Mardi 25 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Nicolas Bouvier, consultant en relations publiques au cabinet Brunswick, représentant d'intérêts du groupe Nestlé

M. Laurent Burgoa, président. - En préambule, j'indique que M. le rapporteur, Mme Mireille Jouve et moi-même avons visité vendredi dernier en Haute-Savoie les sites de Danone à Évian et d'Alma à Thonon. Cela a été très instructif.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Nicolas Bouvier, consultant en relations publiques au cabinet Brunswick, représentant d'intérêts du groupe Nestlé.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Nicolas Bouvier prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête qui est non pas un tribunal - elle est dépourvue de finalité répressive -, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou sur des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Ainsi, selon la loi, « la personne qui [...] refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ».

Si vous estimez que votre réponse va à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, et que, en conséquence, vous ne souhaitez pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de demander à procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission d'enquête.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Par cette audition, notre objectif de faire la lumière sur la relation entre Nestlé Waters et les services de l'État, en particulier au sein des ministères. En effet, nous retrouvons votre nom à de multiples reprises dans la documentation qui nous a été transmise par lesdits ministères.

Aussi, pourquoi Nestlé Waters a-t-il fait appel à vos services plutôt qu'à sa direction des affaires publiques ? Pourquoi une telle insistance auprès des pouvoirs publics, jusqu'à maintenant ? Quels points ont été évoqués en votre présence ? Voilà quelques questions que M. le rapporteur vous posera.

Vous disposez d'une vingtaine de minutes maximum pour présenter votre propos liminaire, après quoi M. le rapporteur vous interrogera, puis nos collègues.

M. Nicolas Bouvier, consultant en relations publiques au cabinet Brunswick, représentant d'intérêts du groupe Nestlé. - Mon nom a été cité plusieurs fois ici même ; il me semble donc important de pouvoir vous apporter directement ma contribution. Depuis 2016, je suis associé chez Brunswick, un cabinet de conseil spécialisé en communication stratégique, communication de crise et affaires publiques. Au total, j'ai plus de trente ans d'expérience dans ces domaines, ayant exercé au sein de plusieurs cabinets de conseil depuis 1989. Parallèlement, je suis depuis longtemps investi dans la promotion de la déontologie professionnelle. À ce titre, je suis membre de l'Association française des conseils en lobbying et affaires publiques (AFCL), dont j'ai exercé la présidence de 2019 à 2023 et où je reste engagé en tant que vice-président.

Ma mission pour le compte de Nestlé Waters a commencé en juin 2022, mais avant de la détailler, puisque je suis sollicité pour apporter mon éclairage sur ma mission de représentation d'intérêts, je souhaite tout d'abord évoquer ce métier. La loi en donne une définition et impose également des obligations d'enregistrement de fiches d'activité auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Une entreprise fait face à des enjeux, développe son activité, déploie une stratégie, envisage des projets, investit, prend des engagements. Elle se trouve donc naturellement amenée à dialoguer régulièrement avec les autorités, en particulier avec celles qui exercent une tutelle sur son secteur d'activités. Ce dialogue, au sens large, s'inscrit dans ce que l'on appelle communément les affaires publiques ; de façon plus resserrée, lorsqu'une décision publique est en jeu, il s'agit de la représentation d'intérêts, qui est définie par la loi.

Les représentants d'intérêts sont des salariés d'entreprises, de fédérations professionnelles, d'ONG ou, comme dans mon cas, des consultants intervenant pour le compte et en accompagnement de leurs clients. Cette représentation d'intérêts consiste à interagir de manière transparente avec les acteurs de la décision publique au travers d'un partage d'informations, d'expertise, d'analyse et de propositions visant à éclairer l'élaboration et la mise en oeuvre des décisions publiques. Pour les décideurs publics, ce partage d'informations doit bien entendu s'opérer dans un cadre contradictoire. Le représentant d'intérêts a en effet vocation à contribuer aux réflexions des décideurs, jamais à s'y substituer - j'y insiste -, car il appartient bien ensuite aux décideurs publics - et à eux seuls - de faire des choix et d'opérer une synthèse entre différentes considérations. Ce sont uniquement eux qui par la loi, le décret ou autres textes tranchent et arrêtent la décision publique.

Ce respect de la décision publique est essentiel à notre déontologie professionnelle. La profession n'a d'ailleurs pas attendu la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin 2) pour prendre ses responsabilités. Dès 1991, elle s'est dotée d'une charte de déontologie qui engage ceux qui y souscrivent.

Cette charte, mise à jour à plusieurs reprises, repose sur quelques grands principes : incompatibilité professionnelle, absence de rémunération des élus et agents publics, obligation de moyens et non de résultats, transparence dans les contacts, intégrité de l'information transmise. Des systèmes de registre volontaire pour les représentants d'intérêts avaient été mis en place au Parlement - en 2009 à l'Assemblée nationale et en 2010 au Sénat -, mais leur efficacité était limitée en raison de leur caractère volontaire et de leur champ restreint. La loi Sapin 2 a ainsi eu le mérite de poser une définition claire de ce métier, de rendre l'enregistrement obligatoire, de l'étendre aux interactions avec la sphère exécutive et de poser un cadre déontologique auquel nous souscrivons, reposant en particulier sur la transparence et la probité. La mise en oeuvre de ce dispositif s'effectue sous le contrôle de la HATVP.

Avant de passer au contenu de ma mission pour Nestlé Waters, permettez-moi de citer l'extrait suivant : « L'activité des représentants d'intérêts est pleinement légitime, les parlementaires étant à l'écoute de la société civile, dans toute sa diversité. Elle doit toutefois être suffisamment encadrée et transparente, pour garantir le bon déroulement du débat parlementaire. » Il s'agit de l'introduction de la brochure sur les dix bons réflexes pour gérer les relations avec les représentants d'intérêts, établie par le comité de déontologie parlementaire du Sénat. Elle résume bien ma vision de ce métier.

Ma mission pour Nestlé Waters s'inscrit totalement dans le cadre de l'approche professionnelle déontologique que je viens de présenter. Il s'est agi d'une mission de conseil et d'accompagnement en communication stratégique, communication de crise et affaires publiques, comprenant un volet de représentation d'intérêts que je vais détailler.

Cette mission a débuté en juin 2022. Nestlé Waters m'a contacté alors que l'entreprise souhaitait accélérer la mise en oeuvre de son plan de transformation et qu'elle était sans nouvelles du ministère de l'industrie depuis la réunion d'août 2021, plusieurs fois évoquée durant les auditions de votre commission d'enquête, et de la mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). À ce moment-là, Nestlé Waters attendait la position des autorités, afin de mettre en oeuvre tous les aspects de son plan de transformation, sous leur contrôle, pour mettre fin à sa situation de non-conformité.

Je rappelle qu'à la suite du lancement de la mission de l'Igas les deux sites de Nestlé Waters ont été invités à répondre à un questionnaire très complet, mais que seul le site des Vosges a fait l'objet d'une visite de l'agence régionale de santé (ARS). Au moment où je suis sollicité par Nestlé Waters, il y a donc un décalage d'informations entre l'ARS Grand Est, pleinement informée de la situation du site des Vosges, et l'ARS Occitanie, qui ne dispose pas de cette information pour le site du Gard. De ce fait, l'une des questions que nous souhaitions pouvoir aborder avec les autorités nationales était celle de l'information des autorités dans le Gard.

Après le changement de Gouvernement en mai 2022, j'ai sollicité un rendez-vous avec le cabinet de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, qui nous a reçus le 8 juillet 2022. L'objectif était de réaffirmer l'engagement de Nestlé Waters et d'obtenir des informations sur l'avancement de la mission de l'Igas, sans succès.

La chronologie qui suit remet en perspective les principales étapes de ma mission et les rendez-vous organisés pour Nestlé Waters à la plupart desquels j'ai participé.

À la suite du changement de Gouvernement en mai 2022, les interlocuteurs initiaux au sein du cabinet du ministre l'industrie n'étaient plus en place. J'ai donc sollicité en juin 2022, pour le compte de Nestlé Waters, un rendez-vous avec le cabinet de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie. Ce choix m'a paru pertinent au vu de la double tutelle de ce ministre sur l'industrie et sur la consommation.

Nous rencontrons donc M. Antonin Dumont, conseiller consommation du ministre de l'économie, le 8 juillet 2022, accompagné de Mmes Suderie et Balde de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ce rendez-vous avait vocation à souligner que Nestlé Waters restait pleinement mobilisé pour sortir de sa situation et s'interrogeait sur l'état d'avancement de la mission de l'Igas, point sur lequel nous n'avons pas obtenu de réponse.

Parallèlement, lors du sommet Choose France du 11 juillet 2022, M. Mark Schneider, alors directeur général de Nestlé, a rencontré M. Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée, et M. Victor Blonde, conseiller chargé de la consommation aux cabinets de l'Élysée et de Matignon. Je n'ai pas assisté à cette rencontre, qui portait principalement sur le sujet des investissements industriels de Nestlé en France, mais j'ai compris que M. Kohler a indiqué que le dossier des eaux minérales était du ressort du Gouvernement.

J'ai donc pris contact avec M. Victor Blonde pour pouvoir évoquer ce dossier en détail. Nous l'avons rencontré à Matignon le 2 août 2022. Il nous a écoutés ; il ne nous a pas donné d'informations et il nous a invités à poursuivre l'échange avec les cabinets des ministres chargés de la santé et de l'industrie.

Le 24 août 2022, nous rencontrons M. Charles-Emmanuel Barthélemy, conseiller produits de santé du ministre de la santé, dont le cabinet avait été sollicité à la mi-juillet. Il nous a écoutés, mais lui non plus ne nous a pas donné d'informations.

Le 9 septembre 2022, nous rencontrons Mme Adrienne Brotons, directrice de cabinet du ministre de l'industrie et Mme Mathilde Bouchardon, conseillère technique chargée de la santé et de l'agroalimentaire. Elles nous ont écoutés, mais elles non plus ne nous ont pas apporté davantage d'informations.

Le 29 septembre 2022, nous avons une nouvelle réunion à Matignon avec M. Victor Blonde et M. Cédric Arcos, conseiller santé au cabinet de la Première ministre. Il s'est agi de présenter plus en détail les options envisageables pour Nestlé Waters afin de mener à bien son plan de transformation, notamment poursuivre le retrait des traitements non autorisés et solliciter l'arbitrage du Gouvernement sur le type de microfiltration utilisé. En outre, nous avons évoqué l'absence du retour du cabinet de M. Braun, et il nous a été indiqué que l'échange se poursuivrait avec le cabinet de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé.

Deux réunions se sont tenues avec Mme Épaillard, sa directrice de cabinet, et M. Pierre Breton, son conseiller technique chargé de la santé environnementale, les 24 octobre et 9 novembre 2022. Mme Mathilde Bouchardon a également assisté à ces réunions, qui visaient à poursuivre les échanges concernant la perspective de la mise en place du plan de transformation de Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard.

Sur la question du retard d'information de l'ARS Occitanie évoqué précédemment, Mme Épaillard, à l'issue de la réunion du 24 octobre, a demandé au directeur général de l'ARS Occitanie, M. Didier Jaffre, d'entrer en contact avec nous.

Le 3 novembre 2022, nous avons donc eu un échange téléphonique avec M. Didier Jaffre et Mme Catherine Choma, directrice de la santé publique au sein de l'ARS Occitanie. Ils ont été complètement informés de la situation sur le site de Vergèze ; une visite détaillée du site a été organisée le 29 novembre 2022, mais je n'y ai pas assisté.

En décembre 2022 et en janvier 2023, différents échanges, par téléphone ou par mail, ont eu lieu pour répondre aux demandes et aux questions des cabinets.

Le 20 février 2023, nous avons été invités à une réunion à Bercy avec Mme Isabelle Épaillard, M. Pierre Breton et Mme Mathilde Bouchardon. Mme Adrienne Brotons devait y participer, mais elle a eu un empêchement de dernière minute, si je me souviens bien. Ce rendez-vous visait à nous restituer la teneur de l'arbitrage interministériel. Nous avons eu non pas transmission du bleu de Matignon, mais seulement lecture des passages relatifs à Nestlé Waters.

Cette chronologie illustre bien, à mes yeux, la dualité du processus de décision publique : d'une part, des interactions entre l'entreprise et différents interlocuteurs publics qui ne partagent pas toute leur connaissance du dossier, ce qui peut laisser penser à l'entreprise que les choses n'avancent pas ; d'autre part, des échanges entre cabinets, administrations et autorités se poursuivent très probablement en parallèle.

La période suivant l'arbitrage interministériel, entre mars et décembre 2023, a été consacrée à la mise en oeuvre par Nestlé Waters de son plan de transformation. Durant cette période, des échanges ont bien sûr eu lieu avec les autorités locales, ARS et préfectures, pour les sites des Vosges et du Gard. Je n'ai ni organisé ni assisté à ces échanges. J'ai seulement échangé en avril 2023 avec Marie-Françoise Lecaillon, préfète du Gard, pour lui transmettre des documents préparatoires à l'une de ces réunions.

Parallèlement, sur le volet commercial du plan de transformation, une réunion a été organisée le 29 juin 2023 à la DGCCRF avec Mmes Cluzel, Servoz, Taupin et Dekneudt . L'objectif était de présenter le projet de nouvelle gamme de boissons Maison Perrier, dont le lancement était prévu quelques mois plus tard.

Jusqu'en janvier 2024, les échanges avec les cabinets, principalement celui du ministre de l'industrie, se sont poursuivis afin de les tenir informés de la mise en oeuvre du plan de transformation et de l'application locale des décisions issues de l'arbitrage interministériel.

À partir de 2024, le plan de transformation de Nestlé Waters est achevé d'un point de vue opérationnel sur les sites des Vosges et du Gard. Les relations se sont concentrées avec les autorités locales, notamment pour finaliser les arrêtés préfectoraux. Je n'ai pas été associé à ces échanges.

Quelques rendez-vous ont néanmoins été sollicités et organisés à l'échelle nationale : à la fin du mois de janvier 2024, M. Schneider, alors directeur général du groupe Nestlé, a sollicité un entretien téléphonique de courtoisie avec M. Kohler, à l'occasion de la médiatisation du plan de transformation. Je n'ai pas assisté à cet échange.

J'ai sollicité des rencontres avec M. Arcos pour assurer un suivi de la situation, d'abord au printemps 2024, en tant que directeur de cabinet du ministre de la santé sous le gouvernement de M. Gabriel Attal, puis au début du mois d'octobre 2024, lorsqu'il est devenu conseiller santé du Premier ministre Michel Barnier.

Le 10 octobre 2024, un rendez-vous a eu lieu avec M. Kohler, afin de permettre à M. Laurent Freixe, nouveau directeur général du groupe Nestlé, de se présenter lors de son premier déplacement en France. Il était accompagné de Mme Muriel Liénau, alors directrice générale de Nestlé France. Je n'ai pas assisté à cette rencontre.

À la suite de ce rendez-vous, des demandes d'entretiens ont été adressées aux cabinets des ministres chargés de la santé et de l'industrie, sous le gouvernement de M. Michel Barnier, afin de les tenir informés.

Le 4 novembre 2024, une réunion s'est tenue avec M. Louis Culot, conseiller agroalimentaire au cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie, ainsi qu'avec M. Thibault Henry de Villeneuve, conseiller chargé de la protection des consommateurs au cabinet de la secrétaire d'État à la consommation.

Les 18 novembre et 17 décembre 2024, j'ai sollicité des entretiens téléphoniques pour Mme Liénau avec M. Kohler. Dans un contexte d'instabilité gouvernementale, l'objectif était de les informer de la création de Nestlé Waters & Premium Beverages, une entité autonome au sein du groupe Nestlé, qui devait voir le jour au 1er janvier 2025.

Comme vous l'avez constaté, certaines demandes de rendez-vous n'ont pas toujours abouti. Vous ayant transmis hier, conformément à votre demande, l'ensemble des rendez-vous sollicités ou réalisés dans ce cadre, il ne m'a pas semblé nécessaire de les reprendre systématiquement dans cette chronologie. Toutefois, je me tiens à votre disposition si vous souhaitez y revenir.

Je souligne que tous les échanges avec les décideurs publics autour du plan de transformation de Nestlé Waters ont été menés dans le respect du cadre légal applicable à la représentation d'intérêts, en toute transparence et sans aucune pression. En particulier, les actions relevant de la représentation d'intérêts au sens de la HATVP ont fait l'objet de fiches d'activité publiées sur le répertoire public.

Dès le début, j'ai compris que cette mission traduisait la volonté de la direction de Nestlé Waters de mettre fin aux traitements non autorisés et d'opérer sous le contrôle des autorités la transformation de ses activités en France. En accompagnant Nestlé Waters dans ses interactions avec les décideurs publics, j'ai veillé à exercer mon métier avec rigueur et responsabilité, en relayant la voix et l'expertise de l'entreprise dans un cadre conforme aux règles de la représentation d'intérêts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque Nestlé Waters vous confie cette mission en mai 2022, est-ce la première fois de votre histoire professionnelle que vous travaillez avec l'entreprise ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, c'est en mai 2022 que je travaille pour la première fois avec Nestlé Waters.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Savez-vous par qui Nestlé Waters était accompagnée auparavant ? Y a-t-il eu une forme de tuilage sur le dossier ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, je ne le sais pas. En revanche, je sais que ce sont les responsables des affaires publiques de Nestlé France qui ont organisé la réunion du 31 août 2021. À ma connaissance, c'est la seule représentation d'intérêts avant mai 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, en août 2021, la représentation d'intérêts est encore « faite maison », puisque c'est une direction de Nestlé qui organise les rendez-vous...

M. Nicolas Bouvier. - Oui, c'est ainsi que je le comprends.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Savez-vous si Nestlé a eu recours à un autre acteur de votre secteur ?

M. Nicolas Bouvier. - Aucunement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'imagine que Nestlé vous a présenté la situation en mai 2022 : qu'est-ce qui vous fait comprendre, dans leur présentation, l'urgence et la gravité de la situation ? Quelles sont vos spécificités, pour ainsi dire, qui justifient leur choix de faire appel à vous ?

M. Nicolas Bouvier. - L'urgence de la situation m'a paru évidente. Premièrement, Nestlé Waters utilise des traitements non conformes et souhaite sortir de cette situation - c'est d'ailleurs pourquoi Nestlé Waters a informé le cabinet du ministre de l'industrie de l'époque, en août 2021. Deuxièmement, une mission de l'Igas a été diligentée à la fin de l'automne 2021, de mémoire ; Nestlé Waters a été sollicité pour y répondre au printemps 2022. Or à la fin du printemps, au moment je suis approché, ils n'ont de nouvelles ni du cabinet du ministre ni de la mission de l'Igas. L'entreprise est perplexe, alors qu'elle souhaite mettre en oeuvre son plan de transformation sous le contrôle des autorités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel a été l'objet de la réunion de présentation ? Qu'avez-vous appris sur la fraude, notamment sur sa durée, sa profondeur, son périmètre ? Que vous est-il dit de la situation à gérer ?

M. Nicolas Bouvier. - Il m'a été dit que dans le cadre de la mission de l'Igas tout a été révélé aux autorités ; que Nestlé Waters utilise deux traitements - les ultraviolets et les filtres à charbon actif -, qui ne sont pas autorisés en France pour les eaux minérales naturelles ; et que Nestlé Waters souhaite retirer ces traitements de ses sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi y recourent-ils, selon vous ? Est-ce un problème lié à la pureté originelle de l'eau ou à la vétusté des infrastructures et aux sous-investissements ? Pourquoi décident-ils de passer de l'ombre à la lumière ?

M. Nicolas Bouvier. - Selon moi, ce n'est lié ni à la vétusté ni à la pureté originelle. En toute humilité, je crois que ces deux traitements - mais je ne suis pas spécialiste - participent à un dispositif mis en place pour assurer la qualité et la sécurité sanitaires des eaux produites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, les traitements visent à la sécurité sanitaire ?

M. Nicolas Bouvier. - Je comprends qu'ils font partie du dispositif de qualité et de sécurité sanitaires...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Retirer ces dispositifs soulèverait donc une question de sécurité sanitaire ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, c'est pourquoi le retrait ne pouvait être fait du jour au lendemain, mais devait s'opérer de façon organisée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Retrait ou maintien ? Certains puits continuent à être exploités avec ces mêmes dispositifs. Les produits sont désormais étiquetés Maison Perrier et ne sont plus considérés comme de l'eau minérale naturelle...

M. Nicolas Bouvier. - La réglementation est différente.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne dis pas le contraire, je le rappelle simplement.

Selon Nestlé, dans les puits où la qualité de l'eau n'est plus stabilisée, ces filtres sont toujours nécessaires ; d'où le changement de nom commercial en Maison Perrier. Y sont produites d'autres boissons, et non de l'eau minérale naturelle.

Est-ce que Nestlé vous a dit depuis combien de temps cela durait ? Nous avons du mal à avoir la réponse de Nestlé.

M. Nicolas Bouvier. - Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez eu aucun échange à ce sujet ?

M. Nicolas Bouvier. - Je n'ai pas l'information, j'en suis navré.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dont acte.

Le contenu de vos échanges avec les pouvoirs publics nous intéresse particulièrement, car l'un des objectifs de notre commission d'enquête est de comprendre comment la décision publique s'est construite. Or cette décision a conduit à ce que le public, justement, ne soit pas informé, alors même que l'industriel a reconnu dès l'été 2021 qu'il a commis une fraude. Pourtant, les Français ne l'ont appris qu'en janvier 2024 par la presse.

Ma question porte donc sur la nature de vos échanges et sur le déroulement des événements. Vous nous avez transmis une liste de trente-six sollicitations ou entretiens entre le 17 juin 2022 et le 17 décembre 2024, dont treize avec le seul cabinet du ministre de l'industrie.

Étiez-vous présent à l'ensemble de ces entretiens ? Au surplus, ces trente-six sollicitations en deux ans et demi traduisent-elles un niveau d'activité de lobbying intense, qui pourrait être justifié par l'urgence de la situation, ou un niveau d'activité habituel ?

M. Nicolas Bouvier. - Je précise que la liste que je vous ai transmise hier à votre demande rassemble à la fois les sollicitations de rendez-vous et les rencontres qui se sont effectivement tenues. Certaines sollicitations n'ont pas abouti. Pour les rendez-vous réalisés, il faut donc diviser ce chiffre par deux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est-à-dire ?

M. Nicolas Bouvier. - La liste indique deux occurrences : la sollicitation du rendez-vous - première occurrence -, puis son organisation - deuxième occurrence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En tout cas, même s'il n'y a eu que dix-huit rendez-vous, cela fait tout de même un rendez-vous par mois entre juin et décembre 2022 avec les autorités publiques sur ce sujet.

M. Nicolas Bouvier. - Sans entrer dans une dans une bataille de chiffres - ce ne serait pas très pertinent -, je crois qu'une douzaine de rendez-vous ont été organisés avec cinq cabinets ministériels différents : les cabinets de Matignon, ceux du ministre de la santé et de la ministre déléguée, celui de l'économie et celui de l'industrie. De mon expérience, le niveau d'intensité est non pas gigantesque, mais standard.

Il y a quelques rendez-vous auxquels je n'ai pas assisté, mais j'étais présent à la plupart des rendez-vous à Matignon ou aux ministères de la santé, de l'économie et de l'industrie.

M. Laurent Burgoa, président. - Si j'ai bien noté, les rendez-vous auxquels vous n'auriez pas assisté sont ceux qui se sont tenus à l'Élysée.

M. Nicolas Bouvier. - Effectivement, monsieur le président. Je n'ai assisté ni au rendez-vous de 2022 ni à celui de 2024 ; je précise qu'il est d'ailleurs courant que le consultant ne soit pas présent aux rendez-vous organisés par le directeur général de Nestlé.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu un retour de Nestlé Waters sur ces rendez-vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, en général, j'ai des retours assez brefs. Par exemple, quand M. Schneider est sorti du rendez-vous du 11 juillet 2022, il a dit : « sur le sujet de l'eau minérale »...

M. Laurent Burgoa, président. - Vous l'attendiez dans la rue ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, pas du tout. Le sommet Choose France s'est tenu à Versailles ; c'est un grand barnum, très sécurisé, avec une forte affluence et de nombreux ministres présents ; je n'y ai donc pas assisté.

En revanche, d'après le suivi que j'en ai eu, M. Schneider a mentionné la présence de M. Blonde et a rapporté que M. Kohler avait indiqué que le dossier relevait du Gouvernement. M. Blonde étant conseiller technique à Matignon et ayant participé à cette rencontre, je me suis donc rapproché de lui par la suite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'indiquez aucune sollicitation pour l'année 2025 dans votre liste. Est-ce à dire qu'en 2025 vous n'avez eu aucune activité de lobbying auprès des pouvoirs publics pour Nestlé ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, je n'ai été impliqué dans aucune demande de rendez-vous en 2025.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il eu des demandes de rendez-vous en 2025, selon vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, je ne crois pas. Peut-être y a-t-il eu des rendez-vous avec les autorités locales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas connaissance de rendez-vous à l'échelle nationale ?

M. Nicolas Bouvier. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En lisant votre liste de sollicitations, j'ai été surpris par la différence de traitement entre l'ARS Grand Est et l'ARS Occitanie. Vous avez participé à deux rencontres avec M. Didier Jaffre, directeur général de l'ARS Occitanie, mais votre liste ne comporte aucun contact avec la directrice générale de l'ARS Grand Est. Comment expliquez-vous la différence d'approche de Nestlé ?

Dans le Grand Est, les décisions ont été prises rapidement : le recours à l'article 40 du code de procédure pénale, le contrôle sanitaire renforcé. En Occitanie, cela a traîné et il n'y a pas eu de recours à l'article 40.

M. Nicolas Bouvier. - Selon moi, il faut remonter à la mission de l'Igas, mais je n'étais pas sur le dossier. Aussi, par les questions que j'ai posées, j'ai compris que la mission de l'Igas s'est rapprochée de l'ensemble des minéraliers en France, leur a adressé des questionnaires pour tous les sites et a choisi pour chaque industriel un site, où elle a missionné l'ARS correspondante afin que ses services contrôlent sur place les traitements en vigueur.

Pour Nestlé Waters, les deux sites ont répondu au questionnaire. L'Igas a missionné uniquement l'ARS Grand Est sur le site des Vosges, pour inspecter un forage seulement. Nestlé, qui avait fait le choix de la transparence, a proposé à l'ARS de visiter l'ensemble des forages des trois marques qui sont produites sur le site.

Aussi, au printemps 2022, lorsque l'ARS Grand Est mène cette mission d'inspection pour le compte de l'Igas, elle a une compréhension complète de la situation, notamment des non-conformités sur le site des Vosges. À l'inverse, l'ARS Occitanie, qui n'a pas été missionnée dans le cadre de la mission de l'Igas, n'a pas du tout ce niveau d'information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous savez que l'ARS Occitanie n'a pas été missionnée par l'Igas ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment le savez-vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Nestlé me l'a dit. La question s'est posée, lorsque j'ai été missionné en mai 2022, de savoir quelles seraient les conclusions de l'Igas. Nestlé imagine à l'époque qu'elles auront des conséquences sur leur plan de transformation. Comme cette question est attendue, Nestlé m'explique en détail ce qu'il s'est passé : deux questionnaires très complets, une seule visite très complète aussi, et ce décalage d'informations. C'est pourquoi dès le premier rendez-vous avec M. Antonin Dumont, du cabinet de M. Le Maire, en présence de la DGCCRF, Nestlé dit qu'il va falloir informer l'ARS d'Occitanie à propos du site du Gard, notamment en vue de la mise en oeuvre opérationnelle du plan de transformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est d'autant plus important que dans le Gard les traitements illégaux ont duré jusqu'au mitan de l'année 2023...

M. Nicolas Bouvier. - Dire qu'il faut informer l'ARS Occitanie est une position rémanente. Ce n'est que lors du rendez-vous du 24 octobre 2022 que Mme Épaillard annonce qu'elle va contacter M. Jaffre. Ensuite, M. Jaffre m'a contacté, parce que j'étais vu comme le facilitateur de ces rendez-vous. Je l'ai informé que je n'avais pas la légitimité nécessaire pour lui présenter la situation. En revanche, j'ai proposé d'organiser un rendez-vous téléphonique, lequel s'est tenu le 3 novembre 2022 : M. Jaffre a dit qu'il voulait voir le site lui-même avec ses équipes. Ce rendez-vous s'est organisé à la fin du mois de novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est assez cohérent avec les propos de Mme Liénau - pour le peu qu'elle nous en a dit -, qui indique avoir attendu le feu vert de l'administration centrale pour échanger avec les services déconcentrés. On comprend donc que l'État et Nestlé ont décidé...

M. Nicolas Bouvier. - Non...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... Pour le dire plus clairement : l'État a informé Nestlé, et cela s'est répercuté ensuite à l'échelle locale.

M. Nicolas Bouvier. - L'État a informé l'ARS, qui nous a contactés pour obtenir une pleine compréhension et une révélation complète de ce qui était en vigueur sur le site.

Il y a un décalage dans le retrait des traitements. Certains ont commencé à être effectués dès 2022, de mémoire, sur le site des Vosges. L'ARS Occitanie, pour le site du Gard, n'a eu une pleine connaissance de la situation qu'en novembre, ce qui a entraîné un décalage de six mois pour le retrait des traitements également.

M. Laurent Burgoa, président. - Comment expliquez-vous cette position de retrait de l'ARS Occitanie par rapport à d'autres ARS très impliquées dans les dossiers de contrôle de l'eau minérale en bouteille ?

M. Nicolas Bouvier. - L'ARS Occitanie était très impliquée dans le contrôle du site du Gard. En revanche, la mission de l'Igas avait fourni l'occasion à Nestlé de révéler dans le détail la situation sur le site des Vosges, mais pas sur le site du Gard. Il y avait effectivement un décalage. Je pense que l'ARS Occitanie a été diligente, mais des choses n'ont pas été montrées jusqu'au mois de novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question est donc : pourquoi l'Igas a-t-elle décidé de ne pas se rendre sur l'un des principaux sites de Nestlé, alors même qu'un problème sur l'ensemble des sites Nestlé Waters est révélé au Gouvernement à l'été 2021 ? Mais elle n'est pas de votre ressort.

M. Nicolas Bouvier. - De fait, je n'ai pas la réponse !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mme Liénau a expliqué qu'elle avait attendu que le Gouvernement révèle les informations aux ARS avant d'échanger avec elles. C'est pour cette raison qu'elle a choisi de ne pas s'adresser directement à l'ARS, qui est pourtant l'autorité de contrôle la plus proche.

M. Nicolas Bouvier. - Selon Nestlé Waters, dès lors que l'information avait été transmise au cabinet du ministre de l'industrie et que celui-ci avait fait le choix de diligenter une enquête de l'Igas non pas spécifique aux sites de Nestlé, mais étendue à l'ensemble du secteur des eaux minérales en France, alors l'entreprise se sentait tenue par cet arbre de décisions, qui n'était pas le sien.

Cependant, cela explique aussi pourquoi, à l'été 2022, l'entreprise a manifesté une certaine impatience : elle voulait savoir quelles seraient les prochaines étapes. En effet, si l'objectif était de supprimer les traitements non conformes et d'opérer une transformation, il était indispensable d'obtenir un retour clair sur la marche à suivre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous non plus nous ne comprenons pas pourquoi l'État n'a pas directement informé ses autorités de proximité.

J'en viens à la question du rapport de l'Igas. En juillet 2022, l'Igas rend son rapport Les Eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle. Quand avez-vous été destinataire des recommandations de l'Igas ? Quand les avez-vous transmises à Nestlé et à Mme Liénau ?

M. Nicolas Bouvier. - Jamais.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Jamais ?

M. Nicolas Bouvier. - Pour être précis, nous n'avons eu connaissance du rapport qu'au moment où l'Igas l'a mis en ligne, à la suite des révélations de la presse, c'est-à-dire au printemps 2024. Jusqu'à cette date, je n'ai jamais vu le rapport.

À l'été 2022, nous avons demandé, à plusieurs reprises, ce qu'il en était des conclusions du rapport de l'Igas, mais quand nous avons compris que nous pouvions continuer à discuter sans en avoir les résultats, nous avons arrêté de poser la question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous informé des conclusions du rapport de l'Igas ? D'après les échanges dont nous avons trace, il semble que vous comptiez - et peut-être l'État lui-même - sur une réponse de l'Igas sur les traitements autorisés et illégaux.

M. Nicolas Bouvier. - Personne ne nous a informés des conclusions de la mission de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela veut-il dire qu'à aucun moment vous n'avez débattu des conclusions du rapport lors de vos rendez-vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Dans la première période, nous avons systématiquement posé la question, mais nous n'avons jamais eu de réponse. M. Blonde a lui-même déclaré devant votre commission d'enquête qu'il avait eu le rapport deux jours avant et qu'il ne nous en a pas parlé ; je peux vous le confirmer.

Selon moi, la plupart des gens que nous rencontrons dans les cabinets ministériels ont connaissance du rapport de l'Igas, mais, à aucun moment, ils ne souhaitent nous en faire partager les conclusions.

Dans cette période, lors des réunions - c'est la lecture que j'en fais a posteriori -, les personnes que nous rencontrons écoutent plus qu'elles ne nous parlent. C'est logique, mais, selon moi, c'est aussi une façon pour elles d'évaluer la sincérité de la démarche de Nestlé Waters.

En général, lors des rendez-vous, il s'est agi d'exposer la situation et d'expliquer le problème. À chaque fois, Mme Liénau a dû redétailler, depuis le début, l'existence de traitements non conformes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un point peut sembler contradictoire, et je souhaite qu'il soit clarifié. Mme Virginie Cayré, directrice de l'ARS Grand Est jusqu'en juin 2024 - vous ne l'avez pas rencontrée - a déclaré sous serment que Nestlé Waters lui a dit que, d'après l'entreprise, l'Igas allait recommander une modification de la réglementation. Savez-vous ce qui aurait pu amener Nestlé Waters à exprimer cette conviction auprès de Mme Cayré ?

M. Nicolas Bouvier. - Je n'en ai aucune idée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous convenez tout de même qu'il y a une forme de contradiction entre le fait de ne pas avoir reçu officiellement d'informations et, en même temps, d'avoir eu connaissance de la probable orientation du rapport ?

M. Nicolas Bouvier. - Les hypothèses formulées sur les conclusions du rapport de l'Igas ont soulevé ce type de questions, mais, honnêtement, nous n'avons jamais travaillé solidement sur une telle hypothèse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges, par voie écrite ou orale, avec la Présidence de la République, notamment avec Alexis Kohler ? Avec qui avez-vous été en contact et quand ?

M. Laurent Burgoa, président. - Tout à l'heure vous avez dit : « nous rencontrons des gens ». Qui est ce « nous » ?

M. Nicolas Bouvier. - J'articulerai ma réponse en deux temps. La première partie concernera l'Élysée, puis je reviendrai dans un deuxième temps sur le « nous » qui, en l'occurrence, ne s'applique pas aux réunions de l'Élysée puisque je n'y ai pas participé.

Pour ce qui est de l'Élysée, il y a eu le rendez-vous de Choose France du mois de juillet 2022, auquel M. Schneider a participé seul avec M. Kohler et M. Blonde. Je n'y ai pas assisté et je n'ai pas non plus contribué à l'organisation de cette entrevue.

Pour 2023, je n'ai connaissance d'aucun contact. En janvier 2024, au moment où le plan de transformation va être rendu public, M. Schneider a souhaité avoir un échange de courtoisie avec M. Kohler. Ses équipes m'ont donc sollicité pour qu'un entretien téléphonique puisse se tenir entre M. Schneider et M. Kohler. En octobre 2024, M. Schneider a été remplacé par Laurent Freixe, qui s'est rendu en France dans le cadre de sa prise de fonction. Afin d'établir un suivi dans la relation avec les autorités françaises, notamment par rapport au projet d'investissement, Mme Liénau, qui était à l'époque directrice générale de Nestlé France, m'a demandé, pour le compte de M. Freixe, de voir si M. Kohler était disponible pour un échange. Il y a alors eu deux entretiens téléphoniques avec Mme Liénau en novembre et en décembre 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En novembre et en décembre 2024, il y a eu deux entretiens téléphoniques entre M. Kohler et Mme Liénau ?

M. Nicolas Bouvier. -Tout à fait. Mme Liénau était également présente lors du rendez-vous d'octobre 2024 avec M. Freixe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Octobre, novembre et décembre : cela fait donc trois échanges avec la Présidence de la République ?

M. Laurent Burgoa, président. - La commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en décembre 2024, mais on savait déjà dès le printemps qu'elle aurait lieu, n'est-ce pas ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Effectivement...

M. Laurent Burgoa, président. - Personne n'ignorait qu'il devait y avoir une commission d'enquête. Or une rencontre entre Nestlé et M. Kohler a eu lieu au tout début de nos travaux...

M. Nicolas Bouvier. - Il y a aussi eu au printemps 2024, en prélude à vos travaux, la mission flash sur les politiques publiques de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avant d'en finir sur les rendez-vous d'octobre, de novembre et de décembre, qui sont des points importants, je voudrais revenir sur la rencontre lors du sommet Choose France en juillet 2022 entre Alexis Kohler et le directeur général de Nestlé. Nous savons qu'une réunion interministérielle s'est tenue le 24 juillet 2022, à la suite de ces échanges. Étiez-vous présent lors de cette réunion ?

M. Nicolas Bouvier. - C'était une réunion interministérielle : je n'avais pas à y assister.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il ressort des nombreux échanges que vous avez eus avec le ministère de l'industrie et de la santé, et que Nestlé a eus avec la préfecture et l'ARS Grand Est à l'été 2022, que le groupe a appuyé sa demande d'autorisation de la filtration à 0,2 micron en utilisant comme levier ce plan de restructuration. Les équipes de la DGS évoquent en interne une sorte de « chantage » à l'emploi auquel se serait livré Nestlé pour obtenir la validation de ses filtres.

M. Blonde, conseiller à Matignon et à l'Élysée, écrit avoir dit à Nestlé : « qu'ils (Nestlé) n'avaient pas du tout été transparents sur tous les sujets [...] durant ces derniers mois et que ce n'était pas acceptable, et que si les suites du rapport Igas les amenaient à alourdir la barque de la restructuration, il était absolument nécessaire qu'ils fassent bien, en com, la distinction entre les deux, pour éviter qu'ils fassent porter sur ce problème leurs difficultés plus structurelles et leurs choix de réorganisation ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Nicolas Bouvier. -Il s'agit, en effet, d'une précision très importante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je le crois aussi...

M. Nicolas Bouvier. - Je puis vous assurer qu'il n'y a eu aucun chantage à l'emploi au cours des rendez-vous auxquels j'ai participé. Pourquoi la question de l'emploi est-elle venue sur la table ? En 2021, Nestlé Waters a fait le choix de retirer Vittel des marchés allemand et autrichien. La suspension de cette commercialisation a eu un impact social et organisationnel sur le site des Vosges, avec un plan de sauvegarde de l'emploi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais les services de l'État évoquaient un alourdissement potentiel de la restructuration ?

M. Nicolas Bouvier. - Permettez-moi de terminer mon explication. Comme je vous le disais, l'impact de la baisse des ventes de Vittel était déjà bien réel. En 2022, l'Igas remet aussi son rapport. Nestlé se doute alors que d'autres décisions difficiles risquent d'être prises, ce qui aura notamment une incidence sur le site des Vosges.

Nestlé Waters fait donc le choix de mettre le plan de sauvegarde de l'emploi lié à l'activité de Vittel en suspens, dans l'attente de futures décisions qui pourraient venir le compléter, afin d'éviter aux salariés deux plans sociaux consécutifs. Voilà la compréhension que j'ai eue de ce dossier et que je me suis permis de relayer au cours des différents rendez-vous. C'est un point qui a été abordé très explicitement dès le 2 août avec M. Victor Blonde et d'autres personnes. Quand finalement, à la suite de l'arbitrage interministériel, donc un an après, au printemps 2023, ce plan de sauvegarde de l'emploi sur le site des Vosges a pu être enclenché, nous avions très clairement expliqué qu'il se justifiait pour deux raisons : d'une part, le retrait et la baisse de volumes de Vittel et, d'autre part, la suspension des puits Hépar.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Revenons aux discussions entre Nestlé et la Présidence de la République. Un échange s'est tenu le 10 octobre 2024 entre Laurent Freixe, nouveau directeur général de Nestlé, et Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée, à la suite de la parution dans la presse du rapport rendu par l'ARS Occitanie en août 2024, qui suggérait à Nestlé d'envisager un arrêt de sa production d'eau minérale Perrier. Pourquoi le groupe Nestlé souhaite-t-il rencontrer la Présidence de la République alors que le rapport a été remis et qu'il lui a été soumis dans le cadre du contradictoire ?

M. Nicolas Bouvier. - La relation que vous faites entre ces événements m'échappe. J'ai sollicité un rendez-vous pour M. Freixe avec M. Kohler uniquement parce que le nouveau directeur général se déplaçait en France. Aucun autre paramètre n'est entré dans l'équation. Vous établissez un lien avec la publication d'un rapport de l'ARS Occitanie en août 2024 : or il n'y en a pas. Ce rendez-vous a simplement permis de balayer l'ensemble des sujets pour Nestlé, notamment sa politique d'investissement qui intéresse au premier chef l'Élysée et ses équipes dans le cadre du suivi de Choose France.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons une idée sur les motivations de cette démarche. Les échanges de mails des conseillers de l'Élysée datés du 18 décembre 2024 indiquent que Nestlé semblait s'inquiéter de la diffusion du rapport de l'ARS Occitanie, qui mettait l'accent sur le fait que les traitements mis en oeuvre par le groupe Nestlé n'étaient pas compatibles avec l'appellation d'eau minérale naturelle. Par ailleurs, l'ARS soulignait que ces traitements ne réglaient que partiellement le sujet de la qualité sanitaire de l'eau. Je cite le rapport : « forte présence de virus de manière régulière qui ne sont pas éliminés par la filtration ». Nestlé s'inquiétait aussi du fait que le préfet du Gard devait renouveler l'autorisation d'exploiter la source en 2025.

M. Nicolas Bouvier. - Ces échanges ont eu lieu en décembre ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait, en décembre 2024.

M. Nicolas Bouvier. - La chronologie est importante. Le rendez-vous d'octobre était un rendez-vous de présentation des dossiers. Mme Liénau a souhaité ensuite s'entretenir avec M. Kohler en suivi de rendez-vous, et ce pour deux raisons. D'une part, parce que l'entité eau de Nestlé devenait autonome au 1er janvier 2025, conformément à ce qui avait été annoncé en novembre 2024. Ce rendez-vous a donc été demandé afin de se montrer prévenant à l'égard de nos interlocuteurs. D'autre part, parce qu'un changement de Gouvernement est intervenu au début du mois de décembre 2024. Mme Liénau était inquiète. Il s'agissait de savoir si l'arbitrage interministériel du 20 février 2023 était toujours d'actualité. N'oublions pas qu'entre-temps Nestlé avait engagé des dizaines de millions d'euros pour transformer ses sites sur la base de cet arbitrage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends votre raisonnement, mais je ne comprends pas le court-circuitage de l'itinéraire ministériel classique : on voit bien que les discussions s'accélèrent en septembre, en octobre et en décembre, et que les débats quittent les ministères pour se porter sur l'Élysée. Quelle est la raison d'un tel choix ?

M. Nicolas Bouvier. - Le Gouvernement de M. Barnier était en forte instabilité. On se doutait qu'il n'allait pas durer. Nous n'avions donc plus d'interlocuteurs dans les ministères. Comme je l'ai souligné dans mon propos liminaire, à l'automne 2024, je me suis attaché à essayer de reprendre contact tant avec Matignon qu'avec le ministère de la santé et avec Bercy. Pour faire simple, Matignon m'a dit : « voyez ça avec les ministères ». Le ministère de la santé ne m'a pas répondu. Quant à Bercy, nous avons eu un entretien avec deux conseillers techniques, mais sans suite particulière.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été rassuré au sujet de l'arbitrage de février 2023 ?

M. Nicolas Bouvier. - À ma connaissance, M. Kohler a toujours eu la même ligne sur ce dossier : voyez ça avec le Gouvernement ! Vous en conviendrez, dans une situation d'absence de Gouvernement, cela complique un peu la tâche pour une entreprise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En octobre et en novembre, il y avait un Gouvernement.

M. Nicolas Bouvier. - Oui, mais c'est en décembre que la question s'est posée.

Mme Marie-Lise Housseau. - Votre contrat avec Nestlé est-il terminé ?

M. Nicolas Bouvier. - Non.

Mme Marie-Lise Housseau. - Avant cet entretien d'aujourd'hui, avez-vous été briefé par Nestlé ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, j'ai préparé cette audition seul, avec mon équipe.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous suivi les auditions de Mmes Dubois et Liénau ?

M. Nicolas Bouvier. - Bien sûr, je suis impliqué sur ce dossier : je m'intéresse donc légitimement à vos travaux.

Mme Marie-Lise Housseau. - Les différents responsables de Nestlé que nous avons auditionnés sont tous venus accompagnés d'un avocat et nous ont tous plus ou moins « servi » les mêmes réponses. Vous venez de nous indiquer que vous n'aviez pas reçu de consigne particulière. Mais vous a-t-on proposé un avocat pour vous accompagner aujourd'hui ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. Nestlé a ses propres avocats. Je ne suis pas dans la même situation que ce groupe. À ma connaissance, la procédure judiciaire qui est ouverte ne me concerne pas.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous n'avez donc pas échangé sur la stratégie à adopter lors de cette audition ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. En tout cas, pas avec Nestlé ou avec ses avocats.

Mme Marie-Lise Housseau. - Quelle était votre lettre de mission ? Certes, vous nous avez expliqué en quoi consistait votre métier : mettre l'entreprise en relation avec des membres de différents cabinets. Mais qu'étiez-vous censé obtenir ? La possibilité d'utiliser de manière dérogatoire les filtres à 0,2 micron ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. Comme je l'ai indiqué, dans ce métier, du moins tel que je le pratique, nous refusons toute obligation de résultat. Nous avons une obligation de moyen : en l'occurrence, cela consistait d'abord à renouer le contact, afin de pouvoir comprendre ce que les autorités avaient décidé sur le plan de transformation, l'objectif étant que ce dernier puisse se déployer de manière opérationnelle. Il n'y avait pas de mission particulière sur les filtres à 0,2 micron. Certes, ceux-ci ont - vous le savez - été inclus dans le plan de transformation, mais c'était une mesure parmi six ou sept autres.

Mme Marie-Lise Housseau. - Et quelles étaient les autres ?

M. Nicolas Bouvier. - De mémoire, le premier élément était - c'est une évidence, mais je le rappelle - le retrait des traitements non conformes. Les autres étaient, outre la validation de la possibilité d'utiliser les filtres à 0,2 micron dès lors que cela ne constitue pas une désinfection, le renforcement des contrôles sur les deux sites, la suspension ou la réallocation de certains forages sur les deux sites, le volet commercial, avec le lancement d'une nouvelle marque de boisson que M. le rapporteur évoquait tout à l'heure, et le renforcement des plans de protection de la ressource en eau sur les deux sites.

En effet, comme cela a été souligné, Nestlé investit beaucoup avec les agriculteurs pour protéger les impluviums, c'est-à-dire les zones qui participent à la création des nappes souterraines dont sont issues ces eaux minérales naturelles. Des engagements complémentaires ont été pris dans le cadre du plan de transformation.

Mme Marie-Lise Housseau. - La majorité de ces éléments relèvent surtout de l'information. Mais le véritable enjeu n'était-il pas d'obtenir la possibilité d'utiliser les filtres à 0,2 micron, alors que c'est interdit aujourd'hui ?

M. Nicolas Bouvier. - Je ne pense pas que c'était l'aspect principal, même si c'est évidemment important. Tel que je comprends la réglementation et la législation européennes, il n'y a pas eu autorisation d'un traitement interdit. Il y a simplement une obligation finale qui est posée dans le cadre des types de microfiltrations utilisées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de vous arrêter, car je pense que c'est un point essentiel.

La directive est assez claire. Il y a des traitements qui sont autorisés explicitement. Tous les autres doivent faire l'objet d'une déclaration près de la Commission européenne et d'une validation par les autorités européennes. En vous entendant, je m'inquiète un peu, car vous étiez chargé de la mise en oeuvre de cette obligation.

Pour que certains traitements puissent être utilisés, il faut obtenir une autorisation de la Commission européenne. Il me paraît important d'agir en conformité avec les textes quand on décide d'aller sensibiliser des autorités publiques.

M. Nicolas Bouvier. - J'avais compris que c'était surtout du ressort des autorités préfectorales. Peut-être ma compréhension n'était--elle pas bonne ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais à présent aborder la question de la qualité des eaux initiales. Avez-vous eu vent du rapport des hydrogéologues qui est en cours, notamment sur le site de Vergèze ? Avez-vous pu le consulter ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, j'ai eu vent de ce rapport : cela fait partie des diligences que M. le préfet du Gard a engagées afin de pouvoir répondre à la demande de Nestlé de renouvellement des arrêtés. Mais je n'ai aucune idée de ses conclusions intermédiaires ou finales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il des épisodes récents de pollution de l'eau ou de problèmes sur les infrastructures et les sites du groupe Nestlé Waters ?

M. Nicolas Bouvier. - Pas à ma connaissance. Mais tout dépend de ce que vous entendez par « épisodes récents ».

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disons depuis le début de l'année 2025.

M. Nicolas Bouvier. - Je n'en ai pas eu écho.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aujourd'hui, votre mission avec Nestlé est-elle interrompue ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. Il n'y a pas encore eu d'arrêtés préfectoraux, dans un sens ou dans un autre. Ma mission d'accompagnement continue donc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous ne savez pas où en est le rapport des hydrogéologues ?

M. Nicolas Bouvier. - Nestlé ne m'en a pas informé. Je crois savoir que des responsables du groupe ont échangé avec des hydrogéologues. En effet, dans le cadre de leur mission, ces derniers n'ont pas fait une évaluation des eaux et de leur qualité in abstracto ; ils sont venus sur le terrain, et ils ont nécessairement rencontré des représentants de Nestlé. Mais, à ma connaissance, ce n'est pas allé beaucoup plus loin, et je ne pense pas que les responsables de l'entreprise en sachent beaucoup plus à cet égard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la mi-décembre 2024, Mme Liénau a cherché à s'entretenir avec le secrétaire général de l'Élysée « le plus rapidement possible ». M. Kohler l'a rappelée dès le lendemain. Pouvez-vous nous indiquer quel était l'objet de cet entretien ?

M. Nicolas Bouvier. - Je crois l'avoir dit tout à l'heure. À ma connaissance, il s'agissait, à la suite de la chute du gouvernement Barnier, de savoir si, avec un nouveau gouvernement, il pourrait y avoir une permanence de la décision de l'État, notamment de l'arbitrage de 2023. C'est, du moins, ce que j'ai compris. Je n'ai pas participé à cet entretien.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, selon vous, la question de la pollution des eaux n'a pas été évoquée. Pourtant, le 18 décembre 2024, M. Benoît Faraco, conseiller environnement à la Présidence de la République, indiquait dans un courrier à M. Kohler, que les sources étaient « de plus en plus régulièrement polluées », notamment de bactéries et, en partie, de matières fécales. Il ajoutait que cela disqualifiait régulièrement les eaux devant être traitées pour être rendues propres à la consommation, d'où une grosse « perte de valeur pour les entreprises ». N'était-ce pas l'objet de l'entretien ?

M. Nicolas Bouvier. - Pas à ma connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous vous dites très investi sur les questions relatives à la déontologie de votre profession, en tant que président, puis vice-président d'une association. Je m'adresse à la fois au praticien et au citoyen : trouvez-vous normal qu'il ait fallu attendre le mois de janvier 2024 et une enquête de presse pour que le grand public et les consommateurs soient informés de faits ayant été révélés aux autorités publiques en 2021 ?

M. Nicolas Bouvier. - À mon sens, même si une telle chronologie peut paraître trop longue aux yeux de certains, elle était nécessaire pour réaligner l'ensemble des pièces du dispositif et des différentes parties prenantes de la machine étatique et administrative : Igas, ARS, etc. Cela a effectivement pris du temps. Mais, comme je l'ai indiqué, Nestlé cherchait plutôt à accélérer les choses qu'à les ralentir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un tel réalignement vous semble-t-il incompatible avec le fait d'informer le consommateur que les eaux traitées ne répondent plus aux critères de la naturalité des eaux minérales naturelles ?

M. Nicolas Bouvier. - Le consensus général de toutes les parties prenantes a toujours été de dire qu'il n'y avait pas d'enjeu de sécurité sanitaire...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... et que vous pouviez donc léser les droits du consommateur !

M. Nicolas Bouvier. - Non. Je ne crois pas que quiconque ait jamais formulé les choses en ces termes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Mais ne pensez-vous pas que lorsqu'on laisse perdurer une fraude évaluée par le service national des enquêtes à quelque 3 milliards d'euros, le consommateur est lésé dans ses droits ?

M. Nicolas Bouvier. - C'est votre analyse. Pour ma part, je ne résumerais pas les choses ainsi.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Bouvier, nous vous remercions de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 00.

Mercredi 26 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Communication du président et du rapporteur

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, M. le rapporteur et moi-même avons deux informations importantes à vous communiquer.

D'abord, compte tenu des éléments dont nous disposions au dossier, il nous a paru indispensable de faire une demande de documents le 18 février dernier au secrétaire général de l'Élysée, M. Alexis Kohler.

Je dois dire que M. Kohler a parfaitement joué le jeu. Nous avons reçu un certain nombre de documents issus de la présidence. Cela étant - vous comprendrez que, compte tenu des règles de secret applicables aux commissions d'enquête, je ne puisse en dire davantage à ce stade -, plusieurs de ces documents nous ont conduits, M. le rapporteur et moi-même, à considérer qu'il était nécessaire d'entendre M. Kohler. Il apparaît en effet que la présidence de la République a été approchée à plusieurs reprises par le groupe Nestlé à propos du dossier des eaux en bouteille.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons souhaité entendre le secrétaire général de la présidence de la République. Son audition aura lieu le mardi 8 avril 2025, à dix-sept heures.

Je laisse M. le rapporteur vous faire part de la seconde information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous le savez, notre commission d'enquête n'est pas une « commission d'enquête Nestlé », même si c'est cette entreprise qui est le plus souvent citée par la presse compte tenu de ses agissements. Notre mission est de faire la lumière sur les pratiques des industriels du secteur et sur les actions, les silences, les dissimulations ou les omissions des services de l'État.

Je rappelle que trois sujets sont apparus lors de nos auditions. Ils démontrent le sérieux du dossier.

Le premier est celui de la fraude commerciale, par laquelle certains industriels ont vendu aux consommateurs de l'eau minérale à un prix très supérieur à celui de l'eau du robinet, alors même que les traitements qu'ils faisaient subir à cette eau auraient dû la priver d'une telle appellation.

Le deuxième est le risque sanitaire, certes non réalisé, mais potentiel : des nappes contaminées bactériologiquement ont pu continuer à être exploitées, risque particulièrement net lorsque les industriels ont été contraints de retirer les traitements interdits qui étaient précisément destinés à désinfecter l'eau.

La troisième, ce sont les prélèvements excessifs, parfois illégaux, sur les nappes, dans un contexte de réchauffement climatique, qui conduisent certaines régions à subir des périodes de sécheresse inconnues jusqu'alors.

Nous avons pris l'attache de tous les groupes minéraliers en France. Tous ont joué le jeu : Danone, le groupe Ogeu, Mont Roucous et même le groupe Alma, pourtant engagé dans une procédure judiciaire. Il y a une exception : les dirigeants de Nestlé Waters, qui, depuis le début de nos travaux, n'ont cessé de se dérober ; nous le déplorons.

Dès le 20 décembre dernier, la présidente de Nestlé Waters, Muriel Liénau, a ainsi remis en cause en cause la légitimité même de notre commission. Par la suite, elle a refusé de répondre à nos questions ou de nous transmettre des documents. Nos questions aux dirigeants de Nestlé portent notamment sur la durée des fraudes de Nestlé. Leurs réponses sont essentielles pour nous et les nombreux Français qui suivent nos travaux.

Si ces fraudes n'ont duré que quelques années, elles ont pu passer entre les mailles du filet des contrôles et être liées à des épisodes ponctuels de contamination des eaux.

Si elles durent depuis beaucoup plus longtemps, c'est tout autre chose. Cela signifie qu'il existe une faille structurelle dans les contrôles des services de l'État et que les fraudes avaient peut-être aussi vocation à dissimuler une contamination plus durable de certaines nappes d'eau minérale.

Nous n'ignorons pas qu'existent en France des procédures judiciaires à l'égard de Nestlé, comme d'ailleurs en Belgique et en Suisse. Notre objectif n'est pas d'incriminer Nestlé, et nous laissons la justice suivre son cours, dans le respect absolu de ses prérogatives et de son indépendance.

Encore une fois, notre mission est de faire la lumière sur une affaire qui entache tout le secteur et qui, à terme, ne peut d'ailleurs que porter préjudice au groupe Nestlé lui-même.

À cet égard, la stratégie des dirigeants de Nestlé Waters, consistant à refuser de répondre à nos questions, est sans doute la pire possible. Elle n'empêchera pas les procédures judiciaires de prospérer. En revanche, elle ne permet pas à Nestlé de s'expliquer une fois pour toutes sur cette affaire. Surtout, elle laisse à penser à la représentation nationale comme à nos concitoyens que ce groupe a encore des choses à cacher.

En tout état de cause, notre commission d'enquête ne peut pas en rester au refus de s'exprimer de Mme Muriel Liénau, présidente de Nestlé Waters, que ses avocats ont d'ailleurs justifié dans une lettre reçue ce jour.

C'est pourquoi nous avons considéré qu'il était nécessaire d'entendre Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé, par ailleurs citoyen français. Nous verrons si Nestlé a l'intention ou non de faire toute la transparence. Son audition aura lieu le mercredi 9 avril 2025, à seize heures trente.

Audition de M. Ronan Le Fanic, ancien directeur de Nestlé Waters Vosges, responsable technique et opérations de Nestlé Waters

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Ronan Le Fanic.

Monsieur, vous êtes hydrogéologue. Vous avez dirigé Nestlé Waters Vosges de juin 2019 à avril 2023. Vous êtes maintenant responsable du centre technique de Nestlé Waters.

Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Ronan Le Fanic prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui est non pas un tribunal, dès lors qu'elle est dépourvue de finalité répressive, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Vous avez l'occasion d'exposer le sujet qui nous occupe en toute transparence. Il vous revient de la saisir.

J'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que, comme il est d'usage, celui-ci ne pourra pas intervenir devant la commission.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillage d'eaux minérales. Pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises ? Et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

En tant que directeur de l'usine Nestlé Waters des Vosges de 2019 à 2023, qui produit les marques Vittel, Contrex et Hépar, vous avez été aux avant-postes. On notera en effet que Nestlé Waters fait l'aveu de l'usage de ces traitements interdits au cabinet de Mme Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, le 31 août 2021. Du reste, vous connaissez bien le secteur, puisque vous travaillez chez Nestlé Waters depuis 2006.

Aujourd'hui, en tant que responsable du centre technique de Nestlé Waters, vous êtes en première ligne sur la question très discutée de la microfiltration. Nous avions d'ailleurs eu un rapide échange sur ce thème à Vergèze.

À quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ? Quelles ont été vos interactions avec les services de l'État concernés, notamment l'agence régionale de santé (ARS) Occitanie et la préfecture du Gard ?

Pourquoi vouloir imposer à tout prix la microfiltration à 0,2 micron alors que le reste du secteur n'y est pas favorable ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui entame la confiance des consommateurs envers un secteur auquel nous tenons tous ?

Je voudrais saisir l'occasion de cette audition pour faire comprendre l'enjeu de nos questions sur les traitements interdits, qui n'est absolument pas d'incriminer un groupe industriel. Il s'agit pour nous de comprendre l'utilité de ces traitements et comment ils ont perduré. Comme l'a indiqué M. le rapporteur, nous voulons savoir si ces fraudes n'ont duré que quelques années, auquel cas elles ont pu passer entre les mailles du filet des contrôles et être liées à des épisodes ponctuels de contamination des eaux. En revanche, si elles durent depuis beaucoup plus longtemps, cela signifie qu'il existe une faille structurelle dans les contrôles des services de l'État. Cela peut aussi signifier que ces fraudes avaient peut-être vocation à dissimuler une contamination durable de certaines nappes d'eau minérale ou des dysfonctionnements du processus de production.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps. Vous présenterez successivement vos réflexions. Cela sera suivi d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission. Nous pourrons terminer par une dernière batterie de questions-réponses.

M. Ronan Le Fanic, ancien directeur de Nestlé Waters Vosges, responsable technique et opérations de Nestlé Waters. - Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant cette commission d'enquête.

Avant de plonger au coeur du sujet, je souhaite me présenter brièvement. Hydrogéologue de formation, je suis titulaire d'un doctorat en gestion des ressources en eau. J'ai occupé plusieurs fonctions techniques et industrielles au sein de Nestlé Waters. De juin 2019 à février 2023, j'ai notamment dirigé l'usine des Vosges, avant de prendre mes fonctions actuelles de directeur technique de Nestlé Waters.

Mon intervention portera plus spécifiquement sur les aspects techniques qui fondent nos pratiques et nos choix industriels. Cela me semble d'autant plus nécessaire que l'industrie de l'eau embouteillée doit s'adapter, comme vous le savez, à une intensification accrue des phénomènes climatiques. Pour l'expliciter, mon propos s'articulera autour de trois axes : les défis liés aux conditions d'exploitation, le cadre réglementaire en vigueur et, enfin, les différentes méthodes de microfiltration.

En tant que minéraliers, nous ne produisons pas de l'eau ; nous préservons un héritage naturel. Il s'agit en effet de notre mission : embouteiller et mettre à disposition des consommateurs des eaux uniques, issues de territoires protégés, en assurant en permanence la sécurité et la qualité des produits finis, tout en gérant la ressource en eau de manière responsable.

Dans ce contexte, les minéraliers doivent gérer un certain nombre d'enjeux liés aux conditions climatiques de chaque site : l'hydrogéologie du terrain concerné, les conditions climatiques, l'activité humaine sur les zones de recharge, les processus industriels en place spécifiques à chaque qualité d'eau. Certaines de ces conditions ont bien évidemment évolué depuis l'origine de chaque site, et chaque minéralier doit mettre en place la bonne approche pour assurer la pérennité de ces eaux.

À mon sens, ce contexte est crucial pour comprendre la situation qui est au coeur des travaux de cette commission. Celle-ci « s'interroge sur la qualité des ressources en eau souterraine, véritable trésor écologique et économique pour la France » et « s'efforcera d'ouvrir des pistes pour assurer sa préservation ».

Trois exemples illustrent cette idée.

Premièrement, l'eau minérale naturelle, dont les propriétés minérales et la pureté proviennent de son cheminement à travers différentes couches géologiques, dépend fortement de la qualité des sols et de l'environnement où elle s'infiltre. Des facteurs externes, comme des pluies très intenses, des inondations ou des épisodes de sécheresse prolongée, peuvent affecter cet environnement. La succession rapide d'une sécheresse suivie de pluies torrentielles est particulièrement difficile à absorber pour les systèmes hydrologiques, même pour des nappes naturellement protégées, comme celles d'où proviennent nos eaux minérales naturelles. De tels phénomènes entraînent sur la zone de recharge de nos aquifères des augmentations de pression très rapides. Ces variations se propagent vite en profondeur, pouvant passer d'un aquifère superficiel à un aquifère plus profond. Ce n'est pas la goutte d'eau de pluie qui vient de tomber qui se retrouve rapidement au forage ; nous parlons ici uniquement de transfert de pression. Tous les paramètres que nos équipements de suivi analysent en temps direct et les nombreux contrôles qualité quotidiens effectués sur site nous permettent de gérer ces situations de manière proactive. C'est ainsi que ce secteur des eaux embouteillées peut rester résilient face aux enjeux du XXIe siècle.

Deuxièmement, la flore naturelle de l'eau est quelque chose propre à chaque source. Elle dépend du type de roche que la goutte d'eau a traversée pour rejoindre l'aquifère, du temps mis par cette goutte d'eau pour effectuer son voyage souterrain, de quelques années à plusieurs millénaires, du fait qu'elle a traversé une couche de terre organique avant de s'infiltrer ou de l'altitude de la zone de recharge qui influencera sa température et, donc, sa microbiologie, très sensible à ce paramètre. Chacune des sources est unique. C'est notamment pour cela que l'évaluation de la situation à l'échelon local par les autorités compétentes fait sens. Nous savons aujourd'hui que toute action sur l'eau, un produit naturel et vivant, entraîne nécessairement un changement de sa flore. Cela inclut même le simple fait de l'embouteiller. Des traitements autorisés, comme le retrait du fer ou du manganèse, modifient la flore de l'eau. Son microbisme est dynamique.

Troisièmement, les processus industriels diffèrent largement d'un site à l'autre, d'une marque à l'autre. Nos deux sites en France sont particulièrement complexes, avec plusieurs dizaines de kilomètres de canalisation à gérer entre les forages et le site d'embouteillage, de gros volumes d'eau stockés en amont des lignes de production, quatre marques à l'usine des Vosges, deux marques à celle de Vergèze. Chaque eau nécessite des traitements spécifiques. Cela peut aller de l'oxydation et du retrait du fer pour Vittel Grande Source à rien pour Hépar, qui ne subit qu'une microfiltration.

Vous l'avez compris, la nature écrit l'histoire de nos eaux, mais c'est à nous d'en garantir la qualité. Les principes directeurs de la réglementation qui encadre nos activités ont été définis voilà plus de quarante ans, avant l'apparition de certaines problématiques propres à notre époque et avant le développement de nombreuses techniques analytiques.

Cette réglementation, qui est « insuffisamment claire » et « laisse une marge d'interprétation », pour reprendre les termes de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), est à l'origine de certaines divergences d'interprétation.

La réglementation applicable aux eaux minérales naturelles, sur le plan européen ou français, repose sur une approche finaliste, c'est-à-dire qu'elle considère avant tout l'objectif du traitement plutôt que ses effets secondaires. De ce fait, elle n'interdit pas le recours à la microfiltration, sans non plus l'autoriser explicitement, pas plus qu'elle n'établit de taille de fil qui serait autorisée ou interdite.

Lorsqu'il est question de microfiltration, il s'agit avant tout d'un débat technique sur les normes industrielles. Il appartient aux ARS et aux préfets qui contrôlent chaque site d'évaluer la pertinence de l'utilisation d'un certain niveau de microfiltration pour l'installation concernée et de confirmer que cette utilisation correspond bien au cadre réglementaire.

Je tiens à ajouter que dix-sept eaux embouteillées en France ont déjà, dans leur arrêté préfectoral, de la microfiltration inférieure à 0,8 micron. Nos dossiers en cours d'instruction par les préfets des Vosges et du Gard doivent permettre à nos marques Contrex, Hépar et Perrier d'être l'objet des dix-huitième, dix-neuvième et vingtième arrêtés en France qui mentionneraient la microfiltration inférieure à 0,8 micron comme autorisée.

Il ne s'agit en aucun cas d'un traitement de faveur que sollicite Nestlé Waters, ni même d'une demande de dérogation. C'est uniquement l'application stricte du cadre réglementaire actuel.

Avant d'aborder les techniques de filtration, j'aimerais m'attarder sur un élément important concernant le rapport de l'Igas de 2022. Celle-ci conclut que l'enjeu de non-conformité concerne 30 % des marques en France et ajoute que 49 % des marques présentent un écart, notamment sur des dispositifs de filtration ne figurant pas dans leur arrêté d'exploitation.

Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet du ministre de l'industrie, l'a d'ailleurs rappelé devant cette commission : « Je doute que Nestlé représente 30 % des sources en France. » Je vous le confirme, nous en sommes très loin.

Cette clarification étant faite, je vais désormais aborder le sujet technique de la filtration. Afin d'éclairer au mieux la commission sur les différences entre les deux technologies de microfiltration, j'ai apporté deux filtres.

Le premier est une cartouche à 0,2 micron. Dans ce cas, la filtration est dite frontale. L'eau est poussée perpendiculairement à la surface du filtre et ressort par l'intérieur de la cartouche.

Le second est une membrane céramique dite à 0,8 micron. Dans ce cas, la filtration est latérale ou tangentielle. L'eau circule à très haut débit dans de petits tubes à l'intérieur de la céramique et est filtrée en passant à travers les parois d'un tube poreux qui, à l'oeil nu, paraît imperméable.

Au-delà de leurs différences technologiques, ce qui importe est leur impact final sur la flore de l'eau. Or nous pouvons établir avec certitude que la filtration cartouche à 0,2 micron a le même effet que la membrane céramique à 0,8 micron. Ces deux technologies conservent les constituants essentiels d'une eau minérale, dont sa minéralité et sa flore naturelle, et ne désinfectent pas l'eau.

Malheureusement, aujourd'hui, les discussions se concentrent sur la dénomination commerciale de ces filtres et le chiffre affiché sur l'étiquette plutôt que sur leurs caractéristiques techniques réelles.

Sur la microfiltration, ne nous arrêtons pas aux chiffres : regardons la science. Ce qui compte, c'est de comparer non pas la dénomination de ces filtres, mais les effets qu'ils produisent. Pour la céramique, le 0,8 micron qui est utilisé comme dénomination commerciale fait référence aux plus gros trous dans ses membranes, les petits trous par lesquels passe l'eau. Pour faire simple, tous les trous sont au maximum de 0,8 micron. C'est ce qu'on appelle un seuil absolu. Or la taille moyenne des trous est en réalité bien inférieure. Ainsi, 90 % des trous d'une membrane dite à 0,8 font en réalité moins de 0,4 micron. La taille moyenne des trous s'établit à environ 0,25 micron, ce qui est exactement le cas des filtres cartouche à 0,2. Si l'on souhaite exprimer uniquement des seuils absolus, le filtre à cartouche à 0,2 micron s'appellerait un filtre à cartouche à 0,45.

Cette évaluation est faite non pas par Nestlé Waters, mais par un laboratoire indépendant, l'Institut de la filtration et des techniques séparatives.

Si l'on revient un instant au fait que de très nombreux sites d'embouteillage en France utilisent aujourd'hui ces membranes céramiques dites à 0,8, la logique veut qu'une très large majorité des volumes d'eau embouteillée en France passent déjà à travers une microfiltration avec une taille moyenne de 0,2 micron. Ce n'est pas une hypothèse ; c'est un fait.

Il a beaucoup été question ici des avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). À titre personnel, je ne suis pas convaincu que, lorsque l'Afssa a validé la membrane céramique à 0,8 micron en 2001, elle savait que celle-ci avait en réalité les caractéristiques techniques d'un filtre cartouche à 0,2. D'une certaine manière, l'Afssa a déjà validé, en 2001, le fait que la microfiltration à 0,2 micron est bien compatible avec la réglementation française actuelle.

Je voudrais aussi revenir sur un point qui a été soulevé lors de l'audition de Mme Liénau, la semaine dernière. Les industriels du secteur doivent effectivement apporter aux ARS des données prouvant à chaque fois que la microfiltration conserve les caractéristiques essentielles de l'eau minérale, dont sa minéralité et sa flore naturelle, et qu'elle n'est pas une désinfection.

Nous avons soumis aux ARS, ainsi qu'à l'Igas, plus de 1 200 pages de documentation technique et scientifique dans nos différents dossiers. Nous avons aussi envoyé au préfet du Gard le 20 mars, à sa demande, une documentation supplémentaire pour étayer une nouvelle fois notre propos, avec de nombreuses données à la pointe de la technologie. Cette justification rigoureuse, partagée dès le mois de mai 2022 avec les autorités, est technique, scientifique et juridique.

Ce que nous aimerions demander maintenant aux autorités sanitaires nationales, comme la direction générale de la santé (DGS) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), est d'ouvrir cette discussion technique dans les meilleurs délais, en travaillant si nécessaire avec un laboratoire indépendant et qualifié dans ce domaine. Sur la base de nos échanges réguliers avec les ARS sur nos dossiers en cours d'instruction, nous sommes convaincus que cela les aiderait aussi. En effet, même si la décision finale leur revient à l'échelon local, un alignement entre le local et le national est toujours souhaitable.

L'autre question que nous avons parfois entendue dans cette commission est celle de la raison qui mène Nestlé Waters à privilégier la cartouche à 0,2 micron plutôt que la membrane céramique à 0,8, alors même que nous expliquons qu'elles ont des effets similaires. Au moins trois raisons majeures nous conduisent aujourd'hui à utiliser la microfiltration par cartouche.

La première est une raison industrielle. Contrairement aux membranes céramiques dites à 0,8, les filtres cartouche à 0,2 sont soumis à des protocoles normés, garantissant leur performance, leur reproductibilité et leur fiabilité. Cette qualification stricte assure un haut niveau de contrôle et de sécurité.

La deuxième est une raison de maîtrise opérationnelle. Les cartouches à 0,2 micron s'intègrent parfaitement dans nos procédures de gestion qualité. Leur entretien et leur désinfection sont plus simples que celles des membranes céramiques. Par exemple, elles ne nécessitent pas la manipulation de soude et d'acide pour nos opérateurs, ce qui est un point très positif pour leur sécurité.

La troisième est une raison de sécurité d'approvisionnement. En France, un seul fournisseur de membrane céramique est agréé pour la production d'eau et d'eau embouteillée. Cette situation crée un monopole de fait, exposant les sites d'eau embouteillée en France à des risques en cas de rupture d'approvisionnement, d'augmentation des prix ou de changement de stratégie du fournisseur. À l'inverse, la microfiltration par cartouche bénéficie d'un marché plus concurrentiel avec plusieurs fournisseurs, garantissant une meilleure résilience et une flexibilité accrue pour le secteur.

Avant de conclure, je souhaite apporter quelques éléments juridiques fournis par mon avocat, qui me paraissent importants.

Monsieur le président, la semaine passée, lors d'une audition, vous avez lu une note sur les obligations et sanctions existant devant la commission d'enquête selon l'article 6 de la fameuse ordonnance de 1958. Mais vous avez omis son troisième alinéa, qui rappelle précisément les limites d'une commission d'enquête face à une enquête pénale : « Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. »

Vous avez également mentionné l'arrêt Corbet de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), en le présentant comme une validation des principes des commissions d'enquête parlementaires concomitantes à une procédure pénale. Cette lecture est simpliste. La CEDH a aussi rappelé à cette occasion qu'il existait une réelle problématique au regard du droit à un procès équitable.

La commission d'enquête parlementaire a beau insister sur le fait que la justice pénale ne tiendrait pas compte d'éventuels propos auto-incriminants ou qu'elle ne pourrait pas fonder une condamnation exclusivement sur ceux-ci, cette garantie est, à l'évidence, illusoire tant la teneur des déclarations est relayée publiquement.

Par conséquent, je ne répondrai à aucune question portant sur l'utilisation des traitements passés - par qui et quand ont-ils été installés, qui connaissait leur existence ? - et, plus généralement, sur tout point susceptible d'être couvert par l'instruction en cours.

Depuis plus d'un an, Nestlé Waters est au centre d'attentions soutenues, souvent critiques, sur des sujets techniques complexes.

S'il est évidemment naturel et légitime que des débats existent, dans cette vague de critiques, je veux aussi rappeler un élément fondamental qui ne doit pas être perdu de vue. Derrière ces discussions réglementaires, derrière ces enjeux industriels et très techniques, il y a des femmes et des hommes, des équipes engagées, des techniciens et des ingénieurs, des opérateurs et des ouvriers qui, chaque jour, travaillent avec rigueur pour garantir la qualité de nos eaux minérales naturelles pour nos consommateurs. Ces salariés, dont j'ai longtemps partagé le quotidien, possèdent un savoir-faire unique, un attachement profond aux sources qu'ils utilisent et qu'ils protègent. La gestion d'un site d'eau minérale naturelle ne se résume pas à des seuils de filtration. C'est un métier, une expertise et une vigilance constante qui s'exercent dans un cadre exigeant. C'est une activité qui est par nature très liée aux territoires sur lesquels on opère.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Le Fanic, je précise que cette commission ne se substitue pas à une investigation judiciaire. Nous cherchons la transparence sur des faits qui se sont produits. Nous le devons aux consommateurs, c'est-à-dire à nos concitoyens, qui sont inquiets.

J'ai conscience de la qualité des salariés des entreprises et industries concernées. Il n'a jamais été question, dans mon esprit comme dans celui de M. le rapporteur ou de nos collègues, de porter atteinte à ces personnels.

Nous effectuons notre travail de contrôle. Les parlementaires ont, je le rappelle, deux missions : d'une part, voter la loi ; d'autre part, contrôler l'action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. C'est le sens de la présente commission d'enquête. Celle-ci est parfaitement légale. La commission des lois s'est prononcée à l'unanimité en faveur de sa création.

Enfin, sachez que je goûte fort peu les propos selon lesquels nous ferions une lecture « simpliste » du droit en vigueur. Au Sénat, nous avons d'excellents collaborateurs, et nous faisons une lecture sage des textes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Le Fanic, lors de l'audition de Mme Liénau, nous nous sommes heurtés à un mur de silence. Je trouve grave votre refus d'expliciter devant la représentation nationale et les Français ce qui s'est passé pendant des années. Je trouve également inquiétant de vous entendre invoquer votre droit à ne pas vous « auto-incriminer ». Est-ce à dire que, devant la justice aussi, vous auriez peur de décrire comment les choses se sont passées ?

Notre objectif est d'avancer dans la connaissance des événements. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous auditionnerons le directeur général de votre groupe. Ce sera sans doute notre ultime tentative de discussion. Il se peut que nous échouions et que Nestlé refuse de dire aux Français ce qui s'est passé dans ses usines pendant des années. Mais, à mon avis, ce ne serait pas une bonne idée.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Le Fanic, avant de poursuivre cette audition, je dois m'assurer d'un élément : avez-vous l'intention de répondre aux questions que nous allons vous poser ?

M. Ronan Le Fanic. - Oui, monsieur le président.

M. Laurent Burgoa, président. - Dont acte.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon une note du cabinet du ministère de la santé du 30 novembre 2022, des prélèvements du 16 novembre 2022 montraient une contamination par des matières fécales des forages Essar, l'un des quatre forages, me semble-t-il, de la ressource Hépar. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Quand cette contamination a-t-elle été connue ? Quelle en était la raison ?

M. Ronan Le Fanic. - Essar, qui faisait partie des six forages dans le mix Hépar, a été suspendu depuis, de même qu'un autre. Sur ces deux forages, nous n'arrivions pas à maintenir les caractéristiques essentielles d'une eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle caractéristique n'arriviez-vous pas à maintenir ? La pureté originelle ?

M. Ronan Le Fanic. - Les caractéristiques sont définies par la directive européenne ; elles sont soit physiques, soit microbiologiques. En l'occurrence, ce forage avait, de manière sporadique, des déviations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous être plus précis ?

M. Ronan Le Fanic. - Il s'agissait de déviations sporadiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lesquelles ?

M. Ronan Le Fanic. - C'était de nature clairement plus microbiologique que chimique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce problème de nature microbiologique, pouvez-vous le qualifier ?

M. Ronan Le Fanic. - Vous y avez fait référence lorsque vous avez évoqué les analyses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y avait des matières fécales ?

M. Ronan Le Fanic. - Non. Contrairement à ce qui s'écrit dans une certaine presse, il n'y a pas de matières fécales dans nos ouvrages. Ce qui est détecté, ce sont des « bactéries d'origine fécale » : c'est le terme juridique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette même note indique également que Nestlé prévoyait de suspendre l'exploitation de deux captages sur trois de la source Contrex en raison de contaminations. Vous avez suspendu le 28 novembre 2022 l'exploitation des forages Contrex Thierry-Lorraine et Belle-Lorraine. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Ronan Le Fanic. - Sur le site des Vosges, nous avons suspendu en tout quatre forages : deux Hépar et deux Contrex.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour les mêmes raisons ?

M. Ronan Le Fanic. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous réussi à identifier les causes de la dégradation de ces eaux minérales naturelles, qui ont la propriété d'être souterraines, dans un environnement réputé protégé ? Une exploitation trop intense ? D'autres facteurs liés à l'environnement ?

M. Ronan Le Fanic. - Ces forages ne sont pas dans des aquifères surexploités. Nous avons beaucoup d'experts, et nombre d'études ont été réalisées sur le sujet. Nous avons essayé pendant des mois d'améliorer la situation. Malheureusement, nous n'y sommes pas parvenus, et nous avons dû prendre la décision de suspendre les quatre ouvrages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne répondez pas à ma question sur les causes de la dégradation des eaux.

M. Ronan Le Fanic. - Nous n'avons pas réussi à mettre le doigt précis sur ces causes. Il s'agit de systèmes géologiques complexes. Nous avons essayé d'améliorer la situation. En vain.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La commission a également eu connaissance de l'arrêt de deux des quatre forages Hépar. Toutefois, si j'ai bien compris, l'un a été arrêté avant l'autre.

M. Ronan Le Fanic. - Non. Les deux ont été arrêtés simultanément le 5 mai 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette décision vous a été imposée par l'administration centrale, Matignon et le cabinet de l'industrie, le 16 février 2023. Votre direction a indiqué que l'arrêt de ces forages diminuerait des deux tiers la production d'Hépar. Une solution aurait consisté à requalifier Hépar comme eau rendue potable par traitement, mais c'est impossible, car cette eau contient trop de sulfates.

Votre direction préconisait donc de continuer à utiliser ces forages avec une microfiltration à 0,2 micron. Selon votre analyse d'alors, cette microfiltration était-elle suffisante pour éviter la contamination de l'eau d'Hépar par des bactéries pathogènes ?

M. Ronan Le Fanic. - En tant que directeur d'usine, je n'ai jamais eu accès aux documents de synthèse au niveau ministériel. Le plan de transformation qui a été présenté visait à faire toute la transparence sur la situation à Hépar avec les autorités nationales, puis, rapidement, départementales. Comme vous le savez, nous avons été couverts par la mission de l'Igas au mois d'avril 2022. Nous avions pour objectif d'accélérer les mesures de protection, afin d'essayer de sauver ces forages stratégiques pour le site. Nous n'y sommes pas parvenus, et nous avons décidé de les suspendre. Pour nous, cette suspension est une décision de Nestlé Waters.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne considérez pas que la décision vous a été imposée ?

M. Ronan Le Fanic. - Je n'ai jamais eu vent des documents que Mme Brotons a évoqués, je crois, la semaine dernière.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais, à un moment, la microfiltration à 0,2 micron a été envisagée comme une solution pour maintenir les forages ouverts ?

M. Ronan Le Fanic. - Pendant la période de transition, nous avons fonctionné sous un contrôle qualité renforcée avec les ARS, qui effectuaient leurs contrôles en plus de nos contrôles internes. Nous avions déjà retiré les autres traitements non conformes, dont les ultraviolets (UV). Nous avions donc le process actuel et uniquement de la microfiltration sur Hépar, qui ne nécessite aucun autre traitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est souvent argué devant cette commission - c'est d'ailleurs un peu contradictoire avec ce que vous venez d'indiquer - que la microfiltration à 0,2 micron ne présente pas de caractéristiques désinfectantes. Or vous venez de dire qu'elle était perçue comme un moyen de poursuivre l'exploitation.

M. Ronan Le Fanic. - Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Sur le process Hépar, ai-je dit, il n'y a que la microfiltration pour le mix à six forages. Nous avons décidé, après discussion avec les autorités et sous leur contrôle, de retirer les UV, qui ne couvraient que deux des six forages, les deux qui ont fini par être suspendus. Le reste de l'installation, sous le contrôle des autorités et le contrôle qualité renforcée, a été maintenu et nous a permis de continuer l'exploitation au départ.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui ressort de la documentation, c'est que vous avez dit aux autorités centrales et locales qu'avec la microfiltration à 0,2 micron l'exploitation pouvait se poursuivre.

M. Ronan Le Fanic. - De toute manière, le protocole qualité a été discuté avec les autorités. Nous n'avons rien fait sans leur accord.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans une note du 8 décembre 2022, Mme Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est, écrivait : « Dans l'hypothèse où l'eau serait contaminée, la substitution des UV par des filtres à 0,2 micron ne traiterait qu'une partie des micro-organismes potentiellement pathogènes ; les virus passent la barrière des filtres. Le contrôle sanitaire rendu inopérant, car ne détectant plus les bactéries indicatrices d'une contamination fécale et son cortège de micro-organismes pathogènes, ne permettrait plus d'évaluer les risques sanitaires pour le consommateur. Il faudrait alors imposer un suivi au-delà des paramètres réglementaires classiques avec l'appui scientifique de l'Anses pour détecter de telles pratiques. » Reprenez-vous cette analyse à votre compte ?

M. Ronan Le Fanic. - Le sujet a été parfaitement discuté dans le cadre des protocoles qualité renforcés. Évidemment, pour l'ARS, les virus passeraient à un filtre 0,2. Encore faut-il qu'il y ait des virus. L'ARS a exécuté le protocole présenté dans le rapport et la note d'appui de l'Anses. Nous n'avons trouvé aucun virus. La directrice de l'ARS Grand Est vous l'a indiqué lors de son audition.

De notre côté, nous avons également énormément de contrôles sur les analyses virales. Nous disposons d'un laboratoire accrédité qui procède à ces analyses depuis quasiment dix ans. Sur plus de 6 000 analyses, qui concernent les Vosges et Vergèze - il y en a eu un peu plus de 3 200 sur chaque site, y compris sur les forages que nous avons suspendus depuis -, nous n'avons jamais trouvé de virus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les analyses incluaient-elles à chaque fois le virologique ?

M. Ronan Le Fanic. - Pas systématiquement. Ainsi que Mme Liénau vous l'a indiqué, nous effectuons environ 1 500 analyses par jour entre les deux usines. Il n'y a pas d'analyse virologique systématique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certifiez-vous donc qu'à Vergèze comme dans les Vosges il n'y a jamais eu de virus dans l'eau ?

M. Ronan Le Fanic. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'était important de le préciser.

Dans un deuxième temps, mes questions porteront sur le recours à la microfiltration à 0,2 micron et je souhaiterais que vous y répondiez en tant que responsable du centre technique de Nestlé Waters.

À de multiples reprises, des représentants de Nestlé nous ont dit - et vous nous avez dit la même chose lors de notre déplacement sur le site de Vergèze - avoir transmis à la direction générale de la santé (DGS) et à l'Anses un dossier substantiel d'études visant à démontrer la pertinence de la microfiltration à 0,2 micron et l'absence de modification du microbisme de l'eau. Pourriez-vous nous dire précisément ce que contient ce dossier et quelle est la nature des études qui y figurent ? Nous aimerions également savoir à qui et quand vous avez transmis ce document.

M. Ronan Le Fanic. - Nestlé Waters n'a jamais été en contact direct avec la DGS et l'Anses sur le sujet que vous évoquez. Nous avons simplement fait savoir, dans le cadre des discussions interministérielles auxquelles nous avons participé depuis août 2021, que, si l'Anses ou la DGS souhaitaient discuter du sujet de la microfiltration avec nos experts, nous serions disponibles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sous le contrôle du président Burgoa et d'un certain nombre de mes collègues qui étaient avec moi lors du déplacement sur le site de Vergèze, notamment Mme Guhl, je crois me rappeler que vous nous avez dit avoir transmis un dossier.

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons transmis ce dossier à nos autorités de tutelle, c'est-à-dire à l'ARS Grand Est et à l'ARS Occitanie ainsi qu'à l'Igas. Nous leur avons fait parvenir dès le mois de mai 2022 un dossier technique justifiant que la microfiltration à 0,2 micron n'était pas une désinfection et était conforme à la réglementation actuelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous dire précisément à quel moment vous avez envoyé ce dossier ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons envoyé à l'Igas, le 4 mai 2022, notre dossier technique sur la microfiltration. De plus, nous avons fait figurer un chapitre sur la microfiltration et sa justification dans les dossiers que nous avons dû soumettre pour la mise à jour de nos arrêtés, qui sont encore en instruction dans les deux départements concernés. Le dossier concernant le site de Vergèze faisait ainsi 829 pages.

En plus de ces dossiers, nous avons dû, en avril 2024, produire une note complémentaire pour répondre aux questions de l'ARS Occitanie et du préfet du Gard. Nous leur avons donc renvoyé un document de 60 pages. Puis, en octobre 2024, à la suite de l'inspection menée par l'ARS et la direction départementale de la protection des populations (DDPP) sur le site de Vergèze, nous avons renvoyé 50 à 60 pages de notes complémentaires et de données très précises pour appuyer notre situation.

Enfin, comme vous le savez sans doute, nous avons renvoyé le 20 mars dernier, c'est-à-dire il y a une semaine, un nouveau dossier où figurent des données à la pointe sur la situation de Vergèze et où nous expliquons que la microfiltration à 0,2 micron n'est pas une désinfection et nous semble conforme à la réglementation en vigueur puisqu'elle ne modifie aucune caractéristique essentielle d'une eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a une question à laquelle je n'ai pas réussi à obtenir de réponse au cours des auditions précédentes. Les ARS sont des autorités de contrôle locales. Une procédure existe à l'échelle européenne, qui précise de manière très claire et très bornée que tout ce qui n'est pas autorisé est interdit et que, pour lever une interdiction, il faut formuler une demande auprès de la Commission européenne, laquelle fera procéder à son examen au niveau de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Bref, il existe tout un circuit pour obtenir la validation de traitement. Les auditions d'hier nous ont permis de prendre la mesure des actions de lobbying que vous menez, en multipliant notamment les sollicitations auprès des pouvoirs publics.

Or à aucun moment vous n'avez suivi la procédure ordinaire qui consiste à aller présenter votre dossier devant la Commission européenne et à attendre ensuite que l'on vous délivre une autorisation, puis à appliquer le droit. Pourquoi ne pas avoir suivi cette voie ?

M. Ronan Le Fanic. - Je vous remercie de me poser cette question, que vous aviez en effet déjà posée lors de l'audition d'hier. Il faut bien distinguer les choses. On ne peut pas considérer que, lorsque les dirigeants de sites industriels en France contactent leur autorité de tutelle, c'est-à-dire l'ARS, ils font du lobbying. Ils ne font que suivre le cadre réglementaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Ronan Le Fanic. - En outre, l'autorisation qui est mentionnée dans la directive européenne correspond à des cas précis. Vous avez d'ailleurs dit, à juste titre, que ces cas étaient bornés. Notre demande sur la microfiltration, quelle que soit la taille du filtre envisagé - il en existe de tout type dans les usines d'eau minérale, à 0,2 ou à 0,8 micron, à 1 micron, à 1,2 micron, à 5 ou à 10 microns -, n'entre pas dans ces cas de figure.

Pour vous donner un exemple, l'autorisation vaudrait dans le cas où un vendeur de traitement d'eau proposerait une solution magique pour retirer le fer et le manganèse présents dans l'eau, sans recourir à l'oxydation ou au retrait tel qu'on le fait aujourd'hui en utilisant des filtres médias. Pour que les autorités nationales puissent valider ce nouveau traitement du fer ou du manganèse, il faudrait en effet que le vendeur obtienne d'abord un tampon de l'Efsa.

Encore une fois, la validation européenne ne s'applique que dans des cas très spécifiques, qui ne correspondent pas au nôtre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ainsi que nous lisons la directive. Pouvez-vous nous préciser les éléments qui vous permettent de dire cela ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous vous les ferons parvenir de manière détaillée. Mais si la lecture que vous faites de la directive était correcte, cela voudrait dire que les dix-sept marques d'eau minérale embouteillée dont les arrêtés prévoient une microfiltration inférieure à 0,8 micron auraient toutes sollicité l'Efsa ! Nous avons vu, en effet, que les arrêtés de plusieurs marques d'eau minérale embouteillée prévoyaient une microfiltration à 0,2 micron ; or à ma connaissance, l'Efsa n'a jamais rendu d'avis sur ce sujet.

Il est également important de rappeler qu'il ne revient pas aux embouteilleurs de saisir la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne ou de saisir l'Efsa. Cette dernière reçoit des demandes d'avis scientifiques qui émanent principalement de la Commission européenne, mais aussi du Parlement européen ou des États membres. Je ne l'invente pas, c'est écrit sur leur site internet.

Par conséquent, nous nous inscrivons strictement dans le suivi de la réglementation française sur l'eau minérale. Ce sont les ARS qui doivent se prononcer sur les microfiltrations, qu'elles soient à 0,2, à 0,8 ou à 1 micron, ou bien à 3, à 5 ou à 10 microns. Il s'agit d'un procédé référencé et connu de l'Efsa, et il n'y a aucune raison de solliciter les autorités sanitaires européennes sur un sujet qui n'a rien à voir avec le risque sanitaire.

Je tenais à ce que cela soit clair, parce que c'est ainsi que l'on procède dans la vraie vie.

M. Laurent Burgoa, président. - Mais les ARS n'ont pas le pouvoir de fixer des normes.

M. Ronan Le Fanic. - Je ne parle pas de normes.

M. Laurent Burgoa, président. - Jusqu'à présent, les questions que vous a posées M. le rapporteur sur la microfiltration portaient bien sur des normes, puisqu'il s'agissait de savoir si celle-ci devait se faire à 0,2, à 0,8 ou à 0,4 micron. Les conséquences varient selon la taille de la microfiltration utilisée.

Pour en revenir à l'audition d'hier, il est tout à fait normal que, dans un groupe comme le vôtre, une personne soit chargée de faire du lobbying au niveau national ou international. Toutefois, comment se fait-il que vous ne soyez pas allés frapper à la porte de vos interlocuteurs au ministère de la santé pour faire changer la norme ? En effet, cela ne dépend pas des ARS, que ce soit celle du Grand Est, d'Occitanie, de Bretagne ou de Rhône-Alpes, car elles n'en ont pas le pouvoir. Cela doit se faire au niveau national et au niveau central, au moins au niveau ministériel. Vous connaissez bien les rouages : pourquoi donc ne vous êtes-vous pas adressés au ministre ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous n'avons jamais envisagé de faire changer les normes, qu'elles soient françaises ou européennes. Le dossier que nous avons soumis à plusieurs reprises aux autorités locales qui sont notre point d'entrée - je précise bien qu'il ne s'agit ni de la DGS ni de l'Anses - prouve que ce que nous faisons aujourd'hui sous le contrôle des autorités est conforme au cadre réglementaire français et européen en vigueur.

Nous n'avons donc jamais eu l'intention de faire changer la réglementation sur l'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre réponse me surprend au moins pour deux raisons.

Tout d'abord, M. Bouvier nous a expliqué très clairement, hier, qu'il avait été embauché pour traiter la question de la réglementation au niveau européen et que, s'il y a eu trente-six sollicitations et entre dix à vingt rencontres avec les pouvoirs publics, c'était précisément dans l'objectif de changer la réglementation.

Ensuite, l'audit de la Commission européenne a permis de conclure - peut-être trouvez-vous ces conclusions trop définitives - qu'une microfiltration à 0,2 micron entraînait une modification du microbisme de l'eau, de sorte qu'il ne s'agit plus d'une eau minérale naturelle.

Enfin, l'enquête que l'ARS a menée sur le site de Perrier a abouti à dire qu'il n'était pas certain que l'on puisse continuer à commercialiser comme une eau minérale naturelle celle qui est produite sur ce site. Il y a donc bien eu une volonté de changer la réglementation jusqu'à obtenir ce bleu qui justement était une évolution pour...

M. Ronan Le Fanic. - Il ne s'agit pas d'une évolution que Nestlé Waters demande.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si, puisque le groupe a embauché un cabinet de lobbying pour obtenir cette disposition.

M. Ronan Le Fanic. - Je pense que M. Bouvier a dû vous expliquer qu'il avait été embauché pour essayer de traiter ces sujets au niveau national.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait.

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons deux grosses usines qui sont concernées par ces sujets et nous savons qu'il est important d'avoir une cohérence à l'échelle tant nationale que locale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes donc d'accord sur le fait qu'il y a une activité...

M. Ronan Le Fanic. - Non, nous ne demandons aucun changement de loi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais ne jouons pas sur les mots : il s'agit non pas de la loi, mais du cadre applicable, c'est-à-dire de la réglementation et des directives potentielles de la direction générale de la santé. Or je le redis, un audit de la Commission européenne s'est prononcé contre la microfiltration à 0,2 micron.

M. Ronan Le Fanic. - Il s'agit d'un audit des autorités françaises par la Commission européenne et non pas d'un audit portant sur les pratiques dans nos usines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, mais êtes-vous d'accord pour reconnaître que cet audit conclut que la réglementation à 0,2 micron...

M. Ronan Le Fanic. - Les données n'étaient que partielles. Nous n'avons jamais échangé avec ceux qui ont mené cet audit. Ceux qui sont venus à l'usine des Vosges, ce sont les représentants de l'ARS que visait l'audit de la Commission européenne. Encore une fois ce n'est pas l'usine qui était visée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien, mais vous pouvez entendre que les autorités chargées de la réglementation, que ce soit l'Anses dans ses avis, la Commission européenne dans ses audits ou bien la direction générale de la santé, se sont prononcées contre la microfiltration à 0,2 micron. Vous nous avez montré des filtres et il a été très intéressant pour nous de pouvoir les voir de près et les palper, mais bien évidemment nous nous en remettons à ce que disent les autorités réglementaires.

Par ailleurs, vous nous avez dit que vous aviez fait le choix de cette microfiltration pour des raisons de process et de monopole sur un ensemble de produits. Mais vous n'avez pas hésité à engager des dizaines de millions d'euros alors même que vous saviez qu'il y avait un problème de nature réglementaire ! J'en veux pour preuve que vous avez embauché un lobbyiste pour traiter le sujet. Cela me trouble, pour ne pas dire que cela me fascine.

Vous utilisez des filtres illégaux, alors que ces éléments sont totalement bornés par la réglementation et contestés par l'Anses ainsi que par l'audit de la Commission européenne. Comment expliquez-vous ce choix de la solution la plus compliquée possible ? Nous nous posons forcément la question de la qualité de la ressource à l'origine, autrement dit de sa pureté originelle. Nous avons compris qu'il y avait eu un problème sur ce point dans plusieurs forages sur le site des Vosges. L'un de vos directeurs de site, M. Philippe Fehrenbach, a également évoqué dans le cadre de son audition la vétusté des installations et des forages eux-mêmes. Est-ce donc cela qui nécessite une microfiltration à 0,2 micron plutôt qu'une microfiltration standard à 0,8 micron ? Comment donc justifiez-vous ce choix ?

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai déjà dit dans mon propos liminaire, la réglementation ne fixe aucun seuil autorisé ou interdit de microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En tout cas, l'avis de l'Anses sécurise une microfiltration à 0,8 micron. Vous auriez été tranquilles et il n'y aurait pas eu de risque réglementaire.

M. Ronan Le Fanic. - L'avis de l'Anses présente la filtration par membrane céramique comme un traitement pour retirer le fer et le manganèse. Il ne s'agit pas d'une filtration à 0,8...

M. Laurent Burgoa, président. - Nous n'allons pas débattre pendant des heures sur la taille à 0,8, à 0,2 ou à 0,4 micron ! Toutefois, la microfiltration à 0,8 micron ne semble pas poser de problème à vos collègues qui travaillent dans d'autres groupes industriels. Comment l'expliquez-vous ? Les représentants de la Maison des eaux minérales naturelles nous ont dit qu'ils considéraient que la norme en matière de microfiltration était à 0,8 micron. Pourquoi donc faire différemment ? C'est une qualité de savoir être seul, mais pourquoi Nestlé Waters est-il le seul industriel à refuser cette norme ?

M. Ronan Le Fanic. - Il est important de comprendre que, si certains de nos compétiteurs considèrent qu'une microfiltration par membrane céramique à 0,8 micron est satisfaisante, c'est parce que le cadre réglementaire est à vocation finaliste. En effet, quel est l'impact sur l'eau d'une filtration céramique à 0,8 micron par rapport à une filtration cartouche à 0,2 micron, les deux faisant la même taille ? Certes, un industriel peut être très satisfait d'une filtration céramique à 0,8 micron et considérer que cela fonctionne très bien. De fait, il a été prouvé - les autorités ont les données - que, du point de vue du design, les deux types de filtration sont équivalents.

Je n'ai aucun problème à expliciter une fois de plus ce point fondamental : nous sommes en train de juger des sujets très techniques en faisant référence à des dénominations commerciales. Une membrane céramique permet une filtration à 0,8 micron, ce qui correspond à la taille des plus gros trous dans notre membrane, mais nos compétiteurs font la comparaison avec la taille du trou moyen parce que c'est cela qui compte. Par conséquent, une partie de la profession peut continuer à dire qu'elle apprécie le 0,8 céramique, mais nous disposons des données qui prouvent qu'il est possible de filtrer beaucoup mieux qu'avec un 0,8 céramique.

De plus, le 0,8 céramique a été validé par l'Afssa dès 2001. Comme je le disais, cela revient en quelque sorte à valider le fait que le 0,2 cartouche - puisque, en réalité, c'est la même chose - est conforme à la réglementation française et européenne. Aucun texte de loi en Europe ou en France n'interdit une taille de filtration, mais il faut démontrer sa justification. Nous l'avons fait depuis 2022 et nous continuons de le faire parce que notre dossier est solide.

Comme je l'ai déjà dit, si, au travers de cette commission, nous aboutissons à ce que l'Anses accepte de rencontrer les acteurs du secteur qui gèrent ces sujets au quotidien et qui ont l'expertise nécessaire pour différencier les deux cartouches que je vous ai présentées, nous n'aurons pas perdu notre temps. Nous le souhaitons et nous considérons que c'est nécessaire. Les échanges que nous avons avec les ARS au niveau local laissent à penser que, d'une certaine manière, c'est aussi cela qu'elles attendent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aurais plutôt envie de dire : « Que de temps perdu ! » Vous avez le numéro de téléphone de l'Anses et rien ne vous empêchait de lui écrire depuis trois ans que le sujet est sur la table.

M. Ronan Le Fanic. - Il n'est pas simple pour un industriel de contacter directement l'Anses. M. Jérôme Salomon, ancien directeur de la DGS, a dit devant cette commission qu'il y avait des murs hermétiques entre la DGS et le secteur privé, et il en était assez fier. Si vous nous permettez de rendre un peu plus poreux ces murs hermétiques, nous serons d'accord et nous participerons à ces réunions techniques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce que je retiens, c'est que vous nous aviez dit l'avoir fait lorsque nous sommes venus à Vergèze, mais que ce n'est pas le cas.

M. Ronan Le Fanic. - Nous l'avons proposé au cabinet ministériel et je précise que je n'étais pas présent lors de ces réunions au niveau national. Nous n'avons fait que le proposer, mais nous n'avons jamais reçu de coup de fil en retour pour indiquer que nos interlocuteurs étaient d'accord.

M. Laurent Burgoa, président. - N'aurait-il pas été opportun de faire un courrier officiel à l'Anses ?

M. Ronan Le Fanic. - La seule fois où nous avons fait un courrier au directeur de la DGS pour lui demander de saisir l'Anses, en début d'année, cela s'est soldé par une fin de non-recevoir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je crois avoir bien compris la situation sur le site des Vosges : des forages ont été fermés et il y avait des problèmes de pureté originelle.

M. Ronan Le Fanic. - Il y avait des déviations sporadiques...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... qui ont conduit à la fermeture de quatre forages.

M. Ronan Le Fanic. - À leur suspension.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À leur suspension sine die.

Les directeurs de site de Nestlé Waters ont avancé l'argument du biofilm pour justifier le recours au filtrage à 0,2 micron. Vos concurrents disent que, chez eux, il n'y a pas de biofilm qui se forme parce qu'ils nettoient leurs tuyaux. Or, à Vergèze, vos collègues nous ont dit qu'ils utilisaient des longueurs de tuyaux particulières. Nous nous sommes donc rendus en Haute-Savoie sur les sites de certains de vos concurrents qui utilisent des longueurs de tuyaux analogues aux vôtres : ils nous ont répété qu'il suffisait de nettoyer les tuyaux pour éviter la formation de biofilm.

Par conséquent la microfiltration à 0,2 micron permettrait-elle de décaler le nettoyage des tuyaux pour le faire moins souvent que vos concurrents ? En effet, pour nettoyer les tuyaux, il faut arrêter la file de production. Je m'interroge sur ce point, car vos concurrents n'évoquent jamais la question du biofilm ; or vous le faites pour justifier la microfiltration à 0,2 micron.

M. Ronan Le Fanic. - Je vous remercie de cette question, qui porte sur un sujet très important pour l'industrie. Il est d'ailleurs au coeur de nos activités quotidiennes dans le site des Vosges et dans celui de Vergèze.

Comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire, la qualité et la microbiologie d'une eau sont propres à chaque source, de sorte qu'elles sont toutes différentes. Nous en gérons énormément et elles sont toutes différentes, et elles peuvent aussi l'être au sein du même aquifère. Il faut donc bien comprendre que le sujet est à l'échelle locale.

Je ne commenterai pas la qualité d'eau brute des usines que vous avez visitées, car je ne la connais pas. En revanche, je connais très bien nos usines. Je les connais même suffisamment pour pouvoir, par forage et par qualité d'eau, vous donner une sorte de cartographie de la flore présente dans l'eau. Nous savons aussi, parce que nous avons ces capacités analytiques en interne, quelles bactéries sont plus susceptibles de générer du biofilm. En effet, en présence de certaines bactéries, il y aura forcément du biofilm, alors que, pour d'autres, cela ne changera pas grand-chose. Nous avons, dans nos deux usines, des bactéries que des scientifiques et des universitaires, dont je précise qu'ils ne sont pas employés par Nestlé, qualifient comme étant génératrices de biofilm.

L'enjeu est donc bien réel pour nous et le sujet n'est aucunement lié à l'obsolescence des installations. Nous passons notre temps à nettoyer les tuyaux, les cuves et les lignes de production. Mais nous savons que, dans nos eaux, il y a cette flore naturelle qui est susceptible de générer du biofilm. Voilà pourquoi nous travaillons en continu sur cette problématique dans nos usines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de ces précisions, qui sont intéressantes pour nous. Je note toutefois, au sujet de l'obsolescence des installations, que le retrait des traitements illégaux a conduit à un plan de transformation massif, lequel a nécessité 50 millions d'euros d'investissement.

M. Ronan Le Fanic. - Vous parlez du site de Vergèze.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui.

M. Ronan Le Fanic. - Ce n'est pas le retrait des traitements non conformes qui a nécessité 50 millions d'euros. Compte tenu des volumes en jeu et de la séparation complète depuis le forage jusqu'à la ligne de production, toutes les tuyauteries intermédiaires et toutes les cuves étaient concernées, comme vous avez pu les voir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le retrait des traitements non conformes a donc bien nécessité des investissements.

M. Ronan Le Fanic. - Non, c'est la séparation des flux physiques pour permettre d'embouteiller, sur le site de Vergèze, l'eau de Maison Perrier en tant qu'eau de boisson et l'eau Perrier en tant qu'eau minérale qui a coûté 50 millions d'euros.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et la nécessité de faire cela venait de l'absence de stabilité sur les forages de Maison Perrier et, donc, de la perte de la pureté originelle de la ressource sur ces forages. Pouvez-vous nous le confirmer ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons dû, parce que cela faisait partie de notre stratégie, dédier deux forages du site de Vergèze à la production de boissons. Nous avons donc passé l'année 2023, plus précisément de juillet à décembre, à monter un dossier d'instruction pour que la ressource issue de ces deux forages puisse être qualifiée en tant qu'eau de consommation humaine. Nous avons bien évidemment reçu pour cela l'appui d'organismes hydro-agréés et de l'ARS ; il a fallu quasiment six mois pour exécuter cette transformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Trois hydrogéologues ont été missionnés sur le site de Vergèze pour vérifier que la pureté originelle de l'eau est toujours au rendez-vous dans un certain nombre de puits et pour établir ce qui n'est plus de l'eau minérale naturelle et ce qui l'est encore. Avez-vous eu le premier rapport de ces hydrogéologues et avez-vous eu l'occasion de réagir face à leurs conclusions ?

M. Ronan Le Fanic. - Non. Deux hydrogéologues ont été réquisitionnés à la fin du mois d'août par le préfet du Gard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour l'instant, vous n'avez rien vu de leur rapport ?

M. Ronan Le Fanic. - Pour l'instant, nous n'avons rien vu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il eu, entre janvier et mars, c'est-à-dire aujourd'hui, des incidents d'exploitation sur le site de Vergèze dans le Gard ?

M. Ronan Le Fanic. - Qu'entendez-vous par « incidents d'exploitation » ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Admettons que c'est une terminologie assez générale pour désigner des problèmes sur la production, notamment des arrêts liés à des contaminations ou à des difficultés sur la ligne de production.

M. Ronan Le Fanic. - Il n'y a rien eu qui sortait de la routine. Nous n'avons pas subi d'épisode cévenol cette année et j'espère qu'il n'y en aura pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a donc pas de problème sur les lignes de production à Vergèze ? Vous pouvez le certifier sous serment ?

M. Ronan Le Fanic. - Oui, pour l'instant, l'activité est routinière.

Mme Antoinette Guhl. - Lorsqu'un représentant de Nestlé parle de « déviation sporadique », cela signifie qu'il y a une pollution ponctuelle. C'est une précision importante, pour que ceux qui nous écoutent comprennent bien de quoi il s'agit : une déviation sporadique, c'est une pollution ponctuelle.

Vous avez dit que, derrière cette affaire Nestlé, il y avait des salariés. Je vous répondrai que ce n'est pas rendre service aux salariés que de tricher et contourner la réglementation pendant plus de vingt ans, en les obligeant à se retrouver en dehors des clous de la réglementation !

Derrière cette affaire Nestlé, il y a aussi les consommateurs, qui vous ont fait confiance pendant vingt à vingt-cinq ans, en croyant acheter de l'eau minérale naturelle qu'ils considéraient même comme haut de gamme.

Derrière cette fraude, il y a aussi les agents de l'État, que vous méprisez. Certains d'entre eux sont venus contrôler vos installations sur lesquelles il y avait des tricheries. Vous les avez dupés pendant vingt-cinq ans. Or il doit être difficile quand on est contrôleur pour l'État de se rendre compte que, pendant vingt ans, l'on n'a pas vu cette fraude. Je crois que, en tant qu'institution de l'État, il est bon que nous puissions dire à ces contrôleurs qu'ils font bien leur travail et que c'est parce que la fraude était très bien orchestrée qu'ils ne l'ont pas vue.

Je vois bien que vous essayez de nous entraîner dans un débat technique sur le 0,2, le 0,6 ou le 0,8 micron. Mais la fraude a duré plus de vingt ans et ce qui m'intéresse, c'est de comprendre comment vous avez pu pendant si longtemps vendre de l'eau minérale naturelle pour laquelle vous avez utilisé des traitements dont vous saviez qu'ils étaient interdits - et je parle non pas du 0,2 micron, mais des traitements au charbon actif et des traitements UV.

Monsieur Le Fanic, en tant que responsable d'exploitation, vous saviez que ces traitements ne devaient pas être utilisés. Comment est-il possible que cela ait duré aussi longtemps ? Il ne s'agit pas d'une déviation sporadique ou d'une pollution ponctuelle ; il s'agit sans doute d'une pollution permanente, puisque ces filtres étaient permanents. Est-ce que je me trompe ?

M. Ronan Le Fanic. - Je n'utiliserai pas de qualificatif juridique, car je ne suis pas juriste. Je vous laisse donc la qualification des faits telle que vous l'énoncez.

Les faits qui relèvent du passé, comme je l'ai déjà dit, font l'objet d'une enquête en cours par la justice. Je ne peux donc répondre à aucune question commençant par quand, qui, pourquoi ou comment.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous le savez ?

M. Ronan Le Fanic. - Je ne peux pas répondre.

Mme Antoinette Guhl. - Pourtant, les faits qui concernent le site des Vosges ont déjà été jugés et c'est là que vous exerciez vos fonctions.

M. Ronan Le Fanic. - Je n'ai été directeur que du site des Vosges, en effet.

Mme Antoinette Guhl. - Le terme de « fraude » est qualifié par la justice, dans le cadre d'une convention que Nestlé Waters a signée. Le groupe a d'ailleurs dû payer 2 millions d'euros en conséquence de cette fraude.

M. Ronan Le Fanic. - C'est exact. Nous avons signé une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) qui portait sur le site des Vosges.

Mme Antoinette Guhl. - Il y a donc bien eu une fraude.

Depuis 2010, vous êtes responsable de la ressource eau.

M. Ronan Le Fanic. - J'ai exercé plusieurs métiers entre-temps.

Mme Antoinette Guhl. - Dont celui-ci. Il a donc été dans votre responsabilité d'analyser la ressource en eau, n'est-ce pas ?

M. Ronan Le Fanic. - Il l'a été.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez donc déjà été entendu dans le cadre de l'affaire qui concernait le site des Vosges et vous ne serez pas réentendu, puisque l'enquête judiciaire en cours porte sur le site de Vergèze, où vous n'avez pas travaillé.

Par conséquent, vous devriez pouvoir nous dire si, en 2010, les sources Vittel, Hépar et Contrex, que vous couvriez en tant que responsable de la ressource en eau, ont subi des pollutions non pas sporadiques, mais bien permanentes puisque les filtres étaient permanents.

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai déjà dit, les filtres pouvaient être permanents, mais ils n'étaient pas sur des déviations permanentes. Il ne faut pas mélanger les deux.

Pour le reste, il s'agit de faits qui portent sur le passé et qui sont entre les mains de la justice. Je ne connais pas le contenu détaillé de la procédure judiciaire en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une même affaire ne peut pas être jugée deux fois.

M. Ronan Le Fanic. - Vous trouverez la réponse concernant tous les faits qui vous intéressent dans la CJIP qui est un document public.

Mme Antoinette Guhl. - Et vous avez lu ce document ?

M. Ronan Le Fanic. - Je l'ai lu, mais je ne l'ai pas signé.

Mme Antoinette Guhl. - Vous savez donc ce qui y figure.

M. Laurent Burgoa, président. - La CJIP a éteint l'action pénale, mais celle-ci pourrait être rouverte si Nestlé ne respectait pas les conditions qui sont posées dans ce document.

M. Ronan Le Fanic. - C'est en effet ainsi que fonctionne une CJIP.

M. Laurent Burgoa, président. - À ce jour, l'action pénale est éteinte, de sorte que nous pouvons considérer que les questions de ma collègue ne relèvent pas de la procédure judiciaire en cours.

M. Ronan Le Fanic. - Ces questions ne sont pas résolues, mais les discussions sont suspendues, le temps que nous réalisions le plan d'action qui est adossé à la CJIP.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce qui signifie qu'elles n'entrent pas dans le cadre judiciaire.

Mme Antoinette Guhl. - Puisque vous avez lu la CJIP, vous conviendrez avec moi qu'il s'agit bien d'une fraude qui a été réalisée par Nestlé, qui dure depuis plus de vingt ans et dont le montant est estimé, dans le site des Vosges - c'est la partie qui vous concerne -, à plus de 3 milliards d'euros. Tout cela est écrit dans la convention que Nestlé a signée.

M. Ronan Le Fanic. - Le montant de 3 milliards d'euros ne figure pas dans la convention.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez raison. Le chiffre est très sous-évalué à mon sens.

M. Ronan Le Fanic. - Nous contestons ce chiffrage, comme vous le savez.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez raison de le contester, car il ne porterait que sur trois ans.

M. Ronan Le Fanic. - Nous contestons ce chiffrage, car les hypothèses de calcul nous semblent parfaitement inadaptées. En tout état de cause, dans le cadre de la CJIP que vous mentionnez, le tribunal d'Épinal avait considéré que le montant de l'amende était parfaitement proportionné au regard de la cession des manquements - c'est-à-dire compte tenu du fait que nous avons arrêté les traitements non conformes -, de l'absence de risque sanitaire et du maintien de la qualité minérale de nos produits. Ce document est public et il s'agit d'un avis rendu par la justice et non pas par moi.

Mme Antoinette Guhl. - J'en reviens à la microfiltration à moins de 0,8 micron, un sujet que vous semblez apprécier. Savez-vous qu'il y a des eaux minérales pour lesquelles la filtration peut être à moins de 0,8 micron ? Cela figure d'ailleurs dans la réglementation des eaux minérales. Mais cela s'accompagne d'un certain nombre de conditions, notamment celle d'enlever les minéralités trop importantes. C'est, me semble-t-il, ce que vous faites à Vittel.

M. Ronan Le Fanic. - Que voulez-vous dire par « enlever les minéralités trop importantes » ?

Mme Antoinette Guhl. - Il s'agit d'enlever certaines particules spécifiques. Par exemple, pour certaines eaux, il faut une filtration à moins de 0,8 micron pour enlever des particules d'argile.

M. Ronan Le Fanic. - Il ne s'agit donc pas de minéraux.

Mme Antoinette Guhl. - Non, il s'agit de particules qui se retrouvent dans l'eau à l'issue de sa traversée minérale et c'est pour pouvoir les retirer que la microfiltration à moins de 0,8 micron est autorisée et non pas pour supprimer des bactéries ou pour résoudre d'autres problèmes susceptibles d'affecter la qualité de l'eau à la source.

M. Ronan Le Fanic. - Comme je le disais, la réglementation a un objectif de finalité. Ces procédés sont utilisés pour retirer principalement, comme vous le dites, des particules en suspension. Aujourd'hui, la science montre que la filtration ne devrait pas se faire à 0,8 micron, mais à 0,2 micron : la filtration préserve alors les caractéristiques essentielles, mais fait bien plus qu'enlever des particules de fer.

Mme Antoinette Guhl. - Est-ce que vous entrez dans le cadre des conditions que je viens d'énoncer ? Autrement dit, est-ce que c'est pour enlever un certain nombre de particules que vous voulez descendre à 0,2 micron ? Sinon pourquoi faites-vous ce choix ?

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai dit, nous voulons ainsi pouvoir gérer le biofilm de manière efficace. L'avis de l'Afssa est très clair, la céramique à 0,8 micron que nous vous avons montrée sert à retirer le fer et le manganèse, mais n'élimine pas le biofilm. Or des dossiers techniques justifient que la microfiltration que nous utilisons permet de gérer ce biofilm, qui fait en effet partie de particules relarguées. Voilà ce que nous essayons de mettre sous contrôle dans nos deux sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes un salarié de Nestlé Waters, mais vous êtes aussi un citoyen français et un consommateur. L'eau est un produit particulier, très important dans la vie de tous les jours. L'eau minérale est conseillée dans certains cas, notamment pour les enfants et les nourrissons.

Dans votre entreprise, aucune enquête interne n'a été diligentée et il n'y a eu aucune sanction. Aujourd'hui, vous refusez les uns et les autres de venir évoquer le sujet devant la représentation nationale et, comme l'a très justement dit Mme Guhl, même lorsque nous sommes sur des faits qui ont été jugés et que le risque pénal est écarté, l'exécution de la CJIP ne dépendant que de vous, vous refusez de répondre à nos questions.

Je vous demande donc ce que cela vous ferait en tant que citoyen français si vous étiez de l'autre côté. Comment considéreriez-vous une entreprise qui a fraudé pendant des années et des années ? Quel regard porteriez-vous sur la situation et que vous diriez-vous ?

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai déjà dit, la qualification de « fraude » vous appartient, car je ne suis pas juriste, même si je parle sous le contrôle de mon avocat. Ce n'est pas moi qui ai décidé de lancer, en parallèle de votre commission d'enquête, une procédure judiciaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma question s'adressait à vous en tant que citoyen français.

M. Ronan Le Fanic. - Je comprends que la situation soit compliquée. Je comprends que vous vous posiez les questions que vous vous posez. Mais il faut que vous essayiez aussi de comprendre que j'ai le droit de ne pas y répondre dans le contexte actuel.

M. Laurent Burgoa, président. - Je serai peut-être plus tempéré que M. le rapporteur. À la différence de ceux que nous avons entendus dans les auditions précédentes, vous avez répondu à un certain nombre de nos questions et je vous en remercie. Je considère qu'il n'y a pas eu d'obstruction. Je tiens donc à souligner que la situation s'améliore un peu, comme le bon vin qui se bonifie...

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. David Vivier, ancien directeur industriel chez Nestlé Waters

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. David Vivier.

Vous avez travaillé chez Nestlé Waters à partir de 2004 et vous en avez été directeur industriel à partir de 2011. Vous avec quitté Nestlé Waters en septembre 2023 pour travailler dans une autre branche du groupe.

Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. David Vivier prête serment.

Je vous rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal, dès lors qu'elle est dépourvue de finalité répressive, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui leur sont reconnus.

Vous avez l'occasion d'exposer le sujet qui nous occupe en toute transparence. Il vous revient de la saisir.

Enfin, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

En tant que directeur des opérations de Nestlé Waters, et à ce titre, le supérieur hiérarchique des responsables des sites de Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard, vous avez été en première ligne dans cette affaire dite « Nestlé ». Vous êtes sans doute l'un des meilleurs connaisseurs des usines Nestlé Waters. Du reste, les directeurs des deux sites vous ont cité comme étant celui qui leur avait appris l'existence de traitements interdits.

À quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Vous présenterez d'abord vos réflexions, puis il y aura un temps de questions-réponses avec notre rapporteur, suivi d'échanges avec les autres membres de la commission.

M. David Vivier, ancien directeur industriel chez Nestlé Waters. - Merci, Monsieur le président.

Je suis ingénieur de formation et travaille depuis près de 30 ans au sein du groupe Nestlé. J'ai occupé des fonctions de direction industrielle chez Nestlé Waters pour l'activité des eaux minérales naturelles jusqu'en octobre 2023. Actuellement, je suis directeur d'économie et de production Europe chez Cereal Partners Worldwide.

Concernant mon expérience dans l'industrie des eaux embouteillées, je souhaite d'abord attirer votre attention sur la manière dont Nestlé Waters s'est adaptée aux défis croissants liés au climat et à l'intensification des activités humaines. Ensuite, j'aborderai l'ampleur du plan de transformation engagé à partir de 2021 et les enjeux techniques associés. Enfin, j'apporterai un éclairage sur les spécificités industrielles de l'embouteillage d'eau minérale naturelle et les efforts pour gérer durablement cette ressource précieuse et complexe.

L'un des enjeux majeurs de la production d'eau minérale naturelle aujourd'hui est l'impact des aléas climatiques et de l'intensification des activités humaines sur nos ressources en eau. Dans ce contexte, mon rôle a été de piloter l'ingénierie pour améliorer les processus industriels, un travail de longue haleine. Cela s'est traduit par une modernisation constante des infrastructures, la mise en place de technologies de pointe et l'optimisation des processus de production pour une meilleure efficacité et gestion des ressources.

Cette modernisation, accompagnée de la formation de nos équipes et de l'intégration de nouvelles technologies, a permis d'améliorer nos outils de production et d'accroître la performance de nos sites. Concrètement, nous avons mis en service de nouveaux forages, installé des lignes d'embouteillage à haute cadence avec robotisation, et optimisé nos systèmes de consommation énergétique pour réduire notre empreinte carbone. À Vergèze, nous avons investi 50 millions d'euros dans un entrepôt entièrement automatisé, optimisant les volumes de stockage avec des transporteurs de palettes automatiques. Parallèlement, nous avons amélioré techniquement les systèmes de distribution d'eau et installé de nouvelles conduites. Cette démarche s'inscrit dans une stratégie plus large d'adaptation et de transformation de nos sites industriels pour répondre aux défis environnementaux et réglementaires.

Concernant le plan de transformation et les enjeux techniques, les investissements pour assurer la pérennité de nos sites ne sont pas récents. L'arrivée de Muriel Liénau à la tête de Nestlé Waters a marqué un tournant, accélérant particulièrement nos modernisations industrielles. Nous avons cherché à anticiper les évolutions technologiques et industrielles pour maintenir des sites à la pointe, tournés vers l'avenir.

Une telle transformation repose d'abord sur une phase de conception industrielle, suivie de la commande des équipements, puis de leur installation. Malgré les difficultés liées à la période covid-19 et à la généralisation du modèle de production à la demande, nous avons su avancer avec réactivité et efficacité pour concevoir et mettre en oeuvre ce plan en seulement trois ans. J'ai participé à sa mise en place en assurant notamment le lien avec les directeurs de site.

Les sites de production sont complexes et très différents les uns des autres. Le site des Vosges est unique, regroupant quatre eaux différentes : Hépar, Contrex, Vittel Grande Source et Vittel Bonne Source. Cette complexité a nécessité l'intégration des travaux d'ingénierie et de configuration dans un plan de production déjà complexe.

La transformation du site de Vergèze représentait également un défi. Nous avons dû revoir les plans de production pour faciliter l'installation des nouveaux équipements et d'un circuit de distribution entièrement automatisé.

Ma première mission était d'assurer la sécurité dans l'exécution du plan sur des chantiers lourds et à risque d'un point de vue industriel. J'étais également responsable d'évaluer la faisabilité des solutions proposées, tant sur le plan technique qu'industriel, et d'assurer leur intégration dans les plans de production. L'objectif était de garantir leur mise en place progressive sans perturber l'activité des sites.

Cette transformation industrielle d'envergure a nécessité une planification minutieuse à chaque étape, impliquant la reconfiguration des ressources en eau, la modernisation des infrastructures de production et l'intégration de nouvelles technologies. Chaque étape a exigé des études approfondies et des investissements ciblés, nous conduisant à redéfinir nos méthodes de production pour garantir la pérennité de nos activités sur le long terme.

Ce chantier a imposé des défis organisationnels majeurs. D'un point de vue managérial, je veillais à ce que nous disposions des équipes et des compétences nécessaires pour exécuter l'intégralité du plan de transformation. Sur le plan de la stratégie industrielle, je révisais les projets d'investissement et validais les montants nécessaires à leur mise en place. D'un point de vue opérationnel, je travaillais en étroite collaboration avec les équipes techniques pour évaluer et valider les investissements nécessaires, tout en m'assurant que le plan de contrôle qualité soit suivi par les équipes de production et de nettoyage. Sur le plan social, j'ai travaillé avec les équipes des sites pour maintenir un dialogue transparent avec les organisations syndicales, expliquant les impacts et les bénéfices futurs des chantiers en cours.

Concrètement, nous avons simplifié les circuits de distribution, amélioré l'environnement immédiat des forages, revu en profondeur les stations de traitement d'eau, et testé rigoureusement les boucles de nettoyage selon un protocole de qualification strict pour respecter notre cahier des charges qualité.

La mise en oeuvre du plan a nécessité un arbitrage rigoureux des priorités, une allocation renforcée des ressources et une mobilisation accrue des équipes industrielles et techniques pour pouvoir retirer le plus rapidement possible les traitements non conformes. Au-delà des considérations industrielles, il est crucial pour un embouteilleur d'avoir une compréhension fine des territoires sur lesquels repose la ressource. Préserver l'eau minérale, c'est aussi préserver les écosystèmes qui la rendent possible.

La gestion des ressources en eau et l'optimisation des pratiques de filtration ont été des aspects majeurs du plan de transformation. L'entretien et le nettoyage des forages sont des opérations techniques complexes qui s'inscrivent dans des cycles longs, nécessitant des précautions particulières pour éviter toute altération de la qualité de l'eau.

Nous avons conduit des études approfondies de notre écosystème, analysant le sol et le sous-sol pour élargir notre connaissance des aquifères que l'entreprise exploite. Nous avons mis en place des actions visant à préserver la biodiversité et à protéger les sols, comme la replantation d'arbres et la promotion d'une agriculture biologique.

Nestlé Waters a beaucoup investi ces dernières années pour protéger l'impluvium de Vergèze, malgré une structure hydrogéologique complexe. Cela s'est traduit par des actions renforcées de surveillance de la qualité de l'eau, des collaborations avec des experts en hydrogéologie et des partenariats avec des acteurs locaux.

J'espère avoir souligné l'ampleur du plan de transformation mis en oeuvre à partir de 2021. L'entreprise a fait des choix difficiles et ambitieux pour pérenniser ses infrastructures industrielles et garantir le futur de son activité, le tout sous le contrôle strict des autorités et en totale conformité avec leurs directives. La sécurité alimentaire a toujours été garantie, et l'entreprise n'a jamais transigé sur la qualité et la composition minérale de ses eaux.

Je tiens à remercier les équipes des sites et du siège pour leur engagement dans la mise en oeuvre et l'exécution de ce plan de transformation. Enfin, sur conseil de mon avocate, je souhaite indiquer que je ne serai pas en mesure de répondre aux questions visant à rechercher et à établir des responsabilités personnelles ou à qualifier une infraction, étant donné qu'une information judiciaire est actuellement conduite par un juge d'instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris concernant certains traitements d'eau utilisés par l'entreprise par le passé.

Lors de l'audition de Madame Liénau, vous avez rappelé les obligations légales de répondre à une convocation, de prêter serment, ainsi que les sanctions pénales prévues par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 en cas de manquement. Je souhaite préciser que ce même article 6 stipule qu'une commission d'enquête ne peut être créée sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires en cours. Si une commission existe déjà, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire sur les faits dont elle est chargée. L'obligation de répondre aux questions s'explique donc par l'interdiction faite aux commissions d'enquête d'examiner des faits sous instruction. Ces règles sont indissociables. Dans ce cadre, je répondrai aux questions ne relevant pas du champ de l'enquête pénale. Cependant, je ne pourrai pas m'exprimer sur l'utilisation passée des traitements ou sur tout autre point susceptible d'être couvert par l'instruction en cours.

M. Laurent Burgoa, président. - J'apprécie votre approche plus mesurée que celle de l'intervenant précédent qui jugeait notre analyse quelque peu simpliste.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ces propos préalables. Je rappelle que vous avez occupé le poste de directeur des opérations Nestlé Waters et qu'à ce titre, vous étiez le supérieur hiérarchique des responsables des sites de Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard. Pouvez-vous nous le confirmer ?

M. David Vivier. - Je le confirme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez intégré Nestlé en 2004 et occupé le poste de directeur industriel depuis 2011. Votre mission consistait à piloter le leadership de la stratégie de la division production et ingénierie, et à superviser l'exploitation de sept usines d'embouteillage. Pourriez-vous nous préciser les sites dont vous aviez la responsabilité ?

M. David Vivier. - Les sites étaient Vergèze, les Vosges, le site de Quézac en Lozère, ainsi que ceux de Plancoët, Saint-Lambert et Carola, qui ont été cédés. Nous avions également un site satellite, celui d'Étalle en Belgique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Parmi tous ces sites, seul Vergèze semble concerné par l'enquête judiciaire. Pouvez-vous nous dire si, à l'époque où vous dirigiez ces sites, les traitements illégaux pratiqués à Vergèze étaient également en vigueur sur les autres sites ?

M. David Vivier. - Je ne peux pas répondre en raison de l'enquête en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucune enquête ne concerne l'ensemble de ces sites.

M. David Vivier. - Je ne peux pas vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur quels fondements refusez-vous de répondre pour ces sites, puisqu'ils ne font pas l'objet de l'enquête ?

M. Laurent Burgoa, président. - Tout à l'heure, votre collègue Ronan Le Fanic a mentionné qu'il n'y a pas d'information judiciaire concernant le site des Vosges, puisqu'il existe une convention. La procédure pénale est suspendue tant que la convention est en vigueur. Les questions concernant ces sites devraient pouvoir obtenir des réponses.

M. David Vivier. - En réalité, je ne comprends pas le champ de l'enquête.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le champ d'enquête de notre commission concerne le secteur des eaux minérales naturelles.

M. David Vivier. - Je ne connais pas précisément le champ de l'enquête pénale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pensez que le champ d'enquête pénale porte sur ces sites ?

M. David Vivier. - C'est possible, je ne le sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque nous avons échangé avec les directeurs des sites de Vergèze et des Vosges, ils vous ont désigné comme la personne qui les avait informés de l'existence de ces traitements interdits dans leurs usines. Confirmez-vous ce point ?

M. David Vivier. - Je confirme les avoir informés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire qui vous en a informé ?

M. David Vivier. - Je ne peux pas vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne pouvez pas non plus me dire si les mêmes traitements illégaux étaient en place dans les sept usines sous votre direction ?

M. David Vivier. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'épuise à le répéter, mais l'enquête pour les Vosges est suspendue par l'existence de la CJIP. Qu'est-ce qui vous empêche de répondre concernant les Vosges ?

M. David Vivier. - Encore une fois, nous avons dit que nous ne parlerions pas du passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au début, vous refusiez de répondre sur ce qui relève de l'enquête pénale, et maintenant, sur le passé.

M. David Vivier. - Le passé est en lien avec l'enquête pénale.

M. Laurent Burgoa, président. - Je trouve que cette attitude engage l'image du groupe. La semaine dernière, nous avons reçu une directrice générale qui a indiqué ne rien savoir. Je respecte votre droit. Cependant, vous êtes écouté par des millions de Français. L'image que vous donnez du groupe n'est pas très valorisante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous disiez que l'un des aspects du plan de transformation était l'amélioration de l'environnement immédiat des forages. Pouvez-vous nous préciser ce que cela signifie ?

M. David Vivier. - Les forages sont protégés par de petits bâtiments conçus spécifiquement, et nous avons rénové certains instruments de mesure à l'intérieur pour surveiller des paramètres essentiels qui seront modifiés lors des transformations. Ces instruments comprennent des débitmètres, des manomètres de pression, des mesures de pH en continu, ou des mesures de conductivité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mentionné précédemment la question des boucles de nettoyage. Pouvez-vous nous expliquer les améliorations apportées ?

M. David Vivier. - Auparavant, nous n'avions pas de boucles partout et nos circuits de nettoyage étaient moins sophistiqués. Ces nouvelles boucles permettent une action de nettoyage plus efficace, et offrent également plus de flexibilité entre deux séquences de production.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur quel forage ces boucles de nettoyage étaient-elles ?

M. David Vivier. - Les boucles de nettoyage ne se font pas au niveau des forages, mais dans l'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y avait-il des lignes sans boucle de nettoyage auparavant ?

M. David Vivier. - Nous avions un atelier plutôt vétuste pour certaines lignes. Nous avons installé ces boucles de nettoyage sur l'ensemble des lignes d'embouteillage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous définir ce que vous entendez par « vétuste » ?

M. David Vivier. - La vétusté varie selon les installations, leur usage et le niveau de maintenance effectué. Nous savions que dans certaines parties de l'usine, il était nécessaire de remplacer toute la partie de distribution d'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant les forages, le directeur de l'usine de Vergèze nous a clairement indiqué que la vétusté de certains forages pouvait potentiellement être une source de contamination de la ressource. Partagez-vous cette analyse ?

M. David Vivier. - Exactement. Nous avons des forages d'âges variés, certains d'une vingtaine d'années, d'autres d'une dizaine. La vétusté dépend réellement de la manière dont on opère le forage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels forages étaient particulièrement vétustes et à risque ?

M. David Vivier. - En général, ce sont les forages les plus anciens qui présentent le plus de risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur le site de Vergèze, pouvez-vous préciser quels forages étaient concernés ?

M. David Vivier. - Dans le cadre du plan de transformation, nous avons travaillé, par exemple, sur les forages Romaine III et Romaine V.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, le problème de stabilité était-il dans l'eau elle-même ou dans le processus de remontée de l'eau ?

M. David Vivier. - En général, cela peut provenir soit du forage lui-même, soit de l'environnement proche du forage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant les difficultés rencontrées à Vergèze, vous avez déclassé un certain nombre de puits et fermé Romaine VIII ?

M. David Vivier. - J'ai participé à la mise en place des forages R6, R7 et R8, que je connais bien. Je pense que c'est le R8 qui a été suspendu.

M. Laurent Burgoa, président. - Je confirme que R8 a été suspendu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, était-il devenu impossible de continuer à produire de l'eau minérale naturelle à partir des forages Romaine III et Romaine V ?

M. David Vivier. - Nous avions des difficultés à maintenir les caractéristiques et les constituants essentiels de l'eau minérale. Nous rencontrions parfois des problèmes de charges bactériennes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et virales ?

M. David Vivier. - Concernant les virus, nous avons mis en place un plan virologique depuis 2015, en collaboration avec l'ARS. Nous avons réalisé environ 6 500 analyses, dont environ 3 000 pour le site de Vergèze. Nous n'avons jamais trouvé de virus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mentionné que le plan de transformation visait à préserver l'équilibre des écosystèmes. Qu'avez-vous mis en place concrètement ?

M. David Vivier. - Nous avons mis en place des activités de remédiation. Nous avons identifié certaines fragilités à proximité des forages et avons travaillé à les éliminer. Ce sont les éléments proches du forage qui peuvent faire varier la stabilité des constituants essentiels de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y avait-il déjà des filtres à 0,2 micron à l'époque des traitements illégaux ?

M. David Vivier. - Je ne m'en souviens pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon le rapport de l'Igas, « la microfiltration peut aussi être perçue comme une fausse sécurisation. La littérature scientifique indique que même un seuil à 0,2 micron ne peut pas être considéré comme un mécanisme de suppression totale de la flore, notamment virale. En clair, la mise en place de la microfiltration à 0,2 micron sur des eaux non conformes pourrait exposer le consommateur à un risque sanitaire en lien avec l'ingestion de virus qui ne seraient pas retenus par un filtre à 0,2 micron, voire de bactéries. » L'Anses, en décembre 2022 et décembre 2023, écarte également la microfiltration en dessous de 0,8 micron. La Directrice générale de l'ARS Grand Est, en novembre 2022, a aussi écarté ce seuil de microfiltration, déclarant : « Si la filtration à 0,2 micron n'enlève pas tous les micro-organismes, la flore microbienne est indéniablement fortement diminuée. Il s'agirait donc bien d'une désinfection, ce qui n'est pas autorisé. »

Aujourd'hui encore, Nestlé tente de démontrer que cette solution est la bonne, contrairement à l'avis de toutes les autorités de contrôle. Pourquoi cette insistance du groupe ? Que se passerait-il si nous supprimions les microfiltrations à 0,2 micron sur le site de Vergèze ? L'eau pourrait-elle encore être commercialisée ?

M. David Vivier. - Il est difficile de répondre à cette question. Nestlé Waters préconise un ensemble de mesures comprenant la microfiltration, mais aussi des cycles de nettoyage adaptés à nos différentes eaux, ainsi qu'un système de contrôle qualité avec des analyses. Notre expertise interne nous a conduits à considérer que cette approche tripartite permet un contrôle optimal de la qualité. Il serait complexe de raisonner en isolant un seul de ces éléments, car c'est leur synergie qui est efficace.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos concurrents affirment ne pas avoir besoin de microfiltration pour garantir la qualité de leur eau. Ils mettent en place un processus de nettoyage qui, certes, implique des arrêts de production, mais qui leur permet d'assurer la qualité originale de l'eau. Si le problème se limite au biofilm et aux tuyaux, un nettoyage régulier suffirait-il à garantir la qualité de l'eau sans recourir à la microfiltration ?

M. David Vivier. - En réalité, nous effectuons énormément de nettoyages sur nos sites. Permettez-moi d'expliquer les raisons qui vont au-delà de la microbiologie. Sur le site des Vosges, nous avons affaire à des eaux très chargées en minéraux. Nous passons beaucoup de temps à nettoyer, car les dépôts minéraux créent du calcaire, formant des structures irrégulières qui sont des pièges parfaits pour les bactéries. Chaque eau et chaque site hydrologique est unique. Nos nettoyages sont très fréquents. Nous avons des cycles de nettoyage déclenchés par des modèles mathématiques. Nous mesurons la teneur en bactéries dans nos tuyaux et déclenchons le nettoyage en fonction de seuils prédéfinis de charge microbienne. Le filtre à 0,2 micron est seulement l'un des éléments qui nous aident à piloter la qualité de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je comprends bien, ce filtre est intégré dans le modèle mathématique. Il permet probablement de retarder le déclenchement du nettoyage, puisqu'il joue un rôle dans la gestion hydrologique.

M. David Vivier. - Peut-être, mais je tiens à souligner que nous effectuons énormément de nettoyages, particulièrement sur le site des Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le coeur de la question concerne la notion de pureté originelle. Pendant des années, vous avez utilisé des traitements illégaux. La vraie question est de savoir si les traitements que vous mettez en place permettent de restaurer une pureté originelle défaillante. En d'autres termes, sommes-nous toujours en présence d'une eau minérale naturelle ? Je sais que des analyses de géologues indépendants sont en cours. Selon vous, à l'exception des forages Romaine III et V, l'ensemble du site des Vosges produit-il toujours de l'eau minérale naturelle ?

M. David Vivier. - Bien sûr.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous ne pouvons pas épuiser toutes les questions, mais il est positif de voir que les échanges évoluent. Monsieur Vivier, je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 40.

Jeudi 27 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Julien Didelot, directeur de la société Agrivair, chargée des mesures de protection des impluviums de Nestlé dans les Vosges

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Julien Didelot, spécialisé en science environnementale et technicien de la qualité de l'eau, qui est depuis 2020 le directeur de la société Agrivair, filiale de Nestlé Waters tournée vers la protection hydrominérale vosgienne.

Monsieur, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Julien Didelot prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous précise qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal. Dès lors, elle est dépourvue de finalité répressive. Il s'agit d'une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Il en résulte que, selon la loi, « la personne qui [...] refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

Si vous estimez que votre réponse est de nature à aller à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, donc que vous ne souhaitez pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de demander de procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission.

Enfin, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission.

Cette audition a pour objet de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillage d'eaux minérales et sur les pratiques des minéraliers. Nous abordons aujourd'hui la question des actions menées pour préserver les nappes d'eau minérale.

Créée au moment du rachat de la Société des eaux minérales de Vittel par Nestlé en 1992, Agrivair a pour but de protéger « la ressource hydrominérale vosgienne en encourageant l'application d'une politique zéro pesticide autour des sources de Vittel et Contrexéville pour garantir la qualité des eaux ».

Quels sont plus précisément les objectifs d'Agrivair ? Quels sont vos moyens ? Quelles actions menez-vous et avec quel impact concret ? Voilà les quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Je vous propose de faire une présentation liminaire de votre activité en une vingtaine de minutes. Ce temps sera suivi d'un échange de questions-réponses avec le rapporteur et les autres membres de la commission.

M. Julien Didelot, directeur de la société Agrivair. - Monsieur le président de la commission d'enquête, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je suis actuellement directeur d'Agrivair, une filiale de Nestlé Waters dont l'objectif est de promouvoir des pratiques agricoles respectueuses auprès du monde agricole afin de préserver l'environnement et la biodiversité sur le territoire de Vittel-Contrexéville. J'ai rejoint cette structure voilà douze ans, d'abord en tant que technicien agro-environnement en charge des actions agricoles et des relations avec les agriculteurs, avant de devenir directeur en avril 2020.

Agrivair fait partie de l'organisation de Nestlé Waters en tant que filiale de Nestlé Waters Vosges. Depuis trente-trois ans, cette structure mène une politique volontariste de protection préventive et concertée des sols afin de protéger la ressource en eau et de préserver la biodiversité en collaborant avec les acteurs locaux. Au cours des années 1980, l'impluvium était composé d'exploitations de plus en plus utilisatrices d'engrais chimiques et de pesticides. Le développement du tourisme thermal, avec la création de trois golfs et d'un hippodrome, s'est accompagné du désherbage de plusieurs centaines d'hectares d'espaces verts, ainsi que de la construction de voies de chemin de fer, ce qui a augmenté le risque de pollution des sources déjà menacées par l'activité agricole.

Pour tenter d'atténuer les risques liés à cette intensification, à la fin des années 1980, Nestlé Waters a lancé un vaste programme de recherches et d'études, en partenariat avec ce qui était alors l'Institut national de recherche agronomique, l'Inra. Une équipe pluridisciplinaire composée d'économistes, d'agronomes, de sociologues et de zootechniciens fut conviée, avec pour objectif d'établir un scénario de protection des sources au travers d'une politique zéro pesticide, tout en conservant le niveau des revenus agricoles, et avec une exigence, celle de convaincre les acteurs locaux concernés de l'intérêt collectif d'adopter une politique de protection durable.

Pour donner suite à ce programme, Agrivair est créée en 1992 afin de mettre en pratique les préconisations des chercheurs de l'Inra.

Agrivair est également le gestionnaire du patrimoine foncier de Nestlé Waters Vosges. Au quotidien, je gère une équipe de treize personnes, qui peut recevoir des renforts en période de forte activité. Les deux tiers de mon équipe sont dédiés aux services directs fournis aux partenaires agricoles au sein même des exploitations agricoles. Le reste de l'équipe est réparti entre les fonctions ressources humaines, administration, gestion foncière et relation avec les parties prenantes. À ce titre, nous rencontrons bien évidemment les élus du territoire, ainsi que les services de l'État, comme la direction départementale de territoire des Vosges, dans le cadre de projets environnementaux. Pour certaines de ces actions, je peux rendre compte au directeur de l'usine de Nestlé Waters Vosges, M. Luc Desbrun, que vous avez par ailleurs eu l'occasion d'interroger le 6 mars dernier.

Notre budget annuel pour la protection de la ressource en eau et la préservation de la biodiversité est d'un peu plus de 2 millions d'euros. Je gère ce budget et les actions qui en découlent de manière indépendante, avec des rapports trimestriels et annuels.

En résumé, Agrivair s'occupe de toute la partie amont, c'est-à-dire avant le process industriel, de la partie surfacique et de tout ce qui se passe à l'extérieur des sites de production. Tout ce qui se passe en dessous des sols - quantité d'eau, prélèvement, unité de production - et en aval relève de la responsabilité des sites de production.

Nous agissons sur un territoire de 11 400 hectares, soit l'équivalent de la taille de Paris, regroupant dix-sept communes, plus d'une centaine d'exploitations agricoles, des entreprises et bien d'autres activités. Cette zone de protection est appelée l'impluvium. Elle représente le territoire de surface dans lequel s'infiltrent les eaux pluviales avant de se minéraliser au contact des roches.

Le programme Agrivair est fondé avant tout sur une démarche partenariale. Notre philosophie est d'engager sans jamais rien imposer. Ainsi, chacun est libre d'adhérer ou non. Aujourd'hui, ce sont quarante exploitations agricoles qui travaillent pour assurer la protection de la ressource en eau. Ce partenariat passe par la mise à disposition gratuite de terres et l'accompagnement des exploitants par un soutien humain et matériel. En contrepartie, les partenaires s'engagent à respecter un cahier des charges pour une agriculture raisonnée, durable et rentable. Ce cahier des charges repose sur deux exigences fondamentales : zéro produit phytosanitaire et moins de 10 milligrammes par litre de nitrates sous le système racinaire de la plante.

Sur la partie agricole, pour aider à des pratiques respectueuses de l'environnement, plusieurs actions sont mises en place et développées avec et pour les partenaires agricoles : limitation du nombre d'animaux par superficie, fertilisation raisonnée et adaptée aux besoins des cultures, fertilisation organique limitée, plantation de haies et autres feuillus en plein champ ou en bordure pour renforcer la biodiversité au coeur même des parcelles agricoles et offrir de l'ombrage aux animaux dans les pâturages, préservation des prairies permanentes.

Sur le volet biodiversité, nous menons des actions opérationnelles sur le territoire en collaborant avec les acteurs locaux. Agrivair suit aujourd'hui quatorze bio-indicateurs en faveur de la biodiversité dans différents milieux : milieux agricoles, milieux humides et eaux douces, milieux forestiers.

Nous avons par ailleurs participé à la renaturation de deux kilomètres du Petit Vair, une petite rivière qui coule dans le département des Vosges, dont il a déjà été question au cours de précédentes auditions. Cette opération vise à restaurer le cours naturel de la rivière, dynamiser les écoulements d'eau et améliorer les écosystèmes. Agrivair a également participé à la création et à la restauration de mares en lien avec les différentes parties prenantes locales.

La politique zéro pesticide que nous menons depuis 1992 dans différents milieux agricoles, forestiers et urbains sur le territoire de Vittel-Contrexéville a permis d'obtenir les résultats suivants : 12,6 % des zones boisées du territoire sont aujourd'hui destinées à la protection de la ressource en eau et à la préservation de la biodiversité ; 64,5 % des surfaces agricoles sont protégées grâce à quarante partenaires qui ont une conduite zéro phyto, ce qui représente 4 103 hectares sur les 6 359 hectares de surfaces agricoles dans l'impluvium. Notre programme permet de protéger, au total, 5 225 hectares de surfaces agricoles, dont 1 122 hectares de terres agricoles protégées à l'extérieur de l'impluvium ; 2 062 hectares de prairies permanentes sont préservés, soit 77,8 % des surfaces totales en prairie de l'impluvium ; 240 kilomètres de haies sont en gestion directe par Agrivair et plus de 25 000 arbres ont été plantés en dix ans sur le territoire, avec vingt-trois exploitations agricoles engagées dans l'agroforesterie, ce qui permet de lutter contre l'érosion, de limiter les ruissellements et d'apporter de l'ombrage aux animaux.

Sur les espaces verts hors milieu agricole, comme les parcs thermaux, les golfs et l'hippodrome, la politique environnementale zéro pesticide a été mise en oeuvre, notamment avec le soutien des prestataires, dans le but de préserver les ressources en eaux minérales. Ceux-ci innovent constamment avec de nouvelles pratiques naturelles, comme le désherbage mécanique et/ou alternatif, le choix de végétaux floraux adaptés au changement climatique, la création de zones de protection pour certaines essences, comme les orchidées sauvages.

Ensemble, nous développons des techniques de lutte biologique. Par exemple, nous procédons au désherbage thermique des espaces verts, au gaz ou à vapeur. Toutes les voies ferroviaires de l'impluvium local, qu'elles soient privées ou appartiennent à la SNCF, sont aussi désherbées par ce procédé.

Afin de lutter contre les campagnols, des expérimentations sont menées dans les golfs et sur l'hippodrome de Vittel. Sur ce dernier, nous avons par exemple mis en place des perchoirs pour les rapaces. Pour réguler les populations de chenilles processionnaires, les golfs et le parc thermal sont également équipés de nichoirs à mésanges, prédateurs principaux de la chenille. En 2021, il y avait 200 nichoirs en expérimentation sur le parc thermal - ceux-ci sont toujours présents. Ces moyens de lutte biologique permettent d'éviter l'utilisation d'intrants chimiques.

Nous travaillons également pour la protection du patrimoine forestier. Nos forêts privées sont gérées durablement par notre partenaire, l'Office national des forêts (ONF), dans le cadre d'un plan simple de gestion et labellisé PEFC, programme de reconnaissance des certifications forestières. Aujourd'hui, Agrivair collabore avec l'ONF pour la gestion et la préservation de plus de 300 hectares de forêts au sein de l'impluvium.

Nous menons enfin différentes actions de prévention sur le territoire, en finançant par exemple le passage à un mode de chauffage alternatif en remplacement des citernes à fioul chez les particuliers. Depuis 2019, ce sont près de soixante citernes de particuliers qui ont pu être supprimées.

En conclusion, je tiens à dire que, depuis plus de trente ans, Agrivair s'engage activement pour protéger la ressource en eau et préserver la biodiversité, en collaboration avec l'ensemble des acteurs du territoire. Nous favorisons une approche fondée sur la concertation et l'innovation afin de concilier protection de l'environnement et développement économique, tout en garantissant la pérennité d'une ressource essentielle.

J'aimerais surtout souligner que cet engagement est avant tout le fruit du travail et du dévouement des équipes d'Agrivair, qui oeuvrent au quotidien, aux côtés des agriculteurs, des collectivités et des experts, pour mettre en place des solutions durables. Leur implication, leur expertise et leur passion permettent de faire vivre cette démarche unique, reconnue à la fois localement et à l'échelle nationale.

Enfin, cette démarche est rendue possible par le travail de nos partenaires : les quarante exploitants agricoles qui, chaque jour, s'efforcent de préserver les ressources en eau et cette biodiversité, mais également les collectivités qui sont engagées dans la protection de l'environnement et le maintien de ce cadre naturel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de cette intervention très enrichissante, qui nous a permis de comprendre la manière dont vous fonctionnez.

Je m'interroge sur la façon dont vous mesurez les impacts. Je m'explique. Nous le savons, dans les Vosges, il y a eu des suspensions d'activité dans un certain nombre de puits de forage de Nestlé à cause de difficultés pour maintenir la pureté originelle de l'eau.

Votre activité vous conduit-elle à faire en sorte de régénérer, de restaurer ces sources pour en reprendre l'exploitation ? Comment mesurez-vous l'efficacité de votre action sur les masses d'eau ?

M. Julien Didelot. - Nous sommes en charge de la partie amont, c'est-à-dire avant le process industriel, de la partie surface et de la partie relations avec les parties prenantes à l'extérieur de l'usine. Je ne suis pas en charge de la partie sous-sol ni de tout ce qui concerne les quantités de prélèvement.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Je reformule ma question. Je pense que ce qui se passe sur l'impluvium a des conséquences sur la qualité des ressources qui se retrouvent sous terre. Avez-vous vocation à restaurer celle-ci par vos actions sur l'impluvium ? Menez-vous une action spécifique autour des puits dont l'activité a été suspendue ?

M. Julien Didelot. - Ma fonction est bien de protéger la ressource en amont. Tout ce qui concerne la qualité des produits finis, les unités de production, la partie forage, n'est pas de mon ressort.

Comment mesure-t-on l'efficacité du programme Agrivair ? D'abord, nous avons toute confiance dans les quarante exploitations qui sont engagées dans le zéro produit phytosanitaire. Nous assurons néanmoins un contrôle des opérations de fertilisation sur place, directement dans les exploitations agricoles. C'est grâce à ces actions que nous sommes capables de maîtriser la qualité du programme.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Tous vos adhérents sont-ils en agriculture biologique ?

M. Julien Didelot. - Tous les adhérents sont en zéro phytosanitaire, mais tous ne sont pas en agriculture biologique. Nous avons différents types de productions sur le territoire : production laitière, production de viande bovine, mais également production ovine.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Quels moyens vous donnez-vous pour contrôler la mise en oeuvre de la convention ? Y a-t-il un organisme certificateur ?

M. Julien Didelot. - Il n'y a pas d'organisme certificateur. C'est une convention privé-privé qui engage la société avec l'exploitant agricole, dans le respect du cahier des charges Agrivair.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - C'est donc vous qui faites un certain nombre de contrôles ?

M. Julien Didelot. - C'est nous qui partageons avec l'exploitant agricole des plantes de fertilisation en fonction des besoins des cultures. C'est nous qui réalisons également un ensemble d'analyses afin de vérifier la qualité des effluents et le respect du cahier des charges. En fonction de ces analyses, nous préconisons les conduites à tenir.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Pouvez-vous nous parler des parcelles qui se situent sur une partie des décharges de plastiques de première génération dont, je crois, vous avez la propriété foncière ?

M. Julien Didelot. - Je rappelle simplement que ces décharges de plastiques sont issues d'une activité industrielle passée, des années 1950 aux années 1980.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Cela implique-t-il un traitement particulier ?

M. Julien Didelot. - Il n'y a pas eu de traitement particulier, ces sites n'ayant pas de vocation agricole ou touristique.

Depuis 2020, à la prise de mes fonctions, le groupe s'est engagé à assurer un suivi environnemental, en lien avec les services de l'État.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Pouvez-vous nous dire en quoi consiste votre partenariat avec l'ONF ? Quels en sont les objectifs ?

M. Julien Didelot. - Nous travaillons en partenariat avec l'Office national des forêts sur un plan simple de gestion de plus de 300 hectares de surface. L'objectif est non pas la production de bois, mais la préservation de la ressource en eau et de la biodiversité.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Sur les prairies naturelles, vous donnez-vous des objectifs de restauration ? Comment cela fonctionne-t-il ?

M. Julien Didelot. - Le premier objectif est la préservation de ces prairies naturelles, qui ont des propriétés remarquables. Il s'agit d'un véritable dogme chez nous, car c'est un gage de protection de la ressource en eau, après le couvert forestier, bien entendu. C'est la mesure phare inscrite dans notre cahier des charges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Essayons de résumer les choses pour mieux comprendre la spécificité de votre métier et de vos fonctions. Qu'est-ce qui est le plus difficile dans votre métier, dans la protection de cet impluvium ? Sans remettre en cause la qualité de votre travail, que je salue, on voit que la dégradation de la qualité des eaux demeure un problème. Qu'est-ce qui rend ce travail si difficile et quels axes d'amélioration pourraient permettre de protéger encore mieux la ressource ?

M. Julien Didelot. - Ce qui rend le travail difficile, c'est d'abord la superficie de l'impluvium : 11 400 hectares, soit la taille de Paris. De multiples activités, principalement agricoles, sont présentes sur cet impluvium. Il faut assurer le respect du cahier des charges des quarante exploitations agricoles concernées, mais aussi convaincre d'autres agriculteurs de s'engager dans la démarche de protection des sols, pour accroître la surface protégée. Ces deux objectifs suscitent des difficultés chaque jour. Il est également difficile de concilier l'enjeu de l'eau avec les autres activités économiques du territoire : activités sportives, touristiques ou encore thermales. Nous nous attachons à permettre la continuité de ces activités tout en maintenant la politique de zéro produit phytosanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment le cahier des charges a-t-il évolué depuis la création d'Agrivair ? S'améliore-t-il régulièrement ? Est-il encore perfectible ?

M. Julien Didelot. - Depuis trente-trois ans, le programme Agrivair a prouvé sa performance. Le cahier des charges doit avant tout traduire un modèle robuste. Il résulte de préconisations, visionnaires, formulées par les chercheurs de l'Inra il y a plus de trente ans. Il a été révisé en fonction des évolutions du monde agricole et des connaissances scientifiques. Une révision a été réalisée en 2016 ; une caution scientifique a permis des ouvertures, mais certains critères essentiels pour la protection des sols et la préservation tant de la ressource en eau que de la biodiversité ont été maintenus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tous les exploitants présents sur l'impluvium ne sont pas signataires de la convention. J'imagine que vous essayez régulièrement d'en convaincre le plus grand nombre pour parvenir à une certaine complétude de vos efforts sur l'impluvium. Qu'est-ce qui empêche cette complétude ? Quels sont les freins ? Quels arguments vous sont opposés ?

M. Julien Didelot. - Notre philosophie est d'engager sans rien imposer. Parmi les freins, on peut relever la volonté de certains exploitants de garder leur indépendance. Les agriculteurs sont parfois réticents à voir une entreprise extérieure assurer des services sur son exploitation. Cela contribue au non-engagement de certaines exploitations dans Agrivair.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Signez-vous de nouvelles conventions chaque année ou avez-vous atteint un plafond ?

M. Julien Didelot. - Notre travail quotidien est bien d'essayer d'engager des superficies toujours plus larges dans la protection de la ressource. Il se déroule sur le long terme. Il faut au préalable apprendre à connaître les exploitations et les exploitants, pouvoir leur apporter des garanties quant au programme de protection de la ressource, des garanties dont ils ne bénéficiaient pas en dehors du programme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en viens au sujet de l'eau de surface, qui fait partie de votre champ d'intervention. Pouvez-vous nous détailler de quelle manière vous procédez à la renaturation de certains ruisseaux, notamment le Petit Vair, et vous préservez d'autres cours d'eau ?

M. Julien Didelot. - Effectivement, la restauration et la renaturation de cours d'eau sont bien l'une des activités d'Agrivair. Nous avons notamment procédé à de tels travaux sur quelque deux kilomètres du Petit Vair en aval de Vittel. Ces travaux nécessitent des travaux approfondis sur l'hydromorphologie du cours d'eau, les espèces présentes à ses abords et la qualité des habitats. En fonction de ces diagnostics préliminaires, nous effectuons des actions visant à rendre de la naturalité au cours d'eau et à améliorer la qualité des écosystèmes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans quelle mesure les évolutions de votre activité sont-elles liées au changement climatique ? Celui-ci complique-t-il vos actions quotidiennes et vous oblige-t-il à changer vos manières de faire ? Nous avons compris les principes généraux de votre activité ; nous souhaiterions savoir de manière concrète comment évolue votre travail au quotidien.

M. Julien Didelot. - Notre activité est très mouvementée depuis quelques années du fait des aléas climatiques que l'on subit, notamment de fortes sécheresses suivies d'importants épisodes pluvieux. Nous devons intervenir dans quarante exploitations agricoles, sur plus de 5 200 hectares, et les opérations de fertilisation doivent être menées dans des fenêtres temporelles de plus en plus courtes. Outre la ressource humaine, ces opérations requièrent une météo favorable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ces périodes sont-elles de plus en plus courtes ?

M. Julien Didelot. - Même en l'absence de phénomènes pluvieux pendant un certain temps, les terres restent praticables, roulables. Notre démarche de protection des sols nous impose de pratiquer la fertilisation dans les exploitations agricoles sans détériorer le sol.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une partie du travail de notre commission d'enquête consiste à déterminer comment l'on pourrait mieux protéger la ressource en eau. Les puits et forages fermés ou requalifiés sur les sites de Nestlé dans les Vosges ou le Gard sont une illustration de cette difficulté. Qu'est-ce qui vous empêche d'aller au bout de votre mission ? Quels outils vous manque-t-il pour mieux protéger l'impluvium, que nous pourrions recommander dans notre rapport ?

M. Julien Didelot. - Vous pouvez d'abord nous aider par la reconnaissance du programme Agrivair. Le territoire a pu être protégé grâce à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), établissement public auquel nous sommes liés par une convention dont l'objet est la préservation de la ressource en eau sur le territoire de Vittel-Contrexéville, mais aussi au-delà. Aujourd'hui, Agrivair est sollicité pour apporter son expertise dans d'autres territoires, qui utilisent les outils de cet établissement public pour protéger leurs ressources en eau potable.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de vos réponses, qui ont permis de mettre en avant l'action positive de cette filiale du groupe Nestlé.

Si je vous ai bien compris, l'action d'Agrivair ne porte aujourd'hui que sur l'impluvium des Vosges. Vous réfléchissez à son extension sur d'autres sites. Pourquoi votre action, remarquable, n'a-t-elle pas encore été dupliquée sur d'autres sites de Nestlé ?

M. Julien Didelot. - Nous essayons de dupliquer le programme Agrivair sur d'autres sites. Je travaille personnellement depuis 2018 à une démarche similaire de protection de la ressource en eau sur le site d'Étalle, en Belgique ; une dizaine d'exploitations agricoles sont engagées dans cette démarche, avec un cahier des charges imposant zéro produit phytosanitaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons appris que des partenariats avec des agriculteurs existent sur d'autres sites, mais il me semblerait utile de formaliser ce type de démarches sur le modèle d'Agrivair.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mon collègue Olivier Jacquin, qui ne peut être présent ce matin, m'a demandé de vous poser la question suivante. Un des scientifiques que nous avons auditionnés sur l'intérêt de l'agriculture biologique pour la protection des captages nous a affirmé qu'un problème pouvait néanmoins se poser : l'épandage de cuivre. Pouvez-vous confirmer que, dans les zones de grande culture comme celles que vous protégez, les exploitations biologiques ne pratiquent pas l'épandage de cuivre, celui-ci étant réservé aux zones viticoles ?

M. Julien Didelot. - Je peux simplement vous confirmer qu'il n'y a pas d'épandage de cuivre sur les territoires couverts par les conventions Agrivair dans les Vosges ou en Belgique.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci encore de vos réponses, monsieur Didelot. L'action d'Agrivair apparaît très positive.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 15.

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de M. Loïc Tanguy, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » aux cabinets de MM. Alain Griset et Jean-Baptiste Lemoyne, successivement ministres délégués aux petites et moyennes entreprises

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Monsieur Loïc Tanguy, en qualité de conseiller consommation et pratiques commerciales auprès du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises entre juillet 2020 et mai 2022, soit Monsieur Alain Griset de juillet 2020 à décembre 2021 et Monsieur Jean-Baptiste Lemoyne entre décembre 2021 et mai 2022.

Monsieur Tanguy, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Loïc Tanguy prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je suis aussi obligé de vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle pour les internautes, puisque cette audition est retransmise en direct sur internet, que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur l'attitude et les décisions des ministères à l'égard de Nestlé Waters.

Monsieur Tanguy, vous avez été conseiller consommation auprès des ministres Alain Griset et Jean-Baptiste Lemoyne, de 2020 à 2022. Au surplus, vous avez exercé quatre ans à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCRRF), en qualité de directeur de cabinet adjoint de juillet 2016 à juillet 2017, puis directeur de cabinet de juillet 2017 à juillet 2020. Les questions de protection du consommateur n'ont donc pas de secret pour vous.

Quand et comment avez-vous appris l'existence de traitements illégaux sur certaines eaux minérales ? Comment vous et vos ministres successifs avez-vous réagi ? Quel rôle avez-vous joué dans les décisions des pouvoirs publics en la matière ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

M. Loïc Tanguy, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » au cabinet du ministre délégué chargé des entreprises, du tourisme et de la consommation. - Je me permets de commencer cette audition par un propos liminaire pour détailler mon implication dans ce dossier entre septembre et novembre 2021. Je vous prie d'avance de bien vouloir m'excuser pour d'éventuelles imprécisions dans ce récit. Les faits discutés remontent maintenant à plus de trois ans et mes souvenirs sont à ce titre parcellaires.

À la mi-septembre 2021, je suis destinataire d'une note adressée par la directrice générale de la DGCCRF à la ministre chargée de l'industrie. Cette note fait suite à un rendez-vous entre des représentants de la société Nestlé Waters et le cabinet de la ministre, deux semaines plus tôt, fin août 2021. Je n'étais pas informé de cette réunion et je n'y participais pas. Dans cette note, la DGCCRF fait un point sur la réglementation applicable aux eaux minérales naturelles et détaille ses investigations dans ce secteur. Focalisée initialement sur un acteur en particulier, l'enquête de la DGCCRF progresse bien et est susceptible de s'étendre à d'autres acteurs comme Nestlé Waters qui utiliseraient, sur certaines sources, des procédés non autorisés.

Il me semble, à la lecture de cette note, que la DGCCRF fait parfaitement bien son travail de lutte contre les fraudes au service des consommateurs.

La note précise enfin que les investigations sont toujours en cours et qu'il n'est pas possible de tirer des conclusions définitives. En effet, les constats que le service national des enquêtes (SNE) de la DGCCRF a déjà pu effectuer doivent être approfondis par des échanges complémentaires avec le ministère de la santé. En effet, c'est ce ministère, et notamment la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS), qui sont compétents en matière de traitement et de sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles. Cette note est essentiellement descriptive et ne demande pas d'arbitrage des ministres. Par ailleurs, elle ne fait pas état d'un quelconque risque sanitaire.

Le cabinet de la ministre chargée de l'industrie prend l'initiative de contacter le ministère de la santé. Au cours des semaines qui suivent, je suis alors tenu informé des échanges qui ont lieu entre les deux ministères et notamment d'une réunion mi-octobre qui réunit les deux cabinets, la direction générale de la santé et la DGCCRF. C'est dans ce cadre que je suis informé de la décision de saisir l'inspection générale des affaires sociales (Igas), et suis en copie d'échanges entre la conseillère du cabinet industrie et la DGCCRF sur cette saisine. Pendant cette période, au titre de mes fonctions, je suis en contact régulier avec la DGCCRF, que je connais bien - avec la directrice générale et ses directeurs de cabinet. À aucun moment, ils ne me font remonter de difficultés ou de points bloquants.

Le choix d'effectuer cette saisine de l'Igas me semble à même de répondre de manière satisfaisante à la situation rencontrée, et ce pour trois raisons principales. La première est que cette mission doit permettre d'approfondir la question du risque sanitaire, ce qui me semble important, même si aucun risque ne semble apparaître a priori. La deuxième est que cette mission prévoit de créer un cadre d'intervention conjoint des ARS, de l'Igas et du SNE de la DGCCRF. S'agissant d'une enquête qui se situe à l'interface des domaines de compétences de la DGCCRF et du ministère de la santé, ce dispositif de coordination me semble à même de permettre à l'enquête d'être finalisée dans les meilleures conditions. La troisième est que cette lettre de mission prévoit de faire un large diagnostic de l'ensemble du secteur. Dans sa note, résultat de ses enquêtes, la DGCCRF suspectait que les pratiques frauduleuses pouvaient être généralisées. Il était donc particulièrement opportun de faire toute la lumière sur cette affaire et qu'une mission puisse couvrir les différentes entreprises du secteur et dresser un panorama complet de la situation.

La saisine de l'Igas est mise à la signature des ministres début novembre. Je fais monter le parapheur à Bruno Le Maire en tant que ministre de tutelle de l'ensemble des ministères de Bercy, afin qu'il puisse signer cette lettre de mission. La saisine de l'Igas est ainsi signée par les ministres le 19 novembre 2021. À l'issue de l'élection présidentielle du printemps 2022 et de la formation d'un nouveau gouvernement, je quitte mes fonctions de conseiller ministériel en mai 2022. À cette date, la mission de l'Igas n'a pas encore finalisé ses travaux ni rendu ses conclusions.

Monsieur le président, dans ce dossier, comme pendant mes deux années en cabinet au ministère de l'économie, ma priorité en tant que conseiller consommation et pratiques commerciales aura toujours été de créer un cadre permettant à la DGCCRF d'exercer au mieux ses missions et de protéger les consommateurs et l'ordre public économique.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci.

Le 31 août 2021, Madame Muriel Liénau, responsable de Nestlé Waters, obtient un entretien à sa demande avec le cabinet de Madame Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, pour, nous a-t-elle dit, faire oeuvre de transparence quant à l'étendue des traitements non autorisés mis en place dans les usines de Nestlé dans les Vosges et le Gard, et pour lui soumettre les plans de transformation visant à remplacer ces traitements par d'autres traitements qui font aussi l'objet de discussions dans le cadre de cette commission, tels que la microfiltration à 0,2 micron. Vous a-t-on rendu compte de ces échanges et si oui, de quelle manière et avec quel niveau de précision ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'étais pas présent à cette réunion, de manière assez logique puisque c'était une demande qui avait été formulée au cabinet du ministre de l'industrie. Je ne saurais pas vous dire aujourd'hui si j'ai été débriefé de cette réunion entre le 31 août et le 14 septembre, mais, comme je le disais dans mon propos liminaire, j'ai été destinataire d'une note de la directrice générale de la DGCCRF le 14 septembre et, en tout état de cause, informé à cette date.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un point de curiosité et de surprise : nous sommes face à un dossier de tromperie du consommateur davantage qu'à un dossier industriel. Le coeur du scandale, c'est cette tromperie. Qui a tranché ? Y a-t-il eu délibération ? Est-ce parce que l'industriel a choisi d'entrer par la porte du ministère de l'industrie que cela a été traité là plutôt que du côté de la défense des consommateurs, qui était dans votre périmètre ? Notre impression, c'est que c'est l'industriel qui choisit et demeure, finalement, l'autorité traitante. Est-ce juste ?

M. Loïc Tanguy. - L'industriel a choisi sa porte d'entrée. Il ne m'a pas contacté. Je ne l'ai pas rencontré dans ce cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas été sollicité par Nestlé ou ses conseils ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'ai pas été sollicité par Nestlé dans le cadre de cette affaire. La question de ces traitements n'a jamais été abordée avec moi.

À Bercy, il y a une coordination entre les cabinets, qui se connaissent, se côtoient et travaillent ensemble. Je connaissais Madame Lucile Poivert puisque, quand j'étais directeur de cabinet de la DGCCRF, elle était conseillère en charge de la consommation pour Madame Agnès Pannier-Runacher. Nous avons travaillé main dans la main dans ce dossier. C'est elle qui a pris le pilotage côté Bercy, de manière assez naturelle, puisque c'est elle qui avait eu connaissance du dossier et avait eu des interactions avec Nestlé Waters. C'est elle qui a pris l'initiative des échanges avec le ministère de la santé, mais j'étais informé.

M. Alexandre Ouizille. - Avez-vous été associé aux réflexions ? Quelle a été la part de votre ministère et de votre ministre dans les réflexions et les décisions prises ? Qu'avez-vous apporté à cette discussion ?

M. Loïc Tanguy. - Lucile Poivert a pris l'initiative des rendez-vous et des contacts avec la DGS. Elle me tenait informé. Par ailleurs, j'avais des contacts très réguliers avec la DGCCRF et on ne m'a pas remonté de difficultés, donc je considérais que le dossier était traité avec cohérence, que l'action de la DGCCRF n'était pas entravée et qu'il n'y avait pas de difficultés entraînées par les décisions qui pouvaient être prises.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu une discussion sur ce sujet avec votre ministre de rattachement ?

M. Loïc Tanguy. - Mes souvenirs sont trop lointains et je ne saurais pas vous dire si j'en ai discuté avec Alain Griset.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas eu d'arbitrage ?

M. Loïc Tanguy. - Non, il n'y en a pas eu.

En revanche, la DGCCRF était en phase avec les décisions prises et la saisine de l'Igas, qui était une solution cohérente pour permettre à l'enquête de se poursuivre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui est difficile à comprendre, c'est que Bercy apprend qu'il y a des fraudes, attestées et même signalées par l'industriel lui-même, et fait le choix exclusif de l'interne, de l'enquête, et absolument pas le choix de l'information du public. C'est donc le choix de faire boire aux Français, sans qu'ils le sachent, de l'eau qui n'est pas de l'eau minérale naturelle puisqu'elle est traitée, comme l'eau du robinet, sans être vendue au même prix.

Je ne dirais pas que vous étiez l'UFC-Que Choisir du Gouvernement, mais vous aviez une responsabilité de défense du consommateur plus importante que celle du ministère de l'industrie. Or vous semblez à la remorque du dossier, mis en copie de mails, sans arbitrage politique de votre ministre. Avez-vous pris la pleine mesure du dossier ?

M. Loïc Tanguy. - La question que vous posez est liée à la communication susceptible d'être faite à cette date. Pour moi, il est très clair qu'entre septembre 2021 et juillet 2022, ce n'est pas le temps de la communication.

Ma première réaction à la lecture de cette note a été de m'assurer qu'il n'y avait pas de risque sanitaire, car alors, il faut une information immédiate du consommateur. C'est ce qui est fait par les pouvoirs publics. Pendant ma présence au cabinet, nous avons renforcé cette communication avec le site RappelConso, pour informer les consommateurs en cas de risque sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela signifie que lorsque nous ne sommes pas face à un risque sanitaire, la doctrine de l'État, quand un industriel vient relater une fraude à la consommation, n'est pas d'en informer immédiatement les consommateurs. Est-ce bien cela ?

M. Loïc Tanguy. - Quand on parle de fraude, on parle de tromperie ou de pratique commerciale trompeuse au sens du code de la consommation. C'est un délit pénal réprimé par deux ans de prison, deux millions d'euros d'amende et même potentiellement plus, en pourcentage du chiffre d'affaires.

Les enquêtes en matière de fraude sont réalisées par les agents de la DGCCRF, dans un cadre bien précis, afin de rassembler tous les éléments pour démontrer la matérialité et l'intentionnalité de la fraude et que les faits puissent être portés devant le juge pénal et que les personnes qui ont trompé le consommateur puissent être sanctionnées.

La contrepartie de cette procédure extrêmement lourde et des conséquences qui y sont attachées, c'est qu'on est tenu par le secret de l'enquête. Lorsqu'il y a une enquête sur une fraude pénale, on ne peut pas communiquer. Voilà le temps qui s'ouvre, et qui était déjà ouvert, puisque la DGCCRF avait déjà des enquêtes en cours à ce moment-là.

C'est le temps de l'enquête, qui est le temps pour réaliser un panorama plus large : est-ce que ce sont les pratiques de quelques industriels seulement, ou ces pratiques sont-elles généralisées ? Voilà le temps qui s'ouvre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La doctrine me semble double : si cela relève du sanitaire, on informe tout de suite - vous me dites que si cela relevait du sanitaire et du pénal, vous auriez informé le grand public. Le fait que cela relève du pénal ne purge pas le sujet, puisque si cela relève du pénal, mais dans un autre secteur, vous laissez se dérouler les enquêtes... J'ai compris ce que vous vouliez dire.

Nous avons entendu la DGCCRF. Le président Burgoa n'a pas pu s'empêcher de ne plus être trop sénatorial lors de cette audition...

M. Laurent Burgoa, président. - C'est la dernière fois où je me suis énervé !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Voilà un service qui, quatre ans après, à notre connaissance, n'est jamais allé devant le juge pénal, et ne lui a jamais relaté les faits. Nous avons donc le sentiment que les choses ont traîné. Ils nous ont dit qu'ils attendaient les réponses du rapport de l'ARS pour pouvoir rédiger leur procès-verbal.

Finalement, confier l'enquête à la DGCCRF n'a pas été la solution, mais le bouchon : cela a empêché le juge pénal de se saisir de l'affaire.

C'est toute la question que nous nous posons sur l'article 40. Est-ce que vous pensez que la DGCCRF a fait son travail dans cette affaire ?

M. Loïc Tanguy. - À la lecture de la note du 14 septembre, il me semblait évident que la DGCCRF avait fait son travail. Il y a eu un signalement à l'ARS ; la DGCCRF a fait son enquête, elle a mené des perquisitions et une opération de visite et de saisie (OVS). Elle a ensuite remonté la filière pour identifier si d'autres industriels étaient concernés par ces traitements. Je le redis : quand je lis la note, il est évident que la DGCCRF a très bien fait son travail.

Après, se pose la question de l'articulation entre les autorités de contrôle. La DGCCRF est une autorité transverse de protection des consommateurs : elle est chargée de protéger les consommateurs dans tous les domaines de l'économie, de telle sorte qu'elle est l'interlocutrice unique des consommateurs. Cela a permis de mettre en place SignalConso.

La contrepartie, c'est que la DGCCRF est en interface avec des ministères sectoriels et avec des autorités administratives indépendantes sectorielles. Il y a un partage de compétence et donc une coordination à réaliser entre la DGCCRF et ces autorités. Faut-il, dans certains cas, améliorer la coordination entre les services ? Sans doute. Faut-il remettre en cause ce système ? Je ne pense pas. Honnêtement, après mai 2022, je ne peux pas me prononcer sur le dossier.

En tout état de cause, pour avoir travaillé quatre ans à la DGCCRF puis deux ans au cabinet en lien avec la DGCCRF, je pense que c'est une administration qui fait un travail formidable.

M. Laurent Burgoa, président. - Le rapporteur souhaitait vous faire réagir sur le fonctionnement global de cette institution. Je me suis un peu énervé lors de cette audition, car j'ai ressenti, peut-être à tort, qu'il n'y avait pas trop de liens entre le national et le local.

La direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Gard avait travaillé en osmose avec l'ARS sur des contrôles, mais n'avait pas l'impression que les informations remontaient au niveau national. Pourtant, ils travaillaient ensemble. Même si l'ARS avait le leadership sur le local, comme les équipes étaient ensemble, l'information circulait localement, mais avait l'air de ne pas remonter. Pourquoi ? Est-ce la pratique de la maison ? Vous qui avez une expérience de cette structure... Nous voudrions mieux comprendre.

Lors de cette audition, j'avais des personnes fort sympathiques devant leur ordinateur qui n'arrivaient pas à sortir de cet ordinateur et me répondaient en disant qu'elles n'étaient pas au courant, quand bien même elles avaient des responsabilités importantes. Expliquez-nous les relations entre le local et le national de cette belle institution.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui était terrible, c'est que la DGCCRF nous disait que leurs agents étaient physiquement présents, qu'ils avaient vu les choses, mais qu'ils attendaient un rapport de l'ARS pour le constater... Finalement, c'est Foodwatch qui prévient la justice et lance la procédure, plutôt que les services de l'État qui travaillent dessus depuis quatre ans... J'aimerais comprendre.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce qui m'avait particulièrement agacé, c'est que la préfecture du Gard avait les informations et que l'ARS avait rédigé son rapport définitif sur le site de Vergèze. Or les services nationaux n'avaient pas l'information, ils avaient quasiment six mois de retard... Pourtant, nous disposons de portables, de mails ! Expliquez-nous le fonctionnement interne de cette institution.

M. Loïc Tanguy.- J'aurais des difficultés à vous expliquer ce cas particulier.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous connaissez bien cette maison et vous avez eu des responsabilités importantes au cabinet. Est-ce que cela arrive de temps en temps, régulièrement, ou pas du tout, qu'il n'y ait pas de lien entre le local et le national ?

M. Loïc Tanguy.- Pour moi, dans le cadre d'un fonctionnement normal de la DGCCRF, il n'y a pas de problème d'interaction entre le SNE, qui est un service à compétence nationale, et les services de la DGCCRF dans les directions départementales. Ces services travaillent très bien.

Dans l'affaire dont il a été fait mention sur les perquisitions qui ont eu lieu en décembre 2020, à ma connaissance, il y a eu une très bonne articulation entre les services locaux et le SNE.

Honnêtement, je ne saurai pas vous apporter d'explications sur ce point spécifique.

M. Laurent Burgoa, président. - Localement, cela fonctionnait très bien. Dans vos fonctions, vous n'avez pas eu connaissance d'autres cas où il n'y aurait pas eu de lien entre le national et le local ?

M. Loïc Tanguy. - Au sein de la DGCCRF, une animation permet de coordonner l'activité des différents services. Je ne sais pas si c'est le cas ou pas en l'espèce, mais il peut y avoir des difficultés si les agents sont dans le cadre d'une commission rogatoire, sous l'autorité du procureur, ou dans le cadre de leur propre pouvoir habituel.

M. Laurent Burgoa, président. - En Occitanie, il n'y avait pas d'information judiciaire, donc ce n'était pas sous l'autorité du procureur. C'était de leur propre initiative : un contrôle administratif.

M. Loïc Tanguy. - Je ne saurais pas vous dire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur l'article 40, un point sensible.

Je refais le film : en août 2021, les informations dont fait état Nestlé sont transmises à la DGS. Jérôme Salomon, directeur général, interroge sa direction des affaires juridiques pour savoir s'il faut recourir à l'article 40. Charles Touboul, son directeur des affaires juridiques que nous avons également entendu, nous indique qu'au vu des informations disponibles sur la fraude, à savoir la présence de filtres non autorisés qui remettent en cause l'appellation d'eau minérale naturelle, les infractions relèvent plus de la tromperie que du domaine sanitaire. Et dans la mesure où il estime que le risque n'est pas avéré, il en déduit qu'il revient à Bercy et non à la DGS de signaler ces infractions au procureur sur le fondement de l'article 40.

Ensuite, nous l'interrogeons parce que lui-même était au courant. Et il nous répond, par une théorie qui n'engage que lui, que sur le recours à l'article 40, il revient au fonctionnaire dont le domaine de compétence est directement concerné par les éléments susceptibles de caractériser l'infraction, de prendre la responsabilité d'un tel signalement, car il dispose des compétences techniques les plus adéquates pour en apprécier l'opportunité.

J'ai l'impression que la personne qui était la plus adéquate, c'était à la fois vous et votre ministre. Mais quand je vous écoute, j'ai l'impression que, tel que vous voyez le fonctionnement de la DGCCRF du côté de Bercy, celle-ci vous libère, en quelque sorte, de vos obligations vis-à-vis de l'article 40. Vous considérez que le fait de lancer une enquête auprès de la DGCCRF vous libère de vos obligations issues du code de procédure pénale, car il existe ce SNE. Pour vous, faire appel au SNE, c'est gérer la question pénale une bonne fois pour toutes. Et comme cette affaire n'a pas été gérée par le SNE, cela nous interroge...

M. Loïc Tanguy. - Je serais bien en peine d'apporter autant d'éléments juridiques que le directeur des affaires juridiques du ministère de la santé.

D'abord, je n'ai pas eu de contact avec Nestlé Waters. Je n'ai donc pas recueilli une quelconque information de leur part sur cette situation. Les informations dont je dispose proviennent de la DGCCRF, qui a des pouvoirs d'enquête propres.

En quatre ans à la DGCCRF et deux ans de cabinet, je ne crois pas une seule fois avoir entendu parler d'un agent de la DGCCRF qui fasse usage de l'article 40 dans le cadre d'une procédure pour laquelle la DGCCRF est habilitée. Si, dans le cadre d'un contrôle, un agent de la DGCCRF est informé d'une pratique qui relève du code du travail ou d'autres choses pour lesquelles il n'est pas compétent, il est susceptible de pouvoir faire un article 40. Mais dans le cadre d'une pratique commerciale trompeuse définie au sein du code de la consommation et pour lequel il est habilité, pour moi, la question ne se posait pas.

Je n'avais pas d'informations directes sur ce qui avait été déclaré par Nestlé. Des agents habilités à la recherche d'infractions et de fraudes, de pratiques commerciales trompeuses, étaient déjà informés de cette situation. Donc pour moi, l'article 40 n'avait pas lieu d'être.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de cette réponse qui reprend un peu mes dires. Vous exprimez à peu près la même idée, certes un peu différemment.

Nous savons que dès août 2021, et même avant 2020, il y avait des enquêtes du SNE. Pourtant, aucun signalement n'a été fait au procureur quatre ans plus tard, lorsque la presse fait ses révélations. Le consommateur qui voit cela se dit que l'État, d'une certaine façon, a couvert ou n'a pas traité le risque pénal. Quel est votre avis ? Est-ce classique que cela mette autant de temps à remonter ? N'est-ce pas un peu inquiétant par rapport aux droits des consommateurs ? Trouvez-vous que la procédure est longue ?

M. Loïc Tanguy. - Je le répète : le SNE s'est saisi d'un signalement en 2020 - je ne saurais vous dire à quelle date exactement - et a mené une enquête qui est, à mon sens, remarquable : elle ne se contente pas de regarder ce qui a fait l'objet du signalement, mais va plus loin : elle se demande si d'autres personnes ont également la même pratique et elle étend le champ de l'enquête.

En matière de délit de pratique commerciale trompeuse, pour que le dossier soit recevable par le juge, il faut qu'il soit suffisamment complet pour que les faits puissent être jugés ; il faut une enquête longue, démontrer un certain nombre de points pour avoir un dossier robuste.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Même lorsqu'il y a des aveux ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'étais pas là le 31 août. Je ne sais pas exactement ce qui a été dit.

Concernant les délais, les enquêtes du SNE peuvent être longues. Je ne peux absolument pas me prononcer sur le délai des enquêtes en question, car je n'ai pas tous les éléments dont je devrais disposer pour porter un jugement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 27 octobre 2021, Virginie Beaumenier, DGCCRF, écrit à Lucile Poivert, que vous connaissez si bien, en vous mettant en copie, que le SNE termine l'enquête en cours, qui se déroule sous l'autorité du procureur, mais qu'il n'y a pas lieu d'en engager d'autres dans l'attente des conclusions de la mission de l'Igas. Vous savez pourtant qu'il y a des fraudes commises par Nestlé. Pourquoi temporiser dans l'attente des conclusions de la mission ? Cela ne revient-il pas, d'un point de vue purement factuel, à laisser un blanc-seing à Nestlé, d'autant plus que les autorités administratives locales - ARS, préfecture - ont volontairement été tenues à l'écart de ces révélations et qu'elles ne diligenteront pas de contrôle immédiat, mais un an et demi plus tard ? Vous parlez de sérieux et de diligence, mais ici, c'est l'exact contraire, non ?

M. Loïc Tanguy. - Revenons au fondement de la mission de l'Igas. Elle avait pour but de créer ce cadre, pour que le SNE puisse apporter les éléments dont il dispose et de rassembler, avec l'Igas comme architecte ensemblier, les ARS et le SNE.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'Igas a-t-elle les mêmes pouvoirs d'un point de vue pénal que le SNE ?

M. Loïc Tanguy. - Vous connaissez sans doute mieux que moi, désormais, la répartition des compétences entre la DGCCRF et les ARS. Les ARS sont plutôt compétentes techniquement et juridiquement pour l'amont, à savoir la partie entre la source et l'embouteillage, et le SNE et la DGCCRF pour l'eau déjà embouteillée. Il faut une articulation entre les deux. La DGCCRF a besoin de l'expertise des ARS pour finaliser ses procédures. C'est pour cela qu'on a fait cette mission Igas avec les deux entités, ARS et SNE ensemble, pour travailler en collaboration et accélérer les investigations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Même si le cadre, du coup, n'est plus le même que celui du SNE...

M. Loïc Tanguy. - Voilà comment était rédigée la saisine de l'Igas : l'idée était de reprendre les éléments dont dispose d'ores et déjà le SNE pour les partager, afin que chacun puisse travailler en collaboration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que ni au terme de la première enquête du SNE - pour laquelle il n'y en aura pas de deuxième sur Nestlé - ni au terme du rapport Igas, il n'y aura de saisine du procureur au titre de l'article 40 pour faire cesser les atteintes au droit de la consommation, et qu'il faille attendre, en bout de chaîne, sur un seul endroit du territoire, dans le Grand Est, que ce soit une directrice générale, après avoir obtenu le feu vert de son cabinet, seule, qui fasse usage de l'article 40 ? Cela n'a pas été le cas en Occitanie.

Pensez-vous qu'on a bien protégé les droits du consommateur et tenté de faire cesser les infractions ?

Le raisonnement pourrait encore tenir s'il s'était passé quelque chose après l'enquête de l'Igas. Cela n'a pas été le cas. Il a fallu attendre le contrôle d'une ARS par rapport aux différents sites concernés...

M. Loïc Tanguy. - Sur ce point, je ne suis pas en capacité de vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez bien un avis ? Vous avez un avis sur le fonctionnement de la DGCCRF, sur la qualité de son travail. Vous semble-t-il normal, en tant que haut fonctionnaire, au service de l'intérêt général, qu'il n'y ait eu aucun signalement au procureur de la République au terme de ces enquêtes et de cette mission d'inspection qui, pourtant, faisaient état de fraude et de non-conformité ?

M. Laurent Burgoa, président. - En tant que conseiller ministériel chargé de la consommation, avez-vous été en contact avec un collaborateur de Matignon ou de l'Élysée, qui vous aurait sollicité ou que vous auriez approché, ou avec les autorités locales ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'ai eu de contact ni avec Matignon ni avec l'Élysée.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'est pas une question piège ; il s'agit juste d'enrichir la culture générale de la commission d'enquête en la matière. La préfecture, l'ARS ou la DDPP vous ont-elles tenu informé ou les avez-vous sollicitées ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'ai eu de contact ni avec les ARS ni avec les préfectures sur ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une ultime question technique. Lorsque vous occupiez le poste de directeur de cabinet à la DGCCRF, avez-vous entendu parler de l'enquête en question ?

M. Loïc Tanguy. - Il m'est difficile de vous répondre. À mon sens, en décembre 2020, j'ai eu connaissance des opérations de visite et de saisie (OVS) qui avaient eu lieu. En revanche, s'agissant du lancement de l'enquête, je ne saurais pas vous dire si j'en ai été informé.

M. Laurent Burgoa, président. - Notre travail de parlementaires consiste à faire des propositions. Au regard de votre expérience professionnelle, auriez-vous des préconisations à nous soumettre - avec le rapporteur, nous avons également quelques idées - pour renforcer la transparence auprès de nos concitoyens et des consommateurs qui ont le droit de boire un produit de qualité sans se poser de questions ?

M. Loïc Tanguy. - Il n'existe pas de baguette magique ou de solution miracle permettant de concilier la protection du secret de l'enquête et la transparence. Ces deux objectifs sont quelque peu contraires. Pour autant, des dispositifs permettant d'obtenir davantage de transparence à un moment donné de l'enquête pourraient être envisagés.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le rapporteur, je ne vous ai peut-être pas bien écouté. Ma question s'adressait davantage au concitoyen qu'au responsable en poste au sein de différents ministères. Au regard des faits, en tant que citoyen français, ne pensez-vous pas qu'une information judiciaire aurait peut-être pu être ouverte, notamment en Occitanie, pour clarifier la situation et apporter davantage de transparence ?

M. Loïc Tanguy. - Je ne saurais pas vous répondre pour ce dossier en particulier. Néanmoins, des solutions pourraient peut-être être trouvées pour renforcer la transparence lors de la transmission des informations par la DGCCRF. Encore une fois, il n'existe pas de formule magique : il faut respecter à la fois les droits de la défense et le secret de l'enquête, aussi trouver le juste équilibre n'est-il pas évident.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Tanguy, nous vous remercions. Monsieur le rapporteur, vous avez été rapide, car l'entretien a duré quarante minutes et non pas une heure comme il était prévu.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Jérôme Vidal, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » au cabinet de Mme Olivia Gregoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.