Mercredi 2 avril 2025

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 09 h 05.

Nomination d'un vice-président de la commission des affaires sociales

M. Philippe Mouiller, président. - Notre collègue Xavier Iacovelli a souhaité démissionner de son mandat de vice-président de notre commission. Je vous rappelle qu'en application de l'alinéa 9 de l'article 13 du règlement du Sénat, « en cas de vacance d'un poste de vice-président, le groupe intéressé fait connaître au président de la commission le candidat qu'il propose ».

Le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) m'a transmis la candidature de Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile est désigné vice-président.

Fédérations de complémentaires sur l'organisation de la prévention dans le domaine de la santé - Audition de MM. Alain Gautron, vice-président du Centre technique des institutions de prévoyance, Éric Chenut, président de la Fédération nationale de la mutualité française, un représentant de France Assureurs

M. Philippe Mouiller, président. - Cette table ronde s'inscrit dans le cadre de notre mission d'information sur l'organisation de la prévention dans le domaine de la santé dont Marie-Do Aeschlimann, Marion Canalès et Nadia Sollogoub sont les rapporteures.

Je remercie nos invités de leur présence. Madame, Messieurs, je vais vous laisser débuter cette table ronde par un propos liminaire dans lequel vous pourriez rappeler l'action des complémentaires santé dans le domaine de la prévention et les moyens que ces organismes y consacrent. Il serait également intéressant que vous esquissiez des pistes d'amélioration, notamment pour que les acteurs de la prévention travaillent mieux ensemble, et que, le cas échéant, vous nous indiquiez si les organismes complémentaires seraient prêts à assumer davantage de missions en matière de prévention.

Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant par nos rapporteures.

M. Éric Chenut, président de la Fédération nationale de la Mutualité française. - La Mutualité française fédère 500 mutuelles impliquées sur les champs de la couverture santé, de la prévoyance, de la dépendance et de la retraite. Nous gérons également 2 900 services de soins d'accompagnement mutualistes. Ces moyens nous permettent de déployer des actions en prévention primaire, secondaire et tertiaire. Chaque année, plus de 25 000 actions de prévention sont menées sur l'ensemble du territoire, tant au niveau national qu'en proximité, par tous les acteurs. Nous avons établi des partenariats solides, notamment avec Santé Publique France et la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), axés sur la prévention de la perte d'autonomie et les sujets de santé environnementale.

Notre analyse de l'organisation du système de prévention révèle que, puisque deux tiers des déterminants de santé ne dépendent ni du capital génétique, ni du système de santé, il est impossible de faire reposer l'ensemble des actions de prévention sur les seuls professionnels de santé, la sécurité sociale ou les complémentaires santé. En matière de prévention primaire, il est fondamental que les initiateurs des politiques publiques, qu'il s'agisse de l'éducation, du logement, des transports ou des infrastructures sportives, soient également mobilisés pour engager une véritable culture de santé publique. Les professionnels de santé, la sécurité sociale et les complémentaires santé peuvent jouer un rôle accru dans la prévention secondaire et tertiaire.

Pour réussir, il est important de renforcer la coopération, la complémentarité, la co-construction et la subsidiarité. C'est ainsi que nous créerons un cercle de confiance entre la puissance publique, l'assurance maladie et les complémentaires santé, ce qui semble absolument essentiel. L'État a pour rôle de fixer des priorités, et il serait d'ailleurs utile que la stratégie nationale de santé, attendue depuis plus d'un an, soit enfin publiée. Il est ensuite crucial de laisser les opérateurs décliner ces politiques en fonction de la réalité de leur portefeuille et des enjeux populationnels.

Prenons l'exemple d'une priorité axée sur la prévention des maladies cardiovasculaires. La manière de décliner les actions de prévention variera selon qu'il s'agit de contrats collectifs conclus avec des employeurs ou de contrats individuels, car les réalités et les besoins ne sont pas les mêmes. Chaque opérateur, dans sa spécificité, doit pouvoir décliner ses actions en fonction de cet objectif, tout en rendant compte des résultats observés.

Nous estimons qu'il est possible et nécessaire d'améliorer le bilan actuel. Pour faire de la prévention un investissement collectif et réorienter notre système, qui est trop axé sur le curatif, vers davantage de préventif, il faut se fixer de nouveaux objectifs. Il serait pertinent de ne pas se focaliser uniquement sur la mortalité évitable et la morbidité précoce dans les critères d'évaluation. Il faut également inclure l'espérance de vie en bonne santé, qui est insuffisante dans notre pays par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE.

La courbe des maladies chroniques et des affections de longue durée ne cesse de croître, s'accélérant plus rapidement que le vieillissement de la population. Ce phénomène ne s'explique pas uniquement par la transition démographique. Une partie de cette évolution provient des comportements, de la sédentarité et de divers impacts environnementaux. Cela pèse lourdement dans les dépenses de l'assurance maladie et dans les coûts supportés par les complémentaires santé. Pour rendre notre système plus soutenable et durable, il est fondamental d'agir dans ce domaine.

Un autre enjeu majeur en termes de prévention, au-delà de la santé et de l'évitement ou de l'aggravation des pathologies chroniques, tient à la prévention de la perte d'autonomie, compte tenu de la transition démographique en cours. Le nombre de personnes en situation de dépendance doublera d'ici à 2040, ce qui rend essentiel notre engagement dans ce domaine.

Cette évolution est d'autant plus nécessaire que les inégalités en santé sont importantes dans notre pays. L'écart d'espérance de vie entre les 5 % les plus riches et les 5 % les plus pauvres est de 13 ans pour les hommes et de 8 ans pour les femmes, ce qui constitue un enjeu d'action important.

Quels sont les leviers à actionner ? Il faut repenser la gouvernance afin de permettre à chacun de jouer son rôle. L'assurance maladie est pleinement légitime et dispose d'une capacité de projection importante. Les complémentaires santé, en particulier les mutuelles, ont une capacité de lien avec les populations protégées qui permet de compléter les actions d'« aller vers » de l'assurance maladie. La prévention est au coeur de nos activités car elle constitue un élément essentiel dans la gestion du risque. Il est crucial d'avoir une vision pluriannuelle des objectifs de l'État et de partager les données pour pouvoir prioriser et orienter les personnes vers les dispositifs appropriés, réduisant ainsi les inégalités.

Reconnaître la mission de prévention aux mutuelles nous semble essentiel, ce qui implique l'utilisation des données dont nous disposons dans le cadre des remboursements pour mener des actions de prévention, notamment secondaires et tertiaires, à destination des publics protégés par nos contrats. Aujourd'hui, l'absence de base légale pour cette utilisation nous oblige à solliciter le consentement individuel de chaque personne, ce qui est coûteux et inefficace. Nous plaidons pour l'établissement d'une base légale permettant une logique d'opt-out, plus adaptée pour engager des actions ciblées et personnalisées en matière de prévention.

Nous sommes prêts à développer des actions de prévention personnalisées et d'aller vers, en lien avec l'assurance maladie, l'État et les collectivités territoriales, pour une plus grande efficacité. Le partage de données serait, par exemple, d'un grand intérêt dans cette perspective. Nous pourrions plus facilement organiser des actions de prévention pour accompagner le retour à l'emploi. Nous pourrions également proposer des soins de support en cas d'hospitalisation, notamment en oncologie. Il est vraiment important de partager ces informations si nous souhaitons mettre en place des stratégies de parcours plus efficientes. Bien entendu, cela implique de conforter un principe mutualiste fondamental : ne pas tarifer en fonction de l'état de santé.

J'insiste également sur l'importance de considérer la prévention comme un élément de l'exécution du contrat. Cela nécessite de reconnaître la prévention comme une prestation en nature et en service, et non comme des coûts de gestion. L'enjeu dépasse la simple comptabilité : cette reconnaissance permettrait à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) de considérer que nos actions de prévention s'inscrivent pleinement dans nos missions de protection, de soins et d'accompagnement de nos adhérents, sans avoir à aller chercher des consentements supplémentaires.

Enfin, j'attire votre attention sur la fiscalité. Actuellement, lorsque nous faisons appel à des opérateurs externes pour mener des actions de prévention, leurs coûts sont assujettis à la TVA. Concrètement, pour une action qui coûte 100 euros, nous devons ajouter 14 % de taxes additionnelles sur les contrats d'assurance et 20 % de TVA. Ainsi, l'action de prévention revient approximativement à 135 euros, étant fiscalisée à hauteur de 35 %. Je vais illustrer ce paradoxe de manière un peu caricaturale, mais frappante : nous acceptons une fiscalité réduite pour la restauration rapide, qui contribue à l'encrassement des artères, mais nous taxons quatre fois plus les actions de prévention des maladies cardiovasculaires qui en découlent.

M. Alain Gautron, vice-président du Centre technique des institutions de prévoyance. - Je m'efforcerai d'apporter un éclairage complémentaire aux propos d'Éric Chenut, que les institutions de prévoyance que je représente partagent entièrement. Les institutions de prévoyance sont un acteur important. Elles sont gérées paritairement par des représentants des employeurs et des représentants des organisations syndicales. Ce sont des organismes à but non-lucratif.

Les institutions de prévoyance mènent beaucoup d'actions sur le terrain. Leur atout tient au fait qu'elles ont un lien privilégié avec le terrain économique et social. Nous signons des accords avec des branches, qui peuvent couvrir des centaines de milliers de salariés, des grandes entreprises et de plus en plus de PME. En effet, bien que le taux de couverture par des contrats de complémentaire santé soit très élevé en France, il subsiste des lacunes, principalement dans les petites et moyennes entreprises, auxquelles nous devons rester attentifs.

De notre point de vue, l'entreprise est un véritable territoire de santé. Chacun connaît le rôle des collectivités territoriales en matière de santé et de prévention. Nous essayons de démontrer que l'entreprise joue également un rôle. Dans notre pays, la richesse du dialogue social se fait aussi sur le terrain, au niveau de l'entreprise et des branches professionnelles.

Parmi les améliorations à apporter, le législateur a déjà prévu le degré élevé de solidarité, qui peut permettre de consacrer une partie de la cotisation à la prévention dans le cadre des contrats collectifs. Nous pourrions très bien augmenter ce pourcentage, qui est aujourd'hui de 2 %, pour encore mieux financer les actions de prévention.

