutons-y le Garde des sceaux !
M. Patrice Gélard. - Le projet de révision prévoit l'adoption de plusieurs lois organiques, et la révision de notre Règlement. Il doit entrer en vigueur en mars 2009 : nous devrons donc faire vite. Je souhaite que l'ensemble aboutisse rapidement, car cette révision constitutionnelle marque un véritable progrès. (Vifs applaudissements à droite)
M. Pierre-Yves Collombat. - Michel Debré disait en 1958 que le parlementarisme rationalisé permet la collaboration entre « un chef de l'État et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second, avec entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l'État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont dans tout système démocratique, la rançon de la liberté. » D'où un ensemble de dispositions que vous connaissez. Alain Peyrefitte écrivait quelques années plus tard que « cette Constitution a été faite pour gouverner sans majorité ». Conçue pour corriger un système parlementaire où les majorités étaient faibles et changeantes, la constitution de la Ve République a fonctionné, du fait de la loi électorale, des réformes constitutionnelles, de l'évolution du système partisan et de la médiatisation de la vie politique, avec des majorités solides, voire introuvables. Par suite, le parlementarisme rationalisé est devenu un parlementarisme lyophilisé. (Sourires à gauche) Quand le Président et l'Assemblée sont du même bord, tout le pouvoir réside à l'Élysée ; en cas de cohabitation, il est partagé entre le Président et le Premier ministre, sorte de maire du Palais dont la puissance dépend de la discipline de ses troupes. Le Parlement, lieu théorique de l'élaboration de la loi, du débat démocratique contradictoire et du contrôle de l'exécutif n'a plus pour rôle que de soutenir, de corriger les fautes de syntaxe et d'enregistrer. Chaque jour montre qu'il a pris goût à sa servitude. Cette révision changera-t-elle ses moeurs ? Non. D'abord parce que le texte fait l'impasse sur la question de la loi électorale, contrairement aux propositions du comité Balladur. Il n'est plus question d'introduire la proportionnelle à l'Assemblée Nationale ou de permettre l'alternance au Sénat. Or le problème constitutionnel n'est pas séparable de celui du mode de scrutin. L'actuelle Constitution associée à la proportionnelle d'arrondissement, par exemple, aurait des effets tout à fait différents.
Ensuite, les pouvoirs du Président de la République ne sont nullement réduits, si l'on excepte quelques mesures décoratives. Edouard Balladur lui-même en convient, qui disait au journal Le Monde : « On ne peut pas dire que, sauf sur quelques points, il y ait une réduction des pouvoirs du Président. » Un « rééquilibrage » qui renforcerait un des acteurs sans affaiblir l'autre est une contradiction dans les termes. Or non seulement les pouvoirs du Président de la République ne seront pas réduits, mais ils sont renforcés par le pouvoir considérable en démocratie médiatique de se présenter devant les parlementaires comme le véritable chef du Gouvernement et de la majorité. Justifier cette mesure par l'exemple des États-Unis, est une escroquerie intellectuelle. Mme Zoller, professeur à Paris-II, a dit devant notre commission que la France changerait de régime, si le droit de message devait faire du Président le législateur en chef ; celui-ci ne serait plus, comme son homologue américain, qu'un chef de parti, investi du pouvoir de mettre en forme législative le programme de gouvernement pour lequel il a été élu.
Du coup, ajoute-t-elle, les fonctions d'arbitrage du Président n'ont plus de titulaire. La phrase clé de la fonction présidentielle, qui veut que « le Président de la République assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État », n'a alors plus de sens dans le jeu institutionnel. Le système américain échappe à ce dilemme, puisque le Président n'y exerce pas cette fonction d'arbitrage, relève-t-elle encore, avant de conclure qu'ériger le Président, en France, en législateur en chef sans diminuer ses pouvoirs existants, c'est-à-dire en maintenant l'intégralité de ses pouvoirs d'arbitrage et sans toucher à ses pouvoirs de direction du travail des assemblées par Gouvernement et Premier ministre interposé « fait verser le régime dans un système consulaire ». J'ajoute, quant à moi, qu'en démocratie médiatique, s'il n'est pas besoin de baïonnettes pour faire des consuls, il y faut la complicité des parlementaires. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs bancs CRC)
M. Hubert Haenel. - Les révisions constitutionnelles ont cessé d'être une occasion rare et solennelle. Depuis 1992, notre Constitution n'aura pas été révisée moins de dix-huit fois, au risque de nous faire perdre de vue que ces révisions sont une affaire grave. Elles nous conduisent à toucher aux fondements mêmes du fonctionnement de l'État et à trancher des questions de principe : bricolage et marchandage devraient en être exclus.
Si les révisions, jusqu'à présent, ont porté sur des aspects précis de la Constitution, nous sommes ici saisis d'un ensemble de modifications entre lesquelles le lien n'est pas toujours évident.
Une série, pourtant, forme un ensemble : celle des dispositions qui atténuent le parlementarisme rationalisé que, par réaction, la Ve République avait peut-être poussé trop loin. Un grand discernement est ici de mise. S'il est utile et de l'intérêt bien compris du Gouvernement, qui a besoin d'avoir face à lui un Parlement actif et vigilant, de laisser plus d'espace aux assemblées pour remplir leurs fonctions de législation et de contrôle, il faut aussi songer, au-delà des temps ordinaires, aux circonstances difficiles, qu'elles soient extérieures ou intérieures. Il me semble essentiel, dans cette optique, de ne pas trop encadrer l'usage du 49-3 : comme les antibiotiques, s'il ne faut pas en abuser, on ne peut ignorer que, dans certains cas, ils sont indispensables. La position de la commission des lois me paraît donc empreinte de sagesse.
M. Henri de Richemont. - Bravo !
M. Hubert Haenel. - Deux dispositions du projet, parmi celles qui ne se rattachent pas directement au rôle du Parlement dans nos institutions, me semblent poser d'importantes questions de principe.
La composition du Conseil supérieur de la magistrature a suscité un vif débat à l'Assemblée nationale, qui se poursuit dans la presse. Débat récurrent, trop lié, peut-être, aux mouvements d'opinion suscités par telle ou telle affaire. Que la méfiance s'abatte sur le monde politique et rien n'est de trop pour rassurer le public sur l'indépendance des juges. Mais que la justice échoue spectaculairement dans sa mission et l'opinion s'indigne que les responsables ne semblent pas avoir à rendre de comptes.
Il n'est pas inutile de revenir à quelques principes de base.
Tout d'abord, l'indépendance du juge ne signifie pas qu'il appartient à un ordre privilégié. Elle n'est pas une fin en soi mais un moyen de rendre la justice de manière impartiale. Pour juger bien, ce n'est pas seulement à l'égard du pouvoir politique ou des intérêts économiques que le juge doit rester indépendant mais aussi à l'égard de ses propres préjugés, de ses choix politiques ou syndicaux, voire de ses tentations médiatiques... Nous devons l'inciter à toujours se remettre en question : nous n'y parviendrons pas en faisant de la magistrature une tour d'ivoire.
M. Henri de Richemont. - Il faut supprimer l'École nationale de la magistrature !
M. Hubert Haenel. - Quant aux magistrats du parquet, dont la fonction est de mettre l'action publique en mouvement, couper tout lien avec le pouvoir reviendrait à leur confier des choix politiques sans qu'ils soient élus ni responsables : quelle serait alors leur légitimité ? Évitons de faire de la magistrature un corps séparé ne rendant de comptes qu'à lui-même. Ce serait un mauvais service rendu aux magistrats. Sauf à minorer son rôle, le Conseil supérieur de la magistrature ne saurait devenir une simple variété de comité technique paritaire : la composition retenue par notre commission me semble bien refléter le rôle spécifique et éminent qui est le sien. On ne peut accepter le procès en légitimité que mènent certains sur ce thème. En quoi les non-magistrats, nommés par les plus hautes autorités de l'État républicain, seraient-ils moins légitimes que des magistrats élus sur des listes syndicales ? Que les formations proprement disciplinaires du CSM soient composées à parité, soit, mais ce serait une erreur d'aller plus loin. Ce ne serait pas rendre service à la magistrature que d'en donner l'image d'une corporation réglant elle-même ses affaires.
Autre question de principe : on ne peut tolérer, dans une Constitution républicaine, aucune disposition « ad nationem ». Viser un pays précis, sous une formulation qui ne trompe personne, c'est renoncer à la généralité de la loi qui est au coeur de l'idée républicaine.
Je me trouvais en mission en Turquie, avec Robert del Picchia, lors du vote de l'Assemblée nationale. Nos interlocuteurs ne comprennent pas qu'un pays ami et allié introduise dans sa loi suprême une disposition qu'ils ressentent comme une discrimination, et pour certains comme une humiliation. (Mme Voynet applaudit) Imaginons un instant le même procédé employé à notre encontre. Quels hurlements n'entendrait-on pas ! Je soutiens donc la position de notre commission des affaires étrangères, qui propose de revenir au texte initial.
