- Mercredi 9 avril 2025
- « L'actualité de la politique immobilière de l'État et le projet de création d'une foncière interministérielle » - Audition de M. Alain Resplandy-Bernard, directeur de l'immobilier de l'État
- Réforme de la franchise en base de TVA - Communication
- Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
Mercredi 9 avril 2025
- Présidence de M. Thomas Dossus, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
« L'actualité de la politique immobilière de l'État et le projet de création d'une foncière interministérielle » - Audition de M. Alain Resplandy-Bernard, directeur de l'immobilier de l'État
M. Thomas Dossus, président. - Nous recevons ce matin M. Alain Resplandy-Bernard, directeur de l'immobilier de l'État.
Monsieur le directeur, vous avez été auditionné à plusieurs reprises par nos rapporteurs spéciaux au titre de la mission « Transformation et fonction publiques » et du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », mais c'est la première fois que nous vous recevons en commission depuis votre nomination en février 2020.
Cette audition a pour objectif de vous entendre et de vous interroger sur les activités et projets de votre direction, qui est rattachée à la direction générale des finances publiques (DGFiP), notamment sur le projet de création d'une foncière interministérielle.
Le patrimoine immobilier de l'État et de ses établissements publics porte des enjeux majeurs, sur les plans financier, juridique, environnemental ou humain. Au 31 décembre 2023, il recouvrait 96 millions de mètres carrés de surfaces bâties et 31 000 terrains non bâtis, pour une valorisation comptable estimée à 73,7 milliards d'euros d'actifs, dont 2,7 milliards d'euros à l'étranger.
Au-delà de leur étendue, les actifs immobiliers détenus par l'État et ses établissements publics se distinguent par leur grande hétérogénéité : bureaux, institutions, logements, mais également établissements d'enseignement, laboratoires scientifiques ou encore monuments historiques, chacun avec ses contraintes de gestion spécifiques.
Ce patrimoine connaît par ailleurs une relative concentration géographique, reflet de notre histoire politique et administrative, avec trois cinquièmes des actifs répartis entre cinq grandes régions : Île-de-France, qui concentre 21 % des actifs ; Grand Est, qui représente 10 % ; et, pour 9 % chacune, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nouvelle-Aquitaine.
Rénovée en 2007, la politique immobilière de l'État vise à valoriser, à entretenir et à adapter ce parc immobilier aux besoins des services publics. Elle repose sur la distinction entre : d'une part, le propriétaire, représenté au niveau national par le ministre chargé du domaine, c'est-à-dire en pratique le ministre des comptes publics, assisté par la direction de l'immobilier de l'État, et, au niveau local, par les préfets de région et de département ; d'autre part, les occupants, à savoir les services de l'État et ses opérateurs.
Alors que la mise en oeuvre de cette politique demeure confrontée à de nombreuses contraintes, tenant notamment à la spécificité des règles juridiques applicables et à la pluralité des vecteurs budgétaires existants, la gestion du patrimoine immobilier de l'État doit évoluer afin de prendre en compte de nouveaux défis : l'évolution des modes de travail, notamment le développement du télétravail ; la transition écologique, avec des montants d'investissements considérables en matière de rénovation énergétique des bâtiments ; enfin, la situation dégradée de nos finances publiques, laquelle impose une optimisation des surfaces occupées, avec un objectif gouvernemental de réduction de 25 % d'ici à 2032.
Dans ce contexte, l'exécutif avait porté, par voie d'amendement au projet de loi de finances pour 2025, une réforme ambitieuse consistant en la création d'une foncière interministérielle, destinée à percevoir des loyers de la part des administrations occupantes et dont un projet « pilote », c'est-à-dire une expérimentation territoriale, devait être déployé en 2025 dans deux régions, Grand Est et Normandie.
Cependant, cette mesure a été censurée en tant que cavalier budgétaire par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi de finances pour 2025. Vous pourrez ainsi nous présenter les conséquences que cette décision a emportées pour la préparation de cette réforme importante. De même, vous pourrez nous exposer les perspectives de votre direction concernant les actions de rénovation du parc immobilier, ainsi que l'avancement du programme de cessions.
Je vous propose d'intervenir pour un propos liminaire, après quoi le rapporteur général, puis Claude Nougein, rapporteur spécial des crédits de la mission « Transformation et fonction publiques » et du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », ainsi que les commissaires qui le souhaitent, vous poseront leurs questions.
Je vous indique que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Alain Resplandy-Bernard, directeur de l'immobilier de l'État. - Je remercie la commission de me donner l'occasion de présenter l'action de la direction de l'immobilier de l'État.
Avec une dépense de près de 10 milliards d'euros, l'immobilier de l'État est au coeur de deux enjeux essentiels : la maîtrise de la dette et des finances publiques, et la transition environnementale, notamment au travers de la gestion de la dette « verte » liée à ces bâtiments.
En préambule, je voudrais exprimer mes réserves concernant l'expression « Politique immobilière de l'État ». La direction de l'immobilier de l'État a redéfini sa raison d'être, qui est avant tout de fournir aux administrations et aux services publics un outil de travail leur permettant d'accomplir au mieux leurs missions de service public. Nous sommes une fonction support, transverse, avec une stratégie immobilière pour l'État. Les termes « Politique immobilière de l'État », comme on pourrait parler de politique pénale ou de politique de défense, me semblent donc trop forts par rapport à notre objectif.
Depuis cinq ans, nous avons considérablement modernisé la gestion de l'immobilier de l'État. Aujourd'hui, nous atteignons un véritable « plafond de verre ». Pour relever l'ensemble des défis, une réforme structurelle s'avère nécessaire.
L'État occupe environ 97 millions de mètres carrés, ce qui constitue un parc immobilier gigantesque, représentant des émissions égales à 2,6 millions de tonnes équivalent CO2. La place des services publics au sein de l'économie française rend indispensable leur propre décarbonation, avec deux grands défis : l'immobilier et les transports. Il n'y aura pas de décarbonation des services publics sans décarbonation des bâtiments de l'État.
Le parc immobilier de l'État comprend 195 000 bâtiments répartis sur tout le territoire. Il compte quelques grands occupants : le ministère des armées et l'enseignement supérieur, pour 25 % chacun ; le ministère de l'intérieur et les gendarmeries, pour 15 %. Il y a aussi des sites « multi-occupants », pour près de 5 millions de mètres carrés, comme les cités administratives, présentes dans de nombreux chefs-lieux de régions ou de départements. Bien que l'Île-de-France représente 21 % de ce parc, la répartition est plus équilibrée que dans d'autres secteurs, grâce à la présence de l'armée, de la gendarmerie et des universités sur l'ensemble du territoire.
Voici les trois priorités stratégiques que nous avons définies, sans les hiérarchiser : la transition environnementale, l'adaptation aux nouvelles organisations du travail et l'efficience économique de notre gestion.
Sous l'égide du secrétariat général à la planification écologique (SGPE), nous avons évalué le coût de la transition environnementale au cours des dernières années. Selon un scénario relativement simple, qui part du principe que l'État respecte la législation en vigueur, y compris le décret relatif à la réduction de la consommation d'énergie dans les bâtiments tertiaires et les directives européennes sur l'efficacité énergétique des bâtiments, un investissement de 142 milliards d'euros serait nécessaire d'ici à 2050. Cela impliquerait pour l'État de multiplier par dix ses dépenses annuelles. La bonne nouvelle est qu'en suivant cette voie la France atteindrait son objectif de réduction de 80 % de ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050.
Qu'avons-nous déjà entrepris pour avancer ? Au cours des quatre ou cinq dernières années, l'État a investi dans son immobilier comme jamais auparavant, en particulier sur les objectifs de transition environnementale. Cependant, nous ne nous limitons pas aux investissements, mais explorons d'autres leviers, moins coûteux et très efficaces, dont l'usage et l'entretien des bâtiments.
J'ai beaucoup insisté pour que les lois soient respectées dans les bâtiments de l'État, comme la limitation du chauffage à 19 degrés l'hiver et la climatisation à 26 degrés l'été. En outre, une expérimentation a été menée pour réduire la consommation d'eau chaude. Par ailleurs, nous avons financé une task force au sein de l'Agence de gestion de l'immobilier de l'État (Agile), chargée de conseiller les gestionnaires de bâtiments sur l'optimisation de leur usage et leur exploitation sans investissement supplémentaire. Grâce à un financement limité pour des prestations de conseil du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), nous parvenons à réaliser 12 % à 15 % d'économies d'énergie. Lors de ses interventions sur site, cette task force recommande des actions simples, mais efficaces, comme l'entretien des chaudières ou l'ajustement de la température dans des espaces peu utilisés.
Le véritable levier, essentiel pour tenir la trajectoire de 2050, est la réduction du parc immobilier. Les 142 milliards d'euros n'étant pas soutenables, le seul moyen de décarboner les bâtiments de l'État est de réduire leur superficie, tout en investissant dans la qualité et la performance énergétique des espaces restants.
Nous nous sommes dotés d'une feuille de route de transition environnementale et travaillons activement à l'adaptation au changement climatique. Le scénario du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), qui prévoit une hausse de 4 degrés d'ici à 2100 en métropole, est probable. Il convient d'en évaluer les conséquences sur la continuité des services publics, et donc sur les bâtiments. L'administration pénitentiaire, par exemple, a déjà étudié les effets de la canicule sur ses bâtiments anciens, dans le contexte de surpopulation carcérale. En réalité, le réchauffement climatique menace la continuité de tous les services publics en affectant les bâtiments, notamment par le recul du trait de côte, le retrait-gonflement des argiles, ainsi que la formation d'îlots de chaleur urbains.
Malgré les défis, je suis un directeur de l'immobilier de l'État heureux. Depuis 2018, nous avons pu investir collectivement près de 4,4 milliards d'euros dans la transition environnementale du parc immobilier de l'État, dont 1 milliard d'euros pour la rénovation de 36 cités administratives. Ce plan, adopté en 2018-2019, a été mené selon une logique d'enveloppes fermées très efficace. Nous livrons actuellement les dernières cités rénovées, trois projets ayant été abandonnés. La rénovation des cités administratives a entraîné un surcoût de 3 % seulement par rapport aux prévisions de 2019, tandis que, durant cette période, l'indice national du bâtiment, le BT01, a augmenté de 25 %.
