- Lundi 10 mars 2025
- Mercredi 12 mars 2025
- Proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales - Examen du rapport et du texte de la commission
- Organisation de la prévention dans le domaine de la santé - Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie
- Audition de M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins
Lundi 10 mars 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes - Examen des amendements aux articles délégués au fond du texte de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen des amendements aux articles du texte de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur le projet de loi dit « Ddadue » qui ont été délégués à notre commission.
À cet égard, je vous rappelle que la commission saisie au fond nous a délégué l'examen des articles 40 et 41.
Dans la même logique que la semaine dernière, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable devrait simplement avaliser les avis que nous donnerons sur les amendements lors de sa réunion de ce jour, prévue à 15 heures.
Le projet de loi sera examiné en séance aujourd'hui, à 16 heures et le soir, et demain mardi.
Je donne la parole à Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 119 du Gouvernement est intéressant.
Jusqu'à présent, les médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes inscrits à un ordre dans un État tiers à l'Union européenne ne pouvaient être inscrits au tableau des ordres français. Ce refus d'une double inscription constitue un obstacle à l'application des principes de libre circulation des travailleurs au sein de l'Union et de liberté d'établissement.
En conséquence, cet amendement vise à permettre la pleine application de ces principes en autorisant la double inscription. Tout médecin, chirurgien-dentiste ou sage-femme pourra donc être inscrit au tableau de l'ordre en France et, simultanément, dans un pays tiers à l'Union européenne.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 119.
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 2 de notre collègue Stéphane Sautarel vise à abroger les modifications apportées en 2023 au régime des denrées alimentaires destinées à des fins médicales.
Cet amendement est sans lien avec le texte, raison pour laquelle je vous propose de le déclarer irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de déclarer l'amendement n° 2 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis.
La réunion est close à 14 h 10.
Mercredi 12 mars 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de Florence Lassarade et du texte de la commission sur la proposition de loi de notre collègue Valérie Boyer créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
Ce texte est inscrit à l'ordre du jour du Sénat du mardi 18 mars, dans l'après-midi.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Avant d'examiner la proposition de loi de notre collègue Valérie Boyer visant à établir une condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales - sujet de société qui ne manquera pas de faire débat -, je souhaite présenter la logique qui a été la mienne lors de l'instruction de ce texte.
Les mesures portées par cette proposition de loi relèvent du code de la sécurité sociale et du code de l'action sociale et des familles, non du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), pour lequel notre commission n'est au demeurant pas la plus naturellement compétente. J'ai donc considéré que la question qui se posait au législateur était avant tout celle de la définition de notre modèle de protection sociale, et c'est sur ce terrain uniquement que j'ai entendu mener mes travaux.
Pour autant, il faut préciser que la présente proposition de loi s'inscrit dans le prolongement d'une volonté de la majorité sénatoriale exprimée à plusieurs reprises.
D'abord, lors de l'examen au Sénat du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, deux amendements identiques de la commission des lois et de Mme Eustache-Brinio ont été adoptés durant la séance publique, visant à limiter le bénéfice de prestations sociales en nature - allocations familiales, prestation de compensation du handicap (PCH), aide personnalisée au logement (APL) et droit au logement opposable (Dalo) - aux seuls étrangers résidant depuis au moins cinq ans en France de façon régulière. Cependant, le Conseil constitutionnel a censuré cet article, estimant qu'il s'agissait d'un cavalier législatif, sans se prononcer sur le fond.
Par la suite, les parlementaires du groupe Les Républicains ont déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale une proposition de loi référendaire reprenant le dispositif en question, sur le fondement de l'article 11 alinéa 4 de la Constitution, c'est-à-dire dans le but de mettre en place un référendum d'initiative partagée (RIP) afin de recueillir l'expression directe de la souveraineté nationale sur ce sujet.
Le Conseil constitutionnel a également censuré cette proposition de loi. Tout en reconnaissant que des règles spécifiques aux étrangers pouvaient être prises en matière de droits sociaux, et que les exigences constitutionnelles ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité, il a estimé que la durée de cinq ans de résidence ou de trente mois d'activité pour les travailleurs n'était pas proportionnée. La présente proposition de loi vise à tirer les conséquences de ces décisions, point sur lequel nous reviendrons.
Au préalable, il me faut préciser l'état du droit en vigueur concernant le bénéfice des prestations sociales « de droit commun » pour les ressortissants étrangers.
Je rappelle, d'abord, que les étrangers en situation irrégulière, qui ne sont pas concernés par la présente proposition de loi, ne bénéficient d'aucune prestation sociale à l'exception de l'aide médicale d'État (AME) et de l'hébergement d'urgence. Concernant les ressortissants étrangers en situation régulière, la tendance générale est à l'accès de plein droit aux prestations sociales dès lors qu'une résidence stable, soit une présence de neuf mois consécutifs, est établie. Cette universalité de l'accès au droit est avant tout la conséquence de la déconnexion croissante entre le système de protection sociale et le travail.
Cependant, des exceptions existent déjà dans le droit en vigueur. Elles concernent notamment le revenu de solidarité active (RSA) et l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Pour ces deux prestations, la loi impose respectivement d'être titulaire d'un titre de séjour autorisant à travailler depuis cinq ans - voire quinze ans à Mayotte - pour le RSA et depuis dix ans pour l'Aspa. Cette condition de présence sur le sol national a en outre été validée par le Conseil constitutionnel en ce qui concerne le RSA, au motif que « la stabilité de la présence sur le territoire national était une des conditions essentielles à l'insertion professionnelle ».
Il faut enfin souligner la spécificité des ressortissants de pays membres de l'Union européenne qui, aux termes des traités européens, font l'objet d'une égalité de traitement avec les nationaux au regard de la protection sociale.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi entend instaurer une durée minimale de résidence en situation régulière de deux années avant l'accès aux prestations familiales, à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), à l'aide personnalisée au logement et au droit au logement opposable. Il faut noter que ce périmètre exclut, par rapport au RIP dont j'ai déjà parlé, la PCH et l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), tant la vulnérabilité des publics concernés suppose une attention particulière. Selon les auteurs, il s'agit notamment de « préserver les conditions de bon fonctionnement des mécanismes des prestations sociales et de solidarité dans un contexte de densité particulière des flux migratoires ».
Au terme de mes travaux, j'estime que, sur le principe, la mise en place d'une durée de résidence préalable au bénéfice de prestations sociales est légitime, voire souhaitable. La protection sociale est l'expression de la solidarité nationale : conditionner son accès à une durée de présence en France, c'est au fond considérer que c'est l'appartenance au collectif et la participation à la vie de la Nation qui fondent la légitimité de cette solidarité. Sans plus m'avancer sur ce point, il me semble que cela correspond précisément à la logique d'intégration républicaine.
Au demeurant, de nombreux pays, dont les systèmes de protection sociale sont pourtant moins généreux que le nôtre, ont fait un choix analogue. Si l'exemple de l'Italie a suscité de nombreuses réactions du fait de la communication déployée par la Présidente du Conseil, il faut rappeler que c'est également le cas pour les prestations familiales à Chypre, en Irlande, au Danemark ou encore en Grèce, où les durées de résidence préalables vont d'un à cinq ans.
Avant d'en arriver aux évolutions que je vous propose, je souhaite souligner un point concernant les conséquences financières de cette proposition de loi. Il nous faut en la matière être lucides et raison garder. Nul ne pense sérieusement que ce texte aura un impact budgétaire important - ce n'est d'ailleurs pas son objectif premier. Malheureusement, les données communiquées par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ne permettent pas de chiffrer l'effet de la mesure, notamment parce que les systèmes d'information de la Cnaf ne renseignent pas la nationalité des allocataires.
Pour autant, environ 10 % des foyers auraient un allocataire principal possédant un titre de séjour, ce qui ne permet pas d'en déduire qu'il serait concerné par la présente proposition de loi puisqu'il est susceptible de travailler ou d'être présent depuis plus de deux ans en France.
En revanche, au cours de mes travaux, différentes problématiques me sont apparues et justifient, pour certaines d'entre elles, les propositions d'amendements que je vais vous présenter.
Un premier point concerne évidemment la constitutionnalité du dispositif. Les débats entre les universitaires sont complexes et la matière est incertaine, aussi je ne me permettrai pas d'affirmer des certitudes. Cependant, le Conseil constitutionnel se fondait sur le fait que « la condition de résidence en France d'une durée d'au moins cinq ans portait une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles ». La durée actuelle étant de neuf mois pour l'essentiel des prestations sociales, je constate que si la durée de deux ans se révélait inconstitutionnelle, alors le juge constitutionnel aurait tout aussi bien fait d'indiquer clairement qu'aucune modification de cette durée n'était possible.
Plus fondamentalement, il me semble que chacun est dans son rôle et qu'il n'appartient pas au législateur d'anticiper une interprétation, parfois créative, pour ne pas dire restrictive, du juge constitutionnel. Ma seule boussole a donc été celle du respect de la lettre de la Constitution, et c'est ce qui m'amène à vous proposer un premier amendement afin de soustraire le Dalo aux prestations concernées par la proposition de loi. Il semble que ce dernier fait l'objet d'une protection constitutionnelle plus claire et que l'accès à un logement décent constitue l'une des dimensions fondamentales du droit.
Un autre point concerne la conventionnalité de la proposition de loi, c'est-à-dire son respect des traités signés par la France - notamment dans l'ordre juridique européen -, traités qui sont supérieurs à la loi. En la matière, les services du ministère de l'intérieur ont souligné les enjeux relatifs à la directive du 13 décembre 2011 dite « permis unique ».
L'article 12 de cette directive impose aux États membres d'assurer une égalité de traitement entre les étrangers disposants d'un titre de séjour autorisant à travailler et leurs ressortissants nationaux ; il a déjà fait l'objet de sanctions de la part de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Pour se mettre en conformité avec cette directive, un amendement vise donc à substituer à la condition d'affiliation à la sécurité sociale au titre d'une activité professionnelle, celle d'un titre de séjour autorisant à travailler. La conséquence directe est de permettre aux étrangers disposant d'un tel titre de séjour, mais ne travaillant pas dans les faits, de bénéficier des prestations sociales concernées par la proposition de loi.
D'autres modifications d'ordre technique vous seront proposées, mais je tiens à en souligner deux qui me paraissent importantes.
Il s'agit d'abord de l'exclusion de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP) des prestations concernées par la condition de résidence. Dans la mesure où elle bénéficie aux parents d'enfants gravement malades, accidentés ou handicapés, il m'est apparu nécessaire d'y veiller.
De même, la proposition de loi privait de base légale une exception maintenue par le législateur afin de permettre le bénéfice du RSA aux mères isolées étrangères avant la durée de cinq ans de résidence qui vaut dans le cas général. Il m'est apparu particulièrement nécessaire de maintenir cette exception.
Un dernier point doit être mentionné : il concerne l'application effective de la proposition de loi en cas d'adoption. Au cours de mes auditions, j'ai constaté que de nombreuses conventions internationales, ou accords bilatéraux, prévoyaient des clauses dites de « réciprocité ». Cela signifie concrètement que la France s'engage à traiter les ressortissants des pays partie aux traités de la même manière que ses ressortissants concernant l'accès à la sécurité sociale. Ces accords sont nombreux et difficiles à analyser, d'autant que l'Union européenne elle-même ratifie des accords d'association aux mêmes conséquences.
Il semble que de tels accords couvrent notamment les ressortissants de l'essentiel des pays du Maghreb, de la Turquie et de nombreux pays d'Afrique subsaharienne. Cela signifie concrètement que les étrangers en situation régulière de ces pays ne seraient pas concernés par le dispositif que nous examinons aujourd'hui.
Cette circonstance ne me semble pour autant pas appeler à des conclusions hâtives sur cette proposition de loi.
D'abord parce que les conventions en question peuvent être dénoncées ou amendées sur certains points, si une volonté politique suffisante existe. Je pense, notamment, aux récentes dissensions avec l'Algérie, qui posent la question d'une telle évolution.
Par ailleurs, le principe de justice qui semble à l'origine de la proposition de loi trouve, en partie, à être satisfait dans le cas d'une convention bilatérale. En effet, ces conventions assurent en retour qu'un ressortissant français habitant dans le pays partie au traité bénéficie d'un traitement non discriminatoire avec les ressortissants nationaux.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter ce texte, qui me semble traduire un objectif de justice et d'équité particulièrement attendu par nos concitoyens, avec le bénéfice des amendements que je vais vous présenter par la suite.
Pour finir, il m'appartient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que cette proposition de loi comprend des dispositions sur les conditions d'éligibilité aux prestations sociales des ressortissants étrangers.
En revanche, ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs aux prestations et aides sociales spécifiques aux étrangers en situation irrégulière et aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je passerai très vite sur la justification de cette proposition de loi, que je conteste. Il s'agit d'un « joujou idéologique », ne tenant pas compte du fait que le déterminant des personnes qui viennent en France n'est pas du tout les prestations sociales, y compris à Mayotte.
Contrairement à ce que vous avez affirmé, madame la rapporteure, le RSA à Mayotte n'est jamais passé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel puisqu'il s'agissait d'une ordonnance. A contrario, lorsqu'il a été proposé d'y toucher pour la Guyane, le Conseil constitutionnel ne l'a pas validé. Pourriez-vous me le confirmer ?
Vous estimez que la proportionnalité n'est qu'un problème de quantum. Nous en sommes d'ailleurs à la troisième tentative pour forcer les limites de la constitutionnalité. Or votre raisonnement tombe à l'eau : les prestations contributives visent à assurer des droits fondamentaux aux personnes qui résident en France de manière régulière. C'est à l'aune de ces droits fondamentaux - que nous connaissons tous - qu'il faut juger de la constitutionnalité de cette proposition. Vous proposez d'exclure du périmètre la PCH ou l'AEEH en raison de la vulnérabilité des publics concernés. Mais quid de l'allocation de rentrée scolaire ou du droit à un logement décent ? Les publics concernés ne sont-ils pas vulnérables ? En les privant de la solidarité nationale, ne risque-t-on pas de les précipiter dans la précarité financière ? Je préférerais plutôt une réponse prestation par prestation.
Certes, on a le droit de faire une différence entre étrangers et nationaux, mais on n'a pas le droit d'introduire une rupture d'égalité entre les étrangers. Cela nous oblige d'ailleurs à tordre les faits : l'APL, par exemple, est maintenue pour les étudiants alors que cette aide répond pour tous aux mêmes besoins fondamentaux. Tous ces points ne seront pas indifférents au Conseil constitutionnel.
Mme Élisabeth Doineau. - Je remercie Mme la rapporteure de son important travail, mais je ne la suivrai pas sur ce texte. On nous dit qu'il n'est pas question d'immigration, mais quand on relit le document, il en est question à chaque page ! Il y a une inégalité qui se crée. J'entends bien ce que l'on dit en matière d'articulation entre la proposition de loi et les conventions auxquelles la France est liée, mais au bout du compte qui le dispositif proposé concernera-t-il : les Japonais qui viennent en France ? Par ailleurs, on ignore tout des montants en jeu. Disposons-nous d'une étude sur les personnes concernées qui permette d'affirmer qu'il s'agit d'une mesure attendue par l'ensemble des Français ? Les bras m'en tombent ! Ne vaudrait-il mieux pas prendre de la hauteur pour maintenir l'égalité des chances et la liberté pour chacune et chacun d'entre nous ?
Mme Annie Le Houerou. - C'est la troisième tentative en deux ans pour restreindre les prestations sociales dont bénéficient les étrangers non ressortissants afin de lutter contre un appel d'air qui n'est pas du tout documenté. Les principaux déterminants de l'immigration ne sont pas du tout les politiques sociales du pays d'arrivée, mais son attractivité économique et la présence d'une diaspora.
Concernant la lutte contre les déficits publics, la contribution de l'immigration au budget de l'État est plutôt positive dans tous les pays, comme le rappelle l'OCDE.
Le Conseil constitutionnel, après la première tentative en 2023 lors de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, avait estimé que la fixation d'une résidence d'au moins cinq ans était disproportionnée. Vous en tirez la conclusion aujourd'hui qu'il faut passer à deux ans. Comme justifie-t-on une telle obsession ?
