La commission d'enquête, de tradition fort ancienne, est l'un des instruments à la disposition des assemblées parlementaires pour recueillir des informations et contrôler l’action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d’investigation spécifiques qui lui sont reconnus.
Régies par les dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les commissions d’enquête sont explicitement mentionnées, depuis la révision de 2008, dans le texte de la Constitution, dont l’article 51-2 dispose : « Pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation définies au premier alinéa de l'article 24, des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information. La loi détermine leurs règles d'organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création sont fixées par le règlement de chaque assemblée ».
Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'informations :
- soit sur des faits déterminés ;
- soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales.
Bien souvent, la création d’une commission d'enquête intervient en réponse à des faits ou des situations particulièrement sensibles dans l'opinion publique et justifiant une évaluation approfondie du Parlement.
Deux évolutions importantes ont concouru au succès et à l'efficacité de cette formule :
- l'accroissement des moyens d'investigation des commissions d'enquête qui leur permet, le plus souvent, d'obtenir des renseignements nécessaires à leur enquête ;
- l'ouverture de leurs auditions à la publicité, à l'instar des enquêtes parlementaires conduites dans plusieurs Etats étrangers (les Etats-Unis notamment).
La procédure de création des commissions d'enquête
La création d'une commission d'enquête est initiée par le dépôt d'une proposition de résolution, déposée par un ou plusieurs sénateurs, exposant les motifs qui ont conduit son ou ses auteurs à demander la constitution de ladite commission et précisant son objet. Cette proposition doit déterminer «avec précision», soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion. La proposition de résolution est renvoyée à la commission permanente compétente en fonction de l'objet de la proposition, qui désigne un rapporteur. La commission d'enquête est créée par l'adoption par le Sénat de cette résolution.
Depuis la réforme du Règlement de 2009, une commission d’enquête peut également être créée sans passage de la proposition de résolution en séance plénière, dans le cadre du « droit de tirage » annuel exercé par un groupe politique. Dans ce cas, la Conférence des Présidents prend acte de la demande, sous la réserve qu’elle intervienne au plus tard une semaine avant sa réunion.
A - Un préalable : le respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire
1 - Le principe
Que la création de la commission d’enquête soit soumise à l’approbation du Sénat ou qu’elle résulte de l’exercice de son « droit de tirage » annuel par un groupe politique, elle suppose un examen préalable de sa recevabilité qui est effectué par la commission des lois.
La recevabilité s’apprécie au regard de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, aux termes duquel :
- « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales » ;
- « il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours », interdiction qui repose sur le principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire consacré par la Constitution (d'ailleurs, si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter) ;
- et les commissions d’enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ».
Dans la pratique, l'intervention de la commission des lois consiste avant tout à vérifier, lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des faits, l'absence de poursuites judiciaires sur les faits en cause. À cette fin, le président du Sénat, saisi par le président de la commission des lois, interroge le ministre de la justice sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires. Sa réponse est transmise au président de la commission des lois et permet ainsi à la commission de se prononcer, dans le cadre d’un rapport écrit, sur la recevabilité de la demande de création de la commission d’enquête.
2 - La mise en œuvre du principe
Le problème de la délimitation précise des domaines respectifs de l'enquête parlementaire et des investigations judiciaires s'avère très délicat et a donné lieu à l'instauration d'une jurisprudence assez complexe. C'est ainsi qu'en décembre 1971, lors de l'examen de la proposition de résolution tendant à constituer une commission d'enquête sur le fonctionnement des sociétés civiles de placement immobilier, le Garde des Sceaux avait indiqué qu'à son sens :
« 1) l'existence d'une enquête préliminaire, aussi bien que celle d'une information, fait obstacle à la création d'une commission d'enquête parlementaire visant les mêmes faits ;
« 2) par contre, seule l'ouverture d'une information judiciaire au sens strict obligerait une commission d'enquête parlementaire précédemment créée et saisie des mêmes faits à mettre fin à ses travaux, tandis qu'elle pourrait les poursuivre à l'égard de faits qui donneraient seulement lieu postérieurement à une enquête préliminaire diligentée par le ministère public. »
Dans le même ordre d'idées, des poursuites intentées devant la Cour de discipline budgétaire ne sont pas de nature à interrompre les travaux d'une commission d'enquête.
L'Assemblée nationale a estimé que « l'existence de poursuites judiciaires n'était pas un obstacle à la création d'une commission d'enquête parlementaire, dès lors que se trouvent écartés de son champ d'application ceux des faits qui ont donné lieu à des poursuites ». De la même façon, le Sénat, lors de la création de la commission d'enquête sur les quotas laitiers en novembre 1991, a considéré que contrairement à l'opinion exprimée par le Garde des Sceaux en 1971, le « début des poursuites » était juridiquement caractérisé par la saisine d'une juridiction d'instruction ou de jugement, et que dès lors, une simple enquête préliminaire n'était pas de nature à faire obstacle à la création d'une commission d'enquête parlementaire.
Dans certains cas, la réponse du Garde des Sceaux demeure assez imprécise. En tout état de cause, c'est à l'assemblée saisie qu'il appartiendra d'apprécier si elle peut procéder à l'enquête sans empiéter sur les compétences de l'autorité judiciaire. C'est ainsi qu'à l'occasion de l'examen des propositions de résolution consécutives à l'échouement du pétrolier « Amoco Cadiz », le Garde des Sceaux avait mentionné les différentes procédures en cours mais avait laissé au Sénat le soin d'apprécier si les conditions de création d'une commission d'enquête étaient effectivement satisfaites.
De même, le 29 mai 1991, le Garde des Sceaux a indiqué au Président du Sénat, à propos de l'éventuelle constitution d'une commission d'enquête sur le financement des partis politiques, qu'au cas où la commission découvrirait elle-même dans ses investigations des faits susceptibles de relever de procédures judiciaires en cours, il appartiendrait à son président ou à son rapporteur d'interroger à nouveau le ministre de la justice. Dans la même réponse, le Garde des Sceaux indiquait en outre qu'à son sens, rien ne s'opposait à ce qu'une commission d'enquête fasse porter ses investigations sur des faits susceptibles d'être amnistiés.
B - Décision du Sénat ou de la Conférence des Présidents
Lorsque la demande de création de la commission d’enquête ne résulte pas de l’exercice du droit de tirage annuel d’un groupe politique, dès que la commission saisie au fond de la proposition de résolution en a achevé l'examen et que la commission des lois a émis son avis sur sa recevabilité, la Conférence des Présidents peut proposer à l'assemblée d'inscrire celle-ci à l'ordre du jour du Sénat. Celui-ci est alors appelé à discuter le texte élaboré par la commission saisie au fond ou, à défaut, lorsque la commission ne présente aucune conclusion ou si les conclusions négatives de la commission sont rejetées, le texte initial de la proposition de résolution.
Si le Sénat approuve la création de la commission d'enquête, il est procédé à sa constitution.
Lorsque la demande de création de la commission d’enquête résulte de l’exercice du droit de tirage annuel d’un groupe politique, la Conférence des Présidents en prend acte, après avoir entendu l’avis de la commission des lois sur sa recevabilité, et elle fixe la date de la désignation de ses membres.
C - Constitution de la commission d'enquête
Une commission d'enquête ne peut comporter plus de vingt-trois membres désignés dans les mêmes conditions que ceux des commissions permanentes ; établissement d'une liste par les présidents de groupes et le délégué des non-inscrits, conformément à la règle de la proportionnalité, affichage et ratification au terme d'un délai d'une heure sauf opposition en séance. Toutefois, lorsque la demande ne résulte pas de l’exercice du droit de tirage annuel d’un groupe politique, la Conférence des Présidents peut exceptionnellement autoriser un effectif supérieur dans la limite de l’effectif minimal des commissions permanentes.
Le fonctionnement des commissions d'enquête
A - Règles générales
La commission d'enquête est convoquée par le Président du Sénat pour une première réunion au cours de laquelle elle nomme son Bureau. Elle procède ensuite à la désignation d'un ou plusieurs rapporteurs ; certaines commissions ont retenu d'autres formules en désignant soit un rapporteur général et des rapporteurs spéciaux, soit un rapporteur et plusieurs rapporteurs adjoints. Outre les règles particulières qui les régissent, les commissions d'enquête organisent leurs travaux par référence aux autres règles applicables aux commissions permanentes.