De plus, nous avons bénéficié de 2,7 milliards d'euros de l'Union européenne (UE) dans le cadre du plan de relance. Nous sommes en train de finaliser les dernières opérations. En respectant les budgets, nous avons réussi tous les audits de la Commission européenne et reçu quatre remboursements à ce titre. En termes d'économies d'énergie, nous dépasserons nos engagements. La réduction des consommations d'énergie, initialement estimée entre 400 à 500 gigawattheures, devrait finalement se situer entre 500 et 600 gigawattheures.
Au total, ces investissements permettent de réaliser 1,3 térawattheure d'économies d'énergie et de réduire les émissions de 375 000 tonnes équivalent CO2, ce qui correspond à 43 000 fois le tour de la Terre en voiture thermique !
Le deuxième défi est l'adaptation aux nouvelles organisations du travail.
La place du télétravail et du numérique dans nos organisations ainsi que le développement du mode projet modifient notre façon de travailler. Ce phénomène touche toutes les organisations tertiaires, dans tous les pays. Mes homologues y voient une opportunité pour améliorer l'outil de travail, favoriser une meilleure collaboration entre les équipes et avec le public, tout en réduisant la taille du parc immobilier.
C'est un levier puissant. Le parc immobilier de l'État pour les bureaux représente une surface de 25 mètres carrés par agent ; dans le secteur privé, les opérations neuves visent plutôt 10 mètres carrés. Certains de mes homologues, notamment en Finlande ou au Canada, ont des objectifs similaires. Toutefois, l'immobilier de l'État doit tenir compte de contraintes spécifiques, tant en termes de représentation que sur le plan opérationnel. Néanmoins, l'objectif de 16 mètres carrés par agent, défini dans la circulaire de la Première ministre de février 2023, me semble atteignable, même sans imposer le bureau flexible ou « flex office ».
Le troisième et dernier volet est l'efficacité économique.
Nous avons beaucoup travaillé à la dynamisation du parc immobilier, notamment en développant des recettes pérennes, grâce aux loyers et redevances perçus, qui ont dépassé 118 millions d'euros les deux dernières années, contre 90 à 95 millions avant 2019. En revanche, l'utilisation des recettes issues des cessions pour financer les investissements et, surtout, l'entretien du parc immobilier n'est pas d'excellente gestion.
Nous avons également beaucoup oeuvré à l'optimisation des dépenses de loyer. La révision et la renégociation des baux nous ont ainsi permis d'économiser 109 millions d'euros en 2023.
D'autres chantiers portent sur les systèmes d'information et sur la politique des ressources humaines (RH). Avec 13 000 agents dédiés à l'immobilier de l'État, il nous faut avoir une vision claire de nos forces et de nos besoins RH.
Je terminerai par la réforme de l'organisation de l'immobilier de l'État.
Annoncée pour la première fois en octobre 2018 lors du comité interministériel de la transformation publique (CITP), cette réforme a fait l'objet de très nombreux travaux, dont un parangonnage, ou « benchmark », de l'organisation dans les différents pays européens, financé par la Commission.
Notre organisation est très fragmentée, répartie sur 47 programmes budgétaires dédiés à la gestion de la dépense immobilière. Chaque ministère ou opérateur dispose de structures, parfois embryonnaires, destinées à couvrir tout ou partie des fonctions de l'immobilier de l'État. Cette situation, qui n'existe nulle part ailleurs, conduit à une certaine déresponsabilisation, car aucun gestionnaire n'est responsable de la valeur des actifs.
Dans les autres pays, il existe deux modèles d'organisation de l'immobilier de l'État.
Le modèle ultradominant, celui de la foncière d'État, est en place aux Pays-Bas depuis les années 1920, et s'est beaucoup développé, d'abord, dans les années 1990 en Finlande et en Autriche. Les Allemands ont créé leur propre foncière en 2005 et les Anglais, en 2017. Dans ces pays, plusieurs foncières coexistent et tendent progressivement à fusionner. À titre d'exemple, les Finlandais ont regroupé dans un même Senate Group la foncière civile et la foncière militaire.
L'autre modèle est celui, par exemple, des Canadiens. Il consiste à confier à un ministère chargé des fonctions de support la centralisation de tous les crédits immobiliers. Ce modèle, recommandé par l'inspection générale des finances (IGF), se révèle très efficace, dans la mesure où il confère les pleins pouvoirs à mon homologue. C'est lui qui finance l'ensemble des opérations immobilières. Lorsqu'il décide de réduire les surfaces, il y parvient. Les ministères conservent théoriquement la possibilité de financer certaines opérations en dehors de ces crédits, mais cela suppose de puiser dans leur propre enveloppe, ce qu'ils ne font quasiment jamais. Ce système ayant pour effet de fortement déresponsabiliser les ministères, il est pour moi moins vertueux.
Tels sont les grands modèles qui nous ont amenés à proposer une réforme de l'organisation.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Monsieur le directeur, je vous remercie de votre présentation à la fois synthétique et dynamique. Je vous confirme que, sur les cités administratives, les dossiers ont bien avancé. Je puis en témoigner d'après ce que je vois dans mon département, à Nancy.
Le CAS « Gestion du patrimoine de l'immobilier de l'État » constitue un instrument marginal pour la politique immobilière si on le rapporte à la valeur du patrimoine immobilier de l'État et de ses établissements publics, estimée à 73,7 milliards d'euros.
De fait, l'effort d'investissement supporté par le CAS représente seulement en moyenne annuelle 12 % des dépenses d'investissement immobilier de l'État sur la décennie 2014-2023. Dans la période récente, le Gouvernement a mobilisé d'autres vecteurs budgétaires, notamment le programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs » et l'action « Rénovation énergétique » du programme 362 « Écologie ». Comment expliquez-vous cet éclatement des vecteurs budgétaires ? Comment maîtrisez-vous la gestion du patrimoine immobilier de l'État ? Une nouvelle étape est-elle nécessaire ?
Par ailleurs, lors de sa déclaration de politique générale, le 14 janvier dernier, le Premier ministre a annoncé « la création d'un fonds spécial entièrement dédié à la réforme de l'État, financé en réalisant une partie de ses actifs, en particulier immobiliers, qui appartiennent à la puissance publique, de façon à pouvoir investir, par exemple, dans le déploiement de l'intelligence artificielle (IA) dans nos services publics ». Pouvez-vous nous présenter plus précisément les objectifs et les modalités de financement de ce fonds spécial, ainsi que son incidence sur le programme de cessions mis en oeuvre par la direction de l'immobilier de l'État ? Dans quel cadre juridique, législatif ou réglementaire ce fonds spécial s'inscrit-il ? Quel est l'état d'avancement de ce projet ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». - En audition rapporteur lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, vous aviez tenu un langage de vérité, ce que j'avais beaucoup apprécié. Vous n'avez pas cherché à masquer les nombreux problèmes ni les nombreux défauts qui affectent la gestion de l'immobilier de l'État. Un tel diagnostic constitue déjà un progrès : au moins, le problème est posé, ce qui permet d'envisager des solutions pour l'avenir.
Je ne reviendrai pas sur le rapport spécial que j'ai présenté devant notre commission à l'époque. J'évoquerai trois points et poserai trois questions.
Le premier concerne les cités administratives. Le programme, qui touche à sa fin, a connu un surcoût, mais celui-ci ne résulte pas uniquement d'erreurs. Le calendrier initial, prévu en 2018, a subi plusieurs années de décalage : les réalisations se sont échelonnées en 2022, 2023 et 2024. Entre-temps, nous avons connu la période post-covid, marquée par une inflation galopante qui a fait exploser les coûts de ces cités administratives.
Le budget initial s'élevait à 1 milliard d'euros. Peut-on désormais connaître le coût réel de l'opération, puisque nous approchons de son terme ? En tout cas, sur le plan énergétique, l'opération semble avoir été bénéfique, puisque les passoires thermiques ont été supprimées.
Le deuxième point porte sur la foncière immobilière d'État et sur la gestion de son patrimoine. Plusieurs options étaient sur la table, notamment celle de la société anonyme, voire celle de la société par actions simplifiée (SAS). Le choix, qui ne me choque pas, s'est finalement porté sur un établissement public à caractère industriel et commercial (Épic).
Cependant, les vertus de la gestion privée ne risquent-elles pas d'être annulées par ce statut d'Épic ? L'idéal serait sans doute un Épic intégrant les qualités de la gestion privée. Est-ce envisageable ?
Par ailleurs, ce futur Épic gérera 97 millions de mètres carrés. Nous aurons, je le suppose, un avis à formuler sur la gestion du patrimoine immobilier des collectivités territoriales, qui, elles, disposent de quelque 200 millions de mètres carrés, soit le double de l'État. Est-il prévu que ce secteur suive le même chemin, avec une réorganisation semblable, ou sera-t-il traité à part ?
Le troisième point porte sur la mutualisation des implantations rendue possible par cette foncière d'État, et sur la réduction du nombre de mètres carrés par agent.
Il est vrai que l'on observe aujourd'hui une forme de gaspillage. Toutefois, il ne faudrait pas tomber dans un excès inverse : en France, nous avons souvent ce réflexe du balancier. Lorsqu'un système est trop laxiste, nous cherchons à le corriger, mais nous allons toujours à l'extrême opposé.
Vous avez évoqué un objectif de 16 mètres carrés par agent, alors qu'à l'étranger ou dans le secteur privé la norme est de 10 mètres carrés. Pour ma part, la jauge de 16 mètres carrés me semble un bon compromis, compte tenu de la situation actuelle de 25 mètres carrés par agent. Il importe que les agents de l'État disposent d'un espace à la fois confortable et adapté à leur mission. La plupart sont implantés en province, et un mètre carré à Paris ne représente pas la même chose qu'en province, du point de vue de la valeur du foncier.