Selon la commission des lois, cette proposition de loi aurait une incidence très faible puisque de nombreux accords et conventions internationales alignent les droits sociaux des étrangers extracommunautaires sur les régimes des nationaux. Avez-vous des éléments précis sur l'effet de cette loi sur nos dépenses, en particulier sociales ? Pour notre part, nous pensons que l'impact sera négatif. Le nombre d'enfants en situation de très grande pauvreté pourrait augmenter. Idem pour les personnes âgées en perte d'autonomie. Cela aura des conséquences en termes de santé, ce qui accroîtra nos dépenses.
Cette proposition de loi est un texte très populiste, qui n'apportera aucune réponse à nos difficultés et ne contribuera pas non plus à la recherche de la cohésion sociale à laquelle nous sommes attachés. Bien évidemment, nous ne le voterons pas.
M. Xavier Iacovelli. - Je remercie Mme la rapporteure de son travail. Je rejoins la position d'Élisabeth Doineau et je ne soutiendrai pas ce texte. Nous sommes tous d'accord pour lutter contre l'immigration irrégulière. Mais ici, il s'agit de personnes étrangères en situation régulière, qui travaillent pour la plupart. L'enjeu est d'opposer, non pas les étrangers aux Français, mais ceux qui travaillent à ceux qui ne travaillent pas. Pourquoi remettre en cause les aides auxquelles ont droit les personnes qui se lèvent à quatre heures du matin pour faire le ménage dans nos bureaux ? Il vaudrait mieux s'attaquer à d'autres sujets en matière de dépense publique, d'autant que, Mme la rapporteure le reconnaît elle-même, l'objectif n'est pas financier, la mesure n'affectant que très peu de personnes. Qui sera concerné, à part les Japonais, comme l'a souligné à juste titre Élisabeth Doineau, puisque le plus gros contingent - le Maghreb et l'immigration africaine subsaharienne - sera épargné en raison des conventions que nous avons signées ? Ce texte est donc un produit de communication, qui n'est pas à la hauteur du Parlement. Nous voterons donc contre.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous voterons contre cette proposition de loi, qui ne m'étonne guère. Nous dirons d'ailleurs ce que nous avons à dire en séance... Permettez-moi juste de rappeler que les gens préfèrent souvent l'original à la copie ! Ce texte est contraire au principe d'égalité de traitement, exigé par nombre de traités internationaux signés par la France. Combien de personnes seront-elles concernées par la condition de deux années de résidence sur le territoire national ? Combien de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie seront concernés ? Au mieux, cette proposition de loi n'est que de l'affichage à l'intention d'un certain électorat. Comment allez-vous maintenir l'effectivité des prestations familiales avec des conditions aussi durcies ?
Mme Frédérique Puissat. - De nombreuses questions se posent. Je rappelle néanmoins qu'il s'agit d'une proposition de loi, non d'un projet de loi : si nous ne disposons pas toujours des éléments chiffrés, nous avons en revanche des convictions. Comme l'a souligné Mme la rapporteure, ce texte s'inscrit ni plus ni moins dans la continuité de ce que la majorité du Sénat a voté dans le cadre de l'article 19 du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Nous avons eu des divergences d'appréciation sur ce texte, mais je vous invite à faire preuve de davantage de respect. Valérie Boyer a eu pour seul objectif de faire preuve de cohérence politique en tenant compte de l'avis du Conseil constitutionnel. Nous nous inscrivons dans cette même logique.
M. Daniel Chasseing. - Il ne s'agit pas d'une proposition de loi extrêmement dure. J'avoue qu'il me paraît étrange de la caricaturer de la sorte. Aucun changement n'est prévu en matière de RSA, d'Aspa et d'APA. Ceux qui travaillent peuvent aussi bénéficier des prestations sociales. Il s'agit simplement d'instaurer une durée minimale de résidence en situation régulière de deux ans pour ceux qui ne travailleraient pas. Au Danemark, il faut cinq ans de résidence. Je voterai en commission en faveur de ce texte.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - À vrai dire, le Conseil constitutionnel a suggéré que l'on présente une durée raisonnable. Il a parlé de proportionner les choses, c'était donc un encouragement à revenir sur le sujet. En réponse à Raymonde Poncet Monge et à Annie Le Houerou, travailler ou habiter depuis deux ans sur le territoire français ne me paraît pas une condition disproportionnée pour avoir droit à ces aides contributives.
Je prends acte de la décision d'Élisabeth Doineau de ne pas soutenir cette proposition de loi. Comme je l'ai souligné dans le rapport, les chiffres font souvent défaut en France. Nous sommes ici un peu coincés, car la Cnaf ne peut pas nous communiquer de chiffres et la sécurité sociale ne connaît pas la nationalité des étrangers. C'est un problème que nous avons rencontré à l'occasion d'autres rapports, je pense notamment à celui qui portait sur la mortalité infantile dans les maternités. Nous manquons certainement de rigueur. Quand on veut mettre en place le prélèvement à la source, on a bien tous les chiffres. On devrait donc pouvoir y arriver pour le reste. Mme Le Houerou voulait également des éléments précis : je suis au regret de lui dire que nous sommes malheureusement ici dans l'imprécision.
Monsieur Iacovelli, on ne s'attaque pas aux étrangers qui travaillent puisqu'il s'agit justement d'une condition exonératoire. S'ils ne résident pas depuis au moins deux ans sur notre territoire, les étrangers doivent au moins travailler : c'est une proposition relativement raisonnable selon moi.
Cathy Apourceau-Poly m'a également demandé des chiffres, mais nous n'en avons pas. Quant aux encouragements de Mme Puissat, je rappelle que nous sommes un groupe politique qui se pose des questions sur l'établissement des étrangers en France, en essayant de dissuader ceux qui pensent que c'est open bar.
Enfin, je remercie M. Chasseing qui, avec sa sagesse habituelle, a rappelé la proportionnalité de cette proposition de loi.
Mme Brigitte Devésa. - Avons-nous une estimation chiffrée, même à la marge ?
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Nous n'avons pu obtenir aucun chiffre. C'est une vraie difficulté pour nous. Nous disposons d'une estimation de 10 % de bénéficiaires, mais ce taux est surestimé dans la mesure où nous savons que certains travaillent et sont parfois là depuis plus longtemps que deux ans.
Mme Brigitte Devésa. - Il aurait été intéressant de connaître l'impact de cette mesure sur les prestations sociales.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - S'il manque un paramètre, impossible d'effectuer le calcul.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - S'agissant de l'amendement de suppression COM-6, les travaux que j'ai menés me conduisent à une conclusion différente de celle de Mme Poncet Monge, son auteure principale. J'ai exposé durant la discussion générale les raisons pour lesquelles je soutiens le texte. Avis défavorable.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je souhaite revenir sur la notion de durée raisonnable. La proportionnalité ne se réduit pas au seul quantum. Elle dépend aussi de la réponse à deux questions. D'une part, la mesure est-elle adaptée au regard des droits fondamentaux ? D'où la nécessité d'analyser la situation prestation par prestation... D'autre part, à quelle nécessité la mesure répond-elle ? S'il s'agit d'une nécessité de cohérence politique un peu xénophobe - parce que, en définitive, ce texte revient à considérer de la même façon l'étranger en situation régulière et l'étranger en situation irrégulière -, il faut le dire !
M. Philippe Mouiller, président. - On peut ne pas être d'accord, madame Poncet Monge, mais vous allez trop loin en accusant un certain nombre de vos collègues de xénophobie. Je vous propose d'arrêter là et que nous avancions.
L'amendement COM-6 n'est pas adopté.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Les amendements identiques COM-5 et COM-7 rectifié visent à supprimer le délai de résidence pour le bénéfice du droit au logement opposable.
Les amendements identiques COM-5 et COM-7 rectifié sont adoptés.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Je vais présenter l'amendement COM-1 et le sous-amendement COM-8 rectifié de la commission des lois en même temps, puisque, sans plus de suspense, j'y serai favorable.
L'amendement COM-1 a pour objet de sécuriser juridiquement le dispositif relatif aux conditions d'éligibilité des allocations familiales pour les ressortissants étrangers extracommunautaires. Il remplace notamment la condition de deux ans de résidence stable en France par le fait d'être titulaire depuis deux ans d'un titre ou d'un document de séjour, afin de faciliter le contrôle effectué par les caisses de la branche famille lors de l'instruction des dossiers.
Afin de répondre aux exigences du droit européen, notamment de la directive « permis unique », il modifie la liste des exceptions rendant non-opposable la durée de résidence de deux années.
L'article L. 512-2-1 nouvellement créé substitue à la notion d'« affiliation à la sécurité sociale » celle de « titre de séjour autorisant à travailler », ce qui permet de respecter l'égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre de résidence en matière de protection sociale.
Le sous-amendement COM-8 de la commission des lois précise le cas des bénéficiaires de la protection temporaire, ce qui est utile.
L'amendement COM-9 reprend une partie de l'amendement que je vous propose. Je le considère donc comme satisfait.
Le sous-amendement COM-8 rectifié est adopté. L'amendement COM-1, ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, l'amendement COM-9 devient sans objet.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - L'amendement de coordination juridique COM-2 tire la conséquence de l'amendement que nous venons d'adopter.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Les amendements identiques COM-3 et COM-10 visent à repousser la date d'entrée en vigueur du présent article, afin de prendre en compte le délai d'adaptation des systèmes d'information nécessaire à la bonne mise en oeuvre du dispositif. Cette date, fixée par décret, ne peut cependant pas être postérieure au 1er juillet 2026.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Outre le fait que nous ne connaissons pas l'impact de la mesure, sa mise en oeuvre sera très problématique. Actuellement, les étrangers en situation régulière connaissent, de fait, de nombreuses ruptures. Comment comptabiliser alors les deux ans, sauf à ouvrir des requêtes statistiques qui sont aujourd'hui interdites par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ?
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Nous avons supprimé cette difficulté sur la durée de séjour en prévoyant la présentation d'un titre de séjour.
Les amendements identiques COM-3 et COM-10 sont adoptés.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article unique
L'amendement de coordination COM-4 est adopté et devient article additionnel.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Organisation de la prévention dans le domaine de la santé - Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie
M. Philippe Mouiller, président. - Nous avons lancé une mission d'information sur la prévention. L'objectif est de dresser un état des lieux de ses acteurs, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) étant le principal d'entre eux. Nous savons que ce secteur regroupe un très grand nombre d'intervenants, notamment les organismes complémentaires d'assurance maladie et les collectivités territoriales. D'importantes questions se posent : celle des moyens, mais aussi celle de la stratégie et de la coordination de cette stratégie.
Il nous semblait important de vous écouter en commission plénière, Monsieur Fatôme, en tant que directeur général de la Cnam, sur votre action, mais également sur la coordination des actions mises en oeuvre et sur la façon d'accentuer le virage de la prévention.
Les rapporteures de notre mission d'information sont Marie-Do Aeschlimann, Marion Canalès et Nadia Sollogoub.
M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie. - Merci de me donner l'occasion de parler de ce sujet majeur qu'est la prévention. Je suis venu avec plusieurs exemplaires d'un document que nous avons publié à l'automne dernier, qui est notre plaidoyer sur la prévention et qui explique nos actions. Je suis accompagné du Dr Catherine Grenier, directrice des assurés, en charge des politiques de prévention.
La prévention est un axe essentiel de l'action de l'assurance maladie. Depuis la convention d'objectifs et de gestion (COG) qui nous unit à l'État et qui fixe nos priorités, elle fait partie des six objectifs stratégiques de l'assurance maladie, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Je commencerai par une présentation de l'état de santé des Français. J'expliquerai ensuite pourquoi l'assurance maladie est un opérateur important de la prévention, dans le cadre d'une politique de santé publique définie par l'État, même si nous sommes force de proposition. J'illustrerai nos priorités. Enfin, j'esquisserai des pistes de réflexion.
Aujourd'hui en France, l'espérance de vie continue à augmenter, même si le rythme de cette progression ralentit. Nous nous situons à un niveau nettement plus élevé que la moyenne des pays européens. Cette espérance de vie progresse aussi sans incapacité à 65 ans.
Pour construire une politique de prévention, il faut se demander quels sont les problèmes auxquels nous faisons face. Nous avons tout de même un système de santé performant, avec un accès aux soins relativement facile, mais aussi des habitudes de vie qui expliquent les performances françaises. Toutefois, la situation française est marquée par de fortes inégalités en santé sur les territoires, notamment au regard de certains facteurs de risques tels que l'alcool, le tabac et l'alimentation.
Notre pays a des niveaux de tabagisme élevés, voire très élevés, au-delà de la moyenne des pays européens. La diminution de la prévalence du tabagisme en France a été stoppée par le covid. Depuis, on enregistre une nette progression du taux de tabagisme des femmes, même s'il reste inférieur à celui des hommes. Malgré l'ampleur des politiques menées, nous restons à 25 % de tabagisme quotidien, contre 15 % en Allemagne. Le tabac est un serial killer qui entraîne plus de 60 000 décès par an.
La comparaison est un peu moins défavorable à la France en matière d'alcool, dont la consommation diminue régulièrement. Nous restons néanmoins dans le premier tiers des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). C'est aussi un enjeu de santé publique. La consommation d'alcool entraîne des pathologies, sans parler de son coût social qui est majeur.
La nutrition est considérée par les scientifiques comme l'un des tout premiers facteurs de risque en termes de perte d'années de vie en bonne santé. Pas moins de 50 % de la population adulte est en surpoids, avec 17 % des adultes et 5 % des enfants qui sont obèses. Nous sommes plutôt meilleurs que nos voisins européens mais la prévalence de l'obésité et du surpoids progresse. Le surpoids pose des problèmes de maladies cardiovasculaires et de diabète, notamment.
Ces facteurs de risque ont des conséquences sur la mortalité : 160 000 décès par an sont dus au cancer en France ; 20 millions d'assurés ont un risque cardiovasculaire augmenté ; d'autres souffrent d'hypertension artérielle ou de diabète.
Sur ces différents indicateurs, les gradients sociaux sont importants. On connaît les différences d'espérance de vie selon les catégories socio-professionnelles. Il y a aussi des différences marquées en termes d'inégalités dans la prévention et la promotion de la santé.
Des travaux récents de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) tentent de quantifier notre effort de prévention. On dit souvent qu'il est insuffisant. Les derniers travaux de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de l'Irdes consolident tout de même des dépenses de prévention institutionnelles et non institutionnelles autour de 16 milliards d'euros, ce qui n'est pas complètement négligeable.
Nous sommes à la disposition des pouvoirs publics pour mettre tous nos moyens au service de la prévention. Nous avons la chance de pouvoir entrer en contact avec les assurés par des canaux extrêmement diversifiés. Quelque 45 millions de personnes ont un compte Ameli (assurance maladie en ligne) et 18 millions de personnes, soit plus d'un quart des assurés, ont ouvert leur compte « Mon espace santé ». Nous savons leur adresser des messages individuels. Nous menons des campagnes d'information et de communication sur le bon usage du système de santé et participerons à la campagne sur la santé mentale dans les prochaines semaines. Nous avons repris en 2024 les invitations au dépistage organisé des cancers.
Notre action auprès des assurés est protéiforme : de la campagne nationale au dernier kilomètre, du mail au SMS, en passant par les appels téléphoniques. Nous avons la chance de compter 100 caisses primaires d'assurance maladie implantées sur le territoire et 80 centres d'examen de santé. Avec les collectivités territoriales, les agences régionales de santé (ARS), les associations, les professionnels de santé, nous avons donc la capacité de déployer des programmes de prévention au niveau local.
Nous négocions, dans un cadre conventionnel, avec les professionnels de santé. C'est l'occasion de défendre la prévention. Je vous en donne deux exemples.
Le premier : avec les médecins, nous avons transformé en profondeur le forfait patientèle médecin traitant (FPMT) et la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), qui, à partir de 2026, seront remplacés par un forfait médecin traitant individualisé sur des items de prévention. Le médecin saura si son patient âgé est vacciné ou non contre la grippe, et il sera rémunéré si ce patient l'est. C'est une simplification majeure.
Le deuxième : nous menons des discussions avec les sage-femmes, acteurs majeurs de prévention autour de la santé de la femme et du nourrisson. Nous avons décidé de mettre en place un forfait de santé publique qui accompagnera leurs efforts de prévention. Nous savons que les taux de vaccination des femmes enceintes contre la grippe restent, en France, extrêmement bas.