Les institutions de prévoyance sont une force de propositions et d'innovations car nous sommes près du terrain et des besoins de nos concitoyens. Ainsi, ce sont les organismes complémentaires d'assurance maladie qui, dans le cadre de la crise de la covid-19, ont pris en charge sur leurs fonds propres les consultations de psychologues, qui sont aujourd'hui devenues une prestation quasi-obligatoire avec le développement de Mon Soutien Psy. Par ailleurs, Apicil développe le premier test salivaire de détection de l'endométriose en collaboration avec une start-up lyonnaise.

Concernant les pistes d'amélioration, je rejoins les propos d'Éric Chenut. Il est primordial que le Parlement reconnaisse le rôle des organismes complémentaires d'assurance maladie comme acteurs de la prévention, en complémentarité avec l'assurance maladie obligatoire. Cette reconnaissance, au sein du code de la santé publique, permettrait que nos prestations de prévention ne soient pas considérées comme des frais de gestion, ce qui semble plus cohérent avec l'ambition nationale en matière de prévention.

Pour conclure, je tiens à préciser que j'ai préparé un document détaillant l'ensemble des actions de prévention réalisées au sein des entreprises et des branches professionnelles, que je pourrai remettre aux rapporteures si vous en êtes d'accord.

Mme Florence Lustman, France Assureurs. - France Assureurs est la fédération qui regroupe 99 % du marché de l'assurance en France, au-delà de la seule assurance santé. Notre métier consiste à gérer l'ensemble des risques, ce qui implique de les étudier et de les projeter pour essayer de les prévenir. Le meilleur sinistre, tant pour les assureurs que pour les assurés, est celui qui a été évité. Cette approche s'applique particulièrement aux catastrophes naturelles, aux accidents de la route ou aux accidents de la vie courante.

Nous éprouvons une grande frustration car, hormis dans le domaine de la santé, nous sommes reconnus comme les professionnels du risque et de la prévention. Notre association Assurance Prévention se consacre spécifiquement au financement et à l'organisation de campagnes de prévention sur tous les types de risques. Les limitations imposées par la réglementation actuelle restreignent notre champ d'action dans le domaine de la santé, qui est pourtant crucial à nos yeux.

Malgré ces contraintes, nous développons des initiatives, via Assurance Prévention, qui ne sont pas directement imputables à la complémentaire santé. Nous avons établi des partenariats, notamment avec la chaire « santé en mouvement ». Nous avons également lancé depuis plusieurs années le programme de sécurité routière Sam. La prévention est une attitude de vie vis-à-vis de l'ensemble des risques. Il n'est pas possible de traiter de prévention en santé seule. Cette approche nécessite une implication très large de la société civile, au-delà des seuls spécialistes de ce risque. C'est par des campagnes et des messages généraux touchant aussi bien les enfants que les adultes, et abordant la santé comme d'autres risques, que nous pourrons inculquer à tous nos concitoyens les bons réflexes vis-à-vis des risques.

L'entreprise est évidemment un territoire de santé privilégié, notamment parce que la répétition des messages de prévention est absolument clé. Nous menons de nombreuses actions concrètes sur le terrain dans ce domaine.

Notre connaissance approfondie des risques nous permet d'anticiper les besoins. Par exemple, dès 2020, nous avons proposé à tous nos assurés le remboursement de 4 consultations de psychologues à hauteur de 60 euros, même si cela ne figurait pas dans les contrats initiaux. Cette décision résultait de notre compréhension du terrain. Nous avions bien repéré, via nos capteurs, que le sujet de la santé mentale montait en puissance. Cela illustre bien le fait que nous avons à notre disposition des leviers qui peuvent contribuer à l'amélioration des politiques de prévention et de l'espérance de vie en bonne santé de la population.

Lors de ma conférence de presse sur les résultats du secteur de l'assurance en 2024, j'ai alerté sur l'augmentation de 24 % des prestations en prévoyance, qui reflète l'explosion des arrêts de travail. Une étude menée par l'un de nos grands assureurs montre une corrélation entre la carte des arrêts de travail et celle des déserts médicaux. Dans les zones de déserts médicaux, on observe moins d'arrêts de travail de courte durée, faute d'accès aux médecins, mais davantage d'arrêts de longue et très longue durée. Il est absolument clé d'avoir les bons capteurs aux bons endroits, et pas uniquement dans le champ de l'assurance santé.

En tant qu'investisseurs majeurs dans l'économie française et européenne, nous investissons massivement dans le secteur de la santé. Durant la crise de la covid-19, nous avons lancé un plan d'investissement de 800 millions d'euros dédié à la santé et à l'innovation. Pour guider ces investissements, nous nous sommes entourés d'un conseil scientifique. Cela nous permet de repérer des innovations. L'innovation et la prévention sont les deux leviers pour sortir par le haut des difficultés dans lesquelles se trouvent nos concitoyens en matière de santé.

Parmi les innovations que nous finançons, citons ChestView de Gleamer, qui permet un diagnostic précoce des nodules pulmonaires et d'autres pathologies à l'occasion d'examens radiologiques. Un de nos assureurs a également financé la reconstruction 3D des organes, une technologie qui améliore significativement l'efficacité de certains actes chirurgicaux.

Enfin, nous explorons des approches ludiques pour modifier les comportements en matière de prévention. Notre expérience dans divers domaines, comme l'automobile ou les catastrophes naturelles, montre qu'il est crucial d'offrir un retour quasi immédiat pour inciter les gens à adopter des comportements préventifs. Il est en effet difficile de convaincre uniquement sur la promesse d'une vie plus longue et en meilleure santé.

Il est extrêmement important responsabiliser les individus quant à leur propre santé. Cette approche est fondamentale pour une prévention efficace. Nous collaborons étroitement avec le professeur Bruno Vellas, gériatre à Toulouse, qui dirige la déclinaison française du programme ICOPE de l'OMS. Ce programme vise à prévenir la perte d'autonomie chez les seniors. Notre couverture de 96 % de la population française nous permet de parler largement de ce programme et de ses recommandations.

Mon expérience à la tête du plan Alzheimer pendant 5 ans m'a enseigné que trois fonctions sont absolument essentielles pour limiter la dégradation de l'autonomie : la vue, l'audition et la santé bucco-dentaire. Ces trois domaines sont principalement remboursés par les complémentaires santé. Nous avons donc un effet direct sur la prévention du vieillissement et le maintien du lien social.

Je préconise une stratégie de santé globale, décloisonnant la santé publique, la santé au travail et l'éducation à la santé. Cette approche nécessite une collaboration étroite entre tous les acteurs : associations de patients, représentants de la société civile, professionnels de santé et complémentaires santé. Il est impératif de définir des objectifs clairs, mesurables par des indicateurs transparents, et de réévaluer régulièrement notre progression.

Notre principal levier d'action réside dans le contrat responsable, qui régit nos relations avec les assurés. Nous estimons qu'il est temps de faire évoluer ce contrat pour le rendre véritablement responsabilisant. Nous proposons d'y inclure un forfait minimal de prévention, ce qui suppose d'enlever d'autres garanties, d'utiliser ce contrat pour favoriser le respect des recommandations de la Haute Autorité de Santé en matière de prévention et, pourquoi pas, d'envisager des remboursements bonifiés pour les assurés qui s'engagent dans des parcours de prévention.

M. Philippe Mouiller, président. - Au-delà de la liste de vos actions, nous aurons besoin de connaître des moyens financiers engagés. Nous souhaitons avoir une vision globale de vos investissements. Je suppose que la séparation avec les frais de gestion vous permet d'avoir cette vue d'ensemble.

Je donne maintenant la parole à nos deux rapporteures aujourd'hui présentes.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Nous constatons, en France, un taux de participation relativement faible aux actions de prévention déployées sur le territoire. Il est frappant de constater, par exemple, que pour les dépistages des cancers, la participation reste systématiquement inférieure d'au moins dix points aux objectifs fixés par l'Union européenne, et ce bien que ces campagnes soient sans reste à charge pour les assurés. Cette situation soulève un certain nombre de questions quant à la mise en place de nouvelles incitations pour dynamiser la participation aux actions de prévention.

Dans quelle mesure vous semble-t-il envisageable de considérer une modulation des primes des complémentaires santé en fonction de la participation à des actions des prévention ? Les assurés qui auraient un comportement vertueux en s'engageant dans des démarches de prévention se verraient récompensés par des cotisations moins lourdes.

Par ailleurs, seriez-vous favorable à ce que la taxation sur les contrats de complémentaire santé soit modulée en fonction des actions de prévention comprises dans le panier de soins ? L'idée serait d'utiliser le levier fiscal afin d'inciter les complémentaires santé à s'impliquer davantage en matière de prévention.

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Nous avons retenu des auditions qu'il existait une volonté forte, chez certaines complémentaires santé, de s'engager plus activement dans le domaine de la prévention. Disposez-vous d'une estimation des montants que vos adhérents consacrent à la prévention ? Envisagez-vous d'intensifier ces efforts ?

Plus largement, nous avons pu constater que la politique de prévention en santé est le fruit d'un effort collectif impliquant un grand nombre d'acteurs. Face à cette pluralité d'intervenants, il apparaît essentiel de renforcer la gouvernance pour optimiser la coordination et l'efficacité de toutes les initiatives. Si la création d'un comité de dialogue avec les organismes complémentaires avait pu susciter l'espoir d'une meilleure articulation, cet organe est déjà inactif quelques années après sa mise en place. Quelles pistes préconisez-vous afin d'associer davantage les complémentaires santé à la gouvernance de la politique de prévention ?

Mme Florence Lustman. - Nous ne sommes pas prêts à aller jusqu'à la modulation des primes. Je pense que l'on peut travailler sur des sujets très bien identifiés. Commençons petit. Nous envisageons une bonification du remboursement plutôt qu'une pénalisation. Tout le monde n'a pas le même accès au corps médical. Nous n'avons pas suffisamment intégré l'ensemble des parties prenantes autour de la table. Il est donc trop tôt pour envisager une pénalisation. Il faut un signe, mais en allant vers du plus plutôt que vers du moins.