La question n'est pas ici de savoir si l'on est pour ou contre l'adhésion pleine et entière de la Turquie à l'Union. C'est une décision qui, si elle est à prendre, ne le sera pas avant quinze ou vingt ans. Nul ne sait où en sera alors l'Europe ni la Turquie. L'unique question qui se pose à nous aujourd'hui est celle-là : voulons-nous faire figurer dans notre texte fondamental une disposition qui stigmatise un pays, au demeurant partenaire et allié de la France ?
Je ne peux conclure sans évoquer les dispositions du projet relatives au traitement des affaires européennes. Je ne vois rien à changer au texte adopté par l'Assemblée nationale, hors la rédaction maladroite de l'article 88-6 qui n'a pas échappé à la sagacité de notre commission des lois. Que l'on appelle l'organe chargé des affaires européennes comité ou commission importe peu, pourvu que l'on change enfin ce nom de délégation, incompréhensible pour nos partenaires. Vous dirais-je que j'ai récemment reçu un courrier du Parlement européen adressé à « M. Hubert Haenel, délégué du Sénat auprès de l'Union européenne » ! Celui qui m'écrivait a dû se demander pourquoi je n'étais pas localisé à Bruxelles !
L'organe chargé des affaires européennes n'empiètera nullement sur les compétences législatives des commissions permanentes. Les traités européens, comme les autres traités, doivent rester de la compétence de la commission des affaires étrangères et la transposition des directives du ressort de la commission compétente au fond. Restera à définir la bonne articulation entre l'organe européen et les commissions permanentes. Si les parlements nationaux avaient été mieux associés par le passé, nous n'aurions peut être pas à déplorer aujourd'hui le « non » irlandais. Un fossé s'est creusé entre les opinions publiques et l'Europe. Les parlements nationaux ont une responsabilité essentielle pour aider à le combler. Et le Sénat ne doit pas se dérober devant la part qui lui incombe. C'est une exigence qui devrait l'emporter sur toute autre considération. Je fais confiance à notre Assemblée pour s'orienter dans ce sens. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Richard Yung. - Je traiterai de l'article 9 qui introduit dans notre loi fondamentale le principe de la représentation à l'Assemblée nationale des 2,5 millions de Français établis hors de France. La modification de l'article 24 de l'actuelle Constitution constitue une avancée démocratique qui couronne le long chemin, débuté il y a trente ans, d'une grande et belle idée qui fut portée par le parti socialiste et, en particulier, par ses candidats successifs à l'élection présidentielle. La proposition 48 des cent-dix propositions du Président Mitterrand prévoyait que « la représentation des Français de l'étranger, comprenant non seulement des sénateurs mais aussi des députés, sera assurée selon des procédures qui en garantiront le caractère démocratique ». Pour ma part, j'avais déposé en 2005 avec ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga une proposition de loi en ce sens qui n'a malheureusement jamais été discutée.
La situation actuelle n'est pas satisfaisante. D'une part parce que, les députés, étant censés représenter la Nation tout entière, on ne peut en priver deux millions et demi de citoyens. D'autre part parce que la plupart de nos collègues de l'Assemblée méconnaissent la situation de leurs concitoyens de l'étranger, ils en ont souvent une fausse image, ce qui les conduit régulièrement à tenir des propos empreints d'a priori parfois blessants -« évadés fiscaux » et autres gentillesses. Il est donc temps que les Français établis hors de France fassent entendre leur voix au Palais Bourbon. La France rejoindrait ainsi l'Italie et le Portugal, qui élisent respectivement douze et quatre députés représentant leurs ressortissants établis à l'étranger.
Ce projet fait naître deux craintes. D'abord celle que la droite soit consubstantiellement majoritaire parmi ces douze nouveaux députés. Mais la démocratie ne se monnaye pas et nous sommes prêts à en assumer le risque.
On craint aussi que le Sénat perde sa priorité dans l'examen des textes relatifs aux français de l'étranger. Mais la grande majorité de ces textes sont des propositions et non des projets de loi.
Je m'inquiète en revanche de la définition du mode de scrutin et du choix du découpage électoral. Le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale a refusé que les députés représentant les Français de l'étranger soient élus selon un mode de scrutin différent de celui des autres députés. Quant à vous, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, vous avez été encore plus catégorique en affirmant que ces parlementaires seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Un tel mode de scrutin supposerait la création de douze circonscriptions uninominales. Au vu de la répartition géographique des personnes inscrites sur les listes électorales consulaires, la moitié des douze circonscriptions se trouverait en Europe. Quant aux six autres circonscriptions, elles couvriraient des territoires très vastes : les États-Unis, le Canada, l'Amérique latine, le Maghreb et le Levant, le reste de l'Afrique et l'Asie-Pacifique. L'argument de proximité invoqué pour justifier le scrutin uninominal n'est pas pertinent dans la mesure où, à l'exception de l'Europe, les députés auraient à couvrir jusqu'à une vingtaine de pays !
Par ailleurs, le choix du découpage électoral pourrait aussi avoir des incidences sur la sincérité du scrutin. En outre, le gel du nombre maximal de députés va sérieusement compliquer les choses. Nous risquons de nous retrouver dans la même situation qu'en Italie, où la création d'une circonscription « étranger » avait entraîné une modification de la répartition des sièges à la Chambre des députés car le nombre total de parlementaires y était resté inchangé. Un scénario identique aurait pour fâcheuse conséquence de mettre les élus dos à dos et de stigmatiser les représentants des Français de l'étranger. Nous refusons donc que le chiffre de 577 soit figé dans le marbre de la Constitution.
Nous sommes sensibles aux avancées proposées sur ce point précis des Français de l'étranger, mais nous porterons une appréciation plus globale sur l'ensemble de ce projet de réforme. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Alain Vasselle. - Il me paraît impératif que tous les projets de loi qui nous sont soumis soient accompagnés d'une étude d'impact qui comporterait un volet réglementaire, avec l'ensemble des décrets et mesures réglementaires prévus, et un volet financier pour les réformes qui ont besoin d'être chiffrées. J'ai noté avec satisfaction que les députés ont repris l'esprit de cette disposition. Trop souvent, en effet, nous votons des lois ordinaires dont le caractère social ou fiscal a des incidences sur les lois de finances et de financement, incidences qui ne sont pas mesurées.
M. Philippe Marini. - C'est bien vrai !
M. Alain Vasselle. - Comme l'a clairement souligné la Cour des comptes dans un récent rapport effectué à notre demande, il faut aujourd'hui dépasser le stade du chiffrage global et volontariste des réformes pour parvenir à une évaluation plus affinée de l'impact des dispositifs envisagés pour l'ensemble des acteurs concernés. Je pense par exemple à la loi sur les retraites de 2003 ou à la réforme de l'assurance maladie de 2004 dont les effets ont été évalués de façon trop grossière et optimiste : on a négligé l'évolution des comportements ainsi que les interactions avec d'autres mesures. Comment s'étonner des difficultés d'application des lois, de leur insuffisante mise en oeuvre ou de l'impasse financière à laquelle elles mènent si on n'a pas, au préalable, réfléchi à leurs conséquences et mesuré leurs implications concrètes sur le terrain ?
En matière de contrôle, toujours, nous ne pouvons plus nous contenter de grandes incantations et dire que le Parlement va s'investir de plus en plus dans cette mission, sans pour autant lui en donner les moyens. J'entends encore Jean-Louis Debré ou le président Poncelet demander au Gouvernement de laisser au Parlement le temps d'exercer sa fonction de contrôle. Mais on n'a constaté aucun effort en ce sens, ni de la part des conférences des présidents ni de la part du Gouvernement.
Je suis satisfait que cette idée ait été inscrite par l'Assemblée nationale à l'article 48 de la Constitution. Toutefois, je ne suis pas certain que les modalités retenues soient les meilleures, à savoir réserver une semaine sur quatre à l'action de contrôle. Cela sera certainement très difficile à respecter en fin de session et avant l'interruption des travaux de la fin décembre. Il semblerait plus judicieux d'inscrire dans la Constitution que le quart du temps de travail parlementaire, apprécié globalement, sera réservé au contrôle.
Dans le même esprit, je propose que le Sénat consacre une séance par semaine aux questions d'actualité au Gouvernement.
Je comprends le souci de nos collègues députés d'avoir inscrit dans la Constitution le principe du respect d'un objectif d'équilibre des finances publiques. Nous traînons en effet depuis trop longtemps des déficits publics et sociaux qui viennent invariablement accroître chaque année la dette publique de notre pays, ce qui revient à reporter sur nos enfants et petits-enfants la charge de nos dépenses d'aujourd'hui.
Je ne suis cependant pas persuadé que le vote d'une telle disposition générale soit réellement efficace car elle ne tient pas suffisamment compte des aléas extérieurs et économiques qui pourraient survenir. En revanche, il me semble indispensable de se donner les moyens de parvenir à cet objectif. C'est pourquoi, avec le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, avec le président et le rapporteur général de la commission des finances, Jean Arthuis et Philippe Marini, nous avons déposé un amendement visant à encadrer constitutionnellement le vote des niches fiscales et sociales. Désormais, l'entrée en vigueur d'une réduction ou d'une exonération d'impôt ou de cotisation ou contribution sociales sera conditionnée à son approbation par la prochaine loi de finances en matière fiscale ou par la prochaine loi de financement en matière sociale.