Enfin, un point m'avait profondément surpris lors de votre audition : vous avez indiqué que 60 % des surfaces de bureaux de l'immobilier de l'État étaient vides pendant les heures de travail, entre 8 heures et 20 heures, les jours ouvrés. Ai-je bien compris ? Si ce pourcentage est exact, des économies considérables pourraient être réalisées.
Dans la mesure du possible, mieux vaudrait maintenir des bureaux pour nos agents plutôt que de recourir au flex office. Cette pratique, à la mode dans le secteur privé, a parfois été poussée à l'extrême dans certains pays étrangers.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - Mes travaux de contrôle sur l'immobilier de l'administration territoriale de l'État (ATE), conduits l'an dernier, ont mis en évidence l'état particulièrement dégradé de ce patrimoine. En effet, la note moyenne obtenue par les différents bâtiments est de 12,2 sur 20. Surtout, 16 % des bâtiments de l'ATE sont aujourd'hui considérés comme peu ou pas conformes au regard du référentiel technique et énergétique. L'immobilier de l'ATE a ainsi accumulé une dette grise importante. Par ailleurs, malgré un patrimoine immobilier important, l'ATE a recours à des locations, ce qui grève le budget de l'État territorial.
Par parenthèse, je partage les propos de mon collègue Claude Nougein concernant la réduction des surfaces. Je souscris également à l'image du balancier : sans doute ne faut-il pas aller trop loin en la matière.
En ce qui concerne l'immobilier de l'État territorial, au-delà de la rénovation des cités administratives, qui a permis d'améliorer la situation, quelle est la programmation pour progresser encore sensiblement, d'une part, s'agissant des conditions de travail des agents publics, et, d'autre part, de la performance énergétique des bâtiments, notamment afin de réduire la dette grise ?
Mes autres questions portent sur la foncière d'État, qui a fait l'objet de nombreuses interrogations, en particulier concernant la mise à disposition de biens appartenant aux collectivités territoriales.
La disposition introduite dans la loi de finances pour 2025, finalement censurée par le Conseil constitutionnel, prévoyait que la foncière devrait prendre la forme d'une personne morale distincte bénéficiant d'un transfert de propriété, mais les biens mis à disposition par les collectivités ne peuvent pas, par définition, faire l'objet d'un transfert automatique de propriété, puisque ces biens leur appartiennent.
Un tel transfert à la foncière, assorti de la perception d'un loyer, nécessiterait sans doute une révision des conventions de mise à disposition de ces biens. Avez-vous analysé cette éventualité ? Quel en serait le coût ? Par ailleurs, parmi les biens mis à disposition par les collectivités, quelle est la part de ceux qui relèvent du domaine public et qui, par conséquent, nécessiteraient une procédure de déclassement préalable au transfert ?
Enfin, une question sur la gouvernance de la foncière : dans mon rapport de contrôle, j'ai souligné la nécessité de maintenir une organisation cohérente au niveau territorial. Il apparaît essentiel que les décisions stratégiques continuent à être prises à l'échelon régional, notamment par les préfets de région, en concertation avec les préfets de département pour leur déclinaison locale. Quelles sont vos recommandations en matière de gouvernance ? Comment envisager la répartition des compétences immobilières entre les différents niveaux de décision ?
M. Alain Resplandy-Bernard. - Sur l'éclatement des financements, je le répète, 47 programmes budgétaires supportent aujourd'hui des dépenses immobilières. Parmi les trois que vous avez évoqués, monsieur le rapporteur général, et qui relèvent directement de la direction de l'immobilier de l'État, le programme 362 est appelé à disparaître. Ce programme, qui ne portait que les crédits issus du plan de relance, arrive à son terme, car nous avons répondu aux objectifs fixés dans ce cadre.
Le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » a une vertu essentielle : il permet de réinjecter 100 % des gains issus de l'immobilier dans l'immobilier. Cela me permet notamment d'allouer environ 160 millions d'euros aux préfets de région et aux secrétaires généraux des ministères pour financer un strict minimum d'entretien courant. Toutefois, rapporté au mètre carré, ce montant reste très insuffisant au regard des besoins.
Quant au programme 348, il permet d'intervenir sous forme d'appel à projets sur les opérations les plus urgentes et à fort impact. Il s'agit d'un processus exigeant pour les services, mais il permet de réaliser les projets ayant le plus fort retour sur investissement, soit financier, soit en tonnes de CO2 évitées. Ce n'est pas satisfaisant, mais c'est le mieux que nous puissions faire aujourd'hui. Ce système gagnerait à intégrer un mécanisme garantissant la préservation de la valeur des actifs, afin d'éviter leur dégradation, ce qui constitue le principal risque d'une logique purement budgétaire.
Premier constat : je suis aujourd'hui le seul propriétaire massif en Europe, public ou privé, à ne pas disposer d'un plan pluriannuel d'investissements. Nous fonctionnons par à-coups. Le plan de relance a eu un vrai impact, grâce à l'Union européenne, sur les cités administratives, mais nous restons incapables, dans notre structure budgétaire actuelle, de déployer une stratégie d'investissements pluriannuelle cohérente.
Comment faisons-nous, dès lors ? Quels outils avons-nous à notre disposition ?
Premier levier : forcer les ministères et les préfets de région à définir une stratégie. Ce sont les schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) des administrations centrales et des opérateurs. Malheureusement, à ce jour, moins de la moitié des opérateurs dispose d'un SPSI validé par nos soins.
Les préfets de région doivent quant à eux élaborer des schémas directeurs immobiliers régionaux (SDIR). Nous venons tout juste de valider l'ensemble des SDIR de métropole. C'est le premier rôle de la direction de l'immobilier de l'État : s'assurer que tous les acteurs ont une stratégie claire.
Deuxième levier : fournir des outils techniques. Nous animons la communauté de l'immobilier de l'État autour d'une stratégie de transition environnementale. Cela va jusqu'à des aspects très techniques : comment appliquer le décret dit BACS (Building Automation and Control System) sur la gestion technique des bâtiments ; comment utiliser les jumeaux numériques et les maquettes numériques dans les opérations immobilières de l'État.
Troisième levier : la procédure de labellisation des opérations. Lorsqu'un ministère souhaite lancer une opération importante, notamment dans l'immobilier tertiaire banalisé, il doit obtenir une labellisation en conférence de l'immobilier public. Ce processus permet de vérifier la performance énergétique et la densification de l'opération. Ce système, bien qu'imparfait, a permis des progrès significatifs au cours des dernières années.
En ce qui concerne le fonds de modernisation, je ne peux répondre qu'à une partie des interrogations, car sa conception relève de la direction interministérielle de la transformation publique. Il devrait trouver sa matérialisation dans le projet de loi de finances pour 2026. Le Premier ministre a évoqué la réalisation d'actifs, notamment immobiliers. C'est une décision purement politique. Mon rôle commence lorsque le bien immobilier n'est plus utile aux missions de service public : je dois alors le valoriser au mieux.
Aujourd'hui, l'État dispose de l'outil classique de la cession. Il a utilisé, par le passé, des instruments un peu plus sophistiqués, comme les baux emphytéotiques de très longue durée, permettant de conserver la propriété du foncier tout en transférant des droits réels. Nous sommes encore loin des pratiques que maîtrisent parfaitement des entités comme La Poste Immobilier. Ces dernières savent réaliser des opérations de coproduction ou de création de valeur sur leurs terrains. L'État, lui, n'est pas encore outillé pour le faire et perd ainsi des leviers de création de valeur.
Mon plan de cession pour les deux ou trois prochaines années résulte de décisions d'investissement prises il y a cinq ou six ans. Il faut en effet décider d'un investissement, lancer le programme, mener les travaux, les achever, organiser le déménagement des services, etc. Ce n'est qu'alors que les actifs sont libérés et valorisables. L'étape suivante consiste à dialoguer avec les collectivités locales, car ces actifs sont souvent situés dans des zones centrales, au coeur d'enjeux d'aménagement urbain.
L'État ne peut pas être un gestionnaire d'actifs comme les autres : il doit privilégier une logique partenariale dans la manière de valoriser ses actifs, car les intérêts des différents acteurs peuvent être différents. L'enjeu est de concilier la défense patrimoniale de l'État, ce qui est ma mission, et l'aménagement de la ville, ce qui est la mission de l'élu. Il faut donc parfois du temps pour réaliser certaines opérations.
Il convient de tirer la meilleure valeur des biens qui sont devenus inutiles à l'État. C'est ce que me demande le Premier ministre.
L'enveloppe du programme de rénovation des cités administratives a été fixée, en 2018, à 1 milliard d'euros, auxquels il convient d'ajouter quelques crédits de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), qui a financé des restaurants administratifs ou des crèches. Nous tenons le budget. Il n'y a aucune dérive. Il me reste à trouver 1,2 million d'euros pour financer les dernières opérations ; je suis confiant.
En revanche, trois petites opérations ont été abandonnées sur décision des préfets, occasionnant un surcoût de 3 %. Parallèlement, je le rappelle, le coût du bâtiment a augmenté de 25 % en raison de la crise du covid et de la guerre en Ukraine. Le Parlement m'a donné une enveloppe fermée : je l'ai tenue. Chaque fois qu'un maître d'ouvrage m'a indiqué qu'il y avait des surcoûts à prévoir sur une opération en cours - c'est le lot des chantiers -, nous avons réussi à modifier certains éléments du programme pour tenir le budget initial.
Le Gouvernement a décidé que la foncière interministérielle serait un Épic. Il faut savoir que toutes les foncières créées par mes homologues à l'étranger fonctionnent sous la forme de groupe, avec une holding de tête et des filiales. Cela permet de loger des actifs différents, en fonction de leur typologie. Je pense, par exemple, même si cela ne figure pas dans le projet pilote, aux centres de vacances des ministères, qui correspondent de moins en moins à la demande et ont de gros besoins d'investissement. Nous pourrions très bien les placer dans une filiale et ouvrir son capital à un acteur du tourisme social, et, de même, créer des filiales géographiques.
Vous évoquiez l'immobilier des collectivités locales. Je l'avoue modestement : j'ai déjà beaucoup de difficultés à gérer l'immobilier de l'État, il ne m'appartient donc pas de dire aux collectivités locales comment elles doivent gérer le leur ! Je crains aussi que, à vouloir créer un gros outil unique, on ne se heurte à des problèmes de gouvernance assez insolubles.