La pluralité des intervenants n'est pas gênante dans la mesure où il faut toucher tout le monde. La proximité est essentielle pour parler efficacement à l'ensemble de la population. Par exemple, certains assureurs mutualistes organisent des actions de prévention et d'éducation au risque dans les villages, profitant de leur présence locale pour sensibiliser les habitants de manière conviviale et efficace. La pluralité des intervenants est donc un atout. C'est l'échelon supérieur qui manque, celui de la gouvernance. Il faut que tout le monde travaille ensemble. Il ne faut pas que chacun prêche pour sa paroisse. Plutôt que de créer des instances spécifiques pour chaque groupe d'acteurs, il est crucial de rassembler tous les intervenants autour d'une même table dans l'objectif d'identifier les leviers d'action de chacun et de les coordonner efficacement.

Ce qui fait défaut actuellement, c'est une stratégie partagée, assortie d'indicateurs et d'une évaluation transparente et régulière. Nous devrions rendre compte annuellement aux Français de nos progrès, analyser nos succès et nos échecs et ajuster notre approche en conséquence

M. Éric Chenut. - Je n'ai rien de très différent à dire. Je rejoins complètement Florence Lustman sur le sujet du comportemental. Nous sommes très réservés. Nous ne souhaitons pas que ce soit un nid pour créer de nouvelles inégalités. Nous avons de gros écarts dans les taux de recours aux dépistages car nous n'avons pas les mêmes possibilités de toucher tous les citoyens et de les raccorder aux actions de dépistage mises en oeuvre. Mon expérience passée à la MGEN me fait penser qu'il est possible d'obtenir des taux de participation nettement supérieurs grâce à des actions récurrentes et ciblées.

Il n'y a pas de fatalité. Il faut travailler ensemble, sans oublier les collectivités territoriales et le rôle de l'État. Ce n'est pas uniquement en mobilisant les complémentaires santé et la sécurité sociale que l'on entrera dans une culture de la santé publique. L'essentiel des déterminants de santé sont en dehors du système de santé.

Nous attendons une stratégie nationale de santé réellement partagée et une gouvernance rénovée au niveau national. Il est crucial de se fixer des objectifs à long terme, car changer les habitudes requiert du temps et des efforts soutenus. Que ce soit pour réduire l'impact des maladies cardiovasculaires ou améliorer la santé mentale, il faut s'engager sur plusieurs années pour enclencher des évolutions de comportement. La Mutualité française s'investit particulièrement dans des actions comme les premiers secours en santé mentale et la promotion de la santé mentale au travail, tant dans le secteur public que privé. Notre objectif est de déstigmatiser ces problématiques et de progresser sur plusieurs années.

Pour gagner la confiance de nos concitoyens, il est essentiel de rendre compte des résultats obtenus et de démontrer l'efficacité des actions. Cette approche permettra de responsabiliser les individus tout en préservant notre modèle social protecteur et redistributif. La pérennité de ce modèle passe par un équilibre entre les solidarités et la responsabilité individuelle et collective, soutenu par une communication transparente sur l'impact des actions de prévention.

M. Alain Gautron. - Notre pays n'est pas performant par rapport aux pays nordiques pour ce qui concerne les campagnes nationales de dépistage. Cette situation perdure depuis vingt ans. Nous pouvons peut-être réfléchir autrement. Certaines institutions de prévoyance mènent des actions favorisant le retour à l'emploi des femmes qui ont eu un cancer, notamment du sein. Avec une meilleure complémentarité entre l'assurance maladie obligatoire (AMO) et l'assurance maladie complémentaire (AMC), la complémentaire santé pourrait peut-être inciter les femmes dans les entreprises à faire des dépistages, sans bien évidemment priver de l'accompagnement au retour à l'emploi celles qui n'auraient pas effectué ce dépistage, car ce serait là une double peine tout à fait inacceptable.

Aujourd'hui, il existe un mur entre ce que fait la Cnam et ce que nous faisons sur le terrain. Nous demandons une meilleure coordination, chacun avec ses atouts.

En 2025, nous mènerons pour la première fois une campagne commune avec la caisse nationale d'assurance maladie en matière d'hygiène bucco-dentaire. Les soins nécessaires après la détection de caries seront pris en charge, ainsi que le ticket modérateur pour les soins conservateurs. Cette initiative conjointe AMO/AMC démontre que la collaboration est possible. Pour faciliter ce type de coopération, il faudrait un Comité de dialogue avec les organismes complémentaires (CDOC) rénové permettant un travail commun entre les organismes complémentaires et la Cnam, sous l'autorité de l'État.

Il est difficile de fournir des chiffres précis sur les sommes investies dans la prévention. Le CTIP que je représente regroupe une trentaine d'institutions de prévoyance : il ne centralise pas les sommes investies. Chez Malakoff Humanis, dont je suis président, nous n'avons pas de comptabilité analytique spécifique à la prévention car celle-ci n'est pas considérée comme une prestation. Néanmoins, je peux vous indiquer que nous consacrons plus de 100 millions d'euros à la prévention. Ce montant reste faible par rapport aux dépenses curatives. Pourquoi ne pas créer un sous-Ondam dédié à la prévention et à la santé publique ? Cela permettrait de quantifier précisément les montants alloués au niveau national et d'évaluer l'efficacité des actions menées.

Quant à la modulation de la taxe de solidarité additionnelle (TSA), elle mérite une discussion approfondie avec les pouvoirs publics. La tendance actuelle à transférer des dépenses ou des taxes aux organismes complémentaires pour réduire le déficit de la sécurité sociale n'est pas une solution viable. Il est paradoxal qu'un contrat santé responsable soit davantage taxé qu'un produit alimentaire aussi peu sain qu'un hamburger de chaîne de restauration rapide. Une véritable politique de santé publique devrait avoir le courage de taxer plus lourdement les produits néfastes pour la santé et moins les contrats santé.

M. Philippe Mouiller, président. - La parole est aux sénateurs.

Mme Florence Lassarade. - Je m'étonne que les mutuelles, qui sont censées compléter la sécurité sociale, prétendent investir autant de moyens dans la prévention. Il faut revenir aux fondamentaux de la prévention : promouvoir l'exercice physique dès l'enfance, prévenir l'usage excessif des écrans et favoriser les consultations pédiatriques, ainsi que l'installation de pédiatres. Concernant les personnes âgées, la prévention des chutes devrait être prioritaire. Or je n'en ai pas entendu parler.

Vous avez affirmé que le tarif est indépendant de l'état de santé. Ce n'est pas vrai puisque le tarif augmente avec l'âge.

Mme Corinne Imbert. - Madame Lustman, vous avez mentionné que le fait que France Assureurs a identifié les problèmes de santé mentale et propose désormais le remboursement de 4 consultations annuelles chez un psychologue. Il existe également des offres qui incluent des remboursements de consultations chez l'ostéopathe, le diététicien, la socio-esthéticiennes... Jusqu'où pensez-vous aller ?

Par ailleurs, que penseriez-vous d'un projet de loi pluriannuel pour une politique de prévention en santé ?

Mme Patricia Demas. - Les maires des petites communes sont souvent sollicités par leurs administrés concernant la possibilité d'établir un « pacte de confiance » pour désigner une mutuelle communale dont ils pourraient bénéficier. Quel est votre avis sur le sujet ? Quelles recommandations pourriez-vous faire à ces élus de proximité ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - La prévention doit être beaucoup plus importante. Elle est l'un des facteurs qui peuvent empêcher les maladies de se développer. Un point particulier a retenu mon attention. Vous avez évoqué le fait, sauf erreur de ma part, que dans les déserts médicaux, les consultations tardives entraînent des problèmes de santé plus conséquents. Cette réalité est indéniable et presque inévitable. Dans mon département, nous sommes confrontés à d'importants déserts médicaux, comme dans de nombreuses régions en France. Par conséquent, les délais d'attente peuvent s'étendre sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour un acte de prévention, ce qui complique considérablement la situation.

Considérez-vous que l'État se désengage sur les complémentaires santé pour assurer les missions qui devraient être les siennes ?

Que pensez-vous des mutuelles communales, voire intercommunales ? Ces initiatives permettent à un nombre significatif de personnes d'accéder à une couverture santé à des tarifs réduits, grâce à un effet de commande groupée. Lors des réunions publiques organisées pour présenter ce service, nous constatons que, contrairement aux idées reçues, tous les citoyens ne bénéficient pas d'une couverture mutuelle, que ce soit par le biais de la complémentaire santé solidaire ou d'une mutuelle d'entreprise. De nombreuses personnes assistent à ces réunions publiques dans l'optique d'adhérer à une mutuelle à un tarif plus abordable. Il faut bien admettre que les prix des assurances et des mutuelles sont actuellement très élevés. Il est particulièrement préoccupant de voir des couples de retraités percevant de modestes pensions devoir consacrer entre 180 et 200 euros par mois à leurs cotisations de complémentaires santé. Ne faudrait-il pas davantage développer les mutuelles communales, voire intercommunales ?

M. Alain Gautron. - La prévention des chutes est évidemment un sujet important. Les chutes sont souvent le premier facteur de détection de la maladie d'Alzheimer. Des actions de prévention des chutes sont menées sur le terrain en association avec la caisse nationale d'assurance vieillesse. En outre, les régimes complémentaires Agirc-Arrco proposent une consultation de prévention assez complète au moment du départ à la retraite. Je crois beaucoup aux actions de proximité menées avec les professionnels de santé et les aide-ménagères pour détecter les signes avant-coureurs.

Nous irons jusqu'au bout des actions qui nous permettent de faire de la prévention. Certaines institutions de prévoyance encouragent l'activité sportive sur prescription médicale. Les problèmes de diabète et d'obésité doivent être traités de manière pluridisciplinaire. La prévention a un rôle important dans ces maladies, tout comme dans les maladies cardiovasculaires. À ce sujet, une institution de prévoyance a mis en place un bilan cardiovasculaire dans le cadre de son contrat.

Nous sommes très favorables à ce que la santé fasse l'objet d'une loi pluriannuelle, avec un plan national de prévention.

Enfin, concernant les mutuelles d'entreprise, il ne faut pas oublier qu'une part importante de la cotisation est prise en charge par l'employeur. Le minimum est de 50 %, mais certaines branches professionnelles vont jusqu'à 80 %. Ces employeurs ont compris que la prise en charge de la santé des salariés représentait à la fois un investissement économique et un investissement social. Évidemment, cette prise en charge disparaît à la retraite, ce qui explique en partie l'augmentation des cotisations de complémentaire santé pour les retraités.

