Mardi 8 avril 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

La politique du handicap outre-mer - Table ronde consacrée au handisport

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous reprenons aujourd'hui nos travaux sur la politique du handicap outre-mer après l'adoption la semaine dernière de notre rapport sur la vie chère dans les outre-mer. Je voudrais vous redire ma satisfaction pour le travail collectif réalisé sur ce sujet essentiel. Ce rapport a reçu un large écho dans la presse et sur les réseaux. Je vous annonce que nous auditionnerons le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, le 15 mai à 10 heures. Nous pouvons sincèrement espérer que les recommandations sénatoriales, qui ont été nombreuses ces derniers temps, nourriront le projet de loi en cours de préparation.

Nous abordons donc cette après-midi la thématique du handisport. Au côté de nos rapporteurs, Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne, nous sommes particulièrement heureux d'accueillir trois personnalités emblématiques dans ce domaine : Gaël Rivière, président de la Fédération française handisport (FFH) ;  Cédrick Plaideur, membre élu au comité directeur de la Fédération française du sport adapté (FFSA), exerçant en Guadeloupe et Mandy François-Élie, triple médaillée paralympique en athlétisme.

Madame, Messieurs, merci beaucoup d'avoir répondu à l'invitation de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Les Jeux paralympiques de Paris de l'année dernière ont suscité un engouement considérable. Nous souhaitons aujourd'hui dresser un état des lieux en termes de pratiques, d'infrastructures, d'accompagnement et de logistique. Quelles sont les perspectives de développement à court et moyen terme ?

Conformément à notre usage, je vous propose d'intervenir à tour de rôle pour un propos liminaire de présentation générale. Ensuite, nos rapporteurs auront l'opportunité de vous demander des compléments et des précisions. Monsieur le Président Rivière, je vous cède la parole.

M. Gaël Rivière, président de la Fédération française handisport (FFH). - Je vous remercie de l'opportunité qui m'est offerte de m'exprimer devant vous sur ce sujet crucial. J'envisage le sujet du handisport en outre-mer non pas comme une problématique, mais comme une véritable source de potentiel et d'ambition.

Permettez-moi de commencer par un bref état des lieux, étayé par quelques données chiffrées essentielles. La Fédération Française Handisport compte actuellement cinq comités locaux de développement au sein de La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie. Le nombre de licenciés varie considérablement selon les territoires : La Réunion en tête avec 200 licenciés, suivie de la Martinique avec 149, la Nouvelle-Calédonie avec 99, la Guadeloupe avec 67, et la Guyane avec 8. Ces chiffres, bien que modestes, ne reflètent pas l'intégralité de la pratique sportive, car de nombreuses activités se déroulent sans que les participants ne soient nécessairement licenciés. Il convient de noter que la prise de licence est souvent liée à la perspective de compétition. Or, l'offre compétitive dans les territoires ultramarins demeure limitée. Cela explique en partie le décalage entre la réalité de la pratique et les statistiques de licenciés. Au total, les licenciés ultramarins représentent environ 2 % de l'ensemble des licenciés de la Fédération Française Handisport.

Concernant la pratique des jeunes, nous observons des proportions similaires à celles constatées au niveau national, oscillant entre 10 et 20 % selon les territoires. Les disciplines les plus populaires sont l'athlétisme, la boccia et le basket-fauteuil. Malheureusement, le cécifoot ne figure pas parmi ces sports, principalement en raison des difficultés à organiser des compétitions locales.

Quant au haut niveau, le nombre de sportifs de haut niveau inscrits dans les territoires ultramarins reste limité. Nous comptons actuellement un seul athlète en Nouvelle-Calédonie, bénéficiant d'une structure locale d'accompagnement à la performance. Il est important de souligner que de nombreux sportifs ultramarins de haut niveau évoluent désormais en métropole. Cette situation soulève des questions importantes, tant sur le plan personnel pour les athlètes concernés que sur le plan collectif, en termes de transmission de l'expérience et d'émulation locale.

Les principaux défis auxquels nous sommes confrontés concernent les coûts et la mobilité. Ces problématiques, déjà présentes dans l'Hexagone, sont exacerbées dans les territoires ultramarins. La question de l'accessibilité aux infrastructures sportives adaptées se pose avec encore plus d'acuité, compte tenu de leur rareté et de leur dispersion géographique. La participation aux compétitions en métropole est considérablement limitée par les coûts élevés de déplacement. Ces frais ne sont pas systématiquement pris en charge par les dispositifs d'accompagnement locaux, particulièrement dans le cadre associatif. Nous constatons également une pénurie de personnel formé, résultant d'un cercle vicieux : le manque de pratiquants entraîne une réduction des moyens alloués, ce qui à son tour limite les possibilités de formation et, par conséquent, l'offre disponible pour les personnes en situation de handicap souhaitant pratiquer un sport.

Il est notable que les territoires ayant mis en place une structure solide, notamment avec des emplois dédiés à l'accompagnement concret des pratiques parasportives, enregistrent le plus grand nombre de pratiquants. À l'inverse, des territoires comme Mayotte ou la Guyane, dépourvus d'emplois spécifiques dans ce domaine, affichent des niveaux de pratique très faibles, voire quasi nuls.

Le coût du matériel sportif constitue un obstacle supplémentaire. Souvent importé de l'Hexagone, ce matériel spécifique engendre des frais additionnels significatifs.

Malgré ces défis, les territoires ultramarins présentent un potentiel considérable. Leur jeunesse dynamique et la présence importante de personnes en situation de handicap offrent des opportunités de développement. Le sport peut jouer un rôle crucial dans l'évolution de la perception du handicap dans ces territoires, où la solidarité, bien que forte, peut parfois conduire à une surprotection des personnes handicapées. Le parasport pourrait ainsi devenir un vecteur d'émancipation essentiel.

Pour favoriser ce développement, il est impératif d'adopter une approche basée sur la compensation du handicap et de l'inaccessibilité. Prenons l'exemple de La Réunion, où le choix d'investir dans une route onéreuse plutôt que dans des transports en commun fiables a eu des répercussions sur la mobilité des personnes handicapées. Ce type de décision politique nécessite des mesures compensatoires pour pallier les difficultés d'accessibilité qui en découlent.

Il incombe à la collectivité et à l'État de remédier à ces problèmes d'accessibilité et de mobilité en élargissant le principe de compensation du handicap à la pratique sportive, à l'instar de ce qui se fait partiellement dans le domaine professionnel. Il est important que le sport soit pleinement intégré dans les dispositifs de compensation pour surmonter les obstacles actuels.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie vivement pour ce témoignage éclairant. L'objectif principal de nos travaux au sein de la délégation est précisément de promouvoir une meilleure prise en compte du handicap à tous les niveaux dans les territoires ultramarins. Nous considérons la pratique sportive comme un élément clé de l'intégration sociale. Je tiens à souligner que, outre votre rôle de Président de la Fédération française handisport, vous êtes également champion olympique, médaillé d'or aux Jeux paralympiques de 2024 à Paris, ce qui confère une valeur particulière à votre présence parmi nous. Je cède maintenant la parole à Monsieur Cédrick Plaideur.

M. Cédrick Plaideur, membre élu au comité directeur de la Fédération française du sport adapté (FFSA). - Je suis membre élu au comité directeur de la Fédération française du sport adapté, présidée par Marc Truffaut. Je vous remercie sincèrement de nous associer à cette étude. La question du handicap, et plus spécifiquement celle de la pratique des parasports en outre-mer, constitue un enjeu majeur pour l'ensemble du territoire français. Elle concerne toutes les générations et touche toutes les familles.

Je commencerai par dresser un panorama du contexte du sport adapté dans les territoires ultramarins, puis j'évoquerai brièvement les missions de notre fédération, les modalités de pratique du sport adapté en Hexagone, avant de me concentrer sur la situation spécifique des outre-mer. Je conclurai par quelques perspectives et recommandations.

Il convient de préciser que mon propos sur la pratique du sport adapté concerne plus spécifiquement la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et La Réunion. Ces territoires, souvent fragilisés par des crises sociales ou climatiques et confrontés à un coût de la vie élevé, accusent un retard de développement par rapport à l'Hexagone. Néanmoins, ils sont porteurs d'une richesse humaine indéniable : une population française fière, résiliente, capable d'adaptation, dotée de talents et d'une énergie remarquables.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi de citer quelques exemples de sportifs de haut niveau en sport adapté originaires des outre-mer : Thierry Washetine, para-athlète adapté de Nouvelle-Calédonie ; Nicolas Virapin et Lucas Tandrayen, para-athlètes adaptés de La Réunion ; Delphine André, para-nageuse adaptée de Nouvelle-Calédonie ; Grégory Séjor, para-basketteur adapté, également de La Réunion.

Ces athlètes, parmi tant d'autres que je n'aurai malheureusement pas le temps de citer aujourd'hui, incarnent l'excellence sportive et représentent une source d'inspiration précieuse pour notre fédération.

