Mercredi 26 mars 2025

- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Christophe Lutundula Apala Pen'Apala, président de la commission des relations extérieures du Sénat de la République démocratique du Congo

M. Pascal Allizard, vice-président. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir M. Christophe Lutundala Apala Pen'Apala, président de la commission des relations extérieures du Sénat de la République démocratique du Congo (RDC). Je salue également Son Excellence Émile Ngoy Kasongo, ambassadeur de la RDC, qui nous rejoindra sous peu, ainsi que M. José Mpanda, président de la commission sécurité, défense et frontière, et l'ensemble de leurs collègues et de nos collègues sénateurs qui les accompagnent.

Cette audition s'inscrit dans le cadre de la visite du président du Sénat de la RDC, M. Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, entamée hier.

Nous traversons une période cruciale de la crise qui sévit dans l'est de votre pays, une situation qui nous préoccupe vivement. Je rappelle que le mouvement M23, soutenu par le Rwanda, s'est emparé de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, le 28 janvier dernier, puis de Bukavu, au Sud-Kivu, deux semaines plus tard. Ces affrontements ont causé de nombreux morts et blessés. Actuellement, Goma est coupée du monde et la crise humanitaire dans la région a provoqué la fuite de sept millions de personnes, dont un million depuis le début de 2025. Selon le dernier rapport des experts des Nations Unies, le M23 contrôle des pans entiers de territoires. Par ailleurs, la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), impuissante devant ces évènements, a annoncé la fin de sa mission en RDC.

Deux processus de négociation parallèles étaient en cours jusqu'à récemment : le processus de Nairobi, sous l'égide de la Communauté des États d'Afrique de l'Est (EAC), et le processus de Luanda, dirigé par la présidence angolaise. Le 8 février dernier, une rencontre a eu lieu entre les chefs d'État de la SADC et de l'EAC à Dar es Salam, en Tanzanie, et a abouti à l'annonce de la fusion de ces deux processus. Parallèlement, une rencontre inattendue entre les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame a eu lieu la semaine dernière à Doha, au Qatar. Monsieur le Président, pourriez-vous nous donner davantage d'informations sur cette rencontre, sur les décisions prises et, le cas échéant, sur les prochaines étapes prévues ?

Nous souhaiterions également échanger sur les relations bilatérales entre votre pays et la France. Ces relations sont déjà riches. La France est mobilisée depuis de nombreuses années pour garantir le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la RDC et contribuer au règlement de la crise dans la région des Grands Lacs. La relation France-RDC se nourrit par ailleurs d'un lien privilégié, fondé sur la francophonie. La visite du Président de la République à Kinshasa en mars 2023 a donné lieu à des annonces importantes dans les domaines de la santé, de l'économie, de la culture et de l'humanitaire. L'Agence française de développement (AFD) a également des engagements importants dans votre pays.

Monsieur le Président, je vous cède la parole pour un propos liminaire.

M. Christophe Lutundula Apala Pen'Apala, président de la commission des relations extérieures du Sénat de la République démocratique du Congo. - Au nom de mes collègues, permettez-moi d'exprimer notre sincère satisfaction de nous trouver dans cette salle qui porte le nom prestigieux de M. René Monory. Comme l'a souligné notre président du Sénat, l'accueil est très chaleureux et les échanges sont sincères et constructifs. Nous nous inscrirons dans cette perspective.

Vous avez judicieusement contextualisé la situation de notre pays, de la région et des initiatives de la communauté internationale. Sans revenir sur tous les faits, je souhaite souligner quelques évidences qui nous permettront d'avancer dans nos échanges.

La première évidence est que, depuis 2022, l'armée rwandaise est présente sur le territoire de la RDC, participant aux opérations militaires et soutenant un mouvement rebelle en troupes, équipements et munitions. En droit international, cela constitue une agression caractérisée, comme le définissent la Charte des Nations Unies, l'acte constitutif de l'Union africaine et toutes les conventions régissant les relations entre États.

La deuxième évidence est que cette agression a provoqué des déplacements massifs de population. Nous battons malheureusement des records en la matière.

La troisième évidence est que cette agression a intensifié le pillage des ressources de la RDC, particulièrement dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.

La quatrième évidence, moins évoquée, est la destruction de l'écosystème et de l'environnement. La région du Nord-Kivu est riche en biodiversité, notamment avec son parc national et ses minerais. C'est une région qui protège l'humanité et nourrit notre économie.

La cinquième et dernière évidence, évoquée lors par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies il y a quelques mois, est la violation massive des droits de l'homme, incluant des viols, le recrutement d'enfants soldats, de mauvais traitements et des tortures, qui se poursuivent encore aujourd'hui. De nombreux rapports documentent ces faits à tous les niveaux.

Nous pouvons également noter que la communauté internationale a pris de nombreuses initiatives, au niveau des Nations Unies, de l'Union européenne ou de l'Union africaine. Ces initiatives se cristallisent actuellement dans la résolution 2773 du Conseil de sécurité, dans les processus de paix de Luanda et de Nairobi ainsi que dans les différentes sanctions prises au niveau des États et de l'Union européenne. Les Nations Unies, bien que saisies depuis longtemps par la RDC, n'ont pas encore pris de sanctions, mais ont donné des orientations contraignantes dans la résolution 2773.

Le défi réside dans la mise en oeuvre effective de ces résolutions et sanctions pour qu'elles produisent les résultats escomptés. Force est de constater que le rendez-vous n'est pas tenu, car le Rwanda poursuit ses attaques et ses expéditions de conquête des espaces économiques en RDC. Malgré l'annonce d'un cessez-le-feu par des affidés du Rwanda il y a une semaine, des informations incontestables, notamment relayées par la radio internationale française (RFI), font état de la poursuite du rassemblement et de l'accumulation de matériel militaire par les forces de défense du Rwanda, notamment à Walikale.

La raison de notre présence est que la France est un membre permanent du Conseil de sécurité, où elle joue un rôle important dans le processus décisionnel concernant la résolution des conflits internationaux. De plus, la France est un partenaire traditionnel depuis notre indépendance et assume la responsabilité d'être la plume de la RDC depuis 30 ans. La France est à l'origine de nombreuses résolutions concernant la RDC au Conseil de sécurité, ce qui représente un travail complexe nécessitant de la réflexion, une connaissance approfondie du dossier, des compétences diplomatiques et la capacité de dégager des consensus. L'écriture d'une résolution est particulièrement ardue, comme j'ai pu le constater lors de mon expérience au ministère des affaires étrangères, où les négociations peuvent durer plusieurs semaines. Je note que le Quai d'Orsay prend souvent le soin de se concerter avec les représentants de la RDC au sujet des résolutions.

Nous partageons également avec la France une langue commune, qui va au-delà d'un simple moyen de communication. C'est une vision du monde, une pratique de la vie et une conception des relations s'inscrivant dans la multiculturalité caractéristique de la francophonie. Nous avons en commun des valeurs telles que la démocratie, l'État de droit et la solidarité internationale. Cependant, nous, Congolais, rencontrons des difficultés dans la mise en pratique de ces valeurs au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Nous attendons de nos collègues sénateurs français qu'ils utilisent les instruments parlementaires à leur disposition pour influencer l'action gouvernementale en faveur de nos priorités communes, notamment l'application de la résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous souhaitons également que la France joue un rôle actif, au niveau des institutions européennes, pour que les décisions prises par le Parlement européen et le Conseil des ministres soient effectivement appliquées par la Commission. En tant que parlementaires, nous savons que la vigilance est nécessaire pour s'assurer de la mise en oeuvre des décisions.

Nous attendons en outre un soutien de la France pour la mise en place de la mission d'établissement des faits décidée par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies, qui devrait déboucher sur la création d'une commission d'enquête.

Une autre perspective est tracée par la Cour pénale internationale (CPI). Nous organiserons au mois d'avril une conférence internationale sur la question des droits de l'homme en RDC. La création d'une Cour pénale spéciale pour les crimes commis en RDC pendant cette période est prévue à l'issue de cette conférence. Cette initiative est importante dans le cadre de la lutte contre l'impunité.

Nous sommes satisfaits des interpellations régulières des parlementaires français auprès de leur ministre des affaires étrangères concernant le cessez-le-feu. L'unanimité est là. Or, nous avons l'impression que, si les demandes ont bien lieu, elles ne sont pas suivies d'effet. Il est crucial que nous, en tant qu'élus du peuple, veillions à une application effective.

