Délégation parlementaire au renseignement

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant création d'une délégation parlementaire au renseignement.

Discussion générale

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.  - Ce texte, largement concerté, concilie deux impératifs : l'information du Parlement sur l'activité des services de renseignement, ce qui est une exigence propre à toute démocratie, et la sécurité des spécialistes du renseignement, qui accomplissent une mission essentielle pour notre pays. Le Parlement va suivre les activités des services de renseignement, c'est une première dans notre pays.

Le Sénat a sensiblement amélioré la définition de la nouvelle délégation parlementaire : vous y avez porté à huit le nombre de parlementaires, pour y assurer le pluralisme ; la délégation pourra entendre le Premier ministre en plus des ministres de l'intérieur et de la défense, des directeurs des services de renseignement, et du secrétaire général de la défense nationale ; vous avez aussi prévu que le rapport annuel de la délégation serait public, nos concitoyens pourront s'informer à la source.

L'Assemblée nationale a prévu que la délégation pourrait également suivre l'activité d'autres administrations ayant une compétence en matière de renseignement, en particulier celle de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, et celle de la cellule TRACFIN contre les circuits financiers clandestins. Vos collègues députés ont autorisé la délégation à adresser des recommandations et des observations au Président de la République et au Premier ministre, qui seront transmises au Président de chaque assemblée. Les informations sensibles communiquées aux membres de la délégation, ne pourront pas faire partie du rapport public.

Ce texte honore un engagement pris devant vous par M. Sarkozy en décembre 2005, il correspond à l'engagement plus large du Président de la République, de renforcer le poids du Parlement dans nos institutions.

En associant le Parlement au suivi du renseignement, nous allons également donner à nos services spécialisés une nouvelle légitimité aux yeux de nos concitoyens. Les activités liées au renseignement sont souvent mal connues des Français, le renseignement n'a pas toujours la place qu'il mérite dans les décisions. Nous allons encourager l'émergence d'une réelle culture du renseignement.

Le Parlement est, par définition, un lieu de débat public ; cependant, les travaux de la délégation seront couverts par le secret de la défense nationale : c'est une règle de sécurité inhérente au renseignement. Il en résultera des contraintes : les services de renseignement devront faire état d'informations couvertes par le secret de la défense nationale, sans dévoiler les éléments à caractère opérationnel, ni leurs sources ; les parlementaires membres de la délégation devront respecter le secret, tout comme le font déjà leurs collègues membres des commissions administratives de vérification des fonds spéciaux et du secret de la défense nationale.

Le respect de ces règles sera essentiel pour les relations de confiance entre les services et les parlementaires, mais aussi des citoyens envers leurs services de renseignement.

Je veux rendre hommage à l'action courageuse des hommes et des femmes qui travaillent au sein des services de renseignement. Dans un monde devenu plus instable, où l'adversaire potentiel est souvent invisible et imprévisible, nos services de renseignement jouent un rôle toujours plus important ; je ne doute pas que la nouvelle délégation fera mieux reconnaître leur action !

Evoquée de longue date, la création d'une instance parlementaire spécialisée dans le domaine du renseignement est une exigence démocratique, qui valorisera la politique du renseignement : je ne doute pas qu'une telle ambition est partagée sur tous les bancs de cette assemblée, ni que vous adopterez ce texte ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois. - Je répèterai en partie ce que vous venez de dire, car je suis d'un intellect naturellement lent...

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Pourquoi « naturellement » ?

M. René Garrec, rapporteur. - Qui se méprise se prise de se mépriser : c'est de Nietzsche.

La création d'une délégation parlementaire consacrée au renseignement, engagement pris par M. Sarkozy quand il était ministre de l'intérieur, met fin à une spécificité française parmi les grandes démocraties. La nouvelle délégation pourra auditionner les ministres et les administrations en charge du renseignement.

En première lecture, le Sénat avait adopté douze amendements qui, sans remettre en cause les conditions permettant une relation de confiance entre les membres de la future délégation et les responsables des services, sans laquelle aucun travail efficace ne sera possible, ménagent à la délégation une liberté d'action plus conforme au rôle de la représentation nationale. Notre assemblée a en particulier adopté plusieurs amendements présentés conjointement par votre commission des lois et la commission des affaires étrangères, saisie pour avis. Le nombre respectif de députés et de sénateurs membres de la délégation a ainsi été porté de trois à quatre afin de mieux respecter le pluralisme au sein de cette délégation tout en lui conservant un effectif resserré. Un autre amendement a précisé la mission de la délégation pour lui donner un rôle moins passif que ne le prévoyait le projet de loi initial.