Avec le ministère de la santé, nous mettons en place des innovations au service de la prévention, notamment des expérimentations relevant de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018, dans les domaines des addictions, de l'activité physique adaptée, de l'obésité, entre autres. Parce que ce sont des expérimentations portées par des professionnels de santé, l'assurance maladie les accompagne.
Nous avons essayé, à compter de la signature de la COG et de 2023, d'articuler un certain nombre de priorités. Nous les avons définies en quatre axes : les taux de dépistage organisé des cancers ; la couverture vaccinale de la population ; la santé de l'enfant ; le déploiement des bilans de prévention aux âges clés de la vie, défendu par le ministère de la santé et dont l'assurance maladie est un opérateur majeur. J'ajoute que nous avons construit une feuille de route au début de cette année autour des maladies cardiovasculaires. Nous élargissons la focale du programme Sophia pour prévenir et accompagner les patients à risque cardiovasculaire.
Nous avons repris toute la mécanique d'invitation aux dépistages organisés des cancers, qui était auparavant gérée par les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Nous avons ajouté une action d' « aller vers » puisque nous avons mis en place sept plateaux d'appels sortants, comme lors du covid. Nous avons embauché plus de 120 personnes pour émettre plus de 3 millions d'appels dont 700 000 aboutis en 2024, engendrant 256 000 rendez-vous et des kits récupérés en pharmacie. L' « aller vers » se consolide. Ainsi, nous investissons pour l'avenir.
Nous participons aux campagnes de vaccination contre la grippe et à celle contre les infections à papillomavirus humains (HPV), avec l'Éducation nationale. Nous devons aller plus loin, même si, sur la vaccination contre la grippe, nous sommes un peu au-delà de la moyenne européenne, avec un peu plus de 50 % de la population cible vaccinée contre 20 % à 25 % en Allemagne.
La prévention chez les enfants est majeure. Nous avons signé avec les dentistes un nouveau programme très ambitieux, Génération sans carie. Tous les ans, un bilan de prévention sera réalisé chez les 3-24 ans, qui sera bien rémunéré pour les pharmaciens et entièrement financé par l'assurance maladie obligatoire (AMO) et l'assurance maladie complémentaire (AMC) : c'est le 100 % prévention, comme il y a le 100 % santé, en tiers payant intégral. Il démarrera progressivement à partir du 1er avril. Si nous parvenons à atteindre nos objectifs, ces bilans de prévention dentaire seront la clé de l'amélioration de la santé dentaire de nos assurés. Moins de caries quand on est jeune, c'est moins de prothèses ensuite, donc une meilleure santé et, accessoirement, des dépenses réduites. Nous appliquons aussi une logique d'« aller vers » en nous rendant dans les classes des quartiers défavorisés, où les enjeux sont prioritaires.
Nous développons également le programme Mission : retrouve ton cap, issu d'une expérimentation relevant de l'article 51. Près de 500 structures sont référencées, principalement des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), qui proposent une prise en charge intégrée aux enfants ou adolescents à risque ou déjà entrés dans l'obésité. Cela démarre trop doucement, avec près de 4 000 forfaits remboursés. On peut aller plus loin.
Enfin, nous mettons en place des programmes de détection renforcée des troubles du langage, de la vision et du rachis, avec les orthophonistes et les kinésithérapeutes à l'école, en collaboration avec l'Éducation nationale.
J'en viens à la feuille de route sur les maladies cardiovasculaires. Nous avons la certitude que c'est un enjeu crucial dont il faut améliorer le dépistage. On découvre trop souvent une phase avancée de la maladie chez des patients diabétiques. Cela engendre des hospitalisations trop fréquentes et mal préparées. Nous avons formulé des propositions pour mieux sensibiliser les professionnels de santé à la nécessité de dépister le diabète. Nous avons également déployé depuis deux ans un programme sur l'insuffisance cardiaque.
Quelles sont nos perspectives ? L'assurance maladie souhaite aller plus loin sur des sujets sur lesquels nous sommes historiquement peu présents : l'environnement et l'alimentation. Nous sommes d'ardents défenseurs du Nutriscore, outil extrêmement intéressant pour accompagner les assurés. C'est un point sur lequel nous voulons davantage investir pour accompagner la prévention de l'obésité.
Quelque 18 millions d'assurés ont un espace santé numérique. Nous devons davantage utiliser cet outil en faveur de la prévention. Nous devons adresser des messages de prévention, en fonction de l'âge et du sexe. C'est un enjeu d'accompagnement et d'autonomisation.
Nous devons aussi aller plus loin dans les partenariats avec les complémentaires santé et les entreprises. Historiquement, nous faisons d'abord de la communication individuelle auprès des assurés, ou via les professionnels de santé. Nous pourrions davantage investir le champ de l'entreprise, pour qu'elle soit un lieu de prévention, à l'occasion de bilans ou par la diffusion de messages.
La santé mentale reste un enjeu majeur, à la frontière entre la prévention et le curatif. Nous avons construit le programme Mon soutien psy, qui progresse fortement, avec plus de 5 200 psychologues conventionnés contre 2 500 début 2024.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci pour cette présentation. Le nombre d'actions est important.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Merci, monsieur le directeur général, pour la présentation de la feuille de route de la Cnam sur le champ de la prévention, sujet prioritaire pour notre commission des affaires sociales.
Si le Gouvernement a renoncé à l'augmentation, un premier temps envisagée, du ticket modérateur sur les actes médicaux et sur les médicaments, il semble que le principe de la prise en charge par les complémentaires santé d'un montant approchant le milliard d'euros, aujourd'hui assumé par l'assurance maladie, soit, lui, toujours d'actualité. Reste à déterminer sur quel champ. Les organismes complémentaires disent leur volonté d'être mieux impliqués et associés dans la mise en oeuvre des politiques de prévention. Vous semble-t-il envisageable de leur conférer des responsabilités plus importantes en la matière ou estimez-vous au contraire qu'associer ces acteurs pourrait constituer un frein au déploiement des actions de prévention, soit en créant de la confusion, soit en érigeant une barrière financière à la prévention ?
Au-delà de la COG, qui articule la stratégie de l'État avec celle de l'assurance maladie, jugeriez-vous pertinent d'ouvrir un dialogue avec les organismes complémentaires sur les programmes et les actions de prévention qu'ils développent auprès de leurs adhérents ? Dans le cadre des premières auditions que nous avons menées, nous avons noté, avec mes collègues rapporteures, qu'elles étaient très fières, très attentives et très soucieuses de ces programmes de prévention. Quelle forme ce dialogue pourrait-il prendre ? Plus largement, jugeriez-vous utile d'installer une instance de coordination des acteurs de la prévention au niveau national, qui intégrerait notamment les organismes complémentaires ? J'ai noté que vous inscriviez cette relation particulière avec les organismes complémentaires dans le cadre de l'entreprise. Or, les retraités peuvent avoir des difficultés à financer leur cotisation complémentaire. Il faut aussi être attentif à ce type de patients.
Mme Marion Canalès, rapporteure. - La COG prévoit de renforcer les actions de prévention sur la maternité et la petite enfance. La mortalité infantile est en forte augmentation. Un rapport du Sénat sur la santé périnatale a été publié. Quelles relations vos services départementaux entretiennent-ils avec les services de protection maternelle et infantile (PMI) et avec la médecine scolaire ?
La COG prévoit aussi une réflexion sur les actes de prévention individuelle financés par le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire (FNPEIS) afin d'envisager un transfert de financement du ticket modérateur. Où en êtes-vous de cette réflexion ?
Lors de nos auditions, nous avons entendu parler du Domiscore qui permet d'évaluer l'impact de l'habitat sur la santé.
Hors prévention, j'ai une question sur le cannabis thérapeutique, qui a connu des avancées. Le CHU de Clermont-Ferrand est concerné. L'expérimentation a été prolongée de six mois, alors qu'elle devait s'arrêter le 31 décembre 2024, avec une vraie problématique d'arrêt des prescriptions. Il y a un vrai sujet. Quelque 1 600 patients concernés par cette expérimentation sont en impasse thérapeutique. Quel est le positionnement de l'assurance maladie ?
Mme Nadia Sollogoub, rapporteure. - Vous soulignez à raison que les efforts d'aujourd'hui sont les économies de demain. Une remarque sur votre constat de ce que l'espérance de vie continue d'augmenter en France : peut-être faut-il regarder ce qu'il en est de l'espérance de vie en bonne santé.
Vous avez chiffré les dépenses de prévention à 16 milliards d'euros. Comment établissez-vous ce chiffre, précisément ? Nos premières auditions montrent les difficultés de calcul, dans la nomenclature actuelle : on ne distingue pas bien, dans la consultation d'un professionnel de santé, ce qui relève de la prévention. Pensez-vous possible de faire évoluer la nomenclature et la valorisation des actes de prévention ?
Les complémentaires santé ont déploré le manque d'accès à des données qui leur permettent de cibler leur action de prévention personnalisée. Sans possibilité de ciblage, les actions de prévention qu'elles déploient peuvent être mal calibrées : des programmes de dépistage sont ainsi proposés à des assurés déjà malades, ce qui décrédibilise les actions conduites : avez-vous engagé une réflexion pour que les complémentaires santé accèdent mieux aux données, de manière à avoir une action plus ciblée et plus efficace ?
La prévention s'inscrit dans le temps long, un peu comme l'action en matière d'environnement. Or, vous évoquez surtout des campagnes de prévention pour l'immédiat ; avez-vous des programmations pluriannuelles sur des actions de prévention ?
Vous avez pris l'exemple du dépistage bucco-dentaire auprès des enfants. Or, le retour d'expérience des précédentes actions en la matière montre qu'elles ont surtout touché les enfants qui en avaient le moins besoin, ceux des familles de CSP+, qui accèdent déjà à des dentistes. Envisagez-vous en changer de méthode ?
Enfin, comment évaluer la prévention, les incitations à consulter des professionnels de santé, quand ils font défaut sur les territoires ?
M. Thomas Fatôme. - Le milliard d'euros de hausse est un sujet sensible. Le Gouvernement a bien pris en compte que l'augmentation des tarifs des complémentaires santé en 2025, intégrait une augmentation des dépenses en nature qui n'a pas eu lieu. Je ne pense pas que cela devrait modérer notre capacité à travailler avec les organismes complémentaires et je suis tout à fait déterminé à voir comment nous pouvons renforcer notre coordination. Les sujets autour des relations avec les professionnels de santé sont pris en compte. L'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie (Unocam) est partie prenante de l'ensemble de ces négociations et a signé l'ensemble des conventions y afférentes ces deux dernières années. Le meilleur exemple, c'est ce que nous travaillons avec les dentistes autour du programme Génération sans carie, qui a été entièrement construit avec les professionnels et les complémentaires santé. En réalité, les discussions que nous avons se déroulent à trois, si je puis dire, avec les professionnels et les complémentaires - nous l'avons fait pour le 100 % santé, qui permet d'améliorer l'accès financier aux soins dentaires, à l'audioprothèse et aux lunettes, nous pouvons essayer de le reproduire en matière de prévention, vers un « 100 % prévention », avec une coalition des financeurs plutôt qu'une prise en charge intégrale par l'assurance maladie.
Ce que j'ai dit sur la prévention dans le cadre salarial n'épuise pas le sujet de la prévention, le cadre de négociation est évidemment plus large que celui de l'interface avec l'entreprise - les contrats collectifs en entreprises sont un vecteur utile, mais le sujet est bien plus large, c'est évident quand on parle des retraités.
Faut-il institutionnaliser davantage les relations entre les parties prenantes de la prévention ? J'y suis favorable.
Enfin, nous avons effectivement procédé à des simplifications des circuits de financement ; le ticket modérateur pour la vaccination contre la grippe, par exemple, est désormais remboursé directement, au titre du risque, plutôt que par le fonds dédié, c'est plus simple en gestion.
Mme Catherine Grenier, directrice des assurés à la Caisse nationale d'assurance maladie, en charge des politiques de prévention. - La situation française n'est pas satisfaisante sur la mortalité infantile, nous y sommes extrêmement sensibles. L'analyse scientifique montre que plusieurs facteurs sont à l'origine de l'augmentation de la mortalité infantile, surtout liée à la mortalité néonatale, c'est-à-dire dans le premier mois après l'accouchement. Il y a l'augmentation de l'âge de la mère à la première grossesse, mais aussi des causes sociales, la précarité et des difficultés d'accès aux droits. Les facteurs de risque sont particulièrement importants chez les femmes jeunes, à la fois les risques liés à la nutrition, à l'alcool et au tabac.
M. Thomas Fatôme. - Le ministre pourra vous répondre plus amplement sur le cannabis thérapeutique, nous ne sommes pas décisionnaires en la matière.
L'espérance de vie en bonne santé à 65 ans continue de progresser, les travaux de la Drees l'ont confirmé cette année - mais il y a des différences entre les catégories socioprofessionnelles, entre les hommes et les femmes, c'est un sujet.
Il est très difficile de cerner les dépenses de santé en matière de prévention, parce qu'il faut prendre en compte les dépenses indirectes. Les médecins, par exemple, disent qu'une partie de leur activité ordinaire fait partie intégrante de la prévention. L'estimation de 16 milliards d'euros vient de la Drees, elle est certainement perfectible mais elle a gagné en précision, avec des tableaux détaillés qui sont utiles.
Je ne voudrais pas que mon propos liminaire donne le sentiment que nos actions de prévention seraient de court terme. Nous avons des actions qui s'inscrivent dans le temps long et qui se perfectionnent avec le temps, c'est le cas par exemple du dépistage des cancers, où nous faisons des progrès. Voyez le dépistage du cancer colorectal ; après avoir constaté que les canaux de distribution des kits étaient trop restreints, nous avons proposé au ministère que les pharmaciens puissent en délivrer, c'est le cas depuis 18 mois et c'est un succès - on peut imaginer aller plus loin, avec une délivrance élargie aux infirmiers, par exemple. Ces actions sont structurelles, elles se répètent mais elles s'enrichissent par les retours d'expérience.
Je vous rejoins sur l'utilité de travailler avec les complémentaires santé, il faut amplifier la mobilisation partagée, nos thématiques sont proches, voire communes, nous sommes mobilisés pareillement sur les facteurs de risque autour du tabac et de l'alimentation, nous pouvons mieux partager nos connaissances. Cependant, en l'état du droit, nous ne pouvons pas donner accès aux complémentaires santé à des données détaillées qui vont être traçantes, notamment en matière d'affections de longue durée (ALD) et de pathologie. Mais ce n'est pas un prétexte pour ne pas travailler ensemble, cet obstacle juridique n'est pas dirimant et nous pouvons avancer ensemble. Dans l'entreprise, par exemple, les complémentaires santé peuvent proposer des services, des informations, un bilan de prévention - sans avoir besoin d'accéder à des données de santé individuelles. On peut faire beaucoup de choses sans partager les données de santé.
Mme Catherine Grenier. - Entre 2007 et 2019, le recours aux chirurgiens-dentistes pour les populations visées a quadruplé, le nombre de caries par enfant, à 9 ans, est passé 1,74 à 0,93, c'est ce qui a justifié de renforcer le programme Génération sans carie.
Mme Florence Lassarade. - Nous parlons ce matin de mortalité infantile, d'obésité infantile, de troubles de vision, de troubles du langage, de problèmes dentaires, sans jamais évoquer le spécialiste de l'enfant qu'est le pédiatre : doit-on s'habituer à ce que cette profession soit en voie de disparition ? Vous évoquez les facteurs sociaux de la mortalité infantile, mais ils sont comparables chez nos voisins, cela nous laisse donc à expliquer pourquoi nous sommes passés de la 3ème à la 22ème place européenne : ne faut-il pas regarder du côté du recul du nombre de pédiatres ? Qu'en pensez-vous ?
On va récompenser les généralistes quand ils vaccinent contre la grippe, mais c'est tout de même normal qu'ils le fassent - je pense que les pédiatres sont les meilleurs vaccinateurs, ils l'ont largement démontré, mais c'est aussi la pédiatre qui parle... Que pensez-vous du vaccin nasal, que nos voisins anglo-saxons font largement chez l'enfant et qui diminue vraiment les épidémies de grippe ?