Lorsque la création de la commission d’enquête résulte de l’exercice par un groupe politique de son « droit de tirage » annuel, la fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres.
La mission des commissions d'enquête a un caractère temporaire : elle prend fin par le dépôt de leur rapport et, au plus tard, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées. Elles ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ; du fait du silence des textes, il faut supposer que ce délai d'un an s'apprécie pour chaque assemblée en fonction des commissions qu'elle aura elle-même constituées précédemment, sans tenir compte d'une commission d'enquête que l'autre assemblée aurait pu constituer avec le même objet dans l'année précédente.
B - Les pouvoirs d'investigation des commissions d'enquête et de leurs rapporteurs
1 - Les pouvoirs des commissions d'enquête
Les commissions d'enquête disposent d'un droit de citation. Toute personne dont une commission a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission ; elle est également tenue de prêter serment et de déposer. Dans certains cas limitativement énumérés par l’ordonnance du 17 novembre 1958 (infractions à caractère économique), les personnes auditionnées peuvent être déliées du secret professionnel.
Ces obligations sont assorties de sanctions pénales : la personne qui refuse de comparaître, de prêter serment, de déposer ou de communiquer les documents demandés, est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7 500 €, et, le cas échéant, de l'interdiction de l'exercice des droits civiques pour une durée de deux ans. Les sanctions prévues par le code pénal en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin sont par ailleurs applicables aux enquêtes parlementaires. Dans tous les cas, les poursuites judiciaires sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de celle-ci a été publié et que la commission n'a plus d'existence, à la requête du Bureau du Sénat.
En pratique, la plupart des commissions d'enquête complètent leur information par des déplacements, en France et à l'étranger.
2 - Les pouvoirs spécifiques des rapporteurs
Ces derniers disposent en particulier des prérogatives reconnues aux commissions des finances des deux assemblées du Parlement :
- le Premier président de la Cour des comptes peut donner connaissance aux commissions d'enquête des constatations et observations de la Cour ;
- les commissions d'enquête ont la faculté de demander à la Cour des comptes des enquêtes sur la gestion des services ou organismes qu'elle contrôle.
Les rapporteurs des commissions d'enquête sont par ailleurs habilités à exercer leurs missions sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs.
C - Publicité des travaux des commissions d'enquête
Les auditions auxquelles procèdent les commissions d'enquête sont publiques.
Les commissions organisent cette publicité par les moyens de leur choix. Toutefois, elles peuvent décider que les auditions, ou certaines d'entre elles, seront tenues à huis clos. En revanche, les autres travaux - notamment l'examen du rapport - sont secrets.
Les sénateurs, les groupes et le Gouvernement sont informés, par voie électronique, du dépôt du rapport d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information ayant bénéficié de pouvoirs d'enquête. Si une demande de constitution du Sénat en comité secret n'a pas été formulée dans un délai de vingt-quatre heures suivant cette mesure de publicité, le rapport est publié. Ce délai est prolongé dans la limite de quatre jours à la demande du Président du Sénat, du président ou du rapporteur de la commission d'enquête ou de la mission d'information ou d'un président de groupe. Les sénateurs et les groupes en sont informés, par voie électronique. Dans tous les cas, les membres de la Conférence des Présidents ou le représentant du Gouvernement peuvent consulter le rapport dans le bureau du Secrétaire général de la Présidence (III du chapitre V de l'IGB du Sénat).
La divulgation ou la publication, dans le délai de 25 ans, d'une information couverte par le secret est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.
Par ailleurs, le membre d'une commission d'enquête qui n'aura pas respecté la règle du secret pourra être exclu de la commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après avoir entendu l'intéressé.
L’attribution aux commissions permanentes des prérogatives des commissions d'enquête
L’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires a été complétée en 1996 d’un article 5 ter permettant aux commissions permanentes ou spéciales de demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois, de leur conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.
Dans ce cas, le Sénat en est préalablement informé par son Président puis statue sur la demande après que la commission des lois ait émis un avis sur sa recevabilité.
La commission désigne alors un ou des rapporteurs et ses travaux obéissent aux règles applicables aux commissions d’enquête s’agissant des pouvoirs d’investigation et du régime de publicité.