Discours prononcé par M. Christian PONCELET, Président du Sénat, lors de l'inauguration de l'Esplanade Gaston Monnerville
Monsieur le Maire de Paris,
Monsieur le Maire du 6ème arrondissement,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Chers collègues,
Monsieur le Président de la Société des amis du Président Gaston Monnerville, cher Roger LISE,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
La cérémonie qui nous rassemble aujourd'hui sonne pour nous, sénateurs, comme une victoire face à l'injustice de l'oubli.
Il y avait effectivement longtemps que nous cherchions, les uns et les autres, et tout particulièrement Roger LISE que je remercie de son opiniâtreté, à honorer la mémoire de Gaston MONNERVILLE d'une manière qui soit à la fois digne du personnage et fidèle à ce qu'il fut.
Je suis très heureux qu'une solution proche du Sénat ait pu être retenue. Car c'est au Conseil de la République, au Sénat, au Sénat de la Communauté, la « vraie » maison de Gaston MONNERVILLE, qu'il a donné la pleine mesure de sa personnalité hors norme et de sa stature d'homme d'Etat.
Je suis d'autant plus fier de rendre hommage au « sang mêlé » Gaston MONNERVILLE qu'il fut le premier homme de couleur -et le seul encore à ce jour- à avoir occupé des responsabilités aussi éminentes dans notre République.
Je suis d'autant plus fier de rendre hommage au mulâtre de sang noir Gaston MONERVILLE que le Président de la République lui-même est venu inaugurer, le 10 mai dernier, dans le Jardin du Luxembourg, dans l'enceinte du Sénat de la République, la première Journée commémorative du souvenir de l'esclavage et de son abolition.
Résonnent encore en nous, dans nos âmes et dans nos consciences, les mots violents, fracassants, torturés d'Aimé CESAIRE extraits du « Cahier d'un retour au pays natal », prononcés avec passion par le comédien Jacques MARTIAL lors de cette cérémonie très émouvante.
Gaston MONNERVILLE, cet orateur hors pair, cet avocat redouté, aurait apprécié la performance théâtrale ; le pourfendeur du racisme aurait aussi, à l'évidence, communié avec nous dans cette célébration contre l'oubli et l'indifférence.
Je suis, enfin, d'autant plus fier de rendre hommage au sénateur d'outre-mer Gaston MONNERVILLE que c'est encore au Sénat que, le 10 mai 2001, a été adoptée, à l'unanimité, la loi qualifiant l'esclavage de crime contre l'humanité.
Ce faisant, nous avons fait oeuvre de mémoire et de justice. Gaston MONNERVILLE n'aurait pas désavoué ces gestes symboliques de reconnaissance, lui qui s'est tant battu pour la dignité des peuples d'outre-mer et les droits de l'Homme.
Je me réjouis tout particulièrement que vous ayez accepté, Monsieur le Maire de Paris, de répondre au voeu légitime formé par la Société des amis du Président Gaston Monnerville, et appuyé par le Sénat tout entier, d'attribuer le nom de mon illustre prédécesseur à ce square, si proche du Sénat.
Vous ne serez pas surpris, chers amis, que le Président du Sénat évoque quelques instants la mémoire du « sénateur » MONNERVILLE, ou plutôt du « Président » MONNERVILLE puisqu'il ne fut, de 1946 à 1968, que président, à quelques mois près.
L'histoire de ses présidences se confond avec l'Histoire politique de notre pays et de ses régimes politiques successifs.
Homme politique d'expérience avant-guerre, c'est son action héroïque dans la Résistance qui ouvre à Gaston MONNERVILLE les portes de l'Assemblée consultative provisoire qui siège en septembre 1943 à Alger, puis au Palais du Luxembourg à partir du 7 novembre 1944.
Il y joue rapidement un rôle premier à la présidence de la Commission de la France d'outre-mer au sein de laquelle il contribue à préparer, en concertation avec le Général de GAULLE, le futur statut constitutionnel de l'Union Française.
Au sein de l'Assemblée nationale constituante, à partir d'octobre 1945, il participe très activement à l'évolution statutaire des quatre anciennes colonies -Guyane, Martinique, Guadeloupe, Réunion- qui deviennent des départements d'outre-mer. C'est également à lui que l'on doit la création pérenne du Fonds d'investissement pour le développement économique et social des territoires d'outre-mer, le FIDES, qui existe toujours et au sein duquel le Sénat est encore à ce jour représenté par deux de nos collègues.
Après l'échec du référendum proposant une constitution monocamérale, à laquelle Gaston MONNERVILLE s'est vigoureusement opposé, il approuve en octobre 1946 le rétablissement d'une seconde chambre, le Conseil de la République, même si elle n'a que des pouvoirs limités.
Sa première élection dans cette nouvelle chambre Haute relève presque du concours de circonstances. Si les voix du Seigneur sont impénétrables, les hasards de la politique ne le sont pas moins ! C'est en effet un échec aux élections législatives, au mois de novembre 1946, qui conduit malgré lui à son élection au Sénat un mois plus tard, mais « en son absence et sans avoir été candidat », selon son propre aveu ! Rien ne saurait arrêter le destin en marche !
Candidat de consensus, il devient, le 14 mars 1947, Président du Conseil de la République à la suite du décès du Président CHAMPETIER de RIBES. Gaston MONNERVILLE saura ensuite se faire réélire invariablement au début de chaque session parlementaire -comme c'était la règle sous la IVème République-, ce qui démontre à la fois sa parfaite maîtrise des jeux parlementaires et son aura exceptionnelle parmi ses pairs.
Malgré les pouvoirs constitutionnels réduits du Conseil de la République, il fait entendre avec autorité la voie de la Haute assemblée, défendant, durant les douze années de sa présidence sous la IVème République, une conception exigeante de la seconde chambre et le rôle de premier plan qu'il entend lui faire jouer.
Dans la période de transition mouvementée qui s'ouvre au printemps 1958, Gaston MONNERVILLE ne ménage pas sa peine pour faire prévaloir, auprès de son collègue du groupe de la Gauche démocratique, le Garde des Sceaux Michel DEBRÉ, ses vues sur le retour à un Sénat digne de ce nom, un Sénat véritable, législateur à part entière et contrôleur vigilant de l'action du Gouvernement.
Le défenseur acharné du bicamérisme obtient gain de cause auprès de constituants méfiants à l'égard d'une Assemblée nationale qui peut s'avérée rétive, hostile ou excessive. La Vème République lui offre un second succès, plus éphémère -à son grand désespoir-, celui de la création de la « Communauté », réunion des pays attachés à la France.
Pour autant, derrière l'accord sur les institutions pointent déjà des désaccords avec le Gouvernement, notamment à l'occasion de la rédaction du Règlement du Sénat en 1959. Percent également chez le Président de la Haute assemblée des désillusions croissantes, sur l'évolution de l'outre-mer, sur l'indépendance des anciennes colonies, qui trouvent leur apogée dans le célèbre conflit avec le Général de GAULLE sur le référendum de 1962.
Gaston MONNERVILLE conteste alors, avec la dernière énergie, la voie référendaire de l'article 11 de la Constitution empruntée par le Général pour faire adopter l'élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Le juriste pointilleux, le parlementaire sourcilleux de ses prérogatives, dénonce -vous vous en souvenez tous- la « forfaiture » d'un Premier ministre, Georges POMPIDOU, qui cautionne ce qu'il considère être un détournement de procédure. Le mot fait mouche et reste gravé dans nos mémoires, irrémédiablement associé à l'homme qui a dit « NON » à de GAULLE.
Le gaulliste que je suis ne peut manquer de relever que le peuple français et l'Histoire ont tranché ce litige et ont donné raison, sur ce point, à l'intuition politique et à la pratique constitutionnelle du Général.
Le Président du Sénat que je suis ne peut, en retour, manquer d'admirer la force intérieure et le courage politique d'un homme qui a défendu « bec et ongles » la Haute assemblée et est allé au bout de ses convictions, même si ses prises de position ont fini par avoir raison de ses vingt deux années de présidence.
En désaccord -à nouveau- avec le Général de GAULLE sur sa réforme contestée du Sénat, Gaston MONNERVILLE quitte le Petit Luxembourg et son fauteuil au « plateau » à l'automne 1968, laissant à d'autres le soin d'écrire une nouvelle page de l'Histoire.
C'est sur le souvenir de cet homme d'Etat courageux et cultivé, infatigable promoteur du bicamérisme et intraitable défenseur des droits de l'Homme, que je veux clore cet éloge et vous inviter à un acte de mémoire.
Gaston MONNERVILLE était profondément reconnaissant à la République de la situation privilégiée qu'elle lui avait faite. Il se sentait son obligé. Il disait ainsi : « Le fils d'outre-mer que je suis doit tout à la République. C'est elle qui, dans ma Guyane natale, est venue m'apporter la dignité et la culture. C'est elle qui m'a tout appris et qui a fait de moi ce que je suis ».
Avec vous toutes et vous tous, rassemblés par le souvenir de ce grand homme, je suis fier de rendre aujourd'hui à Gaston MONNERVILLE, solennellement, ce qu'il a lui-même apporté à la République en dévoilant cette plaque gravée de son illustre patronyme.