Eloge funèbre de Serge Vinçon, sénateur du Cher
M. le président. - Mes chers collègues, (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent) un éminent collègue que beaucoup d'entre nous appréciaient particulièrement nous a quittés dans les derniers jours de l'année 2007. Serge Vinçon, sénateur du Cher et président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de notre Haute assemblée, est mort le 16 décembre.
C'est peu de dire la douleur, la très grande tristesse et la profonde affliction que nous avons toutes et tous ressenties à l'annonce de son décès. Serge Vinçon a été emporté dans la force de l'âge, au faîte d'une carrière qui était loin d'être achevée. Sa mort a mis un terme brutal et prématuré à un parcours sans faute, ni failles.
Son dernier combat, Serge Vinçon l'a livré, voici un an, après l'accident cardiovasculaire qui l'avait brutalement atteint, nous plongeant déjà dans la consternation, à quelques jours des fêtes de Noël. Mais il était doté d'une force morale peu commune : il a puisé, jusqu'au bout, dans cette formidable énergie qui l'a toujours habité, le courage infini de faire face, jusqu'à son dernier souffle, aux lourdes responsabilités que lui avaient confiées ses concitoyens et ses collègues du Sénat qui l'appréciaient tant.
Serge Vinçon était aussi un grand serviteur de la personne humaine, unanimement respecté, au parcours exceptionnel et à l'engagement républicain exemplaire. Un homme à la fidélité inaltérable, aux convictions intransigeantes, à l'engagement toujours passionné.
Né à Bourges il y a moins de 59 ans, au coeur même de ce département du Cher qu'il aimait tant, il était l'aîné d'une famille de neuf enfants. Il revendiquait ses origines modestes auxquelles il était demeuré profondément fidèle.
Professeur au collège de Saint-Amand-Montrond, il se fera très vite remarquer pour ses qualités pédagogiques et sera unanimement apprécié et aimé de ses élèves et de ses collègues.
Très tôt, il manifeste aussi un goût aigu pour les affaires publiques. Élu une première fois en 1977 conseiller municipal de la capitale du Boischaut, il en deviendra maire en 1983, à 34 ans. Il sera réélu sans discontinuer jusqu'à ce que la vie le quitte. Son attachement indéfectible à sa ville ne sera jamais démenti et c'est pour distinguer son action dynamique qu'il se verra notamment remettre, en 1995, une « Marianne d'or » à la mairie de Saint-Amand-Montrond.
Parallèlement, presque naturellement, Serge Vinçon deviendra président de l'Association des maires du Cher en 1995. En 2001, il sera distingué du titre de président des « villes et métiers d'art » avant de devenir, l'année suivante, président de l'Association européenne des villes et métiers d'art.
Passionné par sa ville, Serge Vinçon le fut aussi par son département. Élu sénateur en septembre 1989, il sait, dès son arrivée au sein de la Haute assemblée, se faire apprécier de tous. Qui ne se souvient de son extrême courtoisie, de son attention aux autres, de la finesse de son intelligence et du respect qu'il apportait aux opinions de chacun ?
Approfondissant encore son implication locale, il fut élu conseiller général du canton de Saint-Amand-Montrond, en 1992. Réélu en 1998, il présida alors aux destinées de l'assemblée départementale jusqu'en 2001. Il y déploya l'efficacité qui est très vite devenue sa marque, en faveur de l'aménagement du territoire et du développement économique. Il y fut toujours soucieux de mettre en valeur l'histoire et la richesse culturelle de ce département central dans lequel il est dit que « battent puissamment les trois coeurs de la France ».
Auditeur de la quarante-septième session de l'Institut des hautes études de défense nationale en 1994-1995, il cultiva un intérêt jamais démenti pour les questions de défense. À ce titre, il fut désigné, en 1995, secrétaire national du RPR en charge de la défense puis, en 1996, président fondateur de l'association « Diplomatie et Défense ».
Il fut aussi, à partir de 1993, rapporteur pour avis du budget des forces terrestres au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat. Une nouvelle page de son activité parlementaire s'écrivit alors. Dès février 1996, il fut élu au bureau de notre commission des affaires étrangères à laquelle il allait montrer tant d'attachement.