En janvier, nous avons adopté ici une proposition de loi organique en ce sens, mais un risque d'inconstitutionnalité nous a été opposé. M. Xavier Bertrand avait dit qu'il n'était pas en désaccord sur le fond. Le temps est donc venu de supprimer ce verrou constitutionnel.
M. Philippe Marini. - Très bien !
M. Alain Vasselle. - J'en viens à la proposition formulée par certains de réunir en un texte loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. Je n'y suis pas favorable. En octobre, un rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, que je préside, a fait le point sur cette question. Je vous y renvoie pour l'analyse détaillée des raisons conduisant à repousser cette formule et me contenterai aujourd'hui d'insister sur la différence de nature des recettes inscrites dans les deux textes. En effet, les recettes de la loi de finances sont globalisées, alors que celles inscrites dans la loi de financement sont affectées à chaque branche de la protection sociale. Comment justifier une réforme des retraites sans afficher l'insuffisance des cotisations face aux prestations ? Serait-il plus vertueux de tout mettre dans un pot commun en renvoyant chaque difficulté financière à la solidarité nationale ? En définitive, cette préconisation irait à l'encontre de la transparence et de la lisibilité de l'action publique souhaitées par nos concitoyens. (Applaudissements à droite)
M. David Assouline. - Notre pays a un profond besoin de démocratie politique, sociale, participative et médiatique. La candidate socialiste à l'élection présidentielle l'avait bien compris, elle qui voulait aller vers une VIe République, loin de la prétendue modernisation que vous proposez aujourd'hui pour - mal- masquer une présidentialisation renforcée. Est-il moderne d'exclure de toute participation à la vie démocratique les étrangers d'origine extracommunautaire résidant en France en situation régulière, vivant et travaillant dans notre pays ?
Est-il moderne d'ignorer le quatrième pouvoir ? Toute notre vie sociale et privée est modifiée par l'essor des médias de masse, notamment télévisuels. Cette intrusion dans notre quotidien ne compromettrait pas la vie démocratique si les médias français étaient indépendants, mais la situation est plus qu'inquiétante.
M. Jean-Pierre Sueur. - Elle est très inquiétante !
M. David Assouline. - Pouvons-nous accepter que le chef de l'État affirme devant des journalistes rêver d'en « finir avec le journalisme de dénigrement pour promouvoir un journalisme pédagogique de l'action gouvernementale » ? Notre démocratie peut-elle accepter le fait du prince compromettant la télévision publique pour accroître les recettes publicitaires des chaînes privées ? La même interrogation vaut pour la deuxième coupure publicitaire dans les films diffusés par les chaînes privées et pour le seuil anti-concentration dans les actionnariats des chaînes numériques terrestres.
Faudra-t-il encore longtemps fermer les yeux sur les amitiés que le chef de l'État entretient avec les patrons de groupes de presse, notamment lorsque les revenus desdits groupes dépendent largement des commandes publiques ? Arnaud Lagardère possède Europe 1, Paris-Match et le Journal du dimanche, mais il est aussi actionnaire stratégique d'EADS. Le groupe Dassault, qui fabrique le Rafale, édite Le Figaro et Le journal des finances. Martin Bouygues est toujours à la tête d'un puissant groupe de BTP qui participe à de nombreux marchés publics. Enfin, Vincent Bolloré a diversifié ses activités dans les médias, avec Direct, Direct soir, Matin plus et la Société française de production, achetée à l'État il y a quelques années dans des conditions particulièrement avantageuses. Pour clore ce tour d'horizon des liaisons dangereuses, LVMH est désormais propriétaire des Échos après une longue bataille avec ce quotidien, conduite avec l'appui direct du Président de la République. Cette concentration aux mains de puissants groupes industriels dont les patrons sont presque tous proches du chef de l'État -et dont la plupart dépendent de la commande publique- est préoccupante et unique au monde.
L'inquiétude de nombreuses rédactions est proportionnelle aux pressions subies. Et je passe sur le dernier remaniement à la tête de l'information et du journal télévisé du principal média audiovisuel de notre pays...
Ces pratiques antidémocratiques sont contraires à l'indépendance et au pluralisme des médias. Faut-il rappeler que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a érigé le pluralisme en objectif constitutionnel, sur le fondement de l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?
Je rappelle que la proposition n°77 du comité Balladur consistait à créer un organisme chargé de veiller au pluralisme.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Et la proposition n°78 ?
M. David Assouline. - Cette protection est d'autant plus urgente que l'expression politique à la radio et la télévision est envahie par la parole du chef de l'État.
M. Philippe Marini. - C'est le chef de l'État...
M. David Assouline. - En l'occurrence, le comité Balladur a exigé d'infléchir l'application de la règle des trois tiers ou, au moins, de modifier la loi du 30 septembre 1986. Mais la majorité n'étant disposée ni à l'une ni à l'autre, nous proposons que la prise en compte du temps d'expression présidentielle devienne une obligation constitutionnelle.
Nous espérons aussi convaincre la majorité sénatoriale, en comptant sur sa sagesse bien que nous regrettions son inamovibilité, qu'il faut graver l'indépendance des médias dans le marbre de la loi fondamentale, en interdisant aux groupes dont une part substantielle des recettes provient de la commande publique de participer au capital des entreprises audiovisuelles ou de presse. Les journalistes de France attendent que la représentation nationale leur accorde la protection à laquelle ils ont droit dans une République démocratique. Ne les abandonnons pas ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Robert del Picchia. - J'aurais pu me borner à dire que, l'Assemblée nationale ayant tranché pour ce qui la concerne, la courtoisie républicaine veut que nous n'y touchions plus, mais je me devais de prendre mes responsabilités, puisque j'ai défendu le projet de députés des Français de l'étranger. Je le devais d'autant plus qu'un de mes collègues s'est exprimé sur ce sujet.
M. Jean-Louis Carrère. - C'est le marquage à la culotte !
M. Robert del Picchia. - « Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat. » : en ces termes, l'article 9 du projet de loi résume soixante-deux ans d'attente. Rendez-vous compte, des députés élus par les Français de l'étranger ! Un relais dans l'autre assemblée parlementaire pour faire entendre une voix qui doit parcourir des milliers de kilomètres ! Bref, un Parlement plus représentatif.
Je sais quelles réticences l'idée inspire à certains d'entre vous, puisque disparaîtrait ainsi le deuxième bonus constitutionnel du Sénat, maison des Français de l'étranger. J'espère pourtant vous convaincre qu'il y aurait là une avancée. L'Assemblée des Français de l'étranger, composée d'élus au suffrage universel direct représentant plus de deux millions de Français expatriés, a adopté ce projet à l'unanimité moins neuf abstentions.
Mais permettez-moi d'examiner les principales objections entendues ces derniers mois.
Une première interrogation revient souvent : pourquoi les Français de l'étranger devraient-ils élire des députés ? On peut surtout se demander pourquoi ces citoyens ne devraient élire de représentants que dans une seule chambre du Parlement. Lorsque leur participation à la Résistance imposa l'idée de représenter les Français établis hors de France, elle s'est heurtée à l'impossibilité matérielle d'organiser des élections dans les pays de l'Est, puis dans les anciennes colonies. Seules ces considérations matérielles ont empêché la création de députés, en 1946 comme en 1958. L'élection au suffrage indirect s'impose alors. C'est donc au Sénat, alors Conseil de la République, que nos concitoyens établis hors de France obtiennent huit représentants.
Or, le suffrage universel direct existe à l'étranger depuis 1976, quand une loi organique a organisé l'élection du Président de la République et la participation à des scrutins référendaires dans des centres de vote ouverts à l'étranger. Depuis 1979, les Français ont voté dans les consulats pour élire les députés français au Parlement européen. La dernière extension du suffrage universel direct remonte à 1982, avec la loi modifiant l'élection du Conseil supérieur des Français de l'étranger, aujourd'hui Assemblée des Français de l'étranger. Avec 580 centres de vote ouverts hors de nos frontières, l'impossibilité matérielle d'organiser des scrutins au suffrage direct a disparu. Il reste à franchir la dernière étape.
Accorder des députés aux Français établis hors de France, c'est proclamer leur appartenance à la communauté nationale et notre besoin d'une présence française à l'étranger, forte et attachée à son pays d'origine.
La deuxième objection fréquemment formulée est que les Français établis hors de France sont très bien représentés actuellement. C'est vrai, mais par une représentation unijambiste. Faut-il refuser la deuxième jambe lorsqu'on nous propose une greffe ? Les sénateurs élus dans des circonscriptions où les échelons électifs se superposent n'imaginent pas la difficulté de n'être représenté que dans la seule assemblée. Être absent d'une chambre, c'est souvent être caricaturé, c'est entendre, impuissant et frustré, les approximations et contrevérités énoncées à des tribunes inaccessibles.