De plus, nous sommes préoccupés par l'inaction de l'OIF dans un conflit opposant deux États membres, où le droit international est violé de manière flagrante. Si des déclarations ont eu lieu, aucune initiative de terrain n'a été prise. Lors de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) au Canada, une mission de bons offices a été décidée, mais elle n'a jamais été déployée. Cette inaction nous scandalise. C'est à la limite de la complicité et de la trahison par rapport à nos valeurs. Nous ne concevons pas qu'il soit possible de rester indifférents concernant ces faits. Cette inaction nous pousse à nous interroger sur l'intérêt de notre participation à la Francophonie.

Enfin, nous souhaitons aborder les questions de l'aide et des réfugiés, sachant que nous avons des perspectives, notamment offertes par la loi de programmation militaire.

Nous allons avancer sur la coopération entre nos pays, qui devrait faire l'objet d'un travail de la part des deux secrétaires généraux de nos deux assemblées.

M. Pascal Allizard, vice-président. - Nous vous remercions pour la clarté de cet exposé, qui nous permet de bien recontextualiser la situation de votre pays.

J'ouvre maintenant la série des questions.

M. François Bonneau. - Je tiens tout d'abord à exprimer notre solidarité envers les populations du Kivu, qui vivent une situation tragique depuis des années.

Votre pays a fait le choix, qui est son droit le plus absolu, de ne pas investir dans une armée comme nous le faisons dans nos pays, mais de s'appuyer sur des milices et des forces étrangères mandatées. Il y a aussi le problème des FDLR, qui comptent parmi leurs rangs des génocidaires rwandais. Compte tenu des résultats très contrastés, envisagez-vous de modifier votre stratégie sur le terrain, indépendamment des processus de paix engagés ?

M. Philippe Folliot. - Je me souviens d'un échange avec l'ambassadeur de votre pays dans le cadre du groupe d'amitié. Il nous expliquait que la RDC est en quelque sorte victime de ses ressources naturelles, pillées par des voisins et des groupes divers.

Un élément important est la tyrannie des distances : Goma est à environ 2 500 kilomètres de Kinshasa par la route, mais à seulement 170 ou 180 kilomètres de Kigali. Cette situation géographique complique le contrôle de vos ressources, notamment minières, et leur juste retour pour les autorités centrales et le gouvernement du pays.

Dans le Kivu, malgré la situation sécuritaire très complexe, il semblerait que certains groupes canadiens et chinois poursuivent leurs activités d'extraction sans apparente difficulté. Pouvez-vous nous éclairer sur la réalité de cette situation ?

Ces enjeux du contrôle de l'exploitation des ressources sont sous-jacents concernant la situation sécuritaire dans la région. Comment faire en sorte que les ressources liées à ces exploitations profitent davantage à votre pays et contribuent mieux à son développement ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Il est important pour nous d'entendre les faits. Votre engagement à défendre l'État de droit et le droit international nous rassure, surtout dans un contexte où ces principes ne sont pas toujours respectés.

Nous exprimons toute notre solidarité envers vos populations qui souffrent actuellement.

En tant que membre de la commission des affaires étrangères et de la défense, je voudrais vous entendre sur la défense de votre territoire. Comment pouvons-nous, en tant que parlementaires et à différents niveaux, vous soutenir dans vos efforts ? Bien que nous espérions un cessez-le-feu et la paix, il est crucial que vous puissiez défendre vos populations et vos territoires. Quels types de soutien la France et l'Europe pourraient-elles vous apporter dans vos réflexions et vos besoins ?

Le Rwanda joue une carte très forte en déployant son armée sur l'ensemble du continent africain et en rendant des services à de nombreux pays. Cette stratégie nécessite des financements pour équiper et rémunérer ses soldats, ce qu'ils font efficacement. Cela conduit certains pays à fermer les yeux sur la situation dans votre territoire pour bénéficier des services de l'armée rwandaise.

M. Jean-Luc Ruelle. - La situation actuelle est extrêmement tendue et ne peut trouver de solutions que par des voies militaires et diplomatiques. Nous aimerions connaître la capacité réelle de la défense de la RDC à résoudre totalement ou partiellement cette situation, sachant que le reste doit se faire par voie diplomatique.

Concernant l'aspect diplomatique, nous avons noté la rencontre de Doha. Pouvez-vous nous donner des détails sur le contenu de ces discussions ? Il est intéressant de constater que le Qatar investit considérablement au Rwanda et en RDC, ce qui pourrait faciliter la résolution des problèmes. Nous constatons la puissance de négociation des Qataris ces dernières années, et notamment ces derniers mois.

Vous êtes confrontés à la guerre actuelle, avec le risque d'éclatement, mais aussi à une guerre du développement. En effet, avec une population de 120 millions d'habitants, 7 millions de réfugiés et une population qui devrait atteindre 200 millions d'habitants en 2050, vous faites face à un défi de développement considérable. Si ce défi n'est pas relevé au travers d'une politique très volontaire d'inclusion, le pays pourrait se retrouver en grande difficulté dans 25 ans. Cela interpelle la communauté internationale, qui doit se mobiliser. La solution pourrait être un « plan Marshall » pour reconstruire, apaiser puis assurer la pérennité du pays par le développement.

Par ailleurs, les entreprises françaises sont malheureusement presque totalement absentes. Il serait souhaitable de renouer des contacts pour rendre le pays plus attractif.

Enfin, je rappelle l'importance de finaliser la convention fiscale en cours de négociation depuis plusieurs années.

Mme Hélène Conway-Mouret. - J'ai omis un point important : le retour des réfugiés. La gestion des 6 millions de déplacés est un véritable enjeu à court terme.

Mme Michelle Gréaume. - À la suite des rencontres entre les présidents Emmanuel Macron et Félix Tshisekedi, la France a augmenté son financement humanitaire de 39 millions d'euros. Quelles mesures la France a-t-elle prises avec cet argent pour venir en aide aux populations déplacées ?

Par ailleurs, la coopération franco-égyptienne avait fonctionné pour Gaza. Existe-t-il une coopération humanitaire analogue pour l'est du Congo impliquant la France et d'autres pays tiers ?

M. Jérôme Darras. - Le Président Tshisekedi a réaffirmé la semaine dernière son intention de négocier un accord minier avec les États-Unis, évoquant un partenariat gagnant-gagnant. Pouvez-vous nous informer de l'état d'avancement de ces discussions et de la concrétisation de cet accord ? Quel regard portez-vous sur ce partenariat ? Quelles pourraient être les répercussions éventuelles sur le conflit en cours ?

M. Christophe Lutundula Apala Pen'Apala. - Il est important de clarifier que la RDC n'a pas délibérément choisi de ne pas investir dans son armée. Aucun État ou dirigeant responsable ne ferait un tel choix, car la défense est une condition fondamentale de l'existence de l'État. De même, nous n'avons pas choisi de collaborer avec des groupes armés. L'armée congolaise dont a hérité le président Tshisekedi était composée d'hommes et de femmes déterminés et courageux, mais elle a été démotivée, neutralisée et infiltrée. Le système de défense a été détruit et devait être reconstruit. Lorsque Laurent-Désiré Kabila a entrepris ce travail, son assassinat a interrompu le processus. Le président Tshisekedi a tenté de reprendre les choses en main à son arrivée. Cependant, l'embargo et l'obligation de déclarer les armes et les munitions achetées ont considérablement entravé nos efforts. Je ne sais pas si un État peut créer une armée dans ces conditions. De plus, pendant au moins dix ans, une résolution du Conseil de sécurité interdisait à la RDC de recevoir une assistance pour la formation de ses militaires. La guerre a débuté lorsque le Rwanda s'est aperçu que le président Tshisekedi a changé le leadership militaire. Or, la formation des militaires est un processus long qui implique une culture, un état d'esprit et une condition physique spécifique. De plus, notre armée doit faire face à une multitude d'armées classiques et de bandes armées.

Permettez-moi de noter que les Français ayant résisté durant la Seconde Guerre mondiale ne sont pas qualifiés de bandes armées. Il s'agit de citoyens qui, pendant un moment crucial de l'histoire de la nation, ont décidé de résister à l'ennemi. Face aux tueries, pillages et viols commis dans les villages du Nord-Kivu, peut-on interdire aux Congolais de s'organiser pour se défendre ? Les Wazalendo, qui travaillent avec les forces armées, ne sont pas différents des résistants que vous avez connus. Ce n'est pas souhaitable, mais la défense est un instinct naturel de tout homme qui vit. Lorsqu'on vous agresse alors que des efforts sont en train d'être réalisés, ce n'est pas facile.