M. Alain Milon. - Le plan Priorité prévention 2018-2022 avait prévu l'éradication de l'hépatite C pour 2025, nous n'y sommes pas - et l'OMS fixe à 2030 l'objectif d'éradication de l'hépatite C et des virus de l'hépatite en général. La Cnam a-t-elle un programme dédié à ce sujet ?
Ensuite, utilisez-vous l'IA dans vos programmes de prévention ?
Mme Élisabeth Doineau. - On ne perçoit pas la stratégie générale de prévention, parce que la prévention n'est pas incarnée, le nom même de prévention a été retiré du titre du ministère de la santé, je crois qu'il faudrait l'y remettre et dire clairement que la prévention est un levier d'économies pour la branche maladie, à tous les âges. Il faut aussi que la stratégie soit territorialisée : est-ce que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) le permettent, est-ce qu'elles parviennent à identifier les inégalités territoriales dans la prévention ? Pourrait-on, aussi, faire pour la prévention ce qu'on a fait avec les maisons France services, donc un temps dédié à la prévention, en un lieu bien identifié ? Je l'ai demandé à la préfète de mon département, je crois que c'est utile : qu'en pensez-vous - et avez-vous des actions dans ce sens ?
Mme Laurence Muller-Bronn. - Les généralistes sont encouragés financièrement pour vacciner contre la grippe, est-ce nécessaire ? La prévention ne doit-elle pas également porter sur la réduction de la consommation de médicaments et de traitements chimiques ? Les médecines complémentaires intégratives ont-elles leur place dans la prévention en santé ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi et comment progresser sur ce sujet ?
Il a été question de réduire les séances d'acupuncture dans le panier des soins. Pourtant, plusieurs pathologies telles que les troubles musculo-squelettiques, l'ostéoporose ou les lombalgies chroniques peuvent être réduites par la naturopathie ou l'ostéopathie. De même, l'acupuncture offre de bons résultats en matière de prévention des troubles anxieux et dépressifs, ou psychiatriques. N'est-ce pas, à votre avis, une erreur à la fois sanitaire et économique que de négliger ces soins préventifs non invasifs ?
Nous n'avons pas les mêmes chiffres sur le tabagisme en Allemagne. Pour être élue d'un département frontalier, je sais que les cigarettes s'y vendent dans des distributeurs et qu'il n'y a pas d'espaces non-fumeurs chez nos voisins, et j'ai le chiffre d'une prévalence de 34,5 % outre-Rhin, en progression de 9 points depuis le covid : je m'étonne donc du chiffre de 15 % que vous citez, à comparer avec les 25% chez nous.
Mme Jocelyne Guidez. - Vous avez beaucoup insisté sur l'espace numérique de santé comme outil de prévention : pensez-vous qu'il puisse devenir le seul canal de transmission des résultats dématérialisés de biologie ou d'imagerie médicale, plutôt qu'une plateforme certainement moins sécurisée ?
Le cancer colorectal est l'un des plus fréquents et fatals en France, avec environ 45 000 nouveaux cas et 17 000 décès chaque année. Les campagnes de dépistage visent les personnes âgées de 50 à 74 ans, alors que près de 10 % des cas détectés surviennent avant 50 ans, une proportion en constante augmentation avec les changements de mode de vie et d'alimentation. Un dépistage dès 40-45 ans permettrait probablement d'identifier plus précocement les lésions ou tumeurs à un stade où les traitements sont moins invasifs et les chances de guérison plus élevées : qu'en pensez-vous ?
M. Thomas Fatôme. - Je fais un plaidoyer pour la pédiatrie, qui s'appuie sur des faits bien réels puisque, par exemple, les pédiatres font partie des spécialités cliniques qui ont bénéficié des revalorisations les plus importantes dans le cadre de la nouvelle convention médicale. Les pédiatres sont à des niveaux de rémunération plus bas que les généralistes et très largement plus bas que la moyenne des autres spécialistes, alors qu'ils sont des acteurs majeurs et incontournables de la santé de l'enfant. Cependant, nous savons qu'il y a seulement quelques milliers de pédiatres et presque 50 000 généralistes - et dans certains territoires, l'offre pédiatrique est extrêmement restreinte. Nous travaillons avec les deux communautés professionnelles de pédiatrie et de médecine générale, dans le cadre de notre système français qui est original en plaçant le pédiatre en premier recours. Les relations entre pédiatres et généralistes sont approfondies et certains actes pédiatriques ont été revalorisés de façon importante dans la convention médicale.
Nous n'avons pas de programme spécifiquement dédié à l'hépatite C. Cependant, l'assurance maladie solvabilise très rapidement les traitements associés, et promeut leur diffusion rapide.
Nous effectuons une veille sur l'IA, nous regardons les offres de technologies et les modalités par lesquelles nous pourrions aider les assurés et les professionnels à y accéder. Nous participons aussi au déploiement d'un module d'IA pour accompagner les médecins généralistes lorsqu'ils font un électrocardiogramme. Cet outil leur donne un complément d'analyse, il est développé avec les généralistes, les cardiologues et la Haute Autorité de santé (HAS) - nous allons le déployer dans un certain nombre de départements. Nous discutons aussi avec des radiologues pour examiner quel peut être l'apport de l'IA dans l'imagerie. Progressivement, un certain nombre d'actes ou de prises en charge vont s'accompagner de modules d'IA et nous allons devoir nous interroger sur l'admission au remboursement et sur la tarification.
Nous comptons beaucoup sur les CPTS, nous travaillons avec elles sur l'accès aux soins et sur la prévention. Nous essayons de les fournir en matériaux, en kits de prévention, nous sommes à l'écoute de leurs priorités. Beaucoup de CPTS s'investissent sur les maladies cardiovasculaires, notamment l'insuffisance cardiaque, nous initions des programmes qui se nourrissent de la structuration de ces communautés professionnelles sur les territoires.
Je vous rejoins sur le rôle possible des maisons France Services. Nous les avions formées au début du lancement de Mon espace santé en 2021. Nous travaillons actuellement à une deuxième étape de mobilisation territoriale avec le réseau de l'assurance maladie, sur l'accompagnement des assurés, l'explication des démarches et du fonctionnement du système de prévention. Nous pourrions tout à fait refaire un tour de mobilisation avec les maisons France Services.
Dans nos deux derniers rapports annuels, nous avons identifié le retour sur investissement d'un certain nombre de programmes de prévention, par exemple le programme « Retrouve ton cap », le programme Tabac Info-Service, la vaccination contre la grippe, ou encore la prise en charge précoce de la maladie rénale chronique. Les bénéfices d'une campagne de vaccination antigrippale sont de l'ordre de 50 millions d'euros. Agir sur la prise en charge précoce de la maladie chronique et accélérer notamment les greffes, cela permet d'économiser près de 130 millions d'euros sur 5 ans.
Oui, nous incitons et valorisons l'investissement des médecins traitants dans la vaccination contre la grippe, c'est un objectif depuis une quinzaine d'années. Une part de la rémunération des médecins est liée à l'atteinte de résultats en termes de santé publique, de qualité de prise en charge. Nous simplifions le système : à compter de 2026, il y aura un paiement au patient. Si vous êtes une personne âgée, que vous êtes prise en charge par votre médecin traitant et que vous êtes vacciné contre la grippe, votre médecin traitant bénéficie d'un forfait valorisé à 5 euros.
Nous regardons toutes les populations éligibles aux programmes de prévention, de dépistage, de vaccination, de prise en charge. Nous participons aux actions visant le bon usage des médicaments - nous avons de très bons retours sur notre nouvelle campagne de communication. Nous travaillons avec les médecins et les pharmaciens sur la mise en place, à compter de 2026, d'une consultation de dé-prescription qui permettra aux médecins de faire la liste des médicaments à ne pas prescrire. Ils le font déjà, mais nous voulons valoriser cette consultation à hauteur de 60 euros.
Quant à la place des médecines alternatives, nous remboursons ce qui est validé par les autorités scientifiques de notre pays, c'est-à-dire la Haute Autorité de Santé et le ministère de la santé. Ce n'est pas l'assurance maladie qui fixe le panier de soins, ce sont les autorités de santé au vu d'analyses qui justifient la prise en charge. Je n'ai donc pas à me prononcer sur tel ou tel mode de prise en charge.
Il faudra que nous nous rapprochions sur les chiffres du tabac en Allemagne, je vous ai cité ceux de l'OCDE et de l'Union européenne. Le diagnostic est bien établi, je ne crois pas me tromper en disant que la France n'est pas un bon élève en matière de tabagisme.
Je ne sais pas si « Mon espace santé » doit devenir la seule plateforme numérique de santé, mais je crois utile de le systématiser. Est-ce que cela doit interdire les autres ? Je ne sais pas. En tout cas, le nombre de données augmente considérablement et notre solution est sécurisée, nous sommes hébergés en France, supervisés par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), avec des contrôles de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), c'est intéressant.
Mme Catherine Grenier. - Le nombre de cancers du côlon augmente, y compris avant 40 ans, même si la majorité ont lieu entre 50 et 75 ans. Les seuils de dépistage organisé ont été déterminés dans le cadre d'une politique publique, ils résultent d'un risque moyen. Ce mode de dépistage ne doit pas empêcher des démarches individuelles en particulier quand il y a un risque particulier, comme des antécédents familiaux, qui sont un facteur extrêmement important ; il y a d'autres facteurs liés au comportement, qui doivent pouvoir faire dépister ce cancer en amont. Dans ces cas de risque, le kit de dépistage n'est pas la bonne indication, on doit lui préférer la coloscopie en première indication, c'est un enjeu à surveiller. Il faut donc faire connaître les symptômes à la population et attirer l'attention des professionnels sur ce dépistage nécessaire au moindre symptôme, y compris chez les personnes jeunes. Ce cancer est aussi fréquent chez la femme que chez l'homme, c'est important de le dire parce qu'on croit en général qu'il est surtout masculin.
Mme Anne Souyris. - La prévention reste un parent pauvre, malgré les efforts que vous évoquez. Comment se distribuent, par grandes masses, les 16 milliards d'euros de la prévention ? Ne vont-ils pas surtout aux vaccins ?
Comment, ensuite, la santé environnementale est-elle prise en compte par l'assurance maladie : comment intégrez-vous les risques environnementaux sur certains territoires, liés en particulier aux pollutions industrielles - avez-vous des actions spécifiques pour aller vers les populations sur les questions d'allergies, d'asthme chez l'enfant, de cancer - et donc de prévention ?
À Paris, l'une des causes des allergies et de l'asthme est, en dehors de la voiture, le manque de biodiversité, lié au fait qu'on a planté quelques espèces d'arbres seulement pendant des décennies - avez-vous des travaux sur le sujet ?
Concernant les maladies cardiovasculaires, avez-vous des éléments génériques ? Savons-nous que les femmes n'ont pas forcément les mêmes symptômes ? Avez-vous une focale sur cette question ?
Quels sont, enfin, vos travaux sur le VIH et quelles sont vos campagnes de prévention contre l'alcoolisme ?
M. Olivier Henno. - La prévention du cancer du côlon repose sur la participation des assurés, plutôt que sur l'incitation ou, a fortiori, la contrainte. Certains de nos voisins, comme les Belges, incitent les assurés en donnant un avantage financier aux patients qui font le dépistage : qu'en pensez-vous ?
M. Dominique Théophile. - Les outre-mer présentent des taux supérieurs à la moyenne nationale sur des maladies chroniques, je m'inquiète en particulier du taux de prévalence des cancers du côlon, du sein et de la prostate, ainsi que d'autres maladies liées au chlordécone. La situation est critique, il faut envisager une approche adaptée, qui prenne en compte les facteurs ultramarins liés à l'alimentation, à l'éloignement des centres hospitaliers et au manque de professionnels médicaux. La Cnam met-elle en oeuvre des moyens mobiles spécifiques, pour se rapprocher des populations ? Dans la mesure où nous manquons de médecins, n'est-il pas nécessaire de déployer la médecine à distance, la télémédecine, et la télé-échographie ? Nous l'avons testée à partir du CHU de La Guadeloupe, la télé-échographie est utile, nous pouvons mieux prendre en charge la population sur le plan médical grâce à ces outils. Nous sommes dans une situation très particulière, notre démographie est inquiétante - nous sommes 352 000 habitants en Guadeloupe, nous serions autour de 200 000 dans dix ans...
M. Thomas Fatôme. - Sur la santé et l'environnement, nous nous investissons de manière croissante. Ce domaine est nouveau pour l'assurance maladie. Nous avons participé à des plans santé et environnement, nous voulons nous investir davantage. Nous pourrons vous transmettre une note stratégique sur ce que l'assurance maladie peut faire en matière de santé et environnement, car nous voulons éviter de doublonner les actions de Santé publique France ou de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), tout en mettant au service notre capacité à gérer des enjeux de santé et environnement.
Nous allons déployer cette année une action sur les perturbateurs endocriniens. Les délégués de l'assurance maladie vont rencontrer des professionnels de santé, notamment des pédiatres, gynécologues et médecins généralistes, pour faire passer des messages de prévention à destination des patients. Les liens entre santé et environnement sont bien documentés scientifiquement, et nous allons utiliser notre force de communication pour renforcer la prévention.
Sur le VIH, je signale le test sans prescription, pris en charge à 100 %. C'est un outil utile qui est de plus en plus utilisé, je pourrai vous communiquer les chiffres.
Mme Catherine Grenier. - Nous avons regroupé les maladies cardiovasculaires et celles qui sont associées, comme la maladie rénale, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou la maladie d'Alzheimer, pour parler de manière globale de l'ensemble des pathologies qui sont liées au risque cardiovasculaire.
Notre feuille de route pour ces maladies comporte trois axes et elle a une dimension genrée, avec des actions ciblées. Le premier axe est la détection précoce : il faut repérer les symptômes le plus tôt possible, qui peuvent être liés à des facteurs de risque, et intervenir le plus tôt possible pour retarder la complication de la maladie. Le deuxième axe est l'amélioration du suivi, en faisant bénéficier l'ensemble de la population, quand c'est nécessaire, des mécanismes de télésurveillance et en travaillant l'articulation avec l'hospitalisation, les mouvements d'entrée-sortie. Il y a là un enjeu de prise en charge. Troisième axe : la mobilisation de la population, le partenariat avec les patients - il s'agit de faire connaître leur maladie aux patients et de leur montrer ce qu'ils peuvent faire pour leur santé.
Pour les femmes, il y a des enjeux très particuliers, notamment dans la deuxième partie de la vie, à l'âge de la ménopause, où le risque augmente très nettement. Il est nécessaire de communiquer davantage sur ce sujet. Nous avons un certain nombre d'actions, notamment avec des universitaires nationaux, pour promouvoir ce sujet.
M. Thomas Fatôme. - Nous sommes engagés dans la prévention de l'alcoolisme, notamment au travers du Fonds de lutte contre les addictions (FLCA), que nous co-financions et co-pilotons avec le ministère de la santé. Ce fonds finance plus de 120 associations, dont une vingtaine travaillent exclusivement sur l'alcool. Cependant, historiquement, c'est Santé publique France qui prend en charge la prévention de l'alcoolisme, davantage que nous.
Faut-il aller vers des modes de responsabilisation des assurés, y compris financière, avec la prise en compte de leur parcours de prévention ? Nous ne le faisons pas, ce n'est pas dans notre culture. Nous avons la particularité d'avoir ce système à double étage, où la complémentaire prend le relai. Le sujet, en réalité, est politique. La ministre Catherine Vautrin a posé la question à propos de la prise en charge à 100 % de personnes âgées qui ont contracté une grippe après avoir refusé le vaccin qu'on leur avait proposé. La responsabilisation est un enjeu, c'est un élément utile à porter au débat politique, mais qui, je pense, se joue entre le Gouvernement et le Parlement - plusieurs de nos voisins en ont débattu et ont décidé de responsabiliser les patients, par exemple les Allemands sur le dentaire.
Les spécificités démographiques et épidémiologiques des outre-mer demandent des programmes dédiés, c'est ce que prévoit la convention d'objectifs et de gestion, en termes d'offres de soins et de prévention. Nous avons identifié cinq enjeux spécifiques de prévention qui justifient une mobilisation spécifique des caisses - en particulier sur les cancers et les pathologies à forte prévalence comme le diabète et l'obésité.