Nous ne voulons pas rester bancals.
L'Assemblée des Français de l'étranger va disparaître. L'actuel article 39 de la Constitution prévoit, dans sa dernière phrase, que les projets de loi concernant les « instances représentatives des Français établis hors de France sont soumis en premier lieu au Sénat ». L'Assemblée nationale a estimé que cette partie de l'article 39 devait être supprimée, vu la création de députés représentants les Français de l'étranger, d'où le risque de disparition de la fameuse « instance représentative », à savoir l'Assemblée des Français de l'étranger. C'est aller un peu vite : voté en 2003, soit 55 ans après la création du Conseil supérieur des Français de l'étranger, aujourd'hui AFE, l'alinéa constitutionnel institue seulement une prévalence du Sénat pour les Français de l'étranger. Celle-ci a signifié pour le Sénat la consécration de son propre rôle de « Maison des Français de l'étranger », pas celui de l'Assemblée des Français de l'étranger qui n'est pas inscrite dans la Constitution et qui ne le sera pas demain. Pour calmer les inquiétudes, il serait possible d'ajouter à l'article 34 un alinéa qui indiquerait la représentation élective des Français de l'étranger, ce qui induirait implicitement le maintien de l'AFE. Nous allons vraisemblablement faire cela dans quelques jours.
La défense du Sénat et de ses prérogatives préoccupe beaucoup d'entre vous. Pourtant, il ne tient qu'à nous, sénateurs des Français de l'étranger, de garder l'avantage. La prévalence du Sénat ne concernait que les projets de loi. A nous l'initiative des propositions de loi. Chacun sait que la grande majorité des textes adoptés en cette matière sont d'origine sénatoriale. Notre prévalence sera à l'avenir le fait de notre expertise, héritée de notre histoire et d'une intimité avec les problématiques propres à nos compatriotes à l'étranger, et pas d'un paragraphe dans la Constitution. On ne nous enlève rien mais on ne fait qu'ajouter ailleurs. Aurions-nous si peur de la concurrence ? Comme mes collègues, je ne le pense pas.
On nous dit aussi que le nombre de sénateurs des Français établis hors de France va diminuer. Le Président de la République a été très clair : il y aura des députés et des sénateurs. De six, nous sommes passés à douze en 1983, pour compenser l'absence de représentation à l'Assemblée nationale. Mais aujourd'hui, la population des Français vivant à l'étranger a doublé : nous sommes aujourd'hui le septième « département » en ordre d'importance électorale et les douze sénateurs semblent tout à fait appropriés.
A l'Assemblée nationale, on s'est inquiété de la grandeur des circonscriptions et du coût pour aller à la rencontre des électeurs. Mes onze collègues et moi-même sommes élus dans le cadre d'une circonscription qui s'étend au monde entier. C'est donc bien plus grand que les circonscriptions des futurs députés. Et puis nous n'allons plus sous les préaux d'écoles : Internet a permis de travailler bien plus vite et mieux. Les députés feront comme nous.
Nos collègues du Palais Bourbon se sont également demandé combien ces députés allaient être et comment ils seraient élus. Combien ? Douze. Comment ? On se posera la question des découpages après l'adoption de cette révision. (M. Assouline ironise) Il sera toujours facile de voter la loi électorale ensuite ou de ne pas la voter si elle ne vous convient pas !
En approuvant la modification de la Constitution, nous avons l'opportunité d'être Français, et pas seulement à l'étranger. (Applaudissements à droite. M. Mercier applaudit aussi)
M. Jean-Pierre Bel. - Et le droit de vote des étrangers ?
M. Éric Doligé. - En introduction, je pensais vous demander si vous connaissiez le nom du pays qui, en cinquante ans, a révisé sa constitution vingt-trois fois. La réponse ayant été donnée une bonne dizaine de fois, je n'y reviendrai pas. Notre Constitution est-elle si peu adaptée à l'évolution de notre société qu'il faille en réécrire régulièrement des passages significatifs ? Avec ce projet de loi, vous nous demandez de retoucher 35 articles de notre loi fondamentale. Il ne s'agit donc pas d'un simple réajustement mais d'une réorientation de notre Constitution sur trois points majeurs : l'exécutif, le législatif et les droits des citoyens. Nous irons donc à Versailles le 21 juillet afin que vous puissiez, madame la ministre, imposer votre sceau sur une Constitution qui devrait, selon les statistiques, être corrigée dans moins de deux ans. Je ne le souhaite pas, et vous non plus. Puis-je suggérer que l'on introduise un nouvel article pour préciser qu'on ne pourra modifier la Constitution qu'une fois par quinquennat ? (Sourires) Cela devrait être possible puisque nous allons limiter le recours au 49-3.
Lors de sa campagne électorale, M. Sarkozy estimait que le Président de la République devait pouvoir s'exprimer devant chacune des assemblées. Ce droit est légitime et conforme aux usages internationaux. A l'issue des travaux de la commission Balladur, un sondage révélait que 81 % des Français y étaient favorables. Les modifications proposées par l'Assemblée nationale sont justifiées.
Le Président avait également dit sa volonté de renforcer le pouvoir législatif. Certaines propositions sont légitimes : maîtrise de l'ordre du jour, accroissement de pouvoir de contrôle et d'évaluation, meilleure information sur la politique de défense. Bref, il s'agit d'une véritable revalorisation du Parlement.
Enfin, de nouveaux droits sont donnés aux citoyens. Dans le pays des droits de l'homme, il serait mal venu de critiquer cette évolution, même si l'Assemblée nationale a traité ce problème de façon générale. Concernant le référendum sur les nouveaux entrants dans l'Union, il nous faudra revenir sur les 5 %, qui sont particulièrement mal venus, comme l'a démontré M. de Rohan.
Au-delà de ces trois grandes orientations, je m'interroge sur l'utilité des précisions relatives à l'organisation des travaux du Parlement. Ne relèveraient-elles pas en grande partie du Règlement de nos assemblées ? J'ai le sentiment que nous devons passer par une contrainte constitutionnelle pour compenser un certain manque de courage politique.
M. Alain Vasselle. - Eh oui !
M. Éric Doligé. - A ce jour, nous ne nous sommes octroyés que des niches.
M. Alain Vasselle. - Tout à fait !
M. Éric Doligé. - Pour en sortir, nous irons à Versailles.
Qu'est-ce qui nous empêchait de parvenir à un accord pour donner plus d'espace à la maîtrise de l'ordre du jour ? Il semble en définitive plus aisé de modifier la Constitution que le Règlement des assemblées !
M. Alain Vasselle. - C'est vrai !
M. Éric Doligé. - L'Assemblée nationale a fixé le nombre des députés à 577. Pourquoi le Sénat n'en ferait-il pas de même en estimant, par exemple, que le nombre de sénateurs doit être de 348, soit celui prévu pour les élections de septembre ? Le référendum sur les adhésions à l'Union ne doit pas être lié à un pourcentage de population. L'ajout concernant le Sénat et relatif à « la population » ne comporte aucun intérêt, à moins qu'il ne cache une volonté de changer la représentation de notre Assemblée. Pouriez-vous nous éclairer, madame la ministre ? Il y a quatre ans, le Sénat s'est réformé et il n'a eu nul besoin de pressions pour y parvenir.
Dans le futur article 34, une notion nouvelle apparaît avec l'expression : « La loi favorise ». Or les sept premiers alinéas de cet article « fixent » et les huit suivants « déterminent ». Nous sommes dans l'action et non dans l'incantation. Or, l'Assemblée a jugé bon de prévoir que « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales ». Si cette notion est majeure, pourquoi ne pas l'avoir inscrite dans le préambule ? Pour ma part, je suis très réservé : l'imprécision de cet ajout est telle que toutes les interprétations seront possibles. De même, fallait-il inscrire dans l'article premier que « les langues régionales appartiennent à son patrimoine » ? J'y suis d'autant plus opposé que cette phrase précède celle qui rappelle que « la langue de la République est le français ». Nous reprochons, à juste titre, de ne pas disposer d'évaluations préalables aux lois qui nous sont présentées. Il en est de même pour cette révision. Sur les deux sujets que je viens d'évoquer, nous risquons d'avoir une profusion de saisines du Conseil constitutionnel qui interprétera la Constitution.
Je suis également surpris que l'on ne retrouve pas dans la Constitution un statut des élus locaux, alors qu'ils concourent au fonctionnement de notre pays. L'amendement de M. Puech est fort intéressant.