Quant aux FDLR, le Rwanda est intervenu plusieurs fois au Congo, supposément pour maîtriser les membres de ce groupe. Sous la présidence de Tshisekedi, nous avons commencé une action commune et rapatrié plus de 5 000 membres des FDLR et leurs dépendances, avec l'aide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). Le président Paul Kagame n'a pas souhaité que nous poursuivions la coopération. Le nombre de membres encore sur place est résiduel à ce jour. Récemment, un plan de démantèlement des résidus des FDLR a été adopté sous la médiation du président João Lourenço, avec un programme de retrait des troupes rwandaises et d'assouplissement des mesures de défense, mais le Rwanda refuse maintenant de le signer. Actuellement, le Rwanda n'évoque plus les FDLR, car le problème est économique. Nous avons toujours dit que nous sommes ouverts à toute initiative tendant à dessiner la cartographie des FDLR et à les éradiquer, étant entendu que l'accord de Nairobi d'avril 2022 donnait à chaque État ayant des groupes armés en RDC la responsabilité de prendre langue avec ce groupe pour faire une offre de paix. Appliquons l'accord accepté sous la présidence du président João Lourenço.

Par ailleurs, l'exploitation illégale anarchique des ressources naturelles est en partie due à l'absence de l'État, notamment à cause de la guerre. Des perspectives ont été ouvertes dans le passé. Nous avons proposé des solutions, comme l'application des directives de l'Union européenne sur la traçabilité des ressources naturelles. Nous n'avons pas cessé de demander la coopération de nos partenaires au niveau douanier et bancaire afin d'endiguer ce mal. Il est nécessaire de rétablir l'État.

Ce sujet est l'occasion d'évoquer le memorandum of understanding (MOU) signé par l'Union européenne. Je tiens à souligner que nous avons signé un MOU avec l'Union européenne bien avant le Rwanda, peu de temps après l'élection du président Tshisekedi. Nous avons fait une proposition, qui n'a pas été appliquée. En mai dernier, nous avons fait une dernière proposition relative à la mise en place de comités conjoints d'experts de l'Union européenne et de la RDC, afin d'étudier la traçabilité des produits miniers congolais acheminés sur le marché européen et de déterminer les conditions pratiques permettant que le MOU signé soit mis en oeuvre. Nous attendons toujours une réponse. Nous ne savons pas pourquoi l'Union européenne n'a pas saisi cette opportunité. Cette question est cruciale et nous comptons sur votre soutien, chers collègues, pour que vos gouvernements ne s'engagent pas dans le recel de nos ressources, ce qui est contraire aux valeurs de civilisation qui sont les vôtres.

Nous restons ouverts aux solutions diplomatiques, tout en rappelant que c'est nous qui sommes victimes de cette guerre, avec les violations des droits de l'homme et le pillage qui en découlent. Est-il normal que nous ne nous défendions pas ? Le président Lourenço a déjà obtenu deux acquis que nous soutenons pleinement. Le processus de Nairobi, décidé par les chefs d'État de l'EAC en avril dernier, prévoit un dialogue entre les pays ayant des groupes armés nationaux en RDC. C'est dans ce cadre que le président Tshisekedi a entamé des consultations avec ces groupes. Nous sommes arrivés au Nairobi 3. Lors du Nairobi 2, le Rwanda est parti. Nous attendons maintenant Nairobi 4 pour poursuivre ces échanges. Nous ne voyons même pas comment se pose le problème du dialogue. N'oubliez pas que la mission du président Lourenço visait à gérer les relations entre le Rwanda et la RDC, et non le dialogue interne, qui se déroule à Nairobi. Le Parlement a donné son accord au président pour obtenir le retrait des troupes rwandaises et le démantèlement des FDLR selon les plans convenus. Cela ne signifie pas que nous sommes responsables du génocide rwandais, comme l'a souligné le rapport de la commission de l'Assemblée nationale présidée par Paul Quilès. De fausses raisons ne doivent pas être instrumentalisées.

Actuellement, il est incontestable que la glace qui s'est érigée entre les présidents Tshisekedi et Kagame a pris de l'épaisseur. Notre président a toujours dit, à juste titre, que le vrai interlocuteur est le Rwanda. L'émir du Qatar a entrepris une démarche pour briser la glace, qui n'est pas encore totalement fendue, mais au moins fissurée. La déclaration de Doha apporte son soutien aux processus de Nairobi et de Luanda.

Concernant la question des réfugiés, une réunion a eu lieu à Genève en mai dernier à l'initiative du président Tshisekedi, impliquant le UNHCR et les ministres concernés, afin de traiter ce dossier. Nous avons repris les accords antérieurs et défini une programmation des activités, qui a été signée. Les réunions se sont poursuivies à Nairobi, mais le processus s'est interrompu lorsque le Rwanda a refusé de participer à la réunion prévue à Goma, tout en se rendant à Addis-Abeba. La situation a ainsi été bloquée. Le président Tshisekedi a déclaré que nos compatriotes doivent revenir en RDC. Or, vous savez qu'en vertu de la Convention de Genève, le rapatriement est d'abord volontaire et suppose que les conditions du départ sont modifiées. Nous avons proposé que des habitants des villages des réfugiés, y compris les chefs coutumiers, viennent leur parler pour convenir des conditions de retour, mais le Rwanda n'a pas accepté.

Enfin, notre coopération avec les États-Unis s'inscrit dans une logique de partenariat entre États. Tout État fait le marketing de ses ressources naturelles et de ses capacités technologiques. Le rapprochement pour les accords en vue d'investissements ne date pas de la réélection du président Trump. En décembre 2022, lors de la rencontre entre les États-Unis et l'Afrique, nous avons signé des accords, notamment concernant l'industrie des batteries électriques au Katanga. Les États-Unis se sont associés à l'accord de base signé par la Zambie et la RDC. Nous demandons donc aux États-Unis de venir investir en RDC de la même manière que nous le faisons avec les Européens, les Africains du Sud et les Asiatiques. Cette coopération vise à résoudre nos problèmes internes. En effet, si les revenus obtenus des États-Unis et le partenariat gagnant-gagnant peuvent aider à équiper notre armée et à exercer une magistrature d'influence pour obtenir de M. Kagame qu'il arrête ses aventures tragiques et meurtrières, je ne vois pas où est le problème. Nous le ferions avec n'importe quel pays au monde.

M. José Mpanda Kabangu, président de la commission défense et sécurité du Sénat de la République démocratique du Congo. - Le président Tshisekedi, qui a hérité d'une armée faible et inexistante, a donc entrepris des réformes. La loi de programmation militaire, adoptée au Parlement, vise, par des réformes de fond, à renforcer les capacités militaires, améliorer la formation des soldats et soutenir les opérations de maintien de la paix. Ce processus de réforme, qui est en cours, passe aussi par la coopération militaire. Des réformes policières sont également en cours. Une coopération a lieu avec la France, permettant que le Collège des hautes études stratégiques et de défense (CHESD) forme tous les officiers pour constituer une armée forte. Les investissements et le développement ne peuvent se réaliser que dans un contexte de paix, de sécurité, d'intégrité territoriale et de souveraineté nationale. Nous envisageons donc des réformes profondes pour renforcer notre armée. Nous collaborons également avec la France dans le cadre de la formation d'officiers compétents au sein de l'École de guerre. La loi de programmation militaire nous permettra donc de créer une armée capable de servir le pays et d'assurer la stabilité nécessaire à notre développement. Nous avons discuté hier avec le président de la mise en place d'une coopération militaire et policière qui permettra un appui dans le domaine des équipements et de la formation ainsi qu'un échange d'expériences entre les deux États, dans le but de mettre fin à cette instabilité dans nos pays respectifs.

M. Christophe Lutundula Apala Pen'Apala. - Un collègue a évoqué la capacité du Rwanda et son implication dans les missions de paix, ce qui est extrêmement dangereux. La participation du Rwanda aux opérations de maintien de la paix dans le monde ne lui donne pas le droit de violer le droit international, de tuer et de piller. Entendre ce discours en France, pays de la Révolution française et membre de l'OIF, n'est pas possible.

