« La justice politique découle de ce principe supérieur qui veut que tous les gouvernements, même les plus opposés d'origine, aient le même besoin et les mêmes devoirs : se défendre. Joignons-y, qu'aux crimes d'une espèce exceptionnelle il faut une juridiction exceptionnelle, aux forfaits politiques il faut des magistrats politiques ; et que les actes qui menacent l'État tout entier doivent trouver leurs juges au-dessus des juridictions locales ».
(Quesnay de Beaurepaire, procureur général du procès Boulanger).
La Chambre des pairs
Par la Charte de 1814, la Chambre des pairs se voit confier un rôle juridictionnel aux contours un peu flous, tant sur la définition de ses compétences que sur la procédure. C'est de façon empirique, par sept jugements dont trois condamnations, que va se dessiner son rôle exact. Les compétences de la Cour des pairsTrois articles de la Charte confient à la Chambre des pairs, un rôle juridictionnel. Selon, l'article 33, elle connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État, quelle que soit la qualité du criminel. En application de l'article 34, elle juge les pairs poursuivis en matière criminelle. Enfin, selon l'article 55, elle est juge des ministres mis en accusation par la Chambre des députés. Mais ces attributions ne sont claires qu'en apparence. L'article 33 : « La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi ». (JPG - 346 Ko) La loi prévue par la Charte n'a jamais été votée. On a assimilé les crimes énoncés à l'article 33 aux infractions visées dans les articles 75 à 108 du code pénal, comme le montrent les jurisprudences Ney et Louvel. Sont ainsi considérés comme relevant de l'article 33 de la Charte, les attentats contre la vie ou la personne d'un membre de la famille royale, les complots... En ce domaine, la compétence de la Cour a été définie comme facultative (arrêt du 21 février 1821), les pairs restant libres d'apprécier si le cas présenté mérite ou non d'être traité par eux. L'article 34 : « Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la Chambre, et jugé que par elle en matière criminelle ». À l'article 34, c'est la définition de la « matière criminelle » qui pose problème. On a estimé qu'il s'agit de la matière pénale, ce qui inclut les plus petits délits. La compétence de la Cour s'étend aux co-prévenus, même s'ils n'ont pas la qualité de pairs, quand le crime est considéré comme indivisible. La compétence de la Cour est ici obligatoire et non plus facultative. L'article 55 : « La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres, et de les traduire devant la Chambre des pairs qui seule a celui de les juger ». Ce dernier article ne comporte pas d'ambiguïté. Les pairs sont appelés à juger tous les ministres mis en cause par les députés. La compétence de la Cour est donc obligatoire. Le cas ne s'est jamais produit sous la Restauration. La procédureLa saisineLe mode de saisine diverge selon l'article de la Charte utilisé. Dans le cas des ministres mis en accusation, la saisine ne peut être faite que par la Chambre des députés responsable de l'accusation. S'il s'agit de juger un pair pour une affaire criminelle, la Cour est saisie par ordonnance royale ou par la plainte d'un particulier, soit directement, soit par l'intermédiaire du gouvernement. Enfin, dans le cas des crimes visés à l'article 33, elle ne peut être saisie que par ordonnance royale. En aucun cas, elle ne peut s'autosaisir. Le ministère public et l'instructionLà encore, la procédure n'est pas la même selon les situations. Lorsque des ministres sont mis en cause par la Chambre des députés, c'est cette dernière qui fournit les commissaires destinés à soutenir l'accusation devant la Cour. Dans les autres cas, c'est le gouvernement qui fournit le ministère public. Dans le procès Ney, le procureur général près la Cour royale de Paris fut chargé de l'instruction, et des ministres, qui reçurent le titre de commissaires du roi, rédigèrent l'acte d'accusation. Par la suite, un parquet près la Chambre des pairs fut organisé sous forme de délégation spéciale. L'instruction commence par l'audition des témoins et du ou des prévenu(s) par le Chancelier, selon le Code d'instruction criminelle. Le secrétaire-archiviste du Sénat tient le rôle de greffier. À l'issue de l'instruction, le ministère public dresse l'acte d'accusation. La Cour se réunit alors une première fois pour déterminer si les pairs sont compétents pour juger l'affaire qui leur est soumise puis pour décerner, le cas échéant, une ordonnance de prise de corps et fixer le jour de l'audience. Ces décisions sont notifiées à l'accusé. Le déroulement des procèsLes procès ont lieu en séance publique et leur déroulement suit le Code d'instruction criminelle. À l'ouverture de la première audience, le greffier procède à l'appel des pairs, puis à l'interrogatoire d'identité de l'accusé. Se succèdent ensuite la lecture de l'acte d'accusation, les débats, l'audition des témoins et enfin la lecture du réquisitoire. Le procès s'achève par deux délibérations secrètes, l'une sur la culpabilité, l'autre sur la peine, suivies de la lecture des arrêts. Les votes ont lieu en chambre du conseil, sur appel nominal, à haute voix, sur chaque chef d'accusation. La mise en accusation et les arrêts sur la compétence doivent être votés à la majorité absolue. Pour les peines, une majorité de cinq huitièmes est requise. Les pairs ministres ou ecclésiastiques et les pairs témoins ne peuvent prendre part au jugement. Les pairs absents doivent présenter des motifs validés par la Chambre. Les voix conformes de pairs de la même famille ne sont comptées que pour une voix. Se considérant comme un jury d'équité politique, la Cour ne s'estime pas nécessairement liée par les textes légaux, notamment dans le domaine de l'application des peines. Le prononcé du jugement est public mais peut avoir lieu sans la présence de l'accusé, qui est alors informé par le greffier. |