Je suis certain que vous saurez répondre à nos interrogations, ce qui nous permettra un vote éclairé et positif. (Applaudissements à droite)
Mme Gisèle Gautier. - Je me réjouis que ce projet de loi constitutionnelle nous offre l'occasion de mieux garantir l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de responsabilité, conformément au souhait exprimé à plusieurs reprises par le Président de la République. L'Assemblée nationale a introduit une disposition prévoyant que : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales », à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la Délégation aux droits des femmes à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette modification de la Constitution était indispensable pour permettre au législateur d'adopter des dispositions en faveur d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les diverses fonctions de responsabilité. A l'heure actuelle, les femmes ne sont en effet que très faiblement représentées dans les instances de décision des entreprises, du secteur public, des organisations syndicales et des associations. Le Parlement avait adopté, dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à l'égalité salariale en 2005, des mesures imposant le respect de proportions minimales de représentants de chaque sexe au sein de diverses instances, comme les conseils d'administration et de surveillance des sociétés privées et des entreprises du secteur public, les comités d'entreprise, les organismes paritaires de la fonction publique. Mais le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, qui n'avaient pourtant pas été contestées par les parlementaires signataires du recours, en se fondant sur le respect du principe d'égalité de tous devant la loi. Conformément à sa jurisprudence antérieure, il a considéré que la mesure relative à la parité introduite dans la Constitution en 1999 ne s'appliquait qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques. La révision constitutionnelle de 1999 a permis l'adoption des lois de 2001 et 2007 relatives à la parité en politique, qui ont permis de réelles avancées dans les assemblées élues et dans leur exécutif, même si beaucoup reste encore à faire, notamment pour l'intercommunalité.
Le moment est donc venu de compléter la révision constitutionnelle de 1999 en élargissant la portée de la disposition favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats politiques et aux fonctions électives.
Je me félicite en conséquence de l'amendement de la commission des lois qui tend à inscrire parmi les grands principes de la République, à l'article premier de la Constitution et non plus dans son préambule, celui de l'accès égal des femmes et des hommes aux responsabilités tant collectives que professionnelles. Le Sénat s'honorerait à l'adopter ; nous franchirions ainsi une nouvelle étape sur le chemin de l'égalité. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Rachida Dati, Garde des sceaux. - Je remercie tous les orateurs qui, dans leur majorité, ont dit leur volonté d'être au rendez-vous d'une modernisation en profondeur du fonctionnement de notre démocratie. Je salue l'excellence du travail du président Hyest, qui prolonge celui de l'Assemblée nationale ; je vois dans la qualité du travail parlementaire le bien-fondé de notre projet.
La question constitutionnelle est posée depuis l'origine de la Ve République, la réforme la plus importante, l'élection du Président de la République au suffrage universel, n'ayant eu lieu que quatre ans après l'adoption de la Constitution de 1958. Comme beaucoup, M. de Rohan a salué la lucidité et la prescience du général de Gaulle qui a su concevoir une constitution forte et durable.
Chacun a sa sensibilité, MM. Fauchon et Baylet ont plaidé pour un régime présidentiel ; mais notre intention est claire : revaloriser le Parlement sans remettre en cause les fondements de nos institutions. Le Gouvernement est prêt à entendre tous les arguments et à évoluer ; mais il invite chacun au bon sens et à la responsabilité. Aller beaucoup plus loin serait ruiner l'équilibre du texte ; aller moins loin serait brider son ambition. La surenchère, madame Borvo Cohen-Seat, est synonyme d'immobilisme. C'est une posture facile et confortable. Je renvoie son propos à M. Bel : il faut en effet faire preuve d'audace.
Nous approchons d'un compromis sur plusieurs points, notamment sur les pouvoirs nouveaux conférés au Parlement. Nous devons « sortir du carcan du parlementarisme rationnalisé », a dit le président Mercier. Le partage de l'ordre du jour, l'examen du texte de la commission en séance publique, cher à M. Gélard, l'accroissement des délais d'examen des textes, autant de mesures qui modifieront en profondeur nos méthodes de travail, le président About ne s'y est pas trompé. Le renforcement de la mission d'évaluation et de contrôle, souligné par le président de Raincourt, participe également à la modernisation nécessaire du rôle du Parlement.
Ces réformes imposeront au Gouvernement de vous associer encore plus en amont à ses projets. Notre volonté réformatrice en sortira confortée. Un parlement aux pouvoirs renforcés est le gage d'un État qui rend des comptes, d'un État plus efficace et mieux géré, d'une démocratie irréprochable.
C'est vrai, aussi, de l'encadrement du pouvoir de nomination du Président de la République ; ses modalités méritent sans doute d'être précisées, comme l'a relevé le président Hyest.
L'encadrement des opérations extérieures est un autre élément majeur de la revalorisation du Parlement. L'examen attentif auquel s'est livrée la commission des affaires étrangères permettra d'apporter des précisions utiles. Le président de Rohan a bien souligné les enjeux : concilier l'information indispensable du Parlement avec la sécurité de nos forces armées.
Un consensus se dessine également autour de dispositions qui renforcent les pouvoirs des citoyens, comme l'a rappelé M. Alfonsi. Je remercie particulièrement le président Hyest de sa contribution sur ce volet du projet de loi. Je pense au périmètre des pouvoirs du Défenseur des droits, qui est l'une des innovations majeures du texte. Je pense également à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ; le Gouvernement sera ouvert aux préoccupations que vous avez exprimées sur la composition des formations siégeant en formation disciplinaire. Il conviendra aussi de veiller, comme nous y invite le président Haenel, à la légitimité de cet organisme aux yeux de nos concitoyens.
Enfin, Mme la présidente Gisèle Gautier a eu raison de relever le progrès que constitue la reconnaissance de l'égalité entre les hommes et les femmes en matière professionnelle.
Certains points suscitent encore interrogations ou inquiétudes. Je comprends qu'on puisse s'interroger, comme l'a fait avec beaucoup de conviction le président de Rohan, sur l'encadrement de l'article 49-3. Mais nous avons recherché un équilibre. Cet outil, s'il doit être préservé, ne peut devenir sans danger un instrument banalisé de gestion de l'agenda parlementaire : un gouvernement qui ne pourrait mettre en oeuvre son programme législatif qu'au prix d'une contrainte permanente serait en réalité profondément affaibli. Un outil de dissuasion doit s'accommoder d'un usage parcimonieux.
Je ne partage pas l'analyse de MM. Frimat, Badinter et Mauroy : cette réforme ne renforce pas les pouvoirs du Président de la République. Ils contestent la faculté ouverte à celui-ci de s'exprimer devant le Parlement. Comment justifier la pratique désuète qu'évoquait le président de Raincourt ? Le choix du Congrès permettra d'abandonner une formule inadaptée à notre temps, tout en marquant le caractère exceptionnel de cette intervention.
Je veux également apaiser la crainte qu'a pu susciter notre volonté de conférer des droits supplémentaires à l'opposition. Il s'agit d'un élément déterminant du rééquilibrage de nos institutions, comme l'ont relevé MM. Badinter et Larcher. Il ne s'agit pas de conforter un bipartisme imaginaire mais de mieux partager des pouvoirs aujourd'hui concentrés dans les mains du parti majoritaire. Le projet tend à lever les obstacles constitutionnels qui s'opposent à ce que des droits particuliers soient conférés à chacun des groupes parlementaires. Nous sommes également sensibles au souhait du président Mercier de voir le mot « pluralisme » figurer dans le texte constitutionnel ; nous nous efforcerons d'y répondre tout en ménageant nos équilibres institutionnels.
S'agissant de l'élargissement de l'Union européenne, je comprends qu'on veuille éviter la stigmatisation d'un pays, quel qu'il soit. Le Gouvernement sera ouvert à vos propositions. Je vous demande néanmoins de comprendre la volonté de certains députés de veiller à ce que les élargissements futurs ne puissent intervenir contre la volonté populaire. Le référendum d'initiative populaire peut être une réponse. Je suis persuadée qu'il sera possible de trouver une solution acceptable pour les deux assemblées.
Nombreux sont ceux, tels MM. Raffarin et Larcher, qui ont relevé que cette réforme représentait un défi pour le Sénat, dont la spécificité institutionnelle a été justement soulignée. Personne ici n'entend la remettre en cause. S'agissant de son collège électoral, je souhaite rappeler quelques évidences. Le Sénat doit conserver un collège spécifique, différent de celui de l'Assemblée Nationale -sinon le bicamérisme n'aurait plus de sens. (On approuve à droite) Le mode électoral du Sénat n'est en outre pas figé -votre assemblée s'est récemment réformée de manière profonde- et continuera à évoluer, mais dans le respect de sa spécificité, celle de représenter les territoires, ce qu'a rappelé le président Puech. Voilà la ligne tracée : je fais confiance aux parlementaires pour trouver une solution qui la préserve.
Ce qui est en jeu, c'est l'essentiel : la loi fondamentale ; ce sont les modalités de fonctionnement de nos institutions et la manière dont les citoyens sont associés à l'exercice du pouvoir. Ce texte est un texte d'équilibre. A ceux qui craignent d'abandonner un régime qui a apporté la preuve de son efficacité, je dis que nous ne changeons pas de République ; nous modernisons nos institutions pour tirer, notamment, les conséquences du quinquennat et pour donner au Parlement le rôle qu'il a dans toutes les grandes démocraties. A ceux qui considèrent que le projet ne va pas assez loin, je dis qu'une révision constitutionnelle passe nécessairement par un consensus. Vouloir aller à un point où l'on sait que la majorité ne suivra pas, c'est la certitude de l'immobilisme, la certitude de ne bénéficier d'aucun des progrès qu'on appelle pourtant de ses voeux depuis longtemps.