M. Éric Chenut. - Sur la prévention tout au long de la vie, je souhaite souligner l'importance de nos actions concernant les 1 000 premiers jours de l'enfant. Les unions régionales de la mutualité française sont fortement engagées dans ce domaine en menant 25 000 actions de prévention pour accompagner les parents dans la réduction des risques.

La prévention secondaire et tertiaire représente également un enjeu crucial. L'accès effectif aux soins est absolument déterminant pour mener ces actions. Cela suppose la présence de professionnels de santé sur l'ensemble du territoire. Nous mobilisons nos services de soins et d'accompagnement mutualiste, ainsi que des structures conventionnées pour répondre à ce besoin.

Concernant la prévention des chutes, nous avons établi un partenariat avec la Cnav pour développer des programmes spécifiques. Il y a un an, lorsque le gouvernement a décidé de doubler les franchises sur les boîtes de médicaments, nous avions proposé de lancer un grand plan de lutte contre l'iatrogénie médicamenteuse, qui est à l'origine de 250 000 hospitalisations par an, de chutes et de décès chez les personnes âgées. Pour que les actions de prévention soient inclusives et lisibles pour la population, il est essentiel d'assurer une continuité et une cohérence dans leur mise en oeuvre.

Nous sommes évidemment favorables à un projet de loi pluriannuel en matière de prévention, à condition qu'il ne se contente pas de fixer le financement, mais qu'il permette aussi une réelle coconstruction et subsidiarité. L'État doit fixer les objectifs, mais il est crucial de laisser aux acteurs et opérateurs la latitude d'adapter la mise en oeuvre des programmes en fonction des réalités territoriales et des besoins populationnels. Nous sommes disposés à rendre des comptes sur l'efficacité de nos actions, mais nous plaidons pour une approche favorisant l'émulation plutôt que l'uniformité.

Concernant l'étendue de la prise en charge, nous estimons que tout ce qui n'est pas pris en charge par l'assurance-maladie, mais qui contribue à une meilleure information et à l'autonomisation des assurés sociaux dans la gestion de leur capital santé, mérite d'être considéré. Cela inclut les services de diététiciens, d'activité physique adaptée ou encore les soins de support en oncologie. Nous considérons qu'il est légitime de proposer des remboursements pour toutes les professions inscrites au Répertoire partagé des professionnels intervenant dans le système de santé, dès lors qu'un besoin a été identifié. Il est pour le moins paradoxal que l'on nous reproche certaines prises en charge, alors même que les partenaires sociaux les demandent dans le cadre des contrats collectifs, et que l'État les exige dans les appels d'offres publics pour la protection sociale complémentaire des fonctionnaires. Il faut être cohérent.

Il n'y a pas de tarification en fonction de l'état de santé des assurés car il n'y a pas de questionnaire de santé. Les tarifs sont liés à l'âge, mais ils sont identiques à un âge donné, que la personne soit en excellente santé ou non.

Les mutuelles communales répondent généralement à des appels d'offres lancés par des collectivités territoriales ; elles s'inscrivent majoritairement dans le cadre du contrat solidaire et responsable, ce qui est une bonne chose. Nous pensons qu'il est nécessaire de redéfinir le périmètre de ce contrat pour retrouver de la modularité et des tarifs plus abordables, notamment pour les retraités qui ne bénéficient plus de la participation employeur.

L'augmentation des tarifs des complémentaires santé est directement liée à l'augmentation des coûts en santé. Entre 2003 et aujourd'hui, les dépenses de santé ont plus que doublé en France, et nos tarifs ont évolué proportionnellement. Pour assurer la soutenabilité du système, tant pour l'assurance maladie que pour les complémentaires santé, il est impératif de travailler sur l'efficience, la lutte contre la fraude et la redéfinition de ce que nous sommes collectivement prêts à couvrir.

Mme Florence Lustman. - Il est difficile de consolider l'ensemble des budgets qui sont consacrés à la prévention. Il y a un an, nous avons lancé une campagne de sensibilisation des jeunes aux risques de harcèlement via les réseaux sociaux et l'utilisation des écrans. Cette campagne a très bien fonctionné, collectant énormément de vues. D'une certaine manière, il s'agit d'une démarche de prévention des risques liés à la santé mentale.

Chez France Assureurs, nous avons une vision holistique de la prévention. Par exemple, nous avons organisé au Jardin d'Acclimatation une action de sensibilisation des accidents de la vie courante pour les enfants. Nous menons des actions similaires sur les risques liés aux incendies, notamment avec les décorations de Noël.

La prévention des chutes est cruciale car leurs conséquences impactent directement la santé physique et mentale, ainsi que les coûts de prise en charge. Dans le secteur de l'assurance, nous disposons de filiales d'assistance qui offrent des services variés, du dépannage routier au rapatriement sanitaire international. Ces « assisteurs » possèdent une expertise approfondie des systèmes de santé mondiaux, ce qui leur permet d'orienter les assurés vers les structures les plus adaptées à leur état, où qu'ils se trouvent. Cette connaissance globale constitue un atout majeur pour comparer les pratiques internationales et s'en inspirer pour répondre aux défis du vieillissement et de la santé publique.

Nos contrats d'assurance incluent souvent des prestations de prévention à domicile comme l'intervention d'ergothérapeutes ou de psychomotriciens. Ces professionnels prodiguent des conseils essentiels pour sécuriser l'environnement domestique, de manière à prévenir le risque de chute chez les personnes âgées. La prévention à domicile est primordiale. Ces services illustrent notre engagement global en matière de prévention.

Nous proposons également l'accès à des médecines complémentaires, des consultations psychologiques pour répondre aux enjeux de santé mentale, ainsi que des services de diététique pour lutter contre l'obésité et le diabète.

Nous irons jusqu'où nos assurés voudront que nous allions. Notre approche se distingue de celle de la sécurité sociale par sa flexibilité : nous adaptons nos garanties aux besoins de nos assurés. Cette personnalisation permet de responsabiliser les individus vis-à-vis de leur santé, tout en leur offrant le soutien nécessaire.

Le secteur des complémentaires santé fait face à des défis économiques. Les publications de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et statistiques (Drees) ont confirmé que nous étions à peine à l'équilibre technique en 2021, puis en 2022. Nous avons ensuite enregistré une perte de 200 millions d'euros en 2023. Il existe un vrai sujet autour de l'augmentation globale de la consommation de soins dans notre pays, qui impacte tant l'AMO que l'AMC.

Enfin, nous sommes très sensibles au sujet des retraités. Nous voyons fleurir sur le marché des offres de contrats qui ne sont pas responsables, donc qui sont taxés à plus de 20 %, et qui sont proposés à des retraités qui ne veulent qu'une couverture en cas d'hospitalisation. Nous avons poussé trop loin le contrat responsable. Il faut revenir à un socle plus maîtrisable. Avec moins de garanties, le contrat sera moins cher.

Mme Corinne Imbert. - Je tiens à préciser que ma question n'était nullement une critique, mais plutôt une curiosité. Je comprends vos préoccupations de répondre aux attentes des assurés et des entreprises. Mon interrogation se voulait constructive.

M. Éric Chenut. - Certaines demandes sont tout de même surprenantes.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie pour ces échanges fructueux.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Lutte contre le travail illégal - Audition de M. le Général José-Manuel Montull, commandant de l'Office central de lutte contre le travail illégal, Mme Anouk Lavaure, directrice générale adjointe du travail et M. Emmanuel Dellacherie, directeur du recouvrement et du contrôle de l'Urssaf caisse nationale

M. Philippe Mouiller, président. - La lutte contre le travail illégal est un sujet important qui nous préoccupe à plusieurs titres. Je remercie nos invités de leur présence. Madame, Messieurs, je vais vous laisser débuter cette table ronde par un propos liminaire dans lequel vous pourriez nous dresser brièvement le bilan de votre action, en insistant notamment sur les moyens que vous mettez en oeuvre pour coordonner l'action publique, qui est l'un des gages de succès.

Mme Anouk Lavaure, directrice générale adjointe du travail. - Je vous remercie de votre attention pour cette question importante. Les pouvoirs publics ont constamment affirmé leur détermination à lutter contre toutes les formes de fraudes et de pratiques abusives portant atteinte à l'ordre public, social et économique. Le travail illégal, sous ses différentes formes, constitue une priorité interministérielle, comme en atteste le plan national de lutte contre le travail illégal, qui s'articule notamment avec le plan national d'action de l'inspection du travail.

La lutte contre le travail illégal revêt une importance capitale en raison des préjudices qu'il cause aux salariés dont les droits sont bafoués, aux entreprises respectueuses de la loi qui sont victimes de concurrence déloyale et à la collectivité qui est privée des cotisations sociales et impôts qui lui sont dus.

Le corpus juridique en matière de travail illégal est important. Six infractions sont constitutives du travail illégal dans le code du travail. Elles sont passibles de lourdes sanctions pénales, administratives et civiles.

L'ampleur du phénomène est significative. L'observatoire du travail dissimulé estime, pour 2023, le taux de fraude tous secteurs confondus entre 1,7 et 2,1 % de l'assiette cotisable. Ce taux est relativement stable depuis une décennie. Les secteurs de la construction et de l'hôtellerie-restauration présentent les taux de travail dissimulé les plus élevés. Le taux de fraude est plus marqué en Île-de-France et dans les régions du sud. D'après la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, le secteur agricole affiche un taux de fraude de 2,9 % sur l'année 2023. Les plates-formes collaboratives présentent un taux de cotisations éludées d'environ 42 %.

Le rapport 2023 de la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf) évalue à plus de six milliards d'euros le montant des fraudes détectées en matière fiscale, douanière et sociale, dont 1,2 milliard d'euros sur les cotisations sociales. L'action des comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf) a conduit à un redressement total d'environ 185 millions d'euros. L'observatoire du travail dissimulé estime le manque à gagner à environ neuf milliards d'euros en incluant les cotisations Unedic et Agirc-Arrco.