Comme de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest, la RDC a des populations « transversales » avec la Zambie, l'Angola ou encore la Tanzanie. Quelle serait l'Afrique si nous institutionnalisions les interventions des États sous prétexte de protéger des communautés prétendument persécutées ? L'idée que ces populations seraient persécutées est d'ailleurs infondée, car ces communautés sont représentées parmi les officiers militaires et les généraux, ainsi qu'au gouvernement. Nous avons expliqué à certains pays qui nous ont parlé de cela que, lorsqu'on fait partie des soldats de la paix, on doit incarner un modèle de société, la Charte des Nations Unies et le droit international. L'utilisation des fonds alloués aux opérations de maintien de la paix est problématique, car on ne peut pas contrôler leur destination réelle. La RDC a été contrainte de déclarer toutes les armes et munitions achetées, ce qui n'a pas été le cas pour le Rwanda. Développer ce genre de conception est donc très dangereux. Tout le monde doit travailler pour la paix et la sécurité internationale, conformément aux principes qui ont présidé à la création des Nations Unies en 1945.

S.E. M. Émile Ngoy Kasongo, ambassadeur de la République démocratique du Congo en France. - Pour conclure, je tiens à souligner l'importance de notre coopération militaire historique avec la France. La France est toujours intervenue lorsque l'intégrité territoriale et la souveraineté de la RDC ont été mises en jeu, notamment lors de l'opération de la Légion à Kolwezi en 1978 et l'opération Artémis en Ituri en 2003-2004.

Je suis relativement satisfait de l'implication de la France, notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies où l'ambassadeur français a pris une position tranchée concernant la condamnation du Rwanda comme pays agresseur. La France a joué un rôle crucial dans l'obtention d'un consensus pour le vote de la résolution, malgré la position de porte-à-faux de certains pays.

Nous attendons davantage de la France, qui dispose de plusieurs leviers diplomatiques. Alors que l'avenir est dans le multilatéralisme, nous pensons que notre héritage commun, à savoir la langue française, fait de la RDC un allié fondamental dans le cadre de la Francophonie. Nous pensons d'ailleurs de plus en plus jouer un rôle à la hauteur de notre représentativité au sein de la Francophonie, étant donné que la RDC compte le plus grand nombre de locuteurs francophones au monde.

Concernant la coopération militaire, je suis intervenant en géopolitique à l'École de guerre, ce qui est une fierté de notre collaboration militaire. Cette école, relativement récente, accueillera bientôt un officier français parmi ses stagiaires, symbolisant la qualité de la formation dispensée. Nous travaillons pour que cette coopération puisse s'approfondir. Lors de la récente visite officielle du président Tshisekedi en France, une séquence importante a été consacrée aux questions de défense à l'École militaire. Nous comptons sur le soutien de votre commission pour que cette coopération aide la RDC à se doter d'une véritable dissuasion, essentielle pour stabiliser le pays. Sécuriser un territoire de 2 345 000 kilomètres carrés nécessite des effectifs, mais aussi une formation de qualité. Nous avons besoin de votre expérience pour l'armée de terre, les forces aériennes et la marine, compte tenu de notre façade maritime et de nos grands lacs.

Nous pensons donc mériter une attention particulière de la part de la France, non seulement pour résoudre les problèmes actuels, mais aussi pour préparer l'avenir.

M. Pascal Allizard, vice-président. - Je vous remercie. Je tiens également à remercier mes collègues présidents des deux commissions, ainsi que les sénateurs et sénatrices de la RDC. Cette audition a été extrêmement intéressante, caractérisée par une ouverture dans vos propos, nos questions et vos réponses. Cette approche correspond bien à la méthode de travail du Sénat français.

Les éléments de réflexion que vous nous avez apportés sont extrêmement importants pour chacun d'entre nous, parlementaires, notamment dans le cadre de nos travaux au sein de la commission. Ils sont précieux pour l'analyse des relations entre la France, l'Union européenne et votre pays. Nous sommes en effet engagés dans une réflexion sur une nouvelle génération de relations avec les pays du continent, potentiellement plus équilibrées, partenariales et tournées vers l'avenir. Chacun pourra tirer de cette audition une excellente matière première pour nos réflexions et nos travaux futurs.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo en ligne sur le site internet du Sénat.

Audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM)

M. Pascal Allizard, vice-président. - Nous accueillons aujourd'hui le directeur général délégué du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) pour une audition sur les terres rares. Cette audition s'inscrit dans un contexte particulier qui met en lumière le rôle des terres rares pour notre économie et notre sécurité.

Alors que la mondialisation a pu laisser penser que la propriété de ces terres rares ne constituait pas un sujet important, la crise de la covid-19 et la guerre en Ukraine ont rappelé la nécessité, pour les États, de disposer d'un accès sécurisé à des matières et des composants essentiels. Il est important de noter que 68 % des terres rares dans le monde sont extraites de Chine et que 85 % y sont raffinées.

Cette question a pris une dimension supplémentaire avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et son intention de prendre possession de certains gisements de terres rares en Ukraine. L'intérêt du président américain pour le Groenland et le Canada pourrait également s'expliquer en partie par les richesses des sous-sols de ces territoires.

Cette situation nouvelle nous amène légitimement à nous interroger sur notre propre dépendance aux terres rares. Quels sont nos besoins actuels et futurs ? Quelles sont nos ressources ? Sont-elles correctement documentées, qu'il s'agisse des ressources de nos sous-sols ou de nos fonds marins ? Quelles sont nos capacités de transformation de ces ressources ?

Monsieur le Directeur général, nous aimerions connaître votre avis sur l'annonce récente de la construction d'une usine de recyclage et de raffinage des terres rares à Lacq, sur un ancien site gazier de Total.

En tant que spécialiste reconnu de cette question, votre éclairage nous permettra de mieux comprendre cette nouvelle géopolitique des terres rares qui se met en place sous nos yeux. Nous souhaitons également connaître votre analyse sur notre politique en la matière. Avons-nous une politique cohérente et construite dans ce domaine ? Si ce n'est pas le cas, quelle politique devrions-nous initier ?

Qu'en est-il, par ailleurs, du recyclage des terres rares contenues dans les différents matériels technologiques produits ? Pourrait-il constituer un élément de solution ?

Nous aimerions également connaître votre avis sur la stratégie de l'Union européenne concernant les terres rares, présentée hier par le commissaire chargé de la stratégie industrielle. Cette stratégie repose sur 47 projets visant à extraire d'ici 2030 au moins 10 % de nos besoins sur le territoire de l'Union européenne et à assurer la transformation d'au moins 40 %.

Monsieur le Directeur général, je vous laisse maintenant la parole pour un propos liminaire.

M. Christophe Poinssot, directeur général délégué du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). - Je vous remercie pour votre invitation à partager l'état de nos réflexions et de nos connaissances sur la question des approvisionnements en minerais et métaux stratégiques ou critiques. Ce sujet comporte des dimensions géopolitiques, technologiques, économiques et industrielles extrêmement fortes.

Depuis quelques années, nous enchaînons des crises à répétition concernant la question des métaux stratégiques.

La première prise de conscience significative remonte au début des années 2010, avec une restriction d'exportation des terres rares décrétée par la Chine à la suite d'un conflit avec le Japon sur des îlots en mer du Japon. Cela a mis en lumière notre grande dépendance, la nécessité d'une meilleure compréhension et le besoin d'une plus grande maîtrise de ces chaînes de valeur, conduisant notamment à la création en France du Comité des métaux stratégiques (COMES).

Cependant, il a fallu attendre la crise de la covid-19 et la guerre en Ukraine pour que la prise de conscience soit réelle et conduise à des actions fortes. La crise de la covid-19 a désorganisé, voire bloqué, les chaînes d'approvisionnement, comme en témoigne le blocage de nombreux navires autour du port de Shanghai. La guerre en Ukraine a eu également un impact significatif, l'Ukraine étant un acteur important pour certains métaux, comme le titane. Cette situation a entraîné une réorganisation des chaînes logistiques et une crise énergétique affectant la production de métaux. C'est à cette période qu'a été remis en France le rapport Varin, initiant un certain nombre d'actions.

Depuis lors, on observe une politisation forte de ce sujet, particulièrement du côté chinois. Le gouvernement chinois a pris des décisions successives de restrictions d'exportations pour divers éléments, tels que le gallium, le germanium, le graphite, les technologies recourant terres rares, le tungstène, le tellure, le bismuth, l'indium et le molybdène. La dernière décision en date remonte au 4 février et il est probable que d'autres suivront. Ces ressources deviennent une arme géopolitique. Les États-Unis adoptent une posture similaire, faisant des métaux critiques un enjeu majeur dans les relations internationales, que ce soit autour du Groenland ou de l'Ukraine. Il existe également un lien fort avec des conflits locaux, notamment au Kivu.