Vous incarnez dans une certaine mesure la permanence et la stabilité de nos institutions ; ne laissez pas passer cette chance de revaloriser le Parlement, cette chance de donner à notre démocratie un souffle de renouveau. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Quarante-trois amendements sont en discussion commune à l'article 11. Tous concernent l'article 34 de la Constitution, mais relèvent de sujets très divers. Je souhaite, pour la clarté de nos débats, que soit disjoint l'examen de l'amendement 187 rectifié de Mme Borvo Cohen-Seat qui réécrit l'article 11 ; nous pourrons alors aborder séparément les thèmes que les autres propositions abordent.
M. le président. - Nous avons régulièrement recours à cette manière d'organiser nos débats. Je pense que personne n'y verra d'objection.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°2, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
Mme Éliane Assassi. - Cette réforme voulue par le Président de la République nous est présentée comme un rééquilibrage entre un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement aux pouvoirs renforcés et des citoyens dotés de droits nouveaux. En réalité, il concentre encore plus les pouvoirs entre les mains du Président de la République ; les droits des citoyens sont réduits au strict minimum ; et le Parlement n'est plus que l'ombre de lui-même. Cette réforme n'est pas bonne, qui ne répond pas aux attentes du peuple français.
Depuis plusieurs années, le groupe CRC propose une nouvelle vision de nos institutions ; il plaide pour une république démocratique où le Parlement retrouverait sa légitimité, une république sociale où les droits des salariés seraient renforcés, une république participative où les citoyens auraient un pouvoir d'intervention directe. Élection après élection, le peuple s'éloigne de ses représentants et de ses dirigeants.
Cette réforme répond-elle à ce constat partagé à droite comme à gauche ? Non. Ce projet n'est au service que d'un seul homme, le Président de la République, et l'alibi pour une seule chose, le discours devant le Parlement. La satisfaction des désirs du Président pose des problèmes au regard du respect des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.
Au-delà de l'apparente incohérence à défendre une exception d'irrecevabilité sur un projet de loi constitutionnelle...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Bien vu !
Mme Éliane Assassi. - ...plusieurs raisons justifient de rejeter ce texte. Tout d'abord, il ne respecte pas le principe de séparation des pouvoirs, qui occupe une place particulière dans la hiérarchie des normes au titre de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » Plusieurs auteurs considèrent ce principe comme une exigence de nature supra-constitutionnelle. Déjà, sous la IlIe République, Maurice Hauriou concluait dans son Précis de droit constitutionnel au caractère impératif pour le constituant de l'article 2 de la loi du 14 août 1884 relatif à la forme républicaine du Gouvernement, dont la légitimité constitutionnelle serait placée au-dessus de la Constitution écrite. D'autres voient dans la séparation des pouvoirs une des composantes de la forme républicaine du Gouvernement, aux côtés de principes comme le suffrage universel ou le régime représentatif. La forme républicaine du Gouvernement, énoncée au cinquième alinéa de l'article 89 de la Constitution, ne pouvant faire l'objet d'une révision, cela limite le pouvoir constituant. Certains se dégagent de tout rattachement à la forme républicaine du Gouvernement pour donner la prééminence à la Déclaration de 1789. En 1989, lors du bicentenaire de ce texte, notre collègue Robert Badinter s'était demandé s'il n'y avait pas « des libertés intangibles que le constituant même ne pourrait supprimer ».
Cette réforme accroît les déséquilibres existants entre le pouvoir exécutif, en particulier le Président de la République, et le Parlement. Les parlementaires communistes n'ont eu de cesse de dénoncer le caractère présidentialiste de la Ve République, qui s'est aggravé en 1962 avec l'élection du Président au suffrage universel direct, puis avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral. Notre démocratie s'apparente à une sorte de monarchie élective. Aujourd'hui, le Parlement, réduit au rôle de chambre d'enregistrement, est sommé d'entériner des projets de loi émanant parfois directement du Président de la République, à l'instar de la loi sur les peines planchers. Nous sommes loin d'un Parlement représentant le peuple et soucieux d'élaborer la loi dans l'intérêt général...
Au-delà, toute la vie politique est menacée au nom du bipartisme. Nos institutions ne sont plus en phase avec les attentes de nos concitoyens, qui demandent à participer à l'élaboration des décisions qui les concernent, grâce notamment au développement de la démocratie participative, et à contrôler l'action des parlementaires par la saisie directe d'un Conseil constitutionnel modernisé. A l'inverse, ce texte nous propose de limiter l'action du Parlement en assurant la domination du Président de la République, qui non seulement conserve ses pouvoirs d'arbitrage, de dissolution et de supervision du travail parlementaire, mais de surcroît s'en voit octroyer de nouveaux, et notamment la possibilité de s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès. Même si les députés ont supprimé la possibilité pour le Président de venir devant « l'une ou l'autre des deux assemblées », son pouvoir en sort considérablement renforcé puisqu'il pourra s'exprimer devant le Parlement autant de fois qu'il le souhaitera, les parlementaires se retrouvant ainsi soumis au bon vouloir du Prince.
Il est étrange d'affirmer vouloir renforcer les droits du Parlement en permettant au Président de la République de venir s'exprimer devant celui-ci, puis en prévoyant un débat facultatif -« la déclaration du Président peut donner lieu à un débat »- non suivi d'un vote, et donc sans contrepartie à l'immixtion présidentielle dans les travaux législatifs. Le Parlement n'aura aucun pouvoir supplémentaire face au Président de la République, dont le droit de dissolution de l'Assemblée nationale conforte la prééminence institutionnelle tandis que son irresponsabilité politique est symboliquement réaffirmée. La confusion des pouvoirs exécutif et législatif s'accroît. La possibilité de s'exprimer devant le Parlement a une grande portée symbolique : le président participe ainsi, physiquement, à la fonction législative. Jusqu'à présent, hors période de cohabitation, il déterminait l'organisation des travaux du Parlement mais le principe de la séparation des pouvoirs lui interdisait l'accès à l'hémicycle.
Si le droit de message du Président des États-Unis a inspiré le Président de la République, les membres du comité Balladur et les rédacteurs de ce projet de loi, il est finalement bien éloigné de la nouvelle prérogative présidentielle. Lors de son audition par la commission des lois, Elisabeth Zoller, professeur à Paris-II, a expliqué comment le système américain parvenait à maintenir un équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. Le message du Président se décompose en deux parties, l'une sur l'état de l'Union, l'autre sur les recommandations. Comme en France, le pouvoir exécutif rédige les projets de loi, mais Elisabeth Zoller qualifie le président américain de « législateur en chef » car « s'il participe de façon prépondérante à la préparation des textes législatifs, le Congrès en est totalement maître lors de leur examen ». Cela n'est pas le cas en France.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - C'est bien d'admirer les institutions américaines ! (Sourires)
Mme Éliane Assassi. - Elisabeth Zoller considère que la modification du droit de message entraînerait un profond changement institutionnel, un changement de régime faisant du Président français un législateur en chef et un chef de parti, sa fonction d'arbitrage disparaissant de ce fait. Le système américain a pu échapper à ce dilemme grâce, notamment, à l'absence de fonction d'arbitrage du Président et de droit de dissolution du Congrès. La conclusion d'Elisabeth Zoller est sans appel : la modification de l'institution présidentielle ainsi proposée « basculerait le régime de la Ve République dans un système consulaire ». Ce système, caractérisé par une très forte concentration des pouvoirs au profit d'un seul homme politiquement irresponsable, peut conduire à toutes les dérives autocratiques. En France, il a conduit à l'avènement du second Empire.
Elisabeth Zoller a donc appelé à la mise en place, si le droit de message de l'article 7 était adopté, « des poids et contrepoids du système américain ». Ce n'est pas ce qu'a prévu le projet de loi. Le Président peut déjà s'exprimer comme il l'entend dans les médias sans que son temps de parole soit décompté, il convoque les parlementaires de la majorité à l'Élysée et les sermonne lorsqu'ils n'ont pas obtempéré à ses ordres. Qu'a-t-il besoin de s'exprimer devant le Parlement, si ce n'est pour conforter sa prééminence institutionnelle ? Il est pour nous impensable de sacrifier le principe de séparation des pouvoirs sur l'autel des désirs du Président de la République.