L'action de l'inspection du travail est coordonnée dans le cadre d'un plan national pluriannuel. Les missions premières de l'inspection du travail consistent à veiller au respect des droits fondamentaux des travailleurs, notamment les plus vulnérables. Les inspecteurs sont invités, dans le cadre de leurs contrôles, à lutter contre les diverses formes de fraude, à réduire les inégalités et à protéger les travailleurs les plus exposés. Cela inclut la lutte contre la dissimulation d'heures de travail ou d'activité, le prêt illicite de main-d'oeuvre, le marchandage et les faux statuts qui privent les travailleurs des dispositions protectrices du code du travail. Le contrôle du respect légal du détachement s'inscrit également dans cette démarche, qui vise à la fois à combattre les situations de faux détachement et à protéger les salariés détachés, qui sont parmi les travailleurs les plus vulnérables.

En 2024, l'inspection du travail a réalisé environ 2 500 suites à intervention sur la thématique du travail illégal, représentant environ 6 % de l'ensemble des suites. Ces interventions ont donné lieu à près de 1 000 procès-verbaux et 386 sanctions administratives dans le champ du détachement et permis de recouvrer 2,2 millions d'euros. Les sanctions administratives relatives au détachement représentent 17 % du total de nos sanctions administratives. Nous avons suspendu des situations de détachement en raison de manquements graves et persistants.

Plus de 60 % des suites observées concernent la dissimulation d'activités, qui est l'infraction la plus couramment constatée. Près de 40 % des interventions portent sur le détachement des salariés. Plus de 800 interventions ont visé des situations de prêt illicite de main-d'oeuvre et de marchandage. 95 % des procédures pénales établies par nos services concernent de la dissimulation d'activité.

Nos services s'étaient fortement mobilisés très en amont des Jeux Olympiques de Paris 2024. Nous avions mis en place des actions de sensibilisation, d'accompagnement et de communication pour prévenir les situations de travail illégal. Nous avons également diffusé des guides et établi un réseau de correspondants au sein de nos services, avec la charge d'intervenir tant lors de la phase de construction des infrastructures que pendant les activités périphériques et les épreuves elles-mêmes, en étroite collaboration avec l'Urssaf et les services de gendarmerie et de police. Une trentaine de procédures pénales ont été établies sur le champ du travail illégal à l'occasion des contrôles effectués sur les ouvrages olympiques. Une autre trentaine de procédures ont été établies pendant la phase de préparation et de mise en oeuvre des Jeux.

Notre dispositif de contrôle s'appuie sur 1 726 agents compétents en matière de travail illégal. Nous disposons également de 18 unités régionales spécialisées qui mobilisent 123 agents dédiés aux enquêtes complexes, notamment dans le cadre des actions coordonnées lors des Codaf. Ces unités bénéficient de moyens spécifiques tels que l'accès à des fichiers particuliers. Nous débutons une formation permettant la réalisation d'enquêtes sous pseudonyme. Dans le cadre du plan pluriannuel national, ces unités régionales mèneront en 2025 une campagne nationale sur une thématique qui est encore en cours de définition. Parallèlement, nos services peuvent décider de campagnes locales sur les priorités du plan national d'action.

La direction générale du travail comprend un groupe d'action de veille, d'appui et de contrôle à compétence nationale. Ce groupe intervient en appui sur des opérations qui nécessitent une expertise particulière ou une coordination des contrôles. Il collabore avec les services déconcentrés et les partenaires nationaux, notamment dans le cadre du groupe opérationnel national anti-fraude et de la coopération européenne.

Nous avons développé plusieurs systèmes informatiques pour renforcer notre lutte contre le travail illégal. Un outil facilite le ciblage de nos interventions en traitant les déclarations de détachement des entreprises européennes. Un autre outil, basé sur les déclarations sociales nominatives, est utilisé pour le contrôle des contrats précaires ; il sera étendu au ciblage des entreprises en matière de travail illégal. Nous avons également accès au portail partenaire de l'Urssaf.

La coordination entre les différents acteurs est cruciale. Elle s'effectue à travers l'animation interministérielle du plan national de lutte contre le travail illégal, l'animation territoriale via les Codaf et la capacité à agir en co-saisine avec les officiers de police judiciaire. Nous collaborons aussi avec les branches professionnelles pour la prévention et la sensibilisation. Enfin, la coopération européenne constitue un axe majeur de notre action, particulièrement pour lutter contre les fraudes transnationales.

Nous faisons face à de nouveaux défis en matière de travail illégal, notamment l'émergence des plates-formes numériques, qui nécessite un équilibre entre innovation et protection des travailleurs, ainsi que la lutte contre le faux travail indépendant. Les fraudes liées au détachement de travailleurs en France, qui est le troisième pays d'accueil en Europe, requièrent également notre attention pour concilier libre prestation de services et respect des dispositions nationales.

Enfin, nous nous mobilisons contre l'exploitation par le travail et travaillons à responsabiliser les maîtres d'ouvrage dans la chaîne de sous-traitance. Le chantier est piloté par la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf).

M. Emmanuel Dellacherie, directeur du recouvrement et du contrôle de l'Urssaf caisse nationale. - L'Urssaf joue un rôle clé dans notre système de protection sociale en collectant chaque année plus de 500 milliards d'euros de cotisations et contributions, qui sont ensuite reversées à 900 attributaires. Notre système est basé sur la confiance. Il repose sur les déclarations mensuelles des employeurs, des travailleurs indépendants et des micro-entrepreneurs. Notre mission première consiste à fiabiliser ces déclarations dès leur réception, car elles ont une incidence directe sur les droits des personnes. Cette fiabilisation est cruciale, notamment dans le cadre de la solidarité à la source et de la gestion de l'impôt sur le revenu, qui s'appuient sur les données de la déclaration sociale nominative.

Au-delà de cette mission de fiabilisation des données, l'Urssaf assure deux types de contrôles des cotisations sociales. Il s'agit d'une part de missions très classiques de contrôle d'assiette. Les entreprises sont présumées de bonne foi. Les inspecteurs jouent un rôle pédagogique et de conseil. Ils mettent en avant le droit à l'erreur et l'accompagnement à la mise en conformité. D'autre part, nous menons des actions de lutte contre le travail dissimulé, où l'intentionnalité du non-paiement des cotisations sociales doit être démontrée. Dans ces cas, le droit à l'erreur ne s'applique pas, et notre objectif est de prouver l'intention frauduleuse.

L'observatoire du travail dissimulé s'appuie principalement sur les contrôles aléatoires que l'Urssaf effectue depuis une vingtaine d'années dans divers secteurs d'activité. Ces contrôles permettent de réaliser et d'actualiser des évaluations annuelles.

Le travail illégal inclut un ensemble d'infractions, dont le travail dissimulé est la plus réprimée car elle touche à la fois la dissimulation d'activités et d'emplois salariés. L'Urssaf n'est compétente que sur cette infraction. Nos inspecteurs n'ont pas de compétences concernant l'emploi d'étrangers sans titre ou le prêt illicite de main-d'oeuvre.

Notre champ d'action revêt une double dimension, à la fois pénale et civile. Sur le plan pénal, nos inspecteurs dressent des procès-verbaux d'infractions qui sont ensuite transmis au procureur de la République et pourront donner lieu à des enquêtes. Sur le plan civil, notre objectif principal est d'établir le préjudice pour la sécurité sociale et de redresser les cotisations sociales éludées par les entreprises ou les travailleurs indépendants.

Il est important de souligner qu'un redressement implique également des sanctions. L'arsenal de sanctions s'est considérablement renforcé ces quinze dernières années, notamment grâce aux lois de financement de la sécurité sociale. Aux redressements s'ajoutent des majorations et la remise en cause des exonérations de cotisations sociales dont ont pu bénéficier les entreprises verbalisées.

En 2024, les Urssaf ont réalisé plus de 34 000 contrôles dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé. Ces contrôles comprennent des actions préventives et aléatoires, qui sont essentielles pour la visibilité du contrôle auprès de la grande majorité des entreprises respectueuses des règles. Cependant, nous nous concentrons de plus en plus sur des contrôles ciblés, basés sur de fortes présomptions de travail dissimulé.

Ces contrôles ciblés ont permis de redresser près de 1,6 milliard d'euros en 2024 dont environ 1,1 milliard de cotisations éludées et 500 millions d'euros correspondant aux sanctions évoquées précédemment. Ce montant de 1,6 milliard d'euros est en très forte augmentation par rapport aux années précédentes puisqu'il a doublé en deux ans. Notre objectif pour la période 2023-2027 est d'atteindre 5,5 milliards d'euros de redressement.

Ces contrôles ciblés sont essentiellement effectués par des inspecteurs spécialisés etsont très spécifiques car ils combinent l'approche pénale et l'approche civile, mais aussi parce que les conditions d'intervention sur le terrain sont très particulières. Certains contrôles seraient difficilement réalisables sans l'appui de forces de police et de gendarmerie. Nous avons aussi un partenariat très actif avec l'inspection du travail.

Face à l'enjeu de ciblage des situations, nous avons considérablement investi dans la gestion et la mobilisation des données en utilisant des techniques d'intelligence artificielle et de data mining pour cibler efficacement nos contrôles. Nous disposons également de moyens d'investigation spécifiques, notamment en termes de droits de communication auprès des tiers, en particulier les banques.

Malgré d'excellents résultats en matière de redressement, le recouvrement des sommes redressées s'avère extrêmement difficile car la majeure partie des fraudeurs organise leur insolvabilité. Il n'est pas rare que des entreprises soient liquidées avant même la fin des opérations de contrôle. Les moyens de recouvrement traditionnels de l'Urssaf sont souvent inopérants face à ces situations.

Nous disposons certes de quelques moyens comme le recours à la solidarité financière, mais leur efficacité dépend de la solvabilité des donneurs d'ordre. L'organisation de chaînes de sous-traitance complexes permet souvent aux fraudeurs d'échapper à la mise en recouvrement des cotisations éludées. Nous avons aussi la possibilité d'effectuer des saisies conservatoires d'actifs, mais c'est souvent par la voie pénale que nous obtenons les moyens d'investigation et de saisie les plus importants, particulièrement dans les cas de fraudes à enjeu.

Pour progresser en matière d'efficacité de la lutte contre le travail dissimulé, il est crucial de renforcer notre coopération avec les juridictions, les officiers spécialisés de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) ou Tracfin. L'enjeu du recouvrement des cotisations liées au travail dissimulé reste l'un des défis les plus importants à relever pour améliorer notre efficacité.