Le Sénat a permis à la délégation d'auditionner le Premier ministre ainsi que des personnes ne relevant pas d'un service de renseignement. Enfin, il a prévu qu'un rapport public annuel dresse le bilan de l'activité de la délégation. Le projet de loi initial ne prévoyait que la remise d'un rapport annuel au Président de la République et au Premier ministre, soumis au secret défense comme l'ensemble des travaux de la délégation. Il nous a semblé que cette confidentialité serait en réalité contreproductive : un silence complet sur les travaux de la délégation risquait soit de la faire juger inutile, soit d'alimenter des fantasmes sur les services de renseignement. Un rapport public annuel permettra de pallier ces inconvénients, étant entendu que le rapport ne pourra pas contenir des informations relevant du secret défense.

Les députés ont adopté sept amendements, aucun ne modifiant les apports du Sénat. Outre des améliorations rédactionnelles, l'Assemblée nationale a étendu la compétence de la délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministères de l'économie et du budget, c'est-à-dire la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et la cellule de Traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN). Votre rapporteur s'était en effet interrogé sur l'opportunité d'étendre la compétence de la délégation à ces services : ces derniers transmettant la majorité des informations qu'ils recueillent aux services de renseignement des ministères de la défense et de l'intérieur, il semblait qu'ils seraient indirectement inclus dans le champ de compétence de la délégation. L'adjonction de ces services par les députés devrait souligner la nécessité d'une coordination étroite des services de renseignement et la part croissante prise par le renseignement économique. Une démocratie qui ne se défend pas est une démocratie qui se meurt...

L'Assemblée nationale a également prévu explicitement que le rapport public annuel ne pourra faire état d'aucune information protégée par le secret défense.

M. René Garrec, rapporteur. En effet, mais cela ne mange pas de pain... Enfin, les députés ont introduit la possibilité pour la délégation d'adresser des recommandations et des observations au Président de la République et au Premier ministre, qui seraient également transmises au président de chaque assemblée. Ainsi, les plus hautes autorités seraient saisies d'informations ou de recommandations tombant sous le coup du secret défense et ne pouvant donc pas trouver leur place dans le rapport public annuel. La rédaction issue du Sénat n'interdisait nullement cela : il n'est pas plus mal de le préciser, même si cela n'apporte pas grand-chose au texte.

Au bénéfice de ces observations, votre commission vous propose d'adopter sans modification le présent projet de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Patrick Courtois. Cette délégation parlementaire au renseignement représente une innovation démocratique de première importance, qui permettra à la France de rejoindre l'ensemble des États démocratiques. Ce texte est la claire manifestation du gouvernement en faveur d'une association plus étroite du Parlement aux questions de renseignement. Il répond également à un large consensus dégagé ces dernières années, en faveur de cette délégation. Il s'agit d'une promesse du Président de République et je remercier le gouvernement et, en premier lieu, notre ancien collègue Roger Karoutchi de l'avoir concrétisé rapidement et avec efficacité.

Ce texte permet d'informer le Parlement sur l'activité des services spécialisés, sans nuire à la sécurité de ceux qui s'y consacrent. Une telle ambition peut être partagée sur tous les bancs de notre assemblée.

Le mouvement général de renforcement de la mission de contrôle du Parlement sur l'action de l'exécutif semble indiscutable et légitime. C'est une tendance lourde, aboutie chez certains de nos voisins anglo-saxons, que nous devons accompagner. La rénovation du Parlement est la condition même de sa survie.

Avec cette délégation, il trouvera enfin la place lui revenant dans un domaine qui, s'il obéit à des contraintes de secret bien compréhensibles, ne peut cependant échapper à l'évaluation externe. Cette réforme est aussi un progrès pour l'exécutif, qui disposera d'un regard extérieur susceptible de mieux l'orienter vers d'éventuelles réformes. La délégation pourra être le lieu d'aborder des questions allant au-delà des seules ressources humaines et financières, comme, notamment, le cadre juridique dans lequel évoluent les services de renseignement. C'est également une amélioration significative pour ces derniers, desservis par un isolement institutionnel parfois plus subi que voulu.

Il reste que cette réforme ne pourra produire ses effets de manière instantanée. Le temps sera essentiel dans le succès de la démarche d'information et d'évaluation, tant seront importantes les relations de confiance mutuelle qu'il conviendra de tisser progressivement. Compte tenu des spécificités du renseignement, la mise en oeuvre d'un suivi parlementaire exigeait de prendre des précautions afin de ne pas nuire à la confidentialité nécessaire. Ce projet de loi parvient à un équilibre entre les impératifs de la confidentialité et ceux du contrôle démocratique, entre les droits de l'État et l'État de droit. Les travaux des deux assemblées ont permis d'atteindre cet équilibre entre la transparence et le secret, deux notions vitales à la protection et à la pérennité de toute démocratie.

Car si le renseignement est l'affaire de l'exécutif, le Parlement peut s'interroger légitimement sur le fonctionnement des services, les moyens techniques dévolus, l'orientation des missions, les modes de recrutement et le statut des personnels. La future délégation aura donc cette mission importante, sans interférer avec les activités opérationnelles des services de renseignement. L'utilité de la délégation reposera davantage sur l'existence d'une relation de confiance que sur des prérogatives légales apparemment étendues, mais dépourvues d'efficacité. L'instauration de ce climat de confiance sera facilitée par les dispositions du texte qui encadrent l'étendue des missions de la délégation et mettent en place la confidentialité nécessaire à sa crédibilité.

Les améliorations apportées par notre assemblée en première lecture vont dans ce sens. Elles ne remettent pas en cause l'équilibre du texte et elles sont soucieuses de nouer une relation de confiance entre les membres de la future délégation et les responsables des services, sans laquelle -encore une fois- aucun travail efficace ne sera possible. Nous avons souhaité ménager à la délégation parlementaire une liberté d'action plus conforme au rôle de la représentation nationale. La plupart de ces mesures ont été reprises par les députés qui ont par ailleurs étendu la compétence de la délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministères chargés de l'économie et du budget. Ces dispositions sont les bienvenues car elles soulignent la nécessité d'une coordination étroite des services de renseignement et la part croissante prise par le renseignement économique.

Au nom du groupe UMP, je veux rendre hommage à ces femmes et à ces hommes qui assurent une mission de renseignement difficile et essentielle à notre sécurité.

La création de cette délégation est une grande nouvelle pour le Parlement mais aussi pour les services spécialisés car cet organe contribuera à mieux prendre en compte la politique du renseignement et ses enjeux, politique plus que jamais essentielle pour notre sécurité nationale. Nous voterons avec conviction ce projet de loi. (Applaudissements à droite)

M. Aymeri de Montesquiou. Je me félicite de la priorité donnée par le gouvernement à ce texte qui répond à une demande ancienne et répétée du Parlement et traduit le respect de deux engagements politiques : celui de renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement ; celui aussi de mettre fin à une singularité française, notre pays restant l'une des rares démocraties à ne pas disposer d'instance parlementaire chargée de suivre l'activité des services de renseignement. Pourtant, ces dernières années, la fonction de renseignement s'est valorisée et accrue du fait de la progression de diverses menaces, notamment terroristes. Elle s'intéresse dorénavant à la sphère économique en raison de la sophistication et de l'imbrication croissante de la toile financière qui autorise aujourd'hui toutes les pénétrations anonymes et illicites.

Malgré des pouvoirs particulièrement étendus, les services du renseignement apparaissent comme occultes et obscurs à nos concitoyens. Il est vrai que leur action, par nature ignorée, se prête mal au démenti et à une communication officielle. Pour autant, la diffusion d'une information est une nécessité à plus d'un titre. Elle répond tout d'abord à une exigence de contrôle de l'utilisation des ressources publiques dont nul ne peut s'abstraire. Elle doit aussi permettre aux services concernés eux-mêmes de se défaire des soupçons tenaces et injustes qui les poursuivent, tout en les faisant sortir d'un tête-à-tête exclusif avec l'exécutif qui leur est moins bénéfique qu'on pourrait le penser, notamment lors des arbitrages budgétaires. Enfin, il s'agit de répondre de manière adaptée à un souhait de plus en plus marqué de ne pas laisser totalement dans l'ombre une activité qui constitue la première ligne de défense face aux menaces actuelles, et particulièrement face au terrorisme.

La création d'une délégation parlementaire au renseignement constitue donc une avancée réelle. Je salue les modifications apportées par le Sénat en première lecture, qui introduisent une plus grande souplesse dans le fonctionnement de cette délégation, tout en conciliant efficacité et respect des impératifs liés au secret-défense.

Un effectif resserré est certes de nature à réduire les risques de fuites et à favoriser des relations de confiance entre services de renseignement et membres de la délégation. Néanmoins, l'effectif retenu par le projet de loi initial était de l'ordre de l'intime et ne permettait pas d'assurer une représentation pluraliste. Le Sénat a amélioré les choses mais pas assez pour assurer la représentation de tous les groupes du Sénat et de l'Assemblée nationale. Nous faisons confiance au président du Sénat pour veiller à une représentation équilibrée.

Le projet de loi cantonnait la délégation dans un rôle passif. Le Sénat l'a dynamisé en donnant à la délégation mission de suivre l'activité générale et les moyens des services de renseignement. On peut déplorer que ce soit un simple suivi et non un contrôle ; c'est toutefois un progrès.

Le texte adopté par le Sénat organise une alternance à la tête de la délégation entre un président de commission permanente de l'Assemblée nationale et un président de commission permanente du Sénat. Cependant, chacun sait que cette mission nécessitera une grande disponibilité et une implication personnelle de son président, déjà accaparé par ses activités de président de commission permanente. Pourquoi ne pas avoir prévu une désignation libre du président de la délégation par ses membres ?

La majorité du RDSE votera que ce texte opportun qui met la France au même niveau que ses partenaires européens et montre à l'opinion publique que les services de renseignement sont constitués de gens responsables, travaillant de manière précise, selon des orientations claires, et obtenant des résultats. (Applaudissements au centre et sur la plupart des bancs à droite ; M. Collombat applaudit aussi)

M. Jean-Claude Peyronnet. - Ayant appelé de nos voeux la création d'un organe adapté au contrôle parlementaire des services de renseignement, nous ne pouvons qu'approuver le principe d'une telle création. Cependant, malgré les quelques améliorations apportées par le Sénat et par l'Assemblée nationale, notre satisfaction n'est que partielle.

Cette création participe de la revalorisation du rôle du Parlement. À ce titre, elle est bienvenue. Elle tend à placer nos institutions dans le droit commun des démocraties avancées en matière de contrôle parlementaire et elle continue dans la voie engagée en 2001 avec la réforme des fonds spéciaux. C'est un progrès démocratique. Nous regrettons toutefois la timidité d'un texte qui fait passer les impératifs liés à la protection du secret avant ceux du contrôle. Il ne faudrait pas que la création de cette nouvelle instance parlementaire serve d'alibi à la poursuite d'une relation peu transparente ! C'est pourquoi nous ne cessons de réclamer un plus juste équilibre entre la confidentialité et l'efficacité du contrôle.

Lors de la première lecture nous avons insisté sur l'importance croissante du renseignement dans la conduite de la politique extérieure et de sécurité. Ajoutons que la mondialisation de l'économie et la fluidité des relations internationales donnent une prime à ceux qui sont capables d'anticiper. C'est le coeur du renseignement : offrir aux décideurs la capacité d'avoir un ou plusieurs coups d'avance. Les services de renseignement constituent ainsi la première ligne de notre défense. Mais, dans une démocratie moderne, le Parlement doit pouvoir s'assurer que les orientations politiques et les moyens mis à leur disposition sont à la fois adaptés aux circonstances et respectueux des principes démocratiques.

La question se pose donc de savoir si le suivi défini par le texte deviendra un véritable contrôle de la politique du renseignement et des moyens des services de renseignement. Bien entendu, dans la mesure où le Parlement est absent de ces questions depuis tant d'années, tout est à inventer et je conçois que l'expérience permette des évolutions, pour instaurer une relation de confiance entre les membres de la délégation et les responsables des services. Mais sans oublier que la représentation nationale a pour mission de contrôler la politique du gouvernement dans tous les domaines, y compris celui, crucial, de la sécurité et donc du renseignement.

Des organismes privés s'occupent aussi de renseignement. Ces sociétés de renseignement privé agissent notamment dans le domaine économique et financier mais pas seulement. La future Délégation doit pouvoir suivre aussi leur action.

Nous ne devons pas négliger la coopération européenne dans la lutte contre les menaces terroristes ou criminelles. Il ne faudrait pas que, après avoir été les derniers à aborder la question du contrôle parlementaire des services de renseignement, nous soyons aussi les derniers à prendre en compte la dimension européenne de ce travail. Tout le monde propose actuellement de renforcer les pouvoirs du Parlement, reste à vérifier qu'après la saison des annonces, les réalités seront au rendez-vous. En attendant, nous avons avec ce texte la possibilité de faire un pas, petit, certes, et il serait plus grand si nos amendements étaient adoptés.

Nous souhaitons d'abord que la Délégation puisse recueillir toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; aussi doit-elle pouvoir auditionner toute personne susceptible d'éclairer ses travaux. Ensuite, et sans avoir à connaître des activités opérationnelles en cours, nous proposons que la Délégation puisse travailler sur des actions éteintes, susceptibles de d'apporter de riches enseignements. D'autre part, nous avons le souci d'assurer à cette Délégation une représentation pluraliste. Enfin, nous persistons dans notre souhait de rapprocher les travaux de la future Délégation et ceux de la Commission de vérification des fonds spéciaux.

Au chapitre des points positifs, nous saluons l'extension de la compétence de la Délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministères chargés de l'économie et du budget. Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout et inclure des représentants des commissions des finances parmi ses membres ?

La fusion des services des Renseignements généraux et de la Direction de la surveillance du territoire est en cours. Certains parlent déjà d'une fusion concernant le renseignement extérieur et militaire. Il est vrai que la France avait, malgré les bons résultats obtenus par ses services et le dévouement de ses agents, pris quelque retard. Une rationalisation du renseignement français est devenue nécessaire, d'autant que le renseignement économique, financier et technologique prend une importance grandissante. Toutefois, il serait utile que la représentation nationale soit informée de cette réorganisation en cours. Il sera aussi intéressant d'aborder la question du futur Conseil national de sécurité dont la création serait imminente. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Jacqueline Gourault. - La création d'une délégation parlementaire au renseignement était vivement attendue. En témoignent les nombreuses propositions de loi allant dans ce sens dont, en 1999, celle de Nicolas About.

La France est l'un des rares pays démocratiques à ne pas disposer d'une telle structure. Les États-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, l'Australie, bien d'autres encore, disposent d'un organe parlementaire dédié au renseignement. Même quand sa marge d'action est réduite, un tel organe instaure une vraie culture du renseignement.

Notre pays cultive un certain goût pour le mystère, ce qui entretient une vision négative, voire hostile des services comme si le renseignement était une affaire d'État qui ne pouvait intéresser le Parlement. Tout en reconnaissant l'exigence du secret, le Parlement ne pouvait rester plus longtemps à l'écart. L'intervention des représentants de la Nation créera un lien indispensable.

Au-delà de l'exigence démocratique, il s'agit aussi de répondre à un impératif géostratégique car le renseignement constitue un levier essentiel de la politique de sécurité. Or, depuis la fin de la guerre froide, la situation est devenue beaucoup plus compliquée et les services de renseignement ont dû évoluer -c'est dire l'intérêt que nous portons à la réorganisation des services, condition d'une nécessaire révolution.

L'équilibre à respecter entre démocratie et secret impose une composition relativement restreinte mais le travail de notre rapporteur a permis de lever des doutes et d'établir une relation de confiance.

Nous arrivons à un texte équilibré, auquel les directeurs des services concernés trouvent un certain avantage. L'Assemblée nationale y a inclus la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ainsi que la cellule Tracfin. Chaque chambre aura deux représentants, ce qui assure le pluralisme.

Le groupe UDF approuve entièrement cette création. Au moment où le comité Balladur réfléchit à la réforme des institutions, ce texte équilibré permet à la France de s'aligner sur les grandes démocraties occidentales et montre comment on peut renforcer le rôle du Parlement. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Michelle Demessine. - Le texte a été légèrement modifié à l'Assemblée nationale mais le verrouillage a été maintenu et le Parlement reste confiné dans un rôle formel. En effet, seule une représentation pluraliste peut assurer un contrôle démocratique. Si vous en souhaitiez un, il aurait fallu que toutes les sensibilités soient représentées. Cela ne sera pas le cas, malgré l'augmentation du nombre des membres. Or il en va de la légitimité et de la crédibilité de la future délégation. Certains élus sont-ils moins dignes de confiance ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Mais non !

Mme Michelle Demessine. - L'opposition sera représentée, dit-on. Je comprends fort bien l'obligation de confidentialité mais si le gouvernement en avait eu la volonté, il aurait pu dégager une solution : les membres de la délégation ne seront-ils pas habilités secret défense ? L'Italie, l'Allemagne ou encore le Royaume-Uni montrent qu'il était possible de trouver une formule plus satisfaisante.

Vous avez même refusé d'instaurer un fonctionnement paritaire entre majorité et opposition. Par respect des droits de l'opposition, on aurait pu prévoir une alternance aux fonctions de président et de rapporteur. A défaut, la partie de l'opposition représentée sera cantonnée dans un rôle de figuration. Mais s'agit-il vraiment d'exercer un contrôle ? La délégation se bornera à un simple suivi de l'activité des services de renseignement : ce premier pas permettra tout juste une information du Parlement. Il n'est pas question de contrôle ! Le Président de la République avait une conception moins limitée quand il était ministre de l'intérieur : « je crois tant à la notion de contrôle que je ne veux pas qu'elle soit caricaturée », assurait-il alors.

Nous ne sommes pas partisans d'une supervision tatillonne car le renseignement, cette mission régalienne, relève du domaine de l'exécutif. Raison de plus pour que le Parlement puisse contrôler cette partie de l'action gouvernementale. On en est loin, et le Parlement ne pourra jouer le rôle que nous souhaitions. Excepté ceux relatifs aux enquêtes douanières et à Tracfin, vous avez repoussé tous les amendements élargissant la compétence de la délégation. Celle-ci ne sera qu'une coquille vide et ne pourra jouer qu'un rôle marginal. La majorité procèdera à quelques auditions et ne recueillera qu'une information filtrée, distillée au compte-goutte.

Le groupe CRC qui s'était abstenu en première lecture, ne peut pas cautionner ce faux-semblant : il votera contre le texte.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Je remercie le rapporteur et tous les orateurs qui ont apporté leur soutien à ce texte. On ne va pas assez loin, pas assez vite, madame Demessine, mais, quand on initie une solution, il faut d'abord voir comment l'on travaillera ensemble. MM. de Montesquiou et Peyronnet ont fait allusion aux servies étrangers : en Allemagne et au Royaume-Uni, on a récemment remis en cause les mécanismes de contrôle des services de renseignement.

Lançons cette commission, qui créera le lien entre services de renseignement et Parlement, quitte à la faire plus tard évoluer, si nécessaire. Ce qui se passe dans certains pays voisins ou amis, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni, où cette relation, très compliquée, est parfois remise en cause par les médias, doit nous porter à la prudence.

Le gouvernement a accepté, en première lecture, de nombreux amendements du Sénat et quelques-uns de l'Assemblée nationale. Nous avons augmenté le nombre de membres de la délégation, élargi le champ des services soumis à contrôle, ménagé plus de souplesse de fonctionnement. Je regrette donc, madame Demessine, que le groupe CRC bascule de l'abstention au vote contre. Vous avez, monsieur Peyronnet, le sens des responsabilités ? Comprenez que nous avons un équilibre à trouver, M. de Montesquiou et Mme Gourault l'ont rappelé, entre transparence et discrétion, entre information et secret. La tâche est difficile, car, sur le terrain, des hommes sont concernés, engagés dans des missions souvent périlleuses. Le gouvernement n'ira pas au-delà de ce qu'il a concédé en première lecture, ce qui ne veut pas dire qu'une fois la relation de confiance établie, les choses ne puissent évoluer.

Je remercie Mme Gourault et M. de Montesquiou pour le vote positif de leurs groupes et souhaiterais vivement, madame Demessine, que tous les parlementaires souscrivent à une avancée qui mérite sa chance. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Discussion des articles

M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans le I du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, remplacer le chiffre :

quatre

par le chiffre :

cinq

M. Jean-Claude Peyronnet. - Je reviens à la charge sur l'amendement présenté en première lecture par M. Boulaud. Compte tenu de la présence de membres de droit, l'accroissement du nombre total de membres de la délégation permettrait d'assurer une réelle représentation « pluraliste » des différentes sensibilités politiques représentées au sein du Sénat et de l'Assemblée nationale. En l'état actuel du texte, le choix des parlementaires ne portera que sur deux membres par assemblée. C'est peu. Une délégation plus étoffée sera plus représentative et assoira mieux sa crédibilité.

M. René Garrec, rapporteur. - J'avais cru comprendre, en commission, que vous accepteriez, monsieur Peyronnet, de retirer vos amendements. Je constate que, malgré votre sens des responsabilités, tel n'est pas le cas. Le gouvernement a accepté, en première lecture, d'accroître le nombre de membres de la délégation, pour assurer une représentation équitable entre majorité et opposition.

Mme Michelle Demessine. - Si ce n'est pas le bipartisme !

M. René Garrec, rapporteur. - Le ministre vient de rappeler à l'instant que les choses pourront évoluer. Ne soyez pas maximaliste !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Ajouter un membre supplémentaire ne permettrait pas plus de représenter tous les groupes. Et n'oublions pas que l'alternance joue -davantage à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, il est vrai. Les membres de droit pourraient bien être tantôt à droite, tantôt à gauche. Nous avons accepté, en première lecture, l'amendement de M. Garrec, qui ouvre la composition de la délégation. Si, par la suite, nous vient le sentiment que le secret peut être garanti au-delà de ce nombre, nous verrons.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Si la majorité est homogène, l'opposition ne l'est pas. (« Ah ! » sur les bancs UMP)

M. Charles Pasqua. - Et pourquoi pas la proportionnelle !

M. Jean-Claude Peyronnet. - L'argument qui consiste à dire que passer de huit à dix membres mettrait en péril la confidentialité de l'information n'est pas sérieux. Les parlementaires sont des gens responsables.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Compléter le premier alinéa du IV du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 par une phrase ainsi rédigée :

Elle recueille les informations utiles à l'accomplissement de sa mission.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Dans la rédaction actuelle, seuls le ministre de l'intérieur, le ministre de la défense et le ministre des finances adressent à la délégation des informations et des éléments d'appréciation. Pourquoi la faire travailler dans un cadre aussi corseté ? Elle n'aura pas la possibilité de recueillir elle-même l'information. Telle était d'ailleurs l'analyse du rapporteur et du rapporteur pour avis, en première lecture. Malgré les explications qu'avait alors données M. Karoutchi sur le terme « recueillir », la précision nous paraît utile.

M. René Garrec, rapporteur. - J'ai appris, dans un métier passé, que les travaux préparatoires aident en effet à la lecture d'un texte. Que la délégation ait le droit de s'informer, c'est une évidence. Les précisions de M. le ministre ont été éclairantes et elles m'ont satisfait. Il ne me paraît pas utile de réinsérer cette phrase.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Même avis. Je remercie M. Peyronnet de se souvenir de mes explications sur le terme « recueillir ». Mon souci est d'éviter de donner le sentiment que nous créons une commission d'enquête permanente.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Je n'ai pas les mêmes contraintes que le rapporteur, obligé de voter conforme. Le texte n'est précis que sur ce que la délégation ne peut pas faire. Lui permettre de recueillir des informations dont elle a besoin ne paraît pas exorbitant. Même si cela va de soi, cela va mieux en le précisant.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa du IV du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, après les mots :

les activités opérationnelles de ces services

insérer les mots :

en cours et à venir

M. Jean-Claude Peyronnet. - Cet amendement vise à étendre le pouvoir d'information et d'appréciation de la délégation en restreignant le droit au secret des ministres aux seules activités opérationnelles en cours et à venir. Que la délégation ne puisse pas connaître les activités opérationnelles en cours est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Quoique le secret ne soit pas toujours gardé dans notre pays... Mais des débats pourraient être ouverts sur le passé. Il ne s'agit pas de faire le travail de la justice, ni de s'ériger en commission d'enquête permanente.

M. René Garrec, rapporteur. - Sur les directeurs des services, dont traite l'amendement n°3, je vous renvoie, comme tout à l'heure, aux travaux préparatoires : nous avions admis que, lorsque la délégation voudrait interroger un fonctionnaire, elle devrait le recevoir avec son directeur. Cet amendement est donc sans objet.

Concernant l'amendement n°4, il faut évidemment examiner ce qui s'est passé, savoir qui a fait quoi, et comment. Mais il ne faut pas risquer de mettre en danger les agents en opération et c'est pourquoi je ne puis être favorable à cet amendement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Je ne dirai rien de plus sur l'amendement n°3.

Concernant l'amendement n°4, j'entends bien vos réserves, mais s'il était adopté, nos réseaux de renseignement, et donc nos agents, risqueraient d'être mis en cause. Les directeurs des services évoqueront sans doute avec la délégation certaines affaires, surtout si la confidentialité des informations est assurée, mais on ne peut doter la délégation de pouvoirs d'investigation sur les opérations récentes.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Par l'amendement n°3, nous souhaitons que la délégation puisse interroger qui elle veut. C'est dangereux, dites-vous. Mais avec une liste limitative, les pouvoirs de la délégation seront restreints alors que nous voulons étendre sa capacité d'investigation.

Cela dit, je comprends les réserves de M. le ministre sur l'amendement n°4 : la délégation doit pouvoir s'informer et pousser ses investigations, mais elle ne doit pas devenir une mission d'enquête permanente. J'ai cru aussi comprendre que les choses pourraient évoluer à l'avenir.

L'amendement n°4 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°3.

L'article unique est adopté.

Article additionnel

M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le second alinéa du VI de l'article 154 de la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001), après les mots : « au Premier ministre, » sont insérés les mots : « à la délégation parlementaire au renseignement ».

M. Jean-Claude Peyronnet. - Comme avec nos amendements précédents, nous souhaitons doter la délégation de véritables pouvoirs d'investigation.

Lors de la première lecture, nous avions proposé de rapprocher la délégation de la commission de vérification des fonds spéciaux en prévoyant que les membres de cette dernière soient désignés parmi les membres composant la délégation.

Ici, nous allons moins loin puisque nous demandons simplement que le rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux, qui est adressé au Président de la République, au Premier ministre, aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances, le soit aussi à la délégation.

M. René Garrec, rapporteur. - Nous avons déjà eu ce débat en commission. Nous nous sommes en effet demandé s'il ne fallait pas agréger la commission de vérification des fonds spéciaux à la délégation. Mais le fonctionnement de cette commission administrative donnant toute satisfaction, il nous a semblé préférable de ne pas la modifier. Attendons de voir comment va évoluer la délégation avant de songer à rapprocher les deux instances. Avis défavorable.

L'amendement n°5, repoussé par le gouvernement, n'est pas adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Pierre-Yves Collombat. - Le projet d'aligner la France sur les pratiques institutionnelles des autres démocraties en matière de contrôle parlementaire des services de renseignement n'est pas nouveau. On a même pu croire, en 1998 et 1999, que l'affaire était faite, un consensus s'étant dégagé au sein de la commission de la défense de l'Assemblée nationale présidée par Paul Quilès. Pourtant, dix ans d'atermoiements ont suivi, dus aux réticences de ceux qui n'avaient aucune envie d'être contrôlés par des parlementaires jugés peu responsables et pas assez imprégnés de la culture du renseignement. Curieuse conception de la démocratie et du parlementarisme !

Ce texte ne parle d'ailleurs pas de contrôle puisque la délégation n'aura pour mission que de suivre « l'activité générale et les moyens des services spécialisés ». Suivre, certes, mais à quelle distance ? A partir de quelles informations, sinon celles qu'on voudra bien lui fournir ?

Ce qui est frappant, c'est ce que la délégation ne peut et surtout ne doit pas faire. Les amendements du groupe socialiste qui auraient permis d'accroitre les pouvoirs de la délégation ont tous été refusés. Nous restons donc sur notre faim, même si vous acceptez, monsieur le ministre, que les choses puissent évoluer, puisqu'à l'Assemblée nationale vous avez dit : « Ce qui est créé constitue une première étape. Le Parlement présentera ensuite un rapport d'étape afin de savoir si des améliorations sont possibles ».

Nous voulons bien vous croire en espérant que la « relation de confiance » à établir ne signifie pas seulement que le Parlement doive la mériter, comme j'ai cru comprendre !

Nous ne pouvons voter ce texte qui ne répond pas à nos attentes. Nous ne pouvons pas non plus voter contre, puisqu'il s'agit d'un premier pas. Nous nous abstiendrons donc.

M. Jean-Patrick Courtois. - Ce texte important répond à une exigence démocratique et met fin à une singularité française. Il constitue une innovation remarquable et le premier signe concret de l'ambition du Président de la République de renforcer le poids du Parlement parmi nos institutions.

Je félicite les deux commissions de leur travail. Le groupe UMP votera avec grand plaisir ce projet de loi qui marque une nette avancée. (Applaudissements à droite)

Mme Michelle Demessine. - J'ai entendu les arguments du ministre : c'est une affaire délicate, il faut aller doucement et l'on améliorera les choses en chemin. J'ai plus de mal à entendre les réponses concernant la composition de la délégation ; dans cette Assemblée, on a tendance à confondre pluralisme et bipartisme... Porter de huit à dix le nombre de membres, ce ne serait pas la mer à boire ! Cependant, compte tenu des engagements pris par le ministre, le groupe CRC s'abstiendra. (Marques de satisfaction à droite)

Le projet de loi est adopté.