Réélu au Sénat en 1998, il fut porté à la fois aux fonctions de vice-président de la commission des affaires étrangères et de secrétaire national en charge des affaires européennes du RPR. Dans ces nouvelles responsabilités, il suscitera l'estime de tous par la pertinence de ses analyses, mais aussi par ses qualités humaines incomparables.
Continuant à remplir ses différents mandats, il décida en mars 2001 de ne pas se représenter à la présidence du conseil général du Cher, afin de privilégier le lien direct avec ses chers administrés saint-amandois. Ces derniers lui manifesteront sans réserve leur confiance en le renouvelant, une nouvelle fois, à la tête de la commune.
Fort de ce parcours exemplaire, Serge Vinçon fut alors désigné par ses pairs aux fonctions de vice-président du Sénat. Chacun dans cet hémicycle se souvient de son doigté, de sa compétence et de son savoir-faire et, pourquoi ne pas le dire, de sa gentillesse dans la conduite, parfois délicate, de nos débats. La douce et talentueuse autorité dont il fit preuve dans cette fonction, puis plus tard, à la tête de la commission des affaires étrangères révélait une facette de sa personnalité : un homme profondément cultivé à l'intelligence fine et aiguisée et qui aimait les autres sans différenciation de fonction ni de grade.
Parallèlement à son engagement politique, Serge Vinçon avait montré, depuis son adolescence, une réelle passion pour la poésie et l'écriture. Sa réserve naturelle l'avait conduit à ne révéler que tardivement ce jardin secret. Il aura attendu l'an 2000 pour publier son premier recueil, intitulé Proésie, craignant jusqu'au dernier instant de se révéler sous un jour singulier. Il nous fit parfois, au Sénat, le plaisir de quelques démonstrations de son talent, rougissant, à chaque fois, sous les compliments, comme un débutant.
« L'art est un jeu. Tant pis pour celui qui s'en fait un devoir » écrivait Max Jacob. Il est vrai que la poésie était pour lui l'achèvement de sa liberté de pensée, la soupape par laquelle il exprimait ses émotions les plus profondes.
Sa ville de Saint-Amand fut l'objet constant de son inspiration, allant jusqu'à la mise en musique d'une de ses poésies.
En 2004, élu de la région Centre, il démissionnera de son mandat, en application de la loi sur le cumul des mandats. Mais il réalisera alors son voeu le plus cher en étant élu, en octobre de la même année, président de notre commission des affaires étrangères. Il ne cessera alors d'être ce président fin, compétent, dynamique, assidu et efficace, que tous ici ont apprécié.
Assurant parallèlement la présidence active de groupes d'amitié, avec la Slovénie et avec la Jordanie, Serge Vinçon portait haut les couleurs du Sénat et ne dédaignait pas de porter aussi haut son engagement au service d'une certaine idée de la grandeur de notre Nation. C'est dans cet esprit qu'il prit une part active à la réforme du service national et à la professionnalisation de nos forces armées.
Serge Vinçon était de ces hommes publics chaleureux, toujours bienveillant et sachant s'intéresser à toutes et tous. Un homme d'une absolue fidélité envers les siens, d'une réelle authenticité dans l'engagement : double exigence qui s'impose à chacune et à chacun d'entre nous et qui demeure, sans aucun doute, la qualité éminente des grands serviteurs de la République. Il restera pour tous une référence. Jusqu'au bout, jusqu'à l'extrémité de ses forces, jusqu'à ses derniers jours, il poursuivit sa tâche.
Il avait insisté, en juillet dernier, pour que la commission du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont il était membre, se réunisse au Sénat. Ce lieu, où il apporta sa contribution personnelle à la démonstration permanente qu'il est une enceinte privilégiée de la réflexion et de la sagesse.
Ainsi fut Serge Vinçon, notre collègue, notre ami. Ce fils de la République en fut un serviteur éminent. S'il fit honneur au Sénat, à son département et à sa ville, il fut aussi l'honneur de la République.
À ses collègues de la commission des affaires étrangères, unanimement touchés par la disparition de leur cher président, j'exprime toute la compassion du Sénat.
