- Mardi 11 mars 2025
- Mercedi 12 mars 2025
- Audition de M. Éric Schahl, conseiller régional d'Ile-de-France, représentant de l'association Régions de France
- Audition de M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, auteur d'un rapport au Gouvernement intitulé « Coût des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions » (mai 2024)
- Mercredi 12 mars
2025
- Audition de l'association Intercommunalités de France (sera publié ultérieurement)
- Audition de M. Eric Schahl, conseiller régional d'Ile-de-France, représentant l'association Régions de France (sera publié ultérieurement)
- Audition de M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, auteur d'un rapport au Gouvernement intitulé « Coût des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions » (mai 2024) (sera publié ultérieurement)
Mardi 11 mars 2025
Associations représentant les élus municipaux - MM. Emmanuel Sallaberry, maire de Talence, co-président de la commission des finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), Hervé Fournier, conseiller municipal de Nantes, co-président du forum de l'achat public durable de l'association France urbaine, et Joël Marivain, maire de Kerfourn et président de l'Association des maires ruraux du Morbihan
M. Simon Uzenat, président. - Nous débutons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête en recevant les représentants des élus communaux, dans toute leur diversité. Nous avons en effet, d'un commun accord avec M. le rapporteur, souhaité entendre tout d'abord celles et ceux qui sont en première ligne, les premiers acteurs de la commande publique en France. En 2023, la commande publique a représenté une dépense de près de 171 milliards d'euros, dont 30 %, soit 51 milliards d'euros, relèvent de l'État, et 43 %, soit 73 milliards d'euros, des collectivités territoriales. Celles-ci ont passé près de 195 000 marchés, contre seulement 20 000 pour l'État.
Il est donc naturel, avant d'entendre, dans les semaines à venir, des représentants de l'État ou d'institutions nationales, de recevoir dès maintenant des élus qui sont confrontés au quotidien à la rigueur - certains parleront de complexité - du droit de la commande publique.
Nous avons le plaisir d'accueillir, en tant que représentant de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), M. Emmanuel Sallaberry, maire de Talence et co-président de la commission des finances de l'association ; en tant que représentant de l'association France urbaine, M. Hervé Fournier, conseiller municipal de Nantes ; en tant que représentant des maires ruraux, M. Joël Marivain, maire de Kerfourn, dans le Morbihan, et président de l'Association des maires ruraux de ce département.
Je vous informe que cette audition est diffusée en direct sur le site du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête sera passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, voire sept ans en fonction des circonstances. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez, s'il-vous-plaît, lever la main droite et dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Emmanuel Sallaberry, M. Hervé Fournier et M. Joël Marivain prêtent serment.
M. Simon Uzenat, président. - Notre commission d'enquête n'a pas vocation à répéter les constats bien connus sur la commande publique ou à formuler des incantations généralistes sans lien avec l'expérience des élus qui en font usage au quotidien. C'est pourquoi, avec M. le rapporteur, nous vous prions de nous présenter systématiquement un exemple concret de marché ayant permis de cerner des difficultés particulières, qui peuvent être d'ordre juridique, économique ou administratif, et concerner aussi bien la passation des marchés que leur exécution.
Votre témoignage nous sera particulièrement précieux pour identifier ou confirmer les difficultés récurrentes rencontrées par les élus locaux en matière de commande publique, et pour faire apparaître sur des points précis un besoin de simplification ou d'évolution de la réglementation, au bénéfice, également, de nos TPE-PME.
M. Hervé Fournier, conseiller municipal de Nantes, co-président du forum de l'achat public durable de l'association France urbaine. - Je suis conseiller municipal de Nantes et conseiller communautaire de Nantes métropole, en charge de la commande publique, et je copréside, à ce titre, le forum de France urbaine sur le sujet.
L'association France urbaine regroupe une centaine de collectivités, parmi lesquelles des grandes villes de plus de 100 000 habitants et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 250 000 habitants.
La commande publique participe du suivi et de l'animation des différentes politiques publiques thématiques au sein des collectivités. Au sein de France urbaine, nous avons des groupes thématiques sur l'économie sociale et solidaire (ESS), sur l'alimentation, sur le numérique, au sein desquels nous abordions déjà la commande publique. Depuis quelques années, nous avons souhaité approfondir notre culture, notre expertise et nos compétences en la matière. C'est pourquoi nous avons créé un forum des acheteurs, destiné aux agents des collectivités, ainsi qu'un forum d'élus, qui se réunit tous les deux mois, pour partager les pratiques sur le sujet.
Nous nous mobilisons prioritairement pour la révision des directives européennes de 2014, relatives aux marchés publics et aux concessions, qui ont conduit au développement d'une culture de la libre concurrence. Déclinées dans le code de la commande publique, elles nous ont permis d'identifier un certain nombre de freins dans nos capacités. Nous sommes aussi très mobilisés sur les retours d'expérience en matière d'alimentation et d'économie circulaire, dans le cadre de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite Agec, ou dans la mise en oeuvre de nos politiques publiques. Nous avons tous la conviction, au sein de France urbaine, que la commande publique est un levier de transformation des territoires et d'accompagnement de la mutation des filières économiques, ainsi que des entreprises, dès lors qu'il est possible de travailler avec elles et de les faire bénéficier de la commande publique. Comment s'appuyer sur la commande publique pour accélérer le dynamisme économique de nos territoires, la relocalisation et la réindustrialisation ? En Loire-Atlantique, territoire riche de son histoire industrielle, l'enjeu est important.
Nous vous livrerons dans quelques jours une note écrite répondant aux questions que vous nous avez posées, accompagnée de pièces annexes parmi lesquelles figurent certains schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser) et d'autres documents issus de notre groupe de travail d'élus.
L'association France urbaine plaide pour faire évoluer le code de la commande publique et la réglementation européenne, et souhaite prendre toute sa part dans le débat sur la projet de loi de simplification de la vie économique.
M. Emmanuel Sallaberry, maire de Talence et co-président de la commission des finances de l'AMF. - Heureux maire de Talence, j'ai été acheteur public, dans ma prime jeunesse. C'est un domaine passionnant mais qui fait souvent peur.
L'AMF vous fournira également une réponse écrite à vos questions. Notre association ne dispose pas d'une commission particulière consacrée à la commande publique, mais elle a un élu référent en la personne de Pierre Le Goff, maire de Guimaëc, dans le Finistère. En outre, il existe un groupe de travail spécifique sur la restauration scolaire qui représente un outil puissant sur lequel plusieurs éléments viennent s'entrechoquer.
La part de marchés publics que passent les communes atteint un montant de 22 milliards d'euros, soit 49 % du total des collectivités territoriales. Les aménagements représentent un montant global de 8,2 milliards d'euros et les bâtiments publics, 9,4 milliards d'euros.
Nous plaidons pour une simplification du code de la commande publique. Les demandes de formation des élus, en début de mandat, portent souvent sur les marchés publics. Bien sûr, les réalités diffèrent grandement selon la taille de la commune. Certaines communes font appel à des groupements quand d'autres sont bien plus autonomes.
Les élus craignent souvent la sanction des juges, car elle s'applique immédiatement en cas de manquement ou d'écart. Certes, nous sommes dans un pays de droit, mais très souvent, les erreurs sont le résultat non pas d'une volonté frauduleuse, mais d'une méconnaissance de l'ensemble des réglementations applicables, qui sont modifiées quelques mois après leur adoption. Par ailleurs, certaines réglementations annexes mettent du temps à être votées, nous laissant dans une forme d'interprétation plus personnelle. Je tiens à rappeler quele pouvoir du législateur est important, et qu'il est dangereux de laisser au juge administratif le soin de se substituer à lui et de préciser un texte de loi par la jurisprudence.
En tant qu'élus, nous avons l'impression que le mouvement de simplification engagé ces dernières années a surtout visé les entreprises, mais pas les donneurs d'ordre que sont les collectivités. L'idée n'est pas d'opposer les unes aux autres mais de souligner que nous souhaitons nous aussi davantage de simplification.
Notre monde est incertain et les maires, en tant qu'investisseurs, n'aiment pas l'incertitude. Il faut leur donner une vision claire de ce qu'est la commande publique, dans un contexte économique dégradé, dès le début du prochain mandat, afin qu'ils puissent y prendre leur part et bénéficier ainsi d'un levier puissant, qui fait la singularité et la fierté de notre pays. Éloignons-nous de la caricature qui présente les maires comme de mauvais acheteurs. Des réformes simples pourraient favoriser une vraie libération.
M. Joël Marivain, maire de Kerfourn et président de l'Association des maires ruraux du Morbihan. - Pour les communes rurales, la commande publique n'est qu'un outil. Ce n'est donc certainement pas un sujet sur lequel nous passons beaucoup de temps. Nous sommes happés par le quotidien et je ne suis pas sûr que nous respections toutes les règles.
La multiplicité des décideurs engendre une bonne irrigation du marché. Les groupements d'achat concentrent les marchés sur quelques entreprises. Dans les communes rurales, nous favorisons plutôt les entreprises de proximité ou bien celles qui ont déjà répondu à d'autres appels d'offres, afin d'avoir la garantie que le projet sera réalisé. Peut-on considérer cela comme du favoritisme ?
Certains maires n'hésitent pas à faire appel aux élus qui ont les compétences requises pour passer des marchés publics ou à recourir à des assistances à maîtrise d'ouvrage. D'autres sont plus précautionneux, par peur des contraintes juridiques, et font plutôt appel à une personne spécialisée sur le sujet dans le cadre de la communauté de communes, ou bien créent des groupements de commande.
Certains marchés peuvent présenter plus de difficultés que d'autres, par exemple quand il s'agit de rénover un bâtiment. En effet, il est difficile de connaître les conditions du marché initial, car il peut y avoir des modifications de dernière minute, qui n'auraient pas été anticipées.
Les groupements de commande sont assez lourds à mettre en oeuvre et ne génèrent parfois même pas d'économies. Ils s'arrêtent alors assez rapidement...
Je voudrais attirer votre attention sur les défaillances d'entreprise dans les marchés : parfois, on nous demande de définir des critères objectifs de sélection des offres, mais ils peuvent se révéler déroutants, voire contreproductifs. Peut-être aurait-il suffi d'exclure l'entreprise dont la qualité était douteuse ? Néanmoins, le choix des critères est important, et dès lors que nous les avons mis en place, nous devons les respecter.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Les marchés publics représentent un enjeu de taille pour les collectivités.
Quelle serait la principale mesure de simplification à prendre pour aider les communes dans la passation et l'exécution de leurs marchés ? Dans quelle mesure les communes parviennent-elles à soutenir le tissu économique local par la commande publique ?
Les élus locaux vous semblent-ils suffisamment sensibilisés au risque pénal ?
M. Joël Marivain. - Heureusement que nous ne pensons pas au pénal ! Sinon, nous démissionnerions.
La proposition de porter à 100 000 euros le seuil des procédures adaptées permet de ne pas perdre de temps dans des excès administratifs pour des marchés qui ne vaudraient pas le coup. Lorsque l'on est élu depuis plusieurs années, des habitudes se créent. On peut confondre cela avec du favoritisme, mais lorsque l'on connaît quelqu'un, il y a déjà une bonne part du travail de faite et l'on pourra discuter de l'essentiel.
M. Emmanuel Sallaberry. - Puisqu'il est question de pénal, je précise que ma commune est limitrophe de la prison de Gradignan...
Je pense aux nouveaux élus, ceux dont le mandat débutera en mars 2026, et notamment à ceux des plus petites communes qui ne disposent pas de l'ingénierie nécessaire. Les associations d'élus, au niveau départemental, ont un rôle à jouer pour les sensibiliser au risque pénal. La quasi-totalité des élus sont de bonne foi, même quand ils se trompent. Parfois, certaines situations dépassent l'entendement. Lorsqu'un élu obtient un rabais sur une procédure formalisée, il oublie l'intangibilité de l'offre sans forcément s'en rendre compte.
Notre première proposition, en faveur des TPE-PME, serait d'adopter un Small Business Act européen, qui réserverait à des TPE-PME une partie des marchés inférieurs à un certain seuil. J'insiste aussi sur la complexité des procédures pour nos partenaires économiques, malgré l'intention louable derrière celles-ci. On sait qu'un très grand nombre d'entreprises est dans l'incapacité de répondre aux marchés publics. Il faudrait prévoir un pourcentage de montant à attribuer, pour ne pas mettre en difficulté les petites communes qui n'ont pas un nombre suffisant d'entreprises candidates.
Notre deuxième proposition est de créer une exception pour l'alimentation locale et durable dans le code de la commande publique. Le fameux critère géographique, dont on n'a jamais le droit de parler, est toujours très présent. Or nous savons bien qu'un marché exécuté par une entreprise qui est située à plusieurs centaines de kilomètres de la commune ne se déroulera pas aussi bien que s'il avait été passé avec une entreprise située à proximité. Les contournements sont nombreux, notamment dans les concours d'architecture, où une agence locale est toujours représentée. Pour l'alimentation, on nous demande plus de bio et de circuits courts. Pourquoi ne pas prévoir une exception visant à privilégier le recours à des fournisseurs locaux pour la restauration collective des plus jeunes et des plus anciens ?
Notre troisième proposition consiste à créer un « passeport marchés publics » qui permettrait, via une plateforme nationale, de déterminer si une entreprise est à jour de toutes ses obligations fiscales, sociales, et, le cas échéant, de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). En effet, il y a eu des avancées pertinentes pour les entreprises, mais les communes doivent systématiquement refaire des vérifications tout au long de l'année, ce qui représente un travail administratif colossal. Nous pourrions prévoir de créer une plateforme pour les profils d'acheteur, identique à celle qui a été conçue pour les entreprises. Dans certains cas, une entreprise en mauvaise santé financière a le droit de concourir.
Les centrales d'achat sont nécessaires mais les délais de livraison d'un certain nombre d'équipements sont déraisonnables. À titre personnel, j'ai attendu deux ans la livraison d'un véhicule de police municipale. Dans un contexte où l'argent public est devenu rare, cela génère des économies, mais nos centrales d'achat, notamment l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), se retrouvent confrontées à une distorsion entre ce qui est demandé et ce qu'elles peuvent réaliser. Cela crée de la frustration, car dans un marché qui représente des milliards d'euros, on ne bénéficie pas finalement des conditions de prix ou de livraison que n'importe quel interlocuteur privé aurait. L'Ugap fait un travail formidable, mais le modèle des centrales d'achat est sans doute à revoir. Le système fonctionne soit à l'échelle nationale, soit à une échelle très locale. Une commune ne peut pas se grouper avec celle d'à côté, ou du moins il sera très compliqué de le faire.
Veillons à rester attentifs aux demandes des organismes. Je prendrai pour exemple une modification dans les concours d'architectes qui a moins de cinq ans. Auparavant, on choisissait à la fois l'équipe et le pourcentage de rémunération de la maîtrise d'oeuvre associé. Désormais, on choisit l'équipe et l'on négocie ensuite le pourcentage de gré à gré. En conséquence, ce pourcentage a augmenté, passant de 5 %, ou 10 %, à 15 %, avec la rémunération de tous les bureaux d'études. L'alternative serait de déclarer la procédure infructueuse et de la recommencer depuis le début, mais la passation d'une procédure coûte 10 000 euros en moyenne. La loi était censée nous être bénéfique puisqu'elle nous laissait négocier, mais in fine, le marché public coûte de plus en plus cher, en raison du coût accru des prestations des groupements de maîtrise d'oeuvre.
Le risque de multiplication des recours contentieux de la part des entreprises lors de la passation des marchés met en difficulté les plus petites collectivités. La simplification de l'exécution des contrats tient aux conditions de mise en place des avenants. En cas de difficultés, la collectivité a toujours tort et se voit souvent contrainte de signer un avenant très difficile à négocier et très encadré.
Dans un contexte d'inflation très important, les collectivités doivent connaître de façon beaucoup plus sûre le prix total de l'achat envisagé. En matière d'équipement de bâtiments publics, les propositions soumises lors d'un appel d'offres sont souvent datées d'un mois. Or le marché s'exécute sur une période relativement longue, si bien qu'il y a parfois trois à quatre ans d'écart entre les prix de référence de l'offre et le prix de facturation.
Dans ces conditions, les coûts augmentent et il est particulièrement difficile de maîtriser les formules contractuelles de révision des prix. Il faut donc un encadrement plus important, afin que le prix d'achat voté par le conseil municipal soit respecté.
M. Hervé Fournier. - Il est nécessaire de rehausser les seuils des marchés publics, dans des limites qu'il convient de discuter avec le législateur, et d'améliorer la capacité de négociation des pouvoirs adjudicateurs, notamment pour les marchés complexes, alors qu'elle est autorisée pour les entités adjudicatrices. D'autant que ces derniers sont de plus en plus fréquents, pour sécuriser un approvisionnement ou un service à la collectivité, en raison par exemple des obligations de réemploi, de réparation et de maintenance imposées par la loi Agec.
Les entreprises doivent être en mesure de répondre, du tac au tac, à cette évolution des contraintes, qui n'était pas envisagée au départ. D'où l'importance d'autoriser la négociation, comme on le fait déjà pour les entités adjudicatrices.
Le Small Business Act permettrait, selon des critères de proximité, de sanctuariser une part de la commande publique au profit des entreprises du territoire. Or il est difficile de parler de proximité, qui plus est à l'échelle locale, car la commande publique redessine les frontières. En effet, doit-on se référer au territoire du département, à celui de la métropole ou à celui de la région ? Quelquefois, il est même question du territoire national, voire du territoire européen. Il convient donc de définir ce qu'est la proximité.
Du reste, nous devons veiller à donner aux acheteurs publics la possibilité de choisir la façon d'acquérir les produits alimentaires à destination des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des cantines scolaires. C'est le premier sujet de la commande publique, qui fait l'objet d'un débat avec nos concitoyens.
On a parfois du mal à comprendre que les aliments peuvent venir de très loin. Il est plus facile pour les petites communes, moins observées par le contrôle de légalité, d'assurer la proximité de l'alimentation, contrairement aux grandes collectivités, comme la ville de Nantes, qui doivent répondre à la massification de la commande publique alimentaire. Si ma commune avait la possibilité de négocier et de bénéficier d'un rehaussement des seuils, elle aurait plus d'agilité dans l'acquisition des denrées alimentaires.
Ainsi, France urbaine et d'autres réseaux ont demandé que, pour 50 % du volume d'achat alimentaire, les collectivités soient libres du choix des procédures et du type de marché, tout en respectant les contraintes imposées par la loi.
J'en viens à la question du risque pénal. Notez que les grandes collectivités sont moins exposées. La ville de Nantes, par exemple, dispose d'une vingtaine d'agents qui oeuvrent à sécuriser les procédures des marchés et à réduire le risque pour les élus, notamment ceux qui siègent au sein des commissions d'appel d'offres (CAO).
Les marchés publics, à Nantes, ce sont 1 200 consultations par an, 300 à 400 acheteurs qui définissent les besoins et rédigent les termes des contrats et une vingtaine d'agents chargés de sécuriser la procédure et d'aller au-delà des exigences du code de la commande publique en incluant des clauses environnementales ou sociales.
Mme Karine Daniel. - Cette commission d'enquête doit être attentive à la question de la temporalité des marchés. En effet, ceux dont la réalisation s'étale dans le temps peuvent connaître une évolution des matériels et des technologies, voire une augmentation des prix, en particulier dans un contexte inflationniste. Par exemple, l'exécution d'un marché public pour l'acquisition de matériel informatique peut durer plusieurs années. Or il arrive que les collectivités se fassent refourguer au prix fort du matériel devenu obsolète entre la signature du contrat et son exécution effective, ce qui est contraire à l'intérêt public.
Pour avoir beaucoup travaillé sur le sujet des marchés de l'alimentation, je sais combien il est difficile d'appréhender les choses, étant donné les multiples critères qui doivent être pris en compte : proximité ou distance, circuits courts, nombre d'intermédiaires, empreinte carbone, périssabilité des produits, etc.
Avez-vous envisagé des pistes de simplification en ce domaine ? Le bon sens suppose de choisir des fournisseurs de proximité, mais il peut être difficile de connaître chacun d'entre eux et de choisir celui qui semble le plus adéquat.
La proximité est souvent exigée de la part des citoyens, mais elle peut exposer les élus à de nombreuses difficultés. Je souhaite bon courage aux collectivités de Loire-Atlantique qui voudraient choisir un fournisseur de muscadet, tant les entreprises sont c et la concurrence forte !
Par ailleurs, le coût des marchés est un élément d'interrogation légitime pour nos concitoyens. On a tendance à croire qu'un acte d'achat réalisé dans le cadre de la commande publique coûte plus cher que celui qui est effectué par un opérateur privé. Ainsi, les gros marchés conclus dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) sont souvent dénoncés. Il suffit sinon de citer l'exemple de la gomme et du crayon qui coûtent plus cher lorsque c'est une école publique qui les achètent que lorsque les parents vont les chercher au supermarché du coin.
Deux solutions se présentent à nous : soit nous faisons le choix de conforter ces idées reçues en les étayant et en les illustrant, soit nous démontrons qu'il s'agit de légendes urbaines - ou rurales, en l'occurrence...
M. Serge Mérillou. - Pensez-vous que les marchés publics, caractérisés par une lourdeur et une rigidité importantes, sont des facteurs d'augmentation des coûts ? Le cas échéant, dans quelle proportion ?
Dans le domaine du BTP, on déplore souvent des surcoûts par rapport aux chantiers entrepris dans le secteur privé. Le préfet d'un département qui m'est cher m'a dit un jour que les sommes distribuées via la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) correspondaient au surcoût de la commande publique.
Les sommes pour les collectivités sont parfois considérables. Ainsi, pourrait-on envisager, pour certains marchés modestes ou de niche, d'échapper à la commande publique et de revenir à des négociations de gré à gré ?
M. Henri Cabanel. - Je partage entièrement ce que vient d'affirmer mon collègue Mérillou sur les coûts de la commande publique. Que pensez-vous des associations nationales dont l'objet est de faciliter la commande publique en matière alimentaire ? Je pense notamment à Agrilocal, ou à Occit'alim en région Occitanie.
M. Daniel Salmon. - Nous sommes toujours sur une ligne de crête en matière de commande publique. Si de nombreuses législations et réglementations se sont sédimentées au fil du temps, c'est pour répondre à divers enjeux, réduire les conflits d'intérêts et combattre les usines à gaz. Aujourd'hui, nous devons nous efforcer de parvenir à un équilibre. Dans cette perspective, la présente commission d'enquête doit nous permettre de formuler un certain nombre de recommandations.
Depuis quelques années, les acteurs de la commande publique sont contraints de prendre en compte une dimension nouvelle, celle de la transition écologique. Il est certain que cette évolution est venue complexifier la commande publique, mais elle n'est pas optionnelle.
Ainsi, jusqu'où peut-on aller en matière de critérisation ? Il fut un temps où c'était le candidat moins disant qui remportait le marché, le critère du coût étant supérieur aux autres. Les choses ont été depuis pondérées, mais nous devons aller plus loin. Ainsi, quels critères préconisez-vous de retenir en matière de technicité, d'expérience et de respect de l'environnement ?
Les élus locaux sont bien souvent confrontés aux défaillances d'entreprises. Ces dix dernières années, je n'ai pas connu un seul chantier où une entreprise n'a pas abandonné le travail en cours de route. Les coûts induits sont considérables pour les collectivités, qui peinent à retomber sur leurs pieds. En outre, il leur est difficile de trouver une nouvelle entreprise qui accepte de reprendre le chantier en offrant les mêmes garanties. Compte tenu de ces éléments, comment faciliter la tâche des collectivités dans l'exécution des procédures de la commande publique ?
M. Henri Cabanel. - Dans certains départements, comme celui de l'Hérault, des expérimentations en matière d'ingénierie ont été lancées pour aider les petites communes à faire face à la complexité des marchés publics. Pensez-vous que ce genre d'expérimentation doit être généralisée ?
Mme Lauriane Josende. - Le code de la commande publique et la législation en vigueur doivent permettre aux collectivités d'aboutir à la meilleure prestation possible, au meilleur prix possible. Par ailleurs, ils sont supposés garantir l'égal accès des entreprises à la commande publique. Or en raison de la complexification des règles et des procédures, qui ne cesse de croître, les entreprises se plaignent d'une distorsion de concurrence.
En conséquence, elles ne peuvent pas toutes accéder à la commande publique, y compris sur des marchés de moindre importance. Elles perdent souvent de l'argent en essayant de remporter un marché, alors même que leurs chances de l'obtenir sont d'emblée compromises. Comment, de votre point de vue d'élus, analysez-vous cette distorsion de concurrence ?
M. Victorin Lurel. - En outre-mer, nous sommes parvenus à mettre en place des circuits courts qui assurent davantage de proximité et réduisent les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons également conduit une expérimentation, la stratégie du bon achat (SBA), qui a pris fin en 2022. Hélas, le Gouvernement n'a pas souhaité la reconduire, en dépit des demandes formulées par Audrey Bélim concernant La Réunion.
Pour rappel, à l'époque, on conditionnait un tiers des marchés au-delà de 500 000 euros à des obligations de sous-traitance et on réservait un autre tiers aux petites et moyennes entreprises (PME), selon la définition qu'en donne la législation européenne.
Par ailleurs, les petites communes - celles de moins de 10 000 habitants - ont du mal à se doter d'un véritable service des achats. Afin de faire face à cette pénurie de compétences et à un défaut d'assistance technique en matière de financement, la région Guadeloupe a créé une unité destinée à aider les communes dans la préparation des marchés publics. L'État lui-même, au travers des préfectures, souffre d'un manque d'expertise, en dépit du rôle joué par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et d'autres organismes en ce domaine. Dès lors, comment doter les petites communes d'une équipe technique ? On pourrait sans doute mettre à contribution la région ou le département, ou bien l'État et ses agences.
Enfin, parlons du risque pénal. Les juges condamnent souvent les élus, quelles que soient leur probité et les fautes commises, pour prise illégale d'intérêt et favoritisme. La définition de ces délits est large et mouvante, bien que le Sénat l'ait corrigée, et il n'y a presque pas de prescription. Il reste donc une brèche dans laquelle les juges n'hésitent pas à s'engouffrer. En tant qu'élus et acheteurs publics, que préconisez-vous pour définir globalement une stratégie du bon achat ?
M. Hervé Fournier. - France urbaine ne dispose pas de chiffres, à l'échelle des grandes agglomérations et collectivités, sur le surcoût de la commande publique. Pour autant, un certain nombre de leviers peuvent limiter les risques, comme la négociation. Celle-ci permet en effet d'affiner les besoins auprès des candidats retenus, dans le cadre d'un marché complexe, et de tirer le meilleur parti de certaines propositions.
C'est pourquoi nous avons développé le sourçage. Nous pouvons ainsi nous assurer de la connaissance par nos acheteurs des offres nouvelles sur le territoire, notamment en matière de construction de bâtiments, de mobilités, d'alimentation et de réemploi.
On ne peut pas laisser l'acheteur public seul face à une entreprise, car il risque de se voir condamné pour favoritisme. Voilà pourquoi la mutualisation est importante. Nous organisons donc plusieurs événements, chaque année, qui réunissent les acheteurs de l'université de Nantes et ceux des trois collectivités du territoire, à savoir le département, la région et la métropole.
Nantes Métropole, qui regroupe vingt-quatre communes, sert de cadre pour mutualiser l'expertise au bénéfice de l'ensemble des acheteurs et des directeurs généraux des services (DGS) des petites communes. Il est certain que la capacité de sourçage et le partage des pratiques réduisent le risque de surcoût.
Venons-en à la question de la temporalité. Je suis un peu mal à l'aise sur ce sujet, car, à Nantes, la quasi-totalité des procédures d'achat public incluent des clauses de révision des prix. Celles-ci permettent de modifier les termes du marché avec le prestataire en cours d'exécution du contrat, en cas d'inflation, par exemple.
Au sortir de la crise sanitaire, quatre-vingts entreprises nous ont fait part de leurs difficultés à exécuter leur marché en raison de l'envolée des prix de l'énergie et des matériaux. Après quelques négociations, nous avons accepté de partager avec elles les surcoûts à hauteur de 1 million d'euros, dans le cadre d'une forme de procédure de sauvegarde.