En revanche, la structure d'un groupe de sociétés est très plastique. Le président d'une communauté urbaine m'a consulté, car il doit relocaliser ses services. Il est tout à fait envisageable de créer une filiale commune, détenue à parité entre l'État et la communauté urbaine. On pourrait ainsi acheter ou rénover ensemble un bâtiment pour mutualiser les services des directions départementales de l'État et ceux de la communauté urbaine.
Le Gouvernement hésitait entre créer une société anonyme détenue à 100 % par l'État, pour des raisons de puissance publique, et un Épic. Ce dernier statut présente plusieurs avantages. On peut ainsi transférer une part du domaine public à un Épic, alors qu'on ne peut pas le faire à une société anonyme. Un Épic peut gérer à la fois le domaine public et le domaine privé. Dans le projet pilote, le domaine privé représentait environ 80 % des actifs et le domaine public, 20 %. Ce type d'établissement peut aussi accueillir, le cas échéant, des fonctionnaires en détachement. Néanmoins, il est possible de doter l'Épic de filiales qui ont le statut de sociétés anonymes pour réaliser tel ou tel investissement. Telle était la structure qui était envisagée.
En ce qui concerne la mutualisation des espaces et le risque de balancier, j'ai identifié de nombreux risques, mais le fait d'aller trop loin dans l'optimisation des espaces ne me paraît pas très important. Il faut savoir en effet que l'administration acquitte un loyer pour l'occupation des bâtiments de l'État dans quinze pays européens sur les vingt que nous avons étudiés. À l'inverse, cette occupation est gratuite en Espagne, au Portugal, en Belgique, en Italie et en France.
En France, le chef d'une structure publique n'est pas incité à optimiser l'utilisation des surfaces de ses services. En effet, cela implique de mener un dialogue social, de définir un projet avec les managers, de réfléchir à la nouvelle organisation et, finalement, de réaliser des travaux. Pendant ce temps, le risque est de perdre de vue les objectifs de politiques publiques que le ministre lui a fixés, alors qu'un tel projet ne permettra pas de réaliser des économies puisque, j'y insiste, l'occupation des bâtiments est gratuite.
Ainsi, seuls ceux qui sont convaincus, comme moi, que l'immobilier a un impact sur la manière de travailler se lancent dans cette réflexion. Je connais des responsables publics, des recteurs ou des préfets qui utilisent les projets immobiliers pour transformer le fonctionnement de leurs services. En tout cas, il faut vraiment être convaincu de l'intérêt de la démarche, car il n'y a aucune incitation. J'en ai la conviction, l'objectif de réduction de la surface des bureaux utilisée de 25 % ne pourra pas être atteint si la manière de s'organiser n'évolue pas.
J'ai indiqué que 60 % environ des surfaces de bureaux de l'immobilier de l'État étaient vides pendant les journées de travail. Ce n'est pas une anomalie. Cette proportion est la même dans nombre d'organisations tertiaires et de pays.
Il suffit de faire un petit calcul. Des études ont été faites sur l'impact du télétravail sur la productivité des organisations tertiaires. On s'aperçoit qu'il existe sans doute une courbe en cloche. L'instauration de quelques jours de télétravail permet d'augmenter l'efficacité et la productivité, parce que cela correspond à un désir individuel de maîtrise de son temps de travail. Donner aux gens une certaine marge de liberté pour choisir les jours où ils peuvent télétravailler et s'organiser en conséquence se traduit par un plus fort engagement et par une hausse du bien-être au travail. Au-delà de deux jours ou deux jours et demi de télétravail par semaine, les effets négatifs sur la productivité - liés aux conséquences sur le collectif, sur l'intégration des nouveaux collègues, sur la circulation de l'information, etc. - l'emportent sur les gains potentiels.
Si l'on ajoute à ces deux jours de télétravail, les congés, les temps de formation, les temps passés en mission, pendant lesquels les personnes ne sont pas sur leur lieu de travail principal, on aboutit au taux de 60 % que j'évoquais.
Mes directeurs et moi-même avons fait le test. Nous sommes dix et nous nous partageons huit bureaux. Ils sont occupés physiquement 15 % du temps, parce que, le plus souvent, nous sommes en réunion, sur le terrain, avec les équipes ou en entretien... Signe de l'importance de ma fonction, mon bureau occupe six travées de fenêtres à Bercy. Cela représente un certain nombre de mètres carrés, qui valent effectivement très cher à Paris... Or pendant 85 % du temps, ils ne sont pas occupés et ne bénéficient pas à mes équipes.
C'est pourquoi un nombre croissant d'organisations utilisent le principe de l'occupation du lieu de travail en fonction de l'activité, ou « activity-based workplace ». Elles n'attribuent pas de bureau statutaire, à la différence des administrations qui ont ce réflexe car elles ont un organigramme très vertical. Elles répartissent les espaces en fonction de ce que font les gens. Ont-ils besoin de se concentrer pour travailler ? Reçoivent-ils du public ? Ont-ils besoin de traiter de l'information confidentielle ? Travaillent-ils en mode projet ?
Mon métier, par exemple, c'est d'abord de mobiliser mes équipes, de recevoir des professeurs, des directeurs d'administration centrale, des patrons d'entreprise du BTP, etc. J'ai donc une salle de réunion pour les recevoir correctement, un endroit pour réunir mon équipe et un endroit pour faire des entretiens. Quand je réponds à des courriels, je m'efforce de rester accessible pour mes agents. Tel est mon besoin. Dès lors que l'on part du métier, il devient possible de réduire massivement les surfaces occupées. Il existe un vrai gisement à cet égard.
Certes, un mètre carré à Paris ne vaut pas un mètre carré en province. C'est vrai en ce qui concerne la valorisation. Les recettes que nous réalisons proviennent principalement de cessions franciliennes. En revanche, c'est faux en ce qui concerne le coût de réalisation de la transition environnementale et des remises aux normes. Le désamiantage coûte un petit peu plus cher à Paris, mais pas considérablement. De même cela coûte légèrement plus cher à Paris de réaliser les travaux pour atteindre les niveaux de performance définis dans le décret tertiaire, en raison du coût du BTP. Ce qui coûte cher, c'est d'obtenir le bon niveau de performance. La réduction des surfaces nous permet en fait d'éviter des dépenses.
Madame la rapporteure spéciale, je rejoins vos propos sur l'immobilier de l'ATE. Celui-ci n'est structurellement pas financé dans les dépenses d'investissement du programme 354 « Administration territoriale de l'État ». Une impasse a été faite à cet égard. On a pu la pallier grâce notamment à l'enveloppe de 1 milliard d'euros pour les cités administratives. De très grosses opérations ont pu être menées dans de nombreux endroits.
Je reviens sur la mise à disposition des biens des collectivités territoriales. La foncière ne pourra pas se voir transférer les biens des collectivités, car l'État ne peut pas transférer des biens qui ne lui appartiennent pas. Nous avons travaillé sur différents scénarios. L'enjeu est d'avoir une vision d'ensemble du patrimoine. Les locaux des préfectures, par exemple, appartiennent pour la plupart aux départements, mais l'État assume toutes les dépenses du propriétaire. Il pourrait très bien signer une convention de gestion avec la foncière pour lui confier la gestion des locaux des préfectures, sans pour autant transférer la propriété, afin d'avoir une vision intégrée de son patrimoine.
L'idée sous-jacente à la création d'une foncière est d'éviter que les fonctions immobilières ne soient éclatées en différentes instances d'une manière sous-optimale, tout en professionnalisant la gestion du parc foncier de l'État.
L'objectif est que l'État dispose d'une structure qu'il détient à 100 % et qui, à l'image d'un Épic, peut recruter des professionnels de l'immobilier dans le privé et attirer les meilleurs. Même si les rémunérations ne sont peut-être pas aussi élevées que dans une société foncière privée, nous pouvons attirer les gens qui ont le sens de l'intérêt général et qui veulent contribuer au bien commun. En créant une structure professionnelle, nous pouvons espérer professionnaliser la fonction immobilière et nous aligner sur les meilleures pratiques du privé.
Enfin, vous m'avez interrogé sur la gouvernance au niveau local. C'est l'un des points clés sur lesquels nous travaillons. Il faut aller au bout d'une logique. Il y a des ruptures dans la réforme qui est proposée, mais il y a aussi une part de continuité. Les réformes de 2007 et 2016 consistaient à clarifier le rôle de l'État propriétaire par rapport à celui de l'État occupant. Mais l'État doit aussi jouer son rôle de stratège.
Je suis favorable à une déconcentration au niveau local, car l'immobilier se gère au plus près des terrains. Dans cette déconcentration, il appartiendrait au préfet de région de définir la stratégie d'implantation de l'État dans le schéma directeur immobilier régional. Le ministre chargé des domaines définirait les objectifs politiques à atteindre, en matière de réduction des surfaces occupées, de décarbonation, etc. Il reviendrait ensuite au préfet de décider comment il peut les mettre en oeuvre dans son territoire, quitte à prendre des décisions - c'est un élément clé - qui ne plaisent pas aux administrations centrales et aux opérateurs. Le préfet doit pouvoir demander à un opérateur local de l'État de quitter ses locaux pour rejoindre une cité administrative, dans une logique d'optimisation, pour bénéficier d'un accueil commun, d'une gestion et d'une logistique mutualisées.
Le rôle du préfet de région est de définir la stratégie. Il doit être assisté par des professionnels de l'immobilier, capables de l'éclairer et de chiffrer toutes les options envisagées pour qu'il puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause. Il faut aussi disposer de professionnels pour mettre en oeuvre la stratégie une fois qu'elle a été décidée.
Je n'ai pas évoqué la densification. Je n'ai pas peur que nous surdensifiions nos bâtiments. Il s'agit d'un objectif majeur. C'est la condition de la réussite de la décarbonation, car nous n'arriverons pas à investir dans tous les bâtiments. La densification contribue également à la mise en oeuvre d'autres politiques publiques. En réduisant de 25 % la surface des bureaux que nous occupons dans les dix ans à venir, nous libérerons 5 millions de mètres carrés qui seront susceptibles d'être réaffectés. L'offre de bureaux est excédentaire, mais ces mètres carrés déjà artificialisés pourront servir à la réalisation de logements, à la logistique du dernier kilomètre ou aux activités économiques : ils contribueront à la mise en oeuvre de l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN).
M. Michel Canévet. - Il me semble, en vous écoutant, que se fait jour une véritable volonté de faire évoluer les choses, ce que nous apprécions, car cela était nécessaire.
La cible de 16 mètres carrés par agent est-elle suffisamment ambitieuse au regard des autres exemples que vous avez cités dans votre présentation, où l'objectif d'occupation des locaux est un peu inférieur ?
Les opérateurs de l'État sont-ils bien intégrés dans le périmètre du dispositif ? Une opération de construction de 50 000 mètres carrés de bureaux, pour un coût de 1 milliard d'euros - soit 20 000 euros le mètre carré -, est en cours du côté de la gare d'Austerlitz, pour le compte d'un opérateur de l'État. On sait toutefois que ce dernier n'occupera qu'une partie des surfaces.
Le patrimoine des universités est ancien et en mauvais état. Le problème vient sans doute du fait que les universités n'ont pas la capacité de gérer elles-mêmes leur patrimoine et d'emprunter pour prévoir l'avenir ou pour réaliser des travaux d'économies d'énergie.
La situation est similaire pour les gendarmeries. Les bâtiments ont besoin d'être rénovés. Des investissements importants sont nécessaires. Pourtant, on a l'impression que les opérations traînent un peu, qu'il est difficile de les concrétiser, alors même que des schémas ont déjà été élaborés.
Vous avez indiqué que certains locaux de l'État sont disponibles. Il se trouve que l'occupation des locaux par un certain nombre d'acteurs suscite des interrogations dans l'opinion publique. Pourquoi, par exemple, l'État ne met-il pas des bureaux de son patrimoine à la disposition des anciens présidents de la République, plutôt que de louer, à des coûts extrêmement élevés, des locaux ici et là, ce qui peut susciter l'incompréhension de la population ?
Enfin, ne serait-il pas souhaitable de simplifier les règles de la commande publique afin d'améliorer l'entretien et la maintenance de l'immobilier d'État sur l'ensemble du territoire ?
M. Hervé Maurey. - Si mes informations sont bonnes, nous sommes plus autour de 40 mètres carrés que de 16, soit plus du double de l'objectif. Comment comptez-vous atteindre cet objectif et dans quels délais ? Par ailleurs, faites-vous systématiquement évaluer les biens immobiliers de l'État que vous mettez sur le marché par les domaines ou avez-vous recours à d'autres méthodes ?
Pour être un peu direct, savez-vous vendre au prix du marché ? On a parfois le sentiment, peut-être à tort d'ailleurs, que lorsque l'on achète à l'État, l'on fait une bonne affaire. En tout cas, il semblerait que quand on loue à l'État, l'on fasse parfois une très bonne affaire. De nombreux articles ont évoqué récemment la Maison de l'Amérique latine, dont les 2 000 mètres carrés de locaux qui donnent sur un parc d'un hectare au plein coeur de Paris sont loués 6 euros du mètre carré. Son propriétaire, la Banque de France, n'a visiblement jamais été autorisé à vendre ce bien. Vous nous en direz certainement les raisons.
La foncière me semble une très bonne idée. Cependant, ne faudrait-il pas aller plus loin et imputer aux ministères, dans un esprit de responsabilisation, le coût des locaux qu'ils utilisent ?
Enfin, vous disiez que les objectifs de réduction des surfaces étaient fixés par les préfets de région. Pour s'inscrire davantage dans le long terme, une loi de programmation ne serait-elle pas souhaitable ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Vous avez mentionné la sobriété foncière parmi les principaux leviers permettant d'atteindre vos objectifs. À ce titre, vous envisagez de vous séparer de 25 % des surfaces de bureau dans les dix prochaines années. Les collectivités occuperont-elles une place particulière dans ce processus de vente ?
Par ailleurs, vous ne mentionnez pas la vente de biens immobiliers non bâtis. Or l'État possède quelque 31 000 terrains et, lorsque des communes souhaitent acheter notamment des terrains militaires, elles se heurtent à une nébuleuse sans jamais obtenir de réponse, ou alors des réponses dilatoires. À cette occasion, elles perdent un temps considérable. Avez-vous un conseil à donner aux maires et présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de mon département afin que l'on sorte de cette impasse ?
M. Raphaël Daubet. - Je m'interrogeais également sur les cessions. En extrapolant le prix au mètre carré des ventes effectuées en 2024, l'État pourrait récupérer 25 milliards d'euros. Il y a évidemment des disparités selon les territoires et les marchés, mais votre avis sur cette estimation m'intéresse.
Nous avons bien compris que le plan de cession s'étalerait sur dix ans, au fur et à mesure des déménagements. Disposez-vous néanmoins de chiffres différentiels entre, d'une part, les bâtiments qui sont occupés, et, d'autre part, les friches inoccupées, susceptibles d'être vendues plus rapidement ?
Quelles procédures comptez-vous mettre en oeuvre pour garantir des cessions efficaces ? Vous avez évoqué le bail emphytéotique, mais comment accélérer les procédures ? Dans mes fonctions précédentes, j'ai voulu acquérir de l'immobilier de l'État et j'ai peiné à identifier ne serait-ce que l'interlocuteur compétent. Je pense aussi aux friches militaires, pour lesquelles il est difficile de savoir à qui s'adresser pour procéder à la transaction.
Les collectivités locales seront, à juste titre, parmi les principaux bénéficiaires de ces cessions. Il faut tout de même prévoir de les accompagner : certains bâtiments exigent des travaux de restructuration tellement importants qu'il serait inutile de les céder à des collectivités qui se trouveraient par la suite dans l'incapacité de les rénover. Menez-vous une réflexion à ce sujet avec les autres ministères ? Avez-vous une stratégie d'ensemble d'accompagnement des collectivités ?
Enfin, vous semblez considérer que la maille du préfet de région est la meilleure pour appliquer la stratégie d'implantation de l'État. Les préfets de département sont peut-être trop proches des opérateurs et des services, mais les préfets de région me semblent éloignés des territoires. Que répondez-vous à cette inquiétude ?
M. Pascal Savoldelli. - Je ne maîtrise pas le sujet, mais il me semble que la solution envisagée - une foncière publique - répondrait à un modèle économique - des loyers internalisés, des contractions de surfaces - comparable à celui que nous avons connu pour La Poste et la SNCF.
Nous devons faire en la matière un travail de dentelle : nous parlons de bâtiments très différents, aux usages variés et dont la construction peut remonter à quelques dizaines d'années seulement comme à plusieurs siècles.
Vous l'avez dit avec sincérité : nous allons vers de la création de valeur. Or compte tenu de la situation de raréfaction du foncier dans laquelle nous sommes, nous risquons de faire monter le prix du foncier. Si le foncier n'est pas maîtrisé, nous aurons un problème pour construire du logement social, mais aussi pour encourager l'accession sociale à la propriété.
Quel doit donc être le rôle de l'État ? Vous nous dites que le coût de remise à niveau s'élève à 142 milliards d'euros d'ici à 2050 et que le coût des bâtiments non occupés est énorme. Quelles sont dès lors les possibilités de mutabilité et de changements d'affectation ? Si l'affectation change, le coût change aussi. J'ai vu que vous louiez 5,5 millions de mètres carrés à des personnes privées, ce qui correspond à 43 % du patrimoine bâtimentaire de l'État. J'imagine que vous êtes allés au bout de la démarche. Ne nous racontons pas d'histoire : le patrimoine de l'État est difficile à vendre ou à louer.
Si l'on cède au privé, ce dernier prendra à sa charge la rénovation ou la mise aux normes des bâtiments. Pour ma part, je préfère parler de patrimoine, car cela implique une responsabilité à l'égard de la diversité du bâti. Vous l'aurez compris, je suis préoccupé par la cession au prix du marché. Entre 2012 et 2022, la valeur du patrimoine immobilier contrôlé a augmenté de 14 milliards d'euros. Ce n'est pas de la « faute » de l'État et encore moins de votre direction, mais cette évolution du marché pèse sans doute dans vos décisions.
M. Vincent Capo-Canellas. - Un certain nombre d'opérateurs ont besoin de mettre aux normes leurs locaux parfois très anciens pour offrir à leur personnel des conditions de travail dignes de ce nom. Conséquence d'un certain nombre de fusions, ils disposent d'un parc immobilier aujourd'hui trop important. Lorsqu'ils veulent réduire ce parc, on leur oppose, semble-t-il, une règle selon laquelle il faut rendre 50 % du produit des cessions. De son côté, l'administration centrale à laquelle ils sont rattachés exige parfois d'en récupérer la moitié. Si les deux moitiés sont prises, il ne reste plus rien pour restructurer ! J'effectue en ce moment une mission de contrôle des crédits du Cerema et son directeur général a évoqué publiquement ce problème. Ce type de pratiques décourage les restructurations. Ont-elles réellement cours ?
M. Alain Resplandy-Bernard. - Sur la question de savoir si la cible de 16 mètres carrés par agent est assez ambitieuse, essayons déjà d'atteindre cet objectif. Il nécessite tout de même de gros efforts, un dialogue social et une véritable réflexion sur les missions. L'atteindre libérerait déjà beaucoup d'espace. Les 40 mètres carrés par agent existent par endroits, mais la moyenne est à 25. En réduisant de 25 %, nous atteindrions 18 mètres carrés par agent. Ce ne serait pas la fin de l'histoire et cela libérerait 5 millions de mètres carrés.
Les opérateurs sont intégrés au maximum et les opérateurs au sens du projet de loi de finances doivent produire un SPSI validé. Je vous le disais, la moitié d'entre eux seulement l'a fait. Beaucoup n'ont donc pas de stratégie immobilière. L'opération qui a été citée n'étant pas soumise à labellisation par la direction de l'immobilier de l'État, je m'abstiendrai de la commenter.
Les universités sont un cas très particulier. La France est, avec l'Autriche, l'un des rares pays dans lequel l'État est encore propriétaire de la plupart des actifs des universités. La politique de dévolution - nous en sommes à la troisième vague - a sa pertinence : elle permet aux acteurs de disposer de tous les leviers. La dévolution est ainsi souhaitable si l'acteur concerné a les moyens d'avoir une fonction immobilière forte - ce n'est pas le cas de tous les opérateurs - et qu'il est responsabilisé sur le maintien de la valeur des actifs. Je pense que les universités peuvent être dans ce cas. Je note en la matière une certaine frilosité et la dévolution pourrait à mes yeux aller plus vite.
Concernant l'occupation par les acteurs, je suis très prudent : ce n'est pas à moi de dire quelles sont les missions de l'État ni quels opérateurs et quelles personnes il reçoit dans ses bâtiments. Pour ma part, je reçois des commandes. À chacune d'entre elles, j'interroge le besoin métier pour essayer de le réduire au minimum. Ensuite, j'applique mes propres principes de négociation. Je suis assez obtus sur notre plafond de loyer. Ce dernier est inférieur au prix moyen du mètre carré parisien et il faut monter à un assez haut niveau politique pour obtenir l'autorisation de le dépasser. Cela peut arriver, mais la plupart du temps, mes équipes réussissent à obtenir des accords dans lesquels nous respectons ce plafond.
Je ne ferai pas de commentaire sur la simplification de la commande publique. Pour les grosses opérations de rénovation, nous avons toutefois quelque peu rattrapé notre retard. Nous utilisons de plus en plus les marchés de conception-réalisation et les marchés globaux de performance, qui nous permettent d'acheter non pas un programme de travaux ou un geste architectural, mais un « niveau de performance » énergétique, de plan ou de fonctionnalités sur six à dix ans d'exploitation. Cette démarche est beaucoup plus vertueuse : je suis sûr que les bâtiments seront entretenus et je dispose des leviers financiers pour que mon contractant optimise les travaux.
En matière de mise en vente, nous sommes soumis aux mêmes règles que les autres : je dois faire évaluer le bien par les domaines et je n'ai pas le droit de vendre en deçà de cette évaluation. Celle-ci fait souvent débat : quand ils veulent acheter, les élus la trouvent trop haute ; quand ils veulent céder, ils la trouvent trop basse. En 2020, nous avons fait évaluer une quarantaine de biens à la fois par les domaines et par des prestataires privés. Nous n'avons relevé lors de ce test aucun biais systématique, que ce soit dans un sens ou dans l'autre : pour le même bien, les évaluations privées étaient parfois au-dessus, parfois au-dessous de celle des domaines. Nous publions désormais - l'évaluation des domaines concerne à 90 % les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) et les collectivités locales - un avis-rapport, dans lequel nous rendons transparentes les hypothèses qu'a prises l'évaluateur. Toute l'évaluation repose en effet sur des hypothèses : prix de sortie du foncier, coût de construction ou encore coût de démolition.
Les délais de vente de l'État - on me le reproche parfois - sont trop longs, trois ans en moyenne. Ils sont liés à des procédures qui sont prévues dans les textes. Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. Ainsi, mon homologue canadien met huit ans à vendre les biens. De la même façon que je soumets systématiquement le bien concerné au droit de priorité des collectivités locales - elles sont de fait les premiers acheteurs des biens de l'État -, il doit en plus consulter toutes les communautés indigènes autochtones au titre du droit au retour à la terre.
Nous avons diversifié nos biens et nous avons en effet plusieurs canaux de vente. Nous utilisons par exemple la plateforme de vente aux enchères Agorastore, que beaucoup de collectivités locales utilisent. Pour les biens les plus fructifères, par exemple les grands terrains franciliens, nous travaillons avec des intermédiaires de la place afin d'aller chercher des investisseurs professionnels. Nous intervenons également sur de nombreux petits terrains. Nous mettons les acteurs locaux sous tension pour aller le plus vite possible.
Concernant les locations, je ne commenterai pas la situation du bien qui a été évoqué, la Banque de France n'étant pas dans mon périmètre de responsabilité. En revanche, nous dynamisons sur l'ensemble du territoire les 119 millions d'euros de redevance tirés des loyers.
Je reviens sur la stratégie de cession et sur l'objectif de réduction de 25 % de la surface, soit 5 millions de mètres carrés. Sur les 97 millions de mètres carrés dont je parle, l'État est propriétaire de 75 % à 80 %, locataire pour le reste. Cette proportion me paraît assez pertinente. Pour ce qui est des missions pérennes et régaliennes, l'État a intérêt, me semble-t-il, à maîtriser le bien, pour des raisons d'intérêt national et d'optimisation financière. En revanche, un parc immobilier doit pouvoir respirer. Les gouvernements changent, et avec eux les priorités. Ils peuvent me demander d'investir dans une priorité gouvernementale plus gourmande en mètres carrés, au détriment d'une autre. Or il est plus facile de mettre fin à un bail que de vendre.
Initialement, nous avions calculé que l'objectif de réduction de 25 % pourrait être atteint pour moitié au moyen de fins de bail et pour l'autre moitié par des cessions. Le produit des cessions n'est donc pas tout à fait celui que vous envisagez. Par ailleurs, nous sommes attentifs à conserver une stratégie étalée dans le temps : autant le marché francilien est capable d'absorber de grosses opérations - nous y sommes un acteur minoritaire -, autant, sur les marchés locaux, la vente simultanée de quatre ou cinq bâtiments de 2 000 à 5 000 mètres carrés au sein d'une même préfecture ferait s'effondrer le prix du foncier.
Les biens complètement vides ne sont pas très nombreux. Le plus gros sujet reste la sous-occupation des biens, c'est-à-dire les mètres carrés inoccupés disséminés dans des bâtiments que l'on utilise par ailleurs. Dans ce cas, avant de pouvoir envisager une cession, il faut d'abord investir dans une restructuration - on ne va pas vendre un demi-plateau de cité administrative. Les 3 millions de mètres carrés à vendre, s'ils représentent déjà un gros volume, n'épuisent donc pas totalement le sujet.
Vous m'avez également interrogé sur la manière d'accélérer les projets. Sachez que nous avons simplifié notre organisation administrative et qu'il existe désormais un responsable régional de la politique immobilière de l'État, qui s'occupe à la fois des aspects stratégiques et des aspects opérationnels de la gestion domaniale. Si vous avez un problème, vous pouvez facilement l'identifier sur le site de la direction régionale des finances publiques (DRFiP) et venir frapper à sa porte. Et s'il ne répond pas, vous pouvez toujours venir frapper à la mienne !
Les procédures de consultation peuvent expliquer certains délais. On comprendra aussi que la stratégie foncière du ministère des armées soit amenée à évoluer dans le contexte international actuel. On sort de plusieurs dizaines d'années de réduction du format des armées, y compris sur le terrain. Aujourd'hui, face au défi de la guerre de haute intensité et aux nouvelles menaces, les armées ont besoin de conserver des réserves foncières, et les cessions militaires devraient donc diminuer dans les années à venir. Ces dernières bénéficient en outre d'un régime particulier, puisque l'intégralité du produit des cessions - et non 50 % - revient au ministère des armées, conformément aux dispositions de la loi de programmation militaire.
Je dirai quelques mots sur le fonctionnement du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », qui permet par exception de réinjecter 100 % des gains de cession dans l'immobilier. La part de 50 % que vous évoquez, monsieur le sénateur, ne disparaît pas dans un trou noir. Elle est mutualisée, ce qui me permet d'allouer 160 millions d'euros par an aux préfets de région et aux secrétaires généraux des ministères pour réaliser le strict minimum d'entretien courant des bâtiments - soit la modique somme de 1,60 euro par mètre carré. L'autre moitié est affectée à des opérations immobilières, sur décision des ministères ou des préfets de région pour l'administration déconcentrée. Si l'on redonnait 100 % du produit de cession à chaque opérateur, on figerait le parc immobilier en l'état. Or, certaines missions sont appelées à croître dans les années à venir, d'autres à décroître. Il faut pouvoir opérer des réallocations, et l'équilibre actuel me semble satisfaisant.
Le directeur général du Cerema, avec tout son enthousiasme, est en droit de pointer des limites, mais il a aussi la pudeur d'oublier qu'il a bénéficié de crédits financés à 100 % par le programme 348 ou le programme 362 du plan de relance.
J'en viens à la question de la création de valeur. La Poste Immobilier, dont on vient de fêter les vingt ans, est à mon sens une réussite. Elle a professionnalisé la fonction immobilière du groupe, lui a permis de travailler à l'optimisation de son parc et a créé en vingt ans 1,2 milliard d'euros de valeur, autant d'argent qui a pu être réinvesti dans le développement et la transformation du groupe. C'est un peu ce que nous souhaitons faire au service des missions de l'État.
Je ne crois pas que nos interventions aient un impact inflationniste sur les prix du foncier et de l'immobilier. Ce serait plutôt le contraire : en libérant des mètres carrés aujourd'hui inutilisés, selon la loi de l'offre et de la demande, on devrait plutôt faire baisser les prix. Surtout, je ne crois pas que le volume de nos cessions soit suffisant pour influencer les prix de marché. Il existe plusieurs mécanismes de décote ou d'atténuation : cessions à l'euro symbolique de foncier militaire en cas de restructuration, décote Duflot pour la contribution au logement social, etc.
M. Thomas Dossus, président. - Je vous remercie de ces propos éclairants, monsieur le directeur.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Réforme de la franchise en base de TVA - Communication
M. Thomas Dossus, président. - Nous allons entendre ce matin le rapporteur général sur la réforme de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à la suite du cycle d'auditions qu'il a mené et qui était ouvert à l'ensemble des commissaires des finances. Un cycle d'auditions « flash », qui a été très rapide, puisqu'il s'est concentré sur quelques jours à la fin du mois de mars. Il avait été annoncé en commission à l'initiative du président Claude Raynal et du rapporteur général le 19 mars dernier, en réponse à une pétition déposée sur le site du Sénat ayant dépassé les 100 000 signatures en seulement quelques jours. Cette pétition demandait le retrait de la réforme de la franchise en base de TVA qui a été adoptée dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2025.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avons en effet lancé avec la commission des finances, le 19 mars dernier, un cycle d'auditions « flash » sur la réforme de la franchise en base de TVA, introduite par le Gouvernement dans le cadre de la loi de finances pour 2025, qui prévoyait l'institution d'un seuil unique de chiffre d'affaires annuel abaissé à 25 000 euros pour bénéficier de cette franchise. Ce cycle d'auditions répond à la saisine du Sénat par la voie d'une pétition déposée le 21 février par Grégoire Leclerc, le président de la Fédération nationale des auto-entrepreneurs, demandant l'abrogation de cette mesure. En effet, cette pétition a recueilli plus de 100 000 signatures en seulement quelques jours. Le Gouvernement avait suspendu l'application de cette réforme le jour même de l'adoption du texte par le Parlement, le 6 février, avant de proroger cette suspension jusqu'au 1er juin.
Les auditions que j'ai menées ont permis d'entendre les observations des différents acteurs et parties prenantes. J'en profite pour remercier les membres de la commission qui ont pu se joindre à ces auditions. Il en ressort que les réserves exprimées par notre commission dès l'automne 2024 étaient particulièrement fondées.
J'aborderai deux points principaux : d'une part, les motifs invoqués par le Gouvernement pour justifier l'abaissement des seuils de la franchise en base de TVA ; d'autre part, les conséquences d'une telle réforme pour les acteurs concernés, ainsi que les incertitudes entourant sa mise en oeuvre.
Pour rappel, le régime de la franchise en base vise à exonérer du paiement de la TVA les petites entreprises dès lors qu'elles réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à des seuils déterminés. Je précise tout de suite, et c'est important, que toutes les petites entreprises sont concernées et non, comme peut-être on pourrait le croire, les seuls auto-entrepreneurs ou micro-entrepreneurs. Révisés en loi de finances pour 2024, dans le cadre de la transposition d'une directive européenne, les seuils de droit commun, depuis le 1er janvier 2025, s'élèvent à 85 000 euros de chiffre d'affaires pour les livraisons de biens et à 37 500 euros pour les prestations de services. À ces seuils de droit commun s'ajoutent deux seuils spécifiques, bénéficiant aux activités des avocats, des auteurs et des artistes-interprètes. Ce régime favorable, destiné à alléger la charge fiscale et administrative pour les entreprises, bénéficie à environ 2,1 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou micro-entreprises.
Dans le cadre de l'examen du budget pour 2025, le Gouvernement de Michel Barnier a introduit, par amendement au Sénat, le 26 novembre 2024, une réforme d'ampleur des seuils d'application de la franchise en base, instituant ainsi un seuil unique de chiffre d'affaires annuel à 25 000 euros. Je rappelle, et cela me semble important, voire essentiel, que le Sénat a tout d'abord rejeté cette mesure en première délibération, sur le fondement d'un avis défavorable de notre commission, qui jugeait la réforme mal préparée, mal étayée et, pour tout dire, les arguments du Gouvernement peu convaincants. Le compte rendu des débats le montre bien.
Le Gouvernement a malgré tout déposé un nouvel amendement en seconde délibération. Dans le contexte de cette seconde délibération, où le Gouvernement chiffrait le produit de cette réforme à près d'un milliard d'euros, nécessaire pour tenir les objectifs de réduction du déficit public, le Sénat a finalement adopté cette mesure avec un avis favorable de notre commission. Cette disposition n'a pas été longuement discutée lors de la commission mixte paritaire (CMP) et son report, je le disais au début de mon intervention, a été annoncé dès le jour même du vote des conclusions de la CMP au Sénat.
Quels sont donc les motifs invoqués par l'exécutif à l'appui de cette réforme et pourquoi notre commission avait émis des réserves lors de son examen ?
Selon le Gouvernement, la révision des seuils de la franchise en base de TVA répondait à deux motifs économiques distincts.
D'une part, l'existence de distorsions de concurrence « internes » entre les entreprises françaises non bénéficiaires de la franchise et les entreprises françaises bénéficiaires de celle-ci : pour une entreprise bénéficiaire de ce régime, la franchise en base de TVA se traduit en effet par une diminution de la charge de TVA, égale au taux moyen de TVA nette supportée par l'entreprise.
D'autre part, l'existence de distorsions de concurrence « externes », entre les entreprises françaises et les entreprises européennes, compte tenu du niveau relativement élevé des seuils français de franchise en base de TVA : depuis le 1er janvier 2025, une entreprise franchisée dans un autre État membre de l'Union européenne dispose de la faculté de bénéficier de la franchise pour ses opérations effectuées dans d'autres États membres, dans la limite d'un plafond européen de 100 000 euros. Cette nouvelle faculté bénéficie mécaniquement davantage aux entreprises établies dans les États membres dont les seuils nationaux sont relativement faibles.
Il faut cependant apporter des nuances à ces deux motifs.
D'une part, concernant les distorsions de concurrence « internes », la franchise de TVA constitue certes un avantage fiscal objectif, qui bénéficie aux auto-entrepreneurs ainsi qu'aux très petites entreprises. Or, il nous est apparu, lors des auditions, qu'il existait une confusion entre le sujet de la franchise en base et celui de la concurrence que représente, indépendamment de la TVA, le modèle de la micro-entreprise par rapport au modèle de la petite ou très petite entreprise, de l'artisan salarié ou indépendant. Nos auditions ont bien montré que la problématique n'était pas réellement la franchise en base de TVA, mais plutôt un nouvel épisode de la contestation du régime spécifique des auto-entrepreneurs, pourtant assez stable depuis sa création en 2008 et, j'ajouterais, qui pose moins de problèmes quand il y a beaucoup d'activité.
D'autre part, concernant les distorsions de concurrence « externes », les risques allégués au titre de l'ouverture de la franchise en base de TVA au niveau européen demeurent, de mon point de vue, largement théoriques. En effet, le régime de la franchise en base ne bénéficie par définition qu'aux entreprises les plus petites, dont l'activité hors de leur pays d'origine est faible, voire inexistante, si l'on excepte les entreprises qui sont dans des territoires frontaliers, dont la part est marginale par rapport à l'ensemble du territoire national.
C'est donc ainsi que notre commission s'est opposée à cette disposition en première délibération du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Non seulement la motivation en termes de distorsions de concurrence nous avait semblé peu étayée, mais nous avions relevé plusieurs éléments invitant à une grande prudence. D'abord, le caractère particulièrement tardif de la présentation de cette réforme, dont je rappelle qu'elle était introduite par amendement deux mois après le début de l'examen budgétaire. Deuxièmement, la nécessité de prendre en compte la diversité des situations et des tailles d'entreprise. Troisièmement, le fait que cette mesure cache difficilement son objectif de rendement fiscal avec une hausse des recettes en année pleine estimée à 800 millions d'euros. Je dirais même que c'était d'abord et avant tout une mesure de rendement fiscal, qui d'ailleurs traîne dans les tiroirs de Bercy depuis un certain temps. Les administrations centrales de Bercy elles-mêmes, que nous avons auditionnées, nous ont avoué une certaine surprise lorsque cet amendement est finalement apparu dans la procédure budgétaire.
Selon l'administration fiscale, le rendement budgétaire total associé à la mise en place d'un seuil unique à 25 000 euros s'élèverait en année pleine à environ 800 millions d'euros - plus exactement 780 millions d'euros - de recettes supplémentaires de TVA pour les finances publiques, dont à peu près la moitié, 400 millions d'euros, pour l'État. L'abaissement des seuils priverait environ 200 000 entreprises du bénéfice de la franchise en base, sur un total de 2,1 millions d'entreprises actuellement éligibles à ce régime, soit environ 10 % des entreprises éligibles.
J'en viens aux conséquences significatives d'une telle réforme pour les professions et les secteurs concernés et aux nombreuses incertitudes entourant sa mise en oeuvre pratique. La réforme de la franchise en base de TVA résultant de la loi de finances pour 2025 se traduit par une baisse sensible par rapport au niveau des seuils préexistants. Ainsi, le seuil de droit commun applicable au commerce de biens, aux travaux immobiliers, au secteur de l'hôtellerie et de la restauration, est quasiment divisé par quatre puisqu'on passe de 85 000 euros à 25 000 euros. De même, le seuil de droit commun applicable aux autres prestations de services est réduit d'un tiers, de 37 500 euros à 25 000 euros. Quant aux deux seuils spécifiques relatifs aux activités des avocats, des auteurs et des artistes-interprètes, ceux-ci sont également supprimés et fondus dans le seuil unique de 25 000 euros.
Cet abaissement des seuils devrait toucher aussi bien les micro-entreprises que les très petites entreprises. Selon les données de l'administration fiscale, sur un total exact de 206 000 entreprises privées du bénéfice de la franchise en base du fait de la réforme, 135 000 seraient des micro-entreprises, quand 71 000 ne relèveraient pas de ce statut, soit une proportion de deux tiers / un tiers.
S'agissant des professions et secteurs concernés, si la réforme affecte principalement le secteur de la construction, avec 53 000 entreprises touchées, elle présente également un impact substantiel pour le commerce, la réparation d'automobiles et de motocycles, les services à la personne, les avocats ou encore les kinésithérapeutes.
De surcroît, la révision des seuils de la franchise en base en cours d'année civile soulève plusieurs difficultés d'application. En particulier, l'application du double seuil de franchise, apprécié en année N-1 et en année N, présenterait, dans le contexte de la réforme, un caractère rétroactif. De même, la prise en compte des opérations facturées avant la date d'entrée en vigueur de la mesure poserait question. Même l'administration fiscale nous a indiqué ne pas être prête pour mettre en oeuvre cette réforme et convient que les entreprises concernées ont besoin d'un délai d'application pour qu'elle soit tout à fait opérationnelle.
En conclusion, il apparaît clairement que la révision des seuils de la franchise en base de TVA ne saurait être une mesure improvisée, introduite par amendement sans aucune étude d'impact, appliquée en cours d'année au détriment des professionnels concernés et de l'administration elle-même, et, de surcroît, à peine discutée au Parlement. Je pense donc qu'il faut revenir sur la réforme telle qu'elle a été introduite dans la loi de finances pour 2025.
Dans ce contexte, j'ai été étonné de la volonté de l'exécutif de persister dans sa démarche à travers un nouvel amendement qui a été déposé le week-end dernier sur le projet de loi de simplification de la vie économique, qui est discuté en ce moment même à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement donne ainsi le sentiment de n'avoir rien appris de ses erreurs, car la solution soutenue présente au final les mêmes caractéristiques d'improvisation et d'impréparation - sans même me prononcer sur le fond - que la mesure qui avait été introduite en loi de finances pour 2025, avec deux nouveaux seuils : un seuil de droit commun de 37 500 euros et un seuil spécifique pour les travaux immobiliers de 25 000 euros.
L'amendement en question, déposé à l'Assemblée nationale, n'aurait d'ailleurs jamais été discuté au Sénat, du fait de l'engagement de la procédure accélérée. Mais il a été déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution. Après avoir été déclaré une première fois irrecevable par le président de la commission spéciale, il a été présenté par le Gouvernement en séance publique, où il a été déclaré une seconde fois irrecevable par la présidente de l'Assemblée nationale.
Pour conclure, et à l'issue de mes travaux, je vous indique que je suis donc favorable au retour à la situation qui préexistait à la réforme de la franchise en base par la loi de finances pour 2025. Je souhaite, comme je l'avais d'ailleurs indiqué lors de la première délibération de notre assemblée, que les initiatives fiscales du Gouvernement d'une telle ampleur figurent dans les textes initiaux des projets de lois de finances, qu'elles soient bien documentées, à travers des études d'impact, et qu'elles soient discutées par les deux chambres de notre Parlement avant d'être mises en oeuvre.
M. Jean-Pierre Vogel. - Je partage tout à fait l'analyse du rapporteur général.
On se demande d'ailleurs comment seront résolus un certain nombre de problèmes que les hauts fonctionnaires de Bercy n'ont sans doute pas envisagés. D'une part, la TVA peut, en fonction des prestations, être due à l'encaissement ou à la facturation. Pour le bâtiment ou les prestations de services, la TVA est due à l'encaissement.
Envisageons à titre d'exemple une facturation datée du mois de décembre, réalisée par un bénéficiaire de la franchise en base exerçant dans le bâtiment ou effectuant des prestations de services, et qui aurait fait l'objet d'un paiement six mois plus tard, après mise en oeuvre de la réforme des seuils. Dans l'hypothèse où cette entreprise dépasserait le nouveau seuil unique de 25 000 euros, la TVA serait alors due puisque, pour le bâtiment ou les prestations de services, la taxe est due au moment de l'encaissement et non de la facturation.
Quid de la régularisation de la TVA déductible acquittée sur les loyers qui constitueraient une charge pour les professionnels concernés par l'abaissement des seuils de la franchise en base ? En effet, tant que les entreprises bénéficiaient de la franchise, celles-ci n'étaient pas assujetties à la TVA et ne pouvaient donc pas déduire la TVA acquittée sur leurs loyers. Qu'en est-il dès lors que ces entreprises deviennent assujetties à la TVA ?
Par ailleurs, quel serait le traitement fiscal de tels loyers - pour lesquels la TVA acquittée n'était donc pas déductible avant la réforme - quand un bailleur opte pour l'assujettissement à la TVA afin de bénéficier de la déduction de la TVA acquittée sur les travaux de réparation de l'immeuble ?
La régularisation sur les immeubles se fait par vingtième, la régularisation sur les meubles par cinquième. Je ne sais pas comment cela pourrait être résolu.
Il y a par ailleurs une question qui n'a pas été évoqué, c'est celle des collectivités territoriales qui bénéficient actuellement de la franchise en base de TVA en dessous du seuil de 37 500 euros, et qui se verraient appliquées la TVA à partir du nouveau seuil de 25 000 euros. Quid du montant des locations désormais assujetties à la TVA, pour des immeubles de rapport qui n'ouvrent pas droit au fonds de compensation de la TVA (FCTVA) et pour lesquels l'option à l'assujettissement à la TVA n'aurait pas été exercée à l'origine ? Comment régulariserait-on, par exemple, la TVA sur un immeuble qui aurait été acheté 1 million d'euros, avec une TVA à 20 % égale à 200 000 euros, dont les premiers loyers auraient été exonérés de TVA en l'absence d'exercice de l'option ? du fait de l'application de la franchise en base au locataire, si ce dernier devenait assujetti à la TVA à la suite de l'abaissement du seuil à 25 000 euros ? Comment les fonctionnaires les plus diplômés imaginent-ils que l'on s'y prenne, sur le terrain, pour récupérer de la TVA pour des loyers qui n'étaient pas assujettis à la TVA ?
Ces problématiques pourraient donner lieu à d'importants contentieux avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) alors que nous en avons déjà suffisamment.
M. Pascal Savoldelli. - Je voulais partager avec vous une question que j'ai posée lors des différentes auditions. J'ai demandé si l'on parlait de travailleurs auto-entrepreneurs ou de patrons auto-entrepreneurs. Le rapporteur général vient de nous donner les proportions : deux tiers peuvent être qualifiés de micro-entreprises, et un tiers ne sont pas des entreprises. Aussi, je pense que la création du statut d'auto-entrepreneur va nous poser beaucoup de problèmes à terme.
S'agissant de la question du rendement, et c'est peut-être sur ce sujet que nous sommes en désaccord, je ne pense pas qu'il s'agit d'un simple problème d'approche technocratique. Je pense qu'il y a eu une commande politique qui nous a amenés à nous focaliser des mois durant sur un leurre, pour un rendement de 150 millions d'euros dont 75 millions d'euros pour l'État, pendant que nous avions un débat sur la hausse de la taxe GAFAM, dont l'actualité est ravivée du fait de la situation géopolitique et de la guerre commerciale, que nous discutions du rétablissement de l'exit tax, etc. Je le dis parce que je pense que, lors du débat, il faudra replacer ce sujet dans son contexte.
Je pense qu'il y a eu une commande politique, ce n'est pas uniquement une erreur de fonctionnaires de Bercy éloignés des réalités. Il s'est agi « d'occuper le terrain », au lieu de regarder vers le haut où étaient les problèmes pour ce fameux ruissellement, on s'est occupé du très « en bas ». Quand on analyse les rendements en jeu, c'est très clair. On n'était pas en train de mettre à mal le grand capital avec cette réforme. Par ailleurs, elle est injuste et n'apporte pas de rendement. Voilà pourquoi, in fine, j'en arrive à la même conclusion que le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'arrive aux mêmes conclusions que vous. Je partage en partie le point de vue de Pascal Savoldelli. Je pense aussi que ce ne sont pas les hauts fonctionnaires de Bercy qui ont proposé la mesure. Je pense qu'elle était dans les tiroirs depuis un certain temps et que le choix a été fait de la mettre en oeuvre à des fins de rendement budgétaire. Les services de Bercy estimaient le rendement récurrent de cette réforme, en année pleine, à environ 800 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
Pour éviter toute incompréhension, je tiens à repréciser que cette mesure concernerait 200 000 entreprises dont les deux-tiers sont des micro-entrepreneurs, le tiers restant correspondant à d'autres types d'entreprises, en général des indépendants, notamment des artisans.
Depuis l'origine, le milieu du bâtiment conteste la légitimité de la fiscalité dérogatoire avantageuse accordée aux micro-entreprises, quand bien même, je le rappelle, ces dernières ne réalisent pas des chiffres d'affaires très élevés. C'est un débat entre acteurs économiques qui devrait encore se prolonger un certain temps.
Je suis d'accord avec Jean-Pierre Vogel dont l'intervention montre qu'une telle réforme nécessite un état des lieux présenté en amont. Il est nécessaire de disposer d'une étude d'impact. Les arbitrages doivent avoir été réalisés très en amont de façon à ce que tous les éléments nécessaires au débat et à la confrontation des positions des uns et des autres soient disponibles dès la présentation du texte législatif. Il sera ainsi plus facile aux uns et aux autres de se prononcer en toute connaissance de cause.
Dans les conditions actuelles, je conseille au Gouvernement de « calmer le jeu », d'autant que le sujet est devenu tellement inflammable que l'on en a perdu de vue une part de la réalité objective. C'est pourquoi je considère qu'il est préférable désormais de revoir la copie. Si le Gouvernement le souhaite, il lui appartiendra ensuite de retravailler le dossier dans la perspective d'un prochain examen budgétaire.
Je souhaite enfin apporter une dernière précision. Nous avons dû nous positionner rapidement dans la mesure où nous voyions arriver un possible amendement au projet de loi sur la simplification de la vie économique à l'Assemblée Nationale. Nous avons réalisé cinq auditions, certaines sous forme de table ronde, et reçu plusieurs saisines écrites, dont certaines de la part des organisations professionnelles par ailleurs auditionnées. Je tiens à préciser que la majorité des organisations concernées sont défavorables à la mesure. Je le souligne, car l'exécutif tend à dire que tout le monde est d'accord. De mon côté, je n'ai pas vu beaucoup de soutiens à la réforme hormis le monde du bâtiment. Finalement, le sujet de la franchise en base de TVA me semble venir brouiller le message. En présentant les choses de façon objective, je pense que nous parviendrons à « baisser la température ».
La commission adopte les recommandations du rapporteur général et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
M. Thomas Dossus, président. - Il vous est proposé que notre commission se saisisse pour avis du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, sous réserve de son dépôt. Son examen devrait être rapide puisqu'il est prévu à l'ordre du jour du Sénat durant la semaine du 19 mai. La commission des lois devrait être saisie au fond. Il vous est proposé aujourd'hui de désigner comme rapporteurs pour avis Messieurs Stéphane Fouassin et Georges Patient, déjà rapporteurs spéciaux de la mission « Outre-mer ».
La commission demande à être saisie pour avis du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, sous réserve de son dépôt, et désigne MM. Stéphane Fouassin et Georges Patient rapporteurs pour avis.
La réunion est close à 11 h 25.