À ses collègues du groupe UMP cruellement éprouvé par la disparition, en moins d'un an, de quatre des siens, j'adresse mes sentiments de vive et profonde sympathie attristée.
À son épouse Bernadette, à sa fille Maud, à ses parents et à tous ses proches qui vivent intensément la douleur de la séparation d'un être aimé, je voudrais dire combien nous partageons leur chagrin. Qu'ils soient assurés que, dans ces murs, la figure, la voix, et le souvenir de Serge Vinçon resteront présents, à la mesure de l'homme d'exception qu'il fut. Qu'il repose en paix.
(Mmes et MM. les sénateurs et les membres du Gouvernement observent une minute de silence)
M. François Fillon, Premier ministre. - Le Sénat est une tribune. Les hommes y existent d'abord par leur voix. Nous n'entendrons plus celle de Serge Vinçon. Cette voix qui se mêla à plusieurs reprises à la mienne lors de combats politiques communs, cette voix qui parlait avec douceur des Français mais avec fermeté de la France, cette voix s'est éteinte le 16 décembre dernier. Au moment de rendre hommage au sénateur du Cher, ancien vice-président du Sénat, j'ai relu quelques unes de ses dernières interventions. J'ai retrouvé dans leur ton ce qui nous rendait Serge Vinçon si précieux et, je m'empresse de l'ajouter, le rendait si utile à la France.
La justesse des termes, signe d'une connaissance exacte et pour ainsi dire méticuleuse des dossiers ; l'équilibre de la réflexion, indice de sa probité intellectuelle ; la parfaite courtoisie de l'homme, reflet de son élégance tranquille -tout cela recommandait le sénateur Vinçon à l'estime de tous. Propriété des termes, équilibre des parties, ces qualités étaient d'abord celles de l'enseignant ; Serge Vinçon avait su en faire celles de l'élu. Le professeur de lettres était devenu maire de Saint-Amand-Montrond en 1983, président du conseil général du Cher en 1998, président de la commission de la défense, des affaires étrangères et des forces armées du Sénat en 2004. Cette trajectoire récompensait l'homme de convictions et de rassemblement qu'il était.
Au sein de la commission de la défense, sa maîtrise des dossiers l'avait imposé comme un des plus brillants défenseurs de l'ambition stratégique et militaire française. Serge Vinçon voulait une défense réactive, dotée de la doctrine et des équipements les plus modernes et les plus adaptés aux conditions géopolitiques. II avait oeuvré de manière décidée en faveur de la professionnalisation des armées. Dans ce combat déjà ancien, j'avais trouvé en lui l'appui d'une conviction libre et éclairée.
Bourbonnais, Berry, Boischaut : Serge Vinçon avait son territoire aux confins de ces vieux pays français. II en connaissait chaque famille, chaque paysage. Son amour de la Nation trouvait là ses sources. Pour Saint-Amand, sa ville, il avait composé des poèmes. Reconnaissons la sincérité de l'homme à cette attention inattendue : nous avons tous l'amour de nos territoires ; Serge Vinçon, homme de lettres, homme de coeur, avait pris le temps de l'exprimer, à sa manière attachante. En consacrant une Cité de l'or à la tradition locale de l'orfèvrerie, il avait montré que le raffinement, la richesse et le rêve existent au coeur des pays les plus discrets.
Serge Vinçon obéissait à la rigueur de ses mandats sans étouffer la sensibilité de son tempérament. Son engagement politique n'altérait pas la tempérance de ses jugements, ne rompait jamais le fil de son humanisme. II avait le sens des responsabilités historiques, la conscience profonde de ce que chaque homme doit à sa ville, à sa terre et à son pays.
II honorait cette Assemblée de son dévouement et de sa droiture. Sa hauteur morale et intellectuelle était mise au service d'une certaine idée de la France. Je serai fidèle à son souvenir, si j'ai pu rappeler en quelques mots tout ce que la République lui doit. Au nom du Gouvernement mais aussi en mon nom personnel, j'adresse à sa famille et à ses proches le témoignage de notre affection.
M. le Président. - Merci monsieur le Premier ministre, de vous être associé à la peine du Sénat.
La séance, suspendue à 16 h 35, reprend à 17 heures.