Allocution de M. Christian Poncelet, Président du Sénat, en réponse à l’accueil de Monsieur le Baillif de Jersey
Monsieur le Lieutenant-Gouverneur,
Monsieur le Baillif,
Permettez-moi de vous dire tout d’abord le plaisir que j’éprouve à me trouver dans cette île qui s’est honorée en accueillant Victor Hugo. Le poète d’ailleurs, même si ses convictions ont pu l’amener à enfreindre les règles de l’hospitalité, n’a jamais oublié cet accueil : " Qui a vu l’archipel normand, l’aime " nous dit-il ; " qui l’a habité, l’estime ".
Le message de Jersey, pour Victor Hugo, c’est bien sûr tout d’abord celui du déchirement de l’exil. C’est aussi l’histoire d’une reconnaissance et d’une affirmation de soi qui ont servi d’écrin aux Contemplations.
Si, aujourd’hui, Jersey n’a peut-être pas ses " airs de Sicile et ce beau ciel pur " que Victor Hugo décrivait, on devine qu’elle peut être ce " bouquet trempé par l’océan qui a le parfum de la rose et l’amertume de la vague ".
Terre d’histoire d’où l’on aperçoit la France.
Terre métisse si je puis dire, entre deux pays dont les contacts renforcent l’estime. Vous êtes à la fois un coin de France, si je puis me permettre, et un coin de Grande-Bretagne. Vous unissez ainsi des vertus complémentaires de deux pays qui furent les plus grands du monde et qui ont encore un rôle à jouer à cette échelle à condition de le jouer ensemble au sein de l’Europe.
C’est avec plaisir aussi que je rencontre des collègues parlementaires que je tiens à saluer et à remercier du fond du cœur de la manière digne et chaleureuse avec laquelle ils nous accueillent.
Je sais que le 26 février n’est pas seulement pour vous le jour anniversaire de la naissance de Victor Hugo. C’est une date historique, mais à un autre titre, puisque vous débattez aujourd’hui d’une réforme du statut constitutionnel de votre île.
Comme vous le savez, le Sénat de la République française est particulièrement proche des territoires qu’il représente et attentif à leur diversité. Il s’est aussi beaucoup ouvert sur le monde et il m’arrive très souvent d’accueillir des délégations et de les saluer en séance publique. C’est donc un plaisir rare mais que nous savons apprécier, que vous nous réservez en nous accueillant en votre Parlement.
Il ne m’a pas échappé non plus que les membres des États comptent parmi eux des sénateurs. C’eût été dommage que nos deux institutions ne se rencontrent pas. C’est donc très directement et sans réserve que je vous dis aujourd’hui " chers collègues ", et que je m’incline en la personne de Monsieur le Lieutenant-Gouverneur, devant votre Majesté la Reine.
Pour nous Français, votre souveraine demeure celle qui sut accompagner, après la guerre héroïque de son peuple et de sa famille, l’adaptation de l’Angleterre à une nouvelle période de son histoire. Cet empire, sur lequel le soleil ne se couchait jamais, a laissé place aujourd’hui à une mosaïque qui perpétue les meilleures traditions démocratiques. C’est une situation que nous comprenons puisque nous l’avons vécue nous aussi.
Les hasards de l’histoire font que nous sommes aujourd’hui les uns et les autres confrontés à un autre défi : celui de maintenir notre identité. Je sais que, pour votre part, vous y êtes très attachés non seulement en tant que sujets de sa très gracieuse Majesté mais en tant que Jersiais. Représentants de la diversité territoriale française, influencés par Victor Hugo qui qualifia vos îles de " Républiques ", les membres du Sénat de la République française peuvent comprendre mieux que quiconque votre attachement à vôtre petite mais singulière patrie.
Permettez-moi de former le vœu que Français et Anglais défendent ensemble cette identité si nécessaire à travers l’Europe dont la construction s’accélère, conformément aux vœux et à la vision de Victor Hugo.
Vive Jersey, vive l’Angleterre et vive l’amitié franco-britannique.