Général José-Manuel Montull, commandant de l'Office central de lutte contre le travail illégal. - L'OCLTI célèbre cette année son vingtième anniversaire. Inauguré à l'époque par M. Larcher, alors ministre délégué aux relations du travail, sa mission s'articule autour de trois axes principaux : la lutte contre le travail illégal, la lutte contre la fraude aux prestations sociales et la lutte contre l'exploitation par le travail. Notre rôle est à la fois opérationnel et stratégique.

Sur le plan opérationnel, nous coordonnons les enquêtes à l'échelle nationale, apportons notre soutien aux services impliqués dans la lutte contre le travail illégal, menons les investigations les plus complexes et effectuons un travail de renseignement, notamment face aux réseaux criminels. D'un point de vue stratégique, nous évaluons les menaces et assurons des missions de formation.

Notre équipe se compose de 37 militaires de la gendarmerie et d'une policière ; elle bénéficie de la mise à disposition d'un inspecteur du travail, d'un directeur adjoint du travail et d'un inspecteur de l'Urssaf. Pour compenser la relative modestie de nos effectifs, nous avons mis en place en 2013 une chaîne fonctionnelle baptisée ETIF, qui regroupe 2 307 policiers et gendarmes que nous avons formés et qui sont capables d'effectuer des contrôles et des enquêtes simples sur l'ensemble du territoire. La gendarmerie a également créé 39 cellules départementales spécialisées, les cellules de lutte contre le travail illégal et les fraudes (CELTIF), dans les territoires les plus exposés.

En 2024, les services de police et de gendarmerie ont recensé 12 899 faits de travail illégal ayant donné lieu à des enquêtes pénales. Le travail dissimulé représente la majorité des infractions avec environ 9 200 faits, suivi par l'emploi d'étrangers sans titre avec plus de 3 500 faits. Le prêt illicite de main-d'oeuvre et le marchandage sont extrêmement minoritaires.

Les infractions classiques impliquent souvent des entreprises qui contournent la règle pour accroître leurs marges. Nous observons toujours des fraudes liées à la mise à disposition de travailleurs, notamment dans le cadre des plates-formes numériques utilisant des auto-entrepreneurs qui sont en réalité des salariés. Certaines entreprises de travail temporaire recourent à des stratagèmes pour réduire les cotisations sociales, par exemple en versant une partie du salaire sous forme d'indemnités injustifiées.

Le travail illégal est également lié à l'immigration clandestine, avec des infractions d'emploi d'étrangers sans titre ou le contournement de la plate-forme de main-d'oeuvre étrangère mise en place pour les métiers sous tension. Ces situations engendrent souvent des cas d'exploitation par le travail en raison de la vulnérabilité des travailleurs concernés.

Il peut exister un lien entre le travail illégal et la criminalité organisée. Le travail illégal permet parfois de blanchir ou de financer des activités criminelles. Par exemple, des trafiquants de drogue peuvent utiliser des « banquiers informels » pour convertir leurs espèces en argent bancaire. Ces espèces sont ensuite revendues par les banquiers informels à des entreprises qui les utilisent pour payer les heures supplémentaires qu'elles n'ont pas déclarées. Ce mécanisme permet de blanchir l'argent du trafic de drogue tout en facilitant le travail dissimulé.

Le travail illégal peut également financer la criminalité organisée. Des ateliers de confection textile qui ne souhaitent pas déclarer une partie de leur activité génèrent des espèces qui sont utilisées par des réseaux d'escrocs spécialisés dans la fraude aux prestations sociales. Ces derniers utilisent cet argent pour payer leurs complices, comme les médecins qui délivrent des ordonnances frauduleuses.

Enfin, nous utilisons les outils législatifs qui sont à notre disposition pour lutter contre la criminalité organisée. Par exemple, un contrôle Codaf effectué au titre du travail dissimulé dans un salon de massage suspecté d'exploitation sexuelle peut permettre soit de constater directement des infractions pénales, soit de provoquer une fermeture administrative, entravant ainsi l'activité criminelle.

La lutte contre le travail illégal bénéficie d'une dynamique interservices remarquable, tant au niveau des contrôles Codaf que grâce à l'article 28 du code de procédure pénale, qui nous permet de mener des enquêtes judiciaires en co-saisine avec l'Urssaf et l'inspection du travail, ce qui accélère considérablement le processus d'investigation et améliore l'efficacité des poursuites judiciaires.

Notre principal axe d'effort devrait probablement porter sur le volet de la dissuasion, considérant le nombre encore élevé de Français qui recourent au travail dissimulé de proximité ou de chefs d'entreprise qui sont placés en garde à vue pour des faits similaires à ceux qu'ils ont déjà commis par le passé. Il est impératif de renforcer notre action dissuasive.

La peine complémentaire de publicité est un outil extrêmement intéressant, mais son application a été tellement restreinte qu'elle est devenue presque inopérante. Par curiosité, j'ai consulté hier le site Internet qui répertorie les personnes morales et physiques condamnées définitivement pour travail dissimulé. On y trouve seulement 82 personnes physiques et 32 personnes morales pour l'année dernière, alors que plus de 13 400 personnes ont été mises en cause pour du travail illégal. Ces chiffres révèlent la nécessité d'améliorer la publicité de ces condamnations.

Nous devons également nous concentrer sur la dissuasion des maîtres d'ouvrage, notamment concernant la sous-traitance en cascade. Actuellement, des entreprises connues sous-traitent à un premier sous-traitant, qui lui-même sous-traite à son tour, créant ainsi une chaîne complexe. L'obligation de vigilance ne s'applique qu'au niveau n-1, ce qui permet aux entreprises d'organiser leur irresponsabilité. En bout de chaîne, on peut trouver des travailleurs non déclarés, voire exploités.

Nous avons formulé des propositions pour limiter la sous-traitance en cascade tout en respectant la liberté d'entreprendre. L'objectif est de pouvoir engager des poursuites pénales à l'encontre du maître d'ouvrage qui aurait délibérément organisé la chaîne de sous-traitance.

Mme Frédérique Puissat. - Concernant le plan national de lutte contre le travail illégal, vous avez mentionné l'action des organisations syndicales et patronales. Pourriez-vous détailler l'efficacité des mesures partenariales ? Y a-t-il eu des conventions engageant les différentes parties ? Quel bilan peut-on dresser par secteur d'activité ?

Fort logiquement, vous concentrez vos efforts sur les secteurs les plus enclins au travail illégal, notamment le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) et l'hôtellerie. Néanmoins, l'ubérisation de l'économie pose aussi des défis importants. Vous avez évoqué les plates-formes et les enjeux liés aux sous-traitances, particulièrement via les micro-entrepreneurs. Comment parvenez-vous à contrôler ces plates-formes et leurs sous-traitants, sachant que l'insolvabilité est encore plus problématique avec des travailleurs qui sont souvent sans statut ?

Enfin, j'ai été interpellée par des représentants de TPE, notamment la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), sur la création d'un statut d'encadrant pour l'entraide familiale. Ce statut existe dans le milieu agricole et permet à un membre de la famille de travailler sur l'exploitation sans être considéré comme un travailleur illégal. Les TPE souhaiteraient l'étendre à d'autres secteurs comme la distribution. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

Mme Pascale Gruny. - En 2022, 220 000 salariés étrangers ont été détachés au moins une fois pour travailler en France. Il s'agit d'un chiffre important, mais inférieur aux effectifs antérieurs à la crise sanitaire. La révision en 2018 de la directive européenne sur les travailleurs détachés pourrait avoir jouer un rôle dans cette régulation. Qu'en pensez-vous ?

S'agissant des fraudes au détachement intra-européen de travailleurs, quelle est la tendance observée ces dernières années ? Pouvez-vous nous indiquer si la révision de la directive a donné de meilleurs moyens juridiques pour réprimer les contournements au droit social ? Plus généralement, parvenons-nous à travailler de concert avec nos partenaires européens pour démanteler les montages frauduleux ?

Avec l'expérience qui est la vôtre, diriez-vous que notre régime de sanctions administratives et pénales est adapté aux formes actuelles de travail illégal ? Ces sanctions sont-elles assez dissuasives et facilement applicables, y compris pour des réseaux de fraudes bien organisés ? Quelles évolutions juridiques préconisez-vous ?

On entend souvent dire qu'il est tout aussi rémunérateur de mettre en place du travail dissimulé que d'autres formes de trafics, alors même que les peines encourues pour le travail dissimulé sont plus clémentes. Est-ce votre avis ?

Enfin, concernant le blanchiment d'argent, j'ai récemment discuté avec la nouvelle préfète de mon département au sujet de la prolifération de certains commerces comme les barbiers et les kebabs dans ma ville de 58 000 habitants. Un important dispositif a été mis en place pour lutter contre ce phénomène, qui semble lié au blanchiment d'argent issu du trafic de stupéfiants dans les grandes villes.

Mme Anouk Lavaure. - Nous partageons les enjeux de prévention et de sensibilisation au travail illégal. Il s'agit d'un axe important du plan national de lutte contre le travail illégal. Cela se traduit par la concentration des contrôles dans les secteurs les plus à risque et par un travail collaboratif avec les branches professionnelles.

Nous avons conclu des conventions partenariales avec plusieurs secteurs d'activité, tant au niveau local et régional qu'au niveau national. Ces accords concernent notamment le bâtiment, le déménagement et, plus récemment, le secteur du spectacle et de la culture. Nous avons aussi des projets en cours dans les domaines agricole, du mannequinat et de la sécurité privée. Ce dernier secteur nécessite une attention particulière malgré son organisation bien structurée.

Pour ce qui concerne le contrôle des plates-formes et la caractérisation des manquements, nous procédons au cas par cas. Notre objectif est de démontrer les conditions réelles d'exercice de la prestation et d'établir l'existence d'un système organisé sous la direction et le contrôle d'un donneur d'ordre agissant comme un employeur. Dans ces situations, nous pouvons caractériser le travail dissimulé par dissimulation d'emplois salariés, voire impliquer la plate-forme si elle joue un rôle d'intermédiaire dans cette relation contractuelle. Dans certains cas, la plate-forme peut être considérée comme organisatrice d'une mise à disposition illicite de travailleurs, ce qui relève alors du prêt illicite de main-d'oeuvre.

Dans le secteur médico-social, un courrier ministériel en date 30 décembre 2021 a rappelé les conditions d'exercice des professions paramédicales, notamment celle d'aide-soignant, en soulignant les risques de requalification en travail dissimulé pour les exercices sous statut d'indépendant. Une plate-forme spécialisée a contesté ce courrier, mais le Conseil d'État a récemment rejeté cette demande d'abrogation. Des contrôles et des procédures pénales sont en cours dans ce domaine.

M. Emmanuel Dellacherie. - Je suis disposé à approfondir le sujet de l'entraide familiale en collaboration avec le ministère du travail et la direction de la sécurité sociale.

Notre lien avec les organisations professionnelles est constant. Les Urssaf, en tant qu'organismes paritaires, bénéficient de l'engagement des organisations patronales et salariales. Nos échanges sont réguliers et nourris. Il nous est très précieux d'avoir face à nous des représentants des principaux secteurs concernés, qui sont très sensibles à la problématique de la concurrence déloyale. Dans le secteur du bâtiment, les acteurs institutionnels sont pleinement conscients de l'ampleur du travail dissimulé et de ses conséquences sur les entreprises respectueuses des règles.

Le contrôle des plates-formes représente un défi complexe en raison de leur grande diversité et de leur évolution rapide. Cette adaptabilité constante complique nos actions car nos processus de contrôle et d'enquêtes pénales sont nécessairement longs et impliquent de nombreuses auditions et la collecte de preuves substantielles. Un enjeu majeur réside dans le décalage temporel entre les faits constatés et leur traitement judiciaire.

Nous distinguons principalement deux types de situation : les plates-formes de mise en relation et celles qui exercent un réel pouvoir de direction. Dans le premier cas, la question centrale porte sur la situation réelle de travail de la personne qui intervient dans l'entreprise cliente. Existe-t-il un lien de subordination, un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction ? Nous observons un besoin persistant de sensibilisation des acteurs économiques sur les risques encourus et la vigilance nécessaire quant aux conditions d'exercice des missions confiées.

Dans le second cas, certaines plates-formes, bien qu'elles se présentent comme de simples intermédiaires, exercent en réalité un rôle de direction, de contrôle et de sanction, notamment via leurs algorithmes. Ces situations peuvent les rapprocher davantage d'entreprises de livraison traditionnelles que de simples plates-formes de mise en relation, car elles exercent un véritable pouvoir de direction sur les travailleurs concernés.

Le contrôle de la mobilité internationale est un sujet crucial, notamment en raison de la complexité du droit européen. Nous sommes confrontés à une séparation relative entre le droit européen du travail et celui de la sécurité sociale. Bien que des avancées aient été réalisées concernant la directive sur le travail détaché, les progrès ont été plus limités pour le règlement de coordination de la sécurité sociale. La question centrale consiste à déterminer la législation de sécurité sociale qui s'applique : est-ce celle du pays d'origine des travailleurs détachés ou celle du pays où l'activité est exercée ? Il est essentiel de rappeler que le détachement constitue une exception au principe général selon lequel la législation applicable est celle du pays d'exercice de l'activité. Nous observons actuellement une augmentation de la pluriactivité, avec des travailleurs qui exercent dans plusieurs pays européens, ce qui complique la détermination du pays dans lequel s'exerce l'essentiel de leur activité. Cette évolution soulève de nombreuses questions en termes de contrôle.

Des progrès assez importants ont été réalisés dans la lutte contre la fraude fiscale, notamment en matière de partage d'informations et de contraintes imposées aux banques. En revanche, nous ne disposons pas de l'équivalent au niveau social. Par exemple, alors qu'il existe un dispositif qui permet de partager des informations sur la TVA entre tous les États membres de l'Union Européenne, seuls deux pays sur vingt-huit ont accepté que ces informations puissent être mobilisées dans le cadre de la lutte contre le travail illégal.

En matière de sanctions, les amendes prononcées sont généralement de quelques milliers d'euros, bien en deçà des montants maximaux prévus, soit 45 000 euros pour une personne physique et 225 000 euros pour une personne morale. Cependant, il faut noter que les redressements civils sont nettement plus importants, avec une moyenne de 400 000 euros par entreprise, dont plus de 100 000 euros de sanctions.

Général José-Manuel Montull. - Il est crucial d'aider les secteurs en tension, dont l'agriculture, qui peinent à trouver de la main-d'oeuvre, faute de quoi les professionnels auront recours à des intermédiaires peu scrupuleux qui leur proposeront de recruter à l'étranger dans des conditions douteuses, ce qui peut mettre les agriculteurs en difficulté. Tout ce qui concourt à faciliter le travail et le recrutement en bonne et due forme de main-d'oeuvre prévient la survenance de situations de travail illégal et d'exploitation par le travail.

Concernant la fraude au détachement, nous disposons de jurisprudences de la Cour de cassation qui nous aident au niveau pénal. Cependant, des difficultés persistent lors des contrôles, notamment concernant la vérification par les officiers de police judiciaire de l'identité des travailleurs détachés. Certains peuvent présenter des papiers d'état-civil d'un pays de l'Union européenne alors qu'ils sont en réalité de nationalité extra-communautaire. Nous manquons d'accès aux fichiers d'état civil, y compris français, ce qui complique la vérification de l'authenticité des documents présentés. Nous avons un vrai sujet de réflexion sur l'accès en temps réel aux états civils de l'Union européenne.

Notre régime de sanctions, tant pénales qu'administratives, est relativement sévère comparé à d'autres pays. La possibilité de saisir les avoirs criminels est le levier le plus efficace et notre objectif principal est de confisquer le plus d'argent possible à ceux qui ont enfreint la loi. Cela fonctionne plutôt bien.

Sur le blanchiment, nous disposons depuis 2013 d'un outil légal efficace avec le renversement de la charge de la preuve sur le blanchiment présumé. Il n'est pas obligatoire de démontrer le lien avec l'infraction primaire. Il suffit, pour ouvrir une enquête judiciaire, de démontrer la volonté de cacher les mouvements d'argent. Simplement, nous ne nous sommes pas suffisamment appropriés cet outil. Nous avons prévu de former spécifiquement tous les CELTIF au mois de mai.

Mme Élisabeth Doineau. - Je tiens à exprimer notre reconnaissance envers vous et vos équipes de terrain pour votre travail acharné. Vous participez à réduire le déficit et à améliorer la performance des dépenses, notamment en récupérant les sommes fraudées. Il est crucial que les aides et remboursements bénéficient à ceux qui en ont vraiment besoin.

Dans son rapport sur la fraude sociale de juillet 2024, le Haut Conseil du financement de la protection sociale a évalué la fraude au travail dissimulé à près de sept milliards d'euros. Quelle appréciation portez-vous sur cette estimation ? Ce rapport suggère que, plutôt que de chercher à détecter la fraude a posteriori, ce qui permet de ne récupérer qu'une part infime des sommes dues, il pourrait être plus efficace de la prévenir, en particulier par des modifications juridiques. Qu'en pensez-vous ? Menez-vous des actions particulières en direction des entreprises éphémères ?

Mme Monique Lubin. - Les questions que je souhaitais poser ont déjà été abordées, notamment concernant les auto-entrepreneurs et l'utilisation qui en est faite par certaines entreprises. Il est impératif d'approfondir cette problématique. Nous devons non seulement informer les employeurs des risques qu'ils encourent, mais également sensibiliser les auto-entrepreneurs eux-mêmes. Certains d'entre eux acceptent, voire revendiquent ce mode de travail au sein d'entreprises sans mesurer pleinement les dangers et les pertes en termes de protection sociale qu'ils encourent.

Je souhaitais également m'enquérir de vos possibilités d'action auprès des entreprises connues pour employer de la main-d'oeuvre étrangère sans papier, pratiquant ainsi l'exploitation par le travail.

Permettez-moi d'ajouter une réflexion personnelle. Il est paradoxal qu'à une époque où certains secteurs économiques peinent à trouver de la main-d'oeuvre en France, la main-d'oeuvre étrangère désireuse de travailler légalement dans notre pays rencontre des obstacles croissants pour obtenir les documents nécessaires. Cette situation ne fait qu'exacerber le recours à une main-d'oeuvre exploitable et corvéable à merci. Bien que cette réalité soit connue de tous, nous feignons de l'ignorer.

M. Daniel Chasseing. - Je tiens à saluer le travail considérable accompli par l'Urssaf et l'OCLTI dans la détection et la sanction des fraudeurs en matière de cotisations, de travail dissimulé et de travail illégal. Les chiffres sont éloquents : 7 milliards d'euros de fraude identifiée, dont 1,6 milliard d'euros récupérés par l'Urssaf. Je félicite plus généralement la gendarmerie pour sa lutte contre le blanchiment d'argent. Nous pouvons être reconnaissants de l'efficacité de vos interventions.

Les donneurs d'ordre peuvent parfois se montrer imprudents, voire ignorants du travail illégal ou dissimulé de leurs sous-traitants. Les conséquences peuvent être dévastatrices pour l'entreprise ou la famille concernée, tant sur le plan financier que psychologique et pénal, le donneur d'ordre étant légalement responsable de son sous-traitant. Existe-t-il des moyens de mieux protéger un donneur d'ordre honnête ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je souhaite revenir sur les fraudes aux cotisations sociales, qui sont estimées à environ sept milliards. Les montants mis en recouvrement varient entre 800 millions et 1,6 milliard d'euros selon les années, dont environ deux tiers concernent les cotisations. J'aimerais connaître la part exacte des cotisations pour chacune des années mentionnées et savoir si cette proportion évolue.

Je voudrais également aborder la question des droits des salariés. Au-delà de l'enjeu d'établir une juste concurrence pour les employeurs, il est crucial de rétablir les salariés dans leurs droits. Que se passe-t-il lorsque le recouvrement n'aboutit pas, notamment dans les cas de dissimulation d'activités ou d'heures supplémentaires non payées ? Existe-t-il un système assurantiel, ou pourrait-on envisager un mécanisme similaire au régime de la garantie des salaires (AGS) pour garantir les droits des salariés même lorsque les entreprises organisent leur insolvabilité ? Ne pourrait-on pas affecter une partie des sanctions à cette fin ? Il me semble primordial de prioriser le rétablissement des droits des salariés

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je voudrais d'abord saluer l'efficacité du travail réalisé, particulièrement ces dernières années. Il y avait eu une pause dans le recouvrement des cotisations sociales auprès des entreprises pendant la crise du Covid. Le recouvrement avait repris en 2022 et 2023. Je souhaiterais savoir quelle part des résultats particulièrement favorables que vous avez présentés est attribuable à l'intensification et à la priorisation de vos efforts de recouvrement et de lutte contre le travail illégal et dissimulé, et quelle part est due à la reprise du recouvrement après la pause accordée pendant la crise de la covid-19 aux entreprises en difficulté.