Plusieurs facteurs expliquent pourquoi nos besoins en ressources minérales connaissent une croissance très forte. Un moteur historique qui persiste est la croissance économique et le développement des infrastructures dans les pays émergents. Mais deux nouveaux moteurs extrêmement puissants sont apparus récemment : la transition énergétique et la transition numérique, très gourmandes en métaux. Alors qu'il y a un siècle l'économie mondiale reposait sur une douzaine de métaux, nous en utilisons une cinquantaine aujourd'hui. Cette diversification des métaux utilisés, couplée à une augmentation considérable des quantités nécessaires, soulève évidemment des questions d'approvisionnement.

Concernant la transition énergétique, je note que, si l'on compare l'éolien offshore, considéré comme une référence intéressante pour les énergies renouvelables par rapport au charbon, on constate que l'éolien nécessite six fois plus de métal par mégawatt installé. De plus, une éolienne ne fonctionne pas en continu, contrairement à une centrale thermique. En tenant compte de cette différence de disponibilité, l'éolien offshore nécessite 15 à 20 fois plus de métal par kilowattheure injecté dans le réseau par rapport au charbon. Dans un contexte où de nombreux pays s'efforcent de mettre en oeuvre cette transition, on comprend que cela va entraîner des besoins en métaux considérables. En outre, un véhicule électrique nécessite six fois plus de métaux, principalement pour la batterie.

Ces chiffres, issus du rapport 2021 de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ont conduit à des tentatives de simulations estimant qu'en 2040 nous aurons besoin de 40 fois plus de lithium, 25 fois plus de graphite, 21 fois plus de cobalt, 20 fois plus de nickel et environ 10 fois plus de terres rares pour alimenter la mobilité qu'en 2020. Ces croissances considérables soulèvent légitimement la question de notre capacité à répondre à ces besoins.

Les technologies innovantes et performantes nécessitent aujourd'hui les deux tiers des éléments chimiques existants, bien au-delà des seuls lithium, terres rares, cobalt et nickel, dont on parle habituellement. De plus, les transitions numérique et énergétique font plus ou moins appel aux mêmes ressources, créant un potentiel conflit d'usage si nous ne parvenons pas à répondre à l'ensemble des besoins futurs.

En termes de quantité, on estime qu'il faudra extraire d'ici le milieu du siècle autant de métal du sous-sol que ce qui a été extrait depuis que l'homme a commencé à extraire des métaux.

Face à cette croissance extrêmement importante des besoins, le marché risque d'avoir des difficultés à répondre à la demande. Par exemple, en 2030, nous aurons besoin d'environ 25 millions de tonnes de cuivre par an. Or, on constate un écart important entre la demande prévue et l'offre potentielle, même pour le cuivre, qui est pourtant l'un des métaux les plus simples à extraire. Cela laisse présager des tensions importantes sur le marché. Dans la mesure où la production annuelle représente environ 20 millions de tonnes, tandis que les réserves s'élèvent actuellement à environ 800 millions de tonnes, il est donc important de comprendre que les difficultés d'approvisionnement ne sont pas dues à un manque de cuivre, mais plutôt à l'insuffisance de mines pour répondre à l'augmentation rapide des besoins face à des activités très capitalistiques, nécessitant des investissements conséquents et s'inscrivant dans une perspective à long terme.

Une des difficultés est liée à la volatilité des prix. L'évolution des prix du cuivre sur les dernières décennies révèle une forte variabilité. Considérant qu'il faut en moyenne 17 ans pour ouvrir une mine, les investisseurs doivent anticiper le cours de la matière sur une longue période, ce qui constitue un frein évident aux investissements dans le secteur minier. Cette situation explique l'insuffisance actuelle des investissements.

Ces éléments conduisent à un marché sous tension, où l'offre peine à suivre l'augmentation de la demande.

Ensuite, il est crucial de comprendre que la mine n'est pas suffisante et que c'est l'ensemble de la chaîne de valeur qui importe. Cette chaîne comprend l'extraction, la purification, le raffinage, la fabrication de précurseurs pour les batteries et, enfin, l'assemblage. Cette chaîne est très complexe et comporte de multiples étapes. La mondialisation a conduit à une répartition de ces étapes dans différents pays, rendant la maîtrise de cette chaîne d'autant plus complexe. La moindre perturbation peut avoir des répercussions sur l'ensemble du processus.

Pour maîtriser nos approvisionnements, il est donc nécessaire d'investir dans les mines, mais aussi dans les industries de raffinage, de transformation et de fabrication. Une approche globale, couvrant l'intégralité de la chaîne de valeur, est indispensable.

Plus on avance, sur la chaîne de valeur, vers le produit fini, plus le marché et la valeur ajoutée sont importants. C'est pourquoi certains pays, comme la Chine, ont cherché à descendre la chaîne de valeur et à maîtriser toutes les étapes de transformation, maximisant ainsi la valeur ajoutée.

Par ailleurs, un autre point crucial concerne la rareté des gisements suffisamment concentrés pour justifier l'ouverture d'une mine. Ces gisements concernent une douzaine de métaux, parmi lesquels le fer, l'aluminium, le nickel ou encore le cuivre. Les autres métaux, présents en petites quantités, sont généralement des produits secondaires, extraits lors de la production des métaux principaux.

Cette situation crée une dissociation entre les besoins du marché et la production. Par exemple, le gallium, utilisé en microélectronique, est un sous-produit de l'aluminium. Ainsi, la production et le cours du gallium dépendent principalement du marché de l'aluminium. Le fait que la situation soit similaire pour la plupart des métaux rend assez opaque la compréhension de la chaîne de valeur. Ce phénomène, que les économistes appellent « inélasticité du marché », rend difficile l'anticipation des évolutions du marché.

La Chine domine clairement la production mondiale de ces métaux stratégiques. Cependant, d'autres acteurs jouent des rôles importants, comme la République démocratique du Congo (RDC) pour le cobalt et le tantale, le Brésil pour le niobium ou encore l'Afrique du Sud pour les platinoïdes. Bien que les ressources minérales soient relativement bien réparties à l'échelle mondiale, on observe l'émergence d'acteurs clés qui ont investi dans les chaînes de valeur et occupent aujourd'hui des positions dominantes sur ces marchés.

Concernant l'origine des approvisionnements à l'échelle européenne, deux points importants sont à noter. Premièrement, de nombreux éléments proviennent de Chine, avec des pourcentages très élevés, allant jusqu'à 100 % pour les terres rares. Cependant, la dépendance à la Chine ne se limite pas aux terres rares. Le magnésium, un élément plus classique, est importé à 97 % de Chine. Ensuite, on retrouve d'autres grands pays fournisseurs, comme le Chili pour le lithium ou encore l'Afrique du Sud pour les platinoïdes et l'iridium.

Un point intéressant est que 76 % de la production d'hafnium provient de France. Bien que nous n'ayons pas de mine d'hafnium, nous en produisons lors de la purification du zirconium, élément important pour le combustible nucléaire, faisant de nous le producteur de la moitié de l'hafnium mondial.

Nous avons perdu une grande part de notre souveraineté en matière d'approvisionnement en ressources minérales, alors que presque la totalité des activités minières se trouvaient en Europe au 19siècle. Aujourd'hui, l'Europe ne représente plus qu'environ 5 % des activités mondiales, bien en deçà de sa part en termes de PIB ou de population. Cette évolution illustre la désindustrialisation et le transfert progressif de ces activités vers des pays à bas coût de main-d'oeuvre et à moindre réglementation environnementale, ce qui soulève des enjeux géopolitiques, éthiques concernant l'exportation des impacts environnementaux, culturels dans la mesure où la mine sort de notre imaginaire collectif et scientifiques relatifs au maintien des compétences.

À l'échelle mondiale, les investissements dans les activités minières dépassent les 1 000 milliards de dollars, avec une part européenne relativement faible de 70 milliards de dollars. La France est relativement absente de ce paysage mondial en dépit du projet de mine de lithium dans l'Allier porté par Imerys et des projets de lithium géothermal en Alsace.

Si la Chine est présente dans les ressources minérales, c'est tout d'abord pour répondre à ses propres besoins de développement, notamment dans le cadre de son programme de décarbonation. La part de l'éolien chinois dans l'éolien mondial est ainsi considérable, avec une puissance installée déjà importante et un fort taux de croissance. De même pour le photovoltaïque, la Chine est en train de couvrir ses déserts d'Asie centrale d'éoliennes et de panneaux solaires sur des superficies considérables, ce qui nécessite des ressources minérales.

À l'échelle mondiale, les acteurs sont donc essentiellement chinois. Pour l'éolien, la Chine est largement présente dans l'ensemble des étapes, tandis que l'Europe est absente de la partie minière, mais demeure présente dans la production d'éoliennes alors que sept des dix principaux fournisseurs d'éoliennes sont chinois. Pour le photovoltaïque, la situation est encore plus marquée. En effet, l'Europe est quasiment absente de la production de panneaux solaires, alors que neuf des dix principaux fournisseurs sont chinois.

Ces éléments expliquent pourquoi la Chine a souhaité sécuriser et investir dans ces chaînes de valeur, considérant les technologies décarbonées et numériques comme clés pour l'avenir, avec l'ambition de les dominer.

Le fort niveau d'investissement de la Chine est le résultat d'une politique construite depuis plusieurs décennies. Initialement, la Chine était très présente dans l'exploitation minière, mais elle s'est désormais spécialisée sur le raffinage. Pour les métaux clés de la transition énergétique -- lithium, nickel, cobalt, graphite, cuivre et terres rares --, la Chine domine largement le raffinage, atteignant de 50 % à 100 % de la production mondiale. C'est même le cas pour des ressources qui ne sont pas présentes dans le pays, comme le cobalt. La Chine sécurise ses approvisionnements tout en se positionnant comme un goulot d'étranglement pour la fourniture d'un certain nombre de métaux clés. Cette stratégie s'inscrit dans l'initiative des routes de la soie, avec des investissements importants en Afrique et en Amérique du Sud.

Face à cette situation, l'Europe a mis en place le Critical Raw Materials Act, qui définit des cibles ambitieuses pour 2030 en termes d'autonomie européenne, à savoir extraire 10 % des besoins en métaux dans le sous-sol européen, en raffiner 40 % sur le territoire, couvrir 25 % des besoins par le recyclage et limiter la dépendance à un seul pays à 65 % maximum. Cette transformation brutale nécessitera des investissements importants. Cette directive prévoit également la mise en place de travaux d'inventaire ou d'exploration ainsi que le soutien à des projets industriels stratégiques.

En France, à la suite de la remise du rapport Varin en janvier 2022, une série d'actions a été initiée. Un Observatoire français des ressources minérales (OFREMI) a été créé pour mieux comprendre et maîtriser les chaînes de valeur. Des efforts sont déployés pour renforcer, développer et amplifier le recyclage, notamment des terres rares. Une relance de l'activité minière sur le territoire européen et français est envisagée, avec un inventaire en cours. La sécurisation des approvisionnements à l'échelle mondiale reste un objectif, car l'autonomie totale n'est pas réaliste. Enfin, d'autres initiatives incluent la création d'un fonds d'investissement géré par Infravia et la nomination d'un délégué interministériel aux approvisionnements en métaux et minerais stratégiques, jouant un rôle clé dans la coordination de l'ensemble de ces politiques publiques.

L'OFREMI, qui rassemble les compétences du BRGM, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), de l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN), de l'Institut français des relations internationales (IFRI), de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), vise à décrypter les chaînes de valeur mondiales, à anticiper les risques et à proposer des tests de résilience et plans d'action, dans le but d'alimenter les décisions des pouvoirs publics. Cet outil, financé initialement par France 2030, devrait passer à un financement budgétaire à partir de 2026. Ce point reste à consolider dans un contexte difficile.

Le recyclage représente des opportunités, mais il ne pourra pas répondre à tous les besoins. Nous avons intérêt à valoriser au mieux les ressources concernées, qui sont déjà sorties du sous-sol et se trouvent sur notre territoire national. Néanmoins, le recyclage ne permet jamais de récupérer la totalité de la quantité de départ, car les systèmes de collecte ne sont jamais parfaits et les lois de la physique ne permettent pas de récupérer la totalité des matériaux. Avec des besoins croissants, il faudra toujours ajouter de la matière pour compenser ce qui n'aura pas été recyclé. Le recyclage ne pourra donc jamais pourvoir l'intégralité des besoins. Par ailleurs, la transformation et la purification de produits recyclés utilisent peu ou prou les mêmes procédés que la purification des minerais. Investir dans une industrie de recyclage permet donc d'investir également pour recréer un savoir-faire dans le raffinage, utile pour les minerais primaires. Il s'agit donc d'un moyen de reprendre pied dans ces chaînes de valeur, où nous avons été un peu absents.

Enfin, le recyclage ne suffisant pas, il est nécessaire de revenir vers les ressources du sous-sol français. Contrairement aux idées reçues, notre connaissance des ressources minérales nationales est limitée, les dernières explorations datant du début des années 1990, à une époque où nous ne cherchions pas certaines ressources, comme le lithium, et où nous ne disposions pas des techniques d'investigation du sous-sol que nous avons aujourd'hui. Malgré tout, nous savons que la France a des gisements de rang mondial. Des études de métallogénie prédictive montrent que la France dispose de gisements de lithium, que nous avons intérêt à aller chercher.

Dans le cadre de la planification écologique, le Président de la République a lancé en septembre 2023 un inventaire des ressources, financé par France 2030 à hauteur de 53 millions d'euros hors taxes. Ce programme quinquennal se concentrera sur des zones spécifiques. L'objectif de cet inventaire n'est pas d'ouvrir immédiatement des mines, mais d'identifier les zones présentant des anomalies qui justifieront de futures explorations industrielles. Cette étape préliminaire stratégique vise à réduire les risques pour les investissements privés futurs.

Il est important de noter que l'Europe, dans sa diversité géologique, offre un portefeuille varié de ressources, ce qui souligne l'intérêt d'une approche à l'échelle européenne. Certains pays européens, notamment les pays ibériques et d'Europe du Nord, ont maintenu leurs investissements miniers, démontrant qu'il est possible de concilier activités minières, protection de l'environnement et dialogue démocratique indispensable.

Dans la mesure où ni la France ni l'Europe ne pourront subvenir entièrement à leurs besoins, il est nécessaire de maintenir des partenariats internationaux. Une diplomatie des ressources minérales se développe, aux niveaux européen et français.

L'exploitation minière du XXIsiècle doit être responsable, prenant en compte dès le départ la réduction de l'impact environnemental, notamment en termes de gestion des déchets, de l'eau, des émissions de CO2, de la consommation d'énergie et des intrants chimiques. L'implication des populations locales est cruciale pour éviter les blocages. Le concept de « mine responsable » doit être standardisé et régulé. La France et l'Europe jouent un rôle important dans l'établissement de nouveaux standards pour donner confiance dans ces nouveaux projets.

Du fait des trajectoires de transition numérique et énergétique, nos besoins en ressources minérales sont donc extrêmement forts et entraînent une nouvelle dépendance géopolitique. Nous serons sans doute amenés à adapter ces trajectoires. En raison de notre dépendance forte dans ce domaine, nous avons besoin d'une vision suivie de la situation, ce qui constitue la mission de l'OFREMI. Par ailleurs, le recyclage et l'ouverture de nouvelles mines sur notre territoire sont des sujets qui méritent un débat public, dans le but de valoriser les ressources présentes sur le territoire. Sécuriser des partenariats de long terme avec une diplomatie ad hoc est en outre nécessaire. L'acceptabilité sociétale est un enjeu majeur qui passera par des standards transparents et auditables pour les mines responsables, mais aussi par la nécessité de réintroduire le sous-sol dans le débat public. Enfin, la Chine ayant pris une avance considérable dans ce domaine, les enjeux géopolitiques, économiques et industriels -- voire sociétaux -- liés aux ressources minérales sont assez systémiques et particulièrement prégnants.

M. Pascal Allizard, vice-président. - Je vous remercie pour cette présentation passionnante. Je cède la parole à mes collègues pour leurs questions.

M. Akli Mellouli. - Vous avez évoqué les partenariats, les nouveaux défis et les besoins importants en ressources. Quelles sont les priorités stratégiques de votre établissement en matière de coopération internationale, notamment dans les domaines de l'eau, du réchauffement climatique, des matières premières critiques, de l'économie circulaire ainsi que des risques naturels et technologiques pour la planète ?

M. François Bonneau. - Tout d'abord, la fabrication des batteries électriques de véhicules diffère en Chine, où du charbon est utilisé, et en France. Existe-t-il une sorte de Nutri-Score ou un indicateur permettant d'évaluer la vertu environnementale du processus de fabrication ?

Ensuite, quels sont, selon vous, les matériaux les plus critiques pour les évolutions énergétiques et écologiques mondiales ?

Enfin, la loi Hulot freine-t-elle actuellement l'exploitation française des minerais dont nous aurions besoin ?

M. André Guiol- L'Autorité internationale des fonds marins (AIFN) est en train de rédiger son code minier qui réglementera l'exploitation et l'exploration des nodules métalliques qui gisent au fond des océans. Le BRGM est-il associé à cette rédaction ? Si c'est le cas, qu'en est-il des zones économiques exclusives (ZEE) ? Enfin, pouvez-vous nous informer sur l'état du moratoire du Président de la République concernant l'exploration de ces nodules sous-marins ?

M. Jean-Luc Ruelle- Lors de la visite d'État du Président français en RDC en 2023, un accord de partenariat a été signé entre le BRGM et le Service géologique national du Congo (SGN-C). Ce partenariat s'inscrit dans un rapprochement stratégique entre la France, la RDC et l'Union européenne, notamment autour des métaux stratégiques. Vous êtes également intervenu au Forum économique réunissant la RDC, la France et l'Union européenne lors d'une table ronde sur les métaux critiques, où une déclaration conjointe a été signée par tous les participants. En outre, le 4 mars 2023, un accord-cadre a été signé avec le SGN-C à Kinshasa, comprenant un audit du système d'information géologique et minier. Enfin, en avril 2024, un second accord-cadre a été signé entre le BRGM et Gécamines. Pouvez-vous nous faire un point sur l'état actuel des approches du BRGM avec la RDC ? Quelles sont les actions spécifiques prévues pour garantir que les projets miniers issus de ces partenariats respectent les normes ? Enfin, concernant l'accord-cadre signé avec Gécamines, conduisant le BRGM à intervenir sur la valorisation des résidus miniers et l'appui à la formation des équipes techniques, pourriez-vous nous donner des précisions sur la manière dont cela se déroule ou va se dérouler ?

M. Christophe Poinssot- Concernant nos priorités stratégiques à l'international, je tiens d'abord à rappeler que la question des ressources minérales ne représente qu'environ 15 % des missions et activités de notre établissement. Nos autres domaines d'intervention comprennent les risques naturels -- particulièrement ceux liés au changement climatique --, la gestion des ressources en eau et l'usage du sous-sol pour la transition énergétique. Notre action internationale s'inscrit dans l'ensemble de ces différents domaines.

Dans le secteur des ressources minérales, nous soutenons la diplomatie française en nous concentrant sur les pays prioritaires définis par le gouvernement. Notre rôle consiste à accompagner la création de liens de confiance avec ces pays en aidant à la montée en compétences des experts et des services géologiques ainsi qu'à une meilleure maîtrise des connaissances du sous-sol, tout en prenant parfois part à des travaux d'exploration, à des niveaux stratégiques.

Dans les domaines de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, nous répondons aux sollicitations, avec un large périmètre d'action. Nous sommes particulièrement sollicités sur la gestion des ressources en eau face au changement climatique et sur l'impact de l'évolution du niveau marin sur les littoraux, notamment dans les territoires insulaires.

Nous maintenons des contacts très réguliers avec le ministère des affaires étrangères et le délégué interministériel pour assurer la cohérence de nos actions, en nous appuyant sur le réseau de nos ambassades et de nos services économiques régionaux.

Concernant les batteries électriques, il est crucial d'avoir une vision intégrée de leur impact environnemental, incluant l'énergie consommée pour leur fabrication. Nous disposons des outils d'analyse du cycle de vie qui prennent en compte toutes les étapes de fabrication et leur impact. La nature du mix énergétique dans chacun des pays où ont lieu ces étapes est intégrée. Cette approche, impliquant des méthodologies standardisées et normées à l'échelle internationale, permet une évaluation robuste du poids d'une batterie en CO2, ce qui sera déterminant pour le marché européen avec la mise en place prochaine d'un passeport batterie.

Quant aux matériaux les plus critiques pour la transition énergétique, la réponse dépend des scénarios envisagés. Par exemple, pour les batteries, pour lesquelles différentes technologies existent, prendre des décisions d'investissement est complexe, car cela nécessite de faire un pari sur la technologie qui va dominer le marché. Il en va de même lorsqu'il faut déterminer quels sont les métaux les plus critiques. Personne n'imagine que nous pourrons basculer vers une technologie totalement nouvelle et nous passer de lithium. Le volume total dont nous pourrions avoir besoin va dépendre de la répartition des différentes technologies de batteries. Les métaux importants seront ceux qui sont utilisés pour les batteries et pour les aimants permanents, indispensables pour les alternateurs et les moteurs électriques. En outre, n'oublions pas que nous aurons besoin de petites quantités de métaux, pour lesquels il est plus difficile d'identifier les priorités. Enfin, je note que l'ampleur de l'effort que nous ferons sur les industries de défense aura un impact sur nos besoins les plus critiques.

Concernant les freins à l'exploitation minière en France, le problème n'est pas tant réglementaire que lié à un changement de paradigme. Nous avons longtemps cru que la « mondialisation heureuse » nous permettrait de nous approvisionner facilement en ressources sans avoir à exploiter nos propres mines. Ce n'est que récemment que nous avons réalisé la nécessité de relancer l'activité minière nationale. La réglementation n'a donc pas été conçue dans l'optique d'ouvrir de nouvelles mines. Néanmoins, le code minier a récemment été simplifié et l'Union européenne cherche à réduire les délais d'instruction des dossiers. Il existe donc une vraie réflexion pour créer un écosystème favorable, afin que des investisseurs viennent s'y intéresser. Le défi le plus délicat reste le débat public et l'acceptabilité sociale des projets miniers. Il faudra investir collectivement pour expliquer l'utilité des mines et « repolitiser » la question du sous-sol.

Par ailleurs, la question de l'exploitation des grands fonds marins n'est pas de la responsabilité du BRGM, mais de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Nous collaborons cependant avec eux pour apporter notre vision globale de la question des ressources minérales. Les experts estiment que l'impact environnemental de l'exploitation des grands fonds marins serait, a minima, comparable à celui d'une mine terrestre. Il est important de décider d'un moratoire et de travailler à la compréhension de ces environnements méconnus, dont la biodiversité est importante.

Quant à la RDC, nous avons effectivement signé des accords avec le SGN-C et la Gécamines en 2023 et 2024. Notre idée était d'aider le SGN-C à monter en compétences et à mieux gérer ses données, notamment du sous-sol et du cadastre minier. Nous déployons donc un système numérique de gestion des données et assurons la formation de leur personnel.

J'en profite pour mentionner que le BRGM pilote depuis huit ans un projet financé par l'Union européenne pour former les cadres des services géologiques africains. Près de 1 800 cadres ont été formés dans l'ensemble des pays d'Afrique. Ce projet, qui se poursuit avec une troisième phase financée par l'Union européenne à hauteur de 30 millions d'euros, vise à accompagner les services géologiques au bon niveau d'expertise pour créer une relation équilibrée et leur permettre de mieux maîtriser leurs ressources.

L'objectif de notre accord avec la Gécamines est de les aider à valoriser des carrés miniers, dans lesquels le travail d'exploration n'a pas été conduit, et des résidus miniers, fruits d'une activité minière historique. Cette approche est également pertinente en France, où nos anciens sites miniers recèlent encore des ressources exploitables, ce qui permettrait de résoudre quelques désordres environnementaux encore présents.

Enfin, concernant le respect des normes, nous promouvons le concept de « mines responsables », sachant que la RDC essaie de promouvoir une activité minière plus respectueuse de l'environnement et des populations locales.

M. Philippe Folliot. - Je m'interroge sur la cohérence de notre approche. La France produit 38 grammes de CO2 par kilowattheure, tandis que ce chiffre s'élève à 412 grammes en Allemagne, à 360 grammes en Italie, à 700 grammes en Pologne et à 195 grammes en Grande-Bretagne. Malgré cela, nous investissons dans les énergies renouvelables, qui nécessitent d'importantes quantités de terres rares. Parallèlement, l'ouverture de mines en France est quasiment impossible. Nous sommes face à une situation incompréhensible et schizophrénique à certains égards. Dans mon département, par exemple, le projet d'ouverture d'une mine de tungstène a été compromis par une approche inadaptée des pouvoirs publics pour obtenir l'acceptation de la population. J'observe un décalage affligeant entre vos analyses et la stratégie que nous mettons en oeuvre.

M. Ludovic Haye. - Tout d'abord, je salue votre rappel du paradoxe environnemental lié aux terres rares. Pour une production propre, nous devons extraire toujours plus. Il est de notre devoir de rappeler la globalité des éléments.

Ensuite, concernant la perte de souveraineté minérale de la France, je souligne que les ressources non extraites restent disponibles sous nos pieds. Ne pas avoir extrait ces ressources pourrait s'avérer stratégiquement bénéfique, compte tenu de l'évolution potentielle des méthodes d'extraction et de l'instabilité géopolitique qui pourrait modifier les zones d'extraction actuelles. J'aimerais connaître votre opinion sur ce point.

Enfin, certains acteurs spéculent sur les métaux, retardant leur mise sur le marché pour maximiser leurs profits. Quelle est votre position sur ce phénomène ?

Mme Michelle Gréaume. - Nous avons constaté que la Chine contrôle une part importante de la production mondiale de terres rares. Quels sont les risques pour la France et l'Europe en cas de restrictions ou d'embargo sur ces matériaux stratégiques ?

Par ailleurs, les déchets nucléaires ont un réel potentiel pour la récupération des terres rares et des actinides, mais les obstacles techniques et économiques sont importants. L'amiante peut également être transformé en matériau utile, mais faible en terres rares. Des innovations en chimie séparative et en traitement des déchets pourraient améliorer la faisabilité de ces recyclages. Quels sont les blocages pour avancer sur ces sujets ?

M. Guillaume Gontard. - Il apparaît clairement qu'en parallèle de la recherche de minerais, nous devons impérativement travailler sur la sobriété et la frugalité, notamment dans la conception et l'utilisation des produits. En examinant les quelques études conduites sur le recyclage, on constate que seul un tiers des 60 métaux les plus utilisés sont recyclés à 50 % ou plus, tandis que 34 éléments ont un taux de recyclage inférieur à 1 %. La question du recyclage me semble importante. Quels rôles l'Europe et la France peuvent-elles jouer dans ce domaine ? Avons-nous la capacité d'être pionniers sur cet aspect ?

M. Etienne BLANC. - Sur la carte que vous avez présentée, on observe une coopération entre l'Ukraine et l'Europe. Le BRGM a-t-il été associé à cette collaboration ? Que pouvez-vous nous dire sur les ressources en terres rares de l'Ukraine ?

M. Christophe Poinssot- Notre électricité est effectivement fortement décarbonée grâce à l'hydraulique et au nucléaire. Ainsi, le développement des énergies renouvelables nécessitant l'ouverture de nombreuses mines constitue un sujet complexe. Il est important de rappeler que l'électronucléaire est actuellement l'une des sources d'énergie qui requiert le moins de métaux par kilowattheure produit. Si notre seul critère était de minimiser l'exploitation minière, le nucléaire serait effectivement la meilleure option, même en tenant compte des besoins en uranium, qui pourraient être réduits avec l'utilisation de réacteurs à neutrons rapides. Cela soulève la question du mix énergétique que nous souhaitons collectivement. Notre rôle, en tant qu'établissement d'expertise technique, est d'éclairer les avantages et les inconvénients de chaque option, mais les décisions politiques ne sont pas de notre ressort.

Concernant la mine de tungstène du Tarn, il s'agit effectivement d'un gisement de classe mondiale, potentiellement intéressant. La question de son exploitation se reposera sans doute à l'avenir, mais avec une approche radicalement différente de celle du passé. Pour que de tels projets émergent, ils doivent être coconstruits avec les acteurs locaux, afin d'éviter les situations de blocage rencontrées précédemment. Ces ressources sont particulièrement importantes pour les enjeux de défense et nécessiteront de prendre des décisions à l'avenir.

Par ailleurs, la stratégie de ne pas avoir exploité nos ressources souterraines a certes permis de les économiser, mais nous devons garder certains biais à l'esprit. En faisant disparaître ces activités, nous les avons également effacées de l'imaginaire collectif. Cela pose un problème d'attractivité et d'érosion des compétences, rendant difficile un éventuel redémarrage de l'activité. De plus, cela amène certains de nos concitoyens à s'interroger sur la nécessité de rouvrir des mines. Au-delà de la question de la préservation du stock, il est nécessaire de trouver un équilibre, que nous n'avons pas encore atteint.

La spéculation est effectivement une réalité. C'est la conséquence du faible nombre d'acteurs et de l'absence de véritables marchés diversifiés qui suivraient simplement la loi de l'offre et de la demande. Une régulation est donc nécessaire. La situation est encore plus complexe pour les petits métaux non cotés, où il n'y a pas de transparence, comme sur les marchés des autres métaux.

Concernant les embargos chinois, il est important de noter que la Chine a mis en place diverses mesures de restriction d'exportation. Pour certains métaux, il s'agit de véritables restrictions, tandis que, pour d'autres, des licences d'exportation ont été instaurées. Cette approche permet à la Chine de contrôler étroitement le marché et de pouvoir « fermer le robinet » à sa convenance. Il est évident que nous dépendons fortement de la Chine pour de nombreuses technologies. Tant que nous n'aurons pas développé des filières alternatives, nous serons exposés à un risque sévère pour certaines de nos industries. Cela explique pourquoi les États-Unis ont rouvert une mine de terres rares et reconstruit une usine de raffinage. En France, nous venons de poser la première pierre d'une future usine qui pourra raffiner, à la fois en recyclage et à partir de minerais. Ces initiatives soulignent l'importance de ne pas être totalement dépendant d'un seul fournisseur pour nos approvisionnements, même si les prix proposés peuvent être attractifs.

Au sujet du potentiel des déchets nucléaires, il faut savoir que la fission nucléaire de l'uranium produit de nombreux éléments, dont des terres rares. Certaines de ces terres rares sont radioactives, car ce ne sont pas des isotopes stables. Les éléments réellement récupérables dans les déchets nucléaires sont limités, mais la question se pose de savoir si, dans le cadre du recyclage des combustibles, il ne serait pas judicieux d'aller plus loin et de récupérer également ces éléments. Technologiquement, nous serions capables de le faire. Cependant, des questions de réglementation se posent, notamment sur le déclassement de ces matières nucléaires. De plus, il faut prendre en compte les coûts induits.

La frugalité, l'écoconception et le recyclage sont évidemment cruciaux. Il est essentiel de réfléchir et de piloter nos besoins pour les réduire au strict nécessaire et de concevoir des produits n'utilisant que la juste quantité de matière requise. De nombreuses initiatives sont menées, plutôt portées par des établissements qui développent des technologies comme l'IFPEN ou le CEA. La France est assez active dans ces domaines.

En matière de recyclage, la France possède un véritable savoir-faire, notamment grâce à son école de chimie séparative, en partie due au nucléaire. Le défi actuel est de faire émerger le recyclage d'un point de vue industriel, car le métal recyclé n'est pas nécessairement moins cher. Il faut donc réfléchir à la manière de permettre à ces matières d'accéder au marché, ce qui soulève des questions économiques, réglementaires et politiques. Je note que la France a en tout cas le potentiel pour être leader dans le développement de procédés de recyclage, car elle dispose des savoir-faire et des formations nécessaires.

Enfin, l'Europe a effectivement signé un partenariat avec l'Ukraine sur les métaux stratégiques. L'Ukraine, qui faisait partie de l'Association des services géologiques européens, possède diverses ressources, pas uniquement des terres rares. On y trouve notamment du titane, qui représentait environ 40 % de l'approvisionnement de l'aéronautique européenne avant le conflit, ainsi que du graphite. Des discussions sont en cours, dans le cadre des coopérations, pour aider l'Ukraine à valoriser ces ressources et les mettre à disposition du marché européen.

M. Pascal Allizard, vice-président. - Monsieur le Directeur général, je vous remercie pour cet échange riche et passionnant qui nous apporte de nombreux éléments de réflexion.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo en ligne sur le site internet du Sénat.

La réunion est close à 11 h 45.