Mais que faire lorsqu'une entreprise se montre défaillante ? En cas de rupture du marché, France urbaine recommande d'alléger la procédure de sélection d'un nouveau prestataire pour terminer le chantier. Cela fait écho aux dispositions de la loi d'urgence pour Mayotte, votée cet hiver, visant à faciliter l'exécution des marchés afin d'assurer la reconstruction de façon rapide.
Dans le secteur de l'alimentation, heureusement que les tiers de confiance sont là, notamment pour atteindre les objectifs définis dans la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite Égalim ! Nous nous appuyons sur eux pour aider les petits producteurs bio à avoir accès à la commande publique, car vous savez que la Loire-Atlantique est un territoire où l'agriculture biologique est fortement développée. Nous souhaitons donc que les petits producteurs qui s'y consacrent puissent accéder à nos marchés et fournir leurs produits à nos cantines.
Quant à l'expertise partagée, notamment auprès des petites communes, les services de Nantes Métropole disposent d'une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) en interne, spécialisée sur l'insertion et les clauses sociales, c'est à dire la réservation d'heures d'insertion dans les marchés publics, notamment. Nous avons quatre agents qui travaillent uniquement sur ce sujet, non seulement pour la métropole mais aussi pour le compte des soixante-dix ou soixante-quatorze acheteurs publics du territoire dont les petites communes, situées dans la métropole ou en dehors de la métropole, ainsi que des entités adjudicatrices ou d'autres opérateurs publics. Nous partageons donc l'expertise de nos services avec d'autres acheteurs publics.
Notre action en matière environnementale s'apparente de plus en plus à de l'AMO, même si elle n'est pas encore qualifiée comme telle. Je sais que le Commissariat général au développement durable (CGDD) a facilité le développement des guichets verts auprès des collectivités, à cause de la complexité des clauses environnementales.
Pour répondre à votre question sur la part des critères environnementaux dans les marchés publics, il faudrait regarder chaque segment de marché, dès lors qu'il s'agit d'imposer un critère zéro plastique ou zéro perturbateur endocrinien, ou d'autres clauses de ce type. Nous avons identifié 80 sujets environnementaux qui pourraient être pris en compte dans le cadre de notre commande publique et de nos marchés. Or il faudrait seize mois de travail chacun pour les intégrer dans nos marchés. Imaginez le temps et le nombre d'agents que cela représenterait ! Cela nécessitera forcément que nous partagions nos pratiques dans le cadre de réseaux comme France urbaine ou bien avec nos collègues acheteurs. D'autres réseaux, comme Reseco, développent aussi ce partage d'expertise sur les clauses environnementales.
M. Emmanuel Sallaberry. -Je ne dispose pas comme mon collègue d'éléments permettant de diagnostiquer le coût d'un marché public. Il existe une multitude de cas très différents, et il arrive même parfois qu'un marché public soit efficient... Quoi qu'il en soit, je ne connais pas un maire qui considère que construire ou s'équiper coûte moins cher qu'il y a dix ans. Certes, il faut prendre en compte le contexte inflationniste, mais nous devons aussi nous libérer de certains dogmes.
Ainsi, il est très compliqué de faire évoluer les seuils à la hausse, alors que le prix monte et qu'ils peuvent n'être fixés que pour une année. Surtout, les offres ont un caractère intangible : nous souhaiterions tous pouvoir négocier, mais il est impossible de le faire dans les procédures formalisées. Le juge pénal est plus strict que le juge administratif en la matière, de sorte que la jurisprudence nous permet parfois quelques ajustements, mais jamais sur le montant de l'offre. Il ne s'agit pas de faire évoluer le prix sur lequel on juge l'entreprise, mais de pouvoir l'adapter au mieux en fonction de l'évolution de l'expression du besoin.
En effet, la rédaction d'un cahier des charges peut être compliquée à réaliser et, très souvent, ce sont les entreprises qui détiennent la compétence technique pour le faire. Un maire ou un service, dans une petite ou une grande commune, ne sera pas forcément au courant des dernières avancées technologiques, notamment dans les domaines les plus en pointe comme l'intelligence artificielle, de sorte que la définition du besoin restera parfois incomplète ou floue. Dès lors, l'entreprise n'aura pas d'autre solution que de prendre des marges de manoeuvre qui seront répercutées dans le coût du produit.
Nous achetons trop cher, j'en suis convaincu. Mais cela s'explique surtout par le fait qu'il n'existe aucun moyen juridique pour pouvoir renégocier l'offre - c'est du moins ce que nous croyons tous. Par exemple, il m'est arrivé en tant que maire d'avoir des lots surdimensionnés. Or ni le programmiste, ni l'architecte, ni l'entreprise n'ont reconnu leur responsabilité. Bon an mal an, nous avons dû faire avec.
Par conséquent, si je peux comprendre dans le principe que l'intangibilité de l'offre garantit une certaine stabilité du marché, il me semble néanmoins qu'il faudrait faire davantage confiance aux élus en leur permettant des modifications. Qui accepterait de ne rien changer dans les offres qu'il reçoit pour construire sa maison ? Et pourquoi donc imposer aux maires ce que l'on n'exige de personne d'autre ?
D'ailleurs, quand une entreprise comprend mal les besoins qui ont été exprimés et fait une offre anormalement basse, la passation du marché n'est pas possible. Mais une offre anormalement haute n'est jamais rejetée ni rejetable. Cela pose d'autant plus de difficultés que les marchés publics sont très peu concurrentiels car ils se sont considérablement complexifiés. C'est le cas notamment du marché des assurances que vous connaissez bien. Compte tenu de la complexité technique de certains éléments, les opérateurs publics n'auront jamais une expertise équivalente à celle des bureaux d'études qui sont payés pour cela.
Parfois, la technique d'achat peut être bonne, comme dans le cas des accords-cadres qui ont longtemps été la marotte de nombreuses collectivités, à juste titre, mais le besoin peut être mal exprimé à cause de la complexité de certaines clauses, notamment environnementales. J'ai vu certains cahiers des charges dont le nombre de pages était impressionnant pour le nombre d'unités d'oeuvre à réaliser. Mais dès lors qu'un élément n'aura pas été exactement spécifié - par exemple s'il faut creuser un trou de x mètres dans la chaussée mais que cela n'a pas été précisément mentionné -, l'entreprise facturera le prix maximal.
Par conséquent, le rehaussement des seuils permet de gagner du temps, mais tant que certaines règles n'auront pas été assouplies, en préservant toutefois un cadre pour conserver un système normé, nous continuerons d'acheter trop cher. Cela est particulièrement vrai dans certains secteurs comme le transport où les entreprises, qui n'ont pas les mêmes pudeurs que nous, se répartissent les marchés. C'est aussi le cas dans le secteur des fournitures, notamment les fournitures scolaires, où nous n'avons pas d'interlocuteur local.
Avec les représentants de l'AMF, nous restons convaincus que passer un marché public relève d'un acte politique, car c'est la caution politique du maire qui est en jeu plus que le profit.
Je crois que nous avons évolué dans le bon sens en ce qui concerne les critères et nous souhaitons aussi aller au secours des entreprises qui en ont besoin. Pour ce qui est des critères associés à la réglementation thermique des bâtiments, personne n'en contestera le principe, mais il est quasiment impossible de vérifier qu'ils sont respectés, ou en tout cas il est très compliqué de le faire.
En outre, plus on complexifiera le cahier des charges, plus l'acte d'achat sera cher, voire impossible à réaliser, car comment un artisan pourra-t-il répondre aux exigences fixées en matière de bilan carbone ? Je crains qu'il n'en soit pas capable. Mieux vaut faire confiance à l'intelligence collective que de vouloir une nouvelle fois complexifier l'acte d'achat. Tout le monde est sensible au sujet environnemental, mais à vouloir trop complexifier les critères, nous finirons par attribuer les marchés publics à des entreprises qui ne seront pas capables de satisfaire efficacement les besoins des communes.
Il faut aussi prendre en compte la temporalité dans la remise des offres. En effet, les entreprises ne disposent pas de suffisamment de temps pour répondre aux appels d'offres. Or la productivité d'un appel d'offres dépend de la manière dont l'entreprise prendra connaissance du cahier des charges et étudiera la manière dont elle pourra y répondre. C'est là le seul temps productif du processus. Tout le reste est consacré au circuit administratif. Or la procédure se fait très souvent dans un délai contraint, ce qui donne lieu à des erreurs qui ont pour conséquence un renchérissement des prestations.
Il faudra aussi étudier la question des avenants. En effet, aujourd'hui, il est très compliqué de faire un avenant, car cela nécessite de rester dans la limite des 1 % ou des 5 % en cas de cumul. Or qui peut définir un marché tellement parfait que, dans le cadre d'une exécution pluriannuelle, on resterait dans la limite des 5 % de ce qui avait été prévu au départ, évitant ainsi d'avoir à faire repasser le dossier au conseil municipal ? Encore une fois, je comprends que dans le principe il faille veiller à ce que le marché ne varie pas, mais ces règles sont beaucoup trop contraignantes.
Pour ce qui est de l'accès à la commande publique, avant la crise covid, en 2020, la volonté politique d'attirer les PME et les TPE avait pris forme au travers de nombreuses actions de communication. Aujourd'hui, certaines de ces entreprises considèrent qu'elles ne sont pas faites pour répondre à la commande publique, d'autres croient fermement dans la légende urbaine qui veut que les marchés publics soient toujours donnés aux mêmes, d'autres enfin craignent de se retrouver face à la puissance de la collectivité locale si elles s'engagent. Il faudrait casser le plafond de verre, mais nous ne pourrons le faire qu'en rehaussant les seuils. C'est seulement ainsi que pourra prévaloir la fameuse règle des trois devis que tout le monde comprend mais qui n'est pas écrite. Nous pourrons, en effet, être en interaction beaucoup plus directe avec ces entreprises pour les orienter vers des marchés moins techniques et moins complexes, qu'elles auront la possibilité de remporter. Un de mes premiers patrons disait qu'il valait mieux un bon marché passé de gré à gré qu'une mauvaise mise en concurrence, et il avait tout à fait raison.
Les aides aux collectivités locales qui existent sont souvent méconnues par les maires lorsqu'ils prennent leurs fonctions. De plus, il n'est pas rare qu'ils ne soient confrontés à une procédure de marché public dans toute sa rigueur que très épisodiquement, voire jamais, au cours de leur mandat. Les associations départementales d'élus doivent prévoir des dispositifs pour leur apporter une aide, au cas par cas, en fonction des marchés publics qu'ils doivent traiter, plutôt que de le faire de manière trop systématique.
Pour conclure, nous devrions être en mesure de trouver un système qui s'inscrive dans un principe de légalité et de probité tout en fonctionnant beaucoup mieux que celui d'aujourd'hui, qui s'est considérablement complexifié. Comme je le disais, il n'y a pas que la procédure de l'achat public qui se complexifie, mais aussi des normes de plus en plus difficiles à saisir. Qui peut comprendre les critères de la réglementation thermique des bâtiments publics, alors même qu'ils sont pris en compte dans l'évaluation des offres ? La commande publique devient de plus en plus complexe. Introduire davantage de liberté n'obèrera pas la probité des acteurs dans le cadre des marchés publics. Faisons-leur confiance, et s'il le faut, nous pourrons toujours taper fort, administrativement et pénalement, sur ceux qui se seront écartés du chemin.
Le système est devenu bien trop complexe alors qu'il s'agit seulement de bien acheter. Certains finissent par renoncer à un marché parce qu'ils ont fait une erreur dans le processus.
Enfin, la famille d'achats est un autre dogme dont nous devons nous libérer. Vous savez que chacun des marchés publics est réparti dans une famille d'achats, qui doivent tous répondre systématiquement à la même technique d'achat. Par conséquent, un acheteur public qui ne choisit pas la bonne famille d'achats risque d'être plafonné en montant et en technique. Là encore, laissons davantage de liberté aux acheteurs publics. Ce métier s'est professionnalisé de sorte que ceux qui l'exercent sont peu nombreux. La famille d'achats est un dispositif trop rigide : revoyons-le. Il s'agit d'une mesure concrète qui aura des effets rapides.
M. Joël Marivain. - Il est évident qu'il y a un surcoût dans la commande publique. Les trois derniers logements sociaux que nous avons réalisés dans ma commune ont coûté 500 000 euros, alors que les murs étaient déjà là et qu'il ne restait qu'à aménager l'étage au-dessus de la boulangerie !
Au cours des dix dernières années, la plupart des collectivités ont reçu des aides tout à fait satisfaisantes. Tout allait bien dans le meilleur des mondes, mais je crains que ce ne soit plus le cas dans les dix prochaines années.
L'exemple des travaux d'électricité illustre bien l'ampleur des surcoûts dans les marchés publics. Les prix sont effarants, surtout pour le budget d'une commune rurale, même quand elle bénéficie comme la mienne de l'aide d'un syndicat départemental d'énergie, Morbihan Énergies.
Les entreprises auxquelles nous faisons appel ont des frais de structure pour gérer les appels d'offres et nous le payons. Les très petites entreprises ont une réticence naturelle à s'engager, même dans des procédures qui portent sur de petits achats. Elles pourraient bénéficier du portail Chorus Pro, qui permet de réduire les délais de paiement., mais souvent elles ne le veulent pas et nous sommes obligés d'accepter qu'elles nous fournissent leurs documents sur support papier si nous voulons travailler avec elles. Par conséquent, pour les inciter à s'engager dans des marchés publics, nous devons nous adapter et leur laisser le temps de s'intégrer petit à petit dans le processus, avec l'aide des chambres consulaires qui organisent régulièrement des formations en la matière.
En outre, en ce qui concerne la complexité de la procédure, une petite entreprise ne pourra jamais financer les mêmes coûts de gestion qu'une multinationale. Des solutions locales existent, notamment associatives. Le syndicat mixte Mégalis Bretagne est une structure régionale qui propose une base de données où les entreprises peuvent entrer leurs informations pour faciliter la réponse ultérieure aux appels d'offres.
La formation des jeunes élus est également essentielle. En Bretagne, l'Association régionale d'information des collectivités (Aric) propose une formation spécifique pour les élus. Celle-ci est indispensable, notamment dans la première année d'exercice du mandat. En tant que président de l'association des maires ruraux du Morbihan, j'envisage avant les prochaines élections d'organiser des réunions par secteur géographique pour inciter les candidats à se former, à participer aux conseils municipaux, à aller consulter les documents administratifs pour s'imprégner de cette culture générale de base qu'ils doivent acquérir.
Les communautés de communes sont un cadre dans lequel nous pouvons rencontrer nos collègues, discuter de nos expériences et réfléchir ensemble. Je constate souvent une réticence à assumer les coûts en matière du développement de compétences.
Pour ce qui est des clauses, dans la mesure où nous ne passons qu'un ou deux marchés publics par an, et que nous sommes accaparés par le quotidien, nous n'avons pas le temps de nous en occuper. Nos journées ne font que vingt-quatre heures ! Nous voulons éviter de faire les frais d'une complexité qui s'impose à nous.
Pour en revenir au sujet de l'alimentation, dans ma commune, nous avions une cantinière, il y a quelques années, que nous employions à temps partiel avec un objectif social. Nous avons ensuite embauché une cuisinière et nous avons mutualisé nos moyens avec la commune voisine pour produire 120 repas par jour. La cuisinière travaille à temps plein et la mutualisation nous permet de supporter la hausse du coût financier. Une maraîchère s'est installée dans la commune et j'ai choisi de la faire travailler plutôt que de respecter strictement la règlementation de la commande publique. Pourquoi faire autrement alors que cela permet des économies de transport et que la cuisinière peut ainsi adapter les repas en fonction de la production ? Le bon sens doit l'emporter, même si cela m'expose juridiquement. Peut-être faudrait-il accepter que, en politique, la fin justifie les moyens, pour reprendre le côté franc-tireur de certains élus ?
Avec les petites entreprises, le gré à gré est le seul mode de discussion possible, car elles refusent la complexité.
En ce qui concerne les critères, nous nous heurtons désormais à la difficulté de trouver des entreprises pour certains lots qui restent infructueux. Ainsi, sur l'île d'Arz, le maire commence par mettre en place son marché public, même s'il sait qu'il n'aura que des lots infructueux, et il procède ensuite en faisant du gré à gré. Il s'impose de passer par cette procédure pour se protéger juridiquement, tout en sachant très bien que cela ne sert à rien puisque, sur une île, le marché et les coûts seront automatiquement différents.
Je le regrette, mais nous ne pouvons pas prendre le temps de saisir tous les ressorts de la règlementation européenne. Il existe certainement des maires militants et affûtés. Mais la majorité d'entre nous n'a pas envie de passer du temps sur ce genre de question.
Pour ce qui est de la temporalité de l'exécution, j'ai moi-même été confronté récemment au problème. Il fallait reconstruire une garderie et j'ai été obligé de presser l'architecte pour qu'il me présente son projet, afin de respecter les délais pour la demande de subvention, l'attribution de la DETR étant décidée fin janvier. J'ai donc réuni le conseil municipal spécialement pour examiner le projet à la mi-janvier, car si l'architecte ne nous avait rien présenté, il aurait fallu repousser d'un an. Telles sont les conditions pratiques dans lesquelles nous exerçons notre mandat.
M. Dany Wattebled, rapporteur. -Je vous remercie pour ces explications qui nous rappellent notre expérience d'anciens élus locaux. Il semble y avoir un croisement inversé entre les grandes collectivités et les collectivités de plus petite taille. À l'échelle locale, les élus peuvent travailler plus librement, parce qu'ils sont moins soumis à la patrouille et restent en dessous des seuils. En revanche, dans les grandes collectivités, ils doivent faire très attention car les marchés publics sont plus surveillés. Le croisement vaut aussi pour la complexité de la procédure.
Je retiens donc de ce que vous venez de dire qu'il est nécessaire de rétablir une part de liberté assez importante. Peut-être faudrait-il pour cela revoir les seuils des marchés ? Il semble également nécessaire de réintroduire des éléments de proximité à caractère environnemental dans le circuit, en veillant toutefois à ne pas complexifier celui-ci. Cela permettrait de gérer la commande publique à une échelle plus locale.
Enfin, quand un élu local est de bonne foi, je crois qu'il faudrait en tenir compte. Trop d'élus locaux ont été condamnés en l'absence de tout enrichissement personnel. Cela les a rendus inéligibles d'office, ce qui semble démesuré par rapport à la peine qu'encourt par exemple un individu qui aurait dealé au coin de la rue. Il faudrait reconnaître un droit à l'erreur. C'est arrivé non seulement à des élus locaux jeunes, mais aussi à de plus anciens.
M. Simon Uzenat, président. - Mes questions porteront sur trois points qui concernent davantage les collectivités de grande taille, notamment celles qui sont visées par l'adoption d'un Spaser. Est-ce que vous pouvez nous faire un état des lieux de la montée en puissance de ce dispositif dont la loi a élargi le champ, à travers l'abaissement du seuil à 50 millions d'euros d'achats publics par an ?
Vous avez évoqué la définition fonctionnelle des besoins que l'on identifie très clairement comme un outil important pour tous les niveaux de collectivités, même si cela nécessite une forme d'expertise du côté des élus et des services. Il leur permettra d'être dans le « bon achat », qui pourra d'ailleurs être celui qu'ils ne feront plus. Je ne dis pas seulement cela en raison des contraintes budgétaires, mais aussi au regard de la préservation des ressources qui nous incite à réinterroger des actes jusqu'alors automatiques.
Dans le secteur privé, il est souvent question de l'économie de la fonctionnalité. Comment les collectivités que vous représentez se positionnent-t-elles sur ce sujet ?
Le pilotage par la donnée est un autre enjeu qui me semble fondamental dans la perspective de l'élaboration de nouvelles normes ou de nouvelles lois. Le premier défaut de l'État est sans doute d'élaborer des lois et de fixer des objectifs sans même savoir où nous en sommes au moment où nous les adoptons. L'exemple de la loi Égalim est assez éclairant. Est-ce que vous connaissez, par l'intermédiaire de vos associations, des collectivités qui disposent de données plus ou moins précises et consolidées sur les délais de paiement ou sur le nombre d'offres reçues par marché publié ? La tendance semble être à la baisse et à une réduction de la concurrence, selon un rapport de la Cour des comptes européenne (CCE) de 2023.
Comment vos collectivités se positionnent-elles sur les avances et les variantes ? Là aussi, il serait nécessaire de clarifier la situation à l'échelle européenne. Les avances sont de nature à favoriser l'accès des TPE-PME aux marchés publics, mais encore faut-il que les collectivités aient les moyens de les faire. Quant aux variantes, elles peuvent aussi, selon la logique du sourcing inversé, offrir la possibilité de mobiliser des savoir-faire que l'on ne peut pas connaître en temps réel - je vous rejoins sur ce point, monsieur Salaberry.
J'ai été président d'une instance de commande publique, et je sais que l'on a beaucoup fait la promotion des groupements d'entreprise. Or leur développement est extrêmement laborieux et semble poser des difficultés tant du côté des acheteurs publics que des entreprises. Qu'en est-il ?
Enfin, le plan national pour des achats durables (Pnad) 2022-2025 arrive à son terme. Disposez-vous d'une estimation de la performance réalisée par les collectivités au regard des objectifs fixés ? J'en retiens deux, en particulier : l'un visait à ce que 100 % des marchés publics intègrent des considérations environnementales en 2025, l'autre à ce que 30 % des marchés intègrent des considérations sociales, étant entendu que la notion de « considérations » est plus souple que celle de « clauses ».
M. Emmanuel Salaberry. - En matière de pilotage par la donnée, nous souffrons incontestablement d'un manque. En effet, nous ne disposons pas des statistiques que vous avez citées, alors qu'elles nous permettraient d'évaluer plus clairement la situation.
La diminution du nombre d'offres varie en fonction du secteur. Par exemple, nous constatons avec satisfaction que le nombre d'offres a augmenté sur le marché du bâtiment car la crise de la construction a libéré un certain nombre d'acteurs qui n'étaient pas disponibles auparavant. Il faut donc analyser les chiffres dans une perspective pluriannuelle.
Sur les avances, je souscris à ce que vous avez dit. Le processus est le même que lors des premières ébauches du paiement direct des sous-traitants, qui avait été mis en place pour éviter que certains grands groupes fassent beaucoup de trésorerie au détriment de leurs sous-traitants. Le dispositif des avances reste encore assez méconnu et n'est pas simple à mettre en oeuvre, notamment parce qu'il faut le prévoir. Cela pose la question de savoir qui doit donner les informations. Quel rôle peuvent jouer les chambres de commerce et d'industrie (CCI), par exemple, pour venir en aide aux entreprises ? L'acheteur public n'a pas le droit de contacter qui que ce soit, une fois que la procédure est lancée, car il est tenu à un total isolement. Or la mise en oeuvre d'une avance en cours de marché est particulièrement complexe.
Les variantes participent de la créativité des entreprises. Elles posent une difficulté dans la mesure où l'usage veut qu'on les interdise pour des raisons de comparaison des offres. En effet, dans les procédures formalisées, il est peu fréquent que les variantes soient autorisées, car l'offre finale risque de ne pas être techniquement, et donc financièrement, comparable avec le scénario de base qui a été défini. Or le risque de contentieux est grand car les entreprises sont de plus en plus nombreuses, y compris les plus petites d'entre elles, à demander des comptes sur le classement des offres à l'issue de la procédure d'attribution du marché public, convaincues que la leur était la meilleure. Les variantes sont un avantage qui nous permettrait d'avoir une plus grande marge de manoeuvre sur l'expression du besoin, dans la mesure où les entreprises pourraient répondre de manière plus pertinente à ce qui leur a été demandé. Toutefois, les acheteurs de nos collectivités, dès lors que deux offres ne sont pas comparables, nous recommandent toujours de choisir l'offre de base et pas les variantes.
Les groupements momentanés d'entreprises se développent de plus en plus et le dispositif fonctionne bien. Nous aurions sans doute intérêt à aider les entreprises à se regrouper ainsi. Elles le font de plus en plus dans certains marchés. Avant 2020, beaucoup d'actions étaient menées au niveau macro-économique, pour mieux faire en matière de marchés publics. Je suis maire d'une commune de taille intermédiaire de 47 000 habitants et je trouve compliqué de définir précisément mon besoin d'achat. Cela l'est d'autant plus quand on doit le faire à l'échelle départementale. Sans doute faudrait-il que des associations départementales d'élus se chargent d'expliquer ce que vous venez de dire sur les groupements momentanés d'entreprises ?
Au sujet du pilotage par la donnée, l'un d'entre vous a parlé d'urgence. Or je crois que personne ne peut passer un marché dans l'urgence. L'urgence n'est jamais justifiée, sauf dans certains projets nationaux, comme celui de la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Mais il est très difficile d'agir dans l'urgence : par exemple quand le clocher de l'église s'écroule, nous nous retrouvons très démunis.
Enfin, pour ce qui est des pénalités, il est compliqué de sanctionner une entreprise. Les pénalités sont plafonnées, et c'est heureux, car il ne s'agit pas que l'entreprise mette la clé sous la porte. Mais elles restent très complexes à mettre en oeuvre et elles sont d'ailleurs rares. Nous ne disposons pas de données chiffrées et nous fonctionnons à partir des informations que nous nous passons entre élus sur la réputation de telle ou telle entreprise.
Pour simplifier le dispositif, il faudrait aussi que nos partenaires et nos opérateurs économiques soient mis en face de leurs responsabilités par rapport au respect du cahier des charges. J'ai évoqué différentes simplifications de procédure que nous avons mises en oeuvre au bénéfice des entreprises, comme le portail Chorus Pro qui permet de raccourcir les délais de paiement. Mais l'obligation qu'ont les entreprises vis-à-vis des acheteurs de respecter un cahier des charges, y compris dans les procédures les plus simples, est très difficile à faire respecter, de sorte que dans l'exécution d'un marché, l'entreprise ne prend quasiment aucun risque. Si elle respecte le cahier des charges, elle sera payée. Et si elle le fait mal, le potentiel de recours ou de réfaction, en cas d'arrêt en cours du marché, tournera systématiquement à son avantage. Nous sommes donc sûrs d'être perdants.
Comme vous l'avez dit, il faut que nous examinions le code de la commande publique non seulement à l'étape de la passation du marché, mais aussi dans le déroulement de leur exécution. Des mesures de simplification sont possibles.
M. Hervé Fournier. - Au sein de la direction de la commande publique de Nantes, l'un de nos agents s'est spécialisé dans l'analyse des données en lien avec la commande publique. Celles-ci regroupent les informations que nous donne notre système d'information financière sur les marchés programmés, mais pas forcément ceux qui ont été mandatés en cours d'année. C'est là l'une des limites de nos outils existants. Nous disposons d'un indicateur de suivi assez fiable sur les délais de paiement. Il nous a permis de constater que, au cours de ce mandat, les délais de paiement de la commande publique nantaise avaient été améliorés de manière significative. De manière plus large, à France urbaine, l'ensemble des collectivités dispose d'indicateurs et d'éléments d'information sur le suivi de la commande publique. Ils sont toutefois plus ou moins fiables. La loi Agec prévoit l'obligation de réemploi d'un certain type de biens. Cela constitue de la donnée, mais pour les entreprises. Aujourd'hui, nous n'avons pas d'outil national reconnu et certifié pour mesurer les pourcentages de réemploi des textiles ou des matériels numériques. Nous devons donc nous contenter des données que nous transmettent les entreprises soumissionnaires, dont la fiabilité varie. Je ne sais pas si nous avons un pilotage par la donnée, mais nous avons en tout cas un suivi de nos réalisations.
Le Spaser concerne les collectivités territoriales qui réalisent plus de 50 millions d'euros d'achats par an. À Nantes, nous en sommes à la deuxième génération de ces schémas. Il s'agit d'un outil pertinent, notamment pour élaborer une doctrine des achats, autrement dit une politique des achats responsables. L'enjeu est de savoir où placer le curseur, si l'on doit mentionner les marchés qui défendent la biodiversité, ou encore si l'on doit prendre en compte les services et matériels numériques et leurs taux de dépendance. Par exemple, nous nous posons la question de notre taux de dépendance aux services numériques américains. Le sujet a une dimension géopolitique. Nous disposons aussi de données concernant l'accès des acteurs de l'ESS à la commande publique, celui des TPE-PME et celui des autres entreprises du territoire.
Ces données ont des limites. Ainsi, à Nantes, 68 % ou 69 % de la commande publique bénéficient aux entreprises de Loire-Atlantique. Toutefois, il peut arriver que l'entreprise soit domiciliée en Loire-Atlantique, mais que le produit qui permet d'exécuter le marché n'y soit pas fabriqué. Il faudrait fiabiliser la construction de la donnée. Je sais que France urbaine construit des indicateurs de suivi du Spaser.
Le Spaser est un outil de mobilisation des acheteurs publics, qui en sont les premiers usagers. Ils connaissent les orientations prises à l'échelle du territoire en matière de commande publique. Nous avons formé environ 250 acheteurs et responsables de cellules de gestion en nous appuyant sur le Spaser, qui crée une communauté d'acheteurs autour d'une vision politique, d'un cap donné par les élus, puisque ces documents sont adoptés en assemblée.
J'en viens au PNAD. Il nous paraît possible que 100 % des marchés soient « clausés » au niveau environnemental d'ici à 2026, car 70 % l'étaient déjà en 2023. L'objectif, pour ce qui est des clauses sociales, est à 30 %, et nous sommes à 18 %. La trajectoire est bonne. Sur les clauses sociales, il est souvent question des heures d'insertion. Notre indicateur porte plutôt sur le nombre d'heures, en général. Le suivi de ces deux indicateurs concerne les marchés de plus de 90 000 euros.
M. Joël Marivain. -La tendance naturelle des élus est d'acheter les outils ou machines, même lorsqu'ils resteront peu utilisés au cours d'une année. Nous préférons nous orienter vers la location, notamment avec l'assistance d'une personne pour les opérer, lorsque les compétences n'existent pas localement.
Nous appliquons des pénalités de retard, mais de manière raisonnable, à hauteur de 50 euros par jour. Cela fait l'objet de négociations. Quand une entreprise nous donne des explications correctes pour se justifier, nous abandonnons les pénalités. En revanche, nous les appliquons aux entreprises qui se montrent peu respectueuses de leurs engagements. Je le dis en toute transparence dès la première réunion de chantier : « À bon entendeur ! ». Cela fonctionne bien.
M. Simon Uzenat, président. - Nous vous remercions très chaleureusement pour ces éclairages. N'hésitez pas à nous envoyer d'autres exemples de cas emblématiques ou des précisions complémentaires, d'ici à la fin du mois de juin, si vous le souhaitez.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 45.
Mercedi 12 mars 2025
- Présidence de M. Simon Uzenat, président -
La réunion est ouverte à 16h30.
Audition de M. Éric Schahl, conseiller régional d'Ile-de-France, représentant de l'association Régions de France
M. Simon Uzenat, président. -. Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête en nous concentrant toujours sur les collectivités territoriales et leur rapport à la commande publique.
Après la diversité des expériences, mais aussi les constats partagés, dont nous ont fait part hier les représentants du bloc communal (Association des maires de France, France urbaine et maires ruraux), nous allons entendre aujourd'hui le point de vue des régions. Celles-ci, au vu des moyens dont elles disposent, en particulier des services d'achats très étoffés - je peux en témoigner en tant qu'élu régional ayant été en charge de ces problématiques -, peuvent impulser des dynamiques à l'échelle de leur territoire et même au-delà. Il sera donc intéressant de voir si leurs préoccupations ou difficultés rejoignent celles qui ont pu être exprimées hier par les élus communaux.
Nous avons donc le plaisir d'accueillir M. Éric Schahl, conseiller régional d'Ile-de-France, représentant l'association Régions de France.
Je vous informe que cette audition sera diffusée en direct sur le site du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête sera passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit 75 000 € d'amende et jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, voire sept ans en fonction des circonstances. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Schahl prête serment.
Nous partageons avec le rapporteur la volonté d'aller au-delà des idées reçues et des poncifs sur la commande publique. Nous comptons prendre appui sur l'expérience des élus pour formuler des recommandations de simplification ou d'évolution de la réglementation sur des points précis. Convaincus que la commande publique constitue une politique publique à part entière qui permet notamment le soutien au monde économique, nous souhaitons que vous nous présentiez des cas emblématiques des difficultés - juridiques, économiques ou administratives - que peuvent rencontrer les régions, s'agissant tant de la passation que de l'exécution des marchés. Je vais vous laisser la parole, puis vous répondrez aux questions du rapporteur et nos collègues interviendront à leur tour.
M. Éric Schahl, conseiller régional d'Île-de-France, représentant Régions de France. - Les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels de la densification du tissu économique local. Vous connaissez les chiffres : les marchés publics représentent 170 milliards d'euros par an, la part des collectivités s'élevant aux deux tiers de ce volume. Cette proportion ne doit pas nous exonérer de la responsabilité de bien dépenser l'argent public. À cet égard je salue votre démarche : il ne s'agit pas de « couper à la hache » dans les services publics, mais de dépenser intelligemment l'argent public et de le redéployer pour mieux le dépenser et offrir plus de services publics.
Compte tenu des auditions que vous avez menées hier après-midi, je vous propose de développer dans un premier temps la problématique des régions, en évoquant en particulier le cas de l'Île-de-France dont je suis élu. Cette région constitue un cas singulier, non seulement parce qu'il s'agit de la plus grande collectivité d'Europe, et probablement du plus grand acheteur européen, mais aussi parce que, une grande part de ses marchés relevant des procédures formalisées, elle est un peu moins concernée par les problématiques de seuils. Puis, dans le cadre de nos échanges, je vous présenterai les propositions de Régions de France pour faire évoluer la législation et améliorer les pratiques des collectivités et leurs achats.
Les régions sont confrontées à une baisse des dotations qui ne va pas s'interrompre, a fortiori avec l'évolution de notre économie vers une économie de défense et les menaces pesant sur la note financière de la France, qui nous obligent à faire des efforts pour dépenser mieux.
321 millions d'euros de dotations en moins : tel est le montant du « rabot » en Île-de-France. Mais nous avions anticipé cette baisse des dotations en mettant en place une politique ambitieuse en matière d'achats. Au cours de la mandature 2015-2021, un travail fin, mené contrat par contrat, nous a permis d'économiser en six ans 100 millions d'euros, soit de la « mauvaise graisse » qui a pu être redéployée sur d'autres politiques publiques : un tel effort est donc possible et souhaitable.
Les achats de la région Île-de-France s'élèvent à 1 milliard d'euros par an, dont la moitié est affectée aux lycées. L'équipement numérique représente l'essentiel de nos marchés de fournitures. Nous ne sommes pas la seule région à mettre l'accent sur les achats d'ordinateurs, enjeu d'égalité des chances pour les jeunes, mais en Île-de-France, avec 420 lycées publics et 150 000 ordinateurs acquis chaque année pour les élèves de seconde, ce choix prend des proportions sans commune mesure avec l'époque des gommes et des stylos... Dans le domaine des services, 300 millions d'euros sont consacrés à la formation professionnelle.
En conséquence, 60 personnels, affectés à la division des achats, sont dédiés exclusivement aux procédures de commande publique. Par ailleurs, pour 400 de nos agents, répartis entre différentes directions, chacun en fonction de ses spécialités, les appels d'offre représentent en moyenne 25 % de leur temps de travail, soit au total 160 ETP. C'est considérable ! À cela s'ajoutent les dépenses liées aux procédures - 50 000 euros de publications, 200 000 euros sur le portail Maximilien, chaque nouvelle publication induisant un coût. Nous constatons en outre une augmentation de la durée des procédures : si les règles auxquelles sont soumis les marchés sont bonnes dans leur intention, leur application soulève certaines difficultés. Vous auditionnerez tout à l'heure Boris Ravignon : je pense beaucoup de bien de son rapport, qui identifie entre autres constats le fait que la durée moyenne des procédures est passée de deux à trois mois, soit une augmentation mécanique du temps de travail des personnels concernés de 50 %, à rapporter aux 160 ETP de la région Île-de-France dont je parlais précédemment.
Démultiplié à l'échelle de l'ensemble des collectivités - 17 régions, 11 collectivités d'Outre-mer, 101 départements, 1 250 EPCI, 35 000 communes -, le coût des procédures d'appel d'offres, en termes financiers ou de temps de travail, est particulièrement élevé. Le rapport sur le coût du millefeuille administratif, de Boris Ravignon, estime ce coût à 1,5 milliard d'euros par an, soit approximativement 2 à 2,5 % du montant total des marchés publics. Il faut donc se poser la question de l'efficacité de ces procédures au regard de leurs coûts, d'autant que ces derniers pèsent aussi sur les entreprises soumissionnaires. Le coût pour l'entreprise représente entre 6 500 et 7 000 euros pour un marché à procédure adapté ; il peut dépasser 11 000 euros dans le cas de procédures formalisées. De ce fait un nombre croissant d'entreprises considèrent qu'elles ne sont pas en mesure de soumissionner, en contradiction avec le principe de libre concurrence. Autre conséquence : ces coûts sont en partie répercutés sur les prix facturés aux collectivités, à hauteur de 4 000 à 6 000 euros au moins, soit un coût indirect non négligeable que celles-ci doivent assumer.
Pourquoi toutes ces règles ont-elles été mises en place ? Pour trois raisons : la première, absolument légitime, est la déontologie ; la deuxième est de faire jouer la libre concurrence, dans une logique d'économie marché qui vise en principe à atteindre le juste prix ; la troisième est d'ouvrir les marchés publics aux PME. Ces objectifs sont parfaitement sains mais aujourd'hui leur mise en oeuvre a conduit à un recul : l'accès des PME aux marchés publics s'est réduit ; en outre, pour 24 % des marchés passés en France (15 % des marchés il y a dix ans), une seule entreprise concourt, ce qui signifie que la libre concurrence ne joue pas.
Je voudrais risquer un parallèle avec les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, auxquelles la commission des finances du Sénat a consacré l'an dernier une mission d'information, qui m'a auditionné. Une société d'assurances s'est retrouvée en situation quasi monopolistique, car son comportement agressif sur les marchés publics a conduit ses concurrents, qui ont considéré qu'ils n'avaient plus aucune chance de remporter ces marchés, à se désengager des appels d'offres des collectivités territoriales. Dans les premiers temps, les collectivités ont été satisfaites de bénéficier de primes peu élevées et de franchises intéressantes. Puis les émeutes urbaines, la multiplication de catastrophes naturelles et les difficultés financières auxquelles s'est heurtée cette société ont conduit cette dernière à augmenter ses tarifs et à revoir ses franchises dans des proportions largement non compétitives ! Or les autres sociétés d'assurances, découragées de soumissionner, ont perdu les compétences exigées pour répondre à ces marchés et ne peuvent y revenir du jour au lendemain. Les postes correspondants y ont disparu, alors qu'il s'agit d'un métier à part entière. Avant que la concurrence puisse être à nouveau effective en matière d'assurance des collectivités territoriales, il y a tout un tissu économique et des filières à reconstituer par les assureurs.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - Nous avons bien compris que les passations de marchés soulèvent des difficultés beaucoup plus importantes que par le passé. Selon vous, quelles mesures de simplification pourraient encourager les PME-PMI à soumissionner ? Comment soutenir le tissu économique local à partir des marchés publics ? Pour nous, l'économie locale doit être intégrée à la commande publique.
M. Éric Schahl. - Votre seconde question est essentielle. Nos politiques publiques doivent être tournées vers cette dimension.
La proposition de résolution tendant à créer cette commission d'enquête se réfère à une proportion de 28 % s'agissant de la part de la commande publique dont bénéficient les PME, soit nettement moins que leur poids dans le PIB. J'aimerais nuancer ce constat, car la proportion en Île-de-France est de l'ordre de 80 % - plus de 70 % dans la région Grand Est. Peut-être faut-il prendre en compte la capillarité : lorsqu'un grand groupe remporte un marché, il se produit un ruissellement vers les sous-traitants, qui sont souvent des PME. Celles-ci bénéficient donc indirectement des marchés. En Île-de-France du moins, c'est le cas. Je n'opposerais pas systématiquement la commande groupée à la commande à grande échelle, dont les TPE-PME sont susceptibles de bénéficier, et peut-être même mieux !
Il me semble que l'on gagnerait beaucoup à créer un critère de « mieux disance territoriale ». Certes, tous les critères définis au cours des dernières années sont bons, mais ils sont très difficiles à appréhender pour les acheteurs. La sobriété énergétique, c'est essentiel. La région Île-de-France n'a pas attendu la loi Climat et résilience pour verdir ses critères. Essentielles aussi, la dimension sociale et l'insertion. En Île-de-France, nous en sommes à 200 000 heures d'insertion par an : la clause d'insertion figurait dans 25 % de nos marchés avant même que ces critères aient été inscrits dans la loi.
Or du fait de tous ces critères cumulés, les acheteurs passent beaucoup de temps à analyser les offres qui leur sont soumises et rencontrent des difficultés pour analyser celles-ci correctement - je pense notamment au green washing qui peut abuser un acheteur insuffisamment averti.
Le critère de « mieux disance territoriale » intègrerait quasiment tous les autres. Impliquant des circuits courts, il serait efficace sur le plan environnemental. Par l'amélioration de la vitalité du tissu économique du territoire, génératrice d'emplois, il serait vertueux sur le plan social et produirait des économies en matière de prestations sociales, avec des conséquences positives notamment pour les départements.
Si l'ensemble des critères d'attribution des marchés étaient intégrés à celui de « mieux disance locale », l'analyse des offres serait plus concrète et beaucoup plus facile.
En général, les modifications législatives des critères d'attribution des marchés font l'objet d'un consensus : personne ne veut moins de verdissement de l'économie, moins d'insertion sociale, moins de consommation locale ! Reste néanmoins le problème de la rédaction juridique du nouveau critère que je suggère...
J'en viens aux groupements de commandes, que le rapport Ravignon préconise de faciliter en en assouplissant les règles et en permettant à des collectivités territoriales de rejoindre des groupements auxquelles elles ne participaient pas initialement, sans qu'il soit besoin de déposer une nouvelle procédure. En Île-de-France, nous avons créé une centrale d'achats qui intègre les lycées et associe à la région les communes et les autres collectivités qui le souhaitent.
Notre marché d'ordinateurs illustre clairement les effets concrets de la logique de groupement.
Notre appel d'offres porte sur près de 500 000 ordinateurs sur trois ans ; avec une commande groupée, on estime la commande totale à trois millions d'ordinateurs pendant la durée du marché. Le groupement de la commande permettrait donc à toute une filière française, européenne, de s'organiser, avec des effets en termes de réindustrialisation (les composants sont fabriqués en Asie du Sud-Est, où est effectué l'assemblage des ordinateurs). Mais la cible actuelle de 150 000 ordinateurs par an n'est pas assez importante pour que notre prestataire soit en mesure d'assurer l'assemblage et la distribution de ces matériels. Le groupement de ces commandes encouragerait donc la création d'une filière et le développement d'un tissu de PME. Mais je ne souhaite pas opposer groupement de commande et commande de masse car l'important est d'évaluer le ruissellement des marchés, qui peuvent avoir des effets très positifs sur les PME.
S'agissant des seuils, je voudrais vous faire part de la proposition d'une région en matière d'achats de denrées alimentaires. Ce point rejoint le sujet de l'organisation des filières. Nous sommes tous d'accord sur l'importance de la consommation locale, des circuits bio et des produits du terroir. Nous le faisons en Île-de-France pour nos 420 lycées. Mais cela implique d'organiser la production agricole et l'élevage, avec des enjeux de logistique et de distribution pour la filière. L'idée est donc de rehausser le seuil des marchés de gré à gré pour les achats de denrées alimentaires - de 40 000 euros à 100 000 euros - afin de tester l'organisation des filières de production, de logistique et de distribution.
J'en viens au code de la commande publique. Il me semble trop facile de toujours imputer nos difficultés à la loi nationale, qui serait mal faite, ou aux règlementations européennes - nous sommes en France dans une logique de sur-transposition, mais nous n'avons pas attendu l'Europe pour inventer des règles nombreuses... En revanche nous n'utilisons pas assez, à mon avis, la procédure avec négociation. En la matière, le code de la commande publique prévoit toutes les dispositions qui permettraient aux collectivités de mieux s'emparer de cette formule. Les collectivités y sont réticentes car la négociation prend beaucoup plus de temps et suppose des qualifications exigeantes de la part des personnels chargés des achats. Il est plus simple pour ceux-ci de privilégier l'offre la mieux disante que de choisir la procédure négociée. Il convient donc de faire évoluer le métier d'acheteur public, même si je doute qu'une petite commune puisse disposer des personnels spécialisés affectés aux services d'achat des grosses collectivités. Mais la logique des groupements de commandes et des centrales d'achats devrait faire progresser le niveau d'expertise des acheteurs et permettre aux collectivités de recourir davantage à la procédure négociée, à l'instar par exemple de la région Grand Est, qui y a eu recours dans le domaine des transports de voyageurs, avec des résultats positifs.
Cette évolution passe par un changement de nos pratiques, sans induire de modification de la législation, qui en l'occurrence est bien faite.
En matière de seuils, beaucoup de choses ont été dites. Je ne suis pas absolument convaincu, à titre personnel, que la priorité soit de relever le seuil d'entrée en procédure adaptée et d'élargir la possibilité de travailler de gré à gré. Le problème à mon avis réside davantage dans la lourdeur des procédures d'appel d'offres, qu'il convient de simplifier, que dans leur existence. Ces procédures protègent tant les collectivités que les acheteurs. Le seuil de publicité intermédiaire de 90 000 euros pour les marchés de fournitures et de services n'est pas utile et constitue une lourdeur importante. Il s'agirait donc d'étendre la procédure qui s'applique à partir du seuil de 40 000 euros jusqu'à 221 000 euros (seuil à partir duquel on est en procédure formalisée), ce qui diminuerait les contraintes des PME et leur coût d'entrée dans les marchés, encourageant ainsi leur accès à la commande publique. L'objectif est non pas de s'exonérer des procédures d'appel d'offres, mais de les simplifier en diminuant le nombre de seuils (trois au lieu de quatre) et de recourir à la procédure la plus adaptée. Toutes les collectivités ne disposent pas d'un services achats de 60 agents spécialisés et performants. Pour autant, en matière de seuils je n'ai pas la prétention d'avoir un avis définitif. Compte tenu des spécificités des régions en matière d'achats publics, je m'abstiendrais de dire aux autres collectivités comment travailler.
Les seuils doivent aussi être harmonisés : suppression du seuil de 25 000 euros à partir duquel les marchés doivent être passés par écrit ; suppression du seuil intermédiaire de 50 000 euros pour le déclenchement de l'avance ; mise en place d'un seuil générique de 40 000 euros qui s'appliquerait également en matière d'achat de réalisations artistiques existantes, domaine dans lequel le seuil est établi à 30 000 euros - j'ignore pourquoi cette exception.
Enfin, je voudrais aborder les questions relatives aux règles de publication au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE). À partir de 5,5 millions d'euros pour les marchés de travaux et de 221 000 euros pour les marchés de fournitures et de services, la procédure formalisée européenne suppose la double publication, ce qui est inutile car les entreprises qui ont l'habitude de « chasser » ce type de contrat consultent indifféremment le BOAMP et le JOUE. Cette obligation induit un coût, du temps et un risque juridique pour la collectivité qui passe le marché. Nous sommes dans un marché européen, avec des règles européennes : pourquoi ne pas se limiter à l'obligation de publier au JOUE ?
Pour finir, je voudrais dire un mot sur une réelle absurdité : les collectivités sont contraintes de procéder elles-mêmes - et simultanément - à des recherches sur les entreprises qui soumissionnent à leurs marchés, afin de vérifier si celles-ci sont à jour de leurs cotisations sociales, de leurs obligations fiscales... C'est kafkaïen ! Pourquoi ces agents devraient-ils s'arracher les cheveux à effectuer ces vérifications, alors que l'on pourrait mettre en place un fichier national des entreprises qui, sur la base du SIRET et sous réserve du respect des exigences de la CNIL, permettait aux collectivités de s'assurer que les soumissionnaires sont en bonne santé ?
En conclusion, des mesures très simples peuvent être mises en oeuvre en matière de marchés publics.
Mme Lauriane Josende. - Les procédures de marchés publics ont été étendues aux services, y compris par exemple dans le domaine du conseil et des services juridiques. Existe-t-il selon vous des segments, plus particulièrement en matière de services, qui pourraient être exclus de la procédure de marchés publics, ou être soumis à une procédure allégée ? Vous avez parlé de consommation locale : est-ce concevable aussi, selon vous, que les collectivités privilégient ce critère en matière de services dans le cadre de leurs marchés ?
M. Daniel Salmon. - J'ai quelques divergences avec vous s'agissant du critère de « mieux disance locale », qui selon vous devrait devenir le critère majeur d'appréciation des offres. À mon avis, c'est un critère intéressant, a fortiori dans le contexte de la transition écologique, mais non suffisant. Certes, il permet à l'empreinte carbone des fournisseurs de baisser, mais dans les marchés de fournitures de denrées alimentaires par exemple, il faut à la fois du local et du bio - qui peut venir d'un peu plus loin. La dispersion des critères est une vraie difficulté, mais pensez-vous que d'autres critères que la « mieux disance locale » pourraient atténuer ce foisonnement ?
Mme Karine Daniel. - Au-delà des coûts de gestion de la commande publique pour les collectivités, les marchés publics ont des répercussions pour les entreprises. Identifiez-vous des améliorations susceptibles de résulter de l'usage du numérique et de l'introduction de l'intelligence artificielle ? Quelles sont selon vous les pistes d'économies budgétaires pour nos collectivités ? Vous avez évoqué le coût imputable, pour les collectivités, à la charge de travail des agents liée à la commande publique, ce qui m'a particulièrement intéressée : qu'est-ce qui relève à votre avis du traitement des procédures et de la tendance à se protéger de tout risque juridique et contentieux ?
M. Éric Schahl. - Il existe des leviers de simplification dans nos procédures internes, mais il faut avancer dans la dématérialisation. Le « tout démat » est essentiel. Il faut que toutes les collectivités passent définitivement à la signature électronique, en évitant de rematérialiser à un bout de la chaîne ce qui a été dématérialisé précédemment. En Île-de-France ça fonctionne plutôt bien et nous disposons de logiciels bien conçus, même s'il existe probablement en la matière des marges de manoeuvre, notamment en matière d'ergonomie et de simplification.
Ajouter un critère, c'est accroître la complexité des procédures. Ce qui prend du temps aux agents, c'est d'analyser les offres. J'aimerais partager avec vous une initiative toute simple prise par la région Île-de-France lorsqu'a été créée l'Agence régionale du travail d'intérêt général. Pour nous, le travail d'intérêt général (TIG) est adapté aux primo-délinquants, pour autant que cette peine soit exécutée rapidement, ce qui implique des postes disponibles à proximité du domicile des condamnés potentiels. Afin de développer le TIG, nous avons décidé de lier toute subvention attribuée par la région à une collectivité dans le domaine de la sécurité - vidéoprotection, police municipale...- à l'engagement de cette collectivité de créer un poste de TIG, d'accueillir un tigiste ou à tout le moins de former un tuteur. Cette mesure représente un travail considérable pour les services afin de modifier les conventions, ce qui passe par une mise à jour des logiciels. Ce constat peut être transposé aux marchés publics.
Comment évaluer les conséquences du temps passé par les agents à se prémunir contre le risque juridique ? Je ne pense pas qu'il soit si important. À mon sens, ce temps ne saurait être déconnecté du travail très rigoureux exigé par le respect des procédures : pour ma part je ne l'en sépare pas.
S'agissant du critère de « mieux disance territoriale », je souhaite apporter certaines précisions. Dans mon esprit, ce critère ne peut se substituer aux exigences liées aux circuits courts, à la sobriété énergétique, à la qualité des composants et des matériaux, etc. J'intègre au critère local la dimension écologique résultant de la loi Climat et résilience et les obligations prévues par la loi EGalim. L'objectif est que ces divers critères soient évalués selon le prisme local. Au sein de la « mieux disance territoriale », grille de lecture unique, viennent s'agglomérer un certain nombre de critères, parmi lesquels le verdissement, dont on ne saurait s'exonérer au motif que l'on achèterait local ! Le critère territorial permet également, en matière d'insertion, de privilégier l'insertion locale.
En ce qui concerne les seuils et les normes, je ne suis pas convaincu que le paradis, ce soit l'absence de procédure. Les procédures protègent tant les collectivités que les entreprises. S'il faut les assouplir, je ne souscris pas à l'idée que tout va bien quand on fait du gré à gré !
Faut-il que des champs de la commande publique soient exonérés des règles des marchés publics ? Est-ce plutôt une question de méthodes de travail qu'il convient de changer ? L'exemple des ordinateurs est éclairant : si l'objectif est de réindustrialiser et d'organiser la filière du numérique en France, je ne pense pas qu'exonérer les marchés de fourniture d'ordinateurs des règles de la commande publique soit une piste pertinente. La solution réside plutôt, j'y insiste, dans les groupements de commande et dans la mise en place de centrales d'achats ainsi que dans le recours à la procédure négociée, qui permet de discuter pied à pied avec les entreprises soumissionnaires. Soustraire des pans entiers de la commande publique des règles des marchés ne constitue pas une solution, à mon avis.
M. Simon Uzenat, président. - Je souhaiterais revenir sur la procédure négociée. Élu de la région Bretagne, il me revient que les acheteurs, pourtant bien formés, dont disposent les régions jugent cette procédure complexe et source d'insécurité juridique.
S'agissant des obligations de publication, il semble que l'un des axes d'assouplissement portés au débat consiste à rendre les deux publications concomitantes, la publication au BOAMP devant, selon les règles actuelles, être antérieure au JOUE. Vous allez plus loin en suggérant de limiter l'obligation au seul JOUE. Est-ce une proposition de Régions de France ?
En ce qui concerne le critère prix, nous avons créé en Bretagne une centrale d'achats de denrées alimentaires. Les agriculteurs, qui craignaient que la massification des commandes n'ait des conséquences défavorables sur les prix, ont été rassurés. Avec le recul, compte tenu de l'expérience de la région Île-de-France, comment appréciez-vous la part du critère prix dans le contexte de centrales d'achats, au vu de la nécessité de garantir aux TPE-PME la juste rémunération à laquelle elles peuvent prétendre ?
Enfin, je voudrais vous interroger sur le pilotage par la donnée, un sujet que le rapporteur et moi estimons fondamental. En Bretagne, nous avons mis en place un observatoire des données de l'achat public ; d'autres régions travaillent sur des outils différents. Disposez-vous, alors que la région Île-de-France bénéficie d'une taille critique favorable, contrairement aux petites communes, de remontées sur les critères liées aux clauses sociales et environnementales ? L'intelligence artificielle offre-t-elle des perspectives pour alléger la charge de travail des agents dédiés à la commande publique et alléger le coût imputable à ce travail, dont parlait Mme Daniel tout à l'heure ?
M. Éric Schahl. - Le recours à l'intelligence artificielle va probablement exercer des effets importants, mais je ne dispose pas sur ce point, qui relève de la compétence des services, d'informations précises.
En ce qui concerne les obligations de publicité, Régions de France n'a pas été en mesure, compte tenu des délais de convocation à cette audition, d'arrêter une position commune sur les différents points abordés par votre questionnaire. Ma suggestion n'a pas été validée officiellement par Régions de France, mais elle semble refléter l'avis de la majorité.
Les PME doivent être rémunérées au juste prix : j'en suis absolument convaincu ! Le rôle d'une collectivité n'est pas d'asphyxier le tissu économique en dépensant le moins possible, c'est plutôt l'inverse. Du reste, si j'en juge par vos auditions d'hier, certaines communes ont parfois l'impression qu'elles achètent au-delà du prix du marché... J'ai le sentiment que nous faisons des efforts pour payer au juste prix, et je n'entends pas de PME se plaindre d'avoir le couteau sous la gorge du fait de nos marchés. Je le rappelle, les marchés de la région Île-de-France s'élèvent à un milliard d'euros par an et ont un rôle essentiel dans la vitalité du tissu économique. Plus de 80 % des PME bénéficient de nos achats. Je ne crois vraiment pas que les groupements d'achats profitent aux plus gros.
M. Simon Uzenat, président. -Pour certains marchés, la part du critère prix peut dépasser 50 %. Avez-vous une idée de sa part moyenne ?
M. Éric Schahl. - Je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur ce point.
Je vous rejoins sur les incertitudes qui caractérisent aujourd'hui les marchés publics, en lien avec l'évolution de la jurisprudence qui analyse au cas par cas la pertinence de telle ou telle clause. Il est possible que le juge donne tort à une collectivité qui aurait eu recours à la procédure négociée. Le risque juridique est lié au fait que la jurisprudence s'affine progressivement. Toutefois, le fait que dans le cadre de la procédure négociée, les collectivités doivent avancer au fur et à mesure, ce qui implique des critères évolutifs, est désormais reconnu. Le risque juridique, joint au risque de perte financière, peut conduire des collectivités à choisir un marché classique de préférence à une procédure négociée. Certes le risque existe, mais il faut changer nos pratiques et oser choisir cette formule.
Un autre frein à l'évolution des pratiques des collectivités dans ce domaine est que la négociation est un métier à part entière : les agents n'ayant pas nécessairement développé cette compétence, faute d'être en contact régulier avec les entreprises, privilégient les marchés classiques.
Vous posez la question de la capacité à réduire les écarts entre les projections initiales et le coût final. Je ne pense pas que des réformes du code de la commande publique - changements de seuil, par exemple - puissent avoir une incidence directe à cet égard. À mon sens, le code de la commande publique est plutôt bien conçu et je ne vois pas de modifications décisives à lui apporter ; les améliorations se situent davantage du côté de la pratique. Le meilleur levier sera de travailler notamment sur ces procédures négociées. En parallèle, la multiplication des recours va permettre de préciser les règles relatives à la procédure négociée. On sait que l'on peut discuter sur le prix, la quantité, la qualité, les délais, les garanties de bonne exécution, les pénalités, la résiliation : autant de choses qui sont difficiles à appréhender au début.
Nous devons avant tout, y compris par le recours à l'intelligence artificielle, apprendre à révolutionner notre manière de travailler.
Mme Karine Daniel. - Je reviens sur les questions d'intelligence artificielle et les champs dans lesquelles son usage peut être développé dans le domaine des marchés publics. La classification multicritères peut être une piste, sous réserve de garde-fous à prévoir.
M. Simon Uzenat, président. - Je vous remercie. N'hésitez pas à nous communiquer ultérieurement des pistes d'amélioration qui vous paraîtraient bienvenues.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, auteur d'un rapport au Gouvernement intitulé « Coût des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions » (mai 2024)
M. Simon Uzenat, président. - Pour notre deuxième audition de la journée, nous retournons vers le bloc communal en recevant M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières et président d'Ardenne Métropole.
Ce n'est toutefois pas seulement au titre de vos mandats locaux que nous vous accueillons, mais également parce que vous avez remis au Gouvernement, en mai 2024, un rapport intitulé « Coûts des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions ».
Son champ est bien plus large que celui de notre commission d'enquête, mais vous vous êtes évidemment penché dans le cadre de vos travaux sur la question de la commande publique. Vous soulignez son impact sur le fonctionnement des collectivités et appelez à en améliorer l'efficacité et l'efficience.
Avant de vous donner la parole, je vous informe que cette audition sera diffusée en direct sur le site du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête sera passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, soit jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, voire sept ans en fonction des circonstances. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Boris Ravignon prête serment.
M. Simon Uzenat, président. - Vous faites le constat d'une complexification des règles de la commande publique et de l'importance des coûts procéduraux qu'elles entraînent pour les collectivités, et singulièrement les communes. Comment simplifier, ou faire évoluer, la réglementation pour que la commande publique ne soit plus uniquement perçue comme un poids pour les acheteurs publics et un parcours d'obstacle pour les opérateurs économiques ? Telle est l'une des interrogations que nous partageons avec le rapporteur.
C'est pourquoi je vous demande également, outre les enseignements de votre rapport, de nous faire part d'un exemple concret de marché ayant rencontré des difficultés particulières que vous avez connu dans le cadre de votre mandat. Ces difficultés peuvent être d'ordre juridique, économique ou administratif, et concerner aussi bien la passation que l'exécution des marchés. Nous comptons nous appuyer sur l'expérience et l'expertise des élus locaux pour orienter nos travaux et ne pas nous limiter à des recommandations générales.
M. Boris Ravignon. - Je vous remercie de votre invitation qui nous permet d'aborder un sujet qui, pour un praticien du code des marchés publics, est source de frustration permanente. Vous avez rappelé les sanctions pénales prévues en cas de faux témoignage devant la commission. Cette situation reflète celle de la commande publique : la forte pénalisation des infractions, dont celle du délit de favoritisme, rétroagit de manière puissante sur l'ensemble des services et des acheteurs publics qui n'ont plus qu'une seule idée en tête, à savoir la sécurité juridique du processus, face à un droit complexe et à des sanctions potentiellement lourdes, sur le plan pénal, tant pour eux que pour les élus. Dans ma collectivité, juste avant que je ne prenne mes fonctions, la quasi-totalité du service de la commande publique s'est retrouvée au service régional de police judiciaire (SRPJ) pour s'expliquer sur la passation d'un marché d'assainissement. Bien que l'affaire se soit soldée, quatre ans plus tard, par un non-lieu total pour l'ensemble des fonctionnaires mis en cause, ils ont néanmoins tous vécu une expérience éprouvante. Les élus n'étaient pas non plus rassurés par la tournure prise par les événements.
Ce contexte de pénalisation aboutit à ce que la sécurité juridique devienne l'objectif principal, ce qui est préjudiciable.
Vous le rappelez, je me suis intéressé de manière plus systémique au sujet, à l'occasion du rapport qui m'a été commandé, en me concentrant sur trois corpus de normes relatives à la commande publique, la fonction publique territoriale et la comptabilité publique. L'objectif était d'identifier les coûts générés par ces normes sur le fonctionnement des collectivités, en réalisant un travail utile de documentation.
Deux seuils de procédure principaux existent pour les acheteurs publics locaux. Le premier s'applique aux procédures sans publicité ni mise en concurrence, jusqu'à 40 000 euros pour les fournitures et services, ou 100 000 euros pour les travaux. Le second correspond aux seuils européens, au-delà desquels les procédures sont formalisées. La France a ajouté le premier seuil qui distingue les marchés pouvant être passés sans publicité ni mise en concurrence des marchés à procédure adaptée (MAPA). Pour les seuils de publicité, deux niveaux existent et le rapport propose de les mettre en cohérence avec les seuils de procédure. Actuellement, il existe un seuil intermédiaire de 90 000 euros, à partir duquel la publicité devient obligatoire, sachant qu'elle est possible en dessous de ce seuil, étant laissée à l'appréciation de la collectivité : à partir de 90 000 euros, le marché doit être publié au bulletin officiel d'annonce des marchés publics (BOAMP). Un deuxième seuil correspond aux seuils européens et entraîne une obligation de publication au Journal officiel de l'Union européenne. Nous proposons que la formalité de publicité ne soit plus imposée jusqu'au seuil des procédures formalisées, mais qu'elle soit laissée à l'appréciation des collectivités.
Notre travail a également consisté à documenter le coût de procédure pour les acheteurs publics, en nous appuyant sur les travaux du Sénat de 2014, sachant qu'il existe également des coûts de procédure pour les entreprises, avec des conséquences économiques non négligeables. Nous avons actualisé les coûts procéduraux pour les acheteurs publics en distinguant le coût des MAPA, procédure moins longue et moins complexe à mettre en oeuvre, et les procédures plus formalisées : l'évaluation du coût s'élève à 6 800 euros pour un MAPA et à 11 000 euros pour une procédure formalisée. Nous avons ensuite rencontré un problème pour dénombrer les marchés passés puisque l'observatoire économique de la commande publique ne recense que les marchés supérieurs à 90 000 euros. L'information relative aux marchés compris entre 40 000 et 90 000 euros manque donc pour évaluer le coût total de la commande publique. Selon nos hypothèses, le coût procédural de la commande publique est estimé entre 1,4 ou 1,6 milliard d'euros pour les acheteurs locaux, ce qui représente entre 2,1 % et 2,4 % du montant des marchés passés. Ce pourcentage est significatif et semble supérieur à celui observé dans le secteur privé.
Pour les entreprises, nous nous sommes appuyés sur une enquête de la Commission européenne qui estimait la répartition du coût procédural à 60 % pour les acheteurs publics et à 40 % pour les entreprises. Compte tenu de l'importance des montants considérés, le coût serait donc d'un milliard d'euros pour les entreprises qui répondent aux appels d'offres, sans garantie de succès.
Outre ces coûts de procédure, il existe un autre sujet que nous n'avons pas eu le temps d'investiguer et qui est difficile à estimer, relatif aux surcoûts d'achat. Les surcoûts de procédure sont certains et sont observés à chaque fois qu'un marché est passé, tandis que les surcoûts d'achat doivent être documentés. Pour ces derniers, nous pouvons nous référer aux travaux de la Cour des comptes de l'Union européenne : dans un rapport de 2023, celle-ci s'intéresse aux résultats de l'application du paquet « marchés publics » de 2014. Le nouveau de la commande publique qui s'applique depuis 2019 est issu de ce paquet de 2014. La Cour des comptes a constaté entre 2011 et 2021 une augmentation de la durée moyenne des procédures de 50 %, une diminution de la part des PME dans la commande publique européenne - alors que la réforme visait au contraire à augmenter cette part - et une réduction de l'intensité concurrentielle, avec un doublement de la part des marchés ayant un attributaire unique, ou un seul fournisseur dans la procédure. La négociation s'effectue plutôt à l'avantage de l'offreur du produit ou du service. Nous pouvons donc craindre avoir mis en place un cadre d'achat marqué par des coûts de procédure importants pour les collectivités et par un effet contre-productif puisque sa complexité dissuaderait certaines entreprises, conduisant à une réduction de l'intensité concurrentielle et donc à des coûts de transaction supérieurs. Il serait intéressant de mener une étude plus approfondie, en regardant le prix de vente d'un produit standard, qui disposerait d'une référence de prix à l'Union des groupements d'achat public (UGAP) ou dans un marché public local, et en le comparant à une référence de prix du même produit standardisé dans un marché privé. Ce travail n'est ni simple ni facile. Les élus locaux ont toutefois le sentiment d'acheter 25 % ou 30 % plus cher que les entreprises. Ce ressenti mériterait d'être étayé, mais il est cohérent avec la situation concurrentielle qui prévaut pour les achats publics au niveau local.
Nous avons manqué de temps pour approfondir ces sujets et ne disposions pas de l'expertise nécessaire pour les étudier précisément. Face à ces constats, nous avons proposé un relèvement du seuil de passation sans formalité de publicité de 40 000 euros à 150 000 euros pour les prestations de services et les achats de bien et à 250 000 euros pour les travaux. Les collectivités sont soumises dès le premier euro au code de la commande publique : elles s'organiseront donc pour réaliser les mises en concurrence de manière sommaire et définiront leur politique d'achat public pour acheter le moins cher, en assurant leur sécurité juridique. Ce relèvement des seuils ne crée pas un espace de non-droit, mais permet aux collectivités d'acheter plus librement, avec des formalités plus légères et plus rapides, en privilégiant davantage les fournisseurs locaux.
Nous avons en outre proposé de faire coïncider les seuils de procédures et les seuils de publicité.
Nous avons également formulé des propositions visant à faciliter les groupements de commande. La France compte 130 000 pouvoirs adjudicateurs, ce qui représente plus de la moitié des 250 000 pouvoirs adjudicateurs européens. Comme les coûts procéduraux sont fixes par marché, cet émiettement nuit aux petites collectivités et renchérit les coûts. Les groupements de commandes devraient être promus puisque les normes ont été simplifiées. Il faudrait une meilleure programmation entre collectivités des marchés susceptibles de faire l'objet d'un groupement de commande et permettre à de nouvelles collectivités de les rejoindre en cours d'exécution. Des souplesses ont été introduites, mais ces possibilités de groupement de commandes me semblent encore assez méconnues. S'ajoute à ceux-ci la mutualisation organisée par l'UGAP. Au niveau local, pour des prestations standards, comme par exemple le contrôle des extincteurs, ce sont en général des fournisseurs locaux et l'achat groupé permet d'obtenir de meilleurs prix.
Nous n'avons pas pu passer autant de temps que nous l'aurions souhaité sur le sujet. Des missions complémentaires m'ont été confiées depuis, mais je garde l'ambition de documenter davantage les surcoûts, et notamment ces surcoûts d'achat qui me préoccupent sur le plan économique. Si le dispositif mis en place ne permet d'atteindre que le seul objectif de la sécurité juridique, nous serions loin du compte puisque la commande publique vise également à permettre aux collectivités d'acheter le moins cher possible. On est loin du compte !
M. Simon Uzenat, président. - Merci, Monsieur Ravignon.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - Votre exposé est très intéressant, car il met en lumière des résultats parfois opposés à nos intuitions initiales. Vous avez répondu à deux questions que je comptais soulever sur le relèvement des seuils des marchés. D'autres mesures permettraient-elles de simplifier les règles afin que la commande publique soit plus abordable pour les élus locaux ? Dans quelle mesure la commande publique peut-elle privilégier l'achat local ? Souhaitez-vous mentionner d'autres éléments présentés dans votre rapport ?
M. Boris Ravignon. - Il a été demandé à la commande publique de régler de nombreux problèmes, au-delà de la non-discrimination ou de l'absence de favoritisme et de l'achat au meilleur coût économique : il lui est demandé de favoriser l'insertion des personnes en situation d'exclusion, et de contribuer à la lutte contre le changement climatique. À partir du Grenelle de l'environnement, des critères environnementaux et sociaux ont été ajoutés à la commande publique, avec les meilleures intentions du monde : ce travail a conduit à l'obligation d'avoir, dans tous les marchés, à compter d'août 2026, un critère social ou environnemental, ce qui aboutit à une complexification et à des postures parfois artificielles. Si nous avions le temps de réexaminer la nécessité de tous ces critères, nous pourrions certainement concevoir un dispositif plus simple, peut-être sans recourir au relèvement des seuils qui est la solution la plus libérale et la plus facile. Une alternative consisterait effectivement à réexaminer les critères introduits progressivement.
M. Dany Wattebled, rapporteur. - Ces critères favorisent parfois la commande locale.
M. Boris Ravignon. - Il ne s'agirait pas d'interdire ces critères, mais de les laisser à la libre appréciation de la collectivité. Nous imposons actuellement ces critères. Les meilleures intentions du monde peuvent aboutir à des désastres. Le contenu carbone est ainsi une notion très complexe, mal appréhendée par les petites entreprises : si le marché mentionne un contenu carbone faible, seules les entreprises importantes et bien structurées pourront répondre au marché et calculer le contenu carbone.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Je vous remercie de votre exposé. Les meilleures intentions peuvent effectivement être détournées. Je me souviens d'un appel d'offres départemental pour le transport des élèves handicapés. Alors que nous avions l'habitude de faire travailler les taxis ou ambulances locales, un appel d'offres plus conséquent a été passé et nous avons choisi des entreprises parisiennes qui avaient fourni toutes les garanties demandées , mais la réalité s'est avérée catastrophique. Les chauffeurs venaient de la région parisienne et les véhicules ne correspondaient pas à ceux qui avaient été promis. Quand les entreprises sont grandes, nous rencontrons de tels problèmes.
Je peux citer un autre exemple. Le périscolaire relève de la compétence des communautés de communes. Pendant longtemps, des associations locales, comme les associations générales des familles (AGF), ou des maisons des jeunes et de la culture (MJC), en prenaient en charge certains aspects. Avec l'introduction d'appels d'offres encadrés, les grandes sociétés extérieures ont remporté les marchés, en cassant les prix, ce qui s'avère catastrophique pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), confrontés à la dégradation du service et des compétences.
La multiplication de critères, notamment le critère prix, favorise les mastodontes de l'appel d'offres qui parviennent à contourner les règles des marchés. Pouvez-vous nous aider à empêcher de tels contournements ?
Mme Karine Daniel. - Je vous remercie pour votre exposé et pour le travail réalisé en amont pour quantifier et qualifier le sujet. Savez-vous s'il existe des travaux économétriques de chercheurs en économie publique sur le sujet ? A priori, je pense que les mécanismes sont assez connus. Dans un marché avec un donneur d'ordre et des barrières à l'entrée, le simple fait de répondre à un marché public constitue déjà une telle barrière et l'ajout de critères crée des barrières supplémentaires, éliminant des offreurs, ce qui conduit à une situation d'oligopole dans laquelle l'effet prix et l'effet mark-up sont inhérents à la structure du marché. Ce mécanisme est connu et renseigné par tous les microéconomistes. En fonction de la configuration du marché et du nombre d'offreurs et de demandeurs, les configurations de marchés sont différentes, mais elles ont des effets connus et anticipables sur les prix. Ces mécanismes économiques, qualifiés et quantifiés, sont inhérents à la structure même du marché et au niveau de barrières à l'entrée. Plus nous mettons de critères, plus nous instaurons de barrières à l'entrée, plus nous créons ce mark-up de prix et avons cet effet inflationniste. Comment enclencher un effet déflationniste pour répondre aux objectifs initiaux ?
M. Fabien Genet. - Je ne suis pas universitaire comme notre collègue et j'ai un peu plus de mal à apprécier l'application de la théorie du nombre dans les marchés. Je me retrouve toutefois dans l'explication théorique apportée, en la confrontant à ma pratique d'élu municipal dans la commune de Digoin depuis 1995, où je suis le plus ancien élu au conseil municipal. Depuis cette date, j'ai vu passer de nombreuses réformes de la commande publique. Lorsque j'ai été élu pour la première fois, l'inquiétude juridique des élus vis-à-vis des marchés publics était prégnante. Ils craignaient alors d'être convoqués par les gendarmes puis par le juge d'instruction pour des problèmes liés aux marchés publics. Ce risque est désormais bien moins prégnant. Les élus craignent aujourd'hui davantage la prise illégale d'intérêts que les problèmes de marchés publics, ces derniers étant précisément encadrés. Le risque est moindre : la sécurité juridique s'est certainement améliorée, mais au détriment de l'objectif initial visant à assurer le meilleur prix et la meilleure qualité.
Beaucoup de curseurs ont été poussés très loin, en partant de bonnes intentions, pour répondre à de nombreux sujets grâce à la norme et à l'encadrement juridique, et nous nous apercevons que nous n'avons peut-être plus les moyens de nous payer tout cela. Pouvez-vous amorcer d'autres pistes pour desserrer le corset ? Nous dressons un bon diagnostic, sans disposer du mode opératoire. Qui aura le courage de dire que la sécurité juridique coûte trop cher et a trop de conséquences négatives ? Vous avez évoqué la piste du relèvement des seuils, mais la solution n'est pas totalement satisfaisante.
Pouvez-vous approfondir la réflexion et éclairer la commission d'enquête en lui présentant quelques solutions ?
M. Simon Uzenat, président. - Vous avez évoqué l'objectif d'acheter moins cher. De nombreux élus ont le souci du meilleur prix, au-delà du seul critère du prix. Les autres critères nous permettent d'accompagner nos TPE et PME. Votre rapport évoque le coût des normes, contraintes et procédures : savez-vous si l'État a engagé un travail pour identifier le retour sur investissement des critères ? Ces derniers peuvent effectivement avoir un effet positif sur le soutien aux entreprises ou sur l'accompagnement des changements de pratiques. La commande publique a un effet levier. Savez-vous si ces effets ont pu être identifiés ou si un travail a été initié sur le sujet ?
Par ailleurs, votre rapport montre bien que, pour le pilotage par la donnée, l'État et les pouvoirs publics sont largement aveugles. En tant que législateurs, nous votons des lois et déterminons des objectifs sans bien connaître la situation initiale. Ce point de vigilance est extrêmement important.
Je souhaite revenir sur deux points évoqués dans votre rapport. Le premier porte sur la décentralisation du personnel des établissements publics locaux d'enseignement. Je suis conseiller régional. La loi « 3DS »1(*) a introduit une part d'autorité fonctionnelle sur les adjoints gestionnaires : nous constatons toutefois que ce n'est pas suffisant. La loi permet aux départements pour les collèges et aux régions pour les lycées d'avoir davantage la main sur des stratégies d'achat, mais ces collectivités financent ces achats et paient sans décider des critères sur lesquels ils sont réalisés.
Sur la durée des procédures, vous citez le rapport de la Cour des comptes de l'Union européenne qui montre une inflation de près de 50 % entre 2011 et 2021. La France se trouve toutefois dans une meilleure situation que l'Union européenne : l'Union européenne passe ainsi de 62 à 96 jours et la France de 65 à 95 jours. Comment évaluez-vous cette évolution, très significative, qui permet toutefois de relativiser la situation française ?
M. Boris Ravignon. - Je répondrai aux questions dans l'ordre.
Mme Muller-Bronn, j'ai l'impression que le critère prix est assez important dans les cas que vous évoquez. Le code des marchés publics évoquait auparavant le moins-disant : cette notion est maintenant remplacée par celle de mieux-disant, du meilleur prix économique et de la meilleure offre, notion qui inclut d'autres éléments. Pour des raisons de sécurité juridique, le prix est toutefois très rassurant. Lorsque le risque de contentieux est important, les collectivités peuvent accorder un pourcentage important au critère prix, dans la pondération des critères, pour objectiver le marché et assurer une sécurité juridique. L'inquiétude quant au résultat de la procédure, avec la crainte que les actes soient annulés ou les services mis en cause, peut effectivement conduire à pondérer de manière plus importante le critère relatif au prix. Dans la période qui précède la notification d'un marché, les notes attribuées aux candidats leur sont communiquées et l'argument du prix convainc généralement bien et limite les recours. La pratique de pondération du prix a peut-être été trop importante, parce qu'elle rassure les pouvoirs adjudicateurs.
Je n'ai pas identifié de recherches en économie sur ces questions d'achats publics, mais je suis convaincu que le corpus théorique est assez clair. Il arrive à tous les élus locaux de devoir refuser un marché à cause d'une erreur de l'entreprise qui a oublié de signer le bordereau de prix unitaire, de renseigner une partie des bordereaux ou de joindre une pièce. Un acte de régularisation est possible, mais il doit être justifié vis-à-vis des concurrents. Tout cela restreint les possibilités d'offres et a certainement un effet prix défavorable.
Combien nous coûte le compromis nécessaire entre la formalisation, le cadre juridique sécurisant et la diminution du nombre d'offreurs, au lieu d'une concurrence pure et parfaite ? Nous manquons de statistiques sur ce sujet. En tant qu'élus locaux, nous nous plaignons beaucoup des demandes de reporting que nous recevons, mais il est effectivement nécessaire de nourrir l'appareil statistique pour disposer de données nous permettant de prendre les bonnes décisions. En l'occurrence, nous aimerions avoir plus d'indications sur les marchés publics passés par les collectivités pour que les autorités publiques puissent documenter plus finement le sujet. Nous nous référons à des rapports assez anciens, tels que celui du Sénat en 2014. Alors que les collectivités françaises dépensent 66 à 70 milliards d'euros dans les achats publics chaque année et passent 250 000 marchés par an, il me paraît surprenant que nous ne disposions pas de données plus précises. Il conviendrait de disposer de plus de données et de laisser des économistes et des universitaires mener des études approfondies.
Le risque juridique a effectivement été réduit, avec des conséquences en matière économique. Nous avons poussé les curseurs assez loin : j'évoquais précédemment les critères environnementaux et sociaux. Je n'y suis pas opposé, mais il conviendrait de laisser une certaine liberté aux collectivités en la matière. Les clauses sociales de l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) prévoyaient entre 6 % et 7 % des volumes horaires réservés pour l'insertion sociale et ces pourcentages sont généralement dépassés par les collectivités, pour arriver à 12 % voire 15 % sur certaines opérations, comme la rénovation d'un gymnase dans un quartier relevant de la politique de la ville. Ces clauses permettent d'associer les personnes du territoire aux travaux, ce qui a un effet positif et relève d'un choix. Cela devient problématique quand il s'agit d'une obligation et que des collectivités qui ne voudraient pas intégrer ces clauses se trouvent contraintes. Nous devrions revoir tous ces sujets et revoir les coûts, en commençant par documenter ceux-ci davantage. Le président de la commission nationale d'évaluation des normes, Gilles Carrez, partage ce point de vue : nous ne documentons pas assez précisément le coût de toutes les normes et l'impact qu'elles ont. Ce coût peut être assumé, par exemple pour les normes qui pèsent sur les collectivités pour la performance énergétique des bâtiments. Compte tenu des prix de l'énergie, il n'est pas aberrant de fixer un objectif d'isolation et d'amélioration de la performance énergétique. Ce coût des normes doit toutefois être connu, ce qui n'est pas toujours le cas actuellement. Fixer des normes sans connaître précisément leur impact pour les collectivités me paraît dangereux.
Il conviendrait donc de bien documenter les normes que nous nous préparons à adopter, au niveau législatif comme au niveau réglementaire, pour mieux connaître leurs impacts. Nous devrions également revoir régulièrement notre corpus de normes, en nous interrogeant sur leurs coûts.
Je crains que nous n'ayons pas évalué le retour sur investissement des critères utilisés dans les marchés publics. Je ne crois pas que la direction des affaires juridiques de Bercy ait procédé à cette évaluation ex post.
Sur la décentralisation des secrétaires généraux d'établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), nous connaissons les conditions dans lesquelles cet arbitrage a été pris : celui-ci est pire que le problème qu'il devait régler. Les secrétaires généraux d'EPLE, collèges ou lycées, qui administrent le collège ou le lycée, compétence départementale ou régionale, sont restés sous le statut de la fonction publique de l'État et de l'Éducation nationale. Quand ils doivent appliquer la loi EGALIM, qui impose un approvisionnement des cantines avec 20 % de produits biologiques et 50 % de produits locaux et durables, sujet sur lequel les collectivités territoriales se sont investies, ils indiquent aux départements et régions faire de leur mieux, mais qu'ils n'ont pas autorité sur eux. À l'époque, le ministre de l'Éducation s'est opposé au transfert de ces personnels aux collectivités, et ils se trouvent donc sous l'autorité fonctionnelle du président du conseil départemental ou régional, mais sous l'autorité hiérarchique du chef d'établissement et de l'Éducation nationale. Ce compromis n'est pas satisfaisant. Le rapport de la Cour des comptes sur les 40 années de décentralisation citait l'exemple de la décentralisation des collèges et lycées comme une réussite, ayant permis d'améliorer leur bâti. Une identification politique a été réalisée : des conseillers généraux et régionaux s'occupent de ces sujets et la redevabilité démocratique est établie. Les citoyens savent quelle collectivité s'occupe des collèges et lycées. Il convient donc de poursuivre la décentralisation sur cet aspect.
J'ignore pourquoi la France est moins mauvaise que la moyenne de l'Union européenne sur la durée des procédures. L'achat public s'est bien professionnalisé dans notre pays au cours des dernières années. Dans la région Grand Est, où la commande publique représente plus de 6 milliards d'euros, il existe un réseau d'acheteurs publics et l'objectif était que cette dépense bénéficie aux entreprises du territoire.,. Des critères qualitatifs peuvent favoriser les entreprises locales. Les bonnes pratiques ont été partagées pour encourager les acheteurs publics, dont le niveau d'expertise est élevé. J'ai l'impression que dans le bloc communal une montée en compétences est intervenue, ce qui a sans doute permis de passer les marchés plus rapidement que chez nos voisins européens. Il s'agit d'une simple hypothèse.
M. Simon Uzenat, président. - Je vous remercie, Monsieur Ravignon. Nous ne manquerons pas de vous solliciter si des précisions s'avéraient nécessaires. Si vous souhaitez nous fournir des exemples complémentaires, en votre qualité d'élu local ou d'auteur de ce rapport de mai 2024, nous nous tenons à votre disposition.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 35.
Mercredi 12 mars 2025
Audition de l'association Intercommunalités de France (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement
Audition de M. Eric Schahl, conseiller régional d'Ile-de-France, représentant l'association Régions de France (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement
Audition de M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, auteur d'un rapport au Gouvernement intitulé « Coût des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions » (mai 2024) (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement
* 1 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale