Réforme portuaire (Urgence - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant réforme portuaire. Nous en étions à la discussion des articles.
Discussion des articles (Suite)
Article 3
I. - Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Après l'article 1518 A, il est inséré un article 1518 A bis ainsi rédigé :
« Art. 1518 A. bis. - Pour l'établissement des impôts locaux, les valeurs locatives des outillages, équipements et installations spécifiques de manutention portuaire cédés ou ayant fait l'objet d'une cession de droits réels dans les conditions prévues aux articles 5, 6 et 7 de la loi n°......... du ........... portant réforme portuaire à un opérateur exploitant un terminal font l'objet d'une réduction égale à 100 % pour les deux premières années au titre desquelles les biens cédés entrent dans la base d'imposition de cet opérateur ; cette réduction est ramenée à 75 %, 50 % et 25 % respectivement pour chacune des trois années suivantes.
« Les entreprises qui entendent bénéficier de ces dispositions déclarent, chaque année, au service des impôts, les éléments entrant dans le champ d'application de l'abattement. » ;
2° Après l'article 1464 I, il est inséré un article 1464 J ainsi rédigé :
« Art. 1464 J. - Dans les ports maritimes où le maintien du transit portuaire impose la modernisation et la rationalisation des opérations de manutention, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre peuvent, par une délibération de portée générale prise dans les conditions prévues au premier alinéa du I de l'article 1639 A bis, exonérer de la taxe professionnelle due au titre des années 2010 à 2015 la valeur locative des outillages, équipements et installations spécifiques de manutention portuaire exploités au 31 décembre 2009, ainsi que de ceux acquis ou créés en remplacement de ces équipements, et rattachés à un établissement d'une entreprise de manutention portuaire situé dans le ressort d'un port exonéré de taxe professionnelle en application du 2° de l'article 1449.
« La liste des ports concernés ainsi que les caractéristiques des outillages, équipements et installations spécifiques visés ci-dessus sont fixées par arrêté du ministre chargé du budget et du ministre chargé des ports maritimes.
« Les entreprises qui entendent bénéficier de ces dispositions déclarent, chaque année, au service des impôts, les éléments entrant dans le champ d'application de l'exonération. »
II. - Le a du 1° de l'article 1467 du code général des impôts est ainsi modifié :
Les mots : « articles 1459, 1518 A et 1518 B » sont remplacés par les mots : « articles 1459, 1518 A, 1518 A bis et 1518 B ».
III. - Les dispositions du présent article entrent en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 1er juin 2009.
M. Thierry Foucaud. - L'article 3 est emblématique de la logique libérale qui sous-tend ce texte. Dans le droit fil de la privatisation des ports autonomes, la question du traitement fiscal du nouveau mode de fonctionnement de nos ports se trouve posée. Faute d'avoir réalisé, depuis quinze ans, les investissements nécessaires à la compétitivité de nos plates-formes portuaires, l'État se contenterait de percevoir les frais d'émission des rôles de taxe foncière et de taxe professionnelle découlant de la privatisation des ports autonomes. Il met dans la corbeille une exonération temporaire de taxe professionnelle et la faculté, pour les collectivités territoriales, de prolonger cette exonération.
Soit le cas de l'inscription dans le rôle des impositions locales de la valeur des outillages rétrocédés. Dans la précipitation qui caractérise la discussion de ce projet de loi, aucune évaluation des biens concernés ne figure ni dans l'exposé, ni dans le rapport de la commission. Or, cette inscription au rôle n'est pas sans importance pour les collectivités locales dont le territoire est pour partie couvert par l'emprise d'un port autonome. Le port autonome de Nantes Saint-Nazaire est d'ailleurs situé sur le territoire de deux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Cette intégration de nouvelles bases pèsera sur l'une des données récentes de la fiscalité locale : l'effet du plafonnement à la valeur ajoutée de la taxe professionnelle. Les EPCI de Nantes et de Saint-Nazaire, de même que les communautés de Seine-Maritime et de Marseille, sont d'ores et déjà soumis au ticket modérateur de la taxe professionnelle.
La matière fiscale est donc théoriquement en hausse, mais aussi le volume d'imposition locale appelé à être soumis à allégement au titre du plafonnement de la taxe professionnelle. Monsieur le ministre, pourriez-vous fournir à la représentation nationale des éléments chiffrés sur la réalité des rôles qui vont s'ajouter à l'existant ainsi que sur le montant de la contribution que les assemblées locales délibérantes supporteront du fait de cette intégration ?
Quelle impréparation ! On s'en remet à une commission ad hoc pour déterminer la valeur des outillages qui constitueront la base imposable... Les élus locaux goûteront-ils un dispositif d'exonération temporaire ne faisant l'objet d'aucune compensation ?
M. le président. - Amendement n°32 rectifié, présenté par M. Le Cam et les membres du groupe CRC.
Supprimer cet article.
M. Thierry Foucaud. - A peine avons-nous constaté que les collectivités territoriales verraient s'accroître leur potentiel fiscal, que le Gouvernement propose une exonération à double détente pour les outillages acquis par les entreprises !
L'article n'est, au fond, qu'un avatar supplémentaire de la pensée libérale selon laquelle, en matière économique, seule vaut l'initiative privée, l'action publique étant inefficace. On fait donc en sorte que la charge fiscale liée à l'acquisition des outillages d'un port autonome soit la plus légère possible : mes collègues MM. Bret et Le Cam l'ont bien montré hier.
La situation de nos ports autonomes souffre non d'un excès d'action publique, mais d'une notoire insuffisance de l'intervention budgétaire directe dans la remise à niveau des équipements. Beau bilan de plusieurs années de réforme ! Rappelons celle de 1992 sur le statut des personnels, mais aussi les diverses initiatives prises en matière d'armement comme l'instauration du pavillon Kerguelen, la création du registre international, de l'encouragement fiscal à l'investissement ou de la privatisation de la CGA-CGM.
Malgré l'application de ces recettes libérales éculées, notre filière maritime est en difficulté. Et comme l'État est lui-même en difficulté, puisqu'il ne peut dépenser deux fois l'argent qui a servi à alléger les cotisations sociales ou la taxe professionnelle, il a renoncé à mener une véritable politique d'investissement sur nos plates-formes portuaires. En dépit de quelques efforts, la réalité est incontournable : nos équipements vieillissent et nos ports perdent de leur attractivité parce que les investissements publics ne sont pas suffisants.
Ce problème concerne aussi le maillage global des ports autonomes et de leur arrière-pays. Au moment où l'on nous parle du Grenelle de l'environnement, on oublie de créer les conditions de la multimodalité à partir de nos ports.
A la place, que nous propose-t-on ? Une privatisation assortie d'avantages fiscaux à l'utilité discutable. En effet, à quoi servira l'économie fiscale réalisée par les entreprises ? A rénover les équipements acquis, ou bien à trouver des moyens financiers pour supporter le coût social de la modification des statuts des entreprises de manutention ? Ce serait là une manière bien contestable de tirer parti d'un avantage fiscal ! L'exonération fiscale prévue par l'article 3 soumet en effet par principe des sommes plus importantes que prévu au barème de l'impôt sur les sociétés. Mais on trouvera bien quelques provisions spéciales, par exemple un plan social, pour alléger cette contribution nouvelle !
En revanche, rien ne semble établi pour les collectivités locales afin de compenser l'exonération considérée. Ne serait-ce que pour cette raison, nous ne pouvons que vous proposer d'adopter cet amendement de suppression.
M. le président. - Amendement n°31 rectifié, présenté par M. Le Cam et les membres du groupe CRC.
Supprimer le I de cet article.
M. Thierry Foucaud. - Le paragraphe I du projet de loi met en place un dispositif d'allégement temporaire de la taxe professionnelle, nouvelle forme, semble-t-il, d'intervention publique en matière de soutien au développement de nos infrastructures portuaires.
Une fois encore, une fois de trop, il, s'agit de réduire l'intervention publique directe sur les équipements collectifs et de transformer la dépense budgétaire directe en nouvelle dépense fiscale. Une telle démarche est au coeur de la logique budgétaire actuelle. Or, elle montre depuis longtemps ses limites.
On ne conduit pas une politique de l'emploi en consacrant 31 milliards aux allégements de cotisations sociales dues par les entreprises, alors que l'ensemble des programmes budgétaires de la mission travail et emploi reçoivent à peine plus de 12,3 milliards.
Pour investir, les nouveaux opérateurs privés devront acquitter des intérêts plus élevés que ceux mis à la charge de l'État, si bien que le financement privé des investissements n'assure pas la mise à niveau requise, sauf -en bonne logique libérale- à faire supporter par d'autres les coûts supplémentaires qui en découleront. Ainsi, la dépense fiscale apparaît pour ce qu'elle est : un moyen de financer les plans sociaux induits par le démantèlement des ports autonomes, dont rien ne justifie la privatisation, sinon la terrible volonté affichée par le Gouvernement de réduire la voilure de l'intervention publique.
Or, plus on favorise l'investissement matériel en réduisant la taxe professionnelle, plus on encourage la substitution du capital au travail. Le dispositif incite donc aux gains de productivité afin de réduire le coût de la main-d'oeuvre, au détriment du pouvoir d'achat des dockers et des autres salariés portuaires.
M. le président. - Amendement n°29 rectifié, présenté par M. Le Cam et les membres du groupe CRC.
Supprimer le 2° du I de cet article.
M. Thierry Foucaud. - Nous abordons ici un étrange produit fiscal, qui autorise les collectivités territoriales à décider des exonérations de taxe professionnelle à la carte.
Une assiette de la fiscalité locale étant distraite, les autres contribuables locaux devront mettre la main à la poche pour soutenir les investissements. Tant pis si la perte de recettes n'est pas compensée !
Cette démarche a un nom : la mise en concurrence de territoires confrontés par ailleurs à des sollicitations multiples. Ainsi, on devra donc arbitrer à Marseille entre une meilleure élimination des déchets ménagers et l'attribution de conditions fiscales incitatives aux rapaces qui se repaîtront des restes du défunt port autonome. Et l'on pourrait multiplier les exemples, alors même que les collectivités territoriales risquent de ne voir aucun retour pour leurs investissements, car la substitution d'équipements aux emplois risque d'être prioritaire.
Globalement, les conditions fiscales sont plus favorables aux entreprises dans les ports méridionaux que dans la moyenne du pays ; le statut des ports autonomes place la France à égalité avec ses concurrents, mais chaque territoire a son économie propre.
Vous organisez la concurrence entre territoire, les marchandages entre l'État et les opérateurs privés sur le dos des collectivités territoriales, enfin la sollicitation constante des collectivités territoriales par les opérateurs privés pour développer le trafic. Nous répétons une fois encore que la taxe professionnelle ne freine pas l'implantation d'entreprises, surtout lorsque son incidence est largement corrigée.
M. le président. - Amendement n°30 rectifié, présenté par M. Le Cam et les membres du groupe CRC.
Supprimer le II et le III de cet article.
M. Thierry Foucaud. - Cet amendement de cohérence est déjà défendu.