La Fédération française du sport adapté a pour mission d'offrir à toute personne en situation de handicap mental ou psychique, ou présentant des troubles neurodéveloppementaux - notamment les troubles du spectre autistique - la possibilité de pratiquer le sport de son choix, quels que soient ses capacités et ses besoins. Notre fédération s'efforce de créer un environnement favorisant le plaisir, la performance, la sécurité et l'exercice de la citoyenneté. Nous nous adressons à un public majoritairement non solvable, bénéficiant principalement d'allocations destinées aux personnes en situation de handicap.

Nos modalités de pratique englobent le haut niveau, avec huit disciplines reconnues, ainsi qu'un programme compétitif comportant des classifications AB, BC et CD. Notre programme non compétitif inclut les activités motrices, le sport santé, le sport adapté jeune, le sport éducatif et la santé mentale. Nos programmes sont conçus pour répondre aux besoins spécifiques de chaque personne en situation de handicap, et favorisent l'évolution et le développement de nos pratiquants.

Sur l'ensemble du territoire, ces modalités de pratique sont déclinées à travers les organes déconcentrés de la Fédération française du sport adapté, à savoir les ligues, les comités départementaux et les clubs sportifs. Ces derniers peuvent être des clubs ordinaires ouverts à tous les publics, des associations sportives d'établissements sociaux ou médico-sociaux, ou des clubs accueillant exclusivement un public sportif adapté.

Pour illustrer l'activité du sport adapté en métropole et en outre-mer, et permettre à la délégation d'apprécier l'ancrage et l'évolution de la pratique entre les saisons 2018-2019 et 2023-2024, voici quelques chiffres comparatifs. Dans l'Hexagone, nous comptons plus de 65 000 licenciés, un chiffre relativement stable d'une année à l'autre, 1 250 associations, et une offre sportive diversifiée comprenant 21 disciplines. Le maillage associatif y est structuré, avec un volume de licences dense, mais proportionnel à la superficie du territoire et à sa population.

En outre-mer, si l'on inclut la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et La Réunion, nous recensons en moyenne 450 licenciés bénéficiant de l'accompagnement d'un cadre fédéral, 35 associations dont trois ligues, un comité départemental et 31 associations affiliées. L'offre sportive y est plus limitée, avec environ huit disciplines en moyenne.

Parmi les disciplines pratiquées en outre-mer, on trouve les activités motrices pour les personnes lourdement handicapées, la natation et la para-natation adaptée, le para-athlétisme adapté, le para-tennis adapté, le basket, le football, le cyclisme, le VTT, les sports de boules et le tennis de table. Il est important de souligner que toutes ces disciplines sont adaptées à notre public spécifique, d'où l'appellation « para-adapté ».

Le maillage associatif en outre-mer reste à développer. Le volume de licences y est relativement faible, même en tenant compte de la superficie des territoires et de leur population. Un classement par territoire place La Réunion en tête en termes de licenciés, suivie par la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et la Guyane. Les chiffres demeurent relativement similaires d'une année à l'autre.

Les pourcentages de la pratique sportive varient selon les territoires : environ 24 % de pratiquants en Guadeloupe, 33 % en Martinique et à La Réunion, et 43 % en Nouvelle-Calédonie. Pour la Guyane et Mayotte, nous ne disposons malheureusement pas de données précises.

Quant à la présence d'un référent du Comité paralympique sportif français sur ces territoires ultramarins - dont le rôle est d'animer et de renforcer le mouvement paralympique, de dresser un état des lieux de la pratique sportive et de mobiliser les acteurs - seule La Réunion dispose actuellement d'un référent désigné. Les autres territoires n'en sont pas encore pourvus.

Pour expliquer les disparités observées entre la métropole et les outre-mer, ainsi qu'entre les différentes régions ultramarines, plusieurs facteurs entrent en jeu. Au cours des cinquante dernières années, certaines associations affiliées au sport adapté ont connu des périodes d'instabilité dans leur gouvernance, ce qui a pu impacter l'offre sportive proposée. Parallèlement, nous avons constaté un développement significatif du sport adapté en métropole, notamment grâce aux aides publiques allouées à l'emploi sportif qualifié (ESQ).

La stratégie fédérale en matière d'emploi et de professionnalisation a consisté à déployer 15 emplois sportifs qualifiés dans les organes déconcentrés pour soutenir la situation en métropole. Les ligues nationales disposent, quant à elles, de sept emplois sportifs qualifiés et ont également généré deux emplois de développement, d'animation ou administratifs. Des postes de directeurs de ligue ont également vu le jour depuis l'an dernier. À ce jour, 154 emplois destinés au sport adapté bénéficient d'aides de l'Agence nationale du sport (ANS).

Cependant, depuis 2021, les emplois sportifs qualifiés ne bénéficient plus de l'aide allouée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), ce qui représente une perte de 8 000 euros par an et par poste. Cette situation fragilise les comités départementaux et les ligues, impactant directement l'organisation et le développement du sport adapté.

Le cas de La Réunion illustre parfaitement cette situation. La ligue réunionnaise a bénéficié d'un emploi sportif qualifié pendant 15 ans, ce qui a permis de stimuler le développement du sport adapté sur l'île. Cependant, la crise sanitaire a entraîné un renouvellement de l'organisation, un turn-over et une baisse de l'activité, suite au départ de cet agent. À l'instar des autres régions, La Réunion bénéficie depuis peu d'un conseiller technique sportif fédéral (CTSF), chargé d'animer et de renforcer le mouvement parasportif sur le territoire, ce qui constitue un atout majeur pour le développement du sport adapté.

En Nouvelle-Calédonie, l'accès au sport adapté est plus complexe, principalement en raison d'un maillage associatif insuffisant et de déséquilibres territoriaux importants. Les opportunités sportives varient considérablement selon le lieu de résidence. Les habitants de Nouméa et du Grand Nouméa bénéficient d'un accès privilégié par rapport à ceux des territoires de la brousse et du Nord. Cette disparité s'explique notamment par la concentration des établissements sociaux et médico-sociaux à Nouméa et dans sa périphérie.

Des défis similaires se manifestent en Guadeloupe et en Guyane. Dans certains territoires, la pratique sportive fédérale proposée par le sport adapté peine à s'imposer face à des besoins socio-économiques plus urgents. De plus, la méconnaissance de cette pratique au sein de la population, ainsi que la persistance de tabous concernant le handicap dans certaines couches de la société, constituent des freins supplémentaires.

À Mayotte, l'accès au parasport s'est complexifié suite au passage du dernier cyclone, la plupart des équipements sportifs ayant été durement impactés.

En termes de points forts pour les outre-mer, nous pouvons noter la mise en place d'actions de sensibilisation auprès des scolaires, pour faire évoluer le regard sur le handicap. Les établissements sociaux et médico-sociaux s'ouvrent davantage sur leur environnement. Le maillage associatif est développé à La Réunion, avec des clubs répartis sur l'ensemble du territoire.

Un événement sportif international organisé en juin 2023 a grandement contribué à vulgariser la pratique du sport adapté et à faire évoluer les mentalités. Concernant les Jeux olympiques et paralympiques, les compétitions, diffusées en direct sur Internet, ont été bien suivies en outre-mer. La stratégie Sport Identity, initiée par le Gouvernement en amont des Jeux, a eu des retombées positives dans les territoires ultramarins. Au contact de la population, nous constatons une meilleure connaissance de l'offre handisportive, du sport adapté et de la pratique du parasport.

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont constitué un événement marquant en outre-mer, offrant un bel exemple d'inclusivité. Nous constatons une augmentation notable des pratiques sportives adaptées, notamment suite à la mise en place de nouvelles réglementations. Certaines collectivités locales ont rapidement adopté ces pratiques et mis aux normes leurs équipements sportifs. Cependant, des inégalités persistent dans l'accès aux infrastructures sportives selon les lieux de résidence. Par exemple, en Nouvelle-Calédonie, on observe des disparités significatives.

Nous manquons de données précises sur le nombre d'éducateurs formés au sport adapté. Les structures sportives généralistes sont souvent peu équipées pour accueillir les sportifs en situation de handicap, contrairement aux structures spécialisées. Plusieurs problématiques se posent : quelle part de la population est réellement concernée par les sports adaptés ? Quelles sont les difficultés spécifiques rencontrées par les personnes en situation de handicap pour pratiquer un sport dans un cadre fédéral ?

Le coût du transport aérien entre les régions métropolitaines et ultramarines constitue un obstacle majeur à la participation aux compétitions nationales ou internationales. Les subventions actuelles demeurent insuffisantes. La charge administrative pèse lourdement sur les bénévoles qui gèrent les associations. Les structures dédiées au sport adapté ne disposent pas toujours de budgets de fonctionnement pérennes et dépendent souvent d'appels à projets annuels, ce qui fragilise leur action.

Dans certains contextes culturels, la perception du handicap peut être influencée par des croyances traditionnelles. Par exemple, le handicap psychique peut être associé à des phénomènes surnaturels dans certaines sociétés. En Nouvelle-Calédonie, le risque existe de considérer le handicap comme un état stationnaire, avec peu de possibilités d'évolution. La pratique sportive peut alors être perçue par l'entourage comme non essentielle pour la personne en situation de handicap.

Le développement du sport adapté est relativement récent dans les territoires ultramarins. Des initiatives locales ont été portées par des personnes en situation de handicap, des bénévoles, des professionnels engagés et des familles. Ces actions visent à structurer des associations sportives dont l'objectif est double : permettre la pratique d'une activité physique adaptée et favoriser la participation citoyenne des personnes en situation de handicap. Le sport adapté contribue ainsi à l'estime de soi, à la socialisation et à la santé.

La situation dans les territoires ultramarins présente des spécificités par rapport à l'Hexagone, avec des réalités parfois complexes qui influencent l'évolution du sport adapté. Néanmoins, l'enjeu fondamental reste le même au sein de la Fédération : permettre aux personnes en situation de handicap de s'épanouir, de participer pleinement à la vie sociale et de faire évoluer le regard porté sur le handicap.

Mme Micheline Jacques, président. - Je donne la parole à François-Élie, originaire de la Martinique, un territoire qui me tient particulièrement à coeur. Vous étiez un espoir de l'athlétisme français avant qu'un accident vasculaire cérébral ne bouleverse votre vie. Vous avez fait preuve d'une remarquable résilience en devenant triple médaillée paralympique, ce dont nous sommes extrêmement fiers. Vous avez d'ailleurs été décorée de la médaille de chevalier de la Légion d'honneur, et vous incarnez un modèle inspirant pour la jeunesse ultramarine.

Je vous invite à nous présenter votre parcours et à nous indiquer comment nous pourrions mieux vous accompagner dans votre pratique sportive au sein de votre territoire.

Mme Mandy François-Élie, triple médaillée paralympique en athlétisme. - J'éprouve des difficultés à m'exprimer clairement. Ma situation actuelle n'est pas simple. J'ai dû réduire mes entraînements et faire une pause dans ma carrière sportive après mon accident vasculaire cérébral.

Malgré les obstacles, j'ai persévéré, encouragée et soutenue par Jocelyn Nienat, mon entraîneur. J'ai ensuite dû me rendre en métropole pour recevoir les soins médicaux dont j'avais besoin. Ce déplacement a représenté un tournant majeur dans ma vie. Je suis aujourd'hui à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP). En métropole, les structures existent, mais en Martinique, les moyens restent limités.

Mme Micheline Jacques, président. - Je comprends que vous n'avez pas accès à des structures adaptées pour pratiquer votre sport dans votre région d'origine.

Mme Mandy François-Élie. - Effectivement, j'ai dû m'éloigner de chez moi pour recevoir les soins nécessaires. La distance était considérable, ce qui compliquait mes déplacements, surtout en étant seule. Bien que ma famille m'ait soutenue, la situation reste difficile au quotidien.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Merci à nos invités pour leurs contributions à cette mission.

J'aimerais connaître vos recommandations spécifiques pour La Réunion. J'entends beaucoup d'éléments positifs concernant mon territoire, ce qui me réjouit. Cependant, il existe de fortes disparités selon les zones géographiques de l'île. Même au sein du territoire, la pratique sportive reste compliquée, qu'il s'agisse de handisport ou de sport adapté. Il est vrai que les choix politiques influencent grandement le développement de ces pratiques d'une zone à l'autre.

Quelles seraient, selon vous, les mesures essentielles à intégrer dans les politiques publiques, que ce soit au niveau municipal, départemental ou régional, pour véritablement soutenir la pratique sportive des personnes en situation de handicap ? Comment pouvons-nous garantir un accès effectif au sport pour toutes les personnes concernées, sans qu'elles soient contraintes de quitter leur territoire ou de parcourir de longues distances ? À La Réunion, par exemple, le trajet entre Saint-Denis et Saint-Pierre peut prendre jusqu'à une heure et demie - ce qui n'est pas négligeable.

Vous avez évoqué, Gaël Rivière, les problèmes de mobilité, et je partage entièrement votre constat. Les transports en commun ne sont pas le point fort de nos territoires. Quelles politiques publiques fondamentales font aujourd'hui défaut pour mieux accompagner les pratiquants ?

M. Gaël Rivière. - Les problématiques liées au développement du handisport et du parasport sur l'ensemble du territoire français sont similaires, mais prennent une dimension particulière dans les territoires ultramarins. Pour résoudre ces difficultés, il est nécessaire de mettre en place des moyens dédiés, notamment la formation d'encadrants compétents dans l'accueil et la pratique sportive des personnes en situation de handicap. Ces professionnels pourraient ensuite revenir dans nos collectivités pour proposer des activités adaptées ou accompagner les clubs dans l'accueil de ce public spécifique.

Concernant la mobilité, il est essentiel d'intégrer l'accessibilité dans la conception des transports en commun. À défaut, des aides économiques doivent être mises en place pour permettre aux personnes en situation de handicap d'accéder à des moyens de transport adaptés. L'accessibilité des infrastructures sportives est également primordiale, tant en ce qui concerne les équipements eux-mêmes que leur accessibilité depuis les différentes zones du territoire.

La mobilité entre les territoires ultramarins et la métropole soulève des enjeux similaires à ceux rencontrés dans d'autres domaines, notamment la « fuite des cerveaux ». Dans le domaine sportif, cela se traduit par le départ de talents vers la métropole, où les perspectives sont souvent plus prometteuses. Bien que cette mobilité puisse être enrichissante, il est préférable qu'elle ne soit pas contrainte.

Il est également pertinent d'envisager une mobilité entre les territoires ultramarins eux-mêmes. Cela permettrait d'organiser des compétitions et des rencontres dédiées, favorisant ainsi les synergies et le partage de bonnes pratiques. La Fédération française handisport a d'ailleurs organisé, il y a deux ans, les Jeux d'outre-mer déficients visuels (JOM DV), qui ont rencontré un franc succès grâce au soutien d'un partenaire pour couvrir les frais de transport.

Un autre aspect crucial est l'évolution des mentalités. Il est nécessaire de modifier la perception collective des personnes en situation de handicap, notamment dans le domaine sportif. Les Jeux paralympiques contribuent à cette évolution en montrant que ces athlètes sont capables de performances remarquables. Sur nos territoires, des progrès sont déjà observés, avec des sportifs handisport de haut niveau régulièrement reconnus comme sportifs de l'année, en concurrence avec des athlètes qui ne sont pas en situation de handicap.

Cependant, il est essentiel que cette évolution ne se limite pas à la haute performance. Il faut également encourager la pratique sportive des personnes en situation de handicap pour le loisir et le bien-être, à tous les niveaux de performance.

En résumé, les efforts doivent porter sur la formation, la mobilité, l'accessibilité des infrastructures et la sensibilisation pour faire évoluer les mentalités. L'objectif est d'ancrer durablement dans l'imaginaire collectif l'idée que les personnes en situation de handicap peuvent pratiquer le sport, que ce soit en compétition ou pour leur loisir.

M. Cédrick Plaideur. - Dans la continuité des propos de mon collègue, il est essentiel de mettre l'accent sur l'information et la formation. Il serait judicieux d'intégrer au programme de l'Éducation nationale une sensibilisation au handisport et au sport adapté dès le plus jeune âge. Cette formation devrait également s'étendre aux enseignants, aux animateurs et au personnel encadrant dans le domaine de l'animation.

La formation devrait également inclure les travailleurs sociaux et le personnel médical. En effet, au-delà de l'aspect inclusif, le sport représente un enjeu de santé publique. Former les professionnels du secteur sanitaire, comme les médecins et les infirmiers, sur le handisport pourrait grandement faciliter les choses.

Il serait bénéfique de désigner des agents des Comités départementaux des services aux familles (CDSF) dédiés dans l'ensemble des territoires. L'expérience montre que cette approche fonctionne.

Enfin, il serait utile de développer un outil permettant de collecter des données sur la pratique sportive des personnes en situation de handicap. Actuellement, nous manquons souvent d'éléments pour quantifier le travail accompli, notamment pour celles et ceux qui pratiquent en dehors du cadre fédéral. Un tel outil nous permettrait de mieux suivre et évaluer les actions menées sur chaque territoire ultramarin.

Mme Mandy François-Élie. - Il est urgent de faire évoluer les choses. Les encadrements et les infrastructures ne sont pas aussi performants qu'en métropole.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous travaillons sur ces questions. Votre expérience est précieuse, notamment lorsque vous retournez en Martinique pour partager votre vécu et animer des stages.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - C'est avec une émotion particulière que je participe à cette table ronde consacrée à la pratique du handisport dans les outre-mer. En tant qu'élue de Saint-Martin, je suis profondément attachée à notre bassin caribéen, à ses forces, à ses talents, mais aussi à ses défis, souvent invisibilisés.

Les territoires ultramarins regorgent de sportifs de haut niveau, et l'expression « Guadeloupe, terre de champions » est pleinement justifiée. Cependant, en ce qui concerne le handisport, la situation est plus contrastée. En Guadeloupe, par exemple, le sport adapté fédéral reste très peu développé, avec moins de 100 licenciés, alors même que 12 % de la population vit avec un handicap. Les infrastructures véritablement accessibles sont rares : à peine 2,5 % des équipements sportifs sont adaptés à l'accueil des personnes à mobilité réduite.

Pourtant, des initiatives porteuses d'espoir émergent, comme la tenue des Jeux d'Outre-mer des Déficients Visuels en Martinique en 2023. Ces dynamiques positives sont précieuses, mais ne doivent pas occulter une réalité persistante : la Caraïbe reste encore trop souvent reléguée en marge des grandes politiques nationales.

Aujourd'hui, je souhaite que nous lui accordions pleinement sa place, et que nous prêtions attention à la voix de celles et ceux qui veulent pratiquer un sport, malgré les obstacles et les silences. Ma question est la suivante : quelles bonnes pratiques, observées localement ou ailleurs, pourraient être généralisées en matière d'infrastructures, de formation, d'accompagnement des sportifs et de visibilité médiatique ?

M. Gaël Rivière. - Là où le développement du handisport est plus avancé dans les territoires ultramarins, une constante apparaît : la présence d'au moins un ou deux personnels qualifiés, travaillant à plein temps au développement de la pratique sportive.

Pour combler le retard observé, il est essentiel d'investir dans la compétence et la transmission de connaissances. Une interface humaine dédiée - capable d'apporter son expertise, de faire pratiquer, et de structurer les dynamiques locales - constitue un préalable incontournable. Je suis particulièrement attaché à l'idée que seules des personnes présentes sur le terrain, formées et engagées, peuvent créer les conditions d'un véritable essor de la pratique. Cela passe par un accompagnement des structures ordinaires, tout en soutenant les structures spécialisées.

L'investissement dans l'humain est fondamental : ces professionnels sont en mesure de dialoguer avec les collectivités locales, de les sensibiliser à l'enjeu de l'accessibilité des infrastructures sportives, et de mobiliser leur soutien pour l'organisation de compétitions nationales.

M. Cédrick Plaideur. - Pour compléter les propos de mon collègue, je souhaite évoquer le dispositif du pass Sport, une aide publique mise en place depuis trois ans. Ce dispositif permet aux personnes souhaitant pratiquer une activité sportive de bénéficier d'un soutien financier pour l'acquisition de l'assistance nécessaire. En matière de bonnes pratiques, il me semble essentiel de pérenniser ce dispositif, aujourd'hui encore limité dans le temps. Sa continuité permettrait de renforcer durablement l'accès au sport pour tous, en particulier dans les territoires ultramarins.

Je recommande donc la poursuite de ce type d'aide en outre-mer, couplée à une communication renforcée. Nous avons observé une montée en puissance progressive de l'impact de cette aide : peu d'effets la première année, et une augmentation notable des demandes d'information et d'inscription la troisième année.

Il est clair que l'appropriation de tels dispositifs nécessite du temps. Il est donc indispensable de leur donner une continuité, afin de permettre une imprégnation durable et d'en faire de véritables leviers d'inclusion par le sport.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - J'ai constaté, s'agissant de l'effet des Jeux paralympiques, que sur 237 athlètes paralympiques, seuls 14 proviennent des outre-mer, soit 5,91 %. À titre de comparaison, lors des JO, 76 athlètes sur 621 étaient issus des territoires ultramarins, soit 12,24 % des sportifs. Nous observons donc une proportion deux fois moindre pour les athlètes paralympiques.

La répartition géographique est également révélatrice du volontarisme : trois athlètes proviennent de la Nouvelle-Calédonie et un est originaire de Wallis-et-Futuna. Un athlète en développé couché est Guadeloupéen. Les neuf autres, bien qu'issus des outre-mer, s'entraînent tous dans des clubs métropolitains. Cela soulève des questions sur les possibilités d'entraînement et d'accompagnement dans les territoires d'origine.

On constate également une faible proportion de femmes dans la pratique du handisport et du sport adapté. Quelles seraient, selon vous, les causes de cette sous-représentation ? 

Par ailleurs, concernant le coût des licences handisport, bien qu'elles restent abordables en valeur absolue, elles doivent être mises en perspective avec le coût de la vie moyen. Ne faudrait-il pas envisager une réévaluation des tarifs ou bien la mise en place de solutions alternatives pour éviter que le coût de la vie en outre-mer ne soit un frein à la pratique sportive des personnes en situation de handicap ?

Enfin, je souhaiterais savoir si la Fédération française handisport (FFH) et la Fédération française du sport adapté (FFSA) ont mis en place des actions spécifiques dans les établissements scolaires ultramarins, pour faire découvrir et promouvoir la pratique du sport adapté auprès des jeunes.

Quelles sont, selon vous, les pistes d'amélioration pour renforcer l'accessibilité des stades et autres infrastructures sportives dans nos territoires ?

M. Gaël Rivière. - La pratique sportive féminine constitue effectivement un axe prioritaire national. Nous constatons un déficit de pratiquantes féminines, probablement dû à des freins culturels et à l'imaginaire collectif. Paradoxalement, les athlètes parasportives féminines les plus connues véhiculent une image forte qui transcende leur discipline sportive. Malgré cette visibilité médiatique, nous peinons à observer une réelle croissance du nombre de pratiquantes féminines. Cette situation nécessite probablement du temps pour évoluer au sein de la société.

Concernant nos actions dans les écoles, elles se déclinent en deux catégories. Premièrement, nous menons de nombreuses initiatives de sensibilisation au handicap auprès des jeunes non handicapés. Ces actions, qui consistent à les mettre en situation de handicap dans un contexte sportif, s'avèrent efficaces pour faire évoluer les mentalités en profondeur.

La seconde catégorie d'actions, plus complexe à mettre en oeuvre, concerne l'intervention pendant les cours d'éducation physique et sportive pour faciliter la pratique du sport par les élèves en situation de handicap. Cette démarche nécessite une coordination avec l'Éducation nationale, ce qui peut s'avérer difficile. Trop souvent, ces élèves sont dispensés de pratique sportive. Nous pourrions envisager des collaborations entre nos fédérations et les professeurs d'éducation physique pour favoriser la pratique sportive en milieu scolaire des personnes en situation de handicap. Cependant, cela nécessiterait une formation adéquate des enseignants et des accompagnants.

L'école inclusive a modifié la donne : de nombreux enfants et jeunes adultes en situation de handicap ne sont plus dans des établissements spécialisés, ce qui complique leur identification et leur accompagnement vers une pratique sportive adaptée. Nous pourrions envisager une collaboration plus étroite entre les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les fédérations sportives spécifiques comme la nôtre. Cela permettrait d'identifier les besoins et de proposer des activités sportives adaptées aux personnes en situation de handicap recensées par les MDPH. L'Éducation nationale pourrait jouer un rôle de passerelle, facilitant l'identification des besoins et la mise en relation avec les structures sportives adaptées.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Nous avons abordé la question des infrastructures, mais ne devrions-nous pas également nous pencher sur la simplification des démarches administratives pour les parents d'enfants en situation de handicap ? Une collaboration renforcée avec les MDPH pourrait constituer une piste intéressante. Trop souvent, notre attention se porte sur les athlètes déjà reconnus, alors qu'il est essentiel de recenser et d'accompagner ceux qui débutent leur parcours sportif. 

Mme Micheline Jacques, président. - J'aurais deux questions. Premièrement, concernant l'éloignement géographique, les sportifs de haut niveau bénéficient-ils d'une aide spécifique pour la pratique de leur activité ? Je pense notamment au matériel adapté, qui évolue en fonction de l'âge et du niveau de compétence. Deuxièmement, lorsque vous devez vous déplacer pour vous entraîner et participer à des compétitions, disposez-vous d'aides spécifiques ? Les familles n'ont pas toujours les moyens de subvenir à ces changements dans leur vie.

Mme Mandy François-Élie. - Oui, je bénéficie effectivement d'aides, bien que minimes.

M. Gaël Rivière. - Actuellement, la licence à la Fédération du Sport Adapté s'élève à 16 euros, un tarif délibérément bas. Je ne pense pas que ce prix d'accès soit rédhibitoire. Les véritables obstacles pour une personne en situation de handicap sont davantage liés aux aspects logistiques, comme le transport vers le lieu de pratique, qui peut s'avérer bien plus coûteux que la licence elle-même.

Concernant les aides, je tiens à souligner que les territoires ultramarins sont volontaires dans ce domaine. Ils continuent à soutenir leurs athlètes originaires de ces territoires, même lorsque ceux-ci ne sont plus licenciés localement. J'ai personnellement bénéficié de cette expérience en tant qu'originaire de La Réunion. Tout au long de mon parcours, j'ai continué à recevoir des aides liées à mon statut de sportif de haut niveau, même lorsque je résidais dans l'Hexagone et que je n'étais plus en activité professionnelle.

À titre de comparaison, je réside actuellement en France métropolitaine, et je n'ai pas reçu de bourse spécifique de mon département. Cela démontre que nous bénéficions d'un accompagnement relativement satisfaisant dans les territoires ultramarins. Certes, lorsqu'on met en perspective le coût de la vie en métropole, notamment pour ceux qui doivent envisager un retour annuel chez eux, les dépenses peuvent être conséquentes. Il existe néanmoins des dispositifs, comme celui permettant aux sportifs réunionnais de bénéficier d'un billet d'avion annuel pris en charge pour rentrer chez eux. Je tiens à souligner l'existence de ces aides, même si elles ne couvrent évidemment pas l'intégralité des frais liés à la pratique sportive ou à d'autres activités.

M. Cédrick Plaideur. - Je souhaite brièvement confirmer que les institutions proposent et accompagnent effectivement les associations par le biais de dispositifs d'aides, notamment pour aider à réduire le coût des déplacements. Les collectivités territoriales répondent également fréquemment aux sollicitations des acteurs du sport adapté concernant des projets de compétition. Le bilan actuel du parasport est encourageant. Bien que des aspects restent à développer, on perçoit une réelle volonté des institutions et des acteurs militants de faire progresser la situation. Je tenais à souligner ce point.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Avant de clôturer cette audition, j'aimerais aborder la question du sport dans les écoles, notamment l'UNSS. Pensez-vous qu'il serait pertinent de développer le parasport à l'Union nationale du sport scolaire (UNSS) ?

M. Gaël Rivière. - Je suis tout à fait favorable à cette approche. Sa mise en oeuvre nécessite deux éléments essentiels : une véritable volonté politique et l'inscription de cet objectif comme une obligation, assortie d'indicateurs d'évaluation pour les professeurs et les encadrants du sport en milieu scolaire. Cela implique un investissement conséquent en termes de formation, nécessitant l'intervention de formateurs qualifiés capables de transmettre des compétences spécifiques. Cette solution pourrait être porteuse, mais elle doit s'accompagner d'une volonté forte et d'un cadre contraignant. En réalité, une politique n'est véritablement mise en place que lorsqu'on accepte d'être évalué sur ses résultats, ce qui inciterait probablement les professeurs à s'y investir davantage.

Concrètement, il ne suffit pas d'inclure l'accompagnement du parasport dans la lettre de mission d'un professeur d'EPS ou d'un encadrant. Sans une volonté marquée et une évaluation spécifique de cet aspect, il risque d'être relégué au second plan face à d'autres priorités. J'insiste sur ce point, car il est nécessaire de passer des déclarations d'intentions à des actions concrètes. Cela suppose des investissements humains et financiers, ainsi qu'un suivi rigoureux et une véritable volonté politique dans l'évaluation des indicateurs mis en place.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Nous pouvons conclure sur ces mots. Vous incarnez l'espoir et vous êtes des exemples inspirants pour les territoires ultramarins, démontrant qu'il est possible de surmonter les difficultés liées à un handicap et d'atteindre l'excellence. Néanmoins, il reste du chemin à parcourir pour permettre à tous les talents ultramarins de s'épanouir.

Vos témoignages ont mis en lumière les défis majeurs à relever : changer les mentalités, améliorer la mobilité, l'accessibilité aux infrastructures et à la formation, que ce soit dans le domaine sportif, éducatif ou médical.

Je vous remercie pour tous ces éclairages précieux.

Jeudi 10 avril 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Étude sur la coopération et intégration régionales des outre-mer - Audition de Nathalie Estival-Broadhurst, directrice Amérique et Caraïbes, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre du second volet de notre étude consacrée à la coopération régionale dans le bassin atlantique, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Nathalie Estival-Broadhurst, directrice Amérique et Caraïbes au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

Madame la directrice, nous vous remercions d'avoir répondu favorablement à notre invitation. Le constat d'une intégration encore insuffisante des outre-mer à leur environnement régional, déjà mis en évidence l'an dernier à propos des collectivités du bassin Indien, a conduit notre délégation à approfondir la réflexion sur les leviers susceptibles d'améliorer la coopération entre les territoires ultramarins et les États voisins.

Pour ce second rapport, nous avons confié la mission à un binôme de rapporteures : Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion en visioconférence, et Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d'Oise. Je les remercie vivement pour leur engagement, ainsi que Christian Cambon, chargé de la coordination des trois volets de cette étude.

Madame la directrice, nous attendons de votre intervention un panorama précis des accords de coopération conclus entre la France et les États de la Caraïbe ainsi que ceux du bassin nord-amazonien. Quels sont les principaux domaines couverts par ces accords ? Quels efforts restent à consentir ? Quels sont les projets structurants actuellement engagés dans cette zone ?

Nous souhaitons également recueillir votre analyse sur le rôle que les outre-mer français occupent, ou pourraient occuper, dans la définition et la mise en oeuvre de la politique étrangère de la France vis-à-vis de ses voisins régionaux. Comment, à l'échelle de votre direction comme au sein des ambassades de France dans la région, l'enjeu ultramarin est-il pris en compte dans la réflexion stratégique et dans l'action quotidienne de vos services ?

Cette audition précède de quelques jours un déplacement en Guyane et au Suriname que j'aurai l'honneur de conduire. La délégation se rendra également à Bruxelles le 22 mai afin de porter la proposition, formulée dans notre précédent rapport - des rapporteurs Georges Patient et Stéphane Demilly -, en faveur d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu).

Comme de coutume, un questionnaire indicatif vous a été adressé pour structurer nos échanges. Après votre propos liminaire, je laisserai la parole à nos rapporteures pour un premier tour de questions, puis à nos collègues présents s'ils souhaitent intervenir.

Mme Nathalie Estival-Broadhurst, directrice Amérique et Caraïbes du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. - Madame le Président, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je suis très honorée de m'adresser à vous ce matin. Bien que mon quotidien soit actuellement largement accaparé par les développements à Washington, soyez assurés que mon équipe et moi-même demeurons pleinement mobilisés sur l'ensemble du continent, notamment sur les enjeux caribéens.

J'ai eu récemment l'opportunité d'accompagner le ministre délégué chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux de la France, Thani Mohamed Soilihi, au sommet de la Communauté caribéenne, ou Communauté des Caraïbes (CARICOM), aux côtés d'Alexandra Mengue, rédactrice Caraïbes, outre-mer et CARICOM au sein de la direction. Ce déplacement nous a permis de mesurer l'ampleur des défis et des difficultés, mais également les immenses opportunités qu'offre cette relation régionale.

Le président de la République a clairement exprimé sa volonté de mieux comprendre le rôle, les atouts et les potentialités de nos collectivités ultramarines en matière d'intégration régionale. En effet, nombre de nos collectivités demeurent davantage reliées à leurs grands voisins ou partenaires commerciaux traditionnels qu'à leurs voisins immédiats. La CARICOM constitue à ce jour l'organisation régionale la plus avancée en matière d'intégration, portée par le dynamisme de Mia Mottley, sa présidente pour six mois depuis le 1er janvier 2025. Néanmoins, des obstacles subsistent, et cette difficulté n'épargne aucune des îles ou zones concernées.

La décision de la France d'ouvrir à la rentrée une ambassade au Guyana s'explique par des enjeux stratégiques, tant en Amazonie que sur le Plateau des Guyanes, et par les perspectives économiques liées à la récente découverte de gisements pétroliers. Nos relations avec cette région reposent aujourd'hui sur un socle de consultations politiques régulières. Le réseau diplomatique et culturel français, bien que dynamique, reste relativement peu dense. Certaines ambassades, comme celle de Castries à Sainte-Lucie, couvrent jusqu'à huit pays. D'autres ne sont représentées que par des postes de présence diplomatique, à l'instar de Trinité-et-Tobago ou de la Jamaïque. L'ambassadeur de France au Suriname est également accrédité auprès de la CARICOM, dont le siège se trouve à Georgetown. L'ouverture prochaine d'une ambassade dans cette ville facilitera indéniablement les relations avec l'organisation.

Nos ambassadeurs s'efforcent d'entretenir un dialogue politique soutenu malgré des moyens parfois contraints. Le manque de visites officielles se fait ressentir, et votre déplacement sera donc particulièrement bienvenu. La coordination entre les ambassades, les collectivités, et l'État constitue une clé essentielle. Des mesures importantes ont été prises en ce sens, notamment la désignation de conseillers diplomatiques auprès des préfets de région en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Réciproquement, des représentants des collectivités ultramarines sont désormais accueillis au sein de certains postes diplomatiques, à l'image du représentant de la Martinique à Castries. Ces échanges favorisent l'émergence de coopérations nouvelles, qui n'auraient pu voir le jour sans cet appui local. Plusieurs formations en matière de sécurité, destinées à l'armée haïtienne, sont également organisées à la Martinique. 

L'articulation des efforts entre nos services et nos collectivités revêt une importance croissante. L'action de notre ambassadeur thématique en charge de la coopération régionale, nommé récemment, consiste à fédérer les acteurs diplomatiques et territoriaux autour d'objectifs communs et d'une vision partagée. À ses côtés, nous avons engagé les travaux préparatoires à la Conférence de coopération régionale Antilles-Guyane (CCRAG 2025) prévue à la Martinique, autour de priorités constantes : changement climatique et biodiversité ; lutte contre la criminalité organisée, constituant un enjeu majeur qui dépasse la zone Caraïbe-Guyane ; développement économique, encore très marqué par les conséquences de la crise sanitaire et les écarts persistants de niveau de vie ; et échanges humains, culturels et linguistiques, y compris la promotion de la francophonie. Le cadre institutionnel de cette coopération régionale s'est consolidé avec le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) de 2023. Néanmoins, les moyens demeurent parfois insuffisants.

S'agissant de l'Union européenne (UE), les fonds mobilisables - en particulier ceux du programme Interreg - constituent des leviers puissants. La Guadeloupe coordonne le programme pour la Caraïbe, tandis que la Guyane pilote celui de l'Amazonie. Toutefois, l'accès à ces dispositifs reste freiné par leur complexité administrative et le manque de ressources humaines pour élaborer et instruire les dossiers. Nos conseillers diplomatiques, tout comme l'ambassadeur thématique, jouent un rôle central pour accompagner les porteurs de projets. Votre déplacement à Bruxelles s'inscrit dans cette dynamique utile, visant à mieux articuler les instruments européens aujourd'hui trop compartimentés, aux calendriers souvent déconnectés les uns des autres. Il convient, en effet, de plaider pour une intégration plus cohérente et plus efficace des instruments communautaires au bénéfice des régions ultrapériphériques.

L'adhésion de la Martinique à la CARICOM en tant que membre associé nécessite désormais la ratification, par le Parlement français, de la Convention sur les privilèges et immunités de la CARICOM. La Guyane manifeste également son souhait de rejoindre rapidement l'organisation tandis que la Guadeloupe semble adopter une posture plus attentiste, en s'interrogeant sur les bénéfices potentiels.

Historiquement, la CARICOM s'opposait à l'adhésion de collectivités françaises, considérant que leur intégration au marché commun de l'Union européenne posait un problème de compatibilité avec leur propre processus d'intégration économique. Ce n'est qu'avec l'arrivée en 2021 de Carla Barnett, secrétaire générale, que cette doctrine a évolué, permettant l'ouverture à certaines collectivités françaises et néerlandaises.

La Martinique souhaite aujourd'hui jouer pleinement la carte de l'intégration régionale. Certaines initiatives bilatérales en témoignent, notamment avec Sainte-Lucie, où un dispositif d'échanges sans taxe ni octroi de mer sur une dizaine de produits a été mis en place. Ce type d'expérimentation mérite d'être soutenu et élargi, tant il illustre les bénéfices concrets que peuvent retirer nos territoires d'une insertion plus étroite dans leur environnement régional, à tous les niveaux : économique, humain, culturel.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour cet exposé liminaire qui nous encourage à poursuivre nos travaux, en particulier sur les volets liés à la coopération et à la défense des intérêts de nos territoires auprès de l'Union européenne (UE).

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Madame, je vous remercie pour la qualité de votre propos.

Trois priorités se dessinent : les enjeux sécuritaires, migratoires, puis économiques. La sécurité constitue en effet un préalable indispensable au développement économique d'un territoire.

Par ailleurs, pensez-vous que l'UE constitue, en l'état, un frein significatif au développement de ces territoires, en raison de normes identiques appliquées à l'ensemble des territoires français ?

Plus largement, que pensez-vous de la proposition d'élaborer une politique européenne de voisinage propre aux régions ultrapériphériques ?

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - L'accès de nos collectivités aux fonds européens demeure complexe et souvent laborieux. Pour autant, ces financements représentent une opportunité réelle, et parfois unique, compte tenu des contraintes budgétaires nationales. Ils permettent en effet de mobiliser des ressources plus substantielles, assorties d'une visibilité pluriannuelle, ce que les dispositifs nationaux ne peuvent que rarement offrir. Je ne connais pas dans le détail les règles opérationnelles de l'Agence française de développement (AFD) pour les collectivités ultramarines, toutefois en ce qui concerne la zone caribéenne, les possibilités restent fortement restreintes.

Dans certains cas, les fonds européens ont permis un véritable changement d'échelle dans la conduite de projets structurants. Par exemple, le CHU de la Martinique a récemment obtenu une enveloppe de 10 millions d'euros pour soutenir le développement de son cyclotron. Dans le domaine de la sécurité, le programme EL PAcCTO (Europe Latin America Programme of Assistance against Transnational Organized Crime ou programme Europe-Amérique latine d'assistance contre la criminalité transnationale organisée), piloté par l'Espagne, dispose également de ressources budgétaires considérables.

À l'échelle nationale, nous avons mis en place un programme plus modeste, baptisé Accord de lutte contre la criminalité organisée dans les Caraïbes (ALCORCA), qui permet d'organiser des formations spécialisées destinées à renforcer les capacités locales, et nous ambitionnons de créer une académie régionale de formation en République dominicaine.

Pour l'ensemble de la zone, le ministère ne dispose actuellement que d'un million d'euros, dont la reconduction n'est pas garantie. Nous plaidons activement pour une réaffectation de certains crédits sécuritaires, aujourd'hui en réduction dans d'autres zones, afin de renforcer notre action dans la Caraïbe. L'explosion du trafic de cocaïne constitue un facteur majeur d'insécurité dans l'ensemble des îles, mais également au Costa Rica ou en Équateur. Ces dynamiques produisent un impact sur des territoires tels que le Suriname ou la Guyane, souvent utilisés comme zones de rebond dans les circuits de trafic.

Il apparaît essentiel d'attirer l'attention de Bruxelles sur la nécessité de mettre en oeuvre une politique spécifique pour les régions ultrapériphériques. Ces dispositifs doivent être considérés non pas uniquement comme un frein, malgré les obstacles persistants liés à leur complexité, mais bien comme des leviers stratégiques. Il nous revient, à nous comme à nos partenaires institutionnels, de soutenir nos collectivités dans l'élaboration de projets solides, crédibles et adaptés aux exigences communautaires. L'agence Expertise France accomplit déjà un travail remarquable dans ce domaine. Toutefois, cette ingénierie nécessite elle aussi des moyens, car elle suppose un accompagnement en amont, pour conférer aux dossiers toute la rigueur et la cohérence nécessaires.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - L'aéroport de Cayenne dispose-t-il de moyens techniques permettant d'intercepter les mules avant leur embarquement, afin d'éviter qu'elles n'alimentent, à leur arrivée à Paris, un véritable marché de la cocaïne ? Au-delà de l'enjeu sécuritaire, il s'agit également d'une question humaine, tant ce trafic exploite des jeunes fragiles, attirés par un gain immédiat pour soutenir leurs familles.

Par ailleurs, la frontière avec le Suriname suscite des situations comparables à celles entre Mayotte et les Comores : des femmes viendraient accoucher en Guyane pour bénéficier du système français, avant de regagner rapidement leur pays. Ce phénomène fait-il l'objet d'un suivi précis ou d'une coopération spécifique ?

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - S'agissant de la détection des mules, je m'exprime avec prudence, car ces éléments relèvent davantage de la compétence de la préfecture. L'Office anti-stupéfiants (OFAST) observe que les efforts de détection au Brésil ont conduit à une baisse relative des mules, même si les chiffres demeurent préoccupants. Je ne saurais dire si cette évolution se vérifie en Guyane.

Concernant la frontière avec le Suriname, les services de l'État sont en contact régulier avec le ministère de l'Intérieur, notamment à propos de la frontière brésilienne, où des réseaux très structurés organisent des passages vers le territoire français avant un départ vers l'espace Schengen. Ces trafics impliquent également des filières venant de bien plus loin, notamment du Maroc.

Le président Lula estime incohérent que les citoyens brésiliens puissent se rendre en France hexagonale sans visa, tout en demeurant soumis à une obligation de visa pour entrer en Guyane. Le ministère de l'Intérieur entend maintenir cette exigence, au regard des enjeux migratoires et sécuritaires, notamment en lien avec le trafic de drogue et l'orpaillage illégal. L'obligation de visa reste aujourd'hui l'un des rares leviers pour contenir certains flux irréguliers, en particulier ceux liés à la traite des êtres humains.

Concernant le Suriname, une partie de la frontière demeure contestée. La ratification de l'accord bilatéral trouvé en 2021 reste actuellement bloquée par le vice-président surinamais, dans un contexte de tensions politiques internes. Il convient toutefois de souligner un changement structurel : le niveau de vie au Suriname et sur le Plateau des Guyanes augmente rapidement, porté par les récentes découvertes de gisements pétroliers. Ce décalage de développement risque de devenir difficilement compréhensible pour les populations locales voisines. Si les flux migratoires restent aujourd'hui majoritairement orientés du Suriname vers la Guyane, cette dynamique pourrait à terme s'inverser.

Notre conseiller diplomatique auprès du préfet de Guyane demeure pleinement mobilisé sur ces enjeux, en lien étroit avec notre ambassade au Suriname. Toutefois, nous manquons de moyens humains, notamment en matière d'attachés de sécurité intérieure (ASI).

M. Jean-Gérard Paumier. - N'est-il pas urgent que l'UE reconnaisse pleinement la spécificité de ces territoires et adapte ses mécanismes d'appui ? Ceux-ci représentent un enjeu stratégique pour l'Europe dans son ensemble, bien au-delà des seuls États membres concernés.

Cette exigence vaut tout particulièrement pour les régions ultrapériphériques, qui ne pourront se développer sans un soutien européen renforcé, notamment le Groenland, Madère, les Açores, ou les Terres australes et antarctiques, aujourd'hui au centre d'intérêts géopolitiques croissants.

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - Dans le contexte actuel, la diversification de nos partenariats et le renforcement de notre présence dans certaines régions longtemps négligées deviennent essentiels. Les pays des Caraïbes, de l'Amazonie et, plus largement, de l'Amérique du Sud, rejettent la logique des blocs, refusant de choisir entre les États-Unis et la Chine. Or, l'Europe ne se manifeste souvent qu'au moment où elle a besoin d'eux, notamment pour solliciter leur appui lors d'échéances aux Nations Unies. Cette approche opportuniste doit être dépassée. Nous devons aller vers eux autrement, en cherchant à mieux comprendre leurs besoins et à bâtir des partenariats durables fondés sur des intérêts communs.

Face aux pressions croissantes - multiplication des droits de douane, politiques tarifaires agressives, désengagement progressif de l'agence des États-Unis pour le développement international (USAID) -, nous disposons d'une véritable fenêtre d'opportunité. Ces pays commencent d'ailleurs à percevoir l'intérêt d'un engagement européen plus conséquent, d'autant plus que l'aide des États-Unis s'est souvent accompagnée de tensions diplomatiques.

La Chine, quant à elle, s'est implantée de longue date, avant même l'initiative Belt and Road. Plusieurs États sont aujourd'hui fortement endettés à son égard. Le sommet de la CARICOM a mis en lumière une forme de résignation : certes, la Chine suscite des critiques, mais les États-Unis n'ont jamais offert de concessions réelles. De ce fait, plusieurs pays refusent d'entrer dans un schéma d'opposition binaire.

Face à cette logique, j'ai tenu à affirmer une autre voie, fondée sur les valeurs partagées, le multilatéralisme et les principes démocratiques. Ces pays y sont profondément attachés, comme en témoigne l'engagement actif de la CARICOM au sein des Nations Unies. Dès lors, il nous appartient de valoriser ce socle commun, entretenir un dialogue plus constant et cesser de ne les solliciter que lorsqu'un vote nous est nécessaire.

Mme Évelyne Perrot. - Quel impact la situation en Haïti exerce-t-elle actuellement sur les territoires ultramarins ?

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - La situation en Haïti est extrêmement préoccupante. Face à l'insécurité croissante, notre ambassade a été relocalisée à Pétion-Ville, dans les locaux de la délégation de l'UE. La capitale est désormais contrôlée à près de 90 % par les gangs, avec un bilan dramatique : plus de 5 600 morts en 2024, déjà plus de 1 000 depuis le début de l'année, et plus d'un million de déplacés.

Cette dégradation massive produit des répercussions directes sur l'ensemble de la région, notamment une pression migratoire forte. La République dominicaine a repris la construction de son mur frontalier et renvoie massivement les Haïtiens. L'an dernier, la France a soutenu un programme de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour favoriser leur réinsertion après ces expulsions.

Lors du sommet de la CARICOM, la situation en Haïti a été inscrit à l'ordre du jour, témoignant d'une prise de conscience régionale, mais également d'un certain désarroi. Personne ne semble en mesure de proposer une solution. Le plaidoyer de la France en faveur du rétablissement d'une opération de maintien de la paix s'est heurté à l'opposition du Secrétaire général. Cette position s'explique par le traumatisme laissé par le précédent déploiement, marqué par des événements désastreux : épidémie de choléra, violences sexuelles, et procédures judiciaires contre l'ONU. 

Aujourd'hui, la présence onusienne se limite au Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), une mission politique spéciale de 260 personnes, chargée d'accompagner le processus de transition politique et l'organisation des élections. Ses moyens restent notoirement insuffisants pour faire face à l'ampleur de la crise.

Le Secrétaire général des Nations Unies privilégie désormais une mission de soutien logistique à la police haïtienne, appuyée par le déploiement de 1 000 policiers kényans. La France soutient cette démarche, malgré ses limites évidentes, en espérant éviter un veto de la Chine, qui tend à entraver les dispositifs d'aide en raison de la reconnaissance officielle de Taïwan par Haïti.

Sur le plan bilatéral, nous renforçons notre appui à la police nationale haïtienne : formations, équipements, véhicules blindés et, pour la première fois, envoi de munitions. Le système judiciaire haïtien est en ruine :  les prisons ont été détruites et la chaîne pénale rompue. Même une hypothétique victoire contre les gangs ne résoudrait pas l'effondrement institutionnel. La préparation d'élections, censées légitimer les autorités de transition, relève davantage du symbole que d'une perspective réaliste. Malgré tout, il apparaît essentiel d'en préserver le principe.

L'effort de 40 millions d'euros consenti l'an dernier par la France ne pourra pas être reconduit cette année, eu égard aux contraintes budgétaires. La crise humanitaire demeure pourtant considérable : près de la moitié de la population se trouve en situation d'insécurité alimentaire grave. Dans ce cadre, la pression migratoire sur les territoires voisins s'annonce tangible et durable.

Mme Micheline Jacques, président. - Il est par ailleurs estimé qu'environ 30 % des enfants haïtiens rejoignent les gangs.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Le véritable problème réside dans l'absence totale de perspective : aucune figure haïtienne ne semble en mesure de sortir le pays de cette situation.

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - Nous pouvons compter sur un ambassadeur remarquable sur place. Les comptes rendus de ses entretiens redonnent une part d'espoir, témoignant de la présence d'acteurs locaux sincèrement engagés. Cependant, la peur pose un obstacle majeur. Jovenel Moïse, jugé trop passif, a pourtant été assassiné. Ariel Henry a été écarté. De nombreuses formations politiques ont tissé des liens, directs ou indirects, avec les gangs, attirées par des réseaux économiques particulièrement lucratifs : contrôle des ports, des importations, des infrastructures routières et des douanes. Il devient très difficile d'identifier les interlocuteurs sincères. Pourtant, il existe en Haïti des personnes de grande qualité, de bonne volonté et porteuses d'une vraie vision pour leur pays. Il ne faut pas renoncer à croire en eux.

Les États-Unis, avant de solliciter le Kenya, ont tenté de convaincre des partenaires régionaux majeurs. Les Brésiliens, marqués leur engagement massif dans la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), ont opposé une réponse sans équivoque : « Haïti, plus jamais ». Quant à la Colombie, elle a exprimé une volonté éventuelle de contribuer sur le volet judiciaire, mais refuse toute implication sur le plan sécuritaire.

Mme Micheline Jacques, président. - Que pensez-vous de l'idée de constituer un consortium international placé sous leadership français ?

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - La position de la France en Haïti est à la fois centrale et délicate. Nous sommes attendus, mais notre passé historique complexifie notre rôle, notamment en raison de la question de la dette dite de l'Indépendance. Celle-ci, qui ressurgira sans doute autour du 17 avril, date marquant les 200 ans de l'ordonnance de Charles X, ayant imposé à Haïti le versement de 150 millions de francs en échange de la reconnaissance de son indépendance, alimente une mémoire douloureuse. Pour l'opinion publique haïtienne, il serait difficilement acceptable que la France prenne davantage de poids, même si les responsables politiques ne l'admettront pas ouvertement.

Sur le plan européen, la France demeure l'un des rares pays - avec l'Espagne - à conserver une représentation diplomatique sur place. C'est sous l'impulsion française que l'UE a engagé un régime de sanctions à l'encontre des chefs de gangs. La France a instruit l'ensemble des dossiers, ce qui a déjà permis de sanctionner quatre chefs de gangs. D'autres sont en cours d'instruction.

Nous avons également convaincu l'UE d'abonder à hauteur de 10 millions d'euros le Fonds Fiduciaire des Nations Unies, destiné à soutenir la mission kényane. Sans notre action, l'UE ne serait pas intervenue, en raison d'obstacles techniques et bureaucratiques.

Par ce biais, la France agit déjà comme moteur d'un consortium international, articulé à la fois autour des Nations Unies, de l'UE, et de son propre engagement bilatéral. Néanmoins, nous ne pouvions pas être désignés comme Nation-cadre de la mission internationale d'appui à la sécurité. Les États-Unis ont cherché à confier ce rôle au Canada, qui a finalement renoncé. Le Rwanda avait exprimé son intérêt, mais les États-Unis s'y sont opposés, en raison de considérations liées à la protection des populations civiles. C'est finalement le Kenya qui a été retenu, au terme d'un processus complexe et prolongé. Le contingent déployé se limite pour l'instant à 1 000 policiers kényans, auxquels s'ajoutent de petits effectifs venus des Caraïbes, du Guatemala, de la Jamaïque ou de la Barbade.

Cependant, deux policiers kényans ont déjà été tués, l'un d'eux dans des conditions atroces, dont les images ont été diffusées par les gangs à des fins d'intimidation. Ce type d'acte dissuasif refroidit évidemment les velléités d'engagement d'autres pays, qui souhaitent contribuer dans la mesure de leurs moyens, mais sans s'exposer directement à des représailles d'une telle violence.

Mme Micheline Jacques, président. - Disposez-vous d'une étude sur l'impact du Brexit sur les petits territoires précédemment associés à l'UE, aujourd'hui isolés dans ce nouveau contexte ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la présence croissante de la Chine dans les eaux caribéennes. Selon vous, quels effets les puissances asiatiques exercent-elles actuellement sur ces territoires ?

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - Dans le cadre de leur stratégie dite Global Britain, les Britanniques ont cherché à compenser le Brexit par la signature de nombreux accords commerciaux à travers le monde, notamment avec la Caraïbe. Toutefois, les retours obtenus lors du sommet de la CARICOM font état d'un désengagement progressif. Autrefois, les Britanniques jouaient un rôle déterminant au sein de l'UE pour faciliter l'accès aux aides, aux programmes et aux canaux de financement. Depuis leur départ, ils ont perdu cette capacité d'influence, y compris aux Nations Unies, où leur poids, autrefois significatif, tend à s'amenuiser.

Concernant la Chine, la situation semble plus contrastée. Si sa présence reste limitée dans certaines zones d'Amérique centrale, elle s'est renforcée dans la Caraïbe, dans une logique stratégique d'encerclement discret du voisin nord-américain. La Chine déploie dans la région des initiatives relevant de la Belt and Road Initiative, bien qu'à une échelle moins visible que dans le cône Sud, où elle est fortement implantée, notamment en Argentine, au Chili, au Pérou et au Brésil. Dans la Caraïbe, son influence repose sur des outils d'influence douce : création de centres Confucius, bourses d'études, développement de liens humains et culturels.

Par ailleurs, la Chine s'emploie à renforcer sa présence au sein de l'Organisation des États américains (OEA), dont dix membres sont issus de la Caraïbe. Elle y voit un levier d'influence diplomatique majeur. À ce titre, des soupçons circulent sur une participation chinoise au financement du prochain sommet de l'OEA, alors même que l'OEA traverse une crise financière liée au retrait partiel de l'USAID, qui assurait jusqu'ici près de la moitié de son budget. Ce type d'intervention illustre la capacité de Pékin à investir les espaces laissés vacants.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Ne serait-il pas pertinent de réfléchir à une structuration pérenne, permettant d'associer pleinement les collectivités ultramarines à la définition et à la mise en oeuvre d'une stratégie locale de coopération régionale ?

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - Nous pourrions aller plus loin, c'est une évidence, mais il existe déjà plusieurs cadres dans lesquels les collectivités territoriales sont pleinement associées.

La Commission mixte transfrontalière réunit chaque année les partenaires institutionnels locaux : services de l'État, préfecture, mais aussi représentants de la Collectivité territoriale de Guyane, et leurs homologues brésiliens. Cette instance aborde l'ensemble des problématiques transfrontalières : migrations, coopération économique, reconnaissance des diplômes, éducation, etc. La prochaine édition se tiendra en juin à Cayenne, et sera présidée par mon adjoint, en raison d'un conflit d'agenda.

Concernant l'adhésion de la Martinique à la CARICOM, nous souhaitons proposer à l'organisation la mise en place d'un dialogue stratégique structuré, intégrant les collectivités françaises concernées. Si la Guyane rejoint prochainement la CARICOM -- ce qui est envisagé --, elle serait naturellement incluse dans ce dispositif. Il en va de même pour la Guadeloupe.

Certains membres de la CARICOM conservent une forme de réticence à l'égard de la France, perçue encore comme puissance coloniale. Il apparaît d'autant plus important de structurer un dialogue fondé sur des projets concrets, et d'y associer pleinement les collectivités ultramarines.

Par ailleurs, plusieurs collectivités disposent déjà de représentants au sein de nos ambassades, comme la Martinique, qui possède un représentant à l'ambassade de France à Castries. En lien étroit avec le Service économique régional (SER), il bénéficie ainsi d'analyses économiques, de veille stratégique et de propositions d'opportunités de coopération ou d'investissement. Ce dispositif mérite d'être renforcé, car il favorise l'ancrage territorial dans nos réseaux diplomatiques. À ma connaissance, la Guadeloupe n'a pas encore mis en place un tel poste.

Enfin, une convention-cadre entre l'État et les collectivités a été signée en 2024 dans le cadre de la CCRAG, dont l'édition 2025 constituera une excellente opportunité pour relancer la dynamique et approfondir cette structuration.

Mme Micheline Jacques, président. - Que pensez-vous de l'idée d'une révision visant à mieux harmoniser les statuts des régions ultrapériphériques/pays et territoires d'outre-mer (RUP/PTOM) ? Une telle démarche permettrait-elle, selon vous, de fluidifier les coopérations régionales pour les territoires de la CARICOM ?

Par ailleurs, comment envisagez-vous une meilleure intégration des territoires ultramarins dans les accords commerciaux bilatéraux entre la France et les pays de la zone ?

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - Lorsque j'évoquais le fonctionnement en silo au sein de l'UE, je faisais notamment référence à cette distinction entre les dispositifs RUP et PTOM. Ces instruments reposent sur des processus distincts, avec leurs propres calendriers, critères d'éligibilité et modalités d'exécution. Il me paraît indispensable, dans la réflexion que vous porterez à Bruxelles, d'envisager une meilleure articulation entre ces régimes, voire, à terme, une certaine fongibilité, ou du moins une harmonisation partielle. Certes, les RUP et les PTOM répondent à des logiques et des objectifs différents, mais leur cloisonnement excessif constitue un frein majeur, en particulier dans les zones comme la Caraïbe où les interactions territoriales sont fortes.

Les accords commerciaux devraient figurer à l'ordre du jour du prochain sommet UE-CARICOM. Il s'agit de mieux intégrer les territoires ultramarins français aux accords bilatéraux, tout en préservant la capacité d'action propre des États et territoires de la zone. Il ne faudrait pas, sous prétexte d'alignement avec les accords européens, entraver leur faculté à saisir des opportunités locales ou à adapter leurs partenariats aux réalités régionales. Ce sujet résidait au coeur des hésitations autour de l'adhésion de la CARICOM à des partenariats impliquant des membres de l'UE.

Mme Micheline Jacques, président. - Le marché ultramarin demeure étroit et largement tourné vers l'Hexagone. La différence de développement entre les territoires français ultramarins et les petits territoires autonomes voisins entrave, pour l'instant, toute véritable ouverture commerciale. Permettre à ces territoires de monter en compétence favoriserait une meilleure intégration régionale et contribuerait à diversifier les approvisionnements.

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - Cette problématique concerne également de nombreuses petites îles sous dépendance américaine ou du Commonwealth, comme Porto Rico ou les îles Vierges. La vie reste extrêmement chère, les produits étant majoritairement importés depuis des territoires comme les États-Unis.

À la Martinique, par exemple, le développement agricole reste très insuffisant, ce qui renforce cette dépendance aux importations.

Mme Micheline Jacques, président. - Les normes européennes et l'absence de flux bilatéraux freinent les échanges entre territoires. Il convient de créer du flux dans les deux sens, ce qui suppose des moyens logistiques adaptés. Aujourd'hui, un entrepreneur guadeloupéen souhaitant se rendre en Jamaïque ou à Cuba doit souvent passer par Paris ou Miami. Sans amélioration de la mobilité régionale, il sera difficile de stimuler les échanges économiques.

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - La question des normes phytosanitaires constitue un enjeu majeur pour le développement agricole. L'harmonisation des normes figure parmi les axes de travail du programme européen de développement Global Gateway. Par ailleurs, l'Accord de Samoa, conclu avec les pays de l'Organisation des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP), représente également une perspective encourageante.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie sincèrement pour la richesse de vos éclairages. Les pistes évoquées renforcent la pertinence de nos travaux, que nous poursuivrons avec d'autant plus de détermination.

Mme Nathalie Estival-Broadhurst. - J'espère que nous pourrons échanger à votre retour. Je vous souhaite une excellente mission.