Deuxième motif d'irrecevabilité de ce texte : la remise en cause du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère opérée par les députés à l'article 11. S'il est prévu d'inscrire ce principe dans la Constitution, il pourrait connaître des exceptions en cas de « motif déterminant d'intérêt général » -toutes les interprétations sont ouvertes. Cela me semble directement inspiré des problèmes récents qu'a connus le Gouvernement avec la loi relative la rétention de sûreté : il n'est pas simple de vouloir contourner un principe constitutionnel énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789... Lors de nos débats, madame la ministre, nous avons eu droit à des démonstrations hasardeuses visant à faire adopter la rétroactivité de cette loi. II aura fallu une mise au point du président de notre commission des lois pour vous rappeler que la rétroactivité s'applique non pas à la condamnation, mais aux faits incriminés. Et le Président de la République n'a pas hésité à demander au Premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, de trouver le moyen de contourner la décision du Conseil constitutionnel qui avait considéré que « la rétention de sûreté [...] ne saurait être appliquée à des personnes condamnées [...] pour des faits commis antérieurement » à la publication de la loi. Or, dans son rapport intitulé Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux, Vincent Lamanda ne vous offre toujours pas la possibilité d'appliquer la loi de façon rétroactive. Un amendement pouvait donc être opportunément déposé lors de cette révision constitutionnelle afin de permettre qu'un motif déterminant d'intérêt général, telle la lutte contre la récidive, justifie la rétroactivité d'une loi. Si nous adoptions définitivement une telle disposition, notre Constitution contiendrait une disposition qui permettrait l'adoption de lois contraires à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Dernier motif d'irrecevabilité, l'article 35 du projet de loi devait prévoir la modification du titre XV de la Constitution à compter de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007. Le « non » irlandais, dont je me félicite mais que certains méprisent comme ils ont méprisé le « non » du peuple français en 2005, devrait profondément remettre en cause le processus de ratification ainsi que l'adoption de l'article 35, désormais dépourvu de fondement. Le projet de révision de la Constitution suspend donc le contenu du texte à la ratification du traité de Lisbonne par les autres États européens.
Cette conditionnalité est incompatible avec l'article 89 de la Constitution, selon lequel le pouvoir constituant dérivé ne saurait subordonner le contenu de la Constitution à la décision d'États étrangers. La fonction constitutionnelle dérivée serait ainsi déléguée, or une telle délégation ne pourrait résulter, au mieux, que de la volonté du pouvoir constituant originaire. Le pouvoir constituant dérivé exprimé par la voie des lois constitutionnelles peut autoriser la ratification d'un traité contraire à la Constitution, mais il ne saurait subordonner une révision constitutionnelle à l'entrée en vigueur d'un traité, donc à une décision d'autorités étrangères. Cette altération de la technique de révision constitutionnelle aboutirait à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant et constituerait un précédent extrêmement dangereux si le « non » irlandais ne remettait pas en cause l'article 35.
Cette réforme constitutionnelle ne vise nullement à renforcer la démocratie, à rendre le pouvoir au peuple et à ses représentants, mais à assouvir les désirs de prééminence institutionnelle d'un seul homme, au détriment des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie. Elle ne porte pas d'ambition moderne et progressiste, mais fait survivre les archaïsmes d'une oligarchie conservatrice.
Tel est l'objet de notre motion. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Efforts méritoires, mais vains, pour défendre une exception d'irrecevabilité à l'occasion d'une révision de la Constitution. S'agissant de la non-rétroactivité, l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme est un principe fondamental et je précise que nous voulions lever toute ambiguïté. Quoi qu'il en soit, s'il existe un pouvoir supérieur à celui du constituant, quel est-il ? Laissons ce débat aux constitutionnalistes... Il n'y a aucun danger : nous ne mettons pas en cause la forme républicaine du gouvernement. Aujourd'hui, il s'agit de réformer la Constitution pour donner plus de pouvoir au Parlement.
L'intervention du Président de la République devant les assemblées relevait du cérémonial chinois au début de la IIIe République : on décidait si le Président pouvait venir ; puis il venait. Aujourd'hui, c'est chinoiser que de s'opposer à l'idée que le Président s'adresse aux assemblées réunies en Congrès. Et quel conservatisme profond ! Pourquoi les monarchistes refusaient-ils la venue de Thiers devant la Chambre des députés ? Parce qu'ils redoutaient son influence sur l'assemblée et sa capacité à changer une majorité. Si vous craignez la même chose, vous avez raison, car le Président de la République a une grande force de conviction.
M. Robert Bret. - Qui se reflète mal, curieusement, dans les sondages...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Mme Assassi a dit que son groupe combat nos institutions depuis les débuts de la Ve République. Puis-je lui rappeler que la Constitution a été votée par 13 millions d'électeurs contre 8 millions. Elle appartient à notre patrimoine institutionnel, que cela vous plaise ou non. (Exclamations sur les bancs CRC) La commission ne peut être favorable à l'exception d'irrecevabilité.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Très convaincant.
M. le président. - Madame la ministre, vous vous ralliez aux propos du rapporteur ? (Mme la Garde des sceaux esquisse un geste d'assentiment)
En application de l'article 59, la motion n°2 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin.
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 233 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 117 |
Pour l'adoption | 24 |
Contre | 209 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1 rectifiée, présentée par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
M. Jean-Pierre Sueur. - Mes arguments sont tellement forts qu'ils parleront d'eux-mêmes ; je n'aurai pas à m'éterniser.
Que de leurres dans ce texte ! Que de faux-semblants ! On nous parle de « réformes profondes », mais quand on y regarde de plus près, il en va tout autrement. Les nominations ? Une majorité des trois-cinquièmes aurait eu un sens... L'urgence ? Elle était tellement utilisée qu'elle devenait la procédure de droit commun. On nous explique qu'il va être mis fin à cet abus... uniquement si les Conférences des Présidents des deux assemblées refusent cette procédure. Autrement dit, on n'y arrivera jamais. Le droit d'expression du Président de la République ? Comme vous, j'entends tous les jours à la radio et je vois tous les jours à la télévision le Président de la République. Ce n'est pas le manque mais plutôt le trop-plein. Dans le car, en route pour Versailles, nous écouterons les commentaires sur le discours à venir ; au retour, nous entendrons les exégèses... Tout cela est formel, désuet. Il n'y a pas là, en tout cas, de révolution. Les droits de l'opposition ? Un jour par mois, ce n'est pas le Pérou ! L'article 49-3 ? Il est maintenu, alors qu'on aurait pu le supprimer. Le droit d'amendement ? Ce droit imprescriptible, condition d'existence de la fonction de parlementaire, est soumis à des considérations réglementaires. Bref, des changements en trompe-l'oeil.
J'en viens à la question du Sénat. Pourquoi refuser l'alternance dans une assemblée démocratique ? La casuistique a dominé -et je ne fais pas allusion aux propos de M. Lecerf défendant une question préalable contre la proposition de loi de M. Bel tendant à réformer le mode de scrutin à l'élection sénatoriale. Il ne faut pas en parler, nous avait-on dit, ce n'est pas le moment, il y aura une réforme constitutionnelle.
Celle-ci est arrivée ; la commission des lois propose un amendement... qui bloque tout. Mais le président de l'Assemblée nationale s'exprime, cela fait désordre. L'amendement disparaît et l'on en revient au statu quo ante : tout est verrouillé. La Haute assemblée telle qu'elle est ne peut traduire une respiration démocratique.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Faux !
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans toutes les assemblées du monde, on considère que l'alternance est un bienfait.
Puisque vous avez évoqué Pierre Mendès-France, monsieur Raffarin, je citerai un passage de La république moderne : « Les réserves formulées contre le Sénat portent le plus souvent sur son mode de recrutement plutôt que sur son existence. » Il ajoute plus loin : « Chacun connaît l'injustice choquante qui préside à la répartition des sièges sénatoriaux. »
M. Jean-Pierre Raffarin. - Ne faites pas de Mendès-France un comptable !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Vous oubliez que le nombre de sénateurs élus par département a évolué depuis !
M. Bernard Frimat. - Laissez-le parler !
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce projet pose encore un autre problème : celui du vote des étrangers aux élections locales. Nous sommes persuadés que c'est une des conditions de l'intégration des étrangers qui vivent et travaillent depuis longtemps dans notre pays. Pour faire reculer la ségrégation et la haine, il faut permettre aux étrangers de participer pleinement à la vie républicaine au niveau local. Je citerai ici les propos de Nicolas Sarkozy...
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. - ...dans un livre publié en 2001, intitulé Libre : tout un programme ! « A partir du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois et où ils vivent sur le territoire depuis un temps minimum, par exemple cinq ans, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie quotidien. » En 2005, devenu ministre de l'intérieur, il exprimait les mêmes idées.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il a dit tellement de choses !
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela fait des années qu'on nous dit que le vote des étrangers aux élections locales serait une bonne chose mais que l'opinion n'y est pas prête. Aujourd'hui, l'occasion s'offrait de mettre enfin les actes en accord avec les paroles. Une telle mesure aurait pesé lourd sur notre décision finale. Pierre Mendès-France a beaucoup écrit sur les méfaits de la IVe République...