Nous ne faisons pas de la démocratie sociale de la même manière partout. Nous avons mis en place des programmes d'action spécifiques, nous pourrons vous en présenter le détail.
Mme Monique Lubin. - L'arrêté ministériel du 16 janvier 2024 renforce et élargit les missions des CRCDC dans le champ de la prévention secondaire. L'assurance maladie a repris les invitations et relance des actions de dépistage en soutien avec les centres de dépistage. Si les missions des CRCDC ont été renforcées, les moyens pour y répondre restent en-deçà des attentes des professionnels de santé, avec des baisses de dotations généralisées en région. Ne serait-il pas opportun de sortir de la seule attribution des fonds d'intervention régionaux (FIR) alloués à ces structures de dépistage et que les fonds FNPEIS renforcent leur dotation ? Envisagez-vous d'intégrer les CRCDC au sein de l'assurance maladie ou d'une structure régionale de prévention qui reprendrait le pilotage et l'organisation de l'ensemble de la question de la prévention en santé, couvrant le dépistage et les autres enjeux de santé publique, dont notamment la lutte contre les facteurs de risque ou encore la préservation des facteurs protecteurs ?
Mme Véronique Guillotin. - Je souhaitais vous interroger sur l'intégration des perturbateurs endocriniens dans les feuilles de route relatives à la prévention diffusées aux professionnels de santé, vous y avez répondu.
Ma deuxième question porte sur les mammographies pratiquées dans les unités mobiles que des collectivités territoriales mettent en place pour pallier le manque de radiologues. Cette initiative utile bute sur le fait que la réglementation impose la présence d'un médecin ou d'un radiologue pour réaliser la palpation ; peut-on autoriser un manipulateur radio ou une infirmière en pratique avancée (IPA) à réaliser la palpation, pour faciliter ces dépistages organisés ?
Ma troisième question porte sur la santé périnatale, la santé mentale et la prévention du baby blues, de la dépression du postpartum et du suicide. On sait que la première cause de mortalité chez la femme la première année qui suit l'accouchement n'est plus l'hémorragie du postpartum mais le suicide. Nous constatons, également, que les PMI s'affaiblissent. Comment les renforcer - peut-on, en particulier, revoir la nomenclature des actes de puériculture pour renforcer le modèle économique des PMI ? Pourquoi l'infirmière puéricultrice ne peut-elle pas avoir un acte libéral ? N'est-ce pas une solution pour un meilleur suivi des enfants ?
Ma dernière question porte sur l'évaluation des politiques de prévention. On dépense beaucoup d'argent dans les contrats locaux de santés (CLS) et les CPTS. Y a-t-il une évaluation de ces actions ? N'y aurait-il pas un meilleur cadrage à faire pour être plus efficace ?
Mme Émilienne Poumirol. - Une remarque sur la néomortalité ; il y a les facteurs que vous dites, mais ils sont comparables dans nos pays voisins et il faut voir que nous avons aussi ce problème particulier que de nombreuses maternités de proximité ont été fermées. Il s'agit d'un facteur important de l'augmentation de la néomortalité.
Les CPTS jouent un rôle important pour la prévention, il faut évaluer si leurs objectifs et ceux de l'ARS sont atteints.
Le plan national de santé environnementale ne fait pas travailler ensemble les différents ministères, chacun reste dans son silo et c'est regrettable ; quelle est la place de la Cnam dans ce plan ? Nous sommes preneurs d'éléments écrits.
Mme Corinne Imbert. - Avez-vous une première évaluation des bilans de prévention ? Identifiez-vous d'ores et déjà des freins à leur développement ? Le temps médical disponible est-il suffisant ? Combien de professionnels de santé se sont-ils enregistrés comme pouvant réaliser ces bilans ?
Mme Chantal Deseyne. - Quelle évaluation faites-vous des programmes de prévention, en particulier des campagnes de dépistage de cancers ? On sait que moins de 50 % des patients se soumettent à ces contrôles. Quelle est votre politique pour atteindre les publics les plus éloignés de ces programmes ?
Mme Silvana Silvani. - Vous présentez les actions correspondant à un volume de 16 milliards d'euros pour la prévention, sur un ensemble de 325 milliards d'euros pour les dépenses de santé. Une politique de prévention efficace devrait réduire les dépenses de santé, elles continuent d'augmenter chaque année : avez-vous idée du seuil de prévention à atteindre pour que les dépenses de santé diminuent ?
M. Philippe Mouiller, président. - M. Fatôme ayant dû partir, c'est Mme Grenier qui va répondre à vos questions.
Mme Catherine Grenier. - Pour l'organisation des campagnes nationales de prévention, la Cnam a été chargée de la partie invitation, parce qu'elle était la mieux équipée pour le faire, de par sa capacité à joindre facilement toute la population et à lui envoyer des courriers et des SMS. Cependant, cela ne fait pas une politique de dépistage, il faut aller plus loin et suivre les situations particulières. Les CRCDC ont cette mission de suivi, ils sont clés dans le dispositif. Sur la partie financement, l'assurance maladie a pris à sa charge tout le dispositif d'invitation et en contrepartie, elle ne finance plus les CRCDC.
Le cahier des charges des « mammobiles », ces unités de mammographies mobiles mises en place pour le dépistage du cancer du sein, prévoit qu'un radiologue soit effectivement dans le camion pour réaliser les mammographies. Or, les radiologues sont une ressource rare et ils ne sont pas indispensables à la réalisation d'une mammographie, qui peut être réalisée par un manipulateur radio. Il est donc envisageable de modifier le cahier des charges sur ce point, pour autoriser la mammographie par un manipulateur radio. Reste, cependant, la question de la palpation, qui est complémentaire à la mammographie ; elle peut être réalisée par une IPA, de même que d'autres examens complémentaires à la mammographie elle-même. Je crois que ces questions viennent après l'enjeu principal de ces unités mobiles, qui est celui du premier repérage ; si quelque chose est repéré à la radiographie, on a ensuite la possibilité de prendre en charge les personnes.
La dépression postpartum est la première cause de mortalité post-natale pour les mères. Il y a un sujet de mobilisation des sage-femmes pour prévenir la dépression, dans le cadre des entretiens pré et post-nataux. Les PMI sont en difficulté. Nous sommes en cours d'analyse, en lien avec le ministère et les départements, sur la manière de remobiliser et de redonner des moyens aux PMI. Il y a bien sûr les questions de nomenclature des actes. Les puéricultrices n'entrent pas dans le champ de l'assurance maladie puisqu'il n'y a pas de puéricultrices en ville. Cela pose la question d'ouvrir une convention particulière. L'enjeu est que la PMI récupère les fonds qui correspondent à son activité, c'est une question technique de grande importance.
Nous sommes très conscients de l'enjeu d'évaluer les actions de prévention par les offreurs de soins et notamment les CPTS. Nous ne disposons pas encore d'évaluations chiffrées, quantitatives, mais nous y travaillons dans le cadre des nouveaux accords conventionnels interprofessionnels (ACI) qui vont être négociés dans les mois à venir pour franchir une étape de plus. Nous avons commencé avec l'objectif de diffuser la notion de prévention, nous avons désormais à élever notre niveau d'exigence sur les fonds investis et à regarder quels sont leurs effets concrets.
L'assurance maladie a créé une mission spécifique sur la transition écologique et l'environnement, avec deux grands axes. Le principe est de porter les messages de prévention en santé environnementale au sens spécifique, puisque la santé environnementale peut couvrir l'ensemble des facteurs comportementaux. Nous avons aussi un rôle à jouer sur la décarbonation du système de santé, nous pourrons vous transmettre des éléments sur ce volet.
Le dispositif « Mon bilan prévention », depuis son lancement début 2024, monte en régime, nous sommes à 60 000 bilans prévention réalisés et le rythme de progression s'accélère. Il se déploie sur toutes les classes d'âge, ce qui n'était pas une évidence a priori. Les médecins en sont les principaux acteurs, à hauteur de 50 %, tandis que pharmaciens, infirmiers et sage-femmes se partagent le reste de la charge. Les auto-questionnaires, mis à disposition dans « Mon espace santé », sont remplis de manière beaucoup plus importante que les bilans. Cela montre que la thématique est prise en compte par les assurés, ce qui peut influer sur l'ensemble de leurs contacts avec le système de soins. Plus de 450 000 auto-questionnaires ont été réalisés, sans que nous ayons aucune information sur leur contenu, car nous ne pouvons pas utiliser ces données.
L'évaluation du bilan de santé est encore modeste. Nous identifions plusieurs freins à l'ouverture de ce dispositif. Il y a d'abord une question de culture et de représentations : pourquoi aller voir un professionnel de santé, alors qu'on n'a pas de symptôme de maladie ? Il faut que les professionnels de santé puissent consacrer du temps à cette nouvelle mission. Le ministère a tenté de communiquer sur ce dispositif auprès de l'ensemble de la population, aux côtés de l'assurance maladie. Il s'agit d'aller vers les populations les plus éloignées de nous, en commençant par l'entretien préalable avant de passer à l'examen clinique.
Nous sommes bien d'accord sur le fait que les résultats des dépistages du cancer sont insuffisants, nous n'arrivons pas à rejoindre les standards européens. Nous voulons atteindre les publics les plus éloignés, nous avons industrialisé la mécanique d'invitation et de relance, nous mettons à disposition automatique le kit de dépistage du cancer du côlon à la deuxième relance pour les personnes qui l'ont déjà accepté ; nous travaillons également sur l'acceptabilité de ces dépistages et sur l'intérêt à agir.
Il est crucial que nous parlions tous d'une seule voix sur l'intérêt à agir. La moindre dissonance est un frein pour la population. Enfin, notre politique d'aller vers, notamment par téléphone, devrait donner des résultats dans les mois à venir en termes d'impact réel sur le dépistage réalisé.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci pour votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 heures 45.
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Audition de M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Monsieur le ministre, je vous remercie de vous être rendu disponible pour cette audition, au cours de laquelle vous pourrez nous présenter votre feuille de route. Nous n'avions en effet pas pu organiser cet échange dès votre nomination, en raison de l'urgence que constituait l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.
La séquence budgétaire étant désormais close, nous attendons que vous puissiez nous dire quelles mesures vous semblent prioritaires et quels moyens vous envisagez d'employer pour y parvenir.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. - Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de répondre à votre invitation et de pouvoir préciser ma feuille de route, deux mois et demi après ma prise de fonction. J'espère pouvoir travailler avec vous de manière que nous dépassions les clivages politiques, au bénéfice de nos territoires.
Nommé le 24 décembre, j'ai consacré mes premières semaines à l'adoption du PLFSS. Voté le 17 février, ce PLFSS pour 2025 nous permet à la fois de nourrir de premières interrogations sur le PLFSS pour 2026 et de tenir compte de la situation internationale, qui nous amène à nous interroger sur plusieurs aspects, dont notre souveraineté sanitaire : dans certaines situations, la santé peut être une arme.
Je souhaite détailler une série de points déjà évoqués lors de mon audition sur le PLFSS, à savoir la formation, la prévention, la protection, la cohésion, la simplification, l'innovation et, enfin, la territorialisation, point auquel le Sénat est particulièrement attaché. Même si la santé est une compétence régalienne, les maires, les intercommunalités, les départements et les régions entendent s'engager pleinement sur cette question, qui soulève des enjeux d'accompagnement et d'aménagement du territoire. Plus globalement, l'accès aux soins est l'une des préoccupations principales de nos concitoyens.
Je tiens à être un ministre de la santé qui prend soin de nos professionnels de santé et qui joue un rôle de facilitateur : ayant moi-même été maire pendant plus d'une vingtaine d'années, il me semble essentiel d'être en mesure d'accompagner les initiatives locales. C'est tout le sens des messages que je diffuse à l'occasion des conférences des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS), auxquelles je tâche d'assister systématiquement afin de m'assurer de la meilleure déclinaison possible des mesures à l'échelon territorial et départemental.
Deux mois et demi après ma prise de fonction, je constate que députés et sénateurs ont souhaité avancer sur une série de chantiers, dont la prise en charge intégrale par l'assurance maladie des soins liés au traitement du cancer du sein, l'instauration de ratios de soignants par patient hospitalisé - à la suite de l'adoption du texte déposé par Bernard Jomier - et la validation des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur l'interdiction des puffs, désormais entrée en vigueur. S'y ajoutent l'adoption de la proposition de loi du sénateur Ahmed Laouedj visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote, ainsi qu'une avancée majeure avant-hier, puisque l'Assemblée nationale a entériné une importante refondation du métier d'infirmier.
D'autres rendez-vous sont prévus, dans le prolongement de rapports publiés en 2024. J'ai pleinement conscience d'être le quatrième ministre de la santé nommé durant l'année écoulée et me suis fixé comme objectif d'avancer sur les dossiers urgents d'ici à l'été, dont celui des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) et des docteurs juniors. Je souhaite en effet avancer en prenant rapidement des décrets et en désencombrant notre agenda, dans l'optique de nous libérer pour les discussions de l'automne sur le prochain PLFSS.
En tout état de cause, je m'engage à avancer sur les problématiques de la financiarisation de la santé - à la suite du rapport d'information porté par Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier - et sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans les territoires, sujet que j'ai abordé à Troyes le 8 mars en encourageant l'extension au reste du territoire des expérimentations relatives à l'IVG instrumentale. De plus, je souhaite donner suite au rapport d'information appelant à une transformation de l'offre de soins périnatals dans les territoires des sénatrices Annick Jacquemet et Véronique Guillotin.
Nous avons également décliné le quatrième plan national des maladies rares, qui permet d'ajouter trois diagnostics néonatals précoces, dont l'amyotrophie spinale. Sans vouloir ouvrir une polémique, je constate que le fait de ne disposer que tardivement d'une loi de financement de la sécurité sociale nous a fait perdre un temps précieux. Nous sommes en train de procéder à la labellisation des centres de génétique qui effectueront les dépistages, lesquels vont enfin pouvoir recruter, avec une mise en place sur l'ensemble du territoire que j'espère possible d'ici à l'été. Ce déploiement nous permettra notamment de dépister les 120 enfants en moyenne qui naissent chaque année avec une amyotrophie spinale et de les soigner dans les vingt premiers jours de vie.
Aux côtés de mes collègues de l'intérieur et de la justice, nous aborderons l'enjeu de la protection des soignants, le 12 mars étant d'ailleurs la journée européenne des violences faites aux soignants. J'ai reçu l'intersyndicale sur ce sujet afin de passer en revue les mesures que nous pourrions adopter dans ce domaine.
Je rends hommage aux travaux réalisés par Agnès Firmin-Le Bodo en 2023 sur le sujet et souhaite que des mesures soient appliquées dès septembre 2025, qu'il s'agisse de mesures de protection dans les hôpitaux ou de la collaboration avec les polices municipales. En mars 2024, une proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, portée par le groupe Horizons à l'Assemblée nationale, a été votée à l'unanimité : le texte renforce la répression des auteurs de violences envers des soignants, tout en anonymisant le dépôt de plainte et en rendant obligatoire la déclaration des violences faites aux soignants dans les différents établissements de santé. En 2022, près de 24 000 agressions visant les soignants ont été signalées, sachant que toutes les violences ne sont pas nécessairement déclarées.
J'ai réuni le comité dédié aux violences commises contre les soignants en janvier, à la suite de l'agression de onze professionnels aux urgences de Sallanches, réunion qui a été suivie d'un second rendez-vous le 4 mars. La proposition de loi pourrait être inscrite à l'ordre du jour du Sénat au début du mois de mai, ce qui nous permettra, en cas d'issue favorable, de pouvoir appliquer des sanctions importantes et de déployer des mesures d'accompagnement telles que le soutien psychologique.
Concernant la santé mentale, grande cause pour 2025, je présenterai la semaine prochaine en conseil des ministres un programme dédié.
Nous avons également réactivé le plan relatif aux violences sexuelles et sexistes (VSS), qui touchent également les soignants.
La lutte contre la fraude sociale sera également au coeur de nos préoccupations, la digitalisation des cartes Vitale devant permettre de récupérer une partie des 13 milliards d'euros que représente cette fraude. Il s'agira non pas d'ennuyer les professionnels de santé, mais de mettre en place de véritables systèmes de lutte, en mobilisant à la fois les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et les caisses d'allocations familiales (CAF), en lien avec les forces de police et de gendarmerie et autour du procureur.
Il faudra ainsi reproduire le modèle du centre existant à Grenoble et l'étendre à Marseille, à Paris et à Lille, les premiers bilans montrant d'intéressants retours sur investissement : près de 500 millions d'euros ont été récupérés en 2024. Nous nous sommes fixé un objectif de 900 millions d'euros pour cette année.
En termes de stratégie à moyen terme, nous devrons faire face à des enjeux tels que le vieillissement de la population, la désertification médicale ou les retards en matière de prévention. Sur ce dernier point, il faudra notamment se pencher sur le bilan de la vaccination contre la grippe ; je souhaite aussi procéder à un rattrapage à la rentrée de septembre pour ce qui est de la vaccination des 11-14 ans contre le papillomavirus.
Nous pourrions d'ailleurs l'associer à un rattrapage sur le méningocoque, puisque nous avons dû, comme vous le savez, agir en urgence face à une augmentation préoccupante des cas de méningite à méningocoque B dans la métropole de Rennes. J'ai ainsi lancé une campagne afin de vacciner le plus rapidement possible 100 000 personnes âgées de 15 à 24 ans. Les premiers chiffres sont encourageants, 30 000 doses de vaccin ayant déjà été utilisées.
Je tiens à faire preuve de vigilance, dès lors que nous avons connu une épidémie de grippe très agressive, laquelle a créé un terrain favorable au développement du méningocoque. Plus d'une cinquantaine de décès ont été enregistrés depuis le mois de juillet, dont treize en janvier, les populations jeunes étant touchées. Je souhaite associer les parlementaires à l'élaboration d'une véritable stratégie vaccinale, en lien avec les sociétés savantes, Santé publique France et la Haute Autorité de santé (HAS), en y intégrant un volet de lutte contre l'obscurantisme.
J'en viens à la formation. Premièrement, conformément à mon engagement, je prendrai en mai prochain des décrets afin de permettre à 3 700 docteurs juniors d'être répartis dans l'ensemble des départements - cela représente environ une quarantaine dans chacun d'entre eux - dès le 2 novembre 2026. J'entends m'appuyer sur les parlementaires et les élus locaux pour faciliter leur installation, qu'il s'agisse des problématiques de transports ou de garde d'enfants. Ne pouvant régler tous ces détails depuis mon ministère, j'espère que la logique de subsidiarité jouera à plein. J'ai rencontré l'association Départements de France avant-hier, l'échelon départemental semblant tout à fait adapté pour traiter ce sujet.
Deuxièmement, si 4 000 postes de Padhue ont été ouverts en 2024, avec une nette augmentation par rapport à 2023, le mode de sélection ne convient pas, et il faudra aller vers une simplification du processus. Sur le plan réglementaire, je prendrai des décrets afin d'impliquer les chefs de service et les médecins qui accompagnent ces praticiens étrangers, indispensables au fonctionnement de nos hôpitaux. Sur le plan législatif, je solliciterai l'aide des parlementaires afin de transformer le concours national en examen, avec un avis des médecins. J'espère pouvoir vous demander de vous prononcer sur ce sujet avant l'été, afin que les changements puissent être effectifs en 2026.
En outre, je tiens à redire que tout Padhue qui n'a pas obtenu son concours dispose d'une autorisation transitoire d'exercer et d'un poste d'hospitalier contractuel pour une durée de treize mois. Certes, ce n'est pas satisfaisant, compte tenu de leur engagement, mais nous sommes aussi dépendants de jurys souverains, dont je ne peux contester les décisions.
Il me revient plutôt de modifier les règles du jeu afin qu'elles soient mieux adaptées à la réalité du terrain. À cet égard, il me semble préférable de voir les Padhue évalués par des équipes locales, sur la base de leurs connaissances et de leurs compétences, plutôt que par une commission nationale. Le fonctionnement actuel paraît d'autant plus inadapté que nous procédons, dans le même temps, à la réforme du deuxième cycle de médecine, les examens cliniques objectifs structurés (Ecos) permettant d'évaluer les compétences de nos internes. Il faudrait faire de même pour les Padhue, avec une évaluation au niveau des services.
Le troisième point sur la formation concerne l'amélioration du numerus apertus et l'attention qui doit être portée aux étudiants qui ont quitté notre système de santé pour rejoindre la Roumanie, la Belgique ou l'Espagne. Nous pourrions les récupérer, moyennant, là aussi, une évaluation de leurs compétences et de leurs connaissances, car nous avons en quelque sorte perdu la main sur la formation médicale, ce qui pose un problème de souveraineté pour la septième puissance économique mondiale.
Par ailleurs, j'ai saisi la HAS en vue d'améliorer les dépistages, car il existe des marges de progression dans ce domaine. Je me rendrai à Varsovie en avril pour échanger avec mes homologues européens, car nous devons avancer de concert en matière de maladies rares, de dépistage et de souveraineté sanitaire.
Pour ce qui concerne, enfin, l'innovation en santé, sujet d'actualité avec le récent Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle (IA) et le salon MedInTechs, auquel j'ai participé hier, je souhaite que nous puissions nous saisir des innovations technologiques susceptibles de faire gagner du temps à nos soignants, par exemple avec l'intégration des données par énumération vocale pour compléter les cahiers infirmiers et les lettres de sortie. Au-delà des usages dans nos hôpitaux, l'IA doit aussi pouvoir être utilisée pour la recherche - notamment sur les maladies rares -, d'où le lancement d'appels à projets et à manifestation d'intérêt, dont l'un concerne la sensibilisation de 100 000 étudiants à l'IA, et un autre la validation du principe de bras synthétique dans les études cliniques. L'IA doit jouer un rôle d'accélérateur, au bénéfice des patients.
En contrepoint, nous devrons nous protéger d'une série de risques informatiques, d'où une augmentation de la dotation du plan CaRE (Cybersécurité accélération et résilience des établissements), à hauteur de 45 millions d'euros, de manière à protéger les systèmes informatiques de nos structures hospitalières et médico-sociales face à des attaques dangereuses.
Il a fallu, dans certains cas, transférer des patients, car nous avions perdu le contrôle, les pousse-seringues, défibrillateurs et pacemakers pouvant être piratés. Sans inquiéter la population outre mesure, je rappelle que la santé peut être une arme et que nous devons mener une réflexion sur les différents types d'attaques, y compris bactériologiques.
Mme Corinne Imbert. - S'agissant de la quatrième année de médecine et des docteurs juniors, il me semble important de signifier aux ARS qu'il convient de ne pas ouvrir davantage de lieux de stages que le nombre de médecins juniors à accueillir, de manière à respecter l'esprit de la loi, en particulier l'intention de la majorité sénatoriale : l'objectif consiste à ce que ces docteurs s'orientent vers les territoires les moins bien dotés - avec tout l'accompagnement nécessaire, bien sûr.
Plus globalement, le Gouvernement travaille-t-il à des mesures visant à réduire, à court et à moyen terme, les inégalités d'accès aux soins observées sur le territoire national ?
Le déficit des hôpitaux continue de se dégrader : si un montant de 2 milliards d'euros avait été annoncé lors des auditions préparatoires au PLFSS en octobre, les représentants de la Fédération hospitalière de France (FHF) ont indiqué, au début de l'année 2025 qu'il risquait d'atteindre 3,5 milliards d'euros.
Quels leviers le Gouvernement identifie-t-il afin de rétablir les comptes ? Quelles mesures spécifiques envisagez-vous pour des établissements structurants tels que les centres hospitaliers universitaires comme l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui affiche à nouveau un déficit record ?
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 a entériné une réforme du financement des hôpitaux, avec pour objectif une réduction de la part de financement à l'activité. Le Sénat avait soutenu le principe de la réforme, mais, estimant que son application rapide était délicate, voire risquée, avait proposé une phase d'expérimentation préalable, qui n'a finalement pas été retenue.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? La FHF semblait indiquer que peu de chantiers avaient finalement été ouverts : quelles seront les premières activités à voir leur financement évoluer avec une dotation socle, et selon quel calendrier ? Comment avancez-vous sur cette réforme, sans confondre vitesse et précipitation ? Nous avons tous en tête les expériences difficiles des dernières réformes de financement.
M. Yannick Neuder, ministre. - J'échange régulièrement avec les directeurs des ARS et des centres hospitaliers universitaires (CHU) afin qu'ils soient pleinement engagés dans les problématiques que j'ai évoquées. Je m'assurerai, à l'occasion de la prochaine conférence des directeurs, le 21 mars, qu'il n'existe aucun obstacle à l'accueil des médecins juniors tel que défini par les engagements pris auprès des syndicats étudiants, en faisant en sorte que la quatrième année soit bien une année de formation et d'acculturation à l'exercice libéral.
Pour ce qui concerne les inégalités d'accès aux soins, je ne serais pas crédible si je prétendais apporter une réponse immédiate. Je rappelle que nous manquons de soignants, ce qui explique l'essentiel des fermetures de lits, contrairement à une autre période, durant laquelle ces dernières étaient liées à d'autres considérations. Nous formons à peu près le même nombre de médecins qu'en 1970, mais avec une population qui a augmenté et qui a vieilli, sans oublier que la nouvelle génération entend travailler moins que ses aînés, ce que personne n'avait anticipé. On estime ainsi qu'il faut environ 2,3 praticiens pour remplacer un médecin généraliste partant à la retraite : cette évolution sociétale est incontestable et doit être prise en compte.
Je souhaite faire preuve de volontarisme et utiliser tous les canaux de formation. Nous pourrions nous fixer dans les deux ans un objectif de 50 000 médecins supplémentaires à venir. Nous en formons 12 000 par la voie initiale, auxquels s'ajoutent 3 700 docteurs juniors « injectés » directement dans les territoires, et je souhaite développer le profil d'assistant de territoire afin que les médecins puissent, en lien avec les ARS, exercer dans les zones en difficulté.
Une fois encore, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur les jeunes Français partis étudier à l'étranger, l'Hexagone ne pouvant être une sorte de « plan B », alors que d'autres pays - notamment l'Allemagne et la Suisse - mènent une politique d'attractivité très agressive en leur direction. Nous devons absolument leur proposer une solution pour revenir, en précisant qu'environ 5 000 étudiants sont concernés. Certes, ces solutions ne sont pas immédiates, mais elles pourraient produire des effets dès 2026, sous réserve qu'une nouvelle censure ne vienne pas interrompre la dynamique à l'oeuvre, car ces politiques publiques ne peuvent être bâties en l'espace de quelques mois.
Pour ce qui concerne la réforme du financement, je constate que sur les soins médicaux et de réadaptation (SMR), quelques difficultés techniques subsistent, mais ce changement se passe finalement mieux que ce que je pensais. Nous devons cependant examiner une série de cas, afin de déterminer si cette évolution a entraîné des déséquilibres dans certaines structures.
En outre, une réforme du financement de la radiothérapie est à l'oeuvre afin de passer d'un financement à la séance à un financement au forfait, qui paraît plus approprié, tant du point de vue de la guérison des patients que de la maîtrise des dépenses.
Enfin, j'espère pouvoir signer l'accord de pluriannualité sur trois ans afin de donner davantage de visibilité aux différents établissements et de mettre en avant les notions de pertinence et d'efficience des soins. S'il faut se garder de toute précipitation, il faut néanmoins avancer vite, car les discussions sur le PLFSS pour 2026 occuperont une place grandissante dès l'été.
M. Alain Milon. - Monsieur le ministre, j'ai écouté de nombreux ministres de la santé dans cette salle, et c'est quasiment la première fois que j'entends un discours de vérité et de transparence vis-à-vis du Parlement, ce que je salue.
L'accès rapide aux innovations thérapeutiques représente une attente forte de nos concitoyens, en particulier pour ceux qui se retrouvent dans une situation d'impasse thérapeutique. Cet accès constitue également un enjeu de compétitivité pour notre pays. C'est dans cet esprit que la LFSS pour 2022 a instauré, à titre expérimental, un dispositif dérogatoire d'accès direct aux traitements innovants, qui permet la prise en charge anticipée de certains médicaments présentant une amélioration du service médical rendu dès l'obtention de l'avis de la HAS et, évidemment, sans attendre la fixation du prix.
Cette expérimentation, qui doit s'achever en juillet 2025, a déjà démontré son utilité pour plusieurs innovations, en réduisant significativement les délais d'accès aux traitements pour des pathologies altérant fortement la qualité de vie. Conformément à la loi, le Gouvernement doit remettre un rapport au Parlement en mai 2025 afin d'évaluer les demandes déposées, les aires thérapeutiques concernées et la pertinence de la pérennisation du dispositif.
Or, alors que le projet de loi de simplification de la vie économique doit être prochainement discuté au Parlement, les récents arbitrages ministériels semblent avoir écarté l'introduction de mesures relatives à la santé, souvent appelées de vos voeux. Pourtant, ce dispositif expérimental pourrait être un levier majeur de simplification et d'efficacité en améliorant l'accès au traitement innovant.
Les travaux d'élaboration du rapport au Parlement ont-ils bien été engagés ? Le Gouvernement entend-il, au vu des premiers résultats, pérenniser ce dispositif au-delà de l'échéance prévue ? Envisage-t-il d'élargir son champ d'application ou de lever certaines contraintes, afin de répondre plus efficacement aux attentes des patients ?
Par ailleurs, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a proposé, dans un rapport de 2020 consacré à la filière visuelle, de prolonger de deux ans la durée de validité des ordonnances de verres correcteurs pour les 16-42 ans, ce qui permettrait de libérer au moins 5 % des créneaux de consultation des ophtalmologistes : où en êtes-vous de la réflexion sur ce sujet ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Monsieur le ministre, la feuille de route est ambitieuse et l'agenda copieux ! Vous semblez en tout cas motivé et désireux de répondre à toutes nos questions, ce dont je vous remercie.
Vous avez énuméré une série d'objectifs, que je compléterais par la réduction du déficit de l'assurance maladie. J'aimerais, en outre, que l'intitulé de votre portefeuille mentionne explicitement la prévention, tant cet axe d'action est susceptible de favoriser une réduction des dépenses de santé futures, par exemple en réduisant les addictions.
Les maisons France Services (MFS) sont unanimement reconnues sur l'ensemble du territoire : pourquoi ne pas envisager, en lien avec la ministre déléguée chargée de la ruralité Françoise Gatel, des campagnes permettant d'accompagner les assurés en difficulté dans l'ouverture de leur espace santé ? Cela permettrait de lutter contre les actes redondants, de favoriser les rappels de vaccination et les messages de prévention.
Enfin, la réduction des crédits alloués à la recherche sur la maladie de Lyme nous interpelle, alors qu'il y a beaucoup à faire en la matière.
M. Daniel Chasseing. - Les infirmiers en pratique avancée (IPA) représentent un pilier majeur de l'accès aux soins, mais l'objectif de formation de 5 000 professionnels de ce type avant 2022 n'a pas été atteint. Est-il prévu de développer l'offre de formation et de revoir leur rémunération ?
Autre pilier majeur dans la lutte contre les déserts médicaux, la réforme de la quatrième année d'étude de médecine générale est censée débuter à l'automne 2026, mais les syndicats et les professionnels s'inquiètent de l'absence de publication des décrets. Pouvez-vous confirmer votre engagement pour une publication au printemps ?
Enfin, le vieillissement de la population, qui se traduira notamment par le doublement du nombre de personnes âgées de plus de 85 ans entre 2020 et 2040, nécessitera un effort accru pour une prise en charge décente. Les besoins en professionnels de santé ont pu être estimés à 40 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires, pour un coût de 2,5 milliards d'euros, soit l'équivalent d'une journée de solidarité, même si ce mécanisme n'a malheureusement pas été retenu.
Que pensez-vous de l'opportunité d'une loi de programmation pluriannuelle sur le grand âge ?
Mme Anne Souyris. - Monsieur le ministre, je tiens d'abord à saluer le changement intervenu dans le domaine de la tarification à l'activité en établissement de santé, attendu depuis fort longtemps. Vous avez aussi commencé votre intervention en prenant une série d'engagements, ce qui est précieux à l'heure actuelle.
Lors de la campagne présidentielle de 2022, le Président de la République avait annoncé vouloir entamer une réforme du mode de financement de notre système de santé : allez-vous réinterroger, au-delà de l'hôpital, la place occupée par la tarification au nombre d'actes ? Je pense notamment aux centres de santé pluriprofessionnels, l'Igas ayant suggéré une réforme du modèle économique s'orientant vers une tarification à la capitation pour les centres qui s'engagent dans une démarche de délégation de tâches entre les médecins et les infirmiers. Soutenez-vous cette recommandation, et allez-vous la mettre en oeuvre ?
Vous m'aviez d'ailleurs fait part, en février, de votre souhait de déployer un plan d'action au premier trimestre 2025 pour maintenir l'offre de soins dans les centres de santé de Réaumur, de Montsouris et de Stalingrad, étant précisé que les centres gérés par la Croix-Rouge ont tous fermé ou sont en passe de fermer, ce qui pose un véritable problème de santé publique et d'accès aux soins à Paris.
Par ailleurs, allez-vous pérenniser l'expérimentation sur le cannabis thérapeutique ?
Comme Mme Doineau l'a relevé, l'absence du terme « prévention » dans l'intitulé de votre ministère m'inquiète. Sur le fond, envisagez-vous d'intégrer la problématique de la santé environnementale dans le champ de la prévention ?
Enfin, les heures supplémentaires annualisées (HSA) seront-elles pérennisées ?
M. Yannick Neuder, ministre. - Monsieur Milon, l'accès précoce à des innovations thérapeutiques présente à l'évidence un intérêt, et je disposerai bien d'un rapport en mai 2025 sur ce sujet, même si celui-ci ne couvrira pas nécessairement l'ensemble des molécules. A priori, l'idée consiste à maintenir cet accès précoce.
Je ne suis pas opposé à une prolongation de la durée de validité de l'ordonnance d'ophtalmologie, dans la perspective du PLFSS pour 2026, sous réserve d'une validation par les sociétés savantes.
Madame la rapporteure générale, je ne suis pas responsable de l'intitulé de mon ministère, mais je vous assure que je suis pleinement impliqué dans la prévention, que nous pourrions très certainement développer davantage. Les porteurs de cette politique ne sont d'ailleurs pas forcément des professionnels de santé, la parole des élus locaux étant assez entendue à l'occasion d'événements tels qu'Octobre rose, de manifestations aux côtés des clubs sportifs et des associations.
De manière générale, il me semble que nous devons choisir nos combats et que la lutte contre le tabac, l'alcool et l'obésité reste une priorité, car bien des facteurs de dégradation de la santé, liés à des modes de vie individuels, pourraient être corrigés.
Pour ce qui concerne les espaces santé, les MFS sont effectivement très appréciées et permettent de lutter contre la fracture numérique.
Pour ce qui est de la maladie de Lyme, de nouvelles recommandations de la HAS doivent être mises en oeuvre, et je signale que la porte de mon collègue de l'enseignement supérieur reste ouverte.
Monsieur Chasseing, vous avez évoqué un sujet important, celui de la formation des professions paramédicales : si la santé est une fonction régalienne, ce sont les régions qui ont la main sur la formation des infirmiers, et toute augmentation de l'offre de formation doit donc être décidée en bonne entente avec elles. J'ai rencontré Carole Delga, en sa qualité de présidente de Régions de France, et, à une exception près, les régions vont pouvoir inscrire les quotas souhaités sur Parcoursup afin de former davantage de personnels de santé.
De surcroît, nous avons obtenu un financement additionnel de 215 millions d'euros pour élargir cette formation paramédicale. Concernant la pratique avancée, qui intervient après les trois années de formation d'infirmier, les freins se situent plutôt au niveau de nos hôpitaux.
Il faut en effet financer deux infirmières, celle qui quitte son poste et celle qui la remplace lors de sa formation, pendant deux ans. Ensuite, il ne faut surtout pas que celle qui a été formée revienne au même poste, ce qui serait stupide : elle doit pouvoir aider dans les cinq champs de compétences de l'IPA. Je suis très favorable à la formation de davantage d'IPA.
La santé mentale et la psychiatrie représentent environ 20 % des IPA, nous pouvons probablement faire plus. Dans le plan que je présenterai la semaine prochaine en Conseil des ministres, il y aura un volet relatif à la formation, dans lequel les IPA pourront jouer un rôle important en santé mentale, notamment aux urgences. Dans près de 50 % des cas, l'entrée dans la maladie psychiatrique se fait à l'occasion de décompensations aiguës. Selon les experts, dont le Pr Lejoyeux, la présence d'un professionnel spécifiquement formé à la psychiatrie aux urgences améliorerait grandement la prise en charge des patients. Il n'est pas nécessaire que ce soit un médecin ; ce peut être un IPA.
De 634 IPA formés en 2020, nous sommes passés à 936 par an. On progresse !
Vous allez prochainement examiner la proposition de loi sur la profession d'infirmier. J'ai pris l'engagement, au banc, à l'Assemblée nationale, d'ouvrir les négociations conventionnelles avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) dès le mois de septembre pour revaloriser les actes infirmiers - une prise de sang à domicile est rémunérée 7 euros.
Je n'ai pas d'élément particulier à apporter sur le vieillissement et le grand âge. La loi a été votée. Ce sujet est plutôt dans le champ de mes collègues Catherine Vautrin et Charlotte Parmentier-Lecocq.
On dénombre près de 400 centres de santé parisiens. Madame Souyris, vos collègues parlementaires et l'adjointe à la santé de la ville de Paris m'ont demandé un rendez-vous ; je les ai reçus en présence du directeur général de l'ARS et du directeur général de la Cnam. Nous cherchons des solutions pour ne pas diminuer l'offre de soins. On parle essentiellement des XIXe et XXe arrondissements : il s'agirait de se rapprocher de la Fondation Rothschild, qui travaille en secteur 1. Néanmoins, il y a un vrai problème d'équilibre du modèle économique de ces centres, avec deux à trois consultations par heure. J'entends bien que ce sont des populations plus difficiles, mais, à l'hôpital public, le rythme est plus soutenu, ce qui améliore l'équilibre économique.
Le salariat doit avoir toute notre attention car il concerne 50 % de nos médecins.
On peut effectivement organiser des expérimentations à la capitation et en étudier les résultats. Je n'y suis pas du tout fermé.
J'ai visité des haltes soins addictions (HSA). Je sais que des projets fonctionnent bien, à Strasbourg et à Paris. Des décisions doivent être prises au premier trimestre 2025. Je suis plutôt favorable à la poursuite de leur activité. Je ne souhaite pas que des centres qui ont de bons taux de satisfaction ferment. Ce ne sont pas de vulgaires salles de shoot ! Ces lieux offrent une prise en charge médicale et un accès à des guichets de la Cnam. Ils ont un intérêt. En revanche, l'acceptabilité de ces structures peut poser problème. Je me suis longuement entretenu sur ces sujets avec la première adjointe de Marseille, Michèle Rubirola. La solution la plus pertinente serait que les HSA soient mises en place si l'ensemble des élus y sont favorables. Il y a souvent un manque de consensus.
Je me rappelle parfaitement ma prise de décision sur le cannabis thérapeutique. Le 31 décembre, vers 22 heures ou 23 heures, après une prise de fonction le 24 décembre, je découvrais que nous devions agir avant minuit. J'étais au-dessus de l'Égypte, en train de rentrer de Mayotte. Nous avons pris nos responsabilités pour que l'expérimentation puisse être poursuivie et que les 1 500 patients sous cannabis thérapeutique ne subissent pas de rupture de traitement. J'ai ensuite pu faire les saisines nécessaires à la poursuite de l'expérimentation. En mars, j'ai reçu une notification de l'Union européenne pour instaurer un cadre juridique temporaire. Une saisine de la HAS sur l'efficacité de la prise en charge est en cours. Je n'ai pas de tabou : si le cannabis doit représenter une nouvelle voie thérapeutique, j'y serai favorable. On connaît son effet sur certaines douleurs. En revanche, je suis très fermement opposé au cannabis récréatif.
Une nouvelle lettre de couverture permettra de prolonger l'expérimentation d'une année supplémentaire, pour qu'aucun patient ne subisse de rupture de traitement, et surtout pour favoriser l'émergence d'une filière. Je sais que, à Clermont-Ferrand, on est fermement mobilisé sur ce sujet.
Mme Jocelyne Guidez. - Sur le terrain, de nombreuses initiatives en faveur de la santé mentale émergent, portées par des acteurs engagés. Dans mon département de l'Essonne, le Pôle Ado d'Emeis, à Crosne, illustre cette dynamique, en décloisonnant le secteur sanitaire et le secteur médico-social pour mieux accompagner les jeunes en souffrance psychique. J'espère, monsieur le ministre, avoir le plaisir de vous y accueillir prochainement afin que vous puissiez constater l'intérêt d'une telle approche innovante. Qu'en pensez-vous ?
Pourriez-vous envisager d'étendre l'allocation journalière du proche aidant (AJPA) aux aidants de personnes atteintes de cancer ? On sait que ceux qui suivent une chimiothérapie, parfois au rythme d'une cure par quinzaine pendant six mois, ont besoin d'un soutien, en particulier depuis que l'accès au centre de chimiothérapie est rendu plus complexe par le décret les obligeant à recourir au transport partagé.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir rappelé que l'une de vos priorités était le dépistage de l'amyotrophie spinale. Les associations et les parents l'attendent. Vous avez évoqué l'été. Nous espérons une date plus précise.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Monsieur le ministre, le plan santé mentale ne peut pas être réduit à la souffrance psychique. Si la santé mentale est plus vaste que les troubles psychiatriques, n'évitons pas le terme de psychiatrie. Avez-vous consulté les psychiatres pour l'élaboration du plan santé mentale et, si oui, comment ? La Fédération française de psychiatrie et d'autres acteurs se sentent, comme pendant le covid, hors du cercle des décideurs. On en a vu les résultats après les confinements.
Quelles pistes envisagez-vous pour restaurer rapidement l'attractivité de la spécialité psychiatrie ? Trois métiers sont les parents pauvres des soins : la psychiatrie, la pédiatrie et la gériatrie, dont les noms sont bâtis sur la racine « iatros ». Comment expliquez-vous que ces trois spécialités soient les plus en difficulté, tant dans la formation que dans le système de soins ? Les autres spécialités ont pour racine « logos », comme la cardiologie.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je souhaite longue vie au ministre pour mettre en oeuvre cet ambitieux programme ! Vous êtes le dix-septième ministre de la santé depuis mon entrée au Sénat en 2001. Bon courage !
Dans Le Parisien Dimanche, j'ai lu que vous souhaitiez supprimer le quota d'étudiants en médecine. Est-ce le cas ?
À propos de la pertinence des soins, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) cite le chiffre de 20 % de soins redondants ou inutiles. Avez-vous en la matière une vision efficace qui puisse donner lieu à des mesures dans le PLFSS pour 2026 ?
Vous avez évoqué la fraude aux cartes Vitale, mais nous n'avons toujours pas l'estimation par la Cnam des fraudes, erreurs et anomalies de prescriptions et de prestations.
Mme Céline Brulin. - Les contrats de type 2 sont de nouveaux contrats d'intérim, auxquels ont recours les hôpitaux depuis que les précédents contrats d'intérim ont été régulés, à la suite d'abus. Je suis favorable à cette régulation, mais le récent décret publié pénalise lourdement les hôpitaux de proximité, qui ont souvent recours à de jeunes praticiens. Le décret stipule qu'il faut cinq ans d'inscription à l'ordre pour recruter sur ce type de contrat. Cela met véritablement en péril des services d'hôpitaux de proximité, qui souffrent d'une moindre attractivité que les CHU.
Alors que Sagéo se retrouve en liquidation judiciaire, l'existence du centre de santé de Sagéo au Havre est menacé, et voilà 5 000 patients qui ne disposent plus de médecin généraliste, dans un département déjà affecté par la désertification médicale. Quelle réponse publique peut-on envisager ? Je vous ai entendu dire que 50 % des médecins exercent en salariat et qu'il fallait y prêter attention. Que faire pour que ce centre ne ferme pas ? La situation est urgente !
Vos prédécesseurs ont élaboré une feuille de route contre les pénuries de médicaments. Une commission d'enquête du Sénat avait formulé des propositions fort intéressantes, qui, pour certaines, ont été reprises dans cette feuille de route. Les pénuries se sont pourtant accrues ces derniers temps. Quelle est votre vision sur cette question ?
Mme Pascale Gruny. - Quelle interprétation doit-on retenir sur les adjuvats ? L'ordre, dans l'Aisne, s'interroge sur leur possibilité pour ces médecins d'exercer dans un lieu différent du médecin titulaire, par exemple dans une annexe. A priori, l'interprétation portée par les ordres serait différente selon les départements.
Il y avait cinq psychiatres dans ma ville de Saint-Quentin. Quatre sont partis dans le secteur privé... Voilà où nous en sommes !
Le déficit des hôpitaux a pour conséquence moins d'investissement et donc moins d'attractivité pour de jeunes praticiens hospitaliers qui se sont formés sur des machines plus modernes que les hôpitaux de proximité ne peuvent pas acquérir. Cela entraîne une médecine à deux vitesses.
On ne parle jamais de la médecine du travail, parent pauvre de la santé. Or elle est importante pour la prévention ! Il y a une pénurie de médecins du travail. Pourtant, cette médecine n'est pas à négliger, surtout au moment où l'on allonge la durée du travail.
Avec Cathy Apourceau-Poly et Bernard Jomier, à la commission des affaires européennes, nous dressons le bilan du plan cancer européen. Il est assez désagréable d'entendre, lors des auditions, que la France n'est pas au niveau dans le dépistage du cancer du sein, qui se fait à un âge avancé, alors que certaines familles sont marquées par le cancer du sein - c'est le cas de la mienne.
Nous sommes aussi inquiets pour la ruralité, souvent éloignée des centres de dépistage.
Mme Annie Le Houérou. - Merci, monsieur le ministre, pour votre volontarisme, votre analyse et votre diagnostic.
La prévention est importante, mais, pour en faire, il faut un minimum de centres de soins. Or, dans le centre-ouest de la Bretagne, sans université, l'accès aux soins est catastrophique. La population et les élus expriment leur détresse et nous interpellent quotidiennement. Ils vous interpelleront aussi, lorsque vous vous rendrez à Carhaix très bientôt. Vous avez évoqué des solutions de court terme. Comment faire pour que les étudiants en quatrième année d'internat - il y en aurait en moyenne environ 40 par département - viennent en priorité là où l'on a besoin d'eux ?
Nous attendons aussi très rapidement des régularisations de situations de Padhue.
Quid par ailleurs du recours à la réserve sanitaire ? Lorsque l'on ferme des lits, des maternités, des services d'urgence, il y a un tel désarroi de la population qu'elle ne va même plus se faire soigner.
Dans l'urgence, que pensez-vous d'une expérimentation qui irait chercher des brigades cubaines pour aider nos territoires et assurer le maintien des services ?
L'Assemblée nationale a voté, après le Sénat, une proposition de loi de Bernard Jomier sur le ratio patients-soignants. Comment envisagez-vous sa mise en oeuvre ?
Ces prochains jours, l'Assemblée examinera la proposition de loi transpartisane sur la régulation de l'installation des médecins de Guillaume Garot. Quelle sera votre position ?
Vous avez enfin beaucoup insisté sur le rôle des collectivités territoriales en matière de prévention et de formation. Je partage votre avis mais nous devons peut-être redéfinir le rôle des collectivités territoriales, car elles investissent beaucoup dans la santé.
M. Yannick Neuder, ministre. - Chaque cas d'amyotrophie spinale non diagnostiqué est dramatique. Sans polémiquer, je rappelle que nous avons perdu beaucoup de temps avec le PLFSS. La région Grand Est et la région Occitanie font déjà ces dépistages néonataux - il faut les faire dans les vingt jours. Le recrutement des personnels est déterminant. Un PLFSS en novembre, c'était une labellisation des laboratoires plus tôt ! Nous sommes en train de le faire et je fais confiance aux ARS pour se montrer actives sur ce sujet. Raisonnablement, une grande partie du dépistage sera accessible sur l'ensemble du territoire. Si cela est plus difficile dans certaines régions, nous chercherons des solutions. Je n'ai réellement pu lancer cela qu'il y a quelques semaines.
J'ai signé un décret permettant de faciliter la réalisation de la chimiothérapie en hospitalisation à domicile (HAD). Cela soulagera grandement les aidants. Je suis pour une mutualisation des transports, sauf si l'état du patient ne le permet pas, par exemple s'il est immunodéprimé. Il faut avoir une approche de différenciation territoriale. Il s'agit non pas de supprimer le transport, mais de mieux l'encadrer, en ayant à l'esprit que l'impact n'est pas du tout le même selon qu'il y a ou non des transports en commun sur le territoire. La sécurité sociale ne peut pas payer pour un défaut d'aménagement du territoire et un manque de transports collectifs.
J'ai pris le train en route sur la psychiatrie, déclarée grande cause nationale par Michel Barnier, ce qu'a confirmé François Bayrou. Parmi les personnalités qualifiées ayant travaillé sur ce plan santé mentale, je peux citer le Pr Michel Lejoyeux, président de la commission nationale de psychiatrie, et le Pr Amine Benyamina, président de la Fédération française d'addictologie. Le monde syndical est également représenté, avec le Dr Norbert Skurnik et le Dr Rachel Bocher.
À ce jour, 62 % des médecins continuent de considérer la psychiatrie comme une spécialité moins prestigieuse, et 37 % ont peur de l'univers de la psychiatrie. Nous devons lutter contre le ressenti de nos jeunes médecins.
La santé mentale est l'une des composantes de la pleine santé selon la définition de l'OMS. Il faut mettre des mots sur des situations cliniques. Il faut pour cela des psychiatres, pour nommer les maladies et les traitements adaptés. Loin de moi l'idée de remettre en cause l'accès direct aux psychologues, que j'ai soutenu, mais j'ai demandé un rapport sur ce sujet parce qu'il faudra tenir compte de l'adressage aux psychologues, du recours à la médicalisation, à la médicamentation des patients, du taux de suicide. Il faut distinguer les déterminants d'une bonne santé mentale et la pathologie. On peut vivre dans de très bonnes conditions et souffrir de schizophrénie.
L'organisation en secteurs, dans la psychiatrie, est très positive. Nous devons la privilégier, tout en réarmant nos centres médico-psychologiques. Les délais de prise en charge doivent être réduits.
J'ai bien la volonté de supprimer le numerus apertus.
Le volume de fraude sociale est estimé autour de 13,5 milliards d'euros : il s'agit souvent du mésusage de cartes Vitale, mais aussi, beaucoup, de falsifications des arrêts de travail.
J'entends le point de la sénatrice Brulin. Nous partageons la volonté d'encadrement, pour éviter le mercenariat. Pourquoi ce seuil de cinq ans ? Je trouvais incroyable que des internes refusent des postes d'assistants pour leur préférer des remplacements dans des cliniques en ville. Il me semblait qu'après la fin de la formation, on pouvait considérer que les médecins restent un certain temps à l'hôpital, mais trois ans serait peut-être plus opportun que cinq ans, pour ne pas se priver d'un vivier médical par la suite.
J'ai mis en place un système assez efficace de remontées de situations du terrain ; vous y contribuez. D'autres parlementaires m'ont signalé la situation du Havre. La structure ferme, mais nous n'avons aucune fuite de médecins : ces médecins continueront d'exercer sous une autre forme. Je suivrai la situation, me rendant vendredi dans la ville.
Pour ce qui concerne le modèle économique des centres de santé, le nombre d'actes réalisés dans le temps imparti pose problème. Je n'aime pas parler ainsi, mais il y a peut-être une discussion à avoir sur le rendement. Je ne suis pas sûr que ce soit le rôle des collectivités territoriales que d'accorder à ces centres des subventions de fonctionnement, ce qui est souvent le cas. D'autres modèles existent, tels que les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP).
Je tiendrai, avec Marc Ferracci, un comité de pilotage sur les pénuries de médicaments le 18 mars. Ce sujet est très important, au regard de la situation internationale. Vous connaissez les différentes mesures : obligation de stockage, dispensation à l'unité, limite de la prescription, principe de substitution, fabrication de formes magistrales dans les pharmacies, interdiction faite aux grossistes répartiteurs de livrer à l'étranger. Certains médicaments manquent, comme la quétiapine. Sur ce dernier, nous avons enclenché toutes ces modalités. Nous avons un arsenal suffisant.
Il faut élargir le rôle des IPA et des infirmières en médecine du travail. Le numérique présente également une opportunité, avec les téléconsultations, pour les lieux géographiques isolés.
J'ai interrogé la HAS sur le dépistage du cancer du sein. Attention à ne pas surdiagnostiquer le cancer du sein, en dépistant plus tôt ! Si l'on sait que, dans chaque génération de femmes d'une famille, il y a un cancer du sein, on peut structurer notre dépistage et recommander des mammographies tous les deux ans. Les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) ont clairement montré que plus l'on s'éloigne des lieux de dépistage, plus l'incidence augmente.
- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-présidente -
M. Yannick Neuder, ministre. - Je me rendrai à Carhaix le 5 mai. On comptera environ 3 700 docteurs juniors sur 100 départements. Attention : le Parlement n'a pas voté pour que ces docteurs juniors n'aillent que là où il n'y a personne ! Ils sont encore en formation, donc il faut des médecins pour les encadrer. Les modalités d'accueil pourraient être assouplies, avec, par exemple, le principe d'un médecin joignable à distance. Je fais confiance au collège national des médecins généralistes enseignants et aux ARS pour définir les bonnes modalités. L'idée est de s'appuyer sur les centres de soins et autres maisons médicales pour donner envie aux jeunes de s'installer dans ces territoires - on ne s'installe pas là où l'on n'est pas passé.
Je ne veux pas que notre système fonctionne grâce aux soignants d'autres pays.
Mme Annie Le Houérou. - Cela s'est fait, en outre-mer.
M. Yannick Neuder, ministre. - Pour moi, la septième puissance mondiale ne doit pas avoir pour solution de faire venir une brigade cubaine dans les Côtes-d'Armor !
Mme Annie Le Houérou. - Nous sommes d'accord pour les accueillir.
M. Yannick Neuder, ministre. - On peut aussi prendre les 15 cardiologues du Bangladesh ! Cela n'améliorerait pas le système de santé français, mais ferait beaucoup de mal au pays d'origine.
La réserve sanitaire fonctionne. À Mayotte, actuellement, 1 000 réservistes sont mobilisés. On y a aussi fait appel pour Carhaix, mais ce n'est pas majeur.
Si vous avez des noms, je suis preneur !
Mme Annie Le Houérou. - Ils viendraient de l'hôpital militaire de Brest.
M. Yannick Neuder, ministre. - J'étais favorable à un ratio soignant par lit ou patient, mais je souhaitais que l'Assemblée nationale enrichisse la proposition de loi afin d'en préciser les modalités. Le choix tactique a été de la voter conforme. Il faudra en préciser les modalités par décret, avec tact et modération.
Il ne s'agit pas d'imposer des ratios qui entraînent la fermeture de lits, à l'opposé de l'effet recherché. Il faudra aussi savoir à quelles catégories de professionnels ces ratios s'appliquent - selon moi, ce serait aux infirmières et aux aides-soignants. Il faudrait un ratio moyen qui prenne en compte l'ensemble des personnels du service. Tout dépend aussi du capacitaire de formation dans les territoires, sur lequel nous n'avons pas totalement la main, puisqu'il est défini par les régions. La date d'entrée en vigueur inscrite dans le texte était déjà caduque au moment de sa promulgation, étant antérieure au jour du vote. Les décrets prévoiront des délais réalistes, tenant compte de la capacité de nos structures hospitalières.
Je ne suis pas favorable à la régulation par principe, car, pour en parler aux jeunes internes et aux médecins en formation, j'ai peur que le remède ne soit pire que le mal. Il faudra voir la teneur des débats, mais je ne voudrais pas que nous amenions des professionnels de santé à déplaquer ou exercer en secteur 3. Je préfère que l'on augmente le nombre de médecins, en supprimant le numerus apertus, en faisant revenir nos étudiants français de l'étranger, en améliorant la situation des Padhue. Évitons d'ajouter la coercition à la disette !
Nous formons le même nombre de médecins qu'en 1970 alors que la France compte 15 millions d'habitants supplémentaires et que le rapport au travail a changé. Les médecins d'aujourd'hui ne travaillent pas autant que ceux de 1970.
Les études sont longues : dix ans pour la médecine générale, treize ans dans ma spécialité. Ne poussons pas les étudiants à aller vers d'autres formations.
Mme Marion Canalès. - Alors que l'on s'est fixé l'objectif d'une génération sans tabac en 2032, envisagez-vous l'interdiction de la consommation de tabac devant les établissements scolaires ?
Le défi de janvier sans alcool n'a pas été financé cette année. Peut-on espérer un message de prévention très fort l'an prochain ?
Quelle est la régulation du marketing d'influence ? J'ai déposé un texte contre les écarts des influenceurs vis-à-vis de la loi Évin sur les réseaux sociaux.
Que pensez-vous de la justice résolutive, qui fait l'objet d'expérimentations alliant santé et justice, pour engager les multirécidivistes dans un parcours thérapeutique ?
Lors de votre venue à Clermont-Ferrand, nous avons parlé de l'article 66 du PLFSS 2024, sur les dispositifs médicaux à usage unique. Un décret devait permettre des expérimentations en CHU. Où en est-on ?
Qu'en est-il de la reconnaissance des infirmières puéricultrices comme spécialité à part entière ? Quel exercice en pratique avancée dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI), à l'aide sociale à l'enfance (ASE), en santé scolaire et dans les établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) ? Je sais qu'un texte a été adopté à l'Assemblée nationale.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Merci pour vos réponses très précises et votre dynamisme, monsieur le ministre. La prévention est l'un des objectifs stratégiques de la politique de santé. Nous menons, avec Nadia Sollogoub et Marion Canalès, une mission d'information sur les politiques de prévention en santé en France. Nous sommes encore au milieu du gué, avec l'affichage de vagues intentions politiques et l'absence d'une véritable stratégie coordonnée et articulée au niveau national et local.
Une première stratégie nationale de santé (SNS) a été élaborée pour la période 2018-2022. Depuis, nous sommes dans l'expectative. Le Haut Conseil de la santé publique a élaboré une contribution et un avis pour une nouvelle SNS couvrant la période 2023-2033. Malheureusement, en 2025, nous attendons encore. L'instabilité politique ne favorise certainement pas les avancées en la matière. Quand peut-on espérer voir validée la nouvelle stratégie nationale de santé ? Cela pourrait être porté au niveau interministériel.
Enfin, vous avez évoqué à plusieurs reprises votre intérêt pour la proximité et la subsidiarité en matière de prévention. L'État a-t-il l'intention de soutenir davantage les initiatives locales ?
Mme Solanges Nadille. - Merci pour vos premiers engagements. Monsieur le ministre, vous connaissez la dimension archipélagique de la Guadeloupe. Le nouvel aérodrome de Marie-Galante a été inauguré. Dans quelle mesure pourrez-vous accompagner les soignants dans leur transfert à l'hôpital de Marie-Galante, qui souffre d'un déficit de professionnels, à cause des dessertes maritimes limitées ?
Lors d'une rencontre avec le préfet et l'ARS, nous avons constaté que les maires de Guadeloupe ont des difficultés à mettre en place des projets de prévention dans les écoles. Les fonds existent, mais la bourse de l'ARS a du mal à s'ouvrir.
Je vous invite à venir en Guadeloupe pour l'inauguration du nouveau CHU.
Mme Véronique Guillotin. - J'ai été nommée corapporteure d'une mission gouvernementale sur la soumission chimique, qui s'achèvera dans trois mois. Une première proposition de référentiel pour la HAS a été formulée : y êtes-vous favorable ?
Le rapport du Sénat sur la périnatalité met bien en évidence la dégradation des ratios soignants, la hausse de la mortalité infantile, de la mortinatalité et de la mortalité maternelle. Est-ce un sujet sur lequel vous souhaitez travailler ? Nous sommes la septième puissance mondiale, mais nous nous situons à la vingt-troisième place en la matière.
Mme Corinne Féret. - Merci au ministre pour la clarté de ses propos. Des efforts considérables doivent être faits pour dépister les maladies, particulièrement les cancers. On doit faire plus et mieux, même si, une fois le dépistage réalisé, on constate de fortes disparités d'accès aux soins. Comment améliorer la situation ? Dans mon département du Calvados, des initiatives ont été prises.
En matière de transports mutualisés, il faut aller vers un juste équilibre, et non vers du covoiturage à tout prix.
Mme Nadia Sollogoub. - Nous avons parlé des Padhue, mais pas de la reconnaissance des diplômes des personnes qui bénéficient de la protection temporaire. Je pense aux Ukrainiens. Paradoxalement, leur diplôme était reconnu la première année de leur présence en France, alors qu'ils ne parlaient pas français, et ne l'est plus maintenant qu'ils parlent français, qu'ils sont intégrés et souhaitent rester.
Le transport partagé pose un vrai problème en cas d'IVG. Le transporteur doit respecter l'anonymat de la patiente, mais pas la personne qui partage le véhicule. Or dans certains départements, tout le monde se connaît. Une IVG étant réalisée en hospitalisation de jour, les patientes sont obligées d'accepter le transport partagé.
M. Yannick Neuder, ministre. - Je ne vous rappelle pas les méfaits de l'alcool et du tabac : 40 000 décès par an sont dus au tabac et 28 000 décès sont dus à l'alcool. Je ne peux qu'être favorable aux campagnes de prévention. J'ai moi-même fait le Dry January, comme chaque année. Il faut être sans tabou sur l'alcoolisation aiguë des jeunes, facteur d'accidentologie, ayant des effets sur le développement cérébral et la santé cardiovasculaire. Il faut distinguer cela des enjeux des filières oenologiques. Une proposition de loi a été déposée par Karine Lebon, députée de La Réunion, pour interdire la publicité pour les alcools forts. Je l'avais cosignée en tant que député. J'y suis favorable.
L'interdiction de la consommation de tabac et d'alcool à proximité des établissements scolaires doit être débattue.
Les infirmières puéricultrices sont déjà reconnues comme des infirmières spécialisées. Elles sont peut-être en demande d'universitarisation, pour une cinquième année. Je ne veux pas que la proposition de loi sur la profession d'infirmier, qui doit être positive, fasse renaître des disputes entre les professions médicales et paramédicales ou entre les infirmières spécialisées et les IPA. Je pense que la rédaction de l'article 2 pourra être améliorée. Je formulerai des propositions par amendement.
On me dit que le décret relatif à l'article 66 est en cours d'examen au Conseil d'État.
J'étudierai la SNS si je suis encore en fonction fin 2025...
J'accepte volontiers votre invitation en Guadeloupe. Je m'y rendrai au second semestre. Je ne peux pas vous répondre à l'instant sur Marie-Galante. On reviendra vers vous.
Je suis favorable à un référentiel relatif à la soumission chimique, pour mieux orienter les victimes.
On ne peut pas rester insensible à la mortalité infantile. Je pense que la réduction de la durée moyenne du séjour en maternité post-accouchement peut poser problème. Il faut pouvoir accompagner les nouveaux parents lorsqu'il y a des difficultés socio-économiques. Une expérimentation est en cours sur des projets concernant la morbimortalité, portée par les relais petite enfance (RPE), jusqu'à fin 2025.
En effet, la mutualisation des transports ne doit pas se faire au détriment de la qualité de la prise en charge des patients.
Le dépistage de cancer du sein, dont le taux est inférieur à 50 %, est trop faible. Il faut construire une filière d'« aller vers ». Il existe déjà des bus avec mammographie embarquée et des gynécobus. Je compte aussi beaucoup sur les hôpitaux, une fois qu'ils seront restructurés, pour aller dans les zones les plus reculées.
Les Ukrainiens sont considérés comme des Padhue et traités de la même façon, même s'ils ont eu une dérogation pendant un an.
Enfin, en cas d'IVG, il me semble qu'il n'y a pas d'obligation de prendre un transport partagé.
Mme Nadia Sollogoub. - C'est une hospitalisation de jour.
M. Yannick Neuder, ministre. - L'idée est de respecter l'anonymat de la patiente. S'il peut être mis en défaut, il n'y aura pas d'obligation de transport partagé. Nous étudierons ce point.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.