Le data mining semble être un outil utile pour vos investigations, notamment pour détecter le travail sans contrat ou sans virement bancaire, ou dans des secteurs spécifiques comme le mannequinat ou les activités itinérantes. Ne serait-il pas pertinent d'améliorer l'intégration et la coordination des systèmes d'information entre les préfectures, les caisses d'allocations familiales (CAF), l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii)et les Urssaf afin de faciliter le recoupement des données et obtenir des résultats plus concrets, notamment dans le domaine du mannequinat ?

Mme Solanges Nadille. - Dans les territoires d'outremer, le travail non déclaré est profondément ancré dans les habitudes locales, au point d'être considéré comme un trait culturel. Comment appréhendez-vous ce travail illégal, qui est particulièrement répandu dans les secteurs du BTP et de l'hôtellerie ?

Face à l'augmentation du coût des matériaux, la main-d'oeuvre devient souvent une variable d'ajustement. Comment gérez-vous cette problématique dans les outre-mer, où la vie chère est une réalité quotidienne ?

Enfin, face au vieillissement des populations ultramarines, avez-vous mis en place une coopération avec les collectivités, notamment départementales, pour lutter contre le phénomène des aidants familiaux non déclarés ?

M. Khalifé Khalifé. - Sans vouloir stigmatiser, mais parce que c'est malheureusement d'actualité, je souhaite aborder la situation des gens du voyage, qui fait l'objet d'un groupe de travail récemment mis en place en raison des difficultés croissantes rencontrées par de nombreuses collectivités. Pouvez-vous nous éclairer sur leur situation ou leur statut en termes de revenus ? Le travail dissimulé serait-il plus répandu dans cette population que dans la population générale ?

Mme Anouk Lavaure. - Je ne dispose pas d'éléments me permettant de commenter ou d'apprécier les chiffres de l'évaluation du phénomène du travail dissimulé tels qu'ils ont été présentés.

Concernant l'évolution du détachement de travailleurs étrangers, nous avons effectivement constaté une pause après la crise de la covid-19. Cependant, les données extraites de notre système de déclaration de détachement pour les entreprises qui accomplissent une mission en France révèlent une augmentation de 39 % des déclarations de détachement en 2024 par rapport à 2020. Selon les années, entre 280 000 et 290 000 travailleurs détachés distincts viennent en France dans le cadre d'une prestation de service.

Le rétablissement des salariés dans leurs droits constitue effectivement l'un des axes majeurs de l'intervention de l'inspection du travail en matière de prévention et de lutte contre le travail illégal. Nos services accordent une attention particulière au paiement des rémunérations dues, tant pour les travailleurs détachés que pour les travailleurs dissimulés ou employés par une entreprise établie en France. Nous nous concentrons également sur les atteintes aux droits fondamentaux des travailleurs, notamment les situations d'hébergement indigne. Notre action conduit à organiser la fermeture des hébergements indignes, à obtenir le relogement des travailleurs concernés et à engager les procédures pénales nécessaires pour établir la responsabilité des employeurs.

La coopération européenne joue un rôle essentiel dans notre travail. Elle nous permet de vérifier conjointement si nous sommes en présence d'une réelle prestation de services en France ou d'une fraude au détachement. Cette collaboration facilite également le rétablissement des salariés dans leurs droits, notamment en ce qui concerne la vérification du paiement des heures au salaire dû en France. De plus, elle nous aide à traiter efficacement les situations d'accidents du travail dont sont victimes les travailleurs détachés et à garantir leur prise en charge dans leur pays d'origine.

La prévention de la fraude constitue un axe majeur de notre action. Nous attachons une grande importance au travail avec les organisations professionnelles et syndicales. La sensibilisation des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre à l'impact du travail illégal, ainsi qu'à leurs responsabilités et obligations de vigilance, est un élément important.

En cas de constatation d'une situation illégale, le co-contractant interpellé par les services de contrôle doit faire cesser la situation ou interrompre l'activité commerciale, sous peine d'être accusé de recourir sciemment à une entreprise pratiquant le travail illégal. Nous avons notamment mobilisé ce levier dans le cadre de la livraison de colis au dernier kilomètre. Cette activité est fortement concernée par le travail dissimulé. En rappelant leurs responsabilités aux plates-formes qui sont à l'origine de ces développements, nous avons obtenu des améliorations intéressantes dans leur vigilance et l'attention qu'elles portent à la réalité des situations de ces salariés.

Concernant l'emploi d'étrangers sans titre de travail, l'inspection du travail veille particulièrement au rétablissement des salariés dans leurs droits. Ces derniers doivent notamment bénéficier des indemnités de rupture de leur contrat de travail. Dans certains cas, s'ils portent plainte, ils peuvent obtenir un titre temporaire de séjour.

Nous travaillons à l'intégration et à la coordination des systèmes d'information entre les différents partenaires concernés pour renforcer notre capacité de ciblage et de priorisation des actions. Des progrès significatifs ont été réalisés, notamment avec la déclaration sociale nominative (DSN) et les données relatives aux déclarations de détachement. Pour autant, nous disposons encore de marges de manoeuvre.

La priorité en matière de lutte contre le travail illégal est la même en outre-mer et en métropole. Elle passe par les mêmes vecteurs d'information, de sensibilisation des secteurs les plus concernés et de contrôle sur le terrain.

Enfin, je ne dispose pas d'informations spécifiques concernant les statistiques de travail dissimulé au sein de la communauté des gens du voyage

M. Emmanuel Dellacherie. - L'évaluation de la fraude est très compliquée. Nous ne pouvons prendre en compte que ce que nous parvenons à détecter. Par définition, tout ce qui touche au travail partiellement dissimulé est plus difficile à détecter qu'une situation d'absence complète de déclaration d'un salarié. Les chiffres évoqués sont donc probablement sous-estimés par rapport à la réalité du travail dissimulé. La situation est très hétérogène selon les secteurs d'activité. Certains secteurs n'ont pas du tout de travail dissimulé, quand d'autres comme le BTP ou l'hôtellerie-restauration affichent des taux plus élevés. Pour la première fois, nous procèderons à une évaluation dans les départements d'outremer.

Lorsque nous contrôlons une entreprise, il est difficile d'identifier les personnes qui ne sont pas du tout déclarées. Dans ce type de situation, nous ne sommes pas en capacité de rétablir les droits des salariés. L'identification des personnes est un vrai enjeu. Lorsque nous parvenons à identifier précisément les personnes et les périodes de travail non déclarées ou partiellement déclarées, nous transmettons ces informations à l'assurance-vieillesse. Cela permet la prise en compte de ces périodes dans le compte carrière de l'intéressé, indépendamment du recouvrement effectif des cotisations auprès de l'entreprise fautive.

La problématique des entreprises éphémères est particulièrement prégnante dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui représente à lui seul plus de la moitié des redressements effectués, soit plus de 800 millions d'euros. Nous observons fréquemment des entreprises qui se créent, disparaissent, puis sont recréées par les mêmes gérants sous d'autres formes. Bien que de nouveaux outils aient été mis à notre disposition pour lutter contre les liquidations amiables abusives et nous opposer plus efficacement aux transmissions universelles de patrimoine, force est de constater que ce phénomène complique considérablement nos actions de contrôle et de recouvrement.

Concernant la période de la covid-19, nos contrôles ont repris dès juin 2020, après une brève interruption de mars à mai. Nous avons maintenu une vigilance accrue face aux risques de travail dissimulé et de fraude à l'activité partielle durant cette période. Les mesures d'accompagnement, telles que le report et l'étalement du paiement des cotisations, ont été appliquées à l'ensemble des entreprises affectées par la crise sanitaire, indépendamment de nos actions de lutte contre le travail dissimulé.

Général José-Manuel Montull. - Notre organisme n'étant pas membre de l'observatoire du travail dissimulé, je ne peux pas me prononcer sur l'évaluation de la fraude par le Haut Conseil au financement de la protection sociale. Néanmoins, il serait intéressant de combiner plusieurs approches entre ce qui est révélé par les contrôles aléatoires et ce qui est révélé par les enquêtes judiciaires. Nous demanderons au Haut Conseil de rejoindre cet observatoire.

S'agissant des entreprises éphémères, il s'agit d'un problème majeur. Nous travaillons avec les tribunaux de commerce pour tenter de le traiter. à moyen terme même si, nous avons d'ores et déjà adapté nos stratégies d'enquête pour agir plus rapidement. Nous sommes conscients que les fraudeurs ont intégré dans leur stratégie le temps de réaction de la puissance publique.

Sur la question relative au donneur d'ordre de bonne foi, il est sans doute nécessaire, Monsieur le sénateur, de renforcer la prévention dans les territoires concernant l'implication des donneurs d'ordre. Nous demanderons à notre vivier ETIF de se rapprocher des collectivités territoriales et des employeurs pour les sensibiliser aux risques encourus.

Les territoires d'outre-mer sont particulièrement exposés au travail illégal. Nos chiffres font état de 837 cas de travail illégal détectés. Ils sont probablement inférieurs à la réalité. La direction générale de la gendarmerie nationale en a bien conscience et nous envisageons de renforcer la présence de notre réseau dans ces territoires pour lutter plus efficacement contre le travail illégal.

Je serai bien incapable de vous indiquer - et je ne pourrai légalement le faire - s'il existe une éventuelle surreprésentation statistique des gens du voyage dans les personnes mises en cause pour du travail illégal. Nous observons parfois des cas de travail illégal qui impliquent des gens du voyage français, mais aussi d'autres nationalités -britanniques, bulgares ou roumains etc. - notamment dans le secteur du bâtiment ou le secteur viticole, avec parfois des situations d'exploitation par le travail.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie pour ces échanges passionnants et instructifs. Nous avons beaucoup appris grâce à vos interventions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 20.