M. Jean-Jacques Hyest. - Ah oui, il en a été écoeuré !
M. Jean-Pierre Sueur. - ...mais aussi sur les défauts de la Ve. La monocratie dont parlait M. Badinter existe toujours, et nous devons la réformer. Je finirai en citant Montesquieu : « Tout homme qui a le pouvoir est porté à en abuser. Il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - J'aime que l'on cite Montesquieu, et l'on pourrait aussi citer Montaigne aujourd'hui. Mais rien n'est plus dangereux qu'une citation : souvent, l'auteur tempère au paragraphe suivant le jugement exprimé au précédent. (Mme Voynet et M. Sueur ironisent) Ce que vous nous présentez n'est pas une question préalable mais un ensemble de préalables à l'examen du projet. La question préalable consiste à demander si les conditions requises pour poursuivre l'examen d'un texte sont remplies : cela n'a rien à voir avec les problèmes du mode de scrutin, du vote des étrangers ou de la présence du Président de la République au Parlement ! S'agissant de ce dernier point, je rappelle que la constitution de 1848 obligeait le Président à venir au moins une fois par an devant l'Assemblée pour l'informer de la situation de la nation : vous voyez que les opinions varient, et d'ailleurs la question est secondaire. Vous dites aussi que le mode d'élection des sénateurs interdit l'alternance.
M. Jean-Pierre Bel. - Regardez les résultats des dernières élections locales !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Il est normal que le Sénat n'évolue pas au même rythme ! Patientez, messieurs ! Le pire n'est pas sûr pour nous !
Vous avez dit que ce texte comporte des leurres. En ce qui concerne les nominations, l'Assemblée a estimé qu'il fallait une majorité des trois-cinquièmes pour empêcher une nomination ; mais même en cas d'avis simple...
M. Jean-Pierre Bel. - Il n'y a pas d'avis simple.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Mais si ! En cas d'avis adopté par une majorité simple, je ne vois pas comment le Président pourra persister dans son choix.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il n'y a qu'à le dire expressément !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - En ce qui concerne le vote des étrangers, je n'y suis personnellement pas favorable. La France est un des pays où l'acquisition de la nationalité est la plus facile : cinq ans de résidence régulière suffisent.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Nous avons d'ailleurs simplifié la procédure, en la regroupant sous l'autorité d'un seul ministère. Notre modèle d'intégration, à partir du moment où des gens venus d'ailleurs s'installent durablement dans notre pays...
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Et les Européens ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - C'est autre chose : il y a une citoyenneté européenne, et pas de citoyenneté pour les étrangers.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il devrait !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Tous vos arguments sont des prétextes. Continuons l'examen du projet qui nous est proposé et qui constitue une réforme importante de nos institutions. J'invite à rejeter la question préalable.
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Puisque nous avons entendu ce soir beaucoup de citations, je citerai le général de Gaulle, qui exprimait son mépris pour le Sénat en l'appelant « ce truc, ce machin ».
M. Robert del Picchia. - C'était l'ONU, pas le Sénat !
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Il aurait pu le dire ! M. Sueur a eu raison d'insister sur le défaut de démocratisation des assemblées, notamment du Sénat où l'alternance est impossible. Au sujet du droit de vote des étrangers aux élections locales, c'est une proposition que notre groupe a souvent faite. Je ne comprends pas votre position, monsieur Hyest : ainsi il y aurait en France des citoyens de seconde zone, qui paient leurs impôts, participent à la vie économique et sociale, mais pas à la vie municipale ? Nous continuerons malgré tout à oeuvrer en faveur de cette réforme.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur - Vous ne voulez pas vraiment l'intégration.
M. Bernard Frimat. - Nous aurons l'occasion de revenir, lors de la discussion des articles, tant sur le droit de message du Président de la République, dont le président Hyest estime qu'il est tellement secondaire qu'il est essentiel de le garder, que sur le droit de vote des étrangers, sur lequel le même président Hyest a atteint le summum de son art intellectuel puisqu'il se déclare favorable au vote des étranger aux élections locales, à condition qu'ils soient Français. (Rires et applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Absolument !
En application de l'article 59, la motion n°1 rectifiée est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l'adoption | 119 |
Contre | 201 |
La motion n°1 rectifiée n'est pas adoptée.
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°505, présentée par M. Bret et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des Lois Constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale, le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).
M. Robert Bret. - Je proteste à nouveau contre le refus du président Poncelet de me donner la parole en début de séance pour un rappel au règlement sur l'organisation de nos travaux. Mes collègues et moi estimions pourtant nécessaire d'éclairer nos débats, avant même l'intervention du Gouvernement et des rapporteurs, sur les conséquences constitutionnelles de la caducité du traité de Lisbonne. La réponse s'est une fois encore limitée à un « Circulez, ya rien à voir ».
Le dépôt de cette motion n'est pas une manoeuvre dilatoire : nous ne cherchons nullement à éviter un débat que nous appelons de tous nos voeux. Mais il convient de tirer toutes les conséquences du référendum irlandais, dont je rappelle qu'avec un taux de participation de 53,1 %, il a conduit à un rejet du traité par 53,4 % des voix. Or, chaque État membre disposant, en cette matière, d'un droit de veto, le refus cinglant exprimé par les Irlandais, le 12 juin, suffit à faire obstacle à l'entrée en vigueur du traité. L'article 88-1 de notre Constitution, qui prévoit que la République « peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne » faisant référence à un texte qui n'entrera pas en vigueur, devient ainsi inopérant : il convient de l'abroger, en même temps que la loi constitutionnelle du 4 avril 2008, qui modifie le titre XV de la Constitution. Car comment, par exemple, maintenir un article 88-6, qui fait référence aux « actes législatifs européens », catégorie de norme créée par un traité caduc ? La commission des lois a-t-elle un avis sur cette question ? Si tel était le cas, il serait largement temps de le formuler.
La convention de Vienne, ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure, stipule, à l'article 24 de sa section III, qu'un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié a été établi par tous les États ayant participé à la négociation. Tel n'est pas le cas du traité de Lisbonne. Au nom de notre groupe, je demande à la commission des lois d'examiner les conséquences du « non » irlandais sur notre Constitution. Vous ne pouvez vous dérober comme vous l'avez fait tout à l'heure.
Nous avions déjà dit, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, que ses dispositions validaient par avance le traité de Lisbonne, méconnaissant ainsi le pouvoir d'autorisation de ratifier de la souveraineté nationale. Le même schéma avait déjà été retenu en 2005, au motif que la généralité de la formule était destinée à lever l'ensemble des obstacles juridiques à la ratification du traité constitutionnel. Pourtant, le peuple français, le 5 mai 2005, a clairement et massivement exprimé son refus et l'article premier du projet de loi constitutionnelle, resté inscrit dans la Constitution, est devenu lettre morte, jusqu'à son remplacement par une disposition de la loi constitutionnelle de 2008, qui reproduit la même erreur : une disposition inopérante est inscrite dans notre Constitution, alors qu'elle aurait pu être par deux fois évitée en notifiant expressément que ces deux textes resteraient inapplicables en cas de rejet du traité modificatif. Mais il est vrai qu'il s'agissait, en 2005, de passer outre la souveraineté nationale, par une validation ex ante, tandis qu'en 2008, M. Sarkozy avait décidé de passer outre la décision prise par le peuple français en mai 2005, les chefs d'État et de gouvernement des pays membres s'étant entendus pour contourner les peuples en donnant aux ratifications parlementaires le pas sur les consultations populaires. Las, la Constitution du gouvernement irlandais lui fait obligation de recourir au référendum ! On en sait le résultat : il fait obstacle à l'entrée en vigueur du traité. Aux mêmes causes les mêmes effets : comme en 2005, le second alinéa de l'article 88-1 et la loi constitutionnelle de 2008 doivent être abrogés, et c'est pourquoi nous vous invitons à voter cette motion de renvoi en commission.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Un texte est renvoyé en commission quand on estime que le travail n'a pas été bien fait. Or, nous avons siégé toute la journée de mercredi. Bien que certains aient alors décidé de quitter la séance...
M. Bernard Frimat. - À juste titre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - ... nous avons travaillé. De surcroît, nous examinerons demain vos amendements sur le sujet. A quoi bon cette motion ?
Sur le fond, je ne me réjouis pas, quant à moi, du « non » irlandais.
M. Robert Bret. - Ce n'est pas la question !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Le processus de ratification se poursuit. L'Europe aura ensuite à décider de la façon dont il convient de faire face. Il serait imprudent, à ce stade, de tenir des propos définitifs. Quant à citer la Convention de Vienne, ce n'est pas pertinent. Ce qui compte dans ce traité, c'est la souveraineté des États. Il nous faut donc réviser la Constitution pour la mettre en conformité avec le traité, et aviser ensuite. Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à un renvoi en commission totalement inutile.
M. le Président - Madame la Garde des sceaux, même avis ? (Mme la Garde des sceaux opine du chef)
La motion n°505 n'est pas adoptée.
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 18 juin 2008, à 15 heures.
La séance est levée à 1 h 35.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mercredi 18 juin 2008
Séance publique
À QUINZE HEURES ET LE SOIR
1. Examen de la proposition du Président du Sénat tendant à la création d'une commission spéciale sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de modernisation de l'économie et, éventuellement, nomination des membres de cette commission spéciale.
2. Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 365, 2007-2008), modifié par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.
Rapport (n° 387, 2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis (n° 388, 2007-2008) de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
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DÉPÔTS
La Présidence a reçu de M. le Président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation.