Récidive des majeurs et des mineurs (Conclusions de la CMP)
Mme la Présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
Discussion générale
M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - Nous avions amendé le texte sur quatre points principaux, l'Assemblée nationale nous a d'emblée suivis sur deux d'entre eux.
Le juge de l'application des peines aura la faculté de s'opposer à la suppression, motivée par un refus de soin, d'une réduction de peine supplémentaire pour une personne incarcérée. Seules des sanctions pénales à l'exclusion des mesures éducatives pourront être prises en compte pour l'établissement de l'état de récidive des mineurs, comme nous l'avions souhaité à l'initiative de M. Badinter et des membres du groupe socialiste.
Nous proposions aussi que le président de la juridiction soit obligé d'avertir la personne condamnée pour une première infraction de l'aggravation de la peine encourue en cas de récidive. Les députés, tout en approuvant le principe de cette information, l'ont préféré facultative plutôt qu'obligatoire. Il y a effectivement des cas où un tel avertissement n'est pas adapté : on voit mal, en effet, un président de tribunal avertir, devant les familles des victimes, un assassin condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec 30 ans de période de sûreté, de l'aggravation de sa peine s'il réitérait un tel crime. Nous nous sommes donc accordés sur le caractère facultatif de cet avertissement. Cependant, la formulation retenue par nos collègues députés laissait le juge entièrement libre de l'opportunité de décider ou non d'avertir le condamné, au risque de créer une rupture d'égalité du justiciable devant la loi. Nous avons donc demandé et obtenu que les critères d'appréciation du juge soient précisés au regard des éléments de personnalisation de la peine -à savoir les circonstances de l'infraction et la personnalité de l'auteur qui peuvent, en effet, justifier ou non un avertissement.
Enfin, les députés ont supprimé l'article additionnel par lequel nous obligions le procureur de la République à prescrire une enquête de personnalité avant de prendre une réquisition visant à retenir la circonstance aggravante de récidive. En CMP, nous avons pris acte que cette mesure était pour une large part satisfaite par le droit en vigueur et qu'elle n'était pas indispensable en matière criminelle puisqu'il est difficile de concevoir une instruction sans investigations sur la personnalité de l'auteur. Il reste cependant des cas, en matière correctionnelle, où l'enquête de personnalité n'est pas obligatoire. Madame le garde des sceaux, vous serait-il possible de donner des instructions pour que le procureur prescrive une enquête de personnalité avant de requérir l'application des dispositions relatives aux peines minimales ? Trop souvent, les enquêtes de personnalités ne sont pas réalisées, faute de moyens, alors qu'elles sont prévues. Nous examinerons les pratiques suivies par le ministère public. Si les enquêtes de personnalité n'étaient pas prescrites en cas de sanctions minimales, il faudrait modifier le code de procédure pénale, en disposant, par exemple, qu'une telle enquête est de droit quand le prévenu la demande.
Bien que la disposition relative à l'enquête de personnalité n'ait pas été retenue par la CMP, la loi portera la marque de notre assemblée, c'est satisfaisant.
Ce texte servira efficacement la lutte contre la récidive. (On le conteste sur les bancs socialistes) Mais il doit prendre place dans une action d'ensemble, qui allie prévention et répression. Madame le garde des sceaux, il faut que les décisions de justice soient toutes exécutées, car c'est le meilleur moyen de lutter contre le sentiment d'impunité. Près de 40 % des condamnations à de courtes peines de prison ne sont pas suivies d'effet, faute de moyens -en particulier au greffe, et notamment en raison de l'équipement informatique, ce n'est guère satisfaisant. Il faut également veiller à mobiliser les moyens humains et matériels nécessaires à encourager l'insertion ou la réinsertion des condamnés, en particulier dans les équipes de prévention judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les associations qui oeuvrent pour l'insertion des sortants de prison.
Au bénéfice de ces observations, votre commission vous invite à adopter le texte adopté par la CMP. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Ce texte prend à bras-le-corps le problème de la récidive des majeurs et des mineurs. (M. Bret le conteste) Il répond à une forte attente des Français, exaspérés de l'insécurité, à une légitime attente des victimes et de leurs familles, qui chaque jour nous disent : « Plus jamais ça ! », car elles ne veulent plus que des délinquants commettent à nouveau des faits aussi graves que des viols en réunion, des homicides ou des vols avec violence !
Ce texte tient parole : le Président de la République s'était engagé à instaurer des peines minimales, elles seront inscrites dans notre droit dès cet été. Les règles nouvelles traduisent bien notre conception de la justice : ferme et sereine, claire et équilibrée. La justice est ferme et sereine quand elle donne aux magistrats un outil adapté et gradué pour sanctionner la récidive, quand elle les autorise à prononcer des injonctions de soins indispensables au traitement des délinquants sexuels. Elle est claire quand elle avertit les personnes déjà condamnées de l'aggravation de peine en cas de récidive. La justice est équilibrée, enfin, quand elle maintient, en toutes circonstances, le pouvoir d'appréciation des juges, en particulier au regard des garanties d'insertion ou de réinsertion que présente le prévenu.
Ces qualités fondent la légitimité de la justice, c'est grâce à elles que nous restaurerons la confiance qu'en ont les Français !
Ce projet de loi est la première illustration de cette ambition.
Je remercie votre commission et la CMP pour le sérieux et la rapidité de leur travail...
M. Jean-Pierre Sueur. - Rapidité, le mot est juste !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous avons travaillé dans un bon esprit de coopération. Ce texte porte donc l'empreinte de vos propositions, issues de tous les bancs de la Haute assemblée...
M. Jean-Pierre Sueur. - Presque tous...
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Ainsi, par exemple, la récidive sera retenue uniquement en matière de sanctions pénales. Les mesures ou sanctions éducatives prononcées à l'encontre de mineurs ne seront pas prises en compte. La disposition sera placée dans l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante plutôt que dans le code pénal. Le nouvel article 2 ter concilie l'objectif de pédagogie et de dissuasion et une meilleure individualisation. Je me rallie très volontiers au compromis trouvé. Quant à l'enquête sociale rapide systématique, la CMP a préféré la supprimer : elle est déjà obligatoire dans de nombreux cas... et possible chaque fois que les magistrats le souhaitent. Mais je rappellerai aux parquets la nécessité de recourir plus largement à l'enquête de situation.
M. Jean-Pierre Sueur. - Si l'enquête est nécessaire, pourquoi refuser de l'inscrire dans la loi ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J'ajoute, monsieur le rapporteur, que dès le 1er janvier 2008, les outils de numérisation et de dématérialisation seront mis en place.
Nous sommes parvenus à un texte cohérent et équilibré, qui répond à la volonté d'une justice ferme, claire et sereine. Cette ambition pour la justice, je la porterai à nouveau devant vous, dans les tout prochains jours, avec le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux privatifs de liberté, puis avec d'autres projets à la rentrée. Ensemble, nous oeuvrerons pour que les Français retrouvent confiance en la justice ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Dominique Braye. - Bravo !
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Ce projet de loi a été adopté en un temps record et n'a quasiment pas évolué au cours de l'examen parlementaire. Le Président de la République avait promis, durant la campagne électorale, qu'il ferait adopter rapidement des peines automatiques et supprimerait « l'excuse de minorité » pour les 16 à 18 ans. Le Parlement n'avait d'autre choix que de graver dans le marbre législatif la parole présidentielle, comme si rien n'avait été prévu par de précédentes lois. La mission d'information de juillet 2004 n'a-t-elle jamais existé ? La loi du 12 décembre 2005 jamais été adoptée ? La loi de juin 1998 sur suivi socio-judiciaire serait une chimère ? Il faut dire que rien n'est fait pour l'appliquer. Je m'étonne que les parlementaires acceptent aujourd'hui les peines planchers alors qu'ils les ont toujours refusées durant la précédente législature. Quelle contradiction entre votre position d'aujourd'hui et le rapport de la mission d'information de juillet 2004 sur le traitement de la récidive des infractions pénales. M. Zocchetto, en 2005, indiquait : « On perçoit mal l'intérêt pratique et juridique qu'il y aurait à proposer le rétablissement de ce mécanisme ».
La loi du 12 décembre 2005 renforce déjà les sanctions à l'encontre des récidivistes. Aucun élément objectif ne justifiait un nouveau texte ; nous ne connaissons pas encore les effets de la loi de 2005. Cette huitième loi pénale depuis 2002 traduit seulement une promesse électorale. Les peines planchers et le durcissement de la réponse judiciaire envers les mineurs étaient des promesses phares.
Pour d'évidentes raisons constitutionnelles le projet de loi n'instaure ni peines automatiques ni remise en cause de l'atténuation de responsabilité pénale. Il n'en reste pas moins dangereux : il entretient le climat de suspicion à l'encontre des juges ; il remet en cause les principes fondamentaux de notre ordre judiciaire et notre Constitution ; il met en péril la prise en charge sociale et éducative des mineurs en difficulté et délinquants. Le gouvernement invoque la dissuasion. Mais si une corrélation existait entre la peur de la sanction et l'acte répréhensible, le crime et la délinquance auraient été éradiqués ! Qui croit encore à l'effet dissuasif de la peine de mort ?
Ce texte se fonde sur l'idée que la justice serait laxiste. Mais les peines prononcées sont plus sévères que les peines planchers prévues ! Comme le soulignait M. Zocchetto en 2005 (M. le rapporteur sourit), l'emprisonnement ferme est prononcé pour 57 % des cas de récidive, contre 11 % pour une première infraction. Vos peines minimales sont inutiles. Pourquoi cette défiance à l'encontre des magistrats ? Le problème est bien plutôt celui de la non exécution des décisions de justice ! On lit dans le rapport de la mission de 2004 : « pour lutter plus efficacement contre la récidive, il est préférable de prononcer des sanctions immédiatement appliquées dès la première infraction afin de produire un choc psychologique (...) plutôt que de recourir ultérieurement à des peines alourdies exécutées tardivement. » Mais le gouvernement préfère agir sur ce qui est visible, médiatique : l'alourdissement des sanctions... quitte à battre en brèche le principe d'individualisation de la peine. En cas de seconde récidive, la juridiction ne pourra prononcer une peine inférieure aux peines planchers que si l'accusé présente des garanties « exceptionnelles » d'insertion ou de réinsertion. Or il sera bien difficile au juge d'apprécier de telles garanties...
La prochaine étape sera-t-elle celle des peines automatiques ? On impose déjà aux magistrats un renversement de la philosophie pénale : historiquement, les juges, garants des libertés fondamentales, devaient motiver les décisions attentatoires aux libertés ; à présent, il leur faudra motiver la liberté ! La justice des mineurs n'échappe pas à la déferlante répressive. Nous connaissons l'obsession du Président de la République à propos des mineurs délinquants : de plus en plus violents, de plus en plus jeunes, multirécidivistes...
M. Dominique Braye. - Eh oui...
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il est faux, encore, d'affirmer que la justice des mineurs est laxiste : 88 % de réponse pénale, 80 % de détention provisoire ! En revanche, quel silence gouvernemental sur des sujets tels qu'une augmentation des moyens donnés au secteur social et éducatif et à la PJJ. C'est que tous les crédits vont au secteur carcéral. Il est tout aussi faux de laisser croire qu'un mineur ne peut aujourd'hui être jugé comme un majeur : l'ordonnance de 1945, avant même d'être modifiée par la loi du 5 mars 2007, donnait déjà la faculté d'exclure le principe de l'atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs de 16 à 18 ans. Le Président de la République veut abaisser l'âge de la majorité pénale à 16 ans.
M. Dominique Braye. - Vous mélangez tout.
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Ce serait une régression grave au regard de notre tradition républicaine, de nos engagements internationaux. La plupart de nos voisins ont fixé cette majorité à 18 ans, voire à 21 ans ; et certains prévoient que les jeunes adultes puissent être jugés comme des mineurs compte tenu de leur développement mental.
L'atténuation de responsabilité pénale a en outre été consacrée par le Conseil constitutionnel dans une décision de 2002, tout comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées.
Avec des contours de plus en plus flous, la justice des mineurs finit par perdre sa spécificité, donc par se confondre avec celle des majeurs. Le gouvernement sous-entend que la récidive des mineurs est identique à celle de majeurs, puisque les peines planchers sont les mêmes. Déjà, la loi du 12 décembre 2005 supprimait toute distinction entre majeurs et mineurs. Pourtant, un mineur n'est pas un majeur ! En particulier, les peines planchers n'ont aucun effet dissuasif sur des personnes n'ayant pas conscience réelle de la peine encourue.
Par ailleurs, les mineurs récidivent moins qu'ils ne réitèrent. Lorsqu'un juge des enfants ordonne une mesure d'assistance éducative, des mois passent souvent avant qu'elle ne devienne effective. Pendant ce laps de temps, les mineurs courent le plus de risques de réitérer.
Les solutions sont connues. Ce texte ne changera rien à la délinquance ni à la récidive des mineurs. Alors que l'urgence dicte de renforcer les services éducatifs et la prise en charge immédiate en milieu ouvert, le gouvernement propose de réformer encore l'ordonnance de 1945 en portant atteinte à nos principes constitutionnels et aux engagements internationaux de la France. La Convention internationale des droits de l'enfant dispose ainsi que tout enfant a droit à un traitement prenant en compte son âge et que l'enfermement ne doit intervenir qu'en dernier recours.
Au-delà même des principes constitutionnels, nous ne pouvons renoncer à éduquer nos enfants, mêmes récidivistes. Afficher la prison comme seule remède à leur délinquance marque l'échec de notre société à les accompagner vers l'insertion sociale.
J'en viens au troisième dispositif du projet de loi : l'extension de l'injonction de soins. (Marques d'impatience à droite)
Tout d'abord, je considère avec suspicion le fait de présenter le recours aux médicaments comme seul remède à la délinquance, notamment sexuelle.
En outre, le projet de loi limite encore une fois la liberté d'appréciation du juge : en pratique, l'opinion de l'expert s'imposera.
De plus, il est paradoxal de subordonner à l'injonction de soins les réductions de peine et les libérations conditionnelles, car ces deux aménagements ont prouvé leur efficacité pour prévenir la récidive.
Enfin, les professionnels de santé insistent sur le fait que le soin contraint n'existe pas. Or, votre texte écarte l'adhésion aux soins : seul pourra bénéficier d'aménagement de peine le détenu qui les accepte. En définitive, ce dispositif risque d'allonger la durée de détention, ce qui est contreproductif pour combattre la récidive.
En conclusion, les effets pervers du projet de loi accroîtront le nombre de détenus -majeurs ou mineurs- et allongeront les durées de détention. Je regrette l'échec subi même par les timides tentatives du rapporteur pour atténuer le nouveau dispositif. Nous ne voterons pas ce texte ! (Applaudissements à gauche ; marques d'ironie à droite)
M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le rapporteur, je commencerai par souligner l'avancée importante proposée par le Sénat à l'article 2 bis. Je regrette que votre rétropédalage -effectué avec le concours actif du président de la commission- n'ait pas permis de maintenir l'article, ce qui nous avions prévu pour les enquêtes de personnalité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Je ne dispose que d'une voix parmi d'autres.
M. Jean-Pierre Sueur. - Mais une voix éminente !
Monsieur le rapporteur, votre rapport présenté en première lecture défendait cette mesure avec beaucoup de conviction : elle devait « donner pleine effectivité au pouvoir d'appréciation reconnue aux juges par le projet de loi ». L'argumentation était d'ailleurs curieuse, puisque les peines planchers restreignent singulièrement ce pouvoir d'appréciation, malgré quelques dispositions destinées à éviter les foudres du Conseil constitutionnel... Vous souhaitiez donc atténuer la portée des requêtes que pourrait formuler le ministère public s'il n'avait pas demandé au préalable une enquête de personnalité. Vous aviez même cité le président de la chambre criminelle de la Cour de Cassation, pour qui les garanties de réinsertion devaient être appréciées le moins de temps possible avant le prononcé de la condamnation. M. Badinter a également insisté sur la nécessité de mettre à disposition du juge une enquête de personnalité récente : réalisée après la première infraction, elle ne présente guère d'utilité si la récidive survient quatre ans plus tard.
Madame le garde des sceaux, vous dites que cette enquête de personnalité est nécessaire. Alors, pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi ?
Enfin, votre projet ne comporte pas de disposition permettant de combattre la récidive.
M. Dominique Braye. - C'est votre avis !
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est donc normal que je l'expose.
Incontestablement, les peines planchers limitent le pouvoir d'appréciation des magistrats.
M. Dominique Braye. - Vous êtes loin du peuple ! Rester comme ça !
M. Robert Bret. - Assez de populisme !
M. Jean-Pierre Sueur. - En outre, aucune corrélation n'est établie entre la durée de détention et l'absence récidive. À l'inverse, il y a une forte corrélation entre les conditions de détention, le travail de réinsertion sociale et professionnelle, les mesures alternatives à la détention d'une part et l'absence de récidive d'autre part : plus les prisons sont surpeuplées, moins on évite les récidives. Depuis la première lecture, nous demandons pourquoi le texte reste muet sur l'accompagnement ou le suivi social et sur les alternatives à la détention, alors que ces dispositifs ont fait la preuve de leur efficacité pour lutter contre la récidive. Pourquoi optez-vous pour l'incarcération, qui ne sert pas votre objectif ? Vous n'avez pas répondu.
Vous savez que les mesures introduites dans le texte à propos des mineurs sont inadaptées : il faut pour eux non des prisons, mais des centres éducatifs fermés. Il n'y en a qu'un pour toute l'Ile-de-France, qui ne peut même pas accueillir un jeune de 16 à 18 ans pour chaque département de la région ! Plutôt que de modifier la législation, il faudrait accroître le nombre de ces centres. Votre texte ne sera d'aucune utilité à cet égard, mais il comporte des dispositions que les magistrats estiment dangereuses.
J'en viens à l'injonction de soins.
Il y a dans cette affaire bien des présupposés. C'est parfois indispensable d'y recourir, mais ne laissons pas croire que les troubles profonds de la personnalité puissent être réglés par des médicaments. Présenter l'injonction de soins comme une panacée serait céder à la tentation hygiéniste.
Mais, même en acceptant votre philosophie en la matière, comment ne pas entendre les magistrats ?
M. Dominique Braye. - Nous entendons le peuple français !
M. Jean-Pierre Sueur. - Dès lors qu'un expert aura préconisé cette injonction, le juge sera tenu de l'ordonner. Devront ensuite intervenir le médecin coordonnateur et le psychiatre. Or, les magistrats insistent sur le manque cruel d'experts, de médecins coordonnateurs et de psychiatres. L'urgence n'était pas de présenter cette loi -élaborée pour des raisons d'affichage politique- mais de créer des postes, notamment de psychiatres, dans les prisons.
M. Dominique Braye. - L'un n'empêche pas l'autre !
M. Jean-Pierre Sueur. - Je regrette que votre premier texte présenté au Parlement dévoie la procédure, puisqu'il n'est qu'une loi d'affichage...
M. Alain Gournac. - Pas du tout !
M. Dominique Braye. - Que 70 % des Français approuvent !
M. Jean-Pierre Sueur. - ...n'apportant rien à la lutte efficace contre la récidive, tout en méconnaissant nos principes. (Applaudissements à gauche)
M. Dominique Braye. - Vous est bien loin des Français !
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Braye le bien nommé.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Le groupe UMP, qui ne pense absolument pas qu'il s'agit d'une loi d'affichage, vous apportera son entier soutien...
M. Bernard Frimat. - Quelle surprise !
M. Robert Bret. - Évidemment !
M. Jean-Pierre Fourcade. - L'excellent travail de la commission des lois, que notre rapporteur nous a très bien exposé, a permis à la commission mixte paritaire de réaliser des avancées substantielles et au Sénat d'apporter des modifications importantes à ce texte. Nous devons remercier le président et le rapporteur de la commission des lois (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) pour leur travail utile.
Je tiens également à rendre à notre garde des sceaux l'hommage qui lui est dû, parce qu'elle a su défendre avec détermination et pugnacité ce texte particulièrement important et attendu par nos concitoyens...
M. Dominique Braye. - Très attendu !
M. Jean-Pierre Fourcade. - ... qui répond à l'un des engagements forts du Président de la République en faveur de la sécurité des personnes et des biens.
Quand j'entends dire que seules des considérations juridiques ou le sentiment des magistrats doivent nous guider, moi qui suis un homme de terrain...
M. Alain Gournac. - Eh oui ! Ce n'est pas le cas des adversaires de ce texte. (Nouvelles protestations à gauche)
M. Jean-Pierre Fourcade. - ...et qui connais, dans des zones urbaines sensibles, des problèmes difficiles de récidive, depuis plusieurs années, concernant des majeurs comme des mineurs, je tiens à affirmer que ce texte est utile et que nous allons le voter de gaieté de coeur.
Ce texte, madame le garde des sceaux, est équilibré, car il concilie la nécessaire fermeté face aux récidivistes avec le respect des principes constitutionnels d'individualisation des peines et d'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. La commission y a veillé. Le résultat qui sort des travaux de la commission mixte paritaire est donc tout à fait satisfaisant.
Face à ceux qui pourraient être tentés de croire que ce texte n'est pas utile, je tiens à en rappeler les trois axes : l'instauration de peines planchers de prison, qui dote la récidive d'un régime juridique spécifique ; l'exclusion de l'excuse de minorité pour les multirécidivistes violents de plus de 16 ans ; l'obligation de recourir au régime juridique et judiciaire instauré par cette loi pour les infractions les plus graves, notamment les violences sexuelles, dont nous savons tous, nous qui sommes, sur le terrain, au contact avec les populations, qu'elles ne cessent d'augmenter...
M. Dominique Braye. - (Désignant les bancs socialistes) Ils ne le savent pas, eux !
M. Jean-Pierre Fourcade. - ...et que ce texte apporte ainsi des réponses attendue par nos concitoyens.
M. Alain Gournac. - En effet !
M. Jean-Pierre Fourcade. - Je me réjouis que la commission mixte paritaire ait adopté la proposition de notre excellent rapporteur, tendant à faire, quand les circonstances et la personnalité de l'auteur le justifient, de l'avertissement, par le président de la juridiction, du condamné sur les conséquences d'une récidive ultérieure, une obligation plutôt qu'une simple faculté. Trop souvent en effet, les délinquants, notamment les jeunes, ignorent qu'ils encourent une aggravation de la peine en cas de récidive.
Le groupe UMP votera ce projet de loi, attendu par nos concitoyens...
M. Alain Gournac. - Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. - ... parce qu'il marque de réelles avancées dans la répression des infractions.
Nous savons tous, sur le terrain, combien les multirécidivistes se pavanent. Trop souvent, hélas, comme l'a dit M. Sueur et sur ce point je suis d'accord avec lui, on ne s'occupe pas suffisamment de l'application des peines pour un certain nombre de jeunes mineurs, je pense en particulier aux travaux d'intérêt général, ou aux mises sous tutelle ; il n'y a pas non plus de remontée vers les familles, pour voir si nous sommes en présence de problèmes familiaux, psychologiques, ou purement et simplement délictuels.
Complété par les instructions que vous aller donner à l'ensemble des procureurs, ainsi que par le travail que vont faire les maires qui sont désormais au coeur du dispositif de prévention, ce texte est bon et je tenais à le dire de cette tribune pour que nous ne nous contentions pas de discussions juridiques : attention aux discussions sur le sexe des anges...
M. Dominique Braye. - Les socialistes en sont spécialistes !
M. Jean-Pierre Fourcade. - ... car ce qui doit primer, en politique, ce sont les attentes concrètes de nos concitoyens ! (« Très bien ! » et applaudissements au centre à droite)
Explications de vote
M. Yves Détraigne. - Je vais voter ce texte symbolique et attendu, même si je considère que la version qui nous est aujourd'hui soumise est moins complète et moins intéressante que la version sur laquelle nous nous étions prononcés le 5 juillet. Mais puisqu'il faut passer par un compromis, je m'en contenterai.
Ce texte ne suffira pas à lui seul à régler le problème de la récidive si on ne l'accompagne pas de mesures essentielles.
Il faut en premier lieu veiller à l'application effective des peines prononcées à l'encontre des primo-délinquants. Faute de quoi, ils s'installent très vite dans le sentiment qu'ils sont intouchables et récidivent.
En second lieu, il importe de transformer assez rapidement notre système pénitentiaire. Il faut qu'on lui donne les moyens d'être non pas seulement un lieu de détention, un lieu d'enfermement, mais surtout un lieu de réinsertion : il faut en finir avec les sorties non préparées, les sorties « sèches »...
M. Jean-Pierre Sueur. - Évidemment !
M. Yves Détraigne. - Cela demandera beaucoup de moyens. Dans le contexte budgétaire actuel, il faudra faire valoir que nous sommes là au coeur de la fonction même de l'État, de sa fonction régalienne par excellence, et s'il y a des arbitrages difficiles, importants à rendre, au moment où l'on prépare le projet de loi de finances pour 2008, ils ne doivent pas se faire au détriment de la justice et particulièrement de notre système pénitentiaire.
En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois sur une partie de vos crédits, vous pourrez compter sur mon soutien, madame le garde des sceaux, pour vous permettre d'établir le meilleur budget possible, pour donner les moyens nécessaires à notre système pénitentiaire, afin que la loi que nous allons voter réponde effectivement aux attentes de nos concitoyens. (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite)
M. Robert Badinter. - M. Sueur a très bien exprimé les raisons pour lesquelles le groupe socialiste ne votera pas cette loi. Mon intervention portera sur la méthode.
Nous avons longuement débattu de la récidive en 2005 : c'était hier. C'était la même majorité. À l'issue de ces débats, une loi a été votée, dont l'objet était de lutter contre la récidive...
M. Michel Charasse. - Ce sont des récidivistes !
M. Robert Badinter. - Si l'on nous présente, en 2007, une autre loi, c'est que la même majorité a échoué dans son oeuvre. Je rappelle qu'avait été instituée, ce qui est normal, éclairant, par le garde des sceaux précédent, une commission d'analyse de suivi de la récidive. À quoi bon voter des lois, les unes après les autres -nous en sommes à quatre !- pour lutter contre la récidive, si l'on ne connaît pas le résultat de ces lois.
En 2007, donc, le législateur revient à la charge. Nous avons délibéré en commission, puis en séance, début juillet, et j'ai, enfin, reçu le rapport établi par la commission d'analyse de suivi la récidive (L'orateur montre le document) : il date du 28 juin 2007 ! Qui l'a lu ? Personne...
On n'a pas estimé qu'il eût été mieux, avant de voter, d'attendre les résultats des travaux de cette commission, instituée par le précédent gouvernement pour apprécier les effets des lois précédentes, afin que le Parlement se prononce en meilleure connaissance de cause. Pourquoi ? Est-on vraiment à quinze jours ou à un mois près ?
MM. Dominique Braye et Gérard César. - Oui !
M. Robert Badinter. - Il aurait fallu analyser les conclusions de cette commission, sinon à quoi sert-elle, si l'on considère que son travail a si peu d'importance qu'il ne mérite pas d'être communiqué au président Hyest.
Le rapport, pourtant, est explicite. Chacun soigne comme il le peut ses insomnies : j'ai lu le rapport en son entier. Il permet de comprendre la vanité du texte que vous allez adopter dans un instant, dans la mesure où l'économie de celui-ci tend à considérer la récidive comme un problème général et l'emprisonnement, l'accroissement de la longueur des peines comme une panacée. À la page 17 du rapport, c'est une conclusion contraire qui se dégage : « il n'y a pas de modèle unique de la récidive, mais des formes de récidive, phénomène à expressions multiples ». Et de conclure : « il y a par conséquent une très grande difficulté à élaborer une définition cursive de la récidive, qui permettrait d'en déduire des mesures universelles à mettre en oeuvre pour la combattre. Ainsi, la mesure communément prise pour la réduire -et j'ajoute que nous en savons quelque chose dans la dernière législature, à savoir l'aggravation des peines encourues- n'a jamais démontré à ce jour qu'elle a fait reculer le phénomène. »
Après avoir analysé longuement la pratique et les résultats obtenus dans les pays anglo-saxons qui ont eu recours aux peines planchers, la conclusion est aussi claire que possible : qu'il s'agisse des mineurs ou des majeurs, la sévérité accrue des peines ne permet pas, dans la plupart des cas, de réduire les cas de récidive.
M. Jean-Pierre Sueur. - Et voilà !
M. Robert Badinter. - L'idée selon laquelle les peines planchers dissuaderaient les mineurs de réitérer est sans fondement dans les faits. Or c'est pourtant exactement ce que vous faites aujourd'hui ! Vous copiez l'échec du modèle anglo-saxon. (Exclamations à droite)
M. Dominique Braye. - Arrêtez de penser ! Agissez !
M. Robert Badinter. - En vérité, il faut diversifier la lutte contre la récidive et permettre aux magistrats d'individualiser les peines. Le recours à des peines d'emprisonnement pour les multirécidivistes auteurs de petites infractions, loin de réduire la récidive, l'augmente !
Je vous le dis : c'est un texte de pompier pyromane que vous vous apprêtez à voter, mes chers collègues ! (Applaudissements à gauche)
M. Hugues Portelli. - Aux arguments développés par M. Fourcade, je veux ajouter que le droit pénal est un droit régalien et il importe que le législateur en ait la maîtrise intégrale. Le travail des juges ne doit consister qu'à appliquer, avec discernement, bien sûr, la règle que nous votons.
Ensuite, la commission mixte paritaire n'a pas maintenu ce que le Sénat avait prévu pour les enquêtes de personnalité. Il reviendra donc au garde des sceaux de rappeler, par circulaire, dans quel esprit les procureurs devront travailler. Nous vous faisons confiance, madame la garde des sceaux, pour définir la politique pénale de notre pays en fournissant aux parquets une feuille de route précise.
Bien évidemment, nous voterons votre texte. (Applaudissements